Hello there !
J'espère que vous allez bien, que vous avez passé de bonnes vacances si vous en avez eu (ce qui n'est pas mon cas !)
Pas de beaucoup de palabres aujourd'hui, mais on se retrouve plus bas
Bonne lecture !
Sugarfree : Merci de ton retour, ça me rassure que mon calvaire et ma souffrance ne se soit pas ressentit pendant la lecture, ça aurait tout gâché x) j'espère que tu arrives à te sortir toi aussi de cette situation, qui est vraiment un supplice parfois. Le mieux c'est de tout mettre de côté pendant un moment, mais le risque c'est que ça traîne et qu'on n'arrive pas à s'y remettre
LilieMoonlightchild : Merciii :) Toujours très contente de te retrouver aussi après chaque chapitre. Bon de toute évidence la lecture n'a pas été freinée par mes galères, c'est un soulagement !
Chapitre 25
Quand la voiture franchit enfin les remparts de Stohess, Otsu laissa échapper, à haute et intelligible voix, un « c'est pas trop tôt », qui aurait pu froisser tout autre interlocutrice. Mais Hansi ne se vexait jamais de grand chose, ou en tout cas, pas très longtemps.
Au début de leur périple, pour tuer le temps, Otsu avait eu la bonne idée d'interroger la rouquine sur son travail, et donc sur sa passion, l'étude des titans. Après seulement une heure, ce n'était plus le temps qu'elle voulait tuer.
Alors au bout de presque trois jours, la prostituée était prête à se jeter de la voiture en marche pour échapper au verbiage incessant d'Hansi. Elle en comprenait presque l'aigreur du caporal-chef.
« Bon, Otsu, avant qu'on arrive. J'ai ça, de la part de ton petit favori. »
Hansi agitait une enveloppe brune avec un grand sourire. Elle poussa même à lui faire un clin d'oeil. Otsu ferma les yeux et serra les poings, en se répétant que personne ne serait ravie de la disparition de la rouquine, et qu'elle ne devait pas céder à ses pulsions. Pour lui nuire, la catin avait réalisé assez vite que ne lui accorder aucune attention pouvait -pouvait- être un peu efficace. Et dans le cas présent, son petit sourire dédaigneux fit son petit effet, au vue de la mine figée qu'Hansi aborda pendant à peine une seconde. Avant de sourire de plus belle et de ranger l'enveloppe.
« C'est une réservation pour toi, sans date, mais qui certifie qu'il voudra ta compagnie dès qu'il reviendra de notre sortie à l'extérieur. Donc tes patrons ne pourront rien te faire. Il y a également une très grosse liasse de billets qui est sensé rembourser ton absence. Je crois qu'il leur a promis plus, mais il n'a pas voulut m'en dire davantage. Voilà qui devrait donc te garder en sécurité, ils ne voudront pas se mettre le plus grand héros de l'humanité à dos ! »
L'enveloppe qui dépassait de la poche d'Hansi attira le regard d'Otsu. Jusqu'à son arrivée à l'Oeillet, elle ne put en détourner les yeux. Si ça avait été possible, la courtisane l'aurait... Non. Elle n'aurait rien fait. Ce ne l'intéressait pas vraiment. Mais tout de même, elle se sentait reconnaissante. Quand la voiture se gara devant l'Oeillet, Otsu en descendit à la suite d'Hansi, les jambes flageolantes et une boule dans le ventre. Ses pas étaient petits, et lents, mais elle atteignit quand même le salon de thé très rapidement. A l'intérieur, Hansi passa devant la petite serveuse aux cheveux clairs qui tenta de les arrêter, sans succès. Elles gagnèrent l'arrière-couloir, passèrent devant le bureau de Pavas et pénétrèrent dans l'antre de Dame Yukari et Monsieur. Attablés dans leur salle à manger, ils buvaient tous deux un café en préparant la soirée à venir. En les voyant surgir ainsi dans leur appartement, ils faillirent tous deux en lâcher leur tasse. Monsieur se leva le premier, le teint rouge de fureur, mais un sourire poli aux lèvres. Il allait ouvrir la bouche quand son attention capta la silhouette derrière Hansi. Alors, son visage devint livide. Et Dame Yukari, finalement, lâcha sa tasse.
