Hello !

J'espère que vous allez bien et que vous avez passé un bel été :)

Il a fait super chaud, c'était horrible, et on est tous d'accord pour dire que ça n'est pas normal...

De mon côté je suis enfin en vacances :) et oui, l'été a été très chargé, c'est pour ça que ce chapitre est sortit plus tard que d'habitude

Ce fut d'ailleurs un calvaire pour l'écrire, je n'étais jamais satisfaite, et comme il a été commencé il y a déjà un moment, c'était compliqué de m'y remettre et de rester dans ce que j'avais prévu.

Ce qui ne s'est d'ailleurs pas du tout passé puisqu'il a été réécrit pleins pleins pleins de fois.

Voilà donc la version finale, clairement pas un de mes chapitres préférés, mais on a quelques débuts de réponses sur la mission d'Otsu dans la cité industrielle.

Bonne lecture !

LilieMoonlightchild : Les secrets se lèvent dans ce chapitre, et en prime, un petit moment avec notre caporal préféré :D

Boue et Acier

Naturellement, après sa confession, Junior décida de changer de conversation, et Otsu serra les dents pour contenir un petit cri de frustration. La solution était là, juste là, derrière ces quelques mots... « Il y a eu des morts par ma faute »

Et merde, elle y était presque. Au lieu de connaître enfin le secret honteux de Junior, Otsu se retrouva à le suivre au salon où les attendait une bouilloire de thé fumant. Altonen se laissa tomber dans son canapé, dans lequel il faisait pâle figure comparé à un autre, et fixa sa tasse vide, avant de porter un même regard intense sur la jeune femme. Otsu serra les mâchoires en comprenant ce qu'il attendait d'elle.

Alors même ici, loin de l'Oeillet, alors qu'elle était son invité, Otsu restait une serveuse, et Altonen un client. Incapable de se servir seul, alors même qu'il était le maître des lieux. La jeune femme sourit intérieurement. En fait, elle se dit que bien peu d'hommes, exactement dans la même situation, auraient agi autrement.

Il y en a bien un pourtant.

Un capable de se servir lui même.

Et capable de te servir aussi.

Un oiseau rare dis moi !

Otsu servit donc Altonen, assise à ses pieds, comme une bonne petite serveuse de l'Oeillet, en moins élégante pourtant sans sa jolie parure.

« Vous savez Otsu, je suis vraiment ravie que vous soyez là. »

Il y avait en effet un peu de joie dans cette voix. Mais de l'alcool aussi. Otsu attendit qu'il développe tout en remplissant sa tasse, inquiète de ce qui allait suivre. Elle ne croyait plus que l'on puisse apprécier sa simple présence. Si on l'aimait, c'était pour ce qu'elle était, et elle était à peine plus qu'une prostituée.

« Votre présence chez moi me fait vraiment très plaisir, et je pense en plus que vous allez pouvoir m'aider. »

Voilà. Elle aurait dû parier.


En fait, Otsu ne s'attendait certainement pas à ça.

Les mains dans l'immense armoire de la grande chambre d'Altonen Senior, elle retirait, les uns après les autres, les vieux costumes du vieux pour les ranger dans une caisse en bois. Sans oublier, au passage, d'en vérifier le contenu des poches. Pour l'instant, elle avait récupéré une vingtaine de pièces et cinq billets. Belle pioche.

La voilà, l'aide précieuse qu'elle devait apporter à Junior. Vider de son logement les affaires du père. Il y en avait, des tâches plus difficiles. Otsu n'avait pas eu à vider sa maison après la mort de son paternel, puisqu'elle n'avait plus de maison, mais elle ne pouvait qu'imaginer le désarroi, le sentiment de vide, de perte et d'impuissance pour ce fils, perdus là devant tous les effets de ce père qu'il avait aimé.

Alors même si au départ, Otsu avait refusé, arguant qu'elle n'était qu'une inconnue, que ce n'était pas à elle de faire ça, elle avait fini par céder. Junior ne voulait pas que des membres de sa famille s'immisce dans les affaires et les petits secrets de son père.

