Le soir suivant, vêtue de son plus beau kimono, parfaitement fardée et coiffée, Otsu croisait les doigts pour qu'Arbeit arrive et la réclame. Et peu importe ce qu'il lui demanderait, la jeune femme était prête à tout pour garder son emploi. Même à voir le petit instrument du gros bonhomme. Son vœux fût certainement entendu, car une paire de souliers noirs au vernis brillant s'arrêta bientôt devant elle.

« Quel plaisir de vous revoir jeune dame Otsu ! Dame Yukari, je chéris le retour de votre petite recrue, j'étais si déçu de ne pas la voir hier ! Venez mon amie, j'ai très envie d'un bon verre. Besoin même ! »

Son client commanda du vin rouge, et la jeune femme retint un sourire en repensant à leur échange sur cette boisson très sympathique, seulement en bouche. Arbeit avait retiré son veston et s'éventait d'une main en déboutonnant sa chemise blanche.

Délicatement, Otsu déboucha la bouteille et la pencha avec précaution au dessus du verre de son client, quand un cri d'Arbeit lui fit relever la tête, au même moment qu'une violente douleur frappait sa cuisse dans un bruit mat. Quelque chose avait tremblé, grondé. Dans un soubresaut, la bouteille et son précieux liquide dévièrent de leur trajectoire, et le vin rouge, trop rouge se répandit sur la table, sur le tapis, sur le pantalon d'Arbeit, sur la chemise d'Arbeit, et sur un pan de son kimono. Son si précieux, si coûteux kimono.

Que s'était-il passé ?

Otsu tremblait de tous ses membres, les yeux grands ouverts, brillants, contemplant le carnage dont elle était la cause.

« Mon amie, vous n'avez rien ? »

La voix d'Arbeit lui parvenait, comme étouffée, assourdie. Elle le contemplait sans comprendre.

« Allons Otsu, vous êtes vous fais mal ? Vous avez trébuché sur votre habit et vous vous êtes cogné contre la table. Etes vous blessée ? Dites quelque chose ma chère, votre mutisme m'inquiète. »

Trébuché sur son kimono...

Cogné contre la table...

Et le vin...

Otsu, rouge de honte, la bouche entrouverte, cherchait de l'air. Dans le salon, le silence était tombé comme une chappe de plomb. Il l'entoura, la recouvrit, s'insinua dans tous ses muscles, l'étouffa. Elle n'arrivait plus à respirer. Le rouge lui monta aux joues, un rouge si chaud que des gouttes de sueur perlèrent à la naissance de ses cheveux, et une vague glacée remonta le long de son échine. Elle souhait plus que tout disparaître, s'enfuir du salon de thé. Combien ces dégâts allaient bien pouvoir lui coûter ? Comment pourrait-elle embourser des sommes si importantes, alors qu'un si grave incident ne pourrait mener qu'à son renvoi ?

Le temps, qui s'était arrêté un instant, comme pour contempler sa débâcle, reprit son cours, et d'un bond, Dame Yukari fut sur elle, fut sur la bouteille qu'elle saisit d'une main, l'autre tenant un chiffon qu'elle pressa sur les vêtements d'Arbeit en se répandant en excuses. Mais ses yeux, lorsqu'elle les porta sur Otsu, débordaient de colère et de mépris. Autour d'eux, les conversations reprirent, timidement d'abord, puis, grâce aux filles de l'Oeillet, l'humeur se fit plus enjouée, et l'accident oublié. C'était arrivé à quelqu'un d'autre, alors tous passèrent à autre chose, ravis du spectacle, de la déchéance d'autrui, mais déjà lassés. De la musique étouffa les dernièrs rires hautains, et une danse accapara bientôt les esprits, à l'autre bout du salon, loin de la catastrophe.

Pour Otsu pourtant, le calvaire commençait à peine. Arbeit et Dame Yukari avaient disparûs dans une alcôve, et son sort n'était pas encore tout à fait scellé. Longtemps, elle attendit. Ou seulement quelques minutes, comment savoir ? Elle n'eut conscience que de ses dents qui mordaient ses lèvres, ses doigts qui creuvaient la peau de ses paumes, la boule qui pesait lourdement dans son estomac, la bile qui lui remontait dans la gorge... Quand Dame Yukari revint, pourtant, ses traits affichaient un air fatigué, mais paisible, dénué de colère. Sa voix tomba, non comme un couperet, mais comme chute la neige en hiver.

