Hello !
Je pensais sortir ce chapitre bien plus tôt, mais il m'a vraiment donné du fil à retordre !
Ce fut dur de l'écrire, probablement parce que c'est un peu un flash back, procédé narratif que j'utilise très très peu, mais aussi parce qu'on est plutôt dans une transition, avec un début de révélation qui j'espère titillera votre curiosité :)
Bonne lecture !
LilieMoonlightchild : et comme d'habitude, merci pour ta review ! Otsu n'a pas oublié cette histoire elle, je ne pense pas qu'elle soit très affecté par la mort du vieux ^^ Pour l'ascenseur, j'ai fais de mon mieux on va dire ^^ il semblerait que j'aime bien la mettre en danger cette petite Otsu.
Chapitre 23
Otsu détestait monter à cheval. Pas qu'elle avait peur, qu'elle était mauvaise cavalière ou quoi que ce soit. Elle ne supportait simplement pas d'exiger de ces pauvres bêtes une quelconque forme de soumission. Seulement, aujourd'hui, Otsu allait devoir s'asseoir sur ses principes en même temps que sur sa monture. Il lui fallait se rendre auprès d'Erwin Smith le plus vite possible.
Des vies en dépendaient.
Alors, quand, quelques jours plus tard, Smith, Livaï et Zoé la virent débouler dans leur QG, ils furent très certainement les plus surpris. Cela allait sans dire par ailleurs, puisqu'ils étaient bien les seules personnes dans le château à connaître l'existence d'Otsu, et son rôle pour le Bataillon.
« Otsu ? On ne vous attendait pas si tôt. Vous n'êtes partis qu'il y a deux semaines. J'en déduis que vous avez découvert quelque chose d'important.
- Important, oui. Vital même. J'ai tout consigné là dedans. »
Et d'un geste, la brune jeta une enveloppe pleine sur le bureau du Major et quitta le bureau sur un bref salut de la tête. Elle avait besoin d'une douche, et surtout de réfléchir à la suite des opérations.
L'eau chaude lui fit un bien fou. Un luxe qui lui avait cruellement manqué sur la route. Ses muscles se décontractèrent pour la première fois depuis des jours, et sa peau redevint blanche, débarrassée de toute la crasse qui la couvrait dès son premier jour dans l'usine Altonen. Même si elle avait eu la chance de profiter d'installations hygiéniques bien meilleures pendant sa mission, un seul pas en dehors de la salle bain suffisait à couvrir sa peau d'une fine couche de poussière. L'eau s'écoulait noire dans le siphon, noire et chargée d'amertume. Elle prit un plaisir immense à passer ses doigts dans ses cheveux, à les savonner, à les démêler, et à sentir bientôt leur douceur habituelle. Trois fois, Otsu se lava des orteils jusqu'au bout de ses pointes abîmées. Enfin, apaisée et délassée, la prostituée, enroulée dans une épaisse serviette blanche qu'elle avait volé au passage, regagna la chambre qu'on lui avait attribué avant son départ, et qui depuis était officieusement restée la sienne. La chambre ne comportait qu'un lit, une armoire grinçante et un vieux bureau accompagné d'une chaise plus qu'élimée.
Rudimentaire, mais suffisant, même si un peu déprimant. Elle avait goûté à tant de luxe dans l'usine...
Otsu rangea ces souvenirs agréables dans un coin de sa tête et se planta devant son armoire pour en sortir les seuls vêtements propres qui s'y trouvaient. Un pantalon blanc et une chemise assortie. Uniforme classique de l'armée. Elle s'apprêtait à se changer quand ses mains s'arrêtèrent sur la serviette. Son geste suspendu dans l'air, Otsu attendit.
Et la porte claqua. La jeune femme se retourna aussitôt pour découvrir le caporal dans l'embrasure, l'oeil noir. Otsu ne l'avait pas vu ainsi depuis cette nuit où elle était venu avertir le Major. Mais cette fois, aucune crainte ne la cloua sur place, et elle lui fit face, la tête haute et le regard acéré.
