Chers lecteurs,

C'est le titre de chapitre qui m'apporte le plus de fierté !
Je pense qu'on est sur du T+ ou du M-. Pas vraiment méchant, mais thèmes abordés un peu tendancieux (ouh que ça sonne vilain !)

Portez-vous bien, à bientôt,

Al

PS : réponse à Nicto : je ne sais pas quoi te répondre sans être extrêmement vulgaire, donc je me passerai de commentaire.


« Et ça continue, encore et encore, c'est que le début, d'accord, d'accord »

Francis Cabrel, Encore et encore


« Neville ! Je savais pas que tu viendrais ! Ça fait trop plaisir ! »

L'enthousiasme de Colin Crivey faisait plaisir à voir. Neville venait d'émerger du passage qui menait de la Tête du Sanglier à Poudlard. Il débarquait apparemment dans des préparatifs de soirée.

Il n'avait jamais eu la mémoire des dates et des anniversaires en tous genres. Mais la bannière accrochée au mur qui proclamait en lettres rouge et or « Joyeux anniversaire Dennis ! » avait de quoi l'aider.

« C'est pour l'anniversaire de Dennis, c'est ça ?, blagua Neville en posant son sac et sa cape d'invisibilité sur le canapé.

- Yep ! Ça va nous faire du bien de penser à autre chose, tu tombes à pic. Ça va être la soirée du siècle. »

Même si Neville sentit qu'il n'allait pas partager son emballement, ça ne le changerait pas trop de l'année précédente : Colin était toujours surexcité. Son appareil photo pendouillait à son cou, et ses œuvres recouvraient les murs de la Salle sur Demande. Sur les images accrochées aux miroirs et aux murs ou coincées dans des cadres multicolores, Neville voyait toute l'Armée de Dumbledore, ou en tout cas ce qu'il en restait. Il y avait de nouvelles recrues, puisque de nombreuses têtes lui étaient inconnues.

« Ginny ne va pas tarder à arriver, elle termine son devoir de potions. »

Neville accepta la tasse de thé que lui tendait Colin et continua à détailler les différentes photographies. Les visages étaient pour la plupart souriants. Certains étaient plus graves, parfois sereins.

Aucun visage effrayé, malmené, torturé.

Colin avait toujours eu l'art d'embellir la réalité.

« Neville ! »

Cette fois, il aurait reconnu cette voix n'importe où. Il se retourna, attrapa Ginny qui se précipitait vers lui et la serra longuement dans ses bras.

« Comment vas-tu ? »

Ils s'étaient assis dans un coin de la Salle pour discuter tranquillement. Ginny, assise sur un pouf que la Salle avait dû emprunter à la classe de Trelawney, sourit, fatiguée. Les cernes qui creusaient ses orbites étaient encore plus affirmés, ses taches de rousseur elles-mêmes semblaient éteintes.

Sa flamboyance naturelle avait encore terni.

« Bien, pourquoi ? Tu t'inquiétais ?

- Je m'inquiète tout le temps pour toi. D'autant plus depuis que des bruits chez les Mangemorts ont confirmé que ça n'allait pas fort. »

Ginny grimaça :

« C'est Parkinson qui t'a dit, c'est ça ? »

Neville ne dit rien.

« C'est à cause de Greengrass. Astoria Greengrass. Elle est en sixième année, et elle ne me lâche pas ! Elle a dû comprendre que j'étais la seule ancienne de l'Armée et qu'elle pouvait tout faire pour me faire tomber. C'est une vraie pute. »

Greengrass, elle aussi, vendait ses informations. Neville ignorait combien avait coûté cette info sur Ginny, mais il se promit de remercier Parkinson chaleureusement pour son aide.

« Les temps sont un peu durs, comme toujours. Les Carrow ont encore torturé un élève de troisième année hier, et je n'ai rien pu faire, Roger m'en a empêchée. »

Vu sa maigreur et sa pâleur, ça paraissait impensable que Ginny fût capable de tenir tête à Rogue ou à un de ses sous-fifres, alors que Neville l'avait déjà vu faire. Décidément, en une année, les choses avaient bien changé.

