L'enterrement du maître Hokage, ainsi que de tous les ninjas morts au combat pendant l'attaque, eut lieu trois jours plus tard. Tous les habitants du village, ou presque, y assistèrent, pleurant en silence les pertes. Les larmes coulaient sur les joues de certains et se mélangeaient à la fine pluie qui tombait sur Konoha.
Ultia leva les yeux vers le visage de pierre qui représentait le vieil homme. Il était fendu en deux dans le sens de la longueur et, sous le ciel gris et nuageux, son expression semblait encore plus sinistre qu'à l'ordinaire. Presque austère. Le pire restait à venir.
Elle pinça les lèvres et reporta son attention sur la cérémonie funéraire. Elle se trouvait loin de l'estrade. Elle s'était glissée parmi les derniers rangs du fond, juste à côté de Takumi, et avait une vision sur l'ensemble du toit. Elle fut ainsi, l'une des premières à apercevoir le ninja copieur faire irruption sur la terrasse et se frayer un chemin parmi la foule. Elle fronça les sourcils, le gratifiant au passage d'un regard mauvais. Un profond sentiment d'amertume lui brûla la gorge. Elle secoua la tête et se concentra sur un point invisible au loin devant elle. Le menton levé, droit et fier, elle s'efforça d'afficher une expression neutre avant que Kakashi ne sente la brûlure de ses prunelles inquisitrices sur lui, et ne tourne la tête dans sa direction.
Ils ne s'étaient pas reparlé depuis leur dernière altercation. La jeune femme avait mis un point d'honneur à l'éviter et il se trouvait que, jusqu'à présent, elle avait été particulièrement douée à cet exercice. Mais plus le temps passait, plus le ressentiment s'intensifiait. Elle lui en voulait. Elle lui en voulait d'avoir menti à Naruto - et de continuer à le faire - mais plus que tout, elle s'en voulait à elle d'avoir eu la bêtise de croire qu'il était différent des autres. Elle savait pourtant qu'elle n'était pas légitime, que cette histoire ne la concernait pas - pas directement en tout cas - mais c'était plus fort qu'elle. Cela avait pris une tournure personnelle. Elle avait l'impression que si elle ne s'interposait pas, si elle ne prenait pas la défense de Naruto, personne d'autre ne le ferait. Elle savait aussi qu'elle se trompait de cible et qu'elle reportait sa colère sur la mauvaise personne, mais maintenant que le maître Hokage n'était plus, il ne restait plus que lui et les membres du conseil à blâmer. Kakashi essuyait les plâtres et ne semblait pas particulièrement gêné de la situation.
Un léger coup de coude contre ses côtes lui fit perdre le fil de ses pensées et la ramena à la réalité. Elle se tourna vers le responsable. Takumi la regardait, une expression indéchiffrable peinte sur les traits de son visage. Elle haussa un sourcil interrogateur et il ouvrit la bouche pour parler, mais se ravisa aussitôt. À la place, il indiqua d'un signe de tête la file de ninjas qui commençait à se former au centre du rassemblement. Elle était au bout de leur rangée, c'était donc à elle d'ouvrir la marche pour entraîner les autres dans son sillage. Ultia se mit en mouvement, prit une fleur blanche posée sur une des tables à proximité, et attendit patiemment son tour. Elle déposa solennellement son offrande devant le portrait du vieil homme, recula de quelques pas et resta immobile un court instant, les yeux baissés et les mains jointes devant elle, avant de tourner les talons. Elle remonta alors la procession en sens inverse et, sans un regard en arrière, quitta le toit. La cérémonie touchait à sa fin. Il ne servait à rien qu'elle reste plus longtemps, elle n'en ressentait pas le besoin et de toute façon, elle avait des choses plus urgentes à faire.