« C'est vrai ? »
Oh, bien sûr, Otsu eut envie de lui répondre que non, qu'elle s'ennuyait simplement sur la route, mais l'affaire était trop grave. Qui savait combien de soldats le caporal avait perdu à cause de cette histoire ? Alors Otsu, après un bref instant de silence, se contenta de hocher la tête. Livaï s'avança dans la chambre et la porte claqua encore derrière lui, pleine de colère.
« Vas-y, fais comme chez toi. »
Il posa sur elle son éternel regard las, et s'il détailla un instant sa tenue, il n'en laissa rien paraître. Otsu savait qu'il n'était pas là pour ça. Elle savait qu'il n'y avait rien à craindre du caporal. Pas sur ce point là, en tout cas. Pour autant, la prostituée n'allait certainement pas accepter son comportement. Resserrant sa serviette autour de sa poitrine, Otsu se campa fermement devant lui, une main sur la hanche.
« Au cas où tu ne l'aurai pas remarqué, je sors de la douche. Je ne vais pas tolérer de rester à moitié nue devant mon supérieur. C'est pas l'Oeillet ici, j'ai droit à un minimum de décence et de respect. Donc tu vas attendre dehors que je sois prête, et ensuite nous discuterons. »
Livaï resta muet, ses yeux d'aciers plantés dans les siens. Alors Otsu changea de tactique.
« Bien. Puisque tu le prends comme ça... Je te préviens, je n'ai aucune pudeur. On s'en débarrasse vite dans mon métier. Si tu tiens à rester là et à m'obliger à me changer devant toi, soit, je le ferai, ça ne me fait pas peur. Mais un homme intègre respecterait le principe d'intimité. »
De nouveau, le silence lui répondit. Otsu haussa un sourcil, prête à mettre sa menace à exécution. Alors, le caporal hocha la tête et sortit dans le couloir. La jeune femme poussa un profond soupir puis retira sa serviette et enfila ses vêtements en quelques minutes, sans songer un seul instant que le plus grand héros de l'humanité se trouvait à quelques mètres, juste derrière la porte. Non, elle n'y pensa pas une seconde même. Pas du tout. Rapidement habillée, Otsu rouvrit la porte, et fit signe au caporal d'entrer. Il s'installa sur la chaise de bureau, et Otsu sur son lit, prête à écouter, prête à parler. Mais ce fut le caporal qui prit la parole en premier.
« Tu m'en veux ? »
Ces quelques mots semblaient l'écorcher. Ce n'étaient pas des excuses, ce n'était pas réellement une question. Aucune once de culpabilité, à peine un bref intérêt. Et pourtant... Quand Livaï laissa échapper un lourd soupir, de fatigue et non d'ennui, Otsu comprit qu'il était tout pardonné, qu'à aucun moment, il ne s'était aperçu de son apparence. Parce qu'il ne faisait pas attention à ces choses là. La prostituée sentit qu'elle dénouait un nœud complexe, que peut-être, si elle arrivait au bout, elle pourrait comprendre un peu mieux cet homme si compliqué emmuré dans ce corps trop petit. Mais Livaï reprit la parole avant qu'elle n'ai pu venir à bout de ses pensées.
« C'était pas dans mon intention de te surprendre. J'ai pas remarqué que t' étais pas présentable.
- Ca ne serait pas arrivé si tu avais frappé à la porte.
- Et si tu étais resté avec nous pendant la lecture de ton rapport, tu ne crois pas qu'on se serait éviter quelques emmerdements ?
- C'est vrai. Mais vous étiez quand même capable de comprendre que j'avais besoin d'être propre avant de vous parler. Surtout toi. J'ai eu vent de ton dégoût pour la saleté. Dis toi que je ne voulais pas t'incommoder.
- Fort aimable. Comme tu es capable de comprendre que je n'allais pas prendre de gants alors que la vie de nos hommes est en danger. »
Un sourire naquit sur les lèvres d'Otsu. Un partout. Le jeu était fini, sans gagnant cette fois ci. Si elle était de mauvaise foi...
