Chers lecteurs,
En cette période de confinement, je vous livre un nouveau chapitre de votre fic préférée (arrêtez de m'envoyer des fleurs, je n'arrête pas d'éternuer à cause du pollen, oh non c'est trop, tous ces compliments, mes chevilles gonflent...)
Plus sérieusement je pense qu'on est sur du T- today.
Portez-vous bien, profitez du confinement pour m'envoyer plein de commentaires, vous avez le temps et j'adore vous lire,
Al
PS : réponses aux commentaires :
Lyanna : merci merci merci ! j'aime les reviews comme ça ! merci parce que c'est exactement le genre de réactions que j'espère créer chez mes lecteurs. tu auras des éléments de réponse dans ce chapitre. merci encore !
Patfol le S : très franchement je ne vois pas de quoi tu parles... vraiment pas... mais qui est donc papi nico flamel ? merci pour ta review.
« Tout d'un coup, en regardant au bout d'une longue allée d'arbres, il vit une grande lumière, mais qui paraissait bien éloignée. Il marcha de ce côté-là, et vit que cette lumière sortait d'un grand palais qui était tout illuminé. » Mme Leprince de Beaumont, La Belle et la bête
« Beauxbâtons est derrière la cascade. Bon courage !
- Merci ! »
Neville quitta le bar et prit le chemin qui montait dans la montagne. Du gel crissait sous ses pas, du givre perlé suintait des buis. La forêt résonnait de mille bruits journaliers : des couinements de souris accompagnaient ses enjambées. Un merle, hâtif, se posa sur une branche en croassant brièvement.
Neville remonta le cours d'eau, évitant les cailloux pointus qui parsemaient le sentier. Si Beauxbâtons était aussi bien protégé que Poudlard, il devait passer, sans le savoir, les barrières anti-moldues. Le chemin virait sans cesse, comme le lui avait dit le barman. Neville surveillait la végétation, prêt à trouver la perle rare : des asphodèles bleues, propres aux Pyrénées, introuvables en Angleterre. Même si c'était une espèce protégée, il ne se gênerait pas pour l'ajouter à son herbier.
Un grondement sourd lui indiqua qu'il se rapprochait. Et derrière le feuillage touffu d'un conifère, elle apparut.
La cascade. Une immense chute d'eau au rugissement tonitruant qui effrayait les oiseaux de passage. Neville se doutait qu'il fallait passer en dessous, barrière magique oblige, mais cette masse d'eau qui se fracassait sur les galets ne lui donnait vraiment pas envie de s'y lancer.
Allez, sors ton courage de Gryffondor du placard.
Comme pour passer la barrière de King's Cross, peut-être valait-il mieux fermer les yeux et s'y lancer sans réfléchir plus avant.
Neville resserra les sangles de son sac, inspira profondément et avança. Des gouttelettes glacées lui lacérèrent les joues. Il continua à avancer, en essayant de raisonner la peur qui lui tenait les entrailles. Enfin, mieux, son instinct de survie qui lui criait de fuir.
Tu y es presque.
Il avança vaillamment, ne réfléchissant plus. Il refusa de fermer les yeux.
Si je dois mourir, autant voir la mort en face.
Il poussa un pied devant l'autre. La déflagration de l'eau l'assourdit. Il persista. Trop près. Il était trop près.
Il continua.
Il passa sous l'eau sans rien sentir, si ce n'est une légère bruine qui lui humidifia les cheveux.
Et de l'autre côté…
De l'autre côté s'étendait à perte de vue un parc aux frontières indéfinies que bouchait un château monumental. Une immense bâtisse plate, étalée comme une géante endormie sur une estrade blanche, au toit sombre émaillé de tuiles colorées. De grandes fenêtres trouaient à intervalles réguliers la façade blafarde et la couleur des volets rappelait les tuiles vernissées du toit.
Si Poudlard avait gardé un charme biscornu bien breton, Beauxbâtons respirait l'ordre et la clarté de l'âge d'or français.
Neville parvint enfin à l'immense perron qui donnait sur une baie vitrée à travers laquelle on apercevait un couloir couvert de miroirs.
« Cher visiteur, bonjour ! »
Neville sursauta : une voix nasonnante venait de jaillir d'un nain de jardin en terre cuite qui détonait dans le décor. Les lèvres peintes du nain se remirent à bouger.
