Déjà un nouveau chapitre ?

Huhu. Wi. J'avais vraiment hâte de le sortir celui là

Bonne lecture !

Chapitre 27

Le pinceau lui échappa des mains, pour la troisième fois. Elle tremblait tellement. Mais pas de froid. Au contraire, il faisait trop chaud dans cette chambre, malgré la fenêtre laissée grande ouverte. Otsu se pencha pour ramasser le pinceau, encore mais c'est son poudrier qui lui glissa alors des doigts. Par chance, Otsu se redressa juste à temps et, pour ne pas risquer un nouvel accident, le posa tout au fond de sa coiffeuse. Dame Yukari serait furieuse si elle faisait tomber sa poudre de riz, ce serait un tel gâchis.

C'est juste que Otsu était vraiment nerveuse. Sans aucune raison, évidemment. Cela faisait longtemps que la catin n'avait pas vu son illustre client, et elle s'inquiéteait de lui révéler les plans de Dame Yukari. C'était tout. C'était tout, mais cela la rendait très, très nerveuse.

Elle tremblait tellement qu'elle dû s'essuyer les lèvres, et même les dents, à plusieurs reprises avant d'appliquer son rouge correctement. Son trait noir sur les paupières lui prit aussi un temps fou, mais par chance, malgré le tremblement de ses doigts, elle réussit à ne pas se mettre le charbon dans l'oeil. Un miracle.

Le maquillage lui avait prit trop de temps, alors Otsu se contenta de relever ses cheveux et de les coincer sous sa broche de pierres vertes. Elle avait l'air de sortir du lit, mais les filles adoptaient parfois cette allure, très équivoque. Dame Yukari n'y dirait rien.

La vieille maquerelle était d'ailleurs très agitée, elle aussi. Keiko avait déjà reçu plusieurs de ses clients, parfois même en une seule soirée, et le travail avançait bien de son côté. Ce soir, c'était sur Otsu que tout reposait. Le procès débuterait le surlendemain, il leur restait peu de temps pour manœuvrer. La catin, secrètement, espérait que cela suffirait malgré tout au caporal pour s'adapter aux plans de la maquerelle, s'ils s'avéraient aussi efficace que la vieille l'espérait. De sa poigne de fer, Dame Yukari l'installa dans l'alcôve du fond, où le thé du caporal fumait déjà sur un socle de braises, attendant d'être servi. Mais lui n'était pas encore arrivé. Il viendrait plus tard, à l'heure où les clients sont déjà tous installés et prêtent peu d'attention à autre chose qu'aux charmes de leurs compagnes. Otsu se servit un verre de whisky en l'attendant, mais il ne franchit jamais la barrière de ses lèvres. Le ventre noué, elle ne pouvait rien avaler. Alors elle attendit, les doigts pianotant sur les cuisses. Et elle se sentit soulagée, voir même... Non, pas heureuse, tout de même pas. Soulagée, seulement soulagée, quand il la rejoignit en la saluant d'un hochement de tête. Il s'installa en silence, se servit du thé en silence, but une première gorgée en silence.

« Bonjour Otsu, comment allez-vous ? »

Elle s'apprêtait à sortir ces mots, exactement ceux là, comme elle le faisait souvent pour se moquer de lui. Mais il l'avait devancé. Estomaquée, elle eu dut mal à trouver quoi répondre. C'était peut-être ça qui la tenaillait tant, en fait. Otsu avait tant perdu de son verbe avec ses autres clients. Comment donc pourrait-elle lui tenir tête, à celui là ? C'était lui maintenant qui se moquait d'elle. Et puis la catin croisa son regard gris, il n'était ni d'orage ni d'acier ce soir. Il avait quelque chose... Quelque chose comme la lune, comme la surface d'un lac miroitant dans la nuit. Alors les mots lui revinrent.

« Ha, je vois qu'on a enfin apprit la politesse ! Pas trop tôt. Je vais très bien, caporal-chef, et vous donc ?

- Je bois du bon thé... »

Il sembla vouloir ajouter quelque chose, chercher, hésiter, se décider.

