Chers lecteurs,

Malgré la chaleur accablante, nous nous permettons de vous livrer ce nouveau chapitre (oui oui, Nicto est avec moi, je m'en réjouis, elle est ma muse, mon rayon de soleil, mon étoile du matin qui guide les navires au port et toute autre comparaison débile digne des meilleurs poètes romantiques).
Attention : Rating M. Et on ne plaisante pas. Comme d'habitude, je vous mettrai un petit résumé des familles au début du chapitre suivant si vous désirez arrêter la lecture de ce chapitre.
Instant vocabulaire : nous vous informons aussi que les plantes hypocrites ne sont pas des plantes qui font semblant de vous apprécier alors qu'elles médisent dans votre dos, mais sont une catégorie de plantes qui ont des propriétés médicinales mais toxiques à trop fortes doses (merci Wiki).
Toujours grands remerciements pour ceux qui prennent le temps de m'écrire un petit mot. Sachez-le, c'est un immense plaisir de vous lire.

Portez-vous bien, à dans bientôt j'espère,

Al (& Nicto la squatteuse)


« Ainsi parle le Seigneur : Un cri s'élève dans Rama, une plainte et des pleurs d'amertume. C'est Rachel qui pleure ses fils ; elle refuse d'être consolée, car ses fils ne sont plus. » Jérémie 31, 15


Neville était d'une humeur exécrable. Grimlen l'avait traité de tous les noms à cause d'un récépissé mal rédigé, un client l'avait insulté après avoir essayé de lui gratter six noises sur une facture de dix-sept gallions, il avait fissuré un saphir en essayant de le réintégrer dans sa châsse, et son thé de cinq heures avait trop infusé !

Journée de merde.

Il poussa la porte de Farces pour sorciers facétieux et le carillon faillit le mettre de meilleure humeur, ce qui paraissait impossible.

« Ne cherche pas à me mettre dehors, Weasley, j'attendrai mon boy ici. »

Putain de journée de merde.

« Tu peux pas lui donner rendez-vous ailleurs ? Tu fais peur aux clients… »

Fred semblait sur le point de lui lancer un maléfice. Neville sentit qu'il était temps qu'il intervînt.

« Laisse tomber, Freddie, je m'en occupe. »

Neville intercepta le regard outré de Fred et happa le bras de Parkinson pour l'entraîner dans l'arrière-boutique. Il eut à peine claqué la porte que la voix glaciale de Parkinson résonna :

« Ose encore une fois me toucher sans ma permission et je te ferai passer l'envie d'approcher des sorcières jusqu'à la fin de ta misérable vie. »

Apparemment, elle était d'excellente humeur.

« C'est la dernière fois que je dois me coltiner tes rouquins de baby-sitters quand je dois te voir, continua-t-elle.

- Calme-toi, Parkinson. »

Le regard qu'elle lui lança lui fit regretter d'avoir ouvert la bouche.

« Je me passe de tes commentaires. Ce taudis est sûr ? »

Ils en ont rien à foutre, de tes histoires.

Neville comprit enfin que quelque chose n'allait pas : le chignon de Parkinson laissait échapper quelques mèches, son vernis était écaillé et elle avait sûrement rongé ses ongles avant de venir.

Sa façade parfaite était mise à mal.

« Assurdiato. »

C'était plus pour rassurer Parkinson que pour contrer une réelle menace d'espionnage. Mais, après tout, comme elle le lui avait maintes fois répété, il était à son service. Ça ne lui coûtait rien de jouer le jeu.

Elle fouilla dans son sac, en sortit un bout de papier qu'elle lui tendit :

« Trouve-moi ça. » lui dit-elle en attrapant une cigarette dans un paquet froissé.

Neville décida de ne pas lui faire la remarque qu'elle fumait à l'intérieur et jeta un œil à la liste tandis qu'elle allumait sa clope. Elle lui demandait des plantes. Pas n'importe lesquelles : de la rue, de la sabine, de l'absinthe.

Neville connaissait très bien ses plantes. Après tout, il les étudiait avec passion depuis ses onze ans. Leurs propriétés, leurs utilisations, leurs origines, leurs noms secrets… Et les trois plantes avaient des propriétés communes.