« Veuillez décliner votre identité et l'objet de votre visite.
- Neville Londubat, pour une demande d'aide à Madame Maxime à propos de Rubeus Hagrid. »
Le nain lui adressa un sourire charmant et répondit :
« Descendez les escaliers nord et parvenez aux jardins Bleus. Allée des Lilas, première à droite, n'oubliez pas le guide. »
Il retourna à son immobilité première.
C'est quand même vachement plus magique qu'un Cracmol avec sa chatte, comme accueil.
Il glissa une noise dans la fente qui surmontait le bonnet du nain et suivit le chemin conseillé par l'artefact. Il parcourut d'un pas rapide les allées du jardin. Un panneau bleu, posé sur un pied tressautant, lui indiqua galamment l'allée des Lilas. Il remonta ce qui ressemblait à un vague labyrinthe extrêmement rectiligne et tomba sur une cabane à outils vieillotte mais en excellent état.
Elle est trop petite pour un demi-géant…
Pourtant, devant, une pancarte branlait sur laquelle les mots suivants étaient calligraphiés : Chez Rubeus, Horticulteur & Jardinier.
Neville sentit les battements de son cœur le secouer jusqu'aux tripes.
Il toqua, les mains agitées de tremblements.
« Oui ? J'arrive ! »
Il avait reconnu cette voix, cette grosse voix grave et sympathique, ce ton de basse qui maîtrisait des hippogriffes et amadouait des sombrals.
Hagrid.
La porte s'ouvrit à la volée et Neville ressentit un plaisir familier à se casser la nuque pour regarder dans les yeux son ancien professeur.
Remarque, tu te la casses moins qu'avant. Preuve que t'as encore grandi, vieux…
« Neville ! C'est pas croyable !
- Hagr… »
Le demi-géant le serrait déjà contre son immense poitrail, dans un geste qui hésitait entre l'affection et l'étranglement.
« Tu es en vie ! Remarque, on l'aurait su si tu étais mort, enfin je suppose… Elle va être tellement contente de te voir ! Viens, entre ! Oh ça fait plaisir ! »
Hagrid le lâcha, lui adressa un regard brillant et rebroussa rapidement chemin, comme s'il ne pouvait pas attendre. Neville distingua dans la pénombre une volée de marches qui disparaissait sous terre dans laquelle s'engagea Hagrid. Il claqua la porte derrière lui et le suivit.
« Devine qui est là ? » clamait la voix d'Hagrid devant lui.
Neville parvint en bas des marches dans une cuisine sombre et conviviale, assez haute pour Hagrid. Enterrer la maison, quelle bonne idée pour gagner de l'espace.
À la table, une tête ébouriffée, des yeux inquisiteurs et un sourire éblouissant.
« Hermione !
- Neville ! »
Elle se leva précipitamment, faisant tomber le banc sur lequel elle était assise, Neville contourna la table. Ils s'étreignirent.
Merlin, qu'elle lui avait manqué ! Elle avait la même odeur qu'avant, cette odeur de parchemins neufs et de vieux livres. Neville cacha sa tête dans la broussaille de cheveux, respirant à pleins poumons cette odeur qui lui rappelait la salle commune, les cours de sortilèges et les veillées à potasser les BUSE autour du feu.
« Neville Neville Neville Neville… » répétait Hermione comme une mélopée lancinante.
Lui se taisait, tout à son bonheur de voir et de sentir contre lui son amie. Après Ron, Hermione. Ils étaient tous deux en vie. Après un an et demi sans les voir, il les savait vivants.
Il la sentait vivante.
Elle finit par le lâcher et lui lança, les larmes aux yeux :
« Mais qu'est-ce que tu fais ici ? Tu as pu quitter l'Angleterre ?
- Et toi ? Tu n'y es plus ?
- Et si nous prenions un thé pour discuter ? »
Les deux amis se tournèrent vers Hagrid qui versait de l'eau bouillante dans une théière en émail. Neville se fendit d'un large sourire :
« Lavande m'a conseillé de vous apporter du bon thé de chez nous !
