Chers lecteurs,
J'ai appris qu'il a plu à la Saint Médard, et comme le dit le proverbe : "S'il pleut à la Saint Médard, il pleut quarante jours plus tard." Pardonnez-moi, c'est ma faute : j'ai fait une danse de la pluie le mauvais jour, condamnant ainsi la France entière à une vague d'humidité de plus d'un mois. Mea maxima culpa.
Sinon : aujourd'hui, petit T (et non pas thé) (ah ah on ne m'arrête plus). Et des nouvelles (enfin !) d'un personnage qui nous manquait.
Je vous laisse lire tout ça. Merci pour vos commentaires ! Merci à Nictocris qui réussit à être sensuelle avec un bout de comté.
Portez-vous bien, escargotez, à bientôt,
Al
« Ta trace est ma trace, ton gîte est mon gîte, ta chasse est ma chasse, et ton dernier combat sera le mien. »
R. Kipling, le Second livre de la jungle
Neville errait sans but dans les jardins de Poudlard. Il avait voulu passer à la cabane d'Hagrid, dans l'espoir de trouver quelque chose à lui rapporter à sa prochaine escapade française. Il avait récupéré deux livres et une vieille tasse ébréchée. Puis, la carte à la main, il s'était installé derrière la cabane d'Hagrid pour attendre que Rogue et les Carrow fussent remplacés par un professeur plus conciliant durant les tours de garde dans les couloirs.
Il attendait depuis deux heures.
Et le froid qui lui tenaillait les orteils remontait vicieusement le long de ses jambes !
Il rangea la carte dans son havresac à côté de la cape, se cala un peu plus confortablement, observa la lisière de la Forêt interdite. Malgré la nuit, il devinait quand même le bleu du ciel hachuré par les silhouettes ténébreuses des arbres. Une tache plus claire attira soudain son regard.
Une chevelure pâle qui surmontait une silhouette humaine.
Luna…
Il prit sa baguette et se leva sans réfléchir. Si elle était là… Il avança à grands pas jusqu'à l'orée de la forêt.
La silhouette avait disparu.
« Luna ? »
Il alluma sa baguette et avança, en évitant les racines qui couturaient le chemin qu'il empruntait. Pendant quelques minutes, il s'enfonça dans la forêt, attentif à tous les bruits qu'il entendait. Des craquements de branches, des bruits d'aile, sûrement des chouettes, un galop dans le lointain. Peut-être des sombrals ou des centaures.
Et soudain un hurlement déchira le ciel. Un autre hurlement lui répondit, plus loin.
Et un dernier, tout près…
« Nox. » souffla Neville.
L'obscurité complète revint. Il s'immobilisa, espérant que la créature qui avait poussé le dernier hurlement n'avait pas senti sa présence. Se força à se calmer, à écouter les bruits qui l'environnaient.
Plus rien. Tout s'était tu. Comme si les bêtes qui avaient gémi ce son inhumain avaient interdit aux autres êtres qui peuplaient la Forêt interdite de produire le moindre son.
Un craquement léger, pas loin sur sa gauche.
Neville n'osait plus bouger, intimement persuadé que le moindre mouvement froisserait trop l'air et attirerait l'attention de la chose sur sa présence. Ce silence ne lui disait rien qui vaille. La dernière fois qu'il avait entendu un tel silence dans une forêt, c'était huit mois auparavant, dans la clairière de Tonks et Lupin.
Un deuxième craquement, plus proche, dans son dos. Et un bruit sourd, un grondement menaçant, un de ces bruits qui transforment un puma en un lièvre affolé.
Neville prit la fuite. Il ne pouvait pas faire autrement, il ne réfléchissait plus. Il était réduit à un pur instinct animal, une bête pris au piège, une proie qui sait qu'elle n'en a plus pour longtemps à vivre.
Il courait, évitait les racines qu'il arrivait à percevoir dans la lumière blafarde de la lune, se prenait les pieds celles qu'il ne distinguait pas et parvenait, poussé par un instinct de survie inconnu de lui jusqu'alors, à retrouver son équilibre et à reprendre sa course.
Mais le grondement se rapprochait trop.
Et soudain un poids lui tomba sur le dos et le fit tomber dans la terre. Des griffes traversèrent les trois épaisseurs de tissu qui le couvraient et se plantèrent dans son dos. Il sentit un souffle chaud et humide sur sa nuque.
Il sut que c'était fini.
« Freyr ! Laisse ! »
La voix avait claqué, impérieuse. Et Neville fut plus étonné d'entendre l'autorité dans cette voix-là que la voix elle-même.
