Hello !

Nouveau chapitre, avec un grand retour ;)

Ce chapitre, j'en ai bavé à l'écrire, et il n'y a que la fin qui me convienne un minimum, il était tant de passer aux choses sérieuses

Suite à la suggestion d'une lectrice sur une autre plateforme, cette histoire va avoir droit à un tome 2

Ce chapitre devait être le dernier du tome 1, mais il était vraiment long, donc je l'ai coupé en deux

Le prochain chapitre sera le dernier de Bienvenue à l'Oeillet, et on entamera ensuite ce qui sera, normalement, le dernier arc des aventures d'Otsu

Mais je vous en dirai plus au prochain chapitre ;) en attendant, bonne lecture !

Sugarfree : le grand retour est là :D et on sait bien de qui il s'agit ^^ j'espère que son attitude collera à ce que tu attendais de lui ;) bonne lecture !

Chapitre 32

Ils traversèrent la ville à pied. Sur leur chemin, Otsu s'étonna du nombre de soldats dans les rues.

« Il se passe quelque chose ?" Finit-elle par demander à Moebias alors qu'il s'arrêtait pour laisser passer une petite blonde aux armoiries des Brigades Spéciales qui semblait escorter des civils.

« Hm, grogna Moebias. Tu sais, le gamin là, celui qui se transforme en titan... Il va être jugé aujourd'hui, les Explorateurs vont passer par ici. Alors forcément, on est tous un peu à cran.

- Mais, pourquoi tu n'es pas avec les autres alors ?

- J'ai... J'ai reçu un ordre... Moebias s'approcha un peu plus d'elle et baissa encore le ton. Un ordre d'en haut. De Pixis lui même, en fait. Il y a une voiture qui t'attends à la sortie de la ville et je dois t'y escorter. C'est tout ce que je sais... »

Moebias recula et la dévisagea longuement, les traits tirés, la bouche tordue. Otsu vit passer un certains nombres de questions que sa langue refusait de livrer. Il allait finir par se la mordre, à force de les retenir.

« Tu as quelque chose à me demander ? Se décida-t-elle à lancer, pour l'aider.

- Eh bien... Pourquoi Pixis... Enfin... C'est un de tes clients, j'imagine ?

- Le vieux Pixis ? Otsu manqua s'esclaffer. Certainement pas. Je ne l'ai jamais vu à l'Oeillet.

- Mais alors pourquoi il veut te voir ?

- Il... Quoi ? La catin garda la bouche grande ouverte, perplexe.

- Bah, j'ai supposé qu'il réclamait un rendez-vous un peu particulier, pour te faire venir comme ça, hors de la ville... Si c'est pas lui, peut-être pour un de ses amis ? Mais si tu ne l'as jamais vu... »

Otsu n'en savait pas plus que lui, mais admis qu'il n'était pas impossible qu'un ami de Pixis soit client de l'Oeillet... Et qu'il profite de mieux placés que lui pour l'attirer en dehors du salon de thé. La courtisane n'avait pas de raison de douter des scénarios les plus improbables, elle en avait déjà eu son lot.

Le reste du trajet se fit en silence, et quand ils atteignirent enfin les portes de Stohess, Moebias s'approcha d'une voiture et lui ouvrit la porte.

« Ma mission s'arrête là, le cocher t'emmènera là où tu es attendu. Bonne route, et fais attention à toi.

- Merci Moebias, toi aussi. »

Il lui fit un signe de la main avant de s'éloigner, laissant Otsu là, les mains ballantes, ne sachant pas trop quoi faire. Elle porta son attention sur la voiture qui, de toute évidence, l'attendait, sans parvenir à se convaincre de monter dedans. Cette voiture pouvait très bien l'amener dans un coin isolé, complètement perdu, dans la maison d'un couple qui possède des cachots par exemple, et une fosse à titan bien cachée. Peut-être qu'il y avait quelqu'un dans le véhicule, qui l'observait, les mains bien serrées sur un couteau, prêt à l'égorger, la tringler, puis balancer son corps dans une rivière. Quelqu'un de haut placé qui ne serait jamais, jamais inquiété pour le crime d'une putain, même de luxe. Sur son perchoir, le cocher se pencha un peu vers elle.