Ces plantes nocives provoquaient des contractions et des nausées. C'étaient des plantes que les femmes utilisaient pour se débarrasser des grossesses indésirables.

« T'en as besoin pour qui ? Qui va avorter ? »

Peut-être un peu trop direct…

Elle se crispa et lui tourna le dos, émiettant les cendres de sa cigarette dans la cheminée éteinte. Il observa ses gestes, trop rapides et hachés. Parkinson était toujours posée. D'habitude, elle avait des gestes mesurés, posés, mais là, elle paraissait désordonnée. Et il comprenait son agitation.

Il avait beau savoir ce qu'était un avortement, et en avoir déjà entendu parler par sa tante, il n'y avait jamais été confronté. On lui avait encore moins demandé de participer.

Dans un milieu fondé sur le sang et l'héritage, on ne gaspille ni le sang ni l'héritier. C'était bien l'unique raison pour laquelle il n'avait pas été tué à l'étage – 13 du Ministère. Son sang était pur. Son sang l'avait protégé avant que Parkinson s'en chargeât.

Dans un milieu fondé sur l'ascendance et la légitimité familiale, on ne remet jamais en cause la fidélité des femmes, ni leur virginité. On ne couche pas avant le mariage chez les sang-pur, ou en tout cas, on se débrouille pour que personne ne le sache. Pas d'adultère. Pas de tromperie. Que le sang qui passe soit d'origine contrôlée.

On n'avorte pas chez les sorciers. Question de principe. De toute façon, on n'a pas à le faire puisque chaque enfant à naître est légitime.

En théorie.

La sorcière qui devait avorter, quelle qu'elle fût, était en grand danger.

« Tu n'as pas à le savoir, répondit enfin Parkinson, plus sourdement, comme si elle parlait au manteau de cheminée.

- Justement, si, murmura Neville. Je ne donnerai pas la même dose si c'est pour une Montague ou une Bullstrode. Question de gabarit… »

Elle se tourna brusquement vers lui :

« Tu dois doser en fonction de la corpulence ? »

Elle paraissait si surprise que Neville grimaça :

« Tu savais pas ? Ces herbes-là sont nocives, elles peuvent même tuer, tu ne peux pas te permettre de laisser trop infuser, ni…

- La ferme. »

Neville se tut. Il aurait bien aimé lui demander ce qui clochait, l'envoyer chier ou quitter la pièce, mais quelque chose dans son attitude l'en dissuada.

Elle fit quelques pas dans l'arrière-boutique, tira anxieusement sur sa cigarette et se tourna vers lui, le regard bravache :

« C'est pour moi. »

Il inspira brusquement et saisit en un instant toute la complexité de ce qui était en train de se jouer.

Parkinson était enceinte sans être mariée. Ni même engagée.

« Et Zabini ?

- Il ne doit pas savoir. »

Elle jeta son mégot dans la cheminée et alluma immédiatement une autre cigarette, fébrile.

« Mais… C'est pas lui le père ?

- Je t'en pose, des questions ? »

Discuter avec Parkinson lui redonnait toujours le mordant dont elle manquait. Elle redevenait elle-même quand elle l'agressait. Autant tirer sur le filon.

« Je peux m'occuper de ta tisane, reprit Neville. Tu la veux pour quand ?

- Ce soir. »

Il y avait une légère fêlure dans sa voix, comme si elle avait peur de ne pas pouvoir être obéie dans l'instant.

« T'as de la chance ou t'es bien informée, j'ai ça en stock.

- Je n'utiliserai pas le terme chance pour qualifier ma situation, Londubat. » répliqua-t-elle.

Son soulagement était tout de même perceptible. Elle expira longuement, et il comprit qu'elle avait dû retenir sa respiration.

« Passe me déposer ce que je t'ai demandé dès que tu peux. La cheminée sera débloquée. »

Elle quitta la pièce dans une bouffée de cigarette. Il leva le sort d'assourdissement et quitta l'arrière-cuisine.

Il tomba sur George qui fermait la boutique.

« Elle te voulait quoi, ta Parky ?

- M'engueuler, comme d'habitude.