Otsu, elle, n'avait rien contre découvrir ses dits petits secrets, elle avait donc une deuxième raison d'accepter.

Alors Otsu prenait les vestons, les chemises et les pantalons, elle les retirait précautionneusement de leurs cintres, elle fouillait et les pliait, les rangeait, puis passait au suivant. Jusqu'à ce que ses doigts, dans la poche d'un pantalon, trouve un objet métallique qui n'avait rien d'une pièce.

Une clé. Une petite clé. La prostituée la glissa dans la propre poche de son gilet et acheva son travail. Elle devait ensuite passer au bureau du vieux, dont aucun des tiroirs n'étaient fermés. Et la clé de toute façon n'y rentrait pas. Le tri ici était un brin plus complexe. Elle devait tout ranger par date, et Otsu fut bientôt littéralement entourée de petites piles de documents, et si, mue par une curiosité toute naturelle dans cette situation, elle les avait parcourues des yeux au début, elle avait finit par seulement les lire en diagonales avant de les ranger dans le tas correspondant.

A la fin du labeur, certaines informations, peut-être anecdotiques, s'étaient imprégnées dans un coin de son cerveau. Pour commencer les Altonen possédaient quatre adresses, dont trois seulement revenaient régulièrement sur les documents, la dernière, supposa Otsu, devait être utilisée comme lieu de retraite, de vacances, bref, être bien éloignée de tous tracas professionnel. Pour les autres, l'une se trouvait à Mithras, et deux dans la cité industrielle. Elle logeait actuellement dans l'une, celle qui revenait le plus souvent, mais ne savait pas situer la dernière. Et c'était celle là qui l'attirait le plus.

A la fin de la journée, la chambre du vieux était vide, chaque document, vêtements, bibelots quelconque attendait, bien sagement rangé dans une caisse. La pièce avait été dépoussiérée et nettoyée de fond en comble, et des draps blancs recouvraient maintenant les quelques meubles.

Quant à la clé, Otsu l'avait fait rentrer dans toutes les serrures closes de l'appartement, mais rien ne s'était ouvert, alors elle la garda précieusement.

Ce ne fut que plus tard, dans la soirée, après avoir remplis le verre de Junior à chaque fois qu'il fut vide, qu'il répondit enfin aux questions et parla de cette maison, située dans le district résidentiel de la cité industrielle. Un district dans un district, réservé aux employés qui n'avaient pas la chance de jouir du confort d'un grand dortoir mixte au sein même des usines donc.

Pour les employés, mais aussi les familles qu'il faut bien loger.

Le lendemain, Otsu quitta l'usine sous les regards curieux mais discrets des gardes, qui devaient bien se demander qui était cette intrigante que le maître avait sortit des entrailles du monstre de fer. La courtisane les ignora bien sûr, et se faufila dans les rues de la cité, rues qui devenaient des ruelles alors qu'Otsu s'éloignait du cœur de la ville, de l'autre côté du chemin qu'elle avait prit lors de son arrivée.

Les machines restèrent à leur place, mais leurs bruits et leurs parfums suivirent la brune un long moment avant de se mêler et de s'entremêler les uns aux autres pour ne devenir plus qu'un bourdonnement lourd et lointain. Même le brouillard chargé de puanteur se faisait moins dense au fil de ses pas. Mais la fumée et la cendre étaient toujours là, collant sa peau, son nez, sa bouche, ses poumons. Elle le sentait jusque dans son ventre, dans cette nausée qui ne la quittait plus, dans cette fièvre qui faisait briller ses yeux. Otsu avait hâte de retrouver l'abri de la demeure Altonen.