« Donc je vais bien. Du nouveau ?

- Ha ça, oui. J'espère que vous avez du temps, ça va être long.

- Et bien ne traîne pas alors.

- Alors comme ça caporal-chef, on a un enfant ? »

Un autre que lui aurait recraché son thé. Et Otsu l'espérait un peu. Mais non. Il reposa sa tasse et la regarda fixement, sans que rien ne transparaisse. Pourtant, la catin en était certaine, il était loin d'être à l'aise. Elle le sentait.

« Mais de quoi tu parles ?

Allons allons, pas de cachotteries entre nous caporal, on a largement dépassé ce stade. Et un enfant titan en plus. Mais dites moi, c'est pas compliqué de forniquer avec ces bêtes là ?

- Ferme-la donc. Comment t'es au courant ? »

Il n'était même pas énervé. Posant sa tête sur le mur derrière lui, il avait simplement l'air... Epuisé.

« Ma patronne. Comment elle, elle l'a sût par contre, c'est une autre histoire que je ne saurai vous raconter. Oh, et restez polis dis donc, vous aviez fait tellement de progrès ! »

Livaï ne répondit pas. Les deux mains autour de sa tasse, il contempla le liquide ambré.

« Je suppose qu'elle t'envoie à la chasse aux informations ?

- Pas du tout. Elle m'envoie vous manipuler pour vous convaincre de ne pas sauver le garçon. Elle veut sa tête. »

D'un geste presque imperceptible, il l'enjoignit à continuer. Otsu se rendit compte en rouvrant la bouche que décidément, elle passait trop de temps avec lui si elle parvenait ainsi à le déchiffrer.

« Paraît que ce gamin est accompagné d'une métisse asiatique. Elle le suit partout, comme son ombre. S'il meurt, elle sera démunie. Et Dame Yukari compte bien lui proposer un foyer. Elle veut cette petite, et ça fait longtemps qu'elle lui court après. Et pour l'aider, Keiko et moi avons été missionnées comme ambassadrices auprès de ceux qui auront du pouvoir pendant le procès. Keiko s'y prend très bien, si tu veux mon avis. Tout le monde manipule tout le monde ici. Les patrons nous manipulent, et nous manipulons les clients. Parfois, certains clients nous manipulent aussi...

- C'est moi que tu vises j'imagines, demanda-t-il, un sourcil levé.

- Pas seulement.

- Et donc, tu vas saboter les plans de ta vieille maquerelle ?

- Cette gamine vient de Shiganshina. Je ne lui souhaite pas d'autres malheurs. Et puis, vous payez bien non ?

- Si c'est que ça, ta patronne recevra une belle enveloppe.

- J'aimerai en avoir une juste pour moi. Dans laquelle elle n'aura pas pioché d'abord.

- Où est ta chambre ? »

A une autre époque, Otsu aurait pu s'étouffer d'une telle question. Elle en aurait été gênée, et n'aurait pas su quoi répondre. Mais elle savait que le caporal n'avait aucune arrière pensée en tête. Ce qui ne l'empêcha pas de le taquiner.

« Tout en haut, la dernière sur le pan droit. Vous comptez m'y rejoindre pour finir la nuit avec moi ?

- Tu trouveras une récompense devant ta fenêtre tout à l'heure.

- Elle est ouverte la fenêtre, laissez ça directement à l'intérieur. »

Livaï acquiesça, et replongea dans ses pensées et sa tasse de thé.

« Le jour du procès... Je ne pourrai rien faire qui aille dans ton sens, ou dans celui de ta patronne, reprit-il bien plus tard. Nous avons besoin de garder ce garçon. Tu risques des ennuis ?

- Je lui dirai que je n'ai pas réussi à te convaincre... Espérons que cela suffise... »

Otsu se tût soudainement, toute à ses réflexions, et Livaï l'y laissa, attendant patiemment qu'elle les lui expose.

« Frappez-moi, finit-elle par lâcher.

- Pardon ? »

Pour la première fois, Otsu crût déceler une expression sur ses traits. De la surprise ?