« Et il s'est passé quelque chose de suffisamment marquant pour l'info parvienne jusqu'à Parkinson ? »

Ginny parut hésiter, comme si elle craignait d'ajouter du stress à Neville. Puis elle avoua :

« J'ai eu une crise plutôt violente la dernière fois. Et cette fois, je n'ai pas vu juste Hermione et Harry. Je t'ai vu, toi. Ou plutôt senti. »

Neville repensa à cette réflexion qu'il s'était faite à Beauxbâtons : Ginny rêvait peut-être vrai.

« Tu peux m'en dire plus, sur ces visions ?

- C'est un peu toujours la même chose, reconnut-elle. Je dors et soudain je ne dors plus. Ce n'est plus un rêve, tu vois ? Parfois je ne peux pas bouger. Je sens Hermione près de moi, ou une autre ombre bienveillante que je n'arrive pas à reconnaître. Il m'a semblé une fois que c'était toi. Et d'autres fois, je vois les Mangemorts qui regardent vers moi avec admiration. C'est un peu effrayant. »

Elle frissonna et Neville la serra contre elle. Il se sentait désolé de provoquer chez elle des souvenirs qui la mettaient mal à l'aise, mais il voulait comprendre.

Elle avait senti sa présence près d'Harry.

Il se passait des choses bizarres dans l'esprit de Ginny Weasley.

Il fut interrompu dans le cours de ses pensées par une exclamation joyeuse :

« Les amis ! Regardez ce que j'ai trouvé ! »

Ils se tournèrent vers Colin qui revenait vers eux, un sachet rempli de feuilles vert pâle à la main.

« Du chanvre ? Colin, où t'as acheté ça ?

- À Abelforth. C'est de la bonne. »

De la bonne ? Et les autres qui paraissaient trouver ça tellement normal !

« Dennis va être tellement content ! Quelle gentille attention !

- Vous avez pris l'habitude de fumer, à ce que je vois… »

Ginny soupira exagérément :

« Fais pas chier, Neville. J'ai pas touché au chanvre depuis ma cinquième année. Cette semaine a été difficile. On a bien le droit à un peu de détente. »

Neville voulut répliquer, mais le visage enthousiaste de Ginny l'en dissuada : elle paraissait ravie de pouvoir s'échapper quelques instants de sa réalité, de l'atténuer un peu. Il se souvint de Parvati qui l'avait rassuré la dernière fois : une petite quantité ne devait pas trop affecter ceux qui en consommaient. Il lui faudrait juste veiller à ce que Ginny n'en prît pas trop.

Mais après tout, il n'était ni son père ni son frère, comme elle le lui avait trop souvent répété.

Pendant leur discussion, la salle s'était un peu peuplée. Enfin, pas trop. L'anniversaire devait avoir lieu en petit comité. Il y avait les deux frères Crivey, Roger Smith, le frère de Zacharias Smith, une Gryffondor que Neville se rappelait avoir vue dans l'équipe de Quidditch d'Harry, Demelza Robbins. Ils saluèrent Neville de loin, d'un signe de tête embarrassé.

« Y a un problème ? »

Il posa discrètement la question à Ginny, alors qu'ils se levaient pour rejoindre le petit groupe.

« Non, souffla Ginny. Je crois que tu les impressionnes. Après tout, tu fais presque deux mètres et t'as dirigé l'Armée de Dumbledore l'année dernière. »

Elle ricana finalement :

« Et puis ils doivent croire qu'on est ensemble. Question ragots, on en tient un bon : le capitaine de l'équipe de Quidditch avec l'ancien leader de l'AD. »

Neville haussa les épaules. Il avait appris l'année précédente que les différents potins le mettaient en couple avec toute la gent féminine de Gryffondor. Apparemment, être à la tête d'un gang de formation en défense contre les forces de Celui-qui-pourrissait-la-vie-de-pas-mal-de-monde attirait les convoitises.

Ils se joignirent au cercle déjà formé. Les élèves leur laissèrent de la place, et la plupart se redressèrent, comme si la présence de Neville les inhibait.