Il avait eu raison d'entrer dans la Forêt interdite. Parce que c'était bien là que se cachait Luna.
« Freyr, c'est un ami. Lâche. »
Le poids sur son dos disparut. Neville put rouler sur le dos et s'asseoir, haletant. Il leva les yeux.
Elle était là. Sa Luna. Il essaya de la détailler au maximum dans les ombres dansantes des arbres.
La première chose qui le frappa fut sa rectitude. Elle se tenait plus droite qu'elle ne s'était jamais tenue.
La deuxième chose, ce fut le grand loup gris qui se frottait familièrement contre ses jambes dénudées.
« Tu aurais pu prévenir que tu t'invitais– et sa voix était plus rauque que dans ses souvenirs, comme si elle avait trop crié –, Freyr Gris n'aime pas les étrangers. »
Elle ne s'approcha pas de lui ni ne daigna se mettre à sa hauteur, et cela le décontenança. La distance qu'elle laissait entre eux lui parut presque aussi insurmontable que l'année qui les avait éloignés.
« Neville, lui annonça la voix douce de Luna, je te présente Freyr Gris. Ma patte droite. Freyr, je te présente Neville Londubat, un ami. »
Les présentations paraissaient faites.
« Tu vas bien ? »
Il ne se sentait pas capable de poser une autre question, toujours le cul par terre et les yeux jaunes du loup fixés sur lui et sa gueule ouverte aux dents luisantes et cette haleine chaude et lourde qui faisait d'éphémères nuages blanchâtres dans l'air glacé.
« Plutôt, répondit-elle. Mais ici nous sommes sur le territoire des centaures, et ils ont beau nous tolérer, je ne me sens pas chez nous. Suis-moi. »
Il se leva, essaya d'ignorer l'énorme loup qui l'observait attentivement, glissa sa baguette dans sa poche. Luna avait déjà fait demi-tour, et Neville accéléra le pas pour suivre ses traces.
Ils marchèrent un long moment en silence. Peut-être une demi-heure. Neville n'osait pas émettre le moindre son : rien que la savoir là, à côté de lui, lui suffisait pour l'instant. La bête sauvage qui trottinait à leurs côtés n'avait rien de rassurant, et pourtant elle ne dépareillait pas avec Luna : les deux paraissaient à l'aise ensemble.
Ils parvinrent enfin à une immense roche, comme une falaise horizontale posée sur le sol, qui bouchait l'horizon, de ce que Neville pût en voir. Des arbres malingres et des rameaux jaillissaient hors des creux de la roche et de la mousse verte amortissait encore plus leurs bruits de pas.
Une ombre à quatre pattes apparut devant eux. Luna ne parut pas s'en formaliser :
« Oui, Crocs, c'est nous. Nous sommes de retour. »
Encore un loup, un grand loup à la gueule grande ouverte, aux crocs blancs tranchant dans le noir uniforme de son pelage et le rouge sanglant de ses gencives. La menace incarnée.
« Comment va Raksha ? »
Luna semblait se désintéresser totalement de son invité. Neville était abasourdi. Un loup, encore, il aurait pu comprendre… Mais trois ?
Il n'osa pas suivre Luna dans la grotte dans laquelle elle venait d'entrer : le grondement sourd de la bête noire, Crocs, l'en dissuada.
Il resta à l'extérieur, essayant de se convaincre que les deux loups ne s'attaqueraient pas à lui. Luna l'avait interdit. Et il avait confusément compris que les bêtes obéissaient à Luna.
Elle ressortit quelques instants plus tard, l'air inquiet.
« Elle est blessée, annonça-t-elle à Neville, et c'est compliqué de la laisser seule trop longtemps. Crocs a une légère tendance à être surprotecteur.
- Sans blague. » ronchonna Neville.
Le grondement menaçant du loup noir était encore frais dans sa mémoire.
« C'est à cause d'elle qu'on a arrêté de bouger. Elle s'est coincé la patte dans un piège à ours quand on était près du château d'Alnwick. Elle n'arrive pas à guérir correctement, on a peur qu'elle boite à vie. Mais un loup qui boite, c'est un animal mort ! Le pire, ce serait qu'elle ne s'en remette pas… »
Neville n'aurait su dire ce qui le dérangeait le plus dans le discours de Luna. Si c'était le fait qu'elle semblait plus inquiète du sort d'un des loups que du fait de le retrouver, lui, dans la Forêt interdite, ou qu'elle parlait de sa vie au pluriel, comme si les loups s'intégraient parfaitement dans le pronom on.
« T'as essayé un sort de guérison ? » osa-t-il demander.