« Comment est-ce que tu te sens ? »
Naruto haussa les épaules pour toute réponse. Elle l'observa du coin de l'œil. Un large pansement barrait son front et sa joue gauche, ses blessures mettraient un peu de temps à cicatriser complètement, mais il allait bien. Il avait débarqué chez elle au petit matin et elle avait tout de suite compris ce qu'il voulait. Elle aurait menti si elle avait dit ne pas s'attendre à sa visite, au contraire, elle était même surprise qu'il ait attendu aussi longtemps avant de venir la confronter. Ultia l'avait donc entrainé loin des oreilles indiscrètes, en plein cœur de la forêt extérieur qui bordait les alentours du village, alors que le jour se levait à peine.
« J'imagine que tu dois avoir un tas de questions, reprit-elle doucement.
_ Ultia-san, vous venez de Kumo n'est-ce pas ? Vous y êtes nées et vous y avez grandi avant de venir vivre ici, à Konoha ? »
Elle acquiesça silencieusement, ne comprenant pas où il voulait en venir. Il savait déjà tout ça, elle ne l'avait jamais caché. A lui ou à qui que ce soit.
« Lors de mon combat contre Neji, il m'a raconté l'histoire de son père. Il m'a dit comment il est mort, pourquoi il a dû se sacrifier pour protéger son clan. Il m'a dit que le village de Kumo avait envoyé une délégation pour signer des accords de paix et qu'au final, ce n'était qu'une ruse pour kidnapper Hinata. »
Elle soupira bruyamment.
« C'est vrai. Ce que t'a dit Neji est vrai. C'est à la suite de cet incident diplomatique que les transferts entre nos deux villages ont été mis en place, pour renforcer l'alliance entre le Pays du Feu et le Pays de la Foudre, elle marqua une pause et grimaça. Ces transferts ne sont qu'une vaste blague. Ils permettent juste à Konoha de s'assurer que Kumo ne tentera rien contre eux tant qu'ils auront des ressortissants étrangers sous leurs coupes. Ils servent d'otage, rien de plus, même si la plupart se portent volontaires pour venir ici. Ils viennent en connaissance en cause et ne restent jamais très longtemps. »
Elle se tourna vers le blondinet.
« Il faut que tu saches que Kumo a toujours eu recours à des pratiques plus que … Douteuses. Tous les moyens étaient bons pour mettre la main sur les techniques secrètes des autres villages, même ceux avec qui ils sont alliés. Ils ne pensent qu'à leurs propres intérêts, le reste est secondaire.
_ C'est pour ça que vous êtes parti ?
_ En partie oui. J'ai mis du temps à me rendre compte qu'ils n'avaient aucune considération pour nous. Ils ne nous voyaient que comme des armes, pas des êtres humains. Mais c'est quand je suis devenue la jinchûriki de Matatabi que j'ai vraiment pris la décision de partir. Je ne voulais pas qu'ils mettent la main sur elle, qu'ils me gardent enfermer et m'utilisent au grès de leurs envies, elle cracha presque ses derniers mots. Ça a mis du temps, mais j'ai réussi à le faire sans éveiller leurs soupçons.
_ Comment c'est ?
_ De vivre à Kumo ? s'étonna-t-elle. Et bien c'est-
_ Non. Comment c'est d'être un jinchûriki ? » rectifia-t-il.
Ultia le regarda avant de lui donner un faible coup d'épaule.
« Tu en es un. Tu devrais le savoir. »
Puis elle se racla la gorge et reprit, plus doucement :
« C'est … Cela dépend de la relation que tu as avec ton démon. Je sais que tous les jinchûrikis ne s'entendent pas avec leurs bijûs et ne les contrôlent pas. Certains ne sont que des réceptacles, des prisons humaines qui les empêchent de parcourir librement ce monde. Mais pour les autres, ceux qui comme moi contrôlent leurs démons, c'est … C'est au-delà de tout, un sourire vint illuminer les traits de son visage. Tu as quelqu'un sur qui tu peux compter, dans les bons comme dans les mauvais moments. Tu as une épaule sur laquelle te reposer, sur laquelle t'appuyer en cas de besoin. Tu n'es plus seul. Vous êtes deux et ça, ça fait toute la différence. »
Elle vit une faible lueur briller dans les yeux de Naruto.