« Il veut te voir. »

La jeune femme hocha la tête et se releva, sans savoir comment ses jambes tremblantes pouvaient encore la porter. Elle se dirigea vers le petit salon privé. Il était juste à côté, mais tous ses petits pas l'éloignaient au lieu de la rapprocher. L'Etage Privé avait-il toujours été si grand ? Elle arriva pourtant devant la porte coulissante en papier derrière laquelle se cachait Arbeit, bien plus vite que son cerveau oppressé ne le lui fit croire. Otsu entra, referma derrière elle et s'accroupit devant son client, le front au sol, avant d'entamer une litanie d'excuses.

« Voyons mon amie, calmez vous, ce n'est rien, vraiment. Arbeit lui tapota la tête gentiment, d'une voix douce et pleine de sympathie. Un simple accident, fâcheux, et tâcheux même, comme vous dites, mais rien de grave. Certes le costume était neuf, mais quelle idée aussi de prendre du vin rouge, j'aurai dû écouter votre avertissement ! Il laissa échapper un rire qui raisonna amèrement aux oreilles d'Otsu. Ecoutez moi maintenant. Dame Yukari était très mécontente de vous, elle craignait de me voir offensé par votre maladresse, que je ne revienne plus jamais dans son merveilleux établissement, mais rien de tout cela ne m'a traversé. Pour preuve, je lui ai affirmé que je comptais vous prendre comme favorite. » Arbeit se tût, et, les doigts sur le menton de la jeune femme, lui releva doucement la tête, cherchant son regard.

« Sachez que je vais également rembourser votre sublime vêtement. Oui mon amie, vous m'avez comprise. Je sais tout de votre situation, il est temps d'y remédier. Vous m'êtes très sympathique vous savez, je tiens à continuer de vous fréquenter, et de m'amuser avec vous, surtout quand mes journées sont aussi désastreuses qu'aujourd'hui. Enfin, à vrai dire, cela fait bien trop longtemps que je vis un cauchemar, alors je peux vous assurer que vous perdre aurait été la goutte de trop, si vous me passez l'expression. »

Arbeit poussa un profond soupir, les yeux dans le vague. Otsu l'observa, vraiment, pour la première fois. Il n'était plus tout jeune, et son air débonnaire avait totalement disparût, remplacé par la fatigue et l'inquiétude. Avait-il maigrit ? Mais malgré tout, il venait de sauver son emploi, de réparer l'accident du kimono et d'assurer sa place au salon de thé. Comment pourrait-elle un jour le remercier suffisamment ? En acceptant d'aller plus loin que de simples discussions, évidemment...

« Mon ami, je vous suis sincèrement reconnaissante pour votre offre. Si vous saviez à quel point cela compte pour moi ! Et je vous apprécie aussi beaucoup, alors vous savoir ainsi tourmenté me peine. Puis-je faire quelque chose pour vous, pour vous rendre seulement un peu de ce que vous venez de faire pour moi ? »

Arbeit releva la tête, et la regarda longuement, pensif. Il lissa ses cheveux bruns en arrière, caressa sa moustache, puis lui prit les mains.

« Oui, peut-être bien... Je pense que vous pouvez m'aider. »

Le vieil homme la regardait droit dans les yeux, le visage grave.

Otsu n'aimait pas la sensation de la peau sèche et ridée d'Arbeit sur ses mains, mais elle n'osa pas les retirer. Il avait une sacré poigne.

« Et pas seulement moi en vérité, reprit-il en baissant un peu plus la voix, sur un ton de conspirateur, mais pour mon entreprise et tous mes employés. Je ne rentrerai pas dans les détails, mais quelqu'un nuit grandement à mes affaires en ce moment, et si ses projets aboutissent, je vais perdre une grande partie de tout mon travail, le fruit d'une vie... »

Les yeux d'Arbeit brillèrent, et il baissa la tête pour cacher son désarroi. Quand l'émotion lui passa, il se redressa d'un geste vif.

