Chers lecteurs,
Je reprends cette note sur un conseil de Nictocris.
Bon bon... Cela faisait longtemps que tout se passait bien. Rated M pour Malheureusement ça dérape. Pour les âmes sensibles, je mets un bref résumé de ce qui s'est passé dans mon paratexte (eh ouais) du chapitre suivant, pour que vous puissiez quitter ce chapitre à n'importe quel moment s'il vous met mal à l'aise. Surtout, ne vous forcez pas.
Merci pour vos commentaires et vos mises en suivi, always. Merci à Nictocris, always again.
Portez-vous bien, grattez vos pare-brise, à dans dix jours,
Al
PS : réponse au mot de Patfol le S : ah ah parkie a déjà des adeptes ! merci pour ta review !
« L'homme est un animal politique. », Aristote
« Mr Londubat ? »
Neville leva les yeux du service en argent que lui avait confié son employeur pour une restauration. Dans l'embrasure de la porte se tenaient deux inconnus. Deux hommes droits et sûrs dans leurs bottes comme seuls peuvent l'être ceux qui accomplissent leur travail sans se poser de question.
Un chauve et un défiguré. Têtes de brutes.
« Oui ?
- Veuillez nous transmettre votre baguette et nous suivre. Sans opposer de résistance. »
Neville posa sa fourchette et se leva. L'un des hommes parut surpris : Neville cacha un sourire. Il savait que, debout, il était beaucoup plus impressionnant. Il leur tendit sa baguette et les suivit dans le couloir.
« Où emmenez-vous mon ouvrier ? Je le paye, je veux qu'il travaille, grinça Grimlen en les voyant passer.
- Au Ministère. Et ça prendra le temps que ça prendra, répondit le chauve.
- Au pire, le payez pas, ricana le couturé. Il ne sera peut-être plus là pour toucher sa paye. »
Les deux hommes rirent de concert, comme si ç'avait été la meilleure blague du monde.
Neville pâlit : en interrogeant les deux hommes, Grimlen lui avait fourni les infos qui lui manquaient. Il allait au Ministère.
Et n'en ressortirait peut-être pas.
Le Chemin de Traverse était envahi de brume en ce matin frileux. Les trois sorciers avancèrent de front, Neville coincé entre les deux gros bras. Les passants s'écartaient de leur passage, sans oser les regarder dans les yeux. Un gamin coincé entre deux brutes, c'était plutôt repoussant.
Ils parvinrent au Chaudron baveur sans encombre. Une fois à l'intérieur, ils passèrent à la cuisine où ils prirent une cheminette pour le Ministère.
Neville était allé une fois au Ministère, en cinquième année, lors de l'opération de sauvetage de Black, le parrain d'Harry. Il se souvenait, même la nuit, d'un endroit baignant dans la magie, un lieu merveilleux où tout ce qui se faisait de plus beau dans le monde sorcier était représenté.
L'immense fontaine qui ornait le hall avait disparu, remplacée par une sculpture où des sorciers écrasaient d'autres hommes et les différentes créatures magiques. Les sorciers qui passaient à toute vitesse à côté d'eux paraissaient pressés, nerveux. Ou peut-être Neville projetait-il juste ses pensées vers eux…
Ils avancèrent jusqu'à un ascenseur. Sans dire un mot, le chauve appuya sur l'étage – 13.
Ça commence mal…
Quand l'ascenseur s'arrêta, Neville retint son souffle. Ils avaient abouti à une enfilade de pièces aux portes semblables. Dès qu'ils franchirent les grilles, des cris leur parvinrent, comme si un sort de silence avait assourdi les bruits dans l'ascenseur mais qu'il se levait une fois qu'on s'engageait dans le couloir.
Des cris de détresse, de désespoir, de lamentation, de douleur.