- Bénie soit Lavande ! Les Français osent appeler thé leur herbe à chat. Ils n'ont aucun goût, c'est bien connu. »
Hermione se rassit, le fit asseoir à côté de lui, lui caressa la joue. Elle n'arrêtait pas de le toucher, le bras, le visage, l'épaule, presque maternelle comme elle avait pu l'être parfois durant ces six années passées ensemble. Comme si elle n'avait pas vu de quoi lui rappeler Poudlard et l'Angleterre depuis des lustres. Des larmes perlaient à ses yeux. Neville savait qu'il était à peu près dans le même état.
« Comment va Harry ? Et Ron ?
- Ron est en Argentine, et Harry… On ira le voir tout à l'heure. Et toi ? Raconte ! »
Et voilà. Harry vivant. Les trois étaient vivants. Neville sentait que quelque chose clochait, mais au moins ils étaient tous les trois vivants.
Neville raconta à Hermione et à Hagrid tout ce qu'ils avaient manqué. Hermoine pleura quand elle apprit la mort de Lupin, Tonks, la mère de Tonks, Justin, et rit quand elle apprit que Teddy était vivant, et soupira quand elle apprit la situation à Poudlard sous la direction de Rogue, et tressaillit quand elle apprit que Lavande se prostituait. Elle grimaça à l'évocation de Parkinson :
« Es-tu sûr qu'elle ne te vendra pas ?
- Elle m'a mis au courant que la surveillance qui pesait sur moi pesait dorénavant sur Lavande. Ron ne s'en est pas rendu compte : il a dû penser que personne n'irait poser de questions à son ex, que la lettre passerait inaperçue.
- C'est mal connaître Ron, répliqua Hermione en se resservant en thé. S'il a envoyé une lettre à Lavande, c'était justement pour déplacer l'attention des Mangemorts sur elle et vous laisser le champ libre, à toi ou à sa famille. »
Pas con.
L'explication plut à Neville : ça ressemblait en effet plus à Ron. Et prouvait que Ron ne l'avait pas oublié.
Hermione s'était replongée dans un silence raide. Assis dans un fauteuil, au bout de la table, Hagrid tricotait une écharpe de laine grossière, écoutant leur conversation qui se tenait à mi-mots, comme s'ils avaient tous deux peur, s'ils parlaient à voix haute, de casser quelque chose.
Alors Neville osa :
« Que s'est-il passé ? Vous n'étiez pas tous les trois ensemble ?
- Au début, si, répondit Hermione, les yeux fixés sur sa tasse. Mais nous avons été séparés, et je n'ai pas revu Ron depuis un an. »
La douleur dans sa voix était si forte qu'elle en était palpable. Neville tendit la main et l'enjoignit à continuer :
« Par où commencer, hésita Hermione. Si nous ne sommes pas revenus à Poudlard, c'est que nous devions lutter à notre manière contre Voldemort. »
Neville ne put s'empêcher de tressaillir.
« De quoi t'as peur ? Je croyais que cette peur du nom était passée depuis longtemps…
- Un tabou a été posé sur le nom de Vous-savez-qui, expliqua Neville. C'est comme ça qu'ils ont chassé les membres de l'Ordre au début. Maintenant, tout le monde fait attention à ne pas dire son nom. Ça faisait longtemps que je ne l'avais plus entendu.
- Tu fais bien de me le dire, reprit Hermione, songeuse. Quand je rentrerai en Angleterre, il faudra que je fasse attention. »
Je. Quelque chose clochait.
« Nous sommes partis chercher les horcruxes de Voldemort, reprit Hermione.
- Mais ça signifie qu'il est immortel !
- Tu sais ce qu'est un horcruxe ? »
L'étonnement perçait dans la voix d'Hermione, et presque une pointe de jalousie. Neville s'expliqua, comme pour s'excuser :
« Parkinson m'en a passé un sans faire exprès. Elle m'a expliqué ce que c'était. C'est affreux si Vous-savez-qui en a créés.
- Dumbledore en a trouvé et détruit un, Harry aussi. Il nous reste donc cinq horcruxes à trouver.
- Cinq ? C'est possible de diviser son âme en… sept morceaux ? »
Neville ne savait plus quoi en penser. L'idée de mettre dans un objet une partie de son âme, cela lui semblait absurde. Alors le faire sept fois…
Hermione leva les yeux vers lui.
