Laissons Alifair digérer ses vers de vase et allons voir où en est l'opération de sauvetage...

Katymyny : Nous analysons aujourd'hui l'engin en question... L'escogriffe attendra encore un peu :)


Chapitre 8

Théorie de la magie noire

Quiconque se serait risqué à franchir le seuil de la maison Faraday ce jour-là l'aurait pensée déserte. Au rez-de-chaussée régnait un silence absolu : pas d'elfe occupée à faire la cuisine ou le ménage du salon, aucun portrait en vue. Et pas davantage au premier étage. La maison n'était pourtant pas inoccupée, même si Crickey l'avait quittée pour se rendre à une réunion de la commission à l'émancipation à laquelle participeraient également le Ministre et le secrétaire d'État Enys.

Quiconque se serait aventuré dans le couloir du deuxième étage y aurait perçu des signes d'activité derrière la porte close de l'un des laboratoires, ainsi qu'un murmure de voix en provenance du salon Faraday, où les portraits tenaient leur propre réunion. Et, bien sûr, quiconque passerait la tête par la trappe du toit-jardin apercevrait l'ombrageux Corbac, blotti dans son cerisier sans feuilles. Mais ladite trappe, comme la porte d'entrée de la maison Faraday, étaient toutes deux verrouillées par des sortilèges qu'un simple Alohomora ne suffirait pas à annuler. Provisoirement retiré du réseau des cheminées pour d'évidentes raisons de sécurité, l'âtre du salon ne constituait plus un point faible que d'éventuels terroristes ou espions auraient pu exploiter. En fait, ses murs bénéficiant enfin d'une protection anti-transplanage, la maison s'avérait presque aussi impénétrable à l'ennemi que du temps où elle était sous sortilège de Fidelitas. Il fallait bien ça pour rassurer Severus Rogue.

La curiosité montait en effet à son égard, surtout parmi les Aurors.

« Ils sont très mécontents, l'avait informé le professeur Viesnaya le matin-même, lors de leur toute première entrevue. Le Ministre est intervenu personnellement pour que je puisse vous servir d'intermédiaire, ce qui ne plaît pas du tout au directeur Robards. Nous devons nous montrer très prudents : s'il a l'occasion d'organiser de nouvelles fuites dans la presse, il ne s'en privera pas. »

Rogue s'était retenu de répliquer que, si indiscrétion il y avait, elle ne viendrait certainement pas de lui. Il n'était pas dans son intérêt de vexer la charmante petite Viesnaya.

Il devait reconnaître qu'elle savait se montrer efficace. À l'occasion de cette rencontre, elle lui avait remis le dispositif par lequel la Moldue avait été envoyée au diable. Le compte rendu bref et précis qui accompagnait l'engin rappelait à Rogue ceux de Roman. Il n'avait pas perdu de temps à lui demander comment elle avait percé à jour sa véritable identité, et elle n'avait pas perdu de temps à le lui raconter.

« Ils vous laissent trois jours pour examiner l'artefact, pas un de plus, lui avait-elle indiqué. Robards m'a dit avec beaucoup de clarté que, si je ne le ramenais pas au terme de ces trois jours, il viendrait lui-même le chercher. Il est vraiment très remonté. »

L'irritation du chef des Aurors paraissait amuser Viesnaya, bien qu'elle s'efforçât diplomatiquement de le cacher. Rogue ne lui avait pas demandé non plus comment Shacklebolt comptait justifier le mystère des « consultants étrangers » auprès de l'opinion publique et des forces de l'ordre : après tout, ce n'était pas son problème si le Ministre s'était mis dans le pétrin avant même de savoir comment il allait s'en sortir.