« Ton rapport manque encore de quelques précision. Pas étonnant pour quelqu'un qui n'a pas fini ces classes. Tu vas tout me raconter, en détail. Je veux l'entendre de ta bouche. »
La jeune femme soupira, mais entreprit de revenir sur son récit D'abord un peu intimidé par l'orage dans les yeux de Livaï, son impassibilité et son écoute attentive la rassurèrent bien vite. Elle passa sur son arrivée à la Cité Industrielle, les premiers jours, et même son intrusion dans le bureau Altonen, où elle avait découverte l'identité de l'héritier. Elle ne s'attarda pas plus sur son retour dans le dortoir des porteurs d'eau, plus aisé que l'ascension. C'était ce qui venait après qui intéressait Livaï.
Croiser la route de l'hériter Altonen n'eut rien de compliqué. En changeant simplement ses heures de travail, la rencontre s'avéra aisée. Evidemment, il lui fallut faire le pied de grue plusieurs jours avant d'enfin pouvoir le percuter accidentellement un matin, mais ce fut probablement la partie la plus simple de son plan.
Junior s'était arrêté net en voyant ce petit morceau de charbon sur jambes, ces yeux d'un brun autrefois chaleureux, ces cheveux noirs, nettement plus courts, cette bouche qu'un jour il avait connu rouge comme une cerise, cette peau qu'il avait vu blanche comme le clair de lune. La courtisane de l'Oeillet était méconnaissable, et pourtant, il reconnaissait tout d'elle. Sa pâleur aujourd'hui était celle d'un fantôme. Ses lèvres sèches, son regard éteint, elle n'avait plus la beauté d'une catin en kimono, mais celle, discrète et pourtant indéniable, d'une femme que plus rien ne peut atteindre.
Otsu n'était pas moins coite face à lui. Figée, la bouche entrouverte, les yeux béants, elle sentait à peine le fourmillement dans ses doigts, ses bras ballants le long de ses cuisses, inutiles et ridicules, et ses jambes soudainement flasques. Otsu n'avait rien à craindre de Junior, mais un instant, la brune oublia sa mission et ne sentit en elle que la catin, bien loin de chez elle, face à un client qu'un temps elle avait apprécié. C'était son proche passé qui se trouvait là devant ses yeux, après Arbeit, après le titan, c'était un morceau de sa vie, et sa mission. C'était Otsu la catin et Otsu l'espionne, et les deux peinaient à se partager un seul corps, un seul esprit.
Nigel Jr, droit, les mains dans les poches de son pantalon de flanelle, une chemise blanche et un veston ivoire, ne ressemblait en rien au jeune homme qui suivait son père partout. Ses cheveux gominés ramenés en arrière dégageaient son visage. Il n'avait plus cet air soumis, inquiet et coupable du Junior de l'Oeillet. Le poids qui l'écrasait autrefois c'était envolé, il se tenait maintenant en homme fier et libéré de son fardeau.
« Demoiselle Otsu... »
La prostituée lut ces mots sur les lèvres du jeune homme plus qu'elle ne les entendit, murmurés si bas et étouffés par les gargouillis quotidien de l'usine monstrueuse. Elle hocha la tête, un peu de peur dans les yeux et la bouche pincée.
Tout alla alors très vite. Nigel Jr lui prit la main et la mena vers l'ascenseur, celui qui avait faillit la tuer quelques jours plus tôt. Les gardes s'en écartèrent pour les laisser passer, non sans poser un regard étonné sur la misérable porteuse d'eau que leur patron emmenait avec lui. Déjà parce qu'elle n'était clairement pas de leur monde, et aussi parce que... Enfin... C'était une femme. Mis à part celles qui travaillaient avec lui, ils n'avaient probablement jamais vu l'héritier inviter une femme dans ses appartements.