« Et oui, lança Hansi. Je vous ramène l'enfant prodige ! »
Pour commencer, Hansi dénonça l'enlèvement d'Otsu, avec juste assez de détails pour satisfaire Dame Yukari et Monsieur tout en titillant leur curiosité. Elle garda évidemment secret les noms des personnes impliqués, mais les gérants de l'Oeillet les connaissait déjà depuis longtemps. Et Hansi savait qu'ils savaient, quand eux ne pouvaient que se demander si elle savait qu'ils savaient. Elle parla aussi du titan, de ces tournois clandestins qui duraient depuis plusieurs décennies et auxquels Otsu avait mis fin en triomphant grâce à une chance inouïe : elle avait choisie la seule arme capable de trancher efficacement la chaire d'un titan. Inutile de parler de ses prouesses et de ses capacités d'ancienne militaire. Hansi minimisa également l'intervention militaire, mais insista sur le long, très long séjour d'Otsu à l'hôpital, jusqu'à ce que les médecins l'autorisent enfin à sortir, quelques jours auparavant. Et évidemment, la courtisane avait souhaité revoir ses employeurs et ses collègues, et retrouver l'Oeillet, sa maison depuis déjà un an. Si, bien sûr, ils acceptaient qu'elle revienne.
Monsieur et Dame Yukari ne répondirent qu'après avoir lu le contenu de l'enveloppe du caporal-chef, et avoir compté les billets. Deux fois. Bien sûr qu'ils acceptaient, ils étaient même ravis de retrouver Otsu, qui faisait du si bon travail. Et surtout, soulagés de savoir qu'elle allait bien, malgré les terribles, terribles épreuves qu'elle avait traversé. Hansi, rassurée, salua les deux employeurs et se rapprocha d'Otsu. Elle lui serra le bras et, discrètement, murmura à son oreille :
"Reste sur tes gardes. Et garde un oeil sur la petite Hono pour moi."
Otsu hocha la tête et la regarda s'éloigner, un petit pincement au coeur. Hansi allait lui manquer. Elle sentit soudainement les serres de Dame Yukari se refermer sur son poignet pour l'entraîner à l'étage. Elle babilla interminablement, sur son inquiétude en ne la voyant pas revenir ce jour fatidique, sur la colère, sur la peur aussi, et puis il avait bien fallu faire avec. Monsieur la pressait d'engager une nouvelle fille, elle rechignait, tergiversait, proposait même des idées totalement différentes. Pourquoi ne pas prendre un homme ? Monsieur s'y était montré favorable, mais il fallait trouver le bon. Et Emi qui insistait pour faire venir une de ses amies, une rousse aux yeux en amande qui leur aurait coûté bien trop chers en produits esthétique. Et puis, Dame Yukari avait une autre fille en vue. Une qu'elle guettait depuis longtemps déjà, même si elle n'avait pas encore réussi à mettre la main dessus. C'était pourtant pas faute d'avoir essayé, mais la vente aux enchères à laquelle Dame Yukari espérait l'acquérir avait tout simplement été annulée. Sauf que la vieille femme ne désespérait pas, elle savait exactement où trouver cette perle rare, et fomentait plusieurs plans pour attraper cette petite chanceuse dans ses filets.
