Hello there !

Nouveau chapitre, j'ai essayé de rendre le sujet le plus accessible possible, mais TW : il est question ici de viols

Allez, pas besoin de traîner plus longtemps, bonne lecture


LillieMoonlightchild : Merci pour ta review :) Ton retour me fait plaisir, il n'y a rien d'évident à rendre les émotions d'un personnage palpable, je te laisse découvrir la suite du cauchemar d'Otsu


Chapitre 31

« Je l'ai fais faire pour toi Otsu. On ne porte pas un kimono au lit. Cette petite chose fera bien mieux l'affaire. »

Dame Yukari tenait la « petite chose » à bout de bras, devant les yeux écarquillés de la prostituée. La coupe rappelait le vêtement traditionnel des filles de l'Oeillet, mais il y avait juste... Moins de tissus. Beaucoup, beaucoup moins de tissu. L'entrejambe n'était couverte que par deux voiles, que les clients pourraient rabattre au grès de leurs envies. Plus besoin de s'embêter à remonter la jupe. Plus besoin de faire le moindre effort. C'était bien pour ça qu'ils paieraient de toute façon.

Un prix exorbitant. Plus élevé encore que ce que les patrons demandaient pour Keiko. Tu peux être fière de toi, lui avais dis Dame Yukari, tu es notre fleur la plus chère.

Oh. Oui. Otsu était très fière. Au point d'en vomir. Mais elle évitait. Vomir, quand on ne peut pas tourner la tête, ce n'est pas une bonne idée.

« J'ai aussi prit ça chez l'apothicaire, ce sera plus agréable pour toi. » rajouta la vieille femme en posant une fiole sur le bureau.

Otsu dû l'observer longuement avant d'enfin comprendre ce dont il s'agissait. Une huile, que ses clients pourraient s'appliquer avant de la pénétrer. Pour ne pas lui faire mal. Moins mal.

Il n'y en avait pas, à l'Etage Privé. Encore un privilège pour Otsu. Ses sœurs n'étaient pas censés avoir besoin de ces produits. Elles étaient censées se tenir toujours au bord du désir, toujours prêtes à recevoir leurs clients. Elles devaient être naturellement accueillantes.

Mais de toute évidence, les clients un peu particuliers d'Otsu savaient que le jeu ici serait différent. Alors qu'ils s'amusent avec ce corps de femme, mais qu'ils ne l'abîment pas trop. Des règles, toujours des règles.

Dame Yukari essaya de lui passer son nouvel uniforme, mais Otsu, incapable de bouger, ne lui fut d'aucune aide, et la maquerelle se redressa en haletant. La jeune femme n'était pourtant pas bien lourde. Elle avait perdu beaucoup de poids au cours des dernières semaines, le choc, ou le népenthès, avait eu un impact sur leur appétit. Si Emi mangeait plus que de raison, les autres picoraient seulement dans leurs assiettes.

Otsu se forçait à manger quelques becqués dans les bols que lui apportait Keiko, chaque jour, chaque midi, chaque soir. Malgré tout, cette carcasse qui restait allongé demeurait trop pesante pour les bras frêles de Dame Yukari.

Otsu la dévisagea, alors qu'elle reculait en chancelant et trouvait la chaise à tâtons pour se laisser tomber dessus, le souffle court, une main à la poitrine. La maquerelle avait-elle toujours été aussi vieille ? Otsu chercha dans sa mémoire, et il lui sembla trouver des différences, entre la femme qui lui faisait face maintenant, et celle qui se rendait en souriant dans les alcôves, tenant un plateau de verres encore intacts. Celle qui n'avait pas encore posé les yeux sur le corps d'Hono. Dame Yukari aussi semblait amaigri. Fatiguée. Harassée, même. Son dos s'était courbé sous un poids que personne ne voyait. Ses yeux fixaient quelque chose qui n'existait que pour eux, et qui semblait bien loin, si loin, à un autre endroit, à une autre époque. Et Otsu ne pouvait pas l'atteindre. Ni de la voix, ni de la main. Alors elle attendit, la peau parcourût de frissons, les poils dressés sur ses bras. La bouche sèche. Sa chambre puait. Pas la sueur, pas l'odeur moite et âpre d'un corps. Keiko après tout lui faisait sa toilette tous les matins. Non. C'était l'odeur de la peur. Celle de la catin imprégnait déjà chaque ombres de la chambre. Celle de Dame Yukari s'y mêla et l'air devint étouffant. Otsu ne pouvait pas se boucher le nez, alors elle bloqua sa respiration, assommée.