« Mais pour moi, ce ne sera pas si grave, j'ai eu le temps de constituer un pécule qui nous mettra, avec ma famille, hors du danger. Malheureusement, ce n'est pas le cas des pauvres gens qui travaillent pour moi ! Les mains d'Arbeit serrèrent plus fort encore celle de la serveuse, qui se crispa sous la douleur. Je devrai être en mesure de contrer ce petit arriviste dans les jours qui viennent, mais j'ai peur qu'il me prenne de vitesse. Alors, il m'ait venu une idée qui devrait l'empêcher de mettre ses projets à exécution, le temps qu'il me faut pour mettre mes affaires en sécurité. Il ne pourra plus rien me faire ensuite. Je n'ai besoin que de quelques jours... Otsu, acceptez-vous de me rendre service ? »

La jeune femme sentait bien que cette requête là n'était pas anodine, mais comment refuser alors qu'il venait se sauver son emploi, et plus encore ? Elle se contenta de hocher la tête. Arbeit lâcha enfin ses mains endolories et reprit, les yeux pleins d'espoirs.

« Ce qu'il me faut, c'est qu'il soit malade quelques jours, qu'il se tienne loin de moi, de mon entreprise et de tous ceux qui y travaillent. Pour se faire, j'ai obtenu ceci. »

Arbeit sortit d'une poche intérieure de son veston deux sachets triangulaires en papier.

« Il s'agit d'une poudre légèrement toxique. Ce n'est pas dangereux. Il me manquait une solution pour lui faire avaler, mais grâce à vous Otsu, nos problèmes vont disparaître. Je sais de source sûre qu'il va se rendre dans votre établissement demain soir, en compagnie d'un de mes amis. Je lui donnerai votre nom, et vous n'aurez plus qu'à verser les deux sachets dans son verre. Nous serons ainsi tiré d'affaire. Et de votre côté, surtout pas d'inquiétude. La poudre n'est pas létale, il ne sera que malade, juste assez pour rester alité, et me laisser toute latitude pour sauver mes affaires. Alors mon amie, pouvons-nous compter sur vous ? »

Otsu ne sut quoi répondre. Travailler à l'Oeillet, c'était un choix qu'elle avait fait. Savoir qu'un jour, elle serait payée pour écarter les cuisses, elle l'acceptait très bien. Mais il s'agissait là d'un crime bien différent d'une banale affaire de prostitution. Un empoisonnement, même non mortel, c'était un acte grave, très grave même... Que se passerait-il si cet homme réagissait bien plus fortement aux poudres qu'Arbeit le pensait ?

Depuis son arrivée au salon de thé, Otsu avait ouvert les yeux sur le monde inconnu des riches et des puissants de la capitale. Leurs plaisirs n'étaient pas de toujours de bon goûts, souvent contraire à la loi, et parfois, certaines conversations glanées par ci par là lui avaient franchement fais froid dans le dos.

Mais là, c'était différent. Si elle acceptait la proposition d'Arbeit, elle ne serait plus seulement témoin des vices de ses clients. Elle en deviendrait complice. Et elle risquerait bien plus cher que ce riche commerçant de Stohess.

Arbeit sentit ses troubles. Il rangea les sachets de poudre dans sa poche et rajusta son costume.

« Ecoutez mon enfant, si vous ne voulez pas faire cela pour moi, je comprendrais, mais je n'aurai pas le choix que de demander à une autre fille. Pourtant, j'aimerai vraiment que ce soit vous. Je vous apprécie bien plus que les autres, comme vous avez dû le remarquer. Vous êtes une amie pour moi. Vous en savez bien plus que vos collègues, et même plus que les miens...

- Je... Je ne sais pas mon ami... Votre confiance en moi me touche...

- Oui, vous avez toute ma confiance. Je pensais qu'avec ce qui s'est passé ce soir, vous auriez compris que vous étiez plus pour moi qu'une simple serveuse... Et j'espérais être plus pour vous qu'un simple riche client... »

Était-il en train de lui faire du chantage, cherchait-il à jouer sur ses émotions, sur sa reconnaissance ?! Otsu ne pouvait pas en être certaine, ses propos étaient ambigus, mais ils pouvaient aussi être sincères. Arbeit soupira, laissa ses bras pendre sur ses jambes, le dos courbé. Il semblait si fatigué...