Le chauve avança à grands pas, le balafré poussa Neville dans le dos pour le forcer à le suivre. Ils progressèrent dans le couloir. Devant chaque porte, les sons devenaient plus forts. Comme si quelqu'un jouait avec le volume : les gémissements se modulaient dans le couloir, des exclamations, des hurlements à déchirer les tympans vrillaient les nerfs de Neville devant chaque porte devant laquelle il passait puis ces bruits diminuaient, jusqu'à ce qu'il passât devant une autre porte.
Il sentit une sueur glacée dévaler son cou.
Ils s'arrêtèrent devant une porte muette. Le chauve l'ouvrit d'un sortilège.
La pièce était presque banale, après avoir traversé tout le couloir. Une table, deux chaises. Deux verres d'eau. Les murs nus, blancs, pas de fenêtre.
Pas de public.
« Asseyez-vous, je vous prie. »
Cette esquisse de politesse fit frémir Neville. Pourquoi s'enjoindre à des apparences de normalité alors qu'on l'avait arraché à son boulot et que ce qui l'attendait était sûrement aussi réjouissant que ce qui amusait ses voisins ?
Il s'assit. On le délesta de sa montre, de sa bourse et de son permis de travail. Les deux hommes quittèrent la pièce, le laissant seul.
Et Neville attendit.
Il essaya de se raisonner.
Si on te laisse seul, c'est pour te faire mariner. Tu n'as rien fait. Ne te laisse pas impressionner par la solitude et ce que tu as entendu. Que me veulent-ils ? Tu n'as rien fait. Tu ne sais rien. Tu es innocent. Que vont-ils me faire ? Tu n'as rien fait. Ils ne peuvent rien te faire.
Le temps passa. Peut-être quinze vingt minutes. Ou plus ?
Tu crois vraiment qu'ils ne vont rien te faire ? On est à l'étage des torturés. Personne ne sait que tu es ici, à part Grimlen, ce qui n'est pas un gage de sauvetage. Tu pourrais disparaître et tout le monde s'en foutrait. Tu pourrais mourir et personne ne le saurait.
Il desserra sa cravate et un cran de sa ceinture. Trois-quarts d'heure ? Les cris continuaient à résonner dans ses oreilles. Les parois étaient forcément de carton, il entendait les hurlements de ses voisins comme s'ils étaient dans la même pièce. Parfois à droite, parfois à gauche.
Tiens, d'ailleurs, si je me tourne, les cris du voisin de droite deviennent ceux du voisin de gauche. Et inversement. Ça change.
Une heure, peut-être plus. Peut-être moins.
Pas d'accalmie dans les cris.
Tu ne sais rien. De toute façon, tu es sang-pur, ils ne peuvent rien te faire. S'ils tuaient tous ceux qui avaient échangé avec Harry, ils ne s'en sortiraient pas.
Deux heures, sûrement. Toujours des cris. Presque une musique.
Si je dors, le temps passera plus vite. Mais si quelqu'un entre alors que je dors, ça ne sera pas pire ? Je serai faible… Je suis faible.
Il ôta ses chaussures, compta ses pas en traversant la pièce. D'abord en allongeant bien les jambes, en les étirant au maximum, puis en rétrécissant ses enjambées. Il calcula la longueur de la pièce (huit pas) et sa largeur (six pas). Puis il calcula en nombre de pieds.
Il fallait qu'il s'occupât. Bientôt trois heures, à vue de nez, qu'il poireautait. Son imagination lui avait déjà déroulé soixante scénarios différents sur ce qu'on lui voulait. Il fallait qu'il occupât sa tête. Les cris, c'était plus possible.
Il se força à ignorer les cris. Il compartimenta ce qu'il entendait dans un recoin de son cerveau et se força à s'enfermer dans sa tête. Il se mit à se réciter tous les noms des plantes qu'il connaissait, en les classant par propriétés magiques. Il les épela, à l'envers, à l'endroit, puis les récita de nouveau en les classant par ordre alphabétique. Il inversa leurs lettres, essaya de composer de nouveaux noms de plantes.
Bientôt il n'entendrait plus les cris.
Il n'arrivait toujours pas à se poser la question : qui criait ?
Parce qu'il savait que s'il se posait la question, il craquerait.