- Ça a pas dû la purger assez, commenta George, elle est partie comme une furie. »

Neville fit la moue et monta sous les combles. Il poussa la porte de sa serre et avisa Trevor, posté sur une commode.

« Parfois, j'aimerais être un crapaud. »

Pas de réponse. Le batracien n'avait jamais réagi aux remarques de son maître en sept ans, il n'allait pas s'y mettre maintenant.

Neville alla au fond de sa serre et s'approcha de ses rangs de plantes hypocrites. À l'aide d'un couteau à lame plate, il découpa quelques brins de rue, arracha délicatement des fleurs de fée verte et de sabine. Il prit ensuite quelques feuilles de mélisse, pour adoucir la tisane, et un peu de thym, pour atténuer l'odeur de la rue. Il lui préparerait ensuite un peu de verveine, de tilleul et de camomille pour qu'elle pût dormir le reste de la nuit.

Il empaqueta sa récolte dans des pages d'une vieille Gazetteet glissa les paquets dans son sac. Il rafla un mortier et son hachoir, diminua la luminosité de la pièce en fermant un peu le volet et quitta le grenier.

Il passa dans sa chambre et dans la salle de bain, fit un brin de toilette et mit dans son sac une brosse à dents, un rasoir et un slip propre. Qui sait combien de temps ça durerait…

Gnaa lui sauta dessus :

« Hé ! Calme-toi ! »

Elle lui apportait une lettre. Il reconnut l'écriture de Seamus sur l'enveloppe et la décacheta avidement. Gnaa lui pinça le cou :

« Oui, tiens, voilà pour toi ! »

Il lui lança un morceau de viande séchée et la chouette retourna sur la commode, contente.

Seamus avait entendu parler de son appel à Potterveille. Il allait venir. Il allait venir en Angleterre, il voulait le voir.

Le cœur de Neville se gonfla : il allait voir Seamus. Il allait voir son camarade de chambrée. Il ressentait la même joie brutale qu'au moment où Lavande lui avait passé une lettre de Ron, la même stupeur heureuse que quand Hermione s'était jetée dans ses bras.

Il avait des nouvelles des disparus.

Il rangea la lettre dans le tiroir de sa table de nuit et aboya dans les escaliers, guilleret :

« Les gars, on mange bientôt ? J'ai faim !

- Angelina est aux fourneaux ! » claironna Fred depuis la boutique, où il faisait sûrement la caisse.

Neville descendit dans la cuisine, au premier étage, salua Angelina et engagea une discussion avec elle sur les bienfaits du cumin et du gingembre.

Une fois que Neville eut perdu à pierre-baguette-cape et qu'il eut fait la vaisselle, il prit son sac, jeta une pincée de poudre de cheminette dans la cheminée et annonça l'adresse de Parkinson.

« Quand je te dis dès que tu peux, c'est pas quand t'as fini ton deuxième boulot. »

Neville ne réagit pas et répondit calmement :

« Rien ne presse, Parkinson. »

Elle avait revêtu un pantalon large mais seyant et un gilet beige qu'il lui avait déjà vu. Tu en es au point de te rappeler comment elle s'habille… Elle faisait une entorse à son règlement pédestre habituel et était pieds nus. Une queue-de-cheval lâche surmontait son crâne, et ça la changeait tellement de son chignon habituel que Neville eut l'impression soudaine d'être de retour dans la cabine d'essayage de Tissard et Brodette.

Elle lisait une revue, mi-allongée dans son sofa, et ce n'était qu'à la raideur de sa nuque et aux fines ridules qui striaient son front qu'on pouvait deviner son anxiété.

« T'as une bouilloire ?

- Tu me prends pour qui, Londubat ? Un salon de thé ? »

Neville leva les mains en signe de reddition et fila dans la cuisine. Il farfouilla dans les placards et trouva une théière où dansaient des fleurs. Il mit de l'eau dans une casserole qu'il posa sur le gaz. Parkinson était finalement plutôt moderne pour une aristo, si elle utilisait un fourneau moldu modifié. Quand l'eau frémit, il y jeta quelques herbes et touilla jusqu'à ce que le breuvage soit de nouveau à ébullition. Il retira la casserole du feu, mit un filtre dans la théière et y versa l'eau. Il emporta le tout dans le salon et s'assit face à Parkinson.