Enfermée dans la cabine avec Junior, Otsu n'eut pas besoin de se forcer à croiser les bras sur son ventre et à se blottir dans un coin, la tête basse, un sourire contrit aux lèvres. Le silence lui vrillait les tympans, et son souffle semblait résonner bien trop fort dans la machine. Junior n'était pas plus à l'aise qu'elle, mais il occupait l'espace comme le faisait si bien les hommes, importants ou non. C'était si long, si pénible de monter jusqu'au dernier étage, et le silence s'insinuait jusque dans les poumons de la courtisane pour lui couper le souffle. Quand l'ascenseur s'arrêta enfin, et que ses portes s'ouvrirent, Otsu sentit une bourrasque d'air frais remplir la cabine et s'infiltrer dans sa gorge. Elle l'inspira puissamment, en fermant les yeux, et sentit ses muscles se relâcher.
« Venez Damoiselle, nous sommes chez moi, et je vous invite à faire comme chez vous. »
Un rire silencieux s'échappa des lèvres d'Otsu, qui haussa un sourcil.
« Enfin... Je veux dire... Mettez vous à l'aise. »
Cette fois, la prostituée ria franchement, sans se retenir, aussitôt détendue.
« Merci mon ami. Vous êtes si généreux... Vous n'avez pas idée comme ce geste me touche.
- Allons Damoiselle Otsu, c'est tout de même la moindre des choses. Et... Vous semblez avoir vraiment besoin d'un peu de gentillesse, n'est-ce pas ? »
Il fit très chaud subitement. Si chaud que la jeune femme sentit ses joues lui brûler. Les yeux baissés, elle répondit en hochant la tête.
« Eh bien, je vais probablement vous achever en vous proposant de rester ici. Si vous avez des effets personnels dans votre dortoir, vous pourrez aller les récupérer, je vais prévenir les gardes de vous laisser aller et venir. Il y a une salle de bain au bout de ce couloir, et une chambre libre pour les invités de l'autre côté. Je souhaite sincèrement vous avoir ici, c'est bien la moindre des choses que je puisse faire pour vous.
- Mais... Enfin, c'est beaucoup trop, je ne peux pas accepter. »
Elle ne pouvait pas non, mais comme elle en avait envie !
« Si, vraiment, j'insiste Demoiselle Otsu. C'est un bonheur pour moi de vous avoir ici. Et une surprise totale aussi... Je dois retourner en bas, mais quand je reviendrai, il faudra que nous discutions. Je n'en reviens pas de vous voir, comment diable êtes vous arrivé dans la cité industrielle... J'ai très hâte d'écouter votre histoire, mais je dois absolument redescendre... Ma curiosité patientera donc ! A ce soir Demoiselle, et encore une fois, faites comme chez vous. »
Une fois Altonen disparu, Otsu se laissa tomber sur le canapé, le fameux canapé si froid et orgueilleux qui l'avait amusé lors de son escapade nocturne. Et à peine sa tête toucha t'elle le dossier que la prostituée s'endormit.
Le soleil était au zénith quand Otsu émergea, un peu vaseuse. Du moins, elle le supposa à la lueur blafarde qui perçait douloureusement l'épaisse purée de pois, flottante au dessus de la cité industrielle. Otsu s'étira longuement devant les baies vitrées du bureau, jaugeant le paysage bien morne. Les silhouettes acérées des autres usines se devinaient à travers le brouillard, squelettes de monstres depuis longtemps oubliés. Oubliés, comme l'humanité qui naissait derrière ces murs et y crevait. Pas beaucoup de perspectives d'avenir pour ceux qui voyaient le jour dans la cité industrielle. Leur seul moyen de s'extirper de la fureur des machines, c'était de rejoindre l'armée. Pas sûr d'y gagner au change songea Otsu avec morne.
C'est bien parce que toi t'as le choix. Tu penserais autrement, si t'étais pas bordée de privilèges.
Encore sa voix. Otsu ferma les yeux et posa le front sur la vitre. Tais toi donc petit caporal. Tais toi donc, même si tu as raison.
Otsu en avait des privilèges. Mais elle les avait gagné, elle les avait mérité, à force de se battre contre tout ce qui barrait sa route.