La maquerelle finit par la laisser devant la porte de sa chambre, et quand Otsu s'y enferma. Elle resta là, debout, sur le pas de la porte. Ne sachant pas quoi faire de ses bras ballants, de ses jambes molles, de son corps abîmé. Quelque chose avait changé, mais Otsu ignorait quoi. Son lit était toujours au même endroit. Son armoire était toujours la même, tout comme sa coiffeuse, où l'attendaient, sans bouger, tous ses produits de beauté. Malgré ce qu'avait dit Dame Yukari, malgré l'urgence de la remplacer, sa chambre était toujours sa chambre. Ce n'était pas son nid qui avait changé. C'était elle. Mais ça, Otsu commençait seulement à en prendre conscience. Sans réaliser qu'elle avait marché jusqu'à son lit, Otsu s'y retrouva pourtant, assise, les yeux dans le vague. Quelque chose sourdait dans sa poitrine. Dans son corps. Une brûlure. Une douleur. Son corps bascula sur le côté, sa tête heurta l'oreille et elle se serra dans ses bras, hurlant silencieusement quand une nouvelle vague parcourut chacun de ses membres, sa jambe ravagée, ses côtes cassées, ses muscles qui déchirés. A l'hôpital, le coma et la morphine l'avaient protégés de la souffrance. Et ensuite, elle avait eu une mission. Maintenant, elle n'avait plus rien, et son corps comme son esprit semblaient vouloir raviver ses blessures.
Otsu s'était probablement endormi. Il n'y avait pas d'autres explications à son réveil en sursaut quand quatre femmes explosèrent la porte de sa chambre pour se ruer sur elle. Hébétée, elle vit leur silhouettes noires se jeter sur le lit, la palper, la tirailler, et elle entendit les rires et les larmes, les questions et les insultes, sans savoir qui la touchait, qui lui parlait. Elle se redressa doucement, la bouche entrouverte, sans que rien ne lui vienne, pas un mot, pas un son. Et puis la catin ouvrit grand les bras, et toutes ses sœurs s'y réfugièrent, et les larmes redoublèrent. Otsu aussi pleurait, elle pleurait tant de choses, mais beaucoup de joie.
Pendant une longue partie de nuit, la jeune femme raconta à ses sœurs ce qu'il lui était arriver. La même version que celle d'Hansi, celle qui passait sous silence la Cité Industrielle, Arbeit et sa noyade ou ses prouesses face au titan. Elle n'était plus qu'une petite chanceuse qui non contente d'avoir choisi la seule arme létale face à un de ces monstres, avait en plus été sauvé par l'arrivée inopinée de la garnison, mettant ainsi fin à des années de barbarie. Ensuite, chacune à son tour lui narra ce qu'elle avait manqué. A vrai dire, pas grand chose, mais les filles s'amusaient beaucoup de leurs anecdotes. Même Hono lâcha un rire quand elle expliqua comment, en dansant sur une table, elle s'était cassé le bras. Elle agita brièvement l'écharpe qui retenait son plâtre en précisant que la danse était plus dangereuse que ce qu'elle croyait. Mais dans ses prunelles, Otsu distingua une ombre.
« Allez les filles, conclut Keiko, on va laisser notre chère Otsu retrouver ses marques, tu dois avoir hâte de dormir dans ton lit, depuis le temps. Et demain, on va avoir du boulot ! Tu peux être sûre que Dame Yukari va tout miser sur ton miraculeux retour. Dors bien Otsu, à demain ! »
Les bonnes nuits et les embrassades s'éternisèrent, mais quand Otsu retrouva enfin la solitude de sa chambre, elle se demanda si elle pourrait vraiment trouver le sommeil. Une inquiétude qui ne s'éternisa pas pourtant, car à peine sa tête toucha l'oreille qu'elle se rendormit, les bras serrés contre sa poitrine. Contre son coeur. Mais dans ses rêves, ce n'était pas sa douleur qu'elle voulait contenir, ni ses sœurs qu'elle enlaçait. Cela ressemblait plutôt à une enveloppe brune.