Et puis, elle vit au loin comme des silhouettes d'arbres rachitiques qui se transformèrent finalement en imposantes barrières, coupant le district en deux pour entourer le lotissement, barré d'un imposant portail de fer forgé qu'aucun garde ne gardait. Les habitations étaient de toute évidence bien moins importantes que les bâtiments industriels. Otsu poussa simplement le portail, et entra simplement dans le district, en visiteuse innocente. Aux abords du portail, les maisons étaient toutes simples et modestes. Elle reconnut là le même agencement qu'à Mithras, alors Otsu continua à marcher, droit devant elle. Dépassant le centre du quartier résidentiel, elle trouva bientôt la rue qui l'intéressait, et enfin la maison, non, le manoir... Le palais même, qui ne pouvait qu'être la demeure Altonen.

Un terrain immense qui entourait de tous les côtés le bâtiment de pierres blanches. Avec la fumée qui étouffait tout le district, les Altonen devaient dépenser des fortunes pour empêcher la grisaille de recouvrir leur maison. Ou même leur jardin, dont l'herbe parfaitement verte et parfaitement tondue était contre nature ici.

Très bien. Otsu avait trouvé ce qu'elle cherchait... Sauf qu'elle ignorait maintenant comment y rentrer. Un équipement tridimensionnel lui serait bien utile songea-t-elle en observant l'imposante demeure tranquillement posée au milieu du jardin... Mais quelle idiote réalisa-t-elle.

Elle travaillait dans une usine qui concevait ces appareils. Mettre la main dessus n'allait quand même pas être si compliqué.

Hop, demi-tour, la courtisane regagna l'usine Altonen en un rien de temps, impatiente d'élaborer son nouveau plan, et de le mettre à exécution.

La nuit venue, après le retour de Nigel Junior et de son amant, Otsu profita de ce qu'ils soient fort occupés derrière la porte fermée de la chambre pour s'esquiver jusqu'à l'entrepôt de stockage, où s'entreposaient les équipements de manœuvre tridimensionnelle. Le bâtiment l'attendait non loin de la grande porte du district, et bien sûr, des gardes en surveillaient l'entrée. Mais l'arrière de l'entrepôt, lui, était laissé sans protection.

Escalader la gouttière qui menait au toit n'eut rien de compliqué, pas plus que de s'infiltrer dans un conduit d'aération. Quoique, retirer la grille d'une main tout en se tenant à la gouttière de l'autre ne fut pas si aisé. Ses jambes, fermement serrées autour de la gouttière, ne cessaient de glisser. Otsu réussit néanmoins à dévisser la grille avec un ongle, et beaucoup de patience. Calant la grille dans le conduit, l'ancienne soldate se hissa à l'intérieur sans trop de difficultés. Le tunnel n'était pas très grand, mais bien assez pour elle. Otsu se tortilla, rampa, un bras après l'autre, un mouvement d'épaule, un mouvement du bassin, et les jambes qui poussaient, et un bras après l'autre, et un mouvement d'épaules, et un mouvement du bassin, et les jambes qui poussaient, jusqu'à atteindre l'autre bout du conduit, lui aussi fermé par une grille, avec des vis. Mais de l'autre côté. Alors Otsu n'eut pas le choix.

Le souffle saccadé, elle bascula les épaules en arrière, joua des coudes, tira comme elle le put sur le bout de ses manches et parvint à ôter sa veste qu'elle enroula autour de son poignet. Sa mâchoire se contracta, son bras recula et, serrant le poing, Otsu frappa de toutes ses forces dans la grille. Encore. Encore. Encore. Si elle avait pu frapper avec ses pieds, l'affaire lui aurait prit moins de temps, mais elle n'avait pas la place de se retourner, et rebrousser chemin, pour s'enfoncer dans le conduit à reculons, lui paraissait impossible. Alors elle continua à frapper, et sentait la grille se décoller peu à peu. Lorsqu'enfin elle céda, lorsqu'elle s'arracha au mur et bascula dans le vide, Otsu serra les dents en tendant la main d'un geste maladroit, mais vif. Les yeux grands ouverts, elle retint un cri de peur en imaginant l'impact de la grille sur le sol, plusieurs mètres plus bas. La prostituée ignorait si le bruit pourrait être entendu, si ce serait assez fort pour que les gardes, dans un simple doute, ouvre la porte pour s'assurer que tout allait bien et ne la découvre perchée là haut, dans ce ridicule petit conduit d'évacuation. Non, elle n'allait certainement pas prendre ce risque.