Finalement, le chanvre ce sera pas mal pour décoincer tout le monde…

Ils s'installèrent. Les conversations reprirent, un peu guindées. Dennis rougissait, fier. Il paraissait bien mince pour ses seize ans qu'il fêtait pourtant, mais ses yeux trahissaient une maturité déplacée.

Le cadet Crivey tira finalement un joint et expira une longue bouffée bleutée.

« Ça fait du bien ! Goûtez-moi ça ! »

Le joint tourna. Neville refusa de tirer une seule taffe : il voulait garder la tête claire. Après tout, il n'était pas censé se trouver ici.

Quand Ginny obtint le joint, elle fut ravie :

« La dernière fois que j'ai fumé, j'ai vu Vous-savez-qui. J'espère que je serai plus chanceuse cette fois. »

Et tu remets ça ?

Elle tira longuement sur le joint deux ou trois fois avec un peu trop de pratique pour ne pas alarmer Neville. Elle le tendit à Roger, son voisin, et se détendit :

« T'as raison, Colin, elle est bonne. Ça faisait longtemps, tiens ! »

Elle rit à gorge déployée. Son bonheur soudain arracha un sourire sincère à Neville. Finalement, ce n'était peut-être pas une si mauvaise idée. Ginny paraissait tellement plus légère. Détendue. Et ça faisait bien longtemps qu'il ne l'avait pas vue comme ça.

Elle se pencha vers Neville, s'affalant presque sur lui.

« Je me sens bien, mais bien ! Ça me fait penser à la fois où Fred m'avait refilé de la racine de datura. J'en ai goûté pour tester, c'était vachement fort, j'y ai plus jamais retouché. J'avais fini la tête dans… »

Elle se figea.

Et Neville comprit que ses craintes étaient fondées.

Tout allait partir en vrille. Et vu la mâchoire crispée de Ginny et ses yeux exorbités, les problèmes n'allaient pas tarder.

« Gin, ça va ? Gin ? »

La voix affolée de Dennis ne parut pas l'atteindre. Elle ne réagissait pas, comme bloquée. Sa respiration restait régulière, mais beaucoup plus audible. L'air passait fortement entre ses dents serrées et ses narines frémissaient.

« Ginny, l'appela doucement Neville, en essayant de garder son ton habituel, sans montrer sa peur. Ginny, reviens vers nous. Reviens. »

Elle se tourna vers lui et il eut un mouvement instinctif de recul.

Ses iris étaient jaunes, d'un jaune malsain, et les pupilles, réduites à des traits noirs qui fissuraient verticalement l'iris. Des yeux qui pétrifièrent Neville.

Des yeux de serpent.

« Ginny… »

Elle le fixa un long moment. Ou plutôt, il eut l'impression qu'elle le fixait. Sa bouche était figée dans un rictus froid et dédaigneux.

C'est alors qu'elle se mit à parler. D'une voix froide, aiguë, sibilante.

« Ennemis de l'héritier, éloignez-vous de moi. »

Neville se recula immédiatement et vérifia que les autres faisaient de même. À côté de lui, Colin avait pâli.

Cet idiot de Roger, immobile, se crispa :

« Qu'est-ce qu'elle dit ?

- Ta gueule, claqua Neville. Fais ce qu'elle dit ! »

Il se souvenait de ce qu'il avait lu sur un mur, des années auparavant.

Ennemis de l'héritier, prenez garde.

« Oh non, gémit Colin. Ça recommence… »

Une transe magique, pensa Neville. Le chanvre avait provoqué une transe magique !

Merde. S'il se fiait à ce que lui disait sa grand-mère, et elle avait très souvent raison, on ne pouvait pas réveiller quelqu'un coincé dans une transe magique sans le tuer.

« Mais…

- Ennemis de l'héritier, éloignez-vous de moi. »

La voix de Ginny devenait menaçante. Ses yeux toujours fixés sur Neville, mais la baguette tendue vers Roger.

« Roger, recule, murmura Demelza, qui tremblait comme une feuille, accrochée au bras de Dennis.

- Ennemis de l'héritier, éloignez-vous de moi. »

Dès qu'il entendit la voix encore plus glaciale de Ginny, Neville se jeta à terre et ne vit que le rayon lumineux qui heurta Roger en pleine poitrine. Il espéra que c'était un Stupéfix. Et pas quelque chose de plus létal.