« Frappe-moi, répéta-t-elle. C'est pas quelque chose qui te pose problème, si ? Frappe-moi bien fort, et sors en m'insultant, dis moi de me mêler de mes affaires et pars comme si tu étais furieux. Ca me protégera.

- Tu es sûre de toi ?

- Hm hm. Ils te verront être violent avec moi, et ils auront tous pitié pour cette pauvre petit catin. Ca devrait suffire à Dame Yukari pour lui faire oublier que j'ai échoué. La pitié, la compassion, parfois ça se mélange.

- Tu as raison, tout le monde manipule tout le monde...

- Exactement. Et avec un peu de chance, j'y gagnerai même quelques jours de vacances. Allez, frappe-moi. »

Alors Livaï se releva, remonta sa manche et serra le poing à plusieurs reprises. Et puis, main grande ouverte, Otsu le vit reculer l'avant-bras, avant de l'abattre vers elle. Ses paupières se fermèrent. Mais elle ne sentit rien. Pas de douleur, pas de... La catin ne comprenait pas. Il lui semblait sentir quelque chose, contre sa mâchoire, sa joue, sa pommette. Avait-il... Avait-il posé sa main contre son visage ? Elle n'était pas sûre. Otsu croyait sentir quelque chose, de doux, de chaud... Mais ce corps qui ressentait si peu, si mal, elle ne pouvait pas lui faire confiance. Alors elle rouvrit les yeux. Pour sombrer dans ceux de Livaï. Il était très, très proche d'elle. Otsu eut envie de reculer, mais rien ne répondait. Elle était piégée dans ce regard. Pour la première fois, elle lui trouva quelque chose de chaud.

« Excuse-moi. » laissa-t-il s'échapper d'une voix basse.

Et puis le coup partit. Otsu le sentit, parce que sa tête fut violemment tournée sur le côté. Mais la douleur ne l'atteignit pas. Elle entendit ensuite Livaï balancer violemment sa tasse sur la table, où elle se fracassa. Puis il sortit à la volée, sans un mot. Dame Yukari sembla lui courir après, se répandre en excuse, suggérer une autre fille si celle ci ne convenait plus. La réponse du caporal-chef lui parvint, distinctement.

« Elle convient très bien quand elle se mêle de ses affaires. J'aime le silence et la docilité, elle sait pourtant s'y prendre d'habitude. Matez la mieux que ça, sinon je m'en chargerais quand je reviendrai la voir. Tenez, pour votre peine et la sienne. »

Otsu devina que des billets changeaient de mains, et soupira. Dame Yukari était dédommagée, et même si sa fille n'avait pas réussi à le manœuvrer selon ses plans, elle était tout de même assurée de son retour chez eux. La vieille ne tarda d'ailleurs pas à la rejoindre dans l'alcôve.

« Otsu ! Ma fille, comment vas-tu ? Murmura la maquerelle. Mon dieu, tu saignes ! »

La catin porta une main à son visage. Oui, il y avait du sang. Elle s'était mordue la lèvre sous l'impact. Mais elle n'avait pas mal.

« Je ne vais pas pouvoir te renvoyer dans le salon, pas dans cet état. Hm, il a de toute façon payé pour la soirée, constata la vieille en comptant les billets, et même bien plus, alors ça ne fait rien. Je suis désolée ma chérie, au moins tu auras essayé. Je me doutai qu'il ne serait pas facile à convaincre, mais je n'imaginais pas à ce point ! Monte te reposer. Si tu es trop tuméfiée nous nous passerons de toi également demain.

- Merci beaucoup Dame Yukari. »

La tête basse, Otsu s'éclipsa et regagna l'étage des courtisanes. Après une longue douche, elle se faufila dans sa chambre, impatiente de trouver cette enveloppe qu'elle imaginait débordante de billets. Mais rien. Ni sur le bureau, ni sur le lit, ni même par terre, sous les meubles. Elle râla intérieurement et passa la tête par la fenêtre, pour voir si ce foutu héros était dans le coin. Même pas. Il avait dû l'oublier. A moins que... Otsu préféra ne plus y penser pour l'instant. Alors elle s'installa devant sa coiffeuse pour juger des dégâts. Une marque rouge s'étalait sur le côté droit, elle aurait probablement un hématome. Et avec sa lèvre fendue, elle s'en sortait suffisamment bien pour ne pas travailler le lendemain, espéra la catin en croisant les doigts.