« Vous venez mademoiselle ? C'est pas très loin, mais il y quand même a un peu de route. »

Dans son dos, Otsu vit les gardes s'amasser devant la grande porte. Ils faisaient de grands gestes et leurs armes étaient bien en évidence. Elle n'eut pas très envie de faire demi-tour, si Moebias était de mèche dans ce traquenard, il n'était peut-être pas le seul. Otsu grimpa donc dans la voiture, les poings serrés, l'oeil à l'affût. Aussitôt, le cocher claqua de la langue, et les chevaux partirent au trot.

De l'autre côté de la voiture, les remparts de Stohess s'éloignèrent petit à petit, mais ne disparurent jamais vraiment. Ils étaient toujours là, dans un coin de l'horizon, empêchant le ciel d'atteindre la terre. Otsu secoua la tête. Ils étaient bien, là, ces murs, qu'ils y restent, ils empêchaient les monstres de les ensevelir. Les ruelles surpeuplées de Stohess avaient disparût, remplacées par des grappes de maisons éparses, des fermes, des champs et des forêts. C'était vert, et c'était joli, et Otsu observa le paysage s'écouler sans réaliser qu'elle le faisait. Ses yeux se gorgeaient de vert, des verts, la catin avait oublié qu'il en existait tant de nuances. Elle suivit les courbes de douces collines qui reposaient paresseusement sous le soleil du matin. L'air était frais, il embaumait l'herbe et les fleurs. Quand ils passèrent devant un champ de lavande, la jeune femme voulut détourner le regard, vraiment, mais elle n'y arriva pas. Ses paupières s'agrandirent plus encore et ses yeux restèrent fixés sur l'immensité violette, essayant d'en capter chaque grain, de savourer leurs parfums et la musique des abeilles qui dansaient tout autour. Et puis la lavande disparût. Le soleil était un peu plus haut dans le ciel quand les chevaux ralentirent et que la voiture s'arrêta enfin. Otsu posa les pieds dans la boue. Ca aussi, elle avait oublié. En grimaçant, elle secoua ses souliers, puis abandonna en soupirant.

« Je vous dis à demain madame, bonne journée à vous.

- A demain ?

- Oui oui, c'est moi aussi qui vous ramène demain. »

A savoir si c'était une bonne nouvelle, il était encore un peu tôt pour le dire, mais ce qui était sûr, c'était que le cocher avait reçu l'ordre de la ramener le lendemain. Vivante, logiquement, et pas en morceau dans des sacs.

La catin, sourcils froncés, l'observa s'éloigner avant de se tourner vers l'adorable maison qui semblait l'attendre. Sauf que ce n'était pas une maison. C'était une auberge, et c'est une petite dame du nom de Birgitt, et son immense sourire, qui l'accueillirent et l'accompagnèrent jusqu'à sa chambre. Une chambre avec un seul lit, pour une seule personne. Otsu se retourna vers l'aubergiste pour lui demander, d'une voix qu'elle tenta de garder neutre, si elle n'aurait à partager la chambre avec personne d'autre. Birgitt eut l'air étonné, mais confirma qu'il n'y avait qu'elle, et la catin ne put retenir un lourd soupir de soulagement.

Puis, elle retira ses chaussures boueuses et s'avança dans ce qui ne ressemblait pas du tout à une chambre. Ce n'était pas le luxe de l'appartement particulier d'Altonen, mais les cinq dortoirs des filles de l'Oeillet auraient tenu sans difficultés entre le petit salon privé et la chambre proprement dite.

Ce n'était pas immense, mais c'était plus grand que ce dont elle avait l'habitude, et ce n'était rien que pour elle. Ce soir, Otsu n'aurait pas à boire de l'alcool tout en riant devant les faces rougeaudes de ses clients. Elle n'aurait pas à jouer de ses lèvres ou de sa langue pour les divertir, ni à s'allonger pour leur plaisir.

Elle pourrait dormir dans un lit qui n'avait été souillé ni par le Courant, ni par les larmes, et les seules étoiles seraient de l'autre côté de la fenêtre.