Elle leva les yeux vers lui.

« Alors ?

- Tu es enceinte depuis combien de temps ? »

Une rougeur apparut furtivement sur ses joues, preuve qu'elle ne se maîtrisait plus.

« Deux mois et demi. Environ. »

Il ne réagit pas. Vu sa réticence à répondre, il n'osa pas lui demander son poids. De toute façon, il s'en faisait une idée assez précise. Il dosa les herbes dans la théière, remua un peu et attendit.

Le silence avec Parkinson n'avait jamais été pesant, et pourtant il sentit sa panique monter, comme quand ils avaient été coincés ensemble dans la cheminée.

Discuter lui permettrait de retrouver son aplomb, ou au moins un semblant de contrôle sur la situation.

« T'as une copine qui vient passer la nuit avec toi ? Ou Zabini ?

- Je ne vois pas en quoi mes fréquentations nocturnes te concernent. »

Le rembarrer était tout aussi efficace. Il encaissa sans broncher et relança :

« Je croyais que Greengrass était là en toutes circonstances pour toi.

- Daphné n'a jamais apprécié mon dévouement amical à sa juste valeur. » nota-t-elle, et Neville entendit le sourire dans sa voix.

Il ôta le filtre et les herbes et servit une tasse à Parkinson. Elle se redressa en position assise, se roula en boule dans le dossier du sofa. Il lui tendit la tasse : elle se résigna à l'attraper. Le léger tremblement de sa main fut visible grâce à l'eau qui heurtait les bords de la tasse.

Elle but une gorgée et réprima un frisson :

« Il y a un petit goût sucré.

- J'ai ajouté de la mélisse. J'ai pensé que ça donnerait meilleur goût. Et ça ne gêne en rien l'action des autres plantes.

- Bonne idée. »

Elle avala une nouvelle gorgée tandis que Neville savourait le compliment. Il admira sa classe : à aucun moment elle ne grimaça de dégoût. Il avait déjà goûté de la rue et savait à quel point c'était amer.

« Il faut que j'en boive combien de tasses ?

- Si tu veux que ce soit rapide, au moins cinq. »

Elle se renfonça dans son dossier sans commentaire. Neville se leva, ajouta une bûche dans la cheminée et retourna s'installer dans le fauteuil qui lui paraissait le plus confortable. Il sortit Plantes et magie naturelle en Cornouailles et reprit à son marque-pages.

« Qu'est-ce que tu fais ?, grinça Parkinson depuis son sofa.

- Je compose une potion contre les cheveux gris. »

Elle souffla fortement par le nez et reprit :

« Je peux savoir pourquoi tu t'installes dans mon fauteuil comme en terrain conquis ? »

Il releva le nez de son ouvrage et exposa calmement :

« Bon écoute, comme je vais passer la soirée ici et qu'il y a plus de charme dans les plantes de Cornouailles que dans ta conversation, je me suis dit qu'il était plus agréable pour nous deux que je ferme ma gueule et que je bouquine dans mon coin. »

Les yeux de Parkinson étincelèrent et elle haussa le ton :

« Londubat, j'ai plus besoin de toi. Tire-toi.

- Avec ce que t'as bu, je te laisse pas seule. On peut pas prévoir les effets secondaires de cette merde que tu viens d'avaler. Et contrairement à Greengrass ou Zabini, moi, j'ai signé pour être là.

- T'as signé pour me protéger, pas pour faire la nounou. Je suis parfaitement capable de me débrouiller toute seule.

- Je n'en doute pas une seconde. »

Cette réponse la prit de court. Elle se resservit une tasse et avala deux gorgées avant de repartir à l'attaque :

« Londubat… »

Déjà elle mettait moins de conviction à l'apostropher.

« Gaspille pas tes forces à me faire changer d'avis, la coupa-t-il, et profite des derniers moments de tranquillité de ta soirée avant de rendre tripes et boyaux. »

Elle abandonna. Elle se remit à siroter sa tisane en regardant les flammes danser dans la cheminée. Elle paraissait plus calme, Neville retourna à sa lecture.