En fait, elle n'avait pas encore fini de se battre. Mais elle savait qu'à la fin, elle retrouverait le ciel bleu. Bleu, immense, enfermé à l'intérieur de murs tout aussi immense. Il lui manquait, ce ciel bleu, ces nuages cotonneux, ce vent frais qui caressait sa peau chaque jour. Quand elle n'était pas enfermé dans un salon de thé puant l'alcool. Hm. Sa liberté était quand même bien fragile. Se détournant de la baie vitrée, Otsu redescendit dans le dortoir des porteurs d'eau pour y récupérer ses très maigres possessions. Maigres possessions qu'Otsu lâcha soudainement en ouvrant la porte de ses nouveaux quartiers.
Elle n'allait pas se mentir, Otsu n'avait jamais vu une chambre aussi grande, et juste pour elle en plus.
A Shiganshina, l'endroit où elle dormait consistait en un simple matelas, petit, posé par terre à même le sol, dans ce qui avait sûrement été pensé comme un placard à balai, quand leur maison avait été construite. La chambre parentale n'était d'ailleurs pas beaucoup plus grande d'après ses souvenirs. Et ensuite, à l'orphelinat et à l'armée, les jeunes dormaient dans des dortoirs. Elle s'était payé des chambres dans des auberges en quittant le centre militaire, mais son budget était serré, et n'avait clairement pas les moyens de se payer autre chose que de se payer des taudis. Quand elle ne choisissait tout simplement pas de dormir sur les routes.
Quand à l'Oeillet, Otsu y avait certes sa propre chambre, tout à fait confortable, mais tout de même, rien, vraiment rien de comparable avec la suite qu'Altonen lui offrait. Tout l'Etage Privé aurait pu tenir dans cette pièce, couverte d'une moquette blanche et si moelleuse que la jeune femme retira immédiatement ses chaussures et ses chaussettes pour y plonger les orteils. C'était aussi agréable qu'elle l'avait imaginé. Et le lit... Le lit... Si grand qu'elle et ses sœurs pourraient y tenir toutes entières. Un lit comme ça, ça réveillait son imagination. Elles se seraient bien amusés, avec Keiko, là dedans. Altonen, à priori, n'était pas intéressé par les femmes, peu de chance qu'il vienne la rejoindre la nuit. Donc Otsu avait cet immense espace duveteux rien que pour elle. Pour un peu, elle pourrait presque s'y sentir seule, si elle n'était pas si ravie de ce revirement.
Tout de même, tant de luxe, après tout ce qu'elle avait vécu, c'était à peine croyable, et un juste retour des choses, non ?
En face d'elle, dans la petite chambre du QG militaire, Livaï haussa les sourcils. Il l'écoutait sans interruption depuis le début, mais de toute évidence, l'entendre détailler toute l'opulence dont elle avait profité pendant son séjour l'intéressait peu. Il s'apprêtait d'ailleurs à ouvrir la bouche quand Otsu se ressaisit.
« Pardon, je digresse. »
Elle reprit donc son récit, savourant une dernière fois le goût de ces souvenirs si agréables. Et celui d'avoir un peu nargué le héros en face d'elle, même si ce n'était que dans sa tête.
Après avoir prit un très long bain bien chaud, autant pour s'occuper que pour enfin se décrasser, Otsu avait attendu le retour d'Altonen en furetant et cherchant sans trop savoir ce qu'elle cherchait. Et puis Junior était revenu, accompagné d'un valet bien habillé et silencieux qui escortait un plateau à roulettes sur lequel, surprise des surprises, attendait un véritable festin et de bonnes bouteilles de vin.
Le valet avait installé la table et servit les assiettes avant de s'éclipser, laissant son patron et son invité à leur intimité. Un moment qu'Otsu redoutait, mais qu'il lui fallait bien affronter. Assise face à Junior, éberluée devant les plats remplis de légumes grillés et juteux, la jeune femme laissa échapper plusieurs soupirs de plaisirs en vidant son assiette avec beaucoup de conviction.
« Les cuisiniers se surpassent tous les jours Demoiselle Otsu, je suis ravie que ça vous plaise, même si ça doit être assurément très différents de vos repas de l'Oeillet.
- Ho ça oui mon ami, c'est amplement meilleur ! Gloussa la jeune femme
- Haha, je vous remercie, je transmettrai vos compliments à nos chefs.