Quand, quelques heures plus tard, Otsu retrouva ses sœurs sur le toit, elles n'eurent que pour elle des paroles de réconfort, et des insultes pour le caporal-chef.

« Je n'aurai jamais crû qu'il ferait une chose pareille, chuchota Hono. Il n'est pas très sympathique, mais te frapper, comme ça... Ce n'est pas quelqu'un de violent, lui. »

Otsu grimaça. Livaï, pas violent ? Elle n'était pas vraiment d'accord avec ça.

Moi si. Et toi aussi, tu le sais. Il fait seulement ce qu'il a à faire.

« Pff, c'est un militaire, cracha Emi. Tous les mêmes, ils frappent d'abord et réfléchissent après. Le héros montre enfin son vrai visage !

- C'est rare ceux qui ne nous font pas de mal. Comment crois-tu qu'ils gravissent autant d'échelons ? Renchérit Keiko. Ils blessent tous ceux qui pourraient freiner leur ascension.

- Ils ont du pouvoir, ils en profitent, confirma Emi.

- Et même sans, il faut se méfier d'eux. C'est pas le pouvoir, c'est la soif de pouvoir qui les rend dangereux. Tu en as vus d'autres Otsu, et tu en verras d'autres.

- Très réconfortant Keiko. »

Otsu aurait aimé dire quelque chose, étonnamment, elle voulait défendre le caporal-chef. Mais rien ne sortit. Elle devait rester dans son rôle. Et puis, quelque chose l'amusait dans cette situation.

« Je ne dis pas ça pour te réconforter. En fait... Je crois qu'on a toutes été surprises que ton petit caporal soit comme les autres. Alors j'essaie de me rappeler qu'ils sont tous comme ça, quand on leur en donne les moyens. Ca évite d'être déçue. Je vais dormir, et faire de beaux rêves, j'espère. A demain les filles. »

Emi alla aussi se coucher dans la foulée de Keiko. Fuyu se redressa et s'étira.

« Tu veux du baume Otsu ? Ca te soulagera, proposa Hono en se rapprochant.

- Merci Hono, mais je n'ai pas mal.

- Tu ne sens rien ? Voulut savoir Fuyu en lui prenant doucement le menton entre les doigts, pour juger des dégâts.

- Ca me lance un peu, mais ce n'est pas si douloureux."

Pensive, Fuyu observa longuement la marque sur le visage d'Otsu, les lèvres pincées.

" Tu as vécu des choses très dures ces derniers temps... Tu devais peut-être en parler au médecin à la prochaine consultation, mais je pense que tu subis les conséquences de tous ces chocs. Essaie de retrouver ton corps petit à petit. Alterne l'eau quand tu prends la douche, chaud ou froid. Touche des choses agréables. Et puis, tu pourrais aussi te caresser.

- Heu... Merci Fuyu, je crois...

- Haha, pardon, c'était peut-être un peu brutal. Mais s'il n'y a pas de causes physiques à ton état, c'est peut-être psychologique. En attendant le médecin, essaie ces petits exercices, tu peux te masser aussi comme je t'ai montré. On verra s'il y a du mieux, d'accord ?

- Hm, oui, j'essaierai. Merci les filles. »

Fuyu, Hono et Otsu s'enlacèrent longuement. Ses deux compagnes disparurent ensuite dans leurs chambres. Otsu resta seule sur le toit, à scruter le ciel. Elle ferma les yeux, se concentra sur la timide caresse du vent sur sa peau. Un sifflement perça le silence, mais Otsu ne réagit pas quand elle entendit le caporal-chef atterrir sur le toit. Elle était sûre qu'il n'était pas bien loin.


Et oui, vous ne rêvez pas, ça veut dire qu'on aura encore droit à du Livaï dans le chapitre suivant !

A très vite !