Le temps continua de passer. Immuable.
Depuis quand était-il là ? Peut-être juste quatre heures. Ou trois jours.
Il essaya de se rattacher à ses sensations. Ce qui posait problème, puisqu'il fallait réintégrer son corps quelques instants, pour se faire un compte-rendu interne, et donc entendre de nouveau les cris. Il n'avait pas faim, ni sommeil. Il commençait à avoir envie de pisser, mais ce n'était pas encore urgent. Un début de migraine, la bouche un peu sèche. Il sentait toujours le bleu que lui avait fait Parkinson sur la pommette, la veille.
Quand la porte s'ouvrit enfin, Neville avait l'impression qu'il était là depuis des siècles.
Deux hommes entrèrent. Neville reconnut l'un d'eux pour avoir vu sa tête sur d'anciennes Gazette : Yaxley. L'autre lui était inconnu.
« Alors, Londubat, j'espère que tu as bien pu réfléchir. » commença l'autre homme en s'asseyant face à la table.
Neville ne répondit rien. Voir des êtres humains, même des putain de Mangemorts, lui avait redonné l'assurance qu'il avait perdue en restant seul.
« L'homme est un animal social : il vit en communauté, en cité. », avait dit Hermione une fois en paraphrasant un sage moldu, un certain Harry Stote. En sentant le soulagement qui l'avait étreint en voyant d'autres êtres humains, il comprit ce que ce Stote, ou quelque soit son nom, voulait dire. Même en voyant des enflures, il s'affermissait.
« Qu'est-ce que t'es allé faire à Sherwood ? »
C'était donc ça ! Pourtant, Neville avait pris toutes les précautions qu'il avait pu pour éviter d'éveiller les soupçons. Sa grand-mère avait donc raison : quoi qu'il fît, il susciterait l'attention.
Il garda le silence, les yeux fixés sur la main velue de Yaxley.
« T'es débile ? T'es sourd ? Qu'est-ce que t'es allé faire à Sherwood ? »
Le silence s'étira.
« Tu veux pas répondre ?
- Rogue nous l'avait dit, grinça l'autre homme, c'est une tombe insoupçonnée. Lui n'arrivait pas à lui faire cracher une recette correcte en potions ! »
Les deux hommes ricanèrent.
Il faut vraiment se faire à l'humour mangemort.
« Legilimens ! »
Neville eut à peine le temps de monter ses barrières mentales que le sort le frappa de plein fouet. L'esprit de Yaxley se heurta à un mur infranchissable composé de papiers de confiserie.
« Merde ! Il est occlumens ! »
Ouf. Il avait monté son mur mental à temps.
L'autre Mangemort grogna. Yaxley relança le sort, mais cette fois Neville était prêt. Au bout d'un long moment, Yaxley abandonna. L'autre Mangemort se lança, mais il maîtrisait apparemment encore moins le sortilège que son partenaire. Neville, concentré, tenait bon. La tête vide, seuls les papiers de bonbons. Rien d'autre.
Pas de pensée pour sa grand-mère qui l'avait forcé à prendre des cours d'occlumencie dès le retour du Seigneur des Ténèbres, à la fin de sa quatrième année. Pas de pensée pour Ginny, qui l'avait entraîné à supporter les attaques de légilimencie l'année précédente. Pas de pensée pour Luna qui lui essayait, pendant les heures de retenue qu'ils passaient ensemble, de sonder sa tête. Pas de pensée.
N'oublie pas. Il est plus fatigant de visiter un esprit inconnu que de résister à cette intrusion. Si tu tiens, tu vaincras. C'est l'autre qui craquera en premier.
Neville tint bon. Les Mangemorts abandonnèrent.
« Pas de chance pour toi, pauvre con. »
Neville sut ce qui allait arriver un millième de seconde avant que le sortilège Doloris ne l'eût atteint.