« Otsu ? Tu vas bien ? »

La voix timide et apeurée de Keiko. Otsu expira. Inspira. Toussa.

« Keiko ? Dame Yukari sembla reprendre ses esprits, balaya du regard la plus belle de ses fleurs avant de hocher la tête.

« Tu viens la nourrir ? Parfait, tu pourras m'aider. Qu'elle mange d'abord, vient me prévenir quand ce sera fini, nous la préparerons ensuite, il faut la faire belle. »

Keiko hocha la tête, une fois, les traits figés, les yeux hagards. Brillants. Comme si elle était au bord des larmes. Dame Yukari enfonça ses serres dans son épaule et captura son regard un instant. Un instant suspendu, où les mots ne s'exprimèrent que par les yeux. Keiko se secoua avant de s'approcher du lit.

« Allez Otsu, tu as droit à des fruits ce soir. »

Une bouillie de fruits, puisque la pauvre putain peinait trop à mâcher, à déglutir. Personne ne prendrait le risque qu'elle s'étouffe. Même ça, ça lui était refusé. Alors Keiko lui donna à manger, une cuiller après l'autre. Un fruit devait être rance, il y avait un goût désagréable, mais Otsu ne pouvait pas détourner la tête, et si elle gardait les lèvres fermées, Keiko savait en forcer la barrière. Pas comme si elle rencontrait beaucoup de résistance, de toute façon. Avant d'avoir fini le bol, Otsu sentit le sommeil la gagner. Manger puisait dans le peu d'énergie qu'il lui restait. Avant de sombrer, elle sentit quelque chose couler sur son menton. Essuyé par un tissu. Rêche. Et puis le noir. La catin ne pourrait pas s'admirer vêtue de son nouvel uniforme.

Otsu tomba dans la nuit. Otsu tomba dans les étoiles. Elle tournoyait, tourbillonnait, sa tête à un endroit, le reste de son corps ailleurs, ses yeux plus loin. Ses oreilles devaient toujours être accrochées à son crâne, car parfois, elles captaient des bruits, des sons venus de loin, de l'autre bout du ciel, là où le bleu est presque blanc quand le soleil luit. Là où le bleu se fond, se fait fumée, se fait rêve. Mais il n'y avait pas de soleil. Il n'y avait que la nuit, partout. Parfois, son corps se mouvait. Une main, quelque part, se pressait, se serrait, s'explosait. Des vagues la traversaient, son corps dans le ciel était une rivière, et le courant la secouait. Un courant brutal, un courant qui montait, un courant qui descendait, qui la secouait dans tous les sens. Un courant brûlant. Otsu avait envie de vomir, ballottée ainsi entre les vagues et les rochers. Le courant, toujours, s'apaisa d'un coup, s'arrêta, mais alors il se fit lourd, écrasant, et le souffle lui manqua, et Otsu toussa, cracha, comme si elle avait bu la tasse.

Quand le poids disparût, Otsu fut libre de voler à nouveau à travers les étoiles. La nuit était plus profonde, si c'était possible. Mais ça ne dura pas, le courant revint. S'il n'était pas brutal, il pouvait être lent, trop lent, et toujours brûlant, un couteau dans ses entrailles.

Mais elle ne possédait pas d'entrailles.

Juste un corps disloqué.

Plus tard, les membres se rassemblèrent. La main se détacha du drap serré, les ongles s'arrachèrent de la peau qui cicatrisait déjà. Mais la douleur n'était pas là. C'était ailleurs qu'elle germait comme une fleur sous le soleil du matin. Otsu la ressentit, encore lointaine. Le bas de son corps lui semblait loin, seulement rattaché au reste par un fil. Les douleurs passaient par là, en rang serré, chacune son tour.

Ses yeux se remplissèrent de larmes, sa gorge se remplit de bile et elle crachota. Dans l'odeur du vomi, du stupre et du désespoir, Otsu parvint à se rendormir, à trouver quelque chose qui ressemblait à du repos, sans étoiles, sans rivière, sans nuit.