- On ne mange pas aussi bien dans les forges, ça faisait longtemps que j'avais pas fait un aussi bon repas. »
Quittant un instant son assiette du regard, Otsu observa la réaction de Junior devant sa remarque.
« Je vous remercie de cette information, soyez assuré que j'en ferai également un retour aux cuisines. J'apprends encore sur cette usine, et je prévois d'y apporter certains changement. Mon père n'avait pas forcément la même vision que nous, plus jeunes, sur les conditions de travail et les classes sociales.
- J'ai appris pour votre père, je vous présente toutes mes condoléances.
- Et je vous en remercie petite demoiselle.
- Si je peux me permettre, comment vivez-vous cette... Perte ?
- Eh bien... Pas trop mal, en vérité. C'était un vieil homme malade. Son corps et son esprit étaient très abîmé, comme vous le savez. Il arrive un moment où la mort devient une délivrance.
- Je vois très bien ce que vous voulez dire, murmura la courtisane.
- Vous aussi vous avez perdu un parent ? »
Otsu s'essuya le coin des lèvres avec sa serviette trop blanche, le temps de se donner des airs affligés tout en trouvant quoi dire. La vérité serait très bien, du moins pour cette question là.
« Les deux, à vrai dire. Mais ma mère, je ne m'en souviens pas bien. Mon père, c'est arrivé il y a quatre ans. A Shiganshina. »
Voilà. La carte était posé. Le jeu pouvait commencer.
« Shiganshina ? S'étonna Nigel Jr. Mais que diable faisait votre père là bas ?
- En fait mon ami, je viens de Shiganshina.
- Mais... Je croyais..."
A lui comme à tant d'autres, Otsu avait raconté l'histoire de cette tante qui l'avait hébergé un temps avant qu'elle ne retrouve sa vie à Stohess.
"La vérité n'est pas très belle... Je ne voulais pas risquer de gâcher de bonnes soirées en réveillant ces traumatismes. Tout le monde, absolument tout le monde a été touché et affecté par la chute du mur, même à Stohess.
- C'est très noble de votre part douce Otsu. Alors, vous étiez là, quand le mur est tombé ? Que s'est-il passé ? »
Otsu sourit, tout en cherchant quelle histoire raconter. Pas la vraie, pas la sordide. Elle devait trouver une jolie fable susceptible d'amener Junior à se livrer. Il avait eu une dette, envers son père. C'était un bon point de départ.
« Notre maison se trouvait non loin des bateaux. On aurait pu s'en sortir tous les deux... Mais on n'a pas comprit tout de suite ce qu'il se passait. Il y a eu un bruit, terrible, ça a fait tremblant la maison, ça nous a fait trembler nous, de partout. Il y a eu beaucoup de casse. Et puis... C'était fou. Il y a eu un silence, comme si tout, absolument tout subitement était juste... Mort. Les gens. Les oiseaux. Le vent lui même. Tout s'était arrêté au même moment. Ca n'a pas duré longtemps, mais ça je ne l'ai sû que plus tard. Sur le moment, j'avais l'impression que c'était très long. Et... Quelque chose dans ma tête espérait que ça durerait encore, parce qu'on avait comprit qu'après, après le silence, ça serait un cauchemar. Il y a eu les cris alors, des hurlements de terreur. Par la fenêtre, j'ai vu des gens courir vers le fleuve, ils regardaient derrière eux avec les yeux révulsés, et ils étaient si blêmes... Enfin, à un moment, on s'est regardé avec mon père, et... On est allés voir dehors. Et là, on les as vu. Il n'y a rien d'aussi terrifiants sur cette terre... J'arrivais plus à bouger, je pouvais juste les regarder avancer vers nous, s'arrêter, attraper une proie pour la gober dans des gerbes de sang et des craquements d'os. C'est mon père le premier qui a reprit conscience, et il m'a tiré en arrière. J'ai réussi à me réveiller et à courir avec lui. Sauf qu'il y en a un, pas très grand, qui a jailli d'une ruelle traversante. Il a donné un coup de pied dans le mur d'une maison, et notre route a été coupée. On devait faire un détour, mais il en arrivait de partout. Alors on a décidé d'escalader les gravats de la maison, mais il fallait faire vite, vraiment vite, parce que le titan était juste à côté. Sauf que... A un moment... Je me suis coincé la jambe. Mon père est revenu en arrière pour me libérer, et il a réussi, mais le titan était déjà là, et il tendait sa main vers moi... Et il allait m'attraper. Alors... Alors mon père... Il m'a dit qu'il m'aimait... Et... Et... Excusez moi... Il a juste sauté. Directement dans la main du titan. Le monstre a dû être ravi de cette proie qui lui tombait directement dessus. Alors il l'a mangé. Et moi, je n'ai même pas regardé en arrière. J'ai juste... Grimpé. Et arrivé de l'autre côté, j'ai couru sans m'arrêter, jusqu'aux bateaux. Après... Je ne sais plus trop ce qu'il s'est passé. De cette journée, il me reste le pire.