Au bout d'un long moment, il releva la tête et observa Parkinson. Il n'aurait su dire ce qu'il ressentait en la voyant de profil, son nez droit, des larmes aux yeux à force de trop fixer le feu. Elle n'avait pas eu le choix, il le savait. Les Parkinson n'étaient pas le genre de famille dans laquelle on peut se permettre un tel écart de conduite. Un premier héritier jouit de nombreux privilèges auxquels ne peut prétendre le cadet. Si Parkinson finissait par épouser un autre homme que Zabini, elle risquait gros si son mari découvrait qu'elle avait déjà pu concevoir un premier héritier pour un autre homme. Juridiquement, elle pouvait cacher la conception d'un premier enfant. Magiquement, c'était impossible.

C'était pour ça qu'elle n'avait pas fait appel à Zabini ou à Greengrass. Elle n'aurait jamais donné à ses amis de quoi nuire à son statut. Si elle ne voulait pas finir comme Astoria Greengrass, deuxième épouse de Goyle, il fallait que personne ne sût qu'elle avait perdu son statut de primogénitrice avec cette première grossesse .

Elle avait plus confiance en Neville pour tenir sa langue qu'en ses amis les plus proches. Elle savait qu'il ne la trahirait jamais.

Comme lui savait qu'elle ne le trahirait pas. Il lui avait fait confiance pour partir à Beauxbâtons ou à Poudlard, alors qu'il avait caché à Lavande les destinations de ses excursions et menti aux jumeaux.

Cette révélation entérina quelque chose de profond en Neville. Il n'aimait pas Parkinson, et elle le lui rendait bien. Mais la confiance qu'il y avait entre eux était plus solide qu'avec leurs amis respectifs.

Une crispation apparut sur le visage de Parkinson alors qu'il l'observait et elle posa une main sur son ventre.

« Ça commence. »

Neville remit son marque-pages dans son livre et se leva. Elle avait pâli et une détresse nouvelle apparut sur ses traits.

« Je crois que je vais… »

Elle se leva, se précipita dans la salle de bains, Neville sur ses talons. Il la retrouva agenouillée devant la cuvette des toilettes, à vomir par à coups de grands geysers brutaux, tordue dans une posture non naturelle. Neville s'approcha à pas de loup de Parkinson. Elle pleurait et les larmes dégringolaient le long de ses joues pour terminer dans la cuvette.

Il s'approcha d'elle et se pencha. Il ramassa quelques mèches qui lui retombaient devant les yeux dans son poing et lui tint les cheveux tout le temps que les nausées la secouèrent.

Parkinson hoquetait, râlait entre deux vomissements un « Non non non… » désespéré, tenait son ventre d'une main et la cuvette de l'autre. Son corps était pris de soubresauts violents à chaque haut-le-cœur, et Neville sentit encore une fois cet instinct protecteur qui le desservait la plupart du temps l'envahir.

Quoi qu'elle fît, quoi qu'il pensât, il voulait la protéger. Pas parce qu'elle était faible, mais parce qu'elle appartenait, qu'il le voulût ou non, à son clan.

Au bout de ce qui lui parut une éternité, le dos tiraillant parce qu'il était courbé depuis trop longtemps, les vomissements cessèrent. Parkinson releva la tête et déglutit difficilement.

Neville attrapa un gant de toilette, l'humidifia et le posa sur le front dégoulinant de sueur de la jeune femme.

« C'est fini ? » coassa faiblement Parkinson.

Neville aurait tellement aimé avoir une réponse à cette question. Elle était adossée au carrelage du mur et paraissait si faible qu'il eut peur qu'elle s'évanouît devant lui.

Il tira la chasse et répondit ce qu'on répond toujours dans ces cas-là :

« Bientôt. C'est bientôt fini. »

Elle lui jeta un regard désabusé :

« Tu mens. Il n'est pas encore passé. Je le sens. »

Elle se recroquevilla. Le gant posé sur son front glissa : Neville le ramassa et le mouilla de nouveau.

« C'est pas que j'ai plus rien dans l'estomac que c'est la même chose dans le ventre… »

Elle avait sûrement raison, puisque deux secondes plus tard, de la bile passait ses lèvres. Neville lui tint les cheveux de nouveau. Son visage poissant la sueur se tordait de douleur : elle n'avait même plus la force de pleurer. Encore une fois, ça lui parut durer des heures. Il n'arrivait plus à ignorer les gémissements que la jeune fille lâchait comme un animal blessé.