Le sol était couvert de tapis moelleux, et le salon disposait de sa propre petite cheminée, qui flambait joyeusement devant une baignoire fumante. C'était l'été, mais c'était encore le matin, et Otsu apprécia la chaleur de sa chambre. Ce serait probablement trop passé midi, mais elle comptait l'éteindre après son bain.

Parce que bon sang, Otsu allait profiter de ce bain, plusieurs heures s'il le fallait, et tant pis si elle se dissolvait au fond de l'eau.

Du moins, elle aurait aimé en profiter, mais sitôt ses premiers pas fais vers la baignoire, la catin s'arrêta. Mais qu'est-ce qu'elle faisait ?

Et en fait, qu'est-ce qu'elle faisait là, dans cette auberge ? Qui avait payé pour cette chambre, pour qu'elle y reste seule ? Et pourquoi ?

Moebias tenait finalement une idée crédible, en arguant qu'un riche client l'avait demandé tout spécialement. Mais ce n'était pas le cas, personne ne l'attendait ici, et personne ne la rejoindrait dans ce petit lit, peu commode pour faire tout ce qu'Imagination pouvait suggérer dans les bras d'une professionnelle. Alors que diable faisait-elle ici ? Prudemment, Otsu s'avança à petit pas jusqu'à la chambre et passa une main sur le couvre-lit. Mue par une impulsion étrange, elle se baissa brusquement pour regarder dessous. Mais bien sûr, il n'y avait rien. Et serait-ce étrange de regarder dans l'armoire ? Otsu se posa à peine la question et l'ouvrit d'un geste vif, prête à surprendre le client avide de voyeurisme qui aurait pu se cacher à l'intérieur. Mais rien bien sûr. Tout du moins, personne, mais il y avait bien quelque chose.

Une robe blanche.

Une foutue robe blanche.

Otsu referma les portes aussi vite qu'elle les avait ouverte. Mais à quoi jouait-il ?! Ca l'amusait donc, de lui rappeler la robe de sacrifice, la fosse, ce maudit titan ? Ce jour, cet autre jour, encore un, où elle avait failli se faire tuer ? Quel sens de l'humour désastreux... Sordide. Otsu grimaça et s'éloigna à grands pas de l'armoire. Bien. Elle savait qui, maintenant, avait voulut de sa présence ici. Restait encore à comprendre pourquoi.

Et quel plaisir malsain il prenait à l'effrayer, à se jouer d'elle en l'envoyant comme ça, loin de sa maison, de son seul abri, dans l'inconnu. Il devait bien se douter, que la situation l'inquiéterait. Et que son retour à l'Oeillet, ensuite, fragiliserait encore plus sa place au bordel. Pourtant il tenait bien à ce qu'elle y reste, à ce qu'elle conserve sa place, alors pourquoi le petit caporal s'amusait à la mettre toujours plus en danger ? Otsu n'était que son jouet, rien de plus.

Il te traite étrangement, pour un jouet.

Comme tous les clients de l'Oeillet. Il n'était pas différent.

C'est toi qui n'arrive pas à le voir différemment.

Non, Otsu n'y arrivait pas, effectivement. La catin n'était pas sûre de pouvoir un jour faire la différence. Les hommes n'étaient-ils pas, finalement, tous les mêmes ? Elle ne voulait pas réfléchir, elle ne voulait pas trouver des excuses, elle ne voulait pas faire l'effort de voir s'il y avait vraiment un fossé entre Livaï et les autres clients.

Quand bien même le plus grand soldat de l'humanité n'avait jamais profité d'autres choses que de son thé, il ne l'avait pour autant pas épargner. Lui aussi, il l'avait fait souffrir.

Et où as-tu mal ?

Non. Tais-toi. Otsu secoua la tête, ses mains s'agrippèrent à son crâne et elle ferma férocement les paupières. Assez de pensées. Assez de rêveries. Assez de souvenirs. La catin ne voulait pas se laisser envahir par le doute. La colère, la peur, c'était tout ce qu'elle pouvait supporter, c'était clair, c'était logique et normal. Elle refusait de sombrer dans un abîme d'incertitude, et pire, d'espoir. Otsu se força à garder en tête les menaces et les coups du caporal, et rien d'autre. Quand les muscles de sa mâchoire se crispèrent, elle sut qu'elle était revenue sur un terrain plus stable.