Quand elle se réveilla, son esprit lui semblait un peu moins éparpillé. Devant elle, Keiko s'affairait, passant un chiffon humide sur son corps nu, chassant la puanteur, la sueur et le reste. Les mains de sa sœur tremblaient, le visage tendu, blanc, les yeux écarquillés, et les lèvres sèches. Otsu essaya de se redresser, oubliant quelques instants que rien ne répondait, mais la mémoire lui revint soudainement, et elle abandonna la lutte avant même de l'avoir vraiment entreprise. Keiko s'aperçut que le corps dans le lit était éveillé, et elle sourit, comme si des épingles lui étirait les lèvres.

« Bonjour Otsu... Je termine ta toilette et après... Après, je te donnerai à manger. »

Il y avait des sanglots dans la voix de Keiko. Et Otsu, entre les nappes de brume dans sa tête, commença à comprendre. Elle ne savait pas très bien quoi, pourtant, mais elle comprenait. Si seulement son esprit était capable de se rassembler.

Otsu devina qu'elle n'était pas malade. Mais elle n'avait pas les idées encore assez claires pour tout comprendre. Et après que la bouillie de fruit lui ait remplit la panse, Otsu n'eut plus d'idée, seulement sommeil.

La nuit revint. Les étoiles, aussi. Le courant l'emporta.

Les jours s'écoulèrent ainsi. Otsu ne remarquait même plus les rayons du soleil. Elle savait seulement qu'il était là, quelque part, dehors, quand Keiko venait dans sa chambre pour faire sa toilette et la nourrir. Quand elle disparaissait, elle laissait sa place aux étoiles et au courant.

Au soir. Et aux clients.

Peu à peu, ce qu'il y avait dans sa bouillie de fruit qui faisait tant pleurer Keiko fit moins effet. Peut-être l'habitude. Ou peut-être parce qu'elle se nourrissait de moins en moins. Un soir, Otsu sentit presque le lit s'affaisser sous son poids, sous le poids de celui qui l'écrasait. La nuit suivante, elle sentit son corps être soulevé à chaque coup de boutoir. Elle en vint à regretter la profondeur du ciel. La douleur se fit plus forte, comme si ses membres éparpillés se ressoudaient un peu plus chaque jour. Un soir, la catin sentit une mèche de cheveux se coincer entre ses lèvres. Elle voulut la saisir, l'avaler, s'étouffer avec et mourir là, dans ce lit autel où la maquerelle la sacrifiait chaque nuit.

Et puis, un autre soir, après s'être laissée entraînée le long d'un courant brutal, le calme vint, et il dura. Il y avait des voix de l'autre côté des ombres floues qui peuplaient sa chambre. La voix de Dame Yukari, et une autre, qu'elle reconnut. Une voix alarmée, peinée, mais ferme. Une voix qui ne vint pas marchander, ni supplier. Otsu comprit qu'il n'y aurait plus de rivière, plus de courant. Elle entendit la porte de sa chambre se fermer. Le raclement d'une chaise qui s'approchait du lit. Une main douce saisit la sienne. Otsu ressentit tout ça, et elle le vit presque. La silhouette était pâle, incertaine, mais l'éclat des lunettes lui donna envie de pleurer. Quelque chose qui ressemble à de la joie, à du soulagement, si tout cela à un jour existé, si tout cela a déjà eu du sens. Si cela en avait encore. La bouche sous les lunettes lui parla, Otsu entendit, mais ne comprit rien. Son corps que plus rien ne viendrait ballotter s'affaissa, et elle s'endormit. A son réveil, les lunettes étaient toujours là. Keiko aussi, Keiko qui sanglotait sur l'épaule d'Hansi. En voyant sa sœur réveillée, la catin s'essuya les yeux et s'approcha, lui tendit une tasse de thé, l'aida à boire, nettoya son menton dégoulinant.