Son problème actuel trônait sur l'une des paillasses du laboratoire du regretté Thomas Faraday, que Rogue avait réquisitionné sans demander la permission à personne. Par commodité, Viesnaya avait transporté la chose dans une boîte en carton. Rogue savait que bon nombre de portraits, à commencer par celui de Roger Dunbar, brûlaient d'assister à l'examen, mais il préférait s'y livrer seul. C'était toujours en solitaire qu'il procédait aux expériences les plus complexes, les plus dangereuses et les plus importantes, même à l'époque lointaine où Lily était encore son amie.

Les débris de l'objet le déroutaient. Il était difficile d'imaginer à quoi l'artefact avait pu ressembler – du reste, sauf pour les félins, le champ de confinement magique et les sortilèges qui y étaient enfermés n'entraient pas dans le domaine du visible. Pour autant, cette cage de Faraday-là avait émis un rayonnement lumineux. Maintenant encore, elle demeurait à la fois visible et tangible sous la forme d'une structure métallique tordue et carbonisée qui, conjecturait l'analyste des Aurors, avait dû former une sphère parfaite. Rogue lui faisait confiance sur ce point.

« Le champ devant être mis en mouvement, écrivait Viesnaya dans son rapport en retranscrivant les propos de l'analyste, le recours à un support matériel était sans doute nécessaire. »

Du bricolage, selon Rogue, mais un bricolage de talent. Décidément, il faudrait laisser Dunbar y jeter un œil avant de le rendre, sinon le portrait ne s'en remettrait pas.

« Ceci étant posé, que nous apprennent ces restes ? » marmonna le sorcier à voix basse.

La persistance de la structure physique de la cage était une chance énorme : imprégnée comme elle devait l'être par l'empreinte des divers maléfices avec lesquelles elle s'était trouvée en contact, elle pouvait livrer bien des informations cruciales… à condition d'être correctement interrogée. Les Aurors en avaient tiré des éléments accréditant l'hypothèse du sortilège de Disparition modifié, sans doute parce que c'était ce qu'ils cherchaient : ils avaient donc pu passer à côté de tout le reste. En outre, ils ne disposaient pas de l'arsenal occulte d'un praticien de la magie noire. Quoi que l'expression « magie noire » puisse d'ailleurs signifier.

Quelqu'un s'était autrefois interrogé sur la notion de « forces du Mal », se souvint-il, mais jamais sur celle de « magie noire ». Étonnant de la part d'une prétendue « broyeuse d'idées reçues », ainsi qu'elle le proclamait sur ses T-shirts. À sa décharge, l'écrasante majorité des sorciers ne se posait pas davantage de questions.

« Ne nous éloignons pas du sujet », se morigéna Rogue.

Le temps était compté, et pas seulement parce que les Aurors attendaient le retour de leur unique pièce à conviction dans l'affaire Alifair Blake. Chaque minute qui passait rapprochait peut-être la disparue d'une issue fatale. Rogue savait que les portraits avaient établi un tour de garde dans le salon Faraday, afin que l'un d'entre eux soit présent si jamais un nouveau tableau y faisait son apparition. Une éventualité à laquelle il s'efforçait de ne pas songer, bien que cela devienne de plus en plus difficile…

Agacé, il secoua la tête. Il était le plus grand occlumens des îles Britanniques, mille gallons de sang-dragon ! Un maître des arts mentaux ! Il était capable de contrôler ses pensées, même en contexte de crise ! Surtout en contexte de crise. Deux guerres lui avaient permis d'acquérir cette expérience. L'attaque de la Vélane grise du lac Prespa l'avait bien un peu chamboulé, mais c'était il y a des mois… Il ne conservait pas de séquelles. Alors il n'avait aucune raison de perdre ses moyens. Aucune excuse. Après tout, elle n'avait pas paniqué en le découvrant qui se vidait de son sang dans l'escalier de cette auberge. Elle avait juré, pesté, sacré, et s'était occupée de lui avec sang-froid et compétence. Concentrée sur sa tâche. Il est vrai que les enjeux étaient différents puisqu'il n'était à ses yeux qu'un ex-pensionnaire maussade incapable de bien se tenir, alors que, pour lui, elle

« Oh, ça suffit ! gronda-t-il en tapant du pied. Ce n'est pas parce que cette maison a abrité deux minables crapules transformées en plantes en pot que tu dois te changer en cœur de laitue ! »

Ça n'aiderait personne, ni ne ferait aucun bien à son orgueil blessé. Trop de souvenirs étaient attachés à ces lieux, sans doute. Trop d'émotions. Il s'efforçait de les juguler depuis son arrivée, mais c'était plus dur quand il se retrouvait seul.