Elle repensa au bain. Il était là de toute façon, tout rempli d'une eau chaude et plus qu'accueillante. Retirant ses vêtements prestement, manquant les déchirer, Otsu attrapa une robe d'intérieure, fournie par l'auberge, et savoura chacun de ses pas sur les différents tapis, jusqu'à la baignoire.

L'eau était chaude, juste un tout petit peu plus que ce qu'un médecin aurait conseillé. Ou Dame Yukari même, parce que l'eau chaude abîmait la peau. Le savon embaumait, mais pas la lavande, sinon Otsu n'aurait jamais profité de son bain. Il sentait la rose, et ça aurait pu être une senteur délicieuse. Comme le feu aurait pu être hypnotique.

Mais en fait, malgré tout ça, Otsu n'arrivait pas totalement à se détendre. Des images de l'Oeillet venaient régulièrement exploser devant ses yeux. Des images de la fosse. Des images d'un titan. De plusieurs titans. Au début, ce n'était que ses yeux, mais bientôt, à ses oreilles hurlèrent des voix. La sienne. Celle de son père. Les filles de l'Oeillet. Hono. Le bruit d'un mur qui s'effondre, de rochers qui volent et s'écrasent sur des maisons, sur des personnes, sur des bras, des têtes et des jambes. Le bruit de soupirs et de grognements, de corps qui percutent des corps. Au parfum de la rose se mêla celle de la fumée, de la terre, de l'eau, du feu, du sang. Les titans étaient toujours là, pas de l'autre côté des murs, mais dans sa tête. Le courant aussi, toujours là, dans sa tête et dans son corps. Il l'engloutit. Lui coupa le souffle. Oh, comme ce serait bon. De laisser le courant, l'eau, la submerger, l'immerger, la laver de tous ses souvenirs brûlants et enfin, enfin, la noyer.

Sa tête jaillit hors de l'eau. Elle toussa, cracha, se cramponna au bord de la baignoire pour chercher son souffle et le trouver.

Ce n'était pas passé loin. Si ?

Dommage.

Le bain ne détenait plus le moindre pouvoir apaisant. S'il n'en avait jamais eu. Otsu en sortit, se faufila dans la robe d'intérieur et s'installa devant la cheminée, laissant la chaleur des flammes sécher sa peau et la brûler.

Quand il n'y eut plus de risque qu'elle dégouline sur les tapis et les couvertures, la catin s'écroula sur son lit et resta là, à regarder le plafond, jusqu'à ce que le soleil disparaisse de la chambre et qu'une sonnette retentisse, annonçant l'heure du déjeuner.

Il y avait peu de monde attablés, et Otsu pu profiter de son repas et de sa solitude. Surtout de l'un, moins de l'autre. Le ventre noué, elle passa plus de temps à jouer avec sa nourriture qu'à avaler quoi que ce soit.

Et pourtant, la viande était délicieuse. Fondante et bien relevée. Otsu mangeait peu de viande. A l'armée, elle était rationnée, et les meilleurs morceaux destinés aux gradés. Alors, la viande séchée et rance, elle s'en passait bien. Et à l'Oeillet, Dame Yukari l'interdisait : ça faisait gonfler, ça donnait des rougeurs, bref, ce n'était pas pour ses filles. Et puis, c'était cher. Une pensée lui vint alors en songeant à l'Oeillet, et à ces clients, et à ces viandes rares dont certains étaient friands. Quel pouvait être le prix de ce genre de mets ? Qu'est-ce qui pouvait coûter si cher ? Un frisson la secoua. Son ventre se noua.

Otsu ne pouvait plus savourer ce plat qu'elle n'avait même pas eu à payer. Après trois fourchettes, plus rien ne voulut passer la barrière de ses lèvres, et la catin finit par étaler les restes. En fait, tout ce qu'elle désirait, là maintenant, c'était l'un de ces foutus bol de bouillie de fruits. Avec la poudre. Bordel, elle en voulait tellement qu'elle en saliva rien qu'en y pensant. Il était temps qu'elle s'éclipse, et tant pis pour le repas. Il en restait presque autant dans son assiette qu'à son arrivée, mais ça ne se voyait pas, et Birgitt ne lui fit aucune remarque quand elle quitta sa table pour remonter à sa chambre. Pour tuer le temps, elle s'installa dans un fauteuil, et sortit de son corsage les feuilles de Hono trouvées le matin même, et qu'elle avait emmenée avec elle. Ca lui paraissait si loin, déjà, quand Dame Yukari l'avait surprise à sortir de la chambre de sa sœur. Elle n'avait pas encore pu y jeter un œil.