« Sais-tu comment on fabrique des horcruxes, Neville ? »
L'effarement l'étreignit. Elle asséna :
« On crée un horcruxe en tuant quelqu'un. »
Sept personnes… Vous-savez-qui avait tué sept personnes. C'était à la fois trop et si peu. Cette nouvelle fit rire absurdement Neville :
« Rho, ben ça va… Je croyais qu'il avait beaucoup plus de victimes à son actif, mais finalement, sa réputation est surfaite. »
Le visage d'Hermione se contracta un instant, puis elle éclata de rire. Hagrid joignit son gros rire de bon géant aux leurs. Ils gloussèrent, ricanèrent, s'esclaffèrent. Quand Hermione retrouvait son calme, Neville repartait.
Au bout d'un long moment, ils retrouvèrent leur calme.
« Ça faisait longtemps que j'avais pas ri comme ça, dit Hagrid en s'essuyant les yeux.
- Moi non plus, répondit Neville. Et ça fait du bien ! »
La boule de stress qui s'était coincée dans son ventre avait, lui semblait-il, diminué de moitié.
Hermione réchauffa son thé d'un coup de baguette et reprit :
« Nous en avons trouvé un autre, un médaillon. Mais nous ne sommes pas arrivés à le détruire et l'objet a affecté Ron un peu plus que nous. Il est parti. »
La voix d'Hermione se cassa, Hagrid étouffa un hoquet. Neville se leva, passa sur le banc à côté d'Hermione et la serra contre lui. Elle pleura dans son épaule. Neville lui frotta le dos. Il ne savait pas quoi faire d'autre. Au bout d'un moment, elle se calma.
« Je connais la suite, coupa Hagrid dans le silence qui se construisait doucement. Je vais voir les citrouilles. »
Il se leva avec un reniflement sonore et Neville écouta son pas pesant décroître dans l'escalier. Hermione se tourna enfin vers Neville :
« T'as pris des cours pour consoler des filles, toi, non ? À une époque, tu aurais rougi de me tenir dans tes bras. »
Neville sourit :
« J'ai passé l'année dernière à consoler des filles. Lavande, Parvati, Ginny, Hannah… Content que tu aies remarqué mes progrès.
- Tu mérites même un Optimal. » dit Hermione dans un sourire.
Elle reprit, plus sérieuse :
« C'était si dur que ça ?
- Vivre sous Rogue et les Carrow ? Je suppose que ça allait, grinça-t-il. Les coups, les blessures, les Doloris… Finalement, à côté de ce qui nous arrive à l'extérieur, c'était pas si horrible. »
Hermione ravala un sanglot. Neville fouilla dans ses poches et trouva un mouchoir propre.
« Tiens. »
Elle le remercia. Une fois mouchée, elle attaqua de nouveau :
« Avec Harry, on savait plus trop où chercher. Il a voulu aller à Godric's Hollow, là où tout a commencé, selon lui. »
Une pause.
« C'était pas l'idée du siècle. »
Elle renifla de nouveau et se moucha.
« Désolée, je suis pas aussi émotive d'habitude. C'est juste que là… »
Elle se leva.
« Tu viens ? Il est temps d'aller le voir. »
Neville la suivit dans l'escalier. Ils sortirent, traversèrent les jardins, montèrent sur le perron et entrèrent dans le palais.
« On fait remonter la fondation de Beauxbâtons aux sorcières de Thessalie, en Grèce, notamment à Hécate, se mit à raconter Hermione, comme si elle avait lu l'Histoire de Beauxbâtons – ce qui était sûrement le cas. Lors de la grande persécution des sorciers sous Auguste, suite à une effroyable malédiction, on raconte que les Centaures, les gardiens dévoués d'Hécate, se transformèrent en hommes-chevaux et les Lapithes, sa famille adorée, en hommes-ours. La déesse prit la fuite avec son armée de Centaures et de Lapithes pour se mettre en sécurité de l'autre côté de la Méditerranée. Le plus gros troupeau de Centaures européen se trouve dorénavant à Poudlard, dans la Forêt interdite. Les Lapithes sont restés ici : c'est une terre d'exilés. C'est resté dans leurs traditions d'accueillir les bannis. »
Neville écoutait ses explications en jetant des regards émerveillés autour de lui. Les murs resplendissaient, couverts de tentures où trottaient des Centaures et des Lapithes qui passaient de tapisserie en tapisserie et se transformaient parfois, en hommes, en chevaux ou en ours, en hybrides. Des torches, accrochées aux murs, répandaient dans les couloirs des lueurs vives. Neville et Hermione croisaient des élèves qui ne leur accordaient rien d'autre qu'un signe discret en guise de salutation. La politesse française… Personne ne tiquait en voyant Hermione, elle devait avoir fait son trou.