Après tout, ça fonctionnait bien sur les humains. Un loup était un mammifère, il devait réagir à peu près aux mêmes stimuli magiques.
« Ils m'ont pris ma baguette – et Neville comprit tout de suite à qui renvoyait ce ils. J'ai fait ce que j'ai pu, avec les rares plantes désinfectantes que j'ai pu trouver. Mais en février, y a pas grand chose… »
L'angoisse perçait dans sa voix. Elle prenait vraiment à cœur la santé de la louve et cette situation aurait pu paraître absurde si ça n'avait pas été Luna.
Neville n'avait jamais supporté de la voir anxieuse. Aussi c'est tout naturellement qu'il proposa :
« Tu veux que j'y jette un coup d'œil ? Les sorts de guérison, ça n'a jamais été mon fort, mais je peux peut-être faire quelque chose… »
Les yeux de Luna étincelèrent :
« Tu ferais ça pour nous ?
- Bien sûr.
- C'est génial ! »
L'enthousiasme de Luna fit remonter à la surface l'ancienne sorcière, la fille en uniforme Serdaigle qui portait des boucles d'oreille en bouchons de biéraubeurre et jetait des sorts farfelus avec l'aisance d'un strangulot dans l'eau. La fille que Neville connaissait. Il se sentit intimement rassuré.
« Je vais essayer de leur expliquer que tu ne lui feras pas de mal. »
Elle s'accroupit devant les deux loups et commença à gronder, un grondement différent des menaces que Neville avait entendues. Un grondement doux, presque un ronronnement, un bruit destiné à apaiser. Le loup gris, celui qui avait attaqué Neville, conservait une attitude hostile, mais il s'éloigna de quelques pas. Quant au deuxième, le loup noir, il finit par s'allonger aux pieds de Luna en grondant. Elle finit par s'approcher de lui et le gratta derrière les oreilles.
« C'est bien, Crocs, c'est bien. Calme-toi. Neville ne fera pas de mal à Raksha. Il va la soigner. Calme-toi. »
Elle fit un signe de tête à Neville et il comprit que c'était à lui de jouer.
Il s'avança vers l'entrée de la grotte et faillit s'arrêter quand il vit la louve allongée sur le seuil qui l'observait de ses yeux bleus pensifs. Contrairement aux deux mâles, elle paraissait douce et fragile.
Pour la première fois de la soirée, Neville se surprit à penser qu'une bête aussi terrifiante pouvait être belle.
Il se laissa glisser sur ses genoux pour se mettre à la hauteur de la louve. Elle lâcha un jappement bref quand il approcha sa main de sa patte blessée.
« Chut, je ne vais pas te faire de mal. »
Il se rendit compte en le disant que la louve ne devait pas comprendre un traître mot de ce qu'il disait. Il espérait que le son de sa voix, son intonation et sa posture calmeraient l'animal.
Et puis, après tout, Luna communiquait avec eux par la parole.
Il sortit sa baguette, lança un faible Lumos et examina la patte blessée. La bête gémit de douleur quand il la toucha.
« Désolé, j'ai les mains bandées… »
Il essaya d'être encore plus doux. Dans un coin de sa tête, il sentait l'absurdité de la situation le heurter. Il soignait, sur la demande de Luna, une louve blessée.
Il ôta délicatement l'attelle de fortune que Luna avait faite, deux branches et de longues tiges souples comme ficelle. Une méchante entaille suintant déformait le membre et les poils poisseux de sang coagulé laissaient voir les chairs déchirées.
« Je m'en occupe. Calme-toi. »
Il essayait de mettre dans sa voix le même ton apaisant qu'il avait entendu dans la voix de Luna pendant qu'il réfléchissait à toute vitesse. Quel était déjà le sort que George avait préconisé ?
« Vulnera sanentur. »
Un soulagement le saisit quand il vit le pus s'écouler plus rapidement sous les mouvements de sa baguette. Il lança de nouveau le sort et fut ravi quand il vit les bords de la plaie se rapprocher. La louve ne geignait plus et le regardait faire, avec ce qu'il aurait pu qualifier chez un humain de curiosité.
« C'est bientôt fini. Encore un moment. » lui annonça-t-il.
Il lança une dernière fois le sort et bientôt ne vit qu'une cicatrice rosâtre à la place de la plaie béante qu'il y avait quelques minutes auparavant.
Neville ne put s'empêcher de caresser le museau de Raksha. La bête poussa sa tête rêche contre sa paume et malgré les bandages, Neville sentit la rugosité de ses poils. Il se sentit étrangement réconforté. Il remit l'attelle, sans trop la serrer.
Un aboiement bref retentit un peu trop près de lui. Il leva la tête et tomba nez à truffe avec le grand loup gris.