Mais rien. Elle vit ses doigts se refermer et s'agripper férocement à la grille pour la remonter lentement, avec mille précautions, comme si elle pouvait se briser entre ses doigts. Pour ne pas risquer de la percuter en sortant du conduit, Otsu fit glisser la grille derrière elle, et s'avança jusqu'au bord du conduit.

Bon, bien joué Otsu.

Restait à savoir maintenant comment elle allait sortir de là. Tête la première de toute évidence, en espérant ne pas s'éclater le crâne sur le sol 5 mètres plus bas. Par chance il y avait, tout autour du conduit, là où se trouvait la grille, un infime rebord... Enfin, elle pouvait se rassurer en parlant de rebord, ses doigts ne pourraient jamais s'y tenir, mais, en se retournant sur le dos, elle put planter le bout du bout de ses phalanges, de ses ongles plutôt, pour s'extirper du conduit en se tordant le dos et le ventre. Si Evonne n'était pas rentrée dans l'armée, si son corps ne s'était pas sculpté, jamais Otsu n'aurait eu la musculature et la souplesse pour s'échapper ainsi du conduit. Et si elle dût même utiliser ses dents pour mordre la paroi, et bien, l'important c'était que ce soit efficace. Elle gagna centimètre sur centimètre, plaqua sa peau contre le mur pour profiter de l'adhérence, et parvint bientôt à s'asseoir, les jambes à l'intérieur du conduit, et la tête plaquée contre le mur. Rien d'idéal.

Tu es ridicule gamine.

Ho la ferme toi.

Il a raison, tu fais un peu de peine comme ça.

Bon sang. Si les voix dans sa tête se liguaient contre elle, Otsu n'allait jamais s'en sortir.

Vous pouvez pas m'aidez plutôt ?

T'as plus le choix là gamine. Hisse toi et laisse toi tomber d'un seul coup.

Je vais me tuer si je fais ça.

Fais moi confiance.

Faire confiance au caporal chef ? Oui, elle pouvait, même si ça la faisait grimacer de l'admettre.

Bon, alors allons-y. Otsu hissa ses mains le plus loin possible au dessus de sa tête, même s'il n'y avait plus rien pour elles là haut, rien à quoi elles pouvaient se raccrocher, elles se plaquèrent fermement contre la paroi. Sortant ses fesses le plus possible, Otsu se sentit soudainement basculer en arrière. Alors elle pressa les mains le plus fort possible sur le mur, d'un même mouvement extirpa ses jambes du conduit, les plia contre son ventre et se laissa tomber en fermant très fort les paupières, dans l'attente de la chute. Sauf que ses doigts trouvèrent d'eux même le rebord du tunnel, l'empêchant d'aller s'écraser par terre. Même si son corps bascula lourdement, même si ses épaules durent en supporter le poids, même si ses mains tremblèrent sous le choc, Otsu tint bon.

Il avait eu raison. Il avait eu raison, ce petit caporal à la con. La prostituée planta le bout de ses pieds dans la paroi, juste le temps de s'y appuyer, pour reprendre son souffle.

Allez gamine, t'as plus le choix maintenant.

Otsu avait probablement gagné un bon mètre entre ses pieds et le sol. Quand même, c'était haut... Mais elle en avait vu de pires pendant l'entraînement. Elle allait difficilement pouvoir amortir sa chute, mais elle allait essayer.

Ses doigts lâchèrent, et ses pieds poussèrent le mur pour s'en éloigner. Enroulant son corps comme elle put, un bras levé pour protéger sa tête et sa nuque, Otsu sentit presque aussitôt son flanc heurter le sol et un cri silencieux s'échappa de ses lèvres.