« Mer… »

Le juron mourut sur les lèvres de Dennis. Ginny s'était levée, raide comme un automate. Elle avança d'un pas sûr vers la porte et la franchit sans un regard pour les autres.

Neville se releva, se pencha vers Roger. Il était juste assommé.

Il prit la cape d'invisibilité qu'il avait posée sur un coussin et la revêtit.

« Occupez-vous de lui, je la suis ! » lança-t-il en se précipitant sur les traces de son amie.

Elle lui avait raconté, petit bout par petit bout, ce qu'elle avait vécu pendant sa première année. Comment Harry et Ron l'avaient sauvée. Et ce lieu maudit, ce lieu qu'elle revoyait dans ses rêves, ce lieu où elle avait failli y laisser sa peau, elle le lui avait décrit à de nombreuses reprises. Il connaissait la localisation de la Chambre des secrets et pensait être capable d'en dessiner un plan précis tant le récit de Ginny l'avait marqué.

Il courut dans les escaliers, passa par le toboggan secret du Cavalier borgne qui reliait directement le cinquième au deuxième, et descendit dans le domaine privé de Mimi Geignarde, dans les toilettes des filles du deuxième étage.

L'entrée de la Chambre était là, de ce qu'en avait dit Ginny.

Il poussa la porte des toilettes et se réjouit d'avoir revêtu la cape d'invisibilité d'Harry en voyant Mimi Geignarde quitter la pièce en caquetant.

Au moins, elle ne me rappellera pas que je ne suis pas une fille…

Les toilettes de filles n'en avaient que le nom et ne ressemblaient en rien à ce que Neville imaginait être des toilettes de filles. Le sol était couvert de traînées de boue, d'eau et de sang séché, les miroirs fendus, les portes écaillées. Ginny se trouvait accroupie devant un lavabo et chuchotait et sifflait devant. Lorsqu'il l'entendit, il reconnut immédiatement ce baragouin. Il avait déjà entendu quelqu'un parler comme ça. Harry, en deuxième année, lors du club de duel.

Du Fourchelang.

Ginny parlait fourchelang dans sa transe.

Il se posta, invisible, derrière elle. Un silence subit s'installa. Ginny s'était tue. Neville observa sa nuque raide.

Et soudain le lavabo devant lequel ils étaient s'enfonça dans le sol et fit apparaître un boyau sombre.

Neville vit avec effroi Ginny s'y jeter sans hésiter. Il la suivit, espérant ne pas commettre une énorme connerie.

Il glissa le long du gros tuyau, qui lui sembla ne jamais s'arrêter. C'était comme s'il débarquait dans un endroit inconnu de Poudlard. Un endroit qu'il aurait préféré ignorer. Il se souvenait encore trop bien de la terreur qui avait couvert toute sa deuxième année.

Ennemis de l'héritier, prenez garde.

Rusard avait beau avoir effacé cette menace du mur sur lequel Ginny l'avait écrite, l'image était encore nette dans la mémoire de Neville.

Il parvint enfin en bas du gros tuyau. Il ôta la cape, la posa par terre – il la prendrait au retour, et se doutait bien que personne ne les suivrait – et sortit sa baguette.

S'il avait fallu décrire l'endroit, Neville se serait contenté de deux adjectifs : humide et obscur.

« Lumos. »

Il avança, suivant le bruit de pas légers qu'il entendait devant lui. Ginny avançait sans lumière, comme guidée par le souvenir d'un parcours qu'elle avait maintes fois emprunté. Il vit au loin une sorte d'énorme corde entortillée. Il s'approcha.

Une sorte de tuyau translucide de six mètres, parsemé d'écailles, épais comme du parchemin.

À vue de nez, une mue de serpent.

« Dans quoi tu nous as fourrés, Gin ? » murmura rageusement Neville.

Il continua son exploration et parvint à un éboulis. Ginny avait dû passer par là. Il coinça sa baguette entre ses dents, grimpa à quatre pattes sur les rochers et atterrit de l'autre côté. Le tunnel faisait un coude, un peu plus loin.