« Imagine ce que ce serait de retourner à Poudlard, dans ce cas », grinça-t-il entre ses dents.

Il préférait éviter. Tout de même, il avait assez de choses à faire pour tenir les souvenirs à distance !

« Concentre-toi, s'enjoignit-il mentalement. Concentre-toi. »

Les yeux rivés sur les vestiges de la cage, il se mit à tourner lentement autour de la paillasse en marmonnant tout en tapotant le creux de sa main avec sa baguette. Inutile de refaire les analyses auxquelles s'étaient livrés les Aurors : il avait beau les tenir en piètre estime, il se fiait aux résultats obtenus. Que restait-il à examiner ? Ces vestiges étaient-ils en mesure d'apporter de nouveaux éléments ? Quel protocole serait le mieux adapté pour en tirer quelque chose ? De quel matériel aurait-il besoin pour le mettre en œuvre ?

Le cerveau du sorcier bouillonnait telle une potion sur un feu de mandragore. Absorbé tout entier par l'énigme, il ne pensait plus à rien d'autre et avait à peine conscience de se trouver dans le laboratoire de la maison Faraday. Outre le fait que cela pouvait se révéler utile et flattait sa vanité, découvrir des secrets le passionnait, qu'il s'agisse de mystères magiques ou des vilaines cachotteries de ses semblables. Flirter avec l'interdit, voire le transgresser franchement, afin d'acquérir des connaissances qui ne l'étaient pas moins, lui procurait toujours le même frisson, la même tension, les mêmes battements accélérés du cœur, le même sentiment de danger, délicieux à donner la chair de poule… Toutes sensations qui formaient l'ordinaire du praticien de la magie noire.

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« La magie noire, annonça le professeur Viesnaya. Tel sera le sujet de notre discussion d'aujourd'hui. »

Comme tous les autres cadets, Harry dressa l'oreille : les médias avaient assez disserté sur l'ignorance de l'ex-chasseuse en la matière pour que les apprentis Aurors s'étonnent de la voir aborder frontalement le sujet. Un doux sourire aux lèvres, Viesnaya balaya de ses prunelles couleur miel les rangées de visages tournés vers elle. Elle avait les bras croisés, signe sans doute que ses terribles brûlures avaient enfin guéri.

« Quelqu'un ici est-il en mesure de proposer une définition de la magie noire ? » demanda-t-elle.

Au premier rang de l'amphithéâtre, une fille émit un ricanement peu discret. Harry n'avait pas besoin de la voir pour deviner de qui il s'agissait : Davina Verpey, une nièce de l'ancien directeur du Département des jeux et sports magiques. Aussi rousse que Ginny, mais bien moins sympathique. Depuis la première intervention de Viesnaya à l'académie des Aurors, Davina se montrait désagréable envers elle, insolente et irrespectueuse. Harry pensait qu'elle était peut-être jalouse du charme slave du professeur ; Ginny, à qui il en avait parlé, estimait pour sa part que cette fille était « une garce, un point c'est tout ».

Viesnaya ignora le ricanement ainsi qu'elle avait l'habitude d'ignorer les insolences de Davina. De trois ans plus âgée que Harry, cette dernière s'était formée auprès d'un théoricien de la défense contre les forces du Mal tout en travaillant à l'agence de détectives sorciers Baskerville et Styles avant de tenter le concours d'entrée à l'académie des Aurors : pour cette raison, elle s'y estimait bien plus à sa place que certains cadets, voire certains intervenants.