Putain de moi. Y'a intérêt que ça en vaille la peine.

En gémissant, en tâtonnant, Otsu trouva le bas et trouva le haut. La tête lui tournait, mais elle parvint à se remettre debout. Les mains sur les genoux, le corps courbé, la tête livide et le souffle court, la gorge pleine d'une nausée qu'elle devait retenir. Rien de cassé à priori, seulement la douleur sourdre qui parcourait tout son corps. Bon. Elle était vivante. Elle pouvait continuer. Quand la nausée passerait et que l'entrepôt cesserait de tourner. Le sol heurta ses genoux.

Ou l'inverse.

Et le sol se posa contre son front. Au bout de longues minutes, sa respiration s'apaisa et la douleur reflua. Elle ne disparût pas, évidemment, mais Otsu parvint à la mettre de côté, assez pour se relever et poursuivre sa mission.

L'entrepôt protégeait plusieurs dizaines de caisses en bois, certaines recouvertes de poussière, d'autre très récentes, chacune attendant d'être transportée sur un camp d'entraînement, ou directement dans les casernes. Si certaines caisses ne contenaient que l'équipement tridimensionnel, d'autres étaient remplis de bonbonnes de gaz. Parfait.

Sans perdre une seule seconde de plus, Otsu piocha un harnais, vida la moitié d'une bonbonne, enfila l'équipement avec les gestes de l'habitude, et retrouva enfin l'air libre, à l'extérieur. Si ramper dans le conduit avec le harnais s'avéra beaucoup plus difficile, la brune constata avec sarcasme que c'était toujours plus simple de s'en extirper sans dégâts cette fois. Economisant son gaz au maximum, Otsu atteignit bientôt le quartier résidentiel, et la maison Altonen. Elle s'envola au dessus des grilles, d'une poussée, son bassin projeté vers l'avant, son ventre gainé, ses jambes pendant en arrière, et atterrit de l'autre côté, savourant le temps d'une seule seconde ces sensations qui lui avaient tant manqué. La dernière fois... La dernière fois, c'était avec lui.

Otsu secoua la tête, se redressa et traversa le jardin sans un bruit, se percha sur le toit et se laissa tomber d'un geste souple sur un balcon. Fenêtres fermés. Elle en essaya plusieurs avant d'en trouver une entrouverte et de s'y faufiler sans bruit. Une chambre. Inutilisée, à en juger des meubles recouverts de draps. Peut-être... Peut-être la chambre du vieux. C'aurait été logique. Nettoyée et aérée pour en chasser les odeurs de vieillard, les odeurs de mort. Alors Otsu souleva doucement chaque drap, inspecta les serrures qu'elle put trouver, mais sa petite clé ne rentrait dans aucune, et se contentait de la narguer, là, au creux de sa paume. Elle n'allait pas s'avouer vaincu pour autant et observa minutieusement les murs, les lattes du parquet, sous le lit et sous les meubles, au fond des tiroirs, des placards et des armoires. Et puis elle passa aux tentures et aux portraits.