Ce qu'il se passa ensuite se mêla et s'entremêla dans l'esprit d'Otsu. Il y eut d'abord de longues heures de sommeil sans rêve. Les cauchemars n'arrivèrent que plus tard, lorsque son corps se couvrit de sueur. Lorsque son corps fut tellement secoué de spasmes que sa peau aurait pu se déchirer. Des linges humides furent appliqués, le vomi fut nettoyé à chaque fois que ce fut nécessaire, les draps étaient changés, plusieurs fois par jour au début. Ostu était presque consciente de ce qu'il se passait à l'extérieur d'elle, mais ce qui il y avait à l'intérieur prenait beaucoup plus de place. Une nuit, son père revint pour finir le travail. Son père, aussi grand qu'un titan, essaya de saisir sa jambe alors qu'elle escaladait les ruines de l'Oeillet. Il planta ses dents dans son bassin et la broya, et Otsu hurla, et ses sœurs accoururent, mais personne ne parvint à la réveiller.

Elle apprit plus tard qu'il s'écoula quatre jours avant qu'elle émerge enfin, épuisée, amaigrie, éteinte. Le premier jour où elle parvint à se lever, Otsu s'approcha de son miroir en se tenant à tout ce qu'elle trouvait. Elle sursauta en se découvrant dans la glace et manqua s'effondrer. Ses joues creusées et ce teint blafard lui rappela la fillette qui revenait les mains vides à la maison, celle qui se prenait des coups de la part d'un père ivrogne. Elle s'affala sur son lit, avant de préférer se laisser tomber par terre. Elle ne voulait plus jamais toucher ce matelas, s'allonger entre ces couvertures. Une tombe lui aurait été plus accueillante.

Il fallut encore du temps avant que la catin ne soit capable d'avaler un repas solide sans le vomir. La drogue avait profondément planté ses griffes dans son organisme, les plaies mettraient du temps à cicatriser.

Incapable de dormir dans son lit, incapable de rester seule, Otsu passait ses nuits avec Keiko, blottie dans ses draps. Une nuit, peu avant l'aube elle lui avoua tout.

« Tu te souviens de quelque chose ? » Demanda la belle brune pour commencer.

Otsu hésita. Devait-elle parler des étoiles ? Du courant ? Elle préféra secouer doucement la tête.

« Ca a duré cinq jours, reprit Keiko. Mais la drogue... Tu n'avais jamais arrêté de la prendre. Dame Yukari t'en donnait toujours. Mais pas que le népenthès. C'est pour ça que tu ne pouvais plus bouger. Je ne sais pas pourquoi, mais Monsieur a ordonné que tu sois un genre de... Proposition alternative. Pour les clients qui avaient bien aimés nous voir amorphes. En fait, j'imagine que je sais très bien pourquoi, ils étaient prêts à payer très cher. Nous étions toutes les trois protégés par nos clients réguliers. Moi, un peu plus que vous autre, les miens sont particulièrement riches, entre autre. Et Emi est un peu malade depuis quelques semaines, j'imagine qu'ils l'ont estimés trop fragile. Fuyu aurait peut-être détecté les drogues, c'était en tout cas un risque qu'ils n'ont pas voulut prendre. Il ne restait que toi. Arbeit est mort, ton caporal était en mission extérieure, tu n'avais plus aucun client vraiment prêt à te défendre.

- Et vous ?

- Qu'est-ce que tu aurais voulut qu'on fasse ? » demanda Keiko, la mine basse. Et son regard parlait de fatigue et de désespoir.

« Tu aurais pu commencer par ne pas me nourrir de ces poudres... » murmura Otsu.

La belle catin poussa un profond soupir.

« Au début, j'ai refusé. J'ai menacé Dame Yukari de partir. Mais... Ils avaient un argument... Tu savais qu'Hono avait une grande famille ? Plusieurs frères et sœurs... Et c'est elle l'aînée. Elle envoyait l'intégralité de son salaire à ses parents, pour les aider, parce que leurs plantes ne leur rapporte pas assez. Dame Yukari et Monsieur se sont mis d'accord pour continuer à envoyer l'équivalent de la paie d'Hono à sa famille. A la condition qu'aucune de nous ne quitte l'Oeillet, et que nous les aidions à... Faire marcher la boutique, comme ils ont dit. Ce qui impliquait de te mettre, toi, à disposition de nos clients aux envies les moins ordinaires. Nous n'avons rien pu faire pour sauver Hono... Alors... Alors...

- C'est bon. J'ai compris. »

En fait, Otsu n'était pas certaine d'avoir vraiment comprit. Mais elle voyait comme le choix avait dû être difficile à faire. Comme ses sœurs avaient dû se sentir au bord d'un précipice.