Neville déglutit difficilement. L'animal dégageait une aura de puissance et de sauvagerie brute que Neville n'avait encore jamais rencontrée. Il regarda avec circonspection l'animal se lover contre la femelle et entendit la variation de grondement qui, de menaçant, devint paisible. Puis le loup gris dut décider que le sorcier devant lui n'était plus une menace et consacra toute son attention à la rémission de sa compagne.
Neville recula, soulagé d'être ignoré de la sorte. Il se redressa et se rapprocha de Luna, toujours accroupie près du loup noir, lui caressant la nuque rêveusement. Le loup paraissait apaisé, comme si Neville n'était plus un danger maintenant qu'il avait fait ses preuves.
« Freyr Gris est le premier loup que j'ai rencontré, commença doucement Luna sans cesser ses caresses dans le cou du loup noir. Il chassait le lièvre à Snowdonia et je lui ai volé sa proie. »
C'était tellement étrange d'entendre que Luna avait volé la prise d'un loup aussi gros. Quelle sorte de femme était-elle devenue en une année ?
« Lui aussi est un exilé, nota Luna. Il vient d'Alaska. Il avait été installé dans une réserve moldue, mais on l'empêchait de sortir et de chasser à sa guise. Je l'ai aidé à s'évader. Puis on a rencontré Crocs et Raksha vers Sherwood. Ils étaient les derniers rescapés d'une meute chassée par les humains. Les humains nous chassent avec du feu et de la poudre. Ils sont dangereux. »
Les humains. Luna s'en excluait.
Ça créait des résonances dans sa tête. Il se souvenait d'histoires de moldus qui craignaient une déesse aimée des loups qui parcourait la forêt de Sherwood. De collets vides, d'une femme couverte de sang effrayant les autochtones. D'une femme dangereuse se promenant de forêt en forêt. Comme si on lui avait raconté d'anciennes histoires, loin dans le passé, et qu'elles remontaient à la surface.
Neville s'en était toujours douté, mais cette fois, il en était sûr : on lui avait jeté un sortilège d'Oubliettes.
« Crocs est très protecteur avec sa mère. Il n'a pas apprécié quand Freyr a pris Raksha pour compagne. Maintenant, on va mieux. »
Toujours ce on. Elle en parlait comme s'ils étaient sa nouvelle famille. Neville se sentait mis à l'écart. Il sentait une alchimie entre les animaux et son amie, une complicité dont il se sentait exclu. Comme si elle leur avait toujours appartenu. Comme si elle était à sa place dans cette nature hostile et dans cette meute de bêtes sauvages.
« Tu peux faire du feu ? Ça fait si longtemps que je n'en ai pas vu… »
Puis il comprit : c'était elle qui était à l'écart. Sans baguette, loup-garou, parricide, elle était bannie du monde sorcier. Elle ne s'était pas exclue volontairement du monde humain.
Elle avait été exilée.
Il se leva, récupéra quelques branches par terre, les entassa dans un creux rocheux, amassa un peu de mousse et prit sa baguette :
« Incendio ! »
La flamme qui jaillit fit reculer et feuler le loup noir, Crocs. Freyr Gris ne quitta pas sa femelle, Raksha, qui était encore trop faible pour bouger, mais il grogna. Luna se rapprocha du feu et tendit les mains pour se réchauffer. Crocs se blottit contre elle et le frisson qui la saisit s'évanouit.
Ils gardèrent un long moment le silence. Neville en profita pour la détailler dans la lumière des flammes. Elle était plus mince que dans son souvenir mais semblait moins frêle : des muscles noueux étaient apparus sur ses bras. Elle semblait toujours menue, mais n'avait plus l'air fragile. Ses yeux, toujours aussi globuleux, fixaient les flammes et l'éclat du feu dans les pupilles la rendait plus sauvage, plus cruelle. De nombreuses écorchures couraient sur ses bras en des zigzags entrecoupés. Neville hésita à lui proposer de s'en occuper, mais elle ne paraissait pas en souffrir. Et puis, elle l'effrayait un peu. Elle avait toujours été un peu lointaine, il était habitué à cet état de fait, mais dorénavant, c'était différent. Elle paraissait absente à elle-même.
Neville sentait confusément que c'était grâce à cette absence qu'elle avait survécu.
Elle portait des haillons, des lambeaux de tissu qui couvraient un minimum sa poitrine et son ventre et rassuraient Neville : elle avait encore une vague conscience des convenances et de la pudeur. Ses pieds nus se tendaient vers le feu : elle devait être frigorifiée. Ses cheveux blonds, presque blancs, étaient plus courts que dans son souvenir : ils lui retombaient sur les épaules, et l'irrégularité des mèches lui donnait une tête d'épouvantail.