Otsu du relire les premières pages plusieurs fois pour comprendre de quoi il s'agissait, même si c'était pourtant évident. Des lettres. Des lettres qu'Hono avait écrite à sa famille, mais sans jamais les envoyer. Elle ne le pouvait pas. Sur ces feuilles là, la petite catin se livrait entièrement, sans fards, sans politesse, sans timidité. Ses mots étaient forts, violents, mordants. Comme jamais elle ne l'avait été de son vivant. Elle livrait son quotidien, sa colère, sa haine, sa peur, son dégoût, sa douleur. Sur certaines feuilles, Otsu pu compter les petits cercles d'humidité que sa sœur y avait laissé couler. Hono ne pouvait pas partager ça avec sa famille. Avec ce qui devait être une de ses sœurs, dont le nom revenait le plus souvent en haut des feuilles.

« Petite Solly, reste toujours à l'abri dans notre ferme, je t'en prie, veille sur papa et maman, et sur nos petits, ils sont si fragiles. Ce monde pourrait les dévorer aussi sûrement que des titans. »

« Solly ma chérie, tu me manque. La maison me manque. Papa, maman, les petits me manquent. Vivre me manque. »

« Je souffre de respirer. » « Je saigne. Ils sont si violents parfois, ils nous déchirent. » , « leurs mots doux me tuent. », « ici, les morsures sont des baisers et les caresses des brûlures. » « Solly, il ne reste rien de moi, ils ont tout pris. » « Je n'ai plus de baume à la lavande Solly. Tu le fais toi même, et je n'en ai plus. Je n'ai plus rien qui ai le parfum du foyer. », « Le jour, la douleur au ventre est un poids qui pèse lourd. Le soir, elle explose et me broie. La nuit, tout est à vif, rien ne se répare, parce que je sais que ce sera pareil demain. »

Otsu arrêta de lire. Pus revint en arrière. Le baume à la lavande. Hono disait qu'elle n'en avait plus. Elle expliquait qu'elle avait donné le dernier pot à l'une de ses sœurs. Les dates correspondaient. C'était à elle que la frêle Hono avait offert son dernier souvenir. Elle n'avait rien dit, elle n'avait pas rechigné, la catin lui avait donné, tout simplement, sur un sourire.

Et après, elle était morte.

Otsu sentit ses doigts se crisper sur les lettres, et elle les lâcha pour ne pas risquer de les froisser. C'était les derniers mots d'Hono, des mots sincères, plein de tristesse, de colère. Ils étaient précieux.

Ils devaient revenir à sa famille. Elle devait les porter à sa famille

Otsu venait seulement de prendre cette résolution, ou peut-être de comprendre qu'elle l'avait prise, que Birgitt apparut au seuil du salon pour l'informer que sa voiture était arrivée. La catin, perdue, se leva sans un mot. L'aubergiste était pâle, mais Otsu le remarqua à peine. Elle même après tout ne devait pas présenter meilleure figure. Si elle n'avait pas eu l'esprit tout occupé par les lettres, Otsu aurait posé la question qui se répétait peu à peu dans sa tête, et de plus en plus fort.

Ne devais-je pas repartir le lendemain ?

Mais quand le cocher lui même l'accueillit avec des yeux brillants et des mains tremblantes, la catin trébucha et s'arrêta devant la voiture, les yeux passants de lui à Birgitt qui se mordillait les lèvres et se tordaient les mains. L'aubergiste lui tapota l'épaule sans un mot avant de regagner précipitamment son logis.

« Que se passe-t-il ? Finit par demander Otsu qui sentait le sang quitter son corps.