Neville savait que le basilic était mort, mais ça n'empêchait pas l'endroit de transpirer d'une sourde menace.

Il se retrouva devant un trou dans le mur. Des deux côtés, deux reptiles aux yeux sertis d'émeraude semblaient le regarder. Il entendit presque leurs sifflements quand il franchit l'ouverture.

Une immense salle s'étalait sous ses yeux. Des piliers, régulièrement espacés, étaient cerclés de serpents. Même parfaitement inanimés, ils dégageaient, eux aussi, une impression de vie. Comme si toute la salle était un repaire de vipères et autres aspics.

C'était à la fois fabuleux et effrayant. Heureusement que les Serpentard n'avaient pas accès à la salle secrète de leur fondateur. Qui sait ce qu'ils pourraient en tirer…

Neville avança au pas de course. Il avait perdu Ginny depuis trop longtemps. Il arriva au fond de la salle, face à une immense statue d'un sorcier taillé dans la pierre. Sa bouche ouverte laissait voir un conduit aussi noir que l'enfer. Et au milieu, en plein dans l'ouverture, une silhouette rousse.

« Gi… »

Neville se tut. Peut-être que Ginny n'avait pas fini sa transe. Il s'approcha à pas de loups, observant ce qu'il y avait autour.

Une dépouille d'un reptile immense, aux yeux crevés, reposait à côté, enroulée autour de deux piliers. Les restes de la bête se décomposaient par endroits : la carcasse laissait apercevoir des vertèbres blafards.

Il reporta son attention sur Ginny. Elle oscillait sur place, chuchotant à toute vitesse en fourchelang, comme si elle s'adressait directement à l'effigie monumentale de Salazar Serpentard.

La transe commençait à trop durer. Bientôt, les effets seraient irréversibles… Les transes magiques pouvaient changer profondément les connexions neuronales des personnes. Elles pouvaient détruire une psyché sans problème. Neville sentit une peur rampante s'insinuer dans son dos. Ginny ne paraissait pas prête à sortir de sa transe.

Comment la réveiller ? Neville se plaça sur le côté et vit que ses pupilles étaient toujours réduites à des fentes noires. Toujours en pleine crise. Et merde. Que faire ?

D'après ce qu'il avait compris, la transe qu'elle subissait était liée à un serpent mort depuis six ans et à un Fondateur. Pour l'en sortir, il fallait rester dans le domaine basilic. Presque étonné de réfléchir à cette vitesse, il alla arracher un crochet de la mâchoire du basilic en faisant attention à garder sa main couverte par la manche de son pull. Tout serpent magique est venimeux. Alors la créature infernale qui tuait des sorciers par le regard devait l'être encore plus.

Armé de son crochet, il le fit crisser contre les piliers de pierre.

La mélopée murmurée en fourchelang s'arrêta. Il observa Ginny : elle paraissait troublée. Il pouvait voir sur son profil qu'elle semblait perturbée. Mais son attention retourna au géant de pierre et elle reprit son murmure en langue des serpents.

Encouragé par cette réaction, Neville raya de nouveau les parois avec son crochet. De nouveau, elle arrêta, troublée. Comme si ce bruit faisait appel à des souvenirs enfouis profondément en elle. Il s'approcha d'elle, vit que ses pupilles cherchaient à se rouvrir. Mais elle reprit, hésitante, son incantation.

Il allait falloir trouver autre chose.

Neville rangea le crochet dans la poche de son pantalon. Ça pourrait resservir. Après tout, elle avait réagi deux fois, même si ça ne paraissait pas suffisant.

Il tenta une autre approche. Bien que cela le répugnât, il tendit la main et caressa la peau du serpent. Les écailles bruissèrent.

Ginny se tut.

Il y alla plus franchement et sentit des morceaux de mue s'effriter sous ses doigts. La nausée le prit à la gorge en sentant les chairs putrides du basilic fondre sous sa paume. Mais il continua à caresser la carcasse.

Ginny s'écroula.

Merlin ! Il l'avait tuée ?

Pris de panique, il se précipita vers elle.