« Sans aller jusqu'à la définition proprement dite, reprit Viesnaya comme personne ne répondait, pouvez-vous me donner quelques caractéristiques de la magie noire ? »

Harry réfléchit. Ses professeurs de défense contre les forces du Mal n'avaient abordé la magie noire qu'à partir de sa quatrième année. Le faux Maugrey leur avait alors présenté les Sortilèges Impardonnables avant de les entraîner à résister à l'Imperium – curieuse démarche pour un Mangemort. Ombrage, elle, s'était complètement désintéressée du sujet, bien sûr, et Rogue… Rogue, au contraire, y avait sauté à pieds joints. Mais que leur en avait-il dit ?

« La pratique de la magie noire est illégale », risqua Walter, le cadet au visage balafré.

Viesnaya donna un petit coup de baguette dans le vide et le mot « illégal » s'inscrivit sur le tableau noir dressé derrière elle. Elle était gauchère et son mouvement fit briller la bague qu'elle portait à l'annulaire, un solitaire que Harry n'y avait jamais vu jusque-là. La gracile sorcière s'était-elle fiancée récemment ?

« Autre chose ?

– La magie noire est dangereuse », proposa un autre étudiant.

Nouveau coup de baguette accompagné d'un scintillement de diamant : « danger » apparut au tableau.

« Elle est pratiquée par les mages noirs », lança une troisième voix, une évidence qui lui valut un ricanement narquois de Davina.

Harry se creusait la tête. Les paroles de Rogue, lors de son premier cours de sixième année, l'avaient pourtant frappé ; Hermione prétendait qu'elles ressemblaient à ce que Harry lui-même disait des forces du Mal…

« Flexibles et inventives, se rappela-t-il brusquement. Ce qui est instable, mouvant, indestructible. »

Il était stupéfait de s'en souvenir par cœur ; mais Rogue avait toujours eu le don de marquer les esprits.

« Vous dites, Mr Potter ? » s'enquit Viesnaya, et Harry s'aperçut qu'il avait prononcé ces mots à mi-voix.

Il se sentit rosir lorsque tous ses camarades se tournèrent vers lui. Tâchant d'ignorer sa propre gêne, il répéta d'une voix forte et claire ce qu'il venait de dire.

« C'est comme ça que Severus Rogue les décrivait, précisa-t-il. Les forces du Mal. »

Un murmure parcourut l'amphithéâtre et Harry vit Walter hocher la tête d'un air approbateur, comme si lui aussi se souvenait des propos de Rogue. Vu qu'il était encore plus âgé que Davina, il n'avait pourtant pas la moindre chance de les avoir entendus.

Le professeur Viesnaya adressa à Harry le sourire qui le faisait se sentir particulièrement intelligent ; d'un gracieux mouvement de baguette qui fit briller sa bague, elle inscrivit au tableau ce qu'il avait dit. Puis elle reprit la parole.

« Vous soulevez un point intéressant, Mr Potter : celui des forces du Mal. Quelqu'un a-t-il une idée de ce que sont précisément les forces du Mal ? Ou de leur lien avec la magie noire, si ce lien existe ? »

Harry resta muet. Tout autour de lui, les apprentis Aurors se creusaient les méninges ; même Davina ne ricanait plus. Magie noire et forces du Mal étaient des concepts familiers qu'ils rencontraient tous les jours dans leurs lectures, leurs conversations, leurs cours et leurs stages. Même les Nés-Moldus de onze ans fraîchement débarqués à Poudlard les employaient sans difficulté. Et pourtant… Harry était capable de réciter toute une liste de créatures, des Strangulots aux loups-garous, qu'il avait étudiées l'année où Lupin enseignait la défense contre les forces du Mal. Mais Lupin était lui-même un loup-garou ; ça n'en faisait pas pour autant un membre des forces obscures…

« Les forces du Mal emploient la magie noire, commença Walter, mais Davina l'interrompit aussitôt.