« Pendant longtemps, Hécate se promena en transportant son palais. Enfin, elle demandait à Hadès, dieu des enfers, de déplacer son palais en le passant sous terre. Et puis il fallut bien se fixer. Elle choisit la France, enfin, à l'époque, c'était le royaume de Clovis. »
Ils attaquèrent une volée de marches raides puis arrivèrent dans un couloir calme, sans aucun bruit. Hermione avançait d'un pas vif, Neville sur ses talons. Elle poussa une porte battante.
Toujours cette même odeur, dans toutes les infirmeries du monde. Une odeur de belladone en fleur, de moly et de camphre.
Hermione fila vers le lit le plus au fond, derrière un rideau beige.
Bizarrement, Neville ne se sentait plus de l'accompagner. Il sentit que ce qui était derrière le rideau n'allait pas lui plaire.
« Harry, devine qui est là, chuchota Hermione – suffisamment fort pour que Neville l'entendît, à moins que le silence fût si lourd que n'importe quel murmure pouvait le briser sans problème et passer pour un cri. Il est venu jusqu'en France pour nous voir. »
En avançant, Neville aperçut une étagère regorgeant de livres cornés et une table bancale couverte de parchemins. Apparemment, Hermione passait beaucoup de temps ici. Avec Harry.
Harry était là. Et vivant. Alors pourquoi cette peur atroce qui lui tordait les entrailles ?
Parce qu'Hermione n'avait pas fini son récit.
« Tu sais – et Neville comprit qu'Hermione s'adressait de nouveau à lui – je lui ai dit que c'était une connerie. Mais il n'a rien voulu savoir. On a suivi cette femme et… C'était de la magie tellement noire ! »
Un frisson la parcourut.
« La femme qui avait connu les parents d'Harry, celle qui avait été l'amie des Dumbledore, était morte depuis longtemps. Et Nagini, le serpent de Voldemort, possédait son cadavre. »
Cette fois, ce fut Neville qui frissonna.
« Il a attaqué, Harry a été touché et j'ai transplané aussi vite que possible. J'ai cassé sa baguette et il ne s'est pas réveillé. Ça fait presque un an qu'il dort. Il est dans le coma. Il peut se réveiller demain, dans trois jours, ou… »
Jamais.
La voix d'Hermione se brisa de nouveau.
« Je pensais qu'en lui disant que tu étais là, il aurait une réaction… Ça lui arrive parfois. »
Neville s'approcha enfin du lit.
Sur les draps lisses comme s'ils venaient d'être repassés, la main d'Harry reposait, comme abandonnée. Neville n'arrivait pas à voir autre chose. Il ne voyait que la main d'Harry, ses doigts aux ongles bien coupés, sa peau douce de n'avoir plus travaillé ni saisi une baguette ou un balai depuis des mois. Sa main agitée de soubresauts, pâle, comme si elle n'avait pas pris le soleil depuis trop longtemps. Harry était en vie, certes. Mais dans quel état ?
Cette main aurait dû être autour d'une baguette, à manier la magie. Cette main aurait dû triturer une plume, tenir un balai, attraper un vif d'or. Faire danser Ginny.
Ginny. Elle avait raconté qu'elle voyait Harry dormir. Elle avait donc rêvé vrai ?
Penser à Ginny fit monter un flot d'émotions malvenu. Neville retenta ce qu'il avait fait au Ministère. Il se déconnecta de ses émotions et partit à l'assaut de ce qu'il voyait.
L'autre main d'Harry, coincée dans les mains d'Hermione, laissait voir trois doigts. Le reste avait disparu, sûrement dans l'attaque du serpent. Ses bras étaient trop minces, sans muscle. Son visage avait l'air serein, mais nu sans ses lunettes. La cicatrice qui déformait son front était toujours aussi visible. Ça restait Harry, sans aucun doute. Mais un Harry en pause.
« Il… nous entend ?