« Bon, voilà ce que je vous propose. Je vous laisse ceci. Si demain soir, après avoir réfléchi, vous acceptez de me rendre ce service, vous savez ce que vous avez à faire. L'homme est grand, carré, et c'est un blond aux yeux bleus. Si vous préférez ne pas vous mêler de mes affaires, je comprendrais, et je récupérerai ceci le soir suivant. Ce compromis est-il acceptable ? »

- Oui. Oui je crois. »

Non, Otsu ne le croyait pas, mais elle ignorait comment refuser, et quelle serait la réaction du vieil homme dans ce cas. Il pourrait revenir sur toutes les largesses accordées au cours de la soirée.

Le reste de la nuit passa comme un brouillard. Otsu resta avec Monsieur Arbeit, et ils ne burent que tu thé. Elle chanta, dansa, ria à ses plaisanteries, mais son esprit était ailleurs.

Quand elle fut enfin de retour dans sa chambre, seule au milieu d'un silence paisible, la jeune femme comprit alors que le choix qu'Arbeit lui laissait n'en était pas vraiment un. Elle avait du poison en sa possession, et si elle décidait de ne pas l'utiliser, le vieil homme pouvait très bien le lui faire payer...

Otsu s'éveilla, à peine quelques heures plus tard, encore plus épuisée que la veille. Un lourd poids pesait dans son estomac, son dos lui faisait mal et sa nuque était roide. La journée s'annonçait longue, et en même temps, Otsu savait que le temps allait passer beaucoup trop vite. Elle ne voulait pas être le soir. Elle ne voulait pas avoir à agir. Mais son inaction lui faisait encore plus peur.

Si Otsu n'accomplissait pas la requête d'Arbeit, que se passerait-il vraiment pour elle ? Il avait le pouvoir de la faire s'élever dans la hiérarchie de L'Oeillet. Il pouvait aussi la faire tomber... Peut-être qu'elle s'inquiétait pour rien, que le vieil homme comprendrait ses réticences, mais elle n'en était pas si certaine.

En vérité, Otsu s'en moquait un peu, de cette future victime sans visage. Arbeit avait dit que c'était seulement pour le rendre malade... Ce qui lui faisait peur, c'étaient les conséquences de son acte... Qu'elle se décide à agir ou non, les retombées pourraient être terribles pour elle, et pour l'Oeillet...Que se passerait-il si on décelait le poison chez la victime ? Ce ne serait pas difficile de remonter jusqu'au salon de thé et à ses pratiques illégales...

Agir, ne pas agir, dans les deux cas, les conséquences pouvaient être terribles.

Toutes ces questions tournèrent en boucle dans sa tête, tout au long de la journée. Otsu ne mangea rien, faillit renverser plusieurs tasses de thé, marcha sur les pieds d'Emi pendant leur entraînement de danse, et fut incapable de jouer correctement des morceaux qu'elle connaissait pourtant par cœur. Ses sœurs ne posèrent aucune question. La fatigue de la nuit se lisait sur son visage, et elles mirent son manque de concentration sur l'incident de la veille. Il y avait des hauts et des bas ici, ça lui passerait.

Le soir venu, Otsu glissa un des sachets dans une poche du kimono, à contre cœur. Il lui restait encore du temps pour se décider. Elle verrait ce qu'elle ferait, le moment venu.

Et le moment vint. Dans l'Etage Privé, Otsu entendit une voix chaude et grave mander sa présence à sa table. Il était grand et élégant, le crâne rasé, et faisait tourner une montre à gousset dans sa main. Il était seul encore, mais lui demanda de préparer trois tasses de thé noir, et de venir les servir lorsque ses deux invités seraient arrivés. Il serait impoli de commencer à boire sans eux, n'est-ce pas ?

Otsu se demanda si l'homme était dans la confidence, mais préféra ne pas penser à la réponse. Le moment était là, il était arrivé. Devant elle, devant ses yeux. Mcs trois tasses attendaient, toutes vides. Alors, Otsu se décida. Elle versa la moitié du sachet de poudre dans celle du milieu. L'eau bouillante attendait d'être servie. Lors qu'elle se retourna, elle vit deux hommes, un grand blond et un petit brun, s'installer face à son client. Voilà. C'était maintenant. Le point de non retour.