– Les Pitiponks, les Strangulots et les Épouvantards font partie des forces du Mal, cingla-t-elle avec mépris. Tu as déjà vu un Pitiponk faire de la magie noire, toi ? Même les Détraqueurs en sont incapables. C'est une forme de magie trop élaborée pour les esprits, les non-êtres et les animaux, conclut-elle d'un air supérieur.

– Dans ce cas, pour quelle raison toutes ces créatures font-elles partie des forces du Mal, selon vous, Miss Verpey ? » lui demanda alors Viesnaya de sa voix douce.

Harry ne pouvait voir le visage de Davina mais son silence était éloquent : la question l'avait mouchée. Quelques secondes passèrent, puis il aperçut son haussement d'épaules alors qu'elle répondait avec hauteur :

« J'imagine que vous allez nous le dire. »

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« La magie est puissance », proclamait le monument qui ornait l'atrium du ministère sous le règne occulte du Seigneur des Ténèbres. Chaque fois qu'il passait devant les mots gravés sur le socle, Rogue sentait ses lèvres s'étirer en un rictus ironique. Les honnêtes gens qui se contentaient de suivre les sentiers bien balisés du légal et du politiquement correct n'avaient aucune idée de ce que signifiait véritablement cette devise. Naïfs. Albus Dumbledore lui-même ne serait pas devenu celui qu'il était s'il n'avait pas, à un moment donné de son existence, franchi certaines limites… Même Rita Skeeter, malgré son indéniable talent pour les phrases-chocs et les révélations scabreuses, ne s'était pas penchée sur le détail des expériences auxquelles le plus brillant sorcier du siècle avait dû se livrer du temps de sa folle jeunesse. Certes, les témoins devaient manquer plus encore que les pistes.

Rogue ne pouvait que conjecturer les étapes par lesquelles Dumbledore était passé, les choix auxquels il avait été confronté à mesure qu'il prenait conscience de l'étendue de sa puissance et des possibilités qu'elle lui offrait. La plupart des honnêtes gens n'avaient aucun mérite à se conformer aux règles, estimait-il : leur médiocrité leur tenait lieu de garde-fou. Mais quand on possédait le talent naturel d'un Albus Dumbledore, d'un Tom Jedusor ou d'un Severus Rogue, doublé d'une grande curiosité intellectuelle, d'une force de travail considérable et d'une ambition à leur mesure, les premiers verrous moraux sautaient souvent sans qu'on s'en aperçoive… En définitive, comme le résumait si justement le Seigneur des Ténèbres, le bien et le mal n'existaient pas en eux-mêmes : il n'y avait que le pouvoir, et ceux qui étaient trop faibles pour le rechercher.

Si quelqu'un lui avait demandé ce qu'était la magie noire, Rogue lui aurait expliqué, entre deux soupirs de lassitude exaspérée, qu'il s'agissait avant tout d'un concept juridique fondé sur des considérations morales. « Magie noire » signifiait transgression des limites dont le droit et la bien-pensance bornaient la pratique de la sorcellerie : les contours en fluctuaient donc au gré des évolutions de la jurisprudence et des valeurs sociales. Mais l'expression désignait aussi une certaine posture à l'égard des possibilités ouvertes par l'exercice de la magie : ceux qu'on appelait mages noirs considéraient que la seule limite acceptable était celle de leur propre puissance. En leur sein, bien sûr, il y avait des désaccords. Rogue, par exemple, jugeait que la démesure d'une Bellatrix Lestrange la rendait esclave de ses pulsions, alors que, pour Bellatrix, refréner les instincts que la magie permettait d'assouvir revenait à s'aliéner soi-même. Pour autant, tous, du minable Queudver au Seigneur des Ténèbres, partageaient un même désir d'aller toujours plus loin, une même volonté de repousser les limites, morales et légales d'abord, puis naturelles et magiques. Ils savaient tous qu'à condition d'en payer le prix, le pouvoir pouvait être augmenté. Une fois tombées les premières barrières, une fois levés les premiers interdits, ils avaient tous senti ce frémissement de la chair, ce bouillonnement du sang, cette excitation neuronale et cette profonde jouissance qui se rapprochaient sans doute de l'effet des drogues moldues. Car la magie noire était également une addiction et, comme toutes les addictions, elles vous poussait sans cesse à augmenter les doses…