Et enfin, enfin, cela finit.

Elle recula. Neville essaya d'ignorer tant bien que mal l'odeur de fer qui s'éleva dans la pièce.

L'enfant était passé.

Il reposa le gant, éloigna de ses yeux les mèches qui se collaient à son front.

« Tu dois prendre une douche, Pansy. »

Il ne pouvait pas faire autrement que l'appeler par son prénom. Ça sonnait bizarre dans sa bouche, mais elle paraissait tellement perdue…

« Il est mort, hein ?, demanda-t-elle, la voix cassée.

- Pansy, tu dois te lever. Viens.

- C'est fini ? C'est vraiment fini ? J'ai mal…

- Tu auras encore des contractions, mais c'est fini. Allez, debout. »

Il la saisit sous les aisselles et la releva. Elle s'affala presque dans ses bras.

« Merde. »

Il tira un tabouret et la fit asseoir. Une fois certain qu'elle ne s'effondrerait pas, il alluma la douche, attendit que l'eau chauffât. Le bruit de l'eau cascadant sur l'émail tira une réaction à Parkinson :

« Blaise…, reprit-elle difficilement, Blaise ne doit rien savoir.

- Promis, répondit Neville sans hésiter. Allez, je te laisse te déshabiller. »

Il s'apprêtait à quitter la salle de bains et se tourna juste avant de passer la porte.

Parkinson était toujours sur son tabouret, les mains tenant son ventre, hébétée. Neville soupira : il n'avait aucune envie de dévêtir Parkinson, mais elle semblait tellement paumée qu'il n'hésita presque pas.

Il s'approcha d'elle, lui prit doucement les poignets, la força à décroiser les bras et les plaça le long du corps. Elle le regarda, les yeux vides. Il fallait la calmer, l'apaiser.

« Ça te dit, que je te chante une chanson ? »

Il n'attendit pas la réponse et se mit à fredonner une berceuse que lui chantait sa grand-mère tandis qu'il commençait à dénouer son chemisier et défaire les boutons de son gilet. L'effeuillage lui prit bien cinq minutes. Quand il parvint aux sous-vêtements, il n'osa pas aller plus loin. Il aperçut du coin de l'œil sa culotte qui prenait une teinte rougeâtre. Il détourna le regard.

Il la fit se lever et la tint du mieux qu'il pût contre lui. Quand il vit les cicatrices blanches qui zébraient son dos, il ne dit rien. Des vieilles cicatrices, qui devaient dater de l'enfance.

Apparemment, ça faisait longtemps que Sir Arceus Parkinson lançait des Sectumsempra à sa fille.

Il la glissa dans la baignoire, sous le jet. L'eau brûlante lui arracha enfin une réaction. Elle le fixa et eut le réflexe pudique de cacher sa poitrine.

« Espèce de pervers. » grinça-t-elle.

Enfin elle-même !

« Je t'ai déjà vue en sous-vêtements, Parkinson. Arrête de jouer la prude. »

Elle le fusilla du regard. Neville eut envie de rire – de soulagement, en la voyant de nouveau elle-même, ou d'amusement, en retrouvant ce regard qu'elle lui adressait déjà à l'école alors que tout avait changé, il n'aurait su le dire – mais s'en abstint.

« Je te laisse te débrouiller. »

Il quitta la salle de bains sans la regarder, en prenant bien soin de laisser une serviette duveteuse à portée de main.

Une fois dans la cuisine, il prépara une casserole d'eau chaude et une théière de verveine. Le temps que l'eau se mît à bouillir, il était de nouveau dans son livre, perdu entre les lignes et ses réflexions sur la force insoupçonnée des femmes.

« Je pensais que tu serais reparti. »

Il sursauta.

« Je suis pas du genre à fuir les responsabilités.

- Putain de Gryffondor. »

Neville sourit. Elle était emmitouflée dans un gros pull noir beaucoup trop grand qui lui arrivait à mi-cuisse. Elle paraissait frêle, avec ses grandes jambes pâles qui en émergeaient, et pourtant il n'avait aucun doute qu'elle pouvait se sortir de n'importe quelle situation inextricable. Cette attitude lui fit penser à Luna.