« Tu l'as déjà vu ? Kyûbi ? »
Il hocha la tête. Elle s'en était douté, ce n'était pas une surprise.
« Est-ce que …, commença timidement le garçon. Est-ce que … Quand vous voyez votre démon, est-ce que lui aussi est enfermé derrière une grille ?
_ Comment ça ? elle fronça les sourcils.
_ Lorsque je vois Kyûbi, il est enfermé derrière une grille scellée par un parchemin. Il fait froid et humide. Il y a de l'eau par terre et c'est comme si on était dans les ruines d'un bâtiment, d'un laboratoire ou quelque chose du genre. C'est pareil pour vous ?
_ Non. Lorsque je parle avec Matatabi, lorsque je suis en symbiose avec elle, il n'y a rien autour de nous, juste le vide. Tout est noir, et la seule source de lumière est celle produite par les flammes de son pelage. C'est réconfortant, apaisant. Je me sens bien quand je parle avec elle. Mais non, il n'y a pas de grilles, pas de sceaux. Je pense que c'est parce qu'elle et moi ne faisons qu'un. »
Naruto sembla méditer ses paroles un instant.
« Tu pourrais peut-être y arriver un jour, toi aussi. À contrôler ton démon, précisa la jeune femme. Mon cas est différent du tien car c'est moi qui ai scellé Matatabi, et elle était évidemment consentante. Elle s'est laissé faire et elle me laisse utiliser son chakra sans rien demander en échange, mais je sais que c'est possible. Mon ancien maître était aussi un jinchûriki, celui du démon à huit queues, et il le contrôlait parfaitement, peut-être même plus que moi. »
Le blondinet haussa un sourcil, surpris et intrigué par ses paroles.
« Mais c'est sans doute parce qu'il est un jinchûriki depuis plus longtemps que moi, il a plus d'expérience,expliqua-t-elle.
_ Je ne sais pas si je serais un jour capable de contrôler Kyûbi. » marmonna Naruto entre ses dents.
Ultia se força à ravaler le soupir qu'elle allait laisser s'échapper d'entre ses lèvres.
« Ça prendra du temps, il faudra que tu t'entraînes. Mais on peut déjà essayer quelque chose si tu veux. »
Elle se positionna face à lui et plaça ses doigts autour de son crâne.
« Détend toi et cale ta respiration sur la mienne. Fais le vide dans ton esprit, ferme les yeux et visualise ton démon. »
Elle attendit que Naruto ait fait tout ce qu'elle lui avait demandé avant de poser son front contre le sien. Elle prit une profonde inspiration et retint son souffle.
Il fait sombre et froid. Le noir complet les enveloppe puis, progressivement, une faible lueur apparaît au loin et éclaire l'eau aux reflets jaunâtre. Une figure féline à l'allure fantomatique, dont les contours flous ondulent au rythme de ses pas, avance lentement. Le renard en face fronce les narines et lève la tête. Il retrousse ses babines, dévoilant ses crocs, lorsque l'intruse ne se trouve plus qu'à quelques mètres devant lui.
« Alors c'est toi le démon de cette petite prétentieuse ? J'aurais dû m'en douter … Matatabi. »
Il grogne son nom. Le mépris transparaît dans sa voix.
« Ça fait longtemps, mon cher Kura-
_ Ne m'appelle pas comme ça ! siffle-t-il, menaçant.
_ Comment tu voudras. » concède-t-elle enfin, après un temps d'hésitation.
Le démon chat balaye la salle de son regard vairon, avant de renifler avec dédain.
« C'est une bien vilaine prison que tu as là.
_ Comme si je l'avais choisi.
_ Tu pourrais faire en sorte que cela soit moins pénible.
_ Je t'arrête tout de suite, tu peux m'épargner ta salive et tes jolis mots. Ça ne marchera pas avec moi. Jamais je ne laisserais ce gamin contrôler une once de ma puissance. Tu as peut-être envie de faire amis-amis avec ces humains, de te laisser dominer, mais ce n'est pas le cas de tout le monde. »
Matatabi ne dit rien pendant un moment. Elle observe en silence son interlocuteur, assise sur la surface de l'eau, ses deux queues fouettant l'air à un rythme souple et régulier. Elle laisse finalement échapper un petit rire faux qui résonne contre les murs décrépis de la pièce.