- Je dois vous emmener à l'abri. Le mur est tombé madame. »

La catin se figea. Elle dû crier, poser des questions, car le cocher lui répondit, mais elle ne comprenait pas les mots. Pas plus ce qu'il se passa ensuite. Mais à un moment, Otsu avait retrouvé ses esprits, une partie au moins, juste assez pour rassembler ses quelques affaires et se hisser dans la voiture, et regarder par la fenêtre alors qu'ils s'éloignaient, et elle vit Birgitt et les autres clients vider l'auberge, chargé de ce qu'ils pouvaient emmener, ou surtout de ce dont ils ne pouvaient se séparer, pour partir à pied. Leurs silhouettes rapidement disparurent et Otsu se détourna.

Et elle comprit.

Le mur Rose était tombé. Des titans étaient entrés. Il y avait des titans ici, dans ce territoire immense où l'humanité survivait. Et à tout moment, ils pouvaient en croiser un. Alors Otsu scruta l'extérieur, les yeux grands ouverts, fixés sur l'horizon, sur les bâtisses qui pouvaient dissimuler les monstres, sur les arbres où ils pouvaient se tenir à l'affût, prêts à les engloutir. A plusieurs reprises, elle se plaqua les mains sur la bouche pour ne pas crier, croyant voir surgir un monstre de derrière une maison. Et puis Otsu clignait des yeux, et le titan disparaissait. Ainsi que la maison. Elle se boucha le nez, aussi, pour chasser la puanteur des incendies. Mais l'herbe brillait, verte et claire sous ses yeux. Il n'y avait pas de feu, il n'y avait pas de flammes. Et les cris qui brûlaient ses oreilles n'existaient que dans sa tête.

Otsu ne quitta pas une seconde l'extérieur des yeux. Et le soleil qui déclinait peu à peu la rassura. Ils ne croisaient aucun titan, et bientôt il ferait nuit. Le danger diminuait. Pourtant, la boule dans son ventre resta bien en place, lourde et imposante. Et familière. Otsu ne quitta pas une seconde l'extérieur des yeux.

Pourtant, quand la voiture passa les portes de Stohess, et qu'elle en descendit, un peu chancelante, elle comprit, après plusieurs longues minutes, que le cocher ne l'avait pas du tout ramené à son district. Otsu s'arrêta net, et regarda autour d'elle. Ca ressemblait un peu à Stohess, mais ce n'était pas Stohess. Par contre, ça ressemblait à Hermiha, même si elle s'en souvenait peu, elle n'y était pas resté très longtemps.

Otsu s'approcha du cocher pour l'interroger, mais plusieurs voitures passèrent les portes au même moment et elle dût reculer pour ne pas rester sur leur passage. Si au début, la jeune femme ne jeta pas plus qu'un regard à peine curieux sur les attelages, les capes vertes aux emblèmes de la liberté lui firent brusquement retourner la tête pour mieux les observer. Les dévisager même carrément. Sans qu'Otsu ne soit capable d'admettre ce qu'elle espérait voir. Et elle le vit.

Il était là, assis à côté d'un homme du culte, dans son costume noir. Et lui aussi, il l'avait vu. Il lui fit un discret hochement de tête, auquel Otsu répondit, machinalement, et puis elle cessa de bouger. Il viendrait la chercher.

Otsu savait qu'il allait venir. Elle était là, à l'attendre, adossée contre un mur, à fixer ses pieds. Elle savait.

Pourtant, quand il apparût soudainement, que la catin releva la tête et le vit là, juste devant elle, elle n'en crût pas ses yeux.

« Le cocher m'a dit que vous n'aviez pas croisé un seul titan en venant ici.

- Ha. Oui. C'est vrai. " répondit la catin sans savoir si c'était vraiment une question.

En face d'elle, Otsu vit le caporal baisser la tête, à peine, et pousser ce qui devait être un soupir. Il se détourna, et elle crut, mais elle ne pourrait jamais en être sûre, l'entendre murmurer. Des mots qui parlaient de peur et de regrets. Le bruit de la ville, les voix des réfugiés, les pleurs et les cris des blessés, les hennissements des chevaux, les crissements des roues, la cacophonie qui les étouffait l'empêcha vraiment d'entendre.