Pourtant, si c'était Keiko que Dame Yukari et Monsieur avaient voulut sacrifier, Otsu ne l'aurait pas laissé faire. Elle aurait condamné la famille d'Hono sans sourciller. Hono était peut-être douce, discrète et d'une gentillesse rare, elle était peut-être morte, mais elle n'était pas grand chose pour Otsu. Alors que Keiko... Même si leurs étreintes lui semblaient remonter à une éternité, elles avaient partagés ensemble leurs corps, leurs soupires, leurs cris. Elles avaient partagés des caresses et des larmes invisibles. Des secrets et des tendresses.

Avec Fuyu, Otsu avait apprit que le plaisir était partout, pour tous, que les mains pouvaient autant qu'une bouche ou la porte entre leurs cuisses. Avec Emi, Otsu avait échangés des rires complices et des confidences futiles.

Hono lui avait offert son baume à la lavande et ses silences paisibles. Il lui apparaissait que cela valait moins que tout le reste.

Otsu n'aurait échangé aucune de ses sœurs contre la famille d'Hono.

Aurais-tu échangé Hono contre l'une d'elle ? Contre Keiko ?

La catin secoua la tête, et le regretta aussitôt. La douleur lui arracha une grimace. Son corps était loin d'être remis. Elle aurait bien aimé avoir un peu de népenthès pour endormir chaque parcelle de sa peau à vif. La peau, et sous la peau. Et elle ne le dirait jamais, elle avait déjà du mal à se l'admettre à elle même, mais Otsu aurait payé cher pour une cuillère de cette bouillie de fruit et de poudre. Le goût avait eu beau être infect, ses papilles en réclamaient une bouchée à chaque instant.

Le népenthès, la bouillie, les fruits, les poudres, peu importe, mais quelque chose pour tuer les pensées qui brûlaient chaque nerfs qui courait le long de ses membres et enflammaient son cerveau. La main fraîche de Keiko se posa sur son front.

« Tu es toujours avec moi ?

- Je... Je ne suis pas sûre. »

La courtisane soupira et lui tendit un verre d'eau.

« Tu es encore un peu chaude. Mais ça va passer. Ton corps a éliminé le poison... Maintenant, il le réclame. Laisse toi quelques jours, et tu iras mieux. »

Otsu s'écarta de sa sœur, la bouche pincée. Elle ne voulait plus passer une seule nuit en sa compagnie. Pas plus qu'elle ne franchirait une nouvelle fois la porte de sa chambre. La nuit suivante la trouva alors, allongée dans le lit d'Hono, entièrement blottie contre le mur, pour ne pas écraser les contours du corps de sa sœur disparût et les brins de lavandes séchées maintenant. Au matin, les creux, côte à côte dans le lit, ne ressemblaient pas à ceux de deux amantes alanguies, mais plutôt à des enfants serrées l'une contre l'autre pour fuir les cauchemars de la nuit.

Il faisait déjà jour. Otsu avait traîné. Le sommeil l'a laissé plus épuisée que la veille. Titubante, elle se redressa et quitta le lit, hagarde. Ses pas hésitèrent sur ce sol exactement pareil à celui de sa chambre, et pourtant différent. Ses mains s'agrippèrent aux meubles, ses yeux tâtonnèrent. Otsu s'assit sur la chaise devant le bureau. Ou, plus exactement se laissa tomber là, comme elle aurait pu s'étaler par terre. Son petit orteil heurta un tiroir aux pieds de la coiffeuse et la catin étouffa un cri, de douleur ou de colère, peut-être un peu les deux.

Ne cherchant même pas à retenir des grommellements peu élégants, Otsu se pencha et pressa le tiroir pour le refermer. Mais rien ne se passa. Quelque chose bloquait. Avec précaution, la catin le retira de son logement et l'observa d'abord de tous les côtés, pour le trouver sans défaut. S'agenouillant par terre, elle enfonça la main dans l'emplacement vide... Pas si vide que ça. Tout au fond, ses doigts tâtèrent quelque chose. Du papier. Doucement, c'est une vraie liasse qu'elle extirpa du trou et qu'elle contempla, perplexe. Elle voulut lire les mots qui s'étalaient, encore flous sous ses yeux, quand des bruits de pas dans l'escalier l'arrêtèrent avant qu'elle puisse commencer à seulement comprendre ce qu'il y avait là, dans ses mains. Les pas se hissèrent et remontèrent le couloir pour s'arrêter devant la porte d'une chambre. La sienne. Un poing y toqua trois coups brefs, et la voix de Dame Yukari s'éleva, chevrotante, dissimulant mal une inquiétude qui ne lui était pourtant pas coutumière.