Quand elle prit le temps de détailler le plus grand, celui qui trônait au dessus du lit, elle reconnût un visage féminin, de longs cheveux bouclés, une robe... Si c'était l'ancienne propriétaire de la chambre, Otsu n'était définitivement pas au bon endroit. En soupirant, la prostituée ouvrit doucement la porte et se retrouva dans un long couloir tout moquetté de blanc. La résidence semblait impeccable et bien entretenu, il y avait donc des domestiques, mais pour ce qu'elle en savait, leurs quartiers se trouvaient assez loin des appartements des maîtres. Elle pouvait donc fureter, discrètement bien sûr, mais sans trop craindre d'être découverte. Sans traîner, elle passa à une autre chambre, affublé d'un portrait de Junior. Pas ici donc. Dans l'autre, Otsu ne s'attarda guère plus en constatant la petite taille des lits et des meubles. Une nurserie. Une autre chambre de femme, à côté. Et puis, tout au bout du couloir, enfin. Dans le même état que la première, fenêtres entrouvertes et meubles fantômes, Otsu se trouva face au portrait du vieux, pas si vieux ce jour où il avait posé pour l'immortalité, mais indéniablement reconnaissable. Et ici, elle n'eut même pas besoin de fouiller. Sur un bureau, une forme rectangulaire déformait le drap. Otsu le souleva, pour découvrir un coffre fermé à clé. Elle constata aussitôt que la serrure avait été forcée, que le coffre avait été martelé, mais l'artisan responsable de sa conception avait fait un excellent travail, et rien n'avait pu l'ouvrir. Il restait donc là, oublié mais pas trop. Les domestiques de la maisonnée n'y toucheraient jamais, et Junior pouvait revenir quand bon lui semblait pour essayer de l'ouvrir. Sauf que c'était Otsu qui avait la clé.

Le coffre, entre ses mains, révéla ses secrets. Dans la lumière de la lune, Otsu lut les dernières confessions d'un vieil homme mourant, et ses traits se figèrent. Le sang la quitta. Elle ne voulait pas continuer à lire, mais elle n'avait pas le choix. Elle ne pouvait pas emporter les documents, et n'avait rien pour les recopier, alors, après les avoir reposé le plus loin possible d'elle, le temps de réfléchir, de reprendre ses esprits, Otsu les relut, plusieurs fois, pour ne rien oublier. Puis elle rangea tout, s'assura que le drap était bien à sa place, et retrouva le silence du ciel nocturne. Avant l'aube, la prostituée rendit son harnais au hangar et retrouva sa place dans l'appartement de Nigel Junior Altonen. Avant qu'il ne soit levé, Otsu eut le temps de remettre la petite clé dans la poche d'un pantalon quelconque. Le soleil se levait quand elle se laissa tomber dans le canapé, sale et harassée, mais incapable de fermer l'oeil. C'était trop, c'était beaucoup trop. Il fallait qu'elle parte immédiatement, mais devait d'abord montrer tous les usages de la politesse envers l'héritier Altonen, quand bien même cela lui arracherait la langue.

Heureusement, la courtisane n'eut pas à attendre longtemps l'arrivée de Junior.

« Mademoiselle Otsu, vous êtes déjà levé ?

- Oh, bonjour mon ami. En fait, je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit.

- Insomnie ?

- Oui. Je me suis longuement promenée dehors, pour réfléchir. Il est temps que je rentre chez moi, je dois au moins aller prendre des nouvelles.

- Oh, bien, vous pensez que vous ne craignez plus rien ?

- Je dois d'abord m'en assurer, des missives m'attendent peut-être dans... Enfin, je ne peux pas vous en dire trop. Je vais me rendre dans cet endroit aujourd'hui, pour avoir quelques nouvelles. Si vous ne me voyez pas revenue ce soir, considérez que j'ai pu retrouver la quiétude de mon foyer.

- Je vous le souhaite mademoiselle Otsu, et je viendrai vous y voir dans ce cas.

- J'y compte bien mon ami, je pourrai ainsi vous rendre votre générosité. Merci encore pour tout ce que vous avez fait pour moi. »

Les politesses hypocrites d'Otsu s'éternisèrent le temps qu'il fallu, puis elle prépara ses affaires et quitta l'usine sur l'heure, sans un regard en arrière.

Ce ne fut qu'enfin de l'autre côté de la cité industrielle qu'Otsu laissa l'inquiétude poindre dans son ventre, et elle trouva aussitôt un cheval pour regagner le QG du bataillon.


« Voilà Caporal, vous savez tout. Que va-t-il se passer maintenant pour Altonen ?

- Pour lui, rien. On ne peut pas prendre le risque qu'il fasse un lien avec la venue récente d'une certaine catin, et ses emmerdes avec le tribunal des armées, par exemple. Mais des messagers sont partis alerter toutes les casernes du bataillon d'exploration, et les camps d'entraînement.