« Tu veux de la tisane ? C'est de la verveine et de la camomille, ça a des effets calmants.

- Hors de question que je boive encore quoi que ce soit ce soir, surtout venant de toi. »

C'était de bonne guerre.

Neville jeta un œil à l'horloge. Trois heures du matin. Pas étonnant qu'il eût envie de dormir.

« Le canapé est plutôt confortable, avoua Parkinson. Enfin, c'est ce que Drago m'a dit… »

Elle lui proposait de rester la nuit. Il ne sut qu'en penser. Sa bonne éducation sang-pur devait exiger qu'elle ne renvoyât pas son hôte à une heure aussi indue.

« Merci. »

Elle acquiesça. Pas d'insulte, pas de remontrance, pas de regard noir. Une trêve fragile s'était construite entre eux. Une paix nocturne, une de ces trêves où l'ennemi vous laisse récupérer vos morts sur les champs de bataille et leur rendre les honneurs funèbres sans vous assaillir.

« Si tu veux, j'ai des huiles essentielles. T'as pas à les avaler, tu en mets juste sur tes poignets. Ça aide à dormir. »

Il avait pris l'habitude d'en avoir sur lui depuis la Chambre des secrets. Il en fabriquait et en envoyait à Ginny pour calmer ses nuits et à Lavande pour apaiser ses angoisses.

Il n'envoyait rien à Luna : les loups n'aimaient pas les effluves trop forts.

« Tu m'as prise pour qui ? Une fillette ?

- C'est toujours bon à prendre. »

Elle haussa les sourcils et prit le flacon qu'il lui tendait. Il l'observa quitter la pièce sans un mot de plus.

Le canapé avait l'air inconfortable au possible, mais une fois que Neville eut récupéré tous les coussins du salon, il fut potable. Il transforma le tapis en édredon et s'installa du mieux qu'il put, laissant ses grandes jambes dépasser de l'accoudoir.

Cette soirée avait été mouvementée, et pourtant le sommeil tardait à venir. Il finit par s'endormir, harassé, bercé par le tic-tac paresseux d'une horloge.

Il se réveilla en sursaut deux heures plus tard. Un cri. Puis des geignements. Il se leva, passa dans la pièce voisine.

Parkinson se débattait dans ses draps, haletait, sanglotait, et cria de nouveau. De pure terreur.

Neville s'approcha, la prit par les bras et la secoua doucement :

« Parkinson ! Réveille-toi ! Tu fais un mauvais rêve… »

Elle ne réagit pas, continuant à hyperventiler. Il se fit plus brusque :

« Debout ! »

Elle ouvrit de grands yeux effarés :

« Le bébé ! Le bébé ! Il est en danger !

- Respire, c'était un cauchemar, tenta Neville.

- Le bébé de Blaise ! Père va le tuer il va me tuer… »

La voix de Parkinson s'éteignit alors qu'elle reprenait conscience de ce qui l'entourait. Elle s'agrippa violemment à Neville :

« Tu restes avec moi, d'accord ? Je veux pas être seule… »

Son chuchotement précipité paraissait presque saugrenu après ses exclamations de terreur.

« Oui. Rendors-toi. »

Il voulut se lever mais elle le tenait trop fort. Elle s'allongea, l'entraînant avec lui. Neville ne savait pas quoi penser : il était dans le lit de Parkinson, merde !

Elle rabattit le drap sur eux, se blottit contre lui, renifla, eut encore quelques hoquets. Neville avait le bras passé sur sa taille. Il avait l'impression de tenir dans ses bras Lavande ou Ginny, quand ils se retrouvaient dans la Salle sur demande après une séance de torture des Carrow. Parvati s'était toujours consolée avec Seamus. Heureusement qu'il n'avait jamais eu à consoler Seamus ou Colin, ç'aurait été gênant.

Il s'endormit en pensant à la lettre qu'il avait reçue de Seamus, en essayant d'ignorer le corps chaud de Parkinson qui remuait contre lui. Bientôt, il le verrait.