Il inspira à fond, profitant du moment de repos après sa soirée mouvementée. Il savait qu'il lui faudrait bientôt quitter le domaine de Poudlard, retourner à la Tête du Sanglier, repartir à Londres. Et pourtant il avait tellement l'impression d'être coupé du monde qu'il avait du mal à concevoir qu'un monde civilisé existât à l'orée de la forêt.
Il s'était toujours senti oppressé en forêt.
Là, avec Luna et ses trois compagnons, il se sentait à sa place.
Finalement, il sortit une gourde d'eau de son sac, but un peu et la tendit à Luna.
« Merci. »
Elle but, puis tendit la gourde à Crocs qui la téta avidement.
Neville hésitait à poser ses questions : il se sentait si bien, à regarder les flammes danser et les loups somnoler. Il se trouvait même bête de les avoir crus dangereux. Les animaux paraissaient apprivoisés.
Ce fut Luna qui rompit le silence :
« Tu sais, on aurait pu plus mal tomber. Les centaures nous laissent tranquilles, du moment qu'on n'empiète pas trop sur leur territoire. On chasse pour les sombrals, on leur laisse nos carcasses. »
Neville récupéra sa gourde vide.
« Tu t'es coupé les cheveux. »
Il avait toujours connu Luna avec des cheveux lui tombant au bas du dos.
« Je l'ai fait chez les Malefoy. Comme ça, ils avaient moins de prise quand ils me violaient. » dit-elle d'un ton distrait.
Toujours ce ils qui se passait de commentaire. Neville ne s'émut pas : le ton de Luna était trop détaché pour qu'il arrivât à savoir quelle réaction elle attendait.
Comme toujours, tout claquemurer. Et ressentir après.
« Comment tu t'es enfuie de chez les Malefoy ? Comment t'as survécu sans baguette ? »
Il n'avait aucune envie d'entendre une seconde fois le récit de son viol.
« Je ne me suis pas enfuie de chez les Malefoy, répondit Luna après un silence. Je me suis enfuie une nuit de pleine lune, où Marbh voulait qu'on attaque un village. J'ai eu un sursaut de conscience avant que la gealach se lève. J'ai fui avant que l'esprit de la gealach me prenne. »
Neville n'avait pas besoin de demander qui était Marbh. C'était tout à fait le genre de Fenrir Greyback de porter le nom de la mort en gaélique.
« On ne s'enfuit pas du manoir Malefoy. Les protections des vieux manoirs sont inviolables. Si le maître d'un manoir l'a décidé, tu ne peux ni sortir ni entrer. C'est juste parce que Marbh me voulait que j'ai pu sortir. »
Neville avait déjà entendu parler de ces protections liées au sang. Parkinson l'avait mis en garde pour qu'il n'essayât jamais d'entrer dans le manoir Parkinson s'il n'y était pas invité. Même elle ne se risquait pas à entrer dans son propre manoir sans avoir reçu de convocation.
« Et tu as essayé de prendre contact avec des gens ?
- J'ai vu le professeur Flitwick. Il voulait m'aider à trouver une baguette. Mais c'était trop compliqué, Freyr Gris était nerveux. Et puis… Puis nous avons rencontré Crocs et Raksha. Et là, on n'était plus assez discrets. »
Elle jeta un regard dans la trouée des cimes et annonça, sans transition :
« Il se fait tard. »
Neville l'observa se rouler en boule. Le loup noir se blottit contre elle, et il se sentit presque jaloux.
« Dors. »
L'ordre était sans appel. Il se cala dans sa veste, s'enroula du mieux qu'il put dans son écharpe et sa cape, et se rapprocha du feu pour se réchauffer.
Même près des flammes, il avait froid. Il ne pourrait jamais s'endormir dans la Forêt interdite.
Il perçut un mouvement à sa droite. Raksha s'était levée et s'approchait en boitant de Luna. Elle se coucha contre elle. Neville vit le bras pâle de Luna enserrer la louve et se perdre dans le pelage brun. Freyr Gris s'assit à côté des deux loups qui partageaient leur chaleur avec leur humaine et fixa Neville de ses gros yeux jaunes.
« T'inquiète, je veille. » souffla Neville, toujours dans l'incertitude sur le fait que les loups pussent le comprendre.
La bête ne lui faisait pas confiance. Comment l'aurait-elle pu ? C'était une bête sauvage. Ils passèrent le reste de la nuit à s'épier par dessus le feu dans lequel Neville jetait régulièrement des branches.