« Ginny ! »

Elle était tombée face contre terre. Il la retourna précautionneusement. Les yeux révulsés, la bave aux lèvres, le corps rigide. Neville dégagea ses cheveux roux de sa bouche. Il tâta son pouls. Faible, mais présent.

« Enervatum ! »

Le sort n'eut aucun résultat.

« Putain de merde ! »

Il approcha son oreille de la bouche de Ginny. Elle respirait. Il la chargea sur son dos, coinça ses bras autour de son cou et repartit. Garder son calme. Il fallait garder son calme. Ne pas trop la secouer. Ne pas courir : il fallait tenir le coup.

Neville s'efforça de ne pas penser à la remontée du boyau initial.

Chaque problème en son temps.

Il remonta d'un pas vif la salle, cherchant à retrouver le souffle de Ginny sous les battements effrénés de son propre cœur.

Quand il arriva enfin devant le boyau, après avoir passé l'éboulis et les nombreuses portes, il avait l'impression d'avoir couru un marathon. Ses tibias criaient au martyre et ses épaules le lançaient affreusement. Il avait l'impression qu'il allait s'effondrer d'un instant à l'autre. Mais il ne pouvait pas. Et le temps pressait.

Il jeta un regard désespéré à la lueur qui brillait, au loin, trop loin, de l'ouverture du boyau, à ce qui lui semblait être des milliers de kilomètres de là où ils se trouvaient.

Il repensa aux cours de Trelawney, quand elle conseillait d'ouvrir son troisième œil pour voir le futur. C'était le seul professeur de Poudlard qui avait initié ses élèves aux techniques de respiration pour accéder à la sérénité profonde et pouvoir trouver la paix intérieure et son chemin parmi les méandres du futur.

Pour une fois que les cours de divination servent à quelque chose…

Neville prit de profondes inspirations. Des cheveux roux voletèrent devant ses yeux et frôlèrent ses narines.

Il se sentit soudain très calme. Il transforma sa montre en corde et harnacha Ginny solidement sur son dos. Il devait avoir les mains libres.

Et pratiquer enfin ce qu'il avait appris lors de son premier cours avec Severus Rogue en défenses contre les forces du mal. Les sorts informulés. Il en avait déjà jeté, et des bons, voire d'excellents comme son sortilège de bouclier qu'il faisait presque inconsciemment, mais cette fois, il allait falloir allier précision et persévérance.

Il coinça sa baguette entre les dents. Il se mit à quatre pattes et commença à remonter le tuyau, en essayant de cogner Ginny le moins possible contre les parois.

Quand le tuyau fit un coude pour commencer à monter, Neville se concentra. Au bout de longues minutes, une lueur jaune jaillit de sa baguette et des aspérités apparurent dans la surface lisse du tuyau. Neville s'y agrippa et monta de trois ou quatre mètres.

Il recommença. Une lueur jaune jaillit de sa baguette une nouvelle fois, quelques prises apparurent. Et Neville monta encore une fois de trois ou quatre mètres. Et il recommença. Encore. Et encore.

Il faillit glisser. Une fois, deux fois. Il tint bon. Il n'arrivait plus à réfléchir. Il refaisait mécaniquement les mêmes gestes, les mêmes sorts. Il ne se souciait plus de Ginny, toujours solidement arrimée dans son dos, ni de ses mains écorchées jusqu'au sang, ni du fait qu'il ne pourrait plus manier de bijoux gobelins pendant un petit bout de temps, ni de la lumière qui s'agrandissait irrégulièrement. Il continuait, se rattrapant quand il glissait, remontant inlassablement les prises qu'il faisait apparaître un court instant, le temps de monter quatre ou cinq mètres, et de recommencer. Il ne s'arrêtait pas pour se reposer, parce qu'il sentait qu'alors il n'aurait jamais été capable de repartir.

Il monta. Et monta encore.

Quand il toucha enfin le carrelage graisseux des toilettes de Mimi Geignarde, il banda une dernière fois ses muscles et se hissa sur le sol. Ginny toujours dans son dos.

Il avait réussi.

Il ne se souvint pas de la manière dont il ramassa sa cape et se remit debout, ni de comment il se retrouva devant le bureau de McGonagall, mais elle lui ouvrit immédiatement quand son portrait l'appela.