Les filles n'avaient pas mentis. Tôt dans la matinée, Dame Yukari, vint tambouriner à leurs portes en leur exhortant de descendre au plus vite dans la salle d'arts. Elles allaient devoir répéter d'arrache-pied pour être prêtes dès ce soir. Prête à quoi ? Se demanda Otsu silencieusement. La réponse lui vint tout naturellement. C'était l'Oeillet, c'était Dame Yukari après tout. Keiko avait raison, la patronne allait faire les choses en grand pour stupéfier ses clients. La surprise allait être totale.
Emi reprit une chorégraphie assez simple pour elle et Fuyu. Simple, mais elle en modifia certains pas, et accéléra les derniers mouvements pour qu'ils se terminent en apothéose. Aidées par de larges éventails qui devaient dissimuler Otsu jusqu'au final, la révélation, le grand retour d'Otsu. Keiko accompagnerait la danse en jouant du luth. Et puisque Hono était blessée, ce serait elle qui chanterait. Un rôle qui la mettait dans tous ses états, mais la petite lueur dans ses yeux prouva à toutes que malgré sa peur, Otsu crût discerner dans son regard une lueur de... Soulagement ? De la fierté, sûrement. Celle d'enfin chanter devant, quand Keiko serait derrière.
Pour l'occasion, Otsu reçut un nouveau kimono. Quand Emi le vit, elle en resta béate.
« Mais... Ma... balbutia-t-elle
- Allons Emi. Tu en recevras un autre bien assez tôt. Ferme moi cette bouche maintenant, tu as l'air d'une carpe.
- Pardon Dame Yukari. » Les mâchoires serrées, danseuse ne dit plus rien et se concentra sur sa chorégraphie.
« Il y a un souci Dame Yukari ? S'enquit Otsu, gênée.
- Ce kimono était pour Emi, les siens commencent à s'élimer. Je comprends qu'elle s'en offusque, mais je ne peux pas t'en faire un neuf comme ça, en claquant des doigts, et celui ci est vraiment très très beau, il t'ira très bien. Emi peut patienter encore quelques jours, j'en ai commandé plusieurs pour elle. J'ai bien les moyens de gâter mes filles tout de même ! Allez, va vite te faire belle maintenant. Et vous mesdemoiselles, je tiens à ce que vos toilettes restent sobres ce soir. Il ne faut pas éclipser Otsu, cette fois c'est elle le clou de la soirée. »
Otsu grimaça. Ce ne serait que pour un soir, heureusement, elle commençait à en avoir marre d'être exposée comme du bétail à une foire. Pauvres bêtes...
De retour dans sa chambre après trop longue journée de répétitions, Otsu ne sût par quoi commencer. Elle connaissait pourtant les gestes, le rituel. Mais tout ça lui paraissait si loin. Saurait-elle encore se maquiller, se coiffer ? Est-ce que tout cela avait encore un sens ? S'il n'y en avait jamais eu un... Le kimono était là, dans ses mains, mais Otsu ne le voyait pas. Pas plus qu'elle ne voyait vraiment la poudre de riz ou le charbon. Etait-ce vraiment à elle ? Avait-elle vraiment été un jour cette femme qui se fardait tous les soirs ? En se regardant dans le miroir, Otsu en doutait. Ce visage, elle le connaissait bien, et en même temps, il lui était totalement inconnu. Perdue, la jeune femme retira tous ses vêtements et observa son corps dans la glace. La vision lui provoqua une grimace de dégoût. C'était sa peau, son ventre musclé, ses petits seins, et toutes ses cicatrices, c'étaient bien les siennes, puisqu'elles étaient sur sa peau, inscrites à jamais. Elle les suivit du bout de l'ongle, mais ne ressentit rien. Du moins, elle eut l'impression de ne rien ressentir. Lentement, douloureusement, avec fièvre et grimace, Otsu enfila le kimono, un geste après l'autre. Le vêtement n'était pas comme d'habitude. Il lui parût plus grand que les siens. Emi était pourtant plus fine qu'elle... Mais quand Otsu en serra la ceinture, elle comprit l'intérêt du vêtement. Il glissait en bas de ses épaules et dévoilait de sa poitrine bien plus que le faisait ses propres kimonos. Dame Yukari avait dû vouloir une coupe qui mettrait en avant la poitrine ronde d'Emi... Ce n'était pas laid non plus sur elle, et dans ce vêtement, Otsu commença à se sentir mieux, à reprendre possession de son corps. La bouche entrouverte, pleine de doutes, elle s'installa devant le miroir et contempla ses outils. D'abord la poudre de riz ? Oui, c'était bien comme ça qu'il fallait commencer. La catin attrapa le poudrier et voulut saisir le pinceau, mais il lui échappa des mains. Des larmes lui montèrent aux yeux, et ses mains la démangèrent. Elle voulait tout balancer, tout envoyer par terre, tout éclater. Les coudes sur la coiffeuses, les poings pressés sur les joues, des larmes s'échappèrent de ses yeux, des sanglots de sa gorge serrée.