« Otsu ? Es-tu réveillée ? Otsu ? Lève toi ma fille, quelqu'un te demande en bas. »

Vivement, la jeune femme glissa les feuillets dans l'intérieur de son vêtement de nuit, coincé dans la ceinture qui maintenant ses seins, et ouvrit la porte en silence. Un petit sourire se perdit sur ses lèvres quand elle vit la vieille maquerelle sursauter et porter une main à sa poitrine, les yeux grands ouverts. Elle ne se serait jamais attendu à voir la porte de la chambre d'une morte s'ouvrir.

« Que diable faisais-tu là ma fille ? »

Comme Otsu ne répondit rien, Dame Yukari reprit.

« Bien, peu importe. Habille toi vite, quelqu'un te demande... Je ne sais pas ce que tu as encore fait ma fille, mais tu vas nous mettre sur la paille à force...

- De quoi parlez-vous Dame Yukari ? demanda la catin d'un ton las.

- De tous les ennuis que tu nous cause depuis que tu es là.

- Je pensais vous avoir rapporté beaucoup pourtant, grinça Otsu. Ne se sont-ils pas bousculés pour avoir le privilège de partager les restes du héros de l'humanité ? Et ceux qui montaient jusqu'à ma chambre, ils vous ont bien rapportés non ? Cracha-t-elle toutes dents dehors.

- Oh, nous avons eu des arrangements... Ca compense bien la perte de tous nos clients qui ont disparût après ta... Petite victoire dans la fosse."

Otsu dévisagea la vieille femme, les yeux grands ouverts, la bouche béante sur un silence choqué.

- Ca suffit. Prépare-toi donc.

- Et quel kimono dois-je mettre ? demanda-t-elle en claquant de la langue.

- Qui a parlé d'un kimono ? Ce n'est pas un client qui veut te voir, c'est un soldat. »

De plus en plus perplexe, Otsu regagna sa chambre et se dirigea vers son armoire, gardant ses yeux rivés sur le meuble, pour ne rien voir d'autre. Un soldat ? Non, elle ne devait pas s'interroger. Elle ne devait pas espérer. Ses mains saisirent des vêtements de civils sans se soucier de ce qu'elles attrapaient, et la catin s'habilla, et peu lui importait que la chemise n'aille pas avec la jupe. A un moment, l'Otsu qui avait aimé s'acheter de jolis vêtements avec une paie durement gagné, qui avait aimé les revêtir pour oublier le kimono qui puait l'alcool et la sueur, à un moment, cette Otsu avait disparut. Et celle qui aurait pu, un court instant, vouloir plaire à ce soldat qui l'attendait en bas, n'avait comme jamais existé. Est-ce qu'elle était endormit, est-ce qu'elle était morte ? Otsu ne pouvait pas le savoir. Quelque chose en elle aurait pu, un autre jour, se griser de cette visite, se laisser porter par son imagination. Mais pas aujourd'hui. En s'arrêtant devant son miroir, Otsu vit son reflet, piégé là de l'autre côté de la glace. Elle comprit alors que la créature effrayante qu'elle y avait vu, un soir, s'en était échappé pour prendre sa place. Et la vraie Otsu, maintenant, était enfermé de l'autre côté. Cela ne lui fit rien. Elle s'en moquait.

Prête, la catin descendit, traversa le couloir qui menait au salon le thé, celui ouvert en journée, et se trouva nez à nez avec un visage connu. Mais cœur se pinça à peine en constatant qu'il n'avait pas les cheveux noirs, rasés sur le côté, et des yeux gris.

« Moebias ?

- Evonne Turner. Veuillez me suivre. »


Le prochain chapitre ne devrait pas tarder normalement, et spoiler : il y aura un grand retour ;)