Du feu. Du feu dans ses veines. L'or fondu des creusets des gobelins dans ses os. Du plomb dans sa cervelle. Et dans ses entrailles…
Il n'arrivait même plus à compartimenter sa douleur comme il avait pu le faire sous les sorts de ses camarades, peu de temps avant, à Poudlard. Quand il se faisait torturer par Crabbe, Goyle ou Malefoy en septième année, il ne souffrait pas autant. Quand Parkinson lui avait lancé un Impardonnable, il avait résisté. Mais là… Là…
La douleur disparut aussi soudainement qu'elle était apparue. Ses muscles étaient crispés, encore coincés dans ce qu'il venait de vivre. Il haletait, couché par terre, recroquevillé. Ses cordes vocales lui faisaient mal. Il ne se souvenait même plus avoir crié.
« Ce qui est pas mal, avec le Doloris, c'est que ça laisse pas de trace. On peut jouer plus longtemps… Donc, maintenant que j'ai ton attention, petit bâtard... »
La voix de Yaxley paraissait si douce… Comme s'il était impossible qu'elle lui infligeât ce qu'elle lui infligeait.
« Dis-nous qui t'es allé voir à Sherwood. »
Neville ne pouvait pas répondre : ses mâchoires étaient encore trop crispées. Des pleurs lui déchiraient la gorge, essayant de passer à travers ses dents serrées.
« T'hésites à répondre ? Tiens, remets-lui une dose. »
Neville aurait voulu crier, mais il n'en eut pas le temps. Il hurla. Un bruit qu'il n'aurait jamais pensé pouvoir produire. Il se liquéfiait. Il n'avait plus d'os, plus de squelette, plus de corps.
« Tu sais, ça s'arrête dès que tu nous dis ce qu'on veut savoir, petit con. Réponds. »
Neville hoquetait. La douleur avait disparu, mais il avait pris encore plus de temps à s'en apercevoir.
Il réussit à desserrer les dents :
« Ro… Robin des bois… »
Il avait à peine réussi à murmurer.
La voix de Yaxley, beaucoup trop proche de son oreille, lui susurra :
« Et il se fout de nous, en plus. »
La douleur reprit, brève, par petites touches. C'était pire. Elle frappait au hasard, irrégulièrement. Il ne pouvait pas s'y préparer, ni espérer qu'elle s'arrêtât. Cela dura. Au bout d'un moment qui lui parut infini de tressautements, il entendit la voix de Yaxley.
« T'as vu la fille Lovegood ? »
Neville n'arrivait pas à respirer correctement : ses poumons lui faisaient mal, il avait un point de côté à force de crier. Il inspira fortement et lâcha :
« Allez vous faire foutre ! »
Cette fois, il hurla et se roula par terre sans discontinuer pendant un bon moment. Puis il ne put même plus rouler : cela aggravait la douleur. Même le sol était insupportable, comme couvert de lave et de tessons de bouteille enflammés. Ses muscles tiraient. Il entendit que sa voix s'était éraillée quand Yaxley arrêta :
« Je suis pas d'humeur à jouer trente ans avec la nourriture ! Parle ! T'as vu des nains ? »
La douleur était insoutenable. Il allait devenir fou. Il allait devenir comme ses parents.
Cette pensée brutale le fit se sentir – enfin – fils de ses parents.
Il ne dirait rien. De toute façon, il n'avait rien à dire. Il ne dirait rien. Ses parents seraient fiers de lui sans jamais le savoir. Il tiendrait bon. Il se tairait : il survivrait.
Yaxley dut lire sur son visage sa nouvelle résolution. Il se releva, furibard :
« Il dira rien ! Amène-nous l'autre ! Peut-être que ça le décidera ! »
L'autre Mangemort quitta la pièce. Neville rampa dans un coin de la pièce et essaya de se détendre doucement. Il finit par se hisser sur ses genoux et s'asseoir. Son souffle retrouva petit à petit son rythme.
Il avait tenu bon. Il n'avait rien dit.
Yaxley s'était rassis à sa place, les pieds sur la table, et fouettait l'air de ses index pour ponctuer comme un chef d'orchestre les hurlements des cellules voisines. Neville s'adossa au mur. La paroi fraîche contre son dos l'apaisa un peu.