Ce que Rogue avait découvert dans cette grotte en Albanie, sous le lac Prespa, en plus de l'atmosphère nocive qu'y avait laissée le Seigneur des Ténèbres, c'étaient les vestiges de sortilèges puissants et interdits, de cérémonies lors desquelles, au prix de sacrifices sanglants, les chaînes magiques des officiants étaient rompues et où des pouvoirs faramineux leur étaient acquis. Ces pratiques, condamnées très tôt dans l'histoire de la sorcellerie car elles enfreignaient jusqu'aux lois naturelles, les mages noirs se les étaient transmises au fil des siècles avec plus ou moins d'efficacité, quand ils ne les emportaient pas jalousement dans la tombe. Il était probable que le Seigneur des Ténèbres en ait retrouvé quelques-unes pendant ses séjours dans la grotte, près de ce terrible bassin. Comment, sinon, aurait-il su la manière de se reconstruire un corps ?

Ce que Rogue percevait à présent en étudiant la cage de Faraday modifiée n'avait rien à voir. Pourtant, les tests réalisés à l'aide de divers sorts et substances réactives prouvaient que certaines limites avaient été franchies. Oh, cela n'avait rien de comparable avec les débauches de pouvoir auxquelles se livraient autrefois les Mangemorts ou, avant eux, les sectes sorcières. Il ne s'agissait pas non plus d'un sortilège de Disparition étendu aux organismes complexes, manipulation qui relèverait bel et bien de la magie noire, tant en raison de son incompatibilité théorique avec les lois de la nature que de l'infraction au Règlement 15 de la Confédération internationale des mages et sorciers qu'elle représenterait. Ce texte interdisait toute manipulation magique pouvant altérer de manière définitive les propriétés d'une créature vivante relevant de la qualification d'être : or, puisque les effets d'Evanesco ne pouvaient être annulés, en faire usage sur un être allait à l'encontre du Règlement 15.

« Ceci est pourtant bien la signature d'un sortilège de Disparition, constata Rogue en observant les volutes et les arabesques dessinées par la fumée de sa dernière expérience. Mais s'il ne visait pas un organisme… »

Il avait également détecté autre chose, une chose que les Aurors n'avaient pas relevée. Le sorcier décida de se concentrer là-dessus, tapotant de sa baguette les débris de la cage tout en marmonnant des incantations presque musicales. Une lueur rosée chatoya sur les fils métalliques tordus et Rogue fronça les sourcils.

« On dirait un enchantement Siphon… Mais combiné avec Evanesco, ça n'a pas de sens… Par les cheveux de Méduse ! » s'écria-t-il soudain.

La lueur rosée venait de virer au rouge incandescent. Rogue éloigna sa baguette pour laisser l'effet du charme Exploratoire se dissiper, mais la vibration qu'émettait à présent le métal ne permettait aucun doute : elle résonnait dans ses os d'une façon tout à fait significative. Même Roman l'aurait perçue, pensait-il, lui qui s'était senti si mal à l'aise dans l'antre de la Vélane grise.

« Magie noire, souffla Rogue en sentant un plaisir malsain contracter son estomac. C'est donc le siphon qui a été modifié, et pas qu'un peu. Voyons ça… »

Les méthodes qu'il devrait désormais employer pour en savoir davantage étaient interdites dans plusieurs pays. Il ne s'agissait pourtant que de paroles et de tapotements de baguette, de l'absorption de poison à doses trop faibles pour être nocives et du versement de quelques gouttes de son propre sang. Certes, il y avait un petit risque d'en mourir ou d'en perdre la raison, mais cette limitation était grotesque ; d'ailleurs, il était certain que Dumbledore l'avait régulièrement ignorée. Et puis, c'était pour la bonne cause que Rogue enfreindrait les règles, cette fois. Et de toute manière, personne ne le saurait.