- Je crois, hésita Hermione. Parfois, il se réveille, il crie. Et je vois ses yeux qui ne voient rien. D'autres fois, il se retourne dans son lit. Mais la plupart du temps, il est immobile. »
Neville retourna à la main d'Harry avant de repartir dans des sentiments désagréables. Hermione reprit :
« Tu sais, parfois, je préférerais qu'il soit mort. Et puis je me dis que, vivant, on pourra toujours faire quelque chose pour le guérir. Je peux pas imaginer ma vie sans lui ! »
La voix tremblante. Les yeux scintillants. Les ridules sur le front. Les traits d'Hermione prenaient des expressions que Neville ne lui avait jamais vues. L'exil change les gens…
« Mademoiselle Granger, Monsieur, les interrompit une infirmière qui entrait d'un pas calfeutré, les elfes vont venir pour la toilette. Vous pourrez revenir dans vingt minutes.
- Pas de problème, répondit Hermione dans un français parfait. À tout à l'heure, Harry. »
Elle lui caressa doucement le front et entraîna Neville dans son sillage. Ils descendirent les escaliers en colimaçon. Hermione poussa un panneau mural qui révéla un passage étroit.
« Beauxbâtons a ses passages secrets ?
- Presque autant que Poudlard, répliqua Hermione. Il y a des raccourcis partout : des malles à double fond, des placards qui donnent sur d'autres chambres, des échelles de corde dans presque toutes les penderies… C'est une folie. C'est plus à la française – et elle dit ces mots en français – que chez nous, donc plus aventureux et mystérieux, un peu comme dans un roman de Dumas. »
Neville se souvenait de sa période fanatique d'Alexandre Dumas en troisième année. Elle les avait tous lus en deux mois. Puis elle s'était mise au français pour lire ceux qui n'étaient pas traduits. Une furie des romans de cape et d'épée.
Hermione ouvrit un coffre dans lequel une échelle s'enfonçait. Encore un passage secret… Neville comprit soudain l'expression typiquement française ''filer à l'anglaise''.
Elle descendit les barreaux avec dextérité. Neville entra dans le coffre et la suivit.
« Et bienvenue aux cuisines ! »
S'il y avait un lieu pour rendre la France reine de la gastronomie, c'étaient bien les cuisines de Beauxbâtons. Tout l'air embaumait. Les elfes grouillaient devant les cheminées où des broches tournaient, couvertes de bêtes, de saumons, de truites, de fruits, de légumes variés. Des plats colorés d'épices passaient sur les tables, vérifiés par l'œil expert d'un chef-cuisinielfe avant de disparaître dans un monte-charge à triple plateau.
« C'est de la folie !
- Leurs cuisines sont beaucoup mieux organisées que celles de Poudlard, nota Hermione. Quand j'allais faire ma pub pour la SALE chez nous, les elfes étaient toujours en train de bosser. Là, ils ont des heures de creux pour se reposer. Ils sont deux fois plus nombreux, le travail est mieux réparti. À croire que c'est dans la culture française… »
Elle s'approcha d'un elfe sans que Neville la suivît, époustouflé par le spectacle qu'il voyait. Elle revint vers lui, une assiette sur laquelle étaient déposés des cookies à la main.
« Tiens, ça te permettra de tenir jusqu'au repas. Et il va falloir aller te présenter à Madame Maxime. »
Elle salua les elfes et remonta l'échelle de corde. Neville enfourna trois cookies dans sa bouche, remercia en bafouillant les elfes et la suivit au pas de course.
Hermione l'emmena dans les couloirs en lui expliquant toujours l'origine de Beauxbâtons, mais, soyons honnêtes, Neville ne l'écoutait plus. Ou plutôt, il l'entendait toujours, il savourait autant sa voix que le chocolat qui fondait sur ses papilles, mais aucun des mots qu'elle utilisait ne faisait sens pour lui.
Elle le mena dans un jardin d'intérieur, protégé par un cloître hexagonal. Des élèves s'y prélassaient, lisaient, révisaient leurs sortilèges. L'air était remarquablement doux : un micro-climat magique devait avoir été créé, songea Neville en apercevant des plantes tropicales bien entretenues – en hiver, elles auraient dû mourir.
Hermione fit apparaître un plaid pour couvrir l'herbe et s'y laissa tomber. Neville la suivit.
Le sol était tendre. Il se laissa doucement glisser et s'allongea. Peu à peu, les émotions qu'il avait contenues depuis plus son arrivée l'emplirent et le débordèrent. Il cligna des yeux et, bercé par le bavardage savant d'Hermione, il se glissa dans le sommeil comme dans les draps frais de son lit, à Poudlard.