Otsu versa l'eau dans les tasses. Ses mains ne tremblaient pas, ses joues ne blêmirent, ni ne rougirent, alors qu'elle donnait à chacun la tasse qu'elle leur avait attribué. Celle du milieu, pour le blond. Elle entendit des "mercis", mais ils devaient venir de très loin. La jeune femme s'inclina, un petit sourire timide tirant ses lèvres. Elle entendit l'homme au crâne rasé lui parler. Elle s'entendit même lui répondre. Mais les mots, eux, ne devaient pas avoir le moindre sens. Et puis, discrètement, Otsu leva les yeux sur l'homme blond.

Et une vague de froid s'abattit sur elle. Quelque chose, dans son ventre, s'écrasa. Sa poitrine se serra. Et elle eut envie de vomir.

Cet homme, elle le connaissait. C'était le Major Smith. La jeune femme l'avait déjà vue, une fois, alors qu'il partait en exploration avec son bataillon. Et une autre fois, lors de sa formation. Pourquoi vouloir empoisonner le Major ? Cela n'avait aucun sens, il ne pouvait en aucun cas être un rival de Arbeit. S'était-elle trompé ? L'autre homme, le petit, elle l'avait déjà aperçu aussi, mais il ne correspondait pas du tout à la description de Arbeit.

Ses yeux circulèrent rapidement dans la salle, pour s'assurer qu'il n'y avait pas d'autres hommes qui auraient pu être ce grand blond aux yeux bleus. Mais non. Il ne pouvait y avoir une erreur. L'homme au crâne rasé l'avait spécifiquement appelé, comme Arbeit l'avait prévenu. Mais elle ne pouvait rien faire... Elle ne pouvait quand même pas lui arracher la tasse des mains...

« Hey. T'es sourde ou quoi ? »

Otsu releva la tête vers le brun en clignant des paupières. Il lui avait parlé, mais elle n'avait pas écouté. Elle ne l'avait pas même entendu.

« Pardonnez moi mon ami. Il y a trop de bruit, je n'ai pas compris ce que vous vouliez.

- J'ai dis : Ressers moi. Et pas de ça, pas de « mon ami »

Sa voix était dure. Sèche et glacée. Otsu crût perdre ses moyens, alors même qu'elle avait toutes les peines du monde à ne pas s'éparpiller dans le flot orageux de ses pensées, mais étrangement, le regard gris, à la fois morne et acéré du brun, la ramena au monde réel.

« Veuillez m'excuser. Voilà votre thé.

- Allons, allons, vous ignorez les coutumes du lieu, mais ici nous sommes tous de bons amis de ces dames, n'est ce pas charmante Otsu ?

- Absolument. Nous veillons à entretenir nos amitiés, et à en faire naître de nouvelles. Nous aimons tant votre compagnie.

- Et moi donc ! On m'a vanté vos qualités, mais cela ne vous rendez pas justice. Charmante enfant, daignez vous nous jouer un petit air de musique ? Cela pourrait plaire à mes invités.

- Volontiers, sourit le blond. »

Le brun resta silencieux, se contenta de boire son thé.

« Avec plaisir messieurs. »

Otsu se saisit de sa flûte, et commença à jouer un air tranquille. La musique, au moins, l'éloignerait de ses actes, ferait taire sa conscience et sa culpabilité. Elle joua longtemps, pendant que ses clients reprenaient leur conversation. Ils ne firent plus attention à elle autrement que pour lui demander de jouer encore, et Otsu se vit contrainte de répéter les mêmes airs, jusqu'à leur départ.

« Alors, qu'avez vous pensé du lieu ? Nous reviendrons demain, je pense réserver cette jeune fille pour les jours qui vont suivre.

- Agréable oui. Mais il nous faudrait un endroit plus discret.

- Bien bien, je demanderai un salon privé alors. Et vous, qu'en avez-vous pensé ?