Pourtant, quand, une heure plus tard, Otsu sortit de sa chambre, elle était parfaite. Blanche comme la lune, des lèvres rouges, et ses cheveux noirs parfaitement maltraités sous son peigne aux pierres vertes. Le kimono, d'un noir profond, se paraît de belles fleurs blanches et roses.
« Tu es parfaite Otsu. » lâcha Dame Yukari, comme une faux s'abattrait sur un condamné.
Un remerciement qui sonna humble s'échappa des lèvres d'Otsu, pâle sous son maquillage blanc. Dans le salon, tout avait changé. Les tables avaient étés agglutinés devant l'entrée, laissant juste assez d'espace pour que les clients s'y installent. Et au fond, Pavas et Monsieur finissaient d'installer une estrade rudimentaire.
« Cela fait longtemps que nous n'avons pas fais une vraie représentation. Ce sera un beau spectacle pour nos amis les filles, je compte sur vous ! »
Dans les acquiescements, enthousiastes et probablement las, les filles trouvèrent leurs place sur leur potence.
Et à l'ouverture de l'Oeillet, les clients, étonnés et curieux, s'installèrent sans les quitter des yeux, immobiles comme des statues. Otsu restait cachée par ses sœurs, leurs kimonos et leurs éventails. Elles restèrent plus de deux heures ainsi, à attendre que le salon se remplisse au maximum. Pas d'invitations pour les clients, Dame Yukari aurait pu en envoyer, mais voulait que la surprise soit totale. Alors quand chaque chaise fut occupée, et qu'il n'y eut plus une place dans le couloir, la maquerelle sonna le début du spectacle. Fuyu commença à jouer. Emi et Keiko entamèrent les premiers pas de leur danse, dans un rythme lent et lourd. Les éventails battaient en rythme avec la musique. Puis Hono se mit à chanter. Sa voix s'éleva comme une brise d'été dans l'assemblée, douce et caressante.
Otsu, agenouillée derrière ses sœurs, ne voyait rien, rien d'autre que ses genoux où son front reposait, et le bout de ses doigts fermement appuyés sur les lattes de l'estrade. La chorégraphie durait une dizaine de minutes. Elle s'accélérait, ralentissait, et les danseuses montraient suffisamment de leur peau pour maintenir en éveil les esprits les plus obscènes, et elles enchaînaient assez de poses suggestives pour contenter ceux qui se moquaient de l'art et de la beauté. Les plus nauséabonds, se dit Otsu. Et puis le rythme se fit plus intense, plus vif. Les éventails s'écartèrent peu à peu pour révéler cette silhouette agenouillée que les spectateurs n'avaient pas encore remarqué. Des petits cris de surprise s'échappèrent de l'assemblée. Une nouvelle venue à l'Oeillet, une nouvelle fleur à cueillir ? Certains se levèrent, et, sur la dernière note, Emi et Keiko envoyèrent une rafale de leurs éventails sur cette belle endormie. Otsu, toujours tête baissée, s'y accrocha, et les filles firent mine de la redresser. Un genou dénudé apparût entre les pans du kimono. Les épaules blanches brillèrent sous les bougies. Otsu, enfin debout, redressa la tête, toujours cramponnée aux éventails. Emi et Keiko s'accroupirent, et Otsu se figea dans une demi-révérence, les yeux baissés, les joues rouges, une moue pudique sur les lèvres. Le silence accueillit la fin du spectacle, Otsu entendit distinctement des exclamations au fur et à mesure que les clients la reconnaissait, puis les applaudissements et les sifflements vinrent saluer le retour de la fleur perdue. Ses jambes tremblaient, et elle avait envie de vomir. Jamais Otsu n'avait eu aussi honte de sa vie. Et quand ses sœurs la quittèrent pour rejoindre les clients, elle dû rester seule, assise sur l'estrade, à se faire désirer. Personne ne pouvait l'approcher, et les seules paroles acceptées étaient des manifestations de joie de la voir ainsi revenue.