- Et le meilleur aussi, jeune Otsu. Votre père s'est sacrifié pour vous, c'est un magnifique geste d'amour. »
Otsu sourit en essuyant ses larmes. De fausses larmes pour de faux souvenirs.
Toujours assis à la table de son bureau, dans la caserne, Livaï l'observait.
« Il y a quelque chose de vrai dans cette histoire ? s'enquit-il comme s'il demandait s'il allait pleuvoir.
- Rien du tout. »
En fait, ça aussi, c'était un peu un mensonge. Son histoire, pour être crédible, devait reposer sur un fond de vérité.
« C'est fou comme le mensonge te vient si facilement. »
Otsu sursauta. Il avait comprit ? Ou non, et elle se faisait des idées ?
« Allez, continue. »
Alors la prostituée reprit son histoire, mettant de côté ses doutes. A ce moment là, elle avait affirmé à Altonen, avec beaucoup de sincérité, comme elle était reconnaissante envers son père.
« Je l'en remercie tous les jours, ma vie est si belle grâce à lui. Si un jour j'ai des enfants, j'espère être capable d'autant de sacrifices, affirma Otsu, gardant caché qu'elle n'avait aucune envie de fonder une famille.
- On n'imagine pas ce que l'on peut faire pour ses enfants. Vous savez, mon père n'était pas forcément un homme bon. Mais lui aussi a fait preuve d'un sacrifice énorme pour me protéger.
- Et c'est pour cela qu'en retour, vous vous êtes dévoué pour lui rendre la fin de sa vie agréable ? Chuchota la brune, un sourire triste et bienveillant aux lèvres.
- C'était bien la moindre des choses, rétorqua Altonen en haussant les épaules. J'ai fais une erreur monumentale quand j'étais jeune. Peut-être à cause de son éducation. Je voulais lui montrer que je n'étais pas un bon rien, et que je pouvais exister autrement qu'à travers lui. J'étais aveuglé par mon orgueil. Mais quand il l'a sût, il ne m'a pas blâmé, il a simplement prit mes erreurs en main pour limiter les dégâts. Le mal était fait, mais grâce à lui... »
La conversation prenait exactement le tour voulut par la jeune femme. Mais sa prochaine réponse allait être décisive. Elle devait l'amener à se confier, lui montrer qu'il ne serait pas jugé mais écouté, et comprit.
« C'était votre père, il voulait le meilleur pour vous, même s'il n'a pas toujours su vous le montrer. Vous pensez qu'il voulait vous épargner des regrets ?
- J'en aurai toute ma vie, des regrets. C'est aussi ma punition pour avoir pensé que je pouvais jouer sans impunité, juste pour ma propre renommé. Maintenant, je veux être digne de mon père et m'assurer que plus personne ne souffre de mes erreurs passés. Offrir de meilleurs conditions de travail à nos ouvriers, c'est déjà une bonne chose. Pour dire la vérité Otsu, j'ai déjà beaucoup trop de sang sur les mains. »
Les mots frappèrent la jeune femme.
« De sang... Que voulez vous dire ?
- Il y a eu... Des morts. Par ma faute. »