« Merlin, Londubat ! Que faites-vous ic… Weasley ! Vite, entrez ! »

Il s'évanouit à peine le portrait refermé.

Quand il reprit conscience, il était allongé par terre, sous une table. La douleur avait reflué, il se sentait légèrement mieux. Ses mains étaient bandées et dégageaient une odeur de camphre et d'arnica. La voix de McGonagall retentit jusqu'à lui :

« Je vous le répète, Severus, je ne sais pas comment Miss Weasley s'est retrouvée dans cet état ni devant ma porte ! J'ai cru comprendre qu'ils ont fait une petite soirée pour arroser l'anniversaire de Dennis Crivey, ça doit être ça. »

Sa voix était aimable et glaciale à la fois. Neville se retint de bouger. Un tissu fluide le recouvrait : McGonagall l'avait recouvert de la cape d'Harry.

La voix froide et désintéressée de Rogue s'éleva :

« Encore une fois, c'est avec vos élèves qu'on a les débordements les plus dangeureux. »

Un froissement.

« Tenez-lui la bouche ouverte, ordonna Rogue d'une voix autoritaire.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Un revigorant que j'ai inventé pour rendre leurs esprits à ceux qui ont subi un Endoloris. Les gens sont beaucoup plus loquaces après avoir été torturés, mais sont incapables de fournir une phrase cohérente. Il faut savoir battre le fer quand il est chaud, cette potion est donc fort utile. On peut toujours tuer nos victimes après les avoir fait parler. »

Neville entendit clairement le hoquet de surprise de McGonagall.

« Ce que Bellatrix n'a jamais compris. »

La dernière remarque avait été dite sur un ton tellement détaché que Neville fut certain que Rogue savait qu'il était sous la table. Il s'obligea à calmer les battements affolés de son cœur.

« Les années passées à Azkaban ont dû abîmer ce qui lui restait de raison. » commenta McGonagall.

Neville entendit le bruit d'un bouchon qui saute et réprima un frisson. Tout se serait joué différemment si ç'avait été Rogue qui avait interrogé ses parents. Ils ne seraient pas devenus fous.

Ils seraient morts.

« Elle a dû subir une transe magique. Dumbledore a encore refilé son chanvre à nos élèves, cracha Rogue. Vous savez ce que j'en pense.

- Et je partage votre avis, coupa McGonagall. Mais nos élèves auraient moins besoin de consommer du chanvre si la vie à Poudlard était plus supportable. Et vous n'allez pas régler le sort d'Abelforth de la même manière que celui d'Albus. »

Rogue ne répondit rien. Neville supposa que les deux professeurs faisaient boire le philtre à Ginny.

« Son pouls est plus régulier. Je l'emmène à l'infirmerie. Je reviens tout de suite. Pour nous expliquer.

- Faites comme vous le sentez, monsieur le directeur. »

La porte claqua. La nappe se souleva et la tête affolée de McGonagall apparut :

« Londubat ! Vous êtes complètement fou !

- Comment va Ginny ?, demanda-t-il en ôtant la cape qui le recouvrait.

- Elle va s'en sortir. »

Il ouvrit la bouche mais elle le coupa dans son élan :

« Ne me dites rien, Londubat, sinon je serai incapable de tenir ma langue face à un tel faquin ! Je ne veux rien savoir. »

Neville sentit un début de sourire flotter sur ses lèvres. Faquin…

« Merci pour les bandages. Vous m'avez donné quelque chose ?

- Mon remède contre les rhumatismes, avoua McGonagall. Et du chocolat. Je suis désolée, Londubat, mais vous devez fuir. Si Rogue vous trouve ici, vous êtes mort. Et vous savez que je n'exagère pas. Vous êtes majeur, il n'aura aucun scrupule. Vous avez entendu comme moi ce dont il est capable. »

Neville était d'accord avec elle.

« Merci. Et donnez-moi des nouvelles de Ginny, s'il vous plaît.

- Filez, Londubat. Et n'oubliez pas de vous cacher sous la cape. »

Neville lança un dernier regard à son ancienne directrice de maison et prit la fuite.