« Je ne m'attendais pas à ça divine Otsu, quel plaisir de vous revoir !
- Comme vous nous avez manqué Otsu, je suis ravie de vous revoir !
- C'est un délice de vous voir revenue à la maison Otsu !
- C'est un délice de vous voir revenue à la raison Otsu ! »
A la fin, Otsu ne savait même plus ce qu'elle entendait. Elle se contentait de hocher la tête en souriant, humble et repentante même, heureuse de son retour chez elle, auprès de ses chers, très chers amis.
« Vous avez été parfaites mes petites ! S'exclama Dame Yukari de longues, très longues heures plus tard. Otsu, j'ai déjà plusieurs réservations pour toi, dès demain. »
Otsu se contenta de hocher la tête en remerciant d'une voix faible tous ses amis fidèles qui avaient tant hâte de la revoir.
Sur le toit, les filles se serrèrent les unes contre les autres. Il faisait froid cette nuit là, mais le ciel n'était pleins que d'étoiles, et les catins de l'Oeillet avaient eu envie de profiter du spectacle. C'était leur tour.
« Tu aurais peut-être dû rester là où tu étais Otsu, finit par jeter Emi.
- C'est ce que je me dis aussi... Mais je suis contente de vous revoir, vous. Otsu se tortilla une mèche de cheveux. Ils avaient repoussés, mais étaient encore un peu court l'Oeillet.
- Au moins nous tu nous revois. C'est pas le cas pour la couleur de ton argent, tu sais ça ?
- Pourquoi tu dis ça Emi ? s'étonna Fuyu.
- C'est évident. Dame Yukari et Monsieur vont trouver pleins d'excuses pour te prendre ton salaire, ils vont dire que ton absence leur a coûté cher. Et c'est... Sûrement vrai, en fait. Quoi ? Emi se tourna vers Hono. Tu peux répéter, je n'ai pas compris.
- Est-ce que... Est-ce que tu sais ce que faisais Pavas pendant la danse ?
- De quoi tu parles ? Il surveillait non ? S'étonna Keiko en tournant la tête dans tous les sens.
- Non, non. J'ai vu moi aussi, et oui, je sais. J'ai entendu Monsieur lui donner des consignes. Il a noté tous les noms des clients qui ont eu une réaction particulière en voyant Otsu. La peur, ça se voit. Et s'ils ont peur, c'est qu'ils savent quelque chose. Donc Monsieur a décidé d'en profiter. Dis donc Otsu, même si tu leur a coûté cher, entre ton petit caporal-chef et ce nouveau chantage, tu va rapporter gros ! Lui lança Emi avec un clin d'oeil. Cette journée m'a tuée. Fuyu, tu viens dans ma chambre ? J'aurai bien besoin d'un massage. »
Fuyu acquiesça et suivit Emi jusqu'à sa fenêtre. Otsu l'interpella juste avant qu'elle ne disparaisse.