« Regarde-toi. Regarde ce que tu es devenu. Qui de nous deux est le plus à plaindre selon toi ? Celle qui, parce qu'elle a accordé sa confiance aux humains, se voit contrainte de vivre à leur dépens ou celui qui est coincé dans une cage à peine plus grande que lui ? Que diraient les autres à ton avis ? Je les entends d'ici : le puissant démon-renard réduit au silence, scellé dans le corps d'un gamin de douze ans … C'est presque risible. »
Kyûbi bouge dans sa cage. Son souffle est devenu une succession de grognement terrifiant. Il pose ses yeux rouges injectés de sang, dont la pupille n'est plus qu'une fente noire à peine visible, sur la silhouette du chat démon. Il se jette alors avec force contre les barreaux, faisant trembler les murs et le plafond.
« Dehors. Sors d'ici le chat ! »
Ultia sursauta. Elle eut un mouvement de recul, comme si elle avait failli se faire mordre par un animal, et ouvrit brusquement les yeux, relâchant sa prise sur le jeune garçon. Ce dernier ouvrit un œil, puis un deuxième.
« Alors ? Il s'est passé quelque chose ? Vous avez vu quelque chose ? demanda-t-il timidement.
_ Il a repoussé Matatabi … elle pinça ses lèvres, songeuse. Il n'a pas l'air très amical, ni très bavard.
_ Il est surtout très susceptible. Une vraie tête de cochon dans le corps d'un renard. rajouta Matatabi, sardonique.
_ Je me demandais …. » reprit Naruto.
Elle reporta son attention sur lui, ignorant les remarques acides de son démon. Elle n'avait pas encore connaissance des détails de son entrevue avec le renard. Elle ignorait ce qu'ils avaient pu se dire ou non, mais vu la réaction de Matatabi, elle devina que celle-ci était restée sur sa faim. Elle n'avait pas apprécié de se faire renvoyer sans autre forme de procès. Ultia retint un soupir et encouragea le blondinet à poser sa question.
« Est-ce que le nombre de queues a une incidence sur la puissance des bijûs ?
_ Cela dépend, chacun à son avis sur la question. En théorie oui, le démon à six queues est plus puissant que le démon à cinq queues, qui lui-même est plus puissant que celui à quatre queues, et cetera … Mais dans la pratique, c'est un peu différent. Le nombre de queues n'est pas synonyme de puissance, enfin pas dans le sens où tu l'entends. C'est un indicateur sur la quantité de chakras dont dispose les démons. Matatabi a plus de chakras que Shukaku par exemple et, du coup, Kyûbi a plus de chakras que tous les autres. Mais tu peux avoir moins de chakra et quand même en sortir vainqueur. Tout dépend de qui est ton adversaire et quelles techniques il utilise. Même les bijûs ne peuvent pas aller à l'encontre des natures élémentaires de chakra. Le katon sera toujours plus puissant que le doton, mais moins que le suiton. Ce n'est pas une science exacte de toute façon et … elle balaya ses propos d'un geste de la main. Il y a peu d'écrits sur les démons. Chaque village garde précieusement ces informations-là secrètes. »
Elle se leva et épousseta la poussière sur ses vêtements avant de tendre une main au garçon.
« Quand est-ce que je pourrais commencer à m'entraîner ? demanda-t-il en se redressant.
_ Pas tout de suite, j'en ai peur. On va devoir attendre que les choses se tassent un peu au village, mais ne t'inquiètes pas, ça arrivera plus vite que tu ne le penses, elle pressa son épaule gauche. Et quand le moment sera venu, je serai là pour t'aider. »
La jeune femme ponctua sa phrase par un clin d'œil.
« Ça te dit un bol de nouilles de chez Ichiraku ? Je t'invite. »