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« Avant toute chose, il faut savoir que la notion de "forces du Mal", en tant qu'ensemble d'entités foncièrement malfaisantes, n'existe pas dans toutes les cultures, expliqua le professeur Viesnaya. De même que la "défense contre les forces du Mal" n'existe pas dans toutes les cultures, ajouta-t-elle avec un sourire. À Durmstrang, par exemple, cette matière ne fait pas partie du programme scolaire. Elle n'est pas non plus enseignée telle quelle à l'ULM. »

Un léger brouhaha troubla le silence studieux de l'amphithéâtre alors que les étudiants commentaient entre eux les paroles de l'intervenante. La majorité, sinon tous, avaient découvert l'existence de l'Université Libre de Magie pendant leur première année à l'académie des Aurors, quand Viesnaya avait commencé à leur donner des cours. Harry se souvenait avoir entendu dire, peut-être par Malefoy, qu'à Durmstrang on étudiait la magie noire. Était-ce aussi le cas à l'ULM ?

« Vous avez pu lire dans la presse que j'étais très versée dans la connaissance des créatures des ténèbres mais totalement ignorante en matière de magie noire, poursuivit la petite sorcière blonde sans se départir de son sourire, et Harry vit Davina Verpey hocher fort peu discrètement la tête pour confirmer. Ce n'est pas tout à fait exact. »

Le professeur tourna la tête un instant pour lire les mots inscrits au tableau puis s'assit sur son bureau et regarda son auditoire en balançant distraitement les jambes. Elle semblait parfaitement paisible et Harry se demanda si ce que les journaux racontaient sur sa prétendue incompétence l'avait blessée. Sans doute moins que la langue acide d'une manticore.

« J'ai été élève de Durmstrang, leur apprit-elle. En cours de sortilèges et maléfices, j'ai appris à parer les mauvais sorts, à me défendre et à contre-attaquer dans les limites de la légalité. Pendant les leçons de zoologie magique, j'ai découvert l'existence d'espèces – animaux, esprits, êtres et non-êtres – dont certaines constituent une menace pour l'homme, et on m'a expliqué comment m'en protéger. Enfin, dans une matière que nous appelons histoire et société de l'Europe magique, j'ai suivi dans les grandes lignes l'évolution de ce que l'on nomme magie noire, en tant que concept juridique mais aussi subculture portée par les individus que nous désignons, et qui parfois se désignent eux-mêmes, comme mages noirs. Par la suite, en poursuivant mon cursus à l'ULM, je me suis spécialisée dans l'étude des créatures des ténèbres – on parle plus volontiers aujourd'hui de créatures nuisibles, car elles ont rarement la volonté de faire le mal pour le mal, remarqua-t-elle avec un léger sourire. Mais il existe bien à l'Université une chaire d'étude de la magie noire qui, comme à Durmstrang, envisage cet aspect de la sorcellerie sous l'angle historique, juridique et sociologique. Il y a également de grands spécialistes des sorts et contre-sorts relevant de la définition contemporaine de la magie noire, dont je ne fais pas partie moi-même », précisa-t-elle.

Elle s'interrompit pour regarder à nouveau le tableau avant de se retourner vers eux, sa bague luisant doucement à la lumière des grands lustres qui éclairaient l'amphithéâtre.