« Je n'ai jamais pu profiter d'un de tes massages. Tu m'en fera un bientôt Fuyu ?
- Promis, tu me demandes, tu sais où me trouver. Mais fais ça avant de disparaître à nouveau s'il te plaît !
- Ou que quelqu'un d'autre ne disparaisse !
- Ne dis pas ça Emi, tu vas nous porter malheur !
- Haha, j'y penserai en tout cas Fuyu. Bonne nuit les filles. »
Otsu se releva et s'étira. Elle n'avait pas autant travaillé que les filles, puisque son rôle dans la danse consistait surtout à rester assise, mais elle était pourtant épuisée.
« Reviens vite sous la couverture Otsu, tu vas attraper froid. » rit Keiko en lui ouvrant les bras.
Mais Otsu ne ressentait pas le vent frais qui courait sur sa peau et dansait dans ses cheveux. Il n'y avait pas de place dans son corps. La fatigue pesait trop lourde.
« Je vais aller me coucher moi aussi. Ca va ton bras Hono ? Tu en as pour combien de temps d'ailleurs ?
- Encore cinq semaines, au moins. C'est douloureux par moment, mais c'est aussi un avantage, pas de danse ou de musique pour moi, ni à devoir faire des choses avec les clients. Donc je suis tranquille.
- Veinarde ! »
Hono grimaça tristement, puis lui tira la langue.
« Jalouse. Allez, va donc te coucher. Bonne nuit Otsu, à demain.
- A demain les filles. »
Après quelques jours, la nausée et le vide dans l'estomac d'Otsu finirent par s'estomper. Le visage dans le miroir n'était toujours pas le sien, et, les yeux grands ouverts, la brune avait besoin de se pincer la peau pour se reconnaître. Si la douleur ne l'atteignait pas, les rougeurs qui fleurissaient sur ses joues, elles, lui prouvaient assez qui était cette femme vide dans le reflet.
Une nuit, Otsu rejoignit Keiko dans sa chambre. Elle espérait que ses caresses et ses baisers la réveillerait, que son âme regagnerait enfin son corps, qu'elle redeviendrait Otsu et ressentirait enfin quelque chose. Leurs lèvres se caressèrent longtemps, leurs corps se soudèrent toute la nuit, sans jamais se décrocher, ils ne s'écartaient que pour mieux se retrouver dans de profonds soupirs. Mais ceux d'Otsu étaient ceux d'une prostituée. Il y avait bien eu un petit frémissement de plaisir, au début, qui disparût presque aussitôt. Elle entendait les gémissements de Keiko, se contentait de son plaisir, mais sa peau restait glacée. La chaleur de Keiko ne l'atteignait pas, et si la belle courtisane mordait un sein ou caressait une cuisse, Otsu ne s'en apercevait pas. Son amante était pourtant partout sur son corps, mais elle ne ressentait rien d'autre qu'un vague poids. Seul le plaisir de Keiko lui arracha des soupirs, assez pour qu'elle ne s'aperçoive pas que cette nuit d'amour était une aussi une nuit d'ennui.
Quand Otsu regagna sa chambre, elle prit place devant sa coiffeuse, devant son miroir, devant son reflet. Et elle se chercha. Longtemps après l'aube, elle ne s'était toujours pas trouvée.
Et voilà, Otsu a retrouvé le chemin de l'Oeillet. Ca m'avait manqué, et à elle aussi, mais le retour est plus dur à faire que ce qu'elle imaginait.
J'ai réalisé récemment que cette histoire avait plus d'un an ! Alors merci, merci, merci à vous d'être toujours après tout ce temps, de lire les aventures d'Otsu et de lui donner vie.
Et on approche de la fin après tout ce temps. Bon, ce n'est pas encore pour tout de suite, mais je crois à vue de nez qu'il doit rester encore une dizaine de chapitres, si rien ne vient se rajouter dans mes plans ^^
A bientôt !