- Alors ils vont trier tous les équipements ?

- Oui. Et se débarrasser de ceux qui ont étés reçus quand Nigel a sévit. Il est trop tard pour ceux que sa bêtise a tué . Mais si on peut éviter d'autres accidents... Il y a déjà bien assez de morts dans nos rangs. »

Otsu acquiesça et allait détourner la tête quand une lueur... Une noirceur ? Quelque chose dans le regard du caporal l'alerta. Alors, toujours assise sur son lit, elle se rapprocha de lui, inquiète, détaillant ses yeux gris, ses yeux de métal, perdus quelque part loin d'ici.

Dans le silence de la chambre, la voix du caporal, plus grave, plus basse, comme un murmure, emplit l'espace et lui creva le cœur.

« J'en ai vu des accidents, des soldats se faire attraper parce que leurs appareils ne marchaient plus. On se serait jamais douté que c'était volontaire, et tout ça pourquoi ? Parce qu'un merdeux avait un truc à prouver ? Et quoi, qu'il avait de plus grosses couilles que son père ?

- Je ne crois pas. Avec tout ce qu'il m'a dit, je pense surtout qu'il voulait montrer qu'il était capable de faire mieux que son père. Il voulait le concurrencer directement.

- Faire mieux que son père ? Facile ça, quand on paie des ouvriers pour saboter le travail. Va savoir combien de temps ça aurait pu durer si le vieux Altonen n'avait pas tout découvert.

- La question que je me pose plutôt, c'est pourquoi son père ne l'a pas dénoncé.

- Un truc qui s'appelle l'amour paternel ? T'en as eu un de père toi, paraît-même, enfin ça dépend à qui tu le racontes, qu'il se serait sacrifié pour toi. Et tu peux pas concevoir que le vieux Altonen ait voulut faire la même chose ? Il a protégé la chaire de sa chaire, à sa manière.

- Touché, caporal-chef."

Otsu baissa la tête en souriant. Et puis... "T'en as eu un de père, toi."

Ainsi lancés, Livaï n'avait probablement pas réfléchi à ce qu'il disait. Mais Otsu ne put que deviner que le plus grand héros de l'humanité cachait plus de fêlures qu'elle le soupçonnait.

"Qu'est-ce qui te fait sourire gamine ?"

La courtisane releva nez pour être happée par le regard orageux du caporal. Elle revint sur un sujet plus léger.

"Je me disais que vous aviez sûrement raison, et oui, cela m'amuse. En fait, c'était ça la dette de Junior. C'est pour ça qu'il s'occupait autant de son père, jusqu'à couvrir les tâches de foutre sur son pantalon, en échange de son silence et de sa protection quand des explorateurs mouraient derrière les murs à cause de lui."

Le silence revint dans la chambre d'Otsu, et la courtisane crût que la conversation allait s'arrêter là. Mais le caporal reprit la parole, plus doucement encore.

"Ma première sortie de l'autre côté des murs... J'y ai perdu deux amis, deux vieux amis. L'équipement de l'un ne marchait pas, et je sais qui blâmer maintenant. Pour l'autre... C'est moi qui ait fait les mauvais choix. Les accidents ne viennent pas toujours des équipements. En fin de compte, quand on doit prendre une décision, on risque toujours d'avoir des regrets.

- Les bons choix, les mauvais choix... Tout ça, ça dépend aussi qui est concerné... Mais ça nous suivra jusqu'à la fin."

Livaï planta ses yeux aciers dans la boue de ceux d'Otsu.

Il hocha la tête.

Ils savaient très bien, tous les deux, ils savaient très bien ce que l'autre ressentait à ce moment précis.

Sauf que Livaï regrettait un choix qui lui avait fait perdre deux êtres chers.

Otsu, elle, ne pouvait pas se reprocher d'avoir tué. Seulement de ne pas l'avoir fait plus tôt.