« Tu sais, t'es vraiment qu'un petit connard. On nous a interdit d'utiliser du Veritaserum, ça coûte trop cher pour des connards en ton genre. En théorie, on peut t'abîmer un peu sans que ça craigne trop. Mais bon, le Doloris n'a pas l'air de fonctionner sur toi. »
Neville sentit son souffle reprendre son balancement régulier. En effet, comme Yaxley l'avait promis, il ne ressentait pas de trace de son supplice. Si ce n'est que ses muscles courbaturés se souvenaient de ce qu'ils avaient subi. Si ce n'est que son cerveau appréhendait si fort le retour de la douleur.
« J'en viendrai presque à t'estimer. Le fils Londubat capable de ne rien dire. Mais bon on a autre chose en stock. »
Neville serra ses bras contre lui : ils ne pourraient plus l'atteindre. Même sous Veritaserum, il ne pourrait rien dire : il ne se souvenait plus de rien. Bénie soit l'amnésie partielle qu'il avait subie ! Bénie soit la personne qui lui avait lancé un oubliettes !
La porte se rouvrit. Et Neville comprit que ça allait se gâter.
« Neville !
- Ta gueule ! »
Il aurait pu ne pas le reconnaître. Hâve, des cernes creusés sous ses yeux presque éteints, les cheveux sales, une barbe de plusieurs jours soulignant le creux des joues. Mais son sourire sincère ne trompait pas. Justin Finch-Fletchey.
« Avance, sale Sang-de-tourbe ! » s'exclama l'autre Mangemort en l'envoyant rouler par terre.
Encore ces ricanements pour un semblant de calembour. Neville voulut fermer les yeux pour ne pas voir ce qui allait se passer. Mais il ne pouvait pas : une sorte de honte l'en empêchait.
« Alors comme ça, vous aviez cours ensemble ? C'est fou comme la racaille est fréquente, à Poudlard ! »
Les yeux de Justin. Comme un espoir, une joie de le revoir, lui, Neville.
Il n'avait pas encore compris. Neville, lui, avait saisi où voulaient en venir les Mangemorts.
« Vous aviez botanique ensemble, pas vrai ? »
La voix sirupeuse de Yaxley, il la haïssait.
« Tu avais un bon potentiel pour terminer à Poufsouffle, en plus… Il aurait pu être ton camarade de chambrée. Il a ton âge. »
Neville voulait tant recevoir encore le Doloris. Mais pas ça. Pas Justin. Pas devant lui, pour le faire parler, lui, alors qu'il ne savait rien.
Quand Justin se mit à beugler, à se tordre par terre, Neville le fixa : il fallait qu'il s'en souvînt. Il fallait qu'il l'encourageât en restant à sa place.
Yaxley leva le sort. Justin, tremblant, appelait sa mère en sanglotant. Neville sentait une honte insidieuse s'insinuer dans son âme. Jamais il n'oublierait ce qu'il ressentait.
« Alors, toujours rien à nous dire ?
- Je ne sais rien ! » craqua Neville en rompant son vœu de se taire pour les narguer.
Il ne voulait plus les narguer. Il ne voulait plus les regarder de haut. Il aurait voulu pouvoir crier, mais il n'arriva qu'à produire un murmure cassé.
« Laissez-le… »
Yaxley lui jeta un regard froid.
« T'es pas très convaincant, tu sais ? Tu vas infliger ça encore à ton copain ? Vraiment ? Vas-y Steve. »
Neville lut le reproche dans les yeux de Justin avant qu'ils se voilassent sous le coup de la douleur. Justin hurla.
C'était une chose d'entendre les cris d'inconnus depuis plus de quatre heures. C'en était une autre de voir la source de ces cris, de le connaître, de s'en sentir responsable, et de ne rien pouvoir y faire.