Il émergea peu après. Le soleil déclinait.
« T'as dormi trois heures. » dit une voix près de lui.
Ah, il n'avait pas rêvé. Hermione était bien là, assise en tailleur à côté de lui, un livre corné dans les mains.
« J'ai pas osé te réveiller. Tu avais l'air si paisible… » reprit-elle en tournant une page.
Neville acquiesça. Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas aussi bien dormi.
« Le dîner est servi dans dix minutes. À croire que ton estomac est à l'heure.
- On devait pas voir la directrice ?, demanda Neville, la bouche pâteuse.
- On ira la voir après, je lui ai envoyé une note. »
Neville se redressa et se frotta les yeux en bâillant. Hermione le regarda faire, l'œil doux et moqueur. Elle lui tendit un sac :
« Tiens, j'ai pris ça pour toi dans les affaires d'Harry. Ça te sera plus utile qu'à moi. »
Neville ouvrit le sac. Un tissu fluide, qui lui coula entre les doigts. Un parchemin râpé. Il reconnut la cape d'invisibilité d'Harry et sa carte du Maraudeur. Ron lui avait montré comment s'en servir en cinquième année, quand on lui avait demandé de faire le guet pour une réunion de l'AD.
« T'es sûre ? Ça te manquera pas ?
- C'est pas comme si j'allais y voir apparaître Ron ou Harry, répondit Hermione en souriant. Alors que toi, si tu décides d'aller faire une escapade dans notre ancienne école… »
Il pourrait voir Ginny. Il pourrait surveiller McGo et Chourave. Il pourrait veiller, de loin, sur ses amis.
« Merci. »
Il se sentait si redevable, et Hermione paraissait si sereine ! Le calme dans lequel ils baignaient rendait presque inconcevable la guerre qui se menait outre-Manche.
Neville jeta un œil autour de lui. Les étudiants de Beauxbâtons avaient disparu. Ils étaient seuls.
« Hermione… Sincèrement, tu crois qu'on a une chance de s'en sortir ? »
La réponse fut longue à venir. Neville fixait toujours le cloître devant lui. Il entendait la respiration apaisée d'Hermione à côté de lui. Il savait qu'elle répondrait. Elle savait tout, cette fille. Elle avait toujours su plus de choses que lui, elle l'avait toujours aidé. Il avait confiance en son savoir et en son jugement.
« Tu serais venu il y a six mois, commença-t-elle lentement, quand je suis arrivée ici avec Harry inconscient, je t'aurais répondu différemment. Je t'aurais dit que, sans Harry, ou en tout cas avec Harry dans cet état, nous n'avions aucune chance. Voldemort nous avait vaincus en touchant aux deux personnes dont nous dépendions le plus : Dumbledore et Harry. Et puis Ron. Je n'avais plus Ron. »
Elle fit une pause. Neville sentait l'assurance qu'elle mettait dans ses mots. Il tourna la tête, observa son profil qu'il connaissait si bien. Sans s'en rendre compte, pendant toutes ces années, il avait gravé dans sa mémoire les traits de ses amis.
« Et puis j'ai reçu une lettre de Ron. Une lettre dans laquelle il m'expliquait que, si nous avions perdu la reine et que nous étions immobiles, il restait les autres pièces ; que rien n'était perdu ni gagné, que nous devions persévérer, qu'il fallait juste trouver une autre stratégie ; que Voldemort avait vaincu sans résistance, au premier coup ; que c'est à nous de jouer ; qu'il m'aimait. »
Neville sentit une chaleur douce envahir ses entrailles. Ainsi, malgré la distance…
« Il me l'a écrit si joliment, tu sais… Lui pour qui les mots ont toujours été un obstacle. Il m'a dit qu'il m'aimait. Il me le répète à chaque lettre qu'il m'envoie. Coquecigrue a toujours su où me trouver. Alors j'ai repris courage. J'ai creusé profondément dans ma rage et j'ai déterré ma détermination et ma hargne. »
Elle se tourna vers lui.
« On va se battre, Neville. On a une chance de gagner. Pour l'instant, on se repose, on grandit, on s'endurcit. Et le jour venu, on se battra. Comme des lions. »