- Tch. Au moins le thé est bon. »

Otsu les regarda partir, la peur au ventre et une douleur dans le cœur. Elle avait froid, elle avait chaud, mais son corps ne trahissait aucun des troubles qui la rongeait.

Même une fois sur le toit, elle garda contenance. Mais son esprit ne restait pas inactif, et déjà, elle avait fomenté un plan pour réparer son erreur. Elle devait seulement continuer à faire bonne figure. Cette nuit là, ses sœurs étaient particulièrement excitées.

« Tout de même, quel bel homme !

- Les deux sont charmants... Avec l'un deux, je serai ravie de m'isoler dans une alcôve. Et gratuitement ! »

Elles riaient toutes joyeusement, et Otsu de concert. C'était sur ses deux clients qu'elles portaient leurs jacasseries. Mais la jeune femme aurait été incapable de dire si elle les avait réellement trouver séduisant. Elle avait été bien trop occupé à maîtriser sa terrible culpabilité et à ne pas la laisser transparaître.

« Alors Otsu, lequel as-tu préféré ? »

La jeune femme, complètement prise au dépourvu, ne sut que répondre. Mais les mots jaillirent d'eux même.

« Je ne sais pas du tout. Le brun avait quelque chose d'intimidant. Je n'étais pas très à l'aise au début, mais je crois que ça m'a poussé à faire encore mieux que d'habitude.

- Mais oui, t'en es bien sortit ! Je ne t'avais jamais entendu aussi bien jouer ! affirma Keiko.

- C'est vrai qu'il a un regard troublant, rebondit Hono d'une petite voix.

- Vous savez, malgré sa réputation, il paraît qu'il n'est pas très facile... Enfin, c'est ce qu'il se dit. Je ne devrai pas parler plus, renchérit Fuyu en se couvrant la bouche d'une main.

- Vous le connaissez ? »

Otsu, perplexe, se demandait comment ses compagnes pouvaient toutes connaître ces hommes. Le Major, ce n'était pas étonnant, mais l'autre ? Oui, elle l'avait déjà vu, il devait être à un poste important, mais tout de même, pour susciter autant d'émoi, ce ne devait pas être n'importe qui.

« Otsu, tu plaisantes ? Emi semblait tomber des nues.

- Ben, non. Je ne vois vraiment pas de qui il s'agit.»

Le silence s'installa lourdement sur le toit, avant que Keiko ne le trouble d'une dure sentence.

« C'est très bien si tu ne sais pas qui c'est. Nous, nous te dirons rien. Il faut préserver la précieuse identité de nos très chers clients et toutes ces conneries. Allez, allons au lit les filles. A demain. »

Otsu laissa échapper un bref rire. Inutile d'insister. Mais alors qu'elle s'apprêtait à regagner sa chambre, une petite main se posa sur son bras, et la voix d'Hono murmura à son oreille.

« C'est le caporal chef Livaï. »

L'information monta lentement au cerveau d'Otsu. D'abord, elle ne comprit pas. Comment cet homme, de petite taille et à l'air patibulaire, pouvait être celui que le peuple nommait ni plus ni moins « L'espoir de l'humanité » ?

Puis, ses yeux s'ouvrirent en grand, au fur et à mesure qu'elle comprenait que ce n'était pas une plaisanterie. Hono avait déjà disparue, et Otsu se glissa dans sa chambre en mesurant l'information. Elle avait servit du thé à cet homme, le plus grand soldat que l'humanité ait connu... Heureusement qu'elle l'ignorait à ce moment là, où elle aurait été incapable de remplir son rôle, assurément !

Pour l'heure, c'est un autre rôle qu'elle devait assumer. La jeune femme se changea à nouveau, enfila ses habits normaux et cacha le poison dans une poche intérieure de sa veste. Elle était prête.


Et voilà ! On va dire que les présentations sont faites, je vous avais bien dis qu'il arriverait dans ce chapitre !

On va pas se mentir, ce fut bref, mais pas d'inquiétude, il revient dans le prochain chapitre, et les choses sérieuses ne vont pas tarder à commencer !

Otsu n'a aucune idée de ce que son acte va déclencher, la pauvre, elle y aurait probablement réfléchi à deux fois avant de mettre un pied à l'Oeillet !