« Laissez-le ! Je vous en prie... »
Neville savait que les Mangemorts l'entendaient à peine : les cris de Justin couvraient tout. Puis, pour magnifier le plaisir, sûrement, Yaxley lança :
« Incarcerem ! »
Écartelé dans les airs par des cordes sorties de nulle part, Justin ne pouvait même plus se recroqueviller sous le coup de la douleur. Neville, abandonnant toute dignité, suppliait en essuyant de la main la morve qui coulait sur son menton :
« S'il vous plaît s'il vous plaît… Laissez-le… Il n'a rien fait… S'il vous plaît… »
Et il savait qu'il n'y pouvait rien. Justin était un Né-moldu : on n'aurait aucun scrupule à se débarrasser de lui. Son sang ne valait rien.
« Où est cette salope de Lovegood ? Réponds ! »
Les cris de Yaxley surpassaient ceux de Justin, comme s'il s'était appliqué un Sonorus. Neville répétait en boucle :
« Je ne sais pas je vous en supplie je ne sais pas je ne sais pas… »
Soudain, tout fut silencieux. On n'entendait plus aucun cri venant des pièces voisines. Seuls résonnaient les geignements de Justin, toujours suspendu dans les airs.
Neville comprit que l'autre Mangemort avait jeté un Silencio.
Un bruit mat : Justin venait de tomber à terre, libéré des liens magiques qui l'entravaient.
« Tu sais, j'aurais presque pu espérer que tu parles. Mais j'ai bien compris que tu ne sais rien. Là, j'avais juste envie de m'amuser. »
Toute cette torture pour rien. Pour le plaisir.
Cette douleur dans la poitrine, ça existait ? Ce n'étaient pas des histoires qu'on racontait aux enfants pour leur faire peur. C'était réel.
« Et comme j'aime faire mal, je vais aller plus loin. Impero ! »
Neville sentit toute volonté s'annihiler. Il avait déjà subi un sortilège d'Imperium, durant sa quatrième année, dans les cours de Maugrey Fol Œil. Il avait réussi à résister un court instant : Ron, qui lui avait lancé le sort, n'avait pas mis toute sa volonté à le faire plier.
Mais cette fois, comme pour le Doloris, cela n'avait rien à voir.
Il était déjà affaibli par des Doloris, il était pour la première fois confronté à une réelle volonté face à la sienne…
Ne te cherche pas d'excuse. Tu seras coupable.
Il entendit dans sa tête, alors qu'il avait su résister aux intrusions précédentes, la volonté perverse et vicieuse et perfide et malsaine de Yaxley.
Tue-le tue-le tue-le…
La voix insistante dans sa tête, il fallait lui obéir. Il fallait tuer cet affreux Sang-de-bourbe ce chacal cette sous-merde ce moins-que-rien…
Mais c'est Just…
Le tuer. Le tuer. Il saisit le couteau que lui tendait Yaxley et s'approcha de l'autre qui pleurait comme un gosse en gueulant en appelant sa mère encore et toujours son hideuse mère moldue moins qu'une humaine de la vermine à peine un animal moins qu'un animal.
Au fond de lui, Neville comprit ce qui allait se passer. Au fond de lui, une terreur sans nom le faisait hurler silencieusement. Un recoin de sa conscience opprimée essayait de surpasser le sort.
Mais la voix était tellement insistante, il ne pouvait pas lui désobéir, cela lui paraissait tellement juste de…
Passer la lame effilée sur la gorge de Justin Finch-Fletchey.
À l'instant où il le fit, l'impardonnable se leva.
C'est en étant pleinement lui-même que Neville reçut Justin agonisant dans ses bras.
Deux ou trois gargouillis. Ce regard…
Jamais Neville ne pourrait oublier l'extinction du regard de Justin.
« Ah mais quel porc ! Il s'est pissé dessus ! »
La voix de Yaxley parvint aux oreilles de Neville sans qu'il parvînt à trouver un sens à ce qui était dit.
« Laisse-les comme ça, on reviendra tout à l'heure. »
Les deux hommes quittèrent la pièce, laissant Neville et le cadavre de Justin dans une flaque de sang et d'urine.