« J'ai cru avoir pris la mauvaise décision. »

C'était peut-être ce qu'il avait dit. Peut-être pas. Mais il avait dit quelque chose qui ressemblait à ça, Otsu en était sûr. Alors elle le suivit, sur un signe de tête de sa part, et se mit à son niveau, resta à ses côtés, très proche, à presque lui toucher l'épaule. La main. Il l'emmena jusqu'à la caserne, et personne ne parût les remarquer. Il y avait tout simplement trop à faire pour les soldats. Et puis Otsu se retrouva dans la chambre du caporal. Et tout s'était fait en silence. Même les bruits autour d'eux semblaient reculer devant le héros. Alors quand celui-ci ouvrit la bouche, Otsu dû prendre le temps de réfléchir et de répéter les mots pour comprendre que c'était bien lui qui avait parlé, et que c'était à elle qu'il s'adressait.

« Tu passeras la nuit ici. Demain, le cocher te ramènera à Stohess. Tu devrais y être en sécurité. Tu peux prendre le lit, je n'y dormirais pas.

- Tu me laisses ici ?

- Si tu as envie de rester seule, je peux partir. »

La catin l'observa un moment. Il ne cillait pas en la fixant. Pas des yeux du moins. Mais c'était tout son corps qui semblait vouloir fuir. Elle pouvait presque voir chaque muscle tendus, tous tournés vers la même direction. La porte. L'extérieur. Loin d'elle. Pourtant, il restait, là, sans bouger, sans détourner le regard. Il lui proposait de partager une chambre, mais pas un lit.

Mais qu'est-ce qu'il voulait, au juste ? Qu'est-ce qu'il attendait d'elle ? Otsu ne trouvait aucune réponse à cette question, mais elle pouvait toujours lui répondre, à lui.

« Oui. Je préfère que tu partes. »

Il hocha simplement la tête, et quitta la chambre. Otsu se laissa tomber sur le lit, les mains tremblantes. Elle n'avait pas sût que sa présence la dérangeait avant que les mots ne sortent eux même de sa bouche.

Il y avait une clé dans la serrure. Difficilement, comme si son corps pesait une tonne, Otsu se releva et vint de ses doigts tremblants la tourner. Deux fois. Elle appuya ensuite sur la poignée, et fut rassurer de ne pas voir la porte s'ouvrir. Elle était en sécurité. Enfin... Vraiment ? Pour s'en assurer, la brune fit le tour de la chambre, trois fois. Elle se pencha pour voir si personne ne se cachait sous le lit, ouvrit l'armoire en grand, brusquement, pour ne rien y trouver. Elle inspecta même les coins, sans trop savoir pourquoi, parce que personne ne pouvait s'y dissimuler.

Et puis elle était dans le lit. Sans se souvenir de s'être allongée sous les couvertures. N'osant pas éteindre la bougie, la courtisane se prépara au sommeil, mais ses yeux se rouvraient dès que la fatigue commençait à se faire trop lourde. Elle luttait en fait pour ne pas s'endormir. Pourtant, elle était épuisée. Mais le bruit alentour, tous ces pieds d'hommes qui battaient le sol, à seulement quelques mètres de là, l'empêchait de sombrer. Ses sœurs lui manquaient. Une présence rassurante lui manquait.

Ses yeux se rouvrirent soudainement, bien réveillés cette fois ci, et Otsu sauta hors du lit. Elle déverrouilla la porte et l'ouvrit en grand pour jaillir dans le couloir et tourna la tête d'un côté, puis de l'autre.

Il était là.

« Oï. Qu'est-ce que tu fais ?

- Je... Je préfère que tu reviennes. » Un filet, sa voix, à peine une plainte, à peine un murmure.

Ils s'observèrent un moment. Otsu ne voulait rien dire de plus, mais dans le silence entre eux, ce silence qui ne les avait jamais gênés, Livaï parût comprendre tout ce qu'elle taisait, et il la rejoignit dans ses quartiers. Elle n'eut pas besoin de lui demander de fermer à clé derrière, le caporal le fit de lui même. Il se délesta de sa veste, de ses chaussures, puis s'installa sur une chaise, contre un mur, sur lequel sa tête vint reposer. Et il ferma les yeux. Tout simplement. Alors Otsu retourna sous les couvertures. Elle souffla la bougie, et s'endormit. Elle ne craignait rien. Il était là, et il n'était pas une menace pour elle.