« Tout cela pour vous dire que l'expression "forces du Mal" recouvre en réalité deux, voire trois choses différentes. D'une part, les sorciers et sorcières pratiquant la magie noire de manière régulière, c'est-à-dire les mages noirs. D'autre part, des espèces magiques aussi ou plus intelligentes que l'être humain et qui manifestent la volonté collective de nuire à ce dernier : par exemple, les Détraqueurs. Et enfin, des créatures de moindre intelligence dont le mode de vie les rend dangereuses pour l'homme, tels les Strangulots ou les Épouvantards qui, dans certains cas extrêmes, peuvent vous rendre fou ou vous faire mourir de peur. Encore qu'en ce qui concerne le deuxième de ces trois groupes, sa volonté n'est pas tant de nuire que de survivre : les Détraqueurs n'ont pas choisi de se nourrir des émotions humaines. Pourquoi auraient-ils moins de légitimité à le faire que nous à consommer de la viande ? »

Harry noircissait fébrilement le rouleau de parchemin sur lequel il prenait des notes. Il savait qu'à sa place, Hermione en aurait fait autant avec plus d'enthousiasme encore, elle qui s'était inscrite à l'école de Droit magique moderne et coutumier après son éclatante réussite aux ASPIC – elle avait obtenu un Optimal à chacune de ses épreuves. Autour de lui, il entendait les cadets réagir avec plus ou moins de vigueur à la dernière remarque de Viesnaya.

« Ça, c'est bien vrai ! » entendit-il Davina approuver, ce qui ne le surprit pas tant que ça car la déplaisante nièce de Ludo Verpey était une végétarienne militante.

L'intervenante attendit que les murmures s'éteignent d'eux-mêmes avant de reprendre la parole. Une fois encore, Harry s'émerveilla que, malgré sa voix douce et sa fragilité apparente, elle sache si bien captiver son auditoire.

« En tant qu'Aurors, et après la fuite massive des créatures qui s'étaient alliées à Voldemort, c'est essentiellement aux mages noirs que vous aurez affaire. Je crois savoir que le module de droit de troisième année de l'académie est en cours de refonte afin d'intégrer une définition plus précise et poussée de ce qu'est un mage noir à l'heure actuelle. Lorsque vous le suivrez, j'espère que vous repenserez à la judicieuse remarque qu'a émise Miss Verpey tout à l'heure… »

Elle laissa passer un silence pendant lequel tout le monde, Davina la première, essaya de se rappeler ce qu'elle avait dit de si intelligent.

« Miss Verpey a souligné le fait que la magie noire est trop complexe pour être maîtrisée par des non-êtres, des esprits ou des animaux, expliqua Viesnaya en balançant ses jambes. Mais qu'en est-il des êtres autres que les humains ? Des gobelins, des elfes de maison, des Vélanes, des centaures pourraient-ils devenir des mages noirs ? »

Elle parcourut de son tranquille regard doré les rangées de visages qui, tous, arboraient le même froncement de sourcils songeur. L'expression amusée de Viesnaya, elle, montrait bien qu'elle était consciente de leur avoir posé une colle. Pour autant que Harry s'en souvienne, pas une fois le directeur Robards n'avait abordé ce sujet pour l'instant, mais son stage n'était pas terminé : il devrait songer à l'interroger, à l'occasion.

« C'est une question que l'on ne se pose pas souvent, reconnut le professeur. Mais il me semble que de futurs chasseurs de mages noirs feraient bien d'y réfléchir. »

Tout en approuvant mentalement, Harry se dit que Gawain Robards détesterait être pris en défaut sur ce point – surtout par une non-spécialiste, et surtout par Viesnaya. Ce n'était certainement pas lui qui lui avait offert sa bague de fiançailles.


Et vous, quelles sont vos réponses aux questions du professeur Viesnaya ?

Je ne sais pas vous, mais pour moi, les vacances sont arrivées, alors il est possible que je ralentisse un peu la cadence... mais vous devriez avoir des nouvelles d'Alifair avant la fin de l'été :)

Dernier rappel : si vous cherchez quoi lire sur la plage ou ailleurs, faites un tour sur dossiersk. wordpress. com (en supprimant les espaces). Ça y est, j'ai fini de vous embêter avec ça, promis ;)