Chapitre 6 : Fly, you fools !
Nous restons pendant plusieurs minutes à fixer les Mages Noirs encore inanimés dans les cavernes de Dali, immobiles et silencieux (les autres parce qu'ils sont sous le choc de la découverte, moi parce que je cherche frénétiquement quoi dire pour les aider). Mais un bruit de pas retentit derrière nous : les habitants du village viennent vérifier la machine ! Djidane réagit aussitôt et essaie de pousser la princesse et le mage noir pour qu'ils se cachent, mais ceux-ci traînent des pieds. Frustré, il saisit la princesse dans ses bras. Je fais de même pour Bibi, qui heureusement ne pèse presque rien, et le voleur hoche la tête pour me remercier, avant de se mettre à courir vers la sortie. Mais il aperçoit les hommes qui réceptionnent les boîtes de mages noirs un peu plus loin, et nous sommes forcés de rebrousser chemin pour nous cacher dans la machine qui emballe les pauvres pantins sans vie dans les barils que nous avons vus plus tôt. L'étroitesse du mécanisme et le mouvement incessant des rails qui poussent les mages noirs contre nous séparent le groupe, mais je m'accroche de mon mieux à Bibi, car je sais ce qui nous attend : la machine nous enferme entre quatre planches qui me donnent l'impression d'être dans un cercueil.
Je vois que le petit mage noir serré contre moi est en train de paniquer et je m'efforce de le convaincre que tout ira bien, sans céder à la panique de mon côté. Pour être honnête, même si je sais que dans le jeu, les personnages ne courent aucun danger, je n'en mène pas large. Je n'étais pas claustrophobe jusque-là, mais être coincée dans un espace si réduit sans avoir la moindre idée de ce qui se passe autour, tout en sentant que je bouge sans rien contrôler, n'est pas du tout une expérience agréable, et je me sens bien plus oppressée que je ne m'y attendais. Ça ne m'aide pas d'entendre les voix étouffées des habitants de Dali à quelques mètres de moi sans comprendre leurs paroles, sans savoir s'ils ne vont pas s'apercevoir de la supercherie et se débarrasser de moi.
Mais enfin, après un temps interminable, la boîte dans laquelle je me trouve avec Bibi s'immobilise, et je sens une partie de mon angoisse se dissiper. Quelques minutes plus tard, j'entends un cri et je reconnais la voix de Djidane :
« Mais t'es pas bien, papi ! »
J'imagine qu'il s'est passé la même chose que dans le jeu : Steiner est revenu du Belvédère où il interrogeait Moricio sur les horaires de l'aérocargo, et il a trouvé ces caisses étranges, si bien qu'il a décidé de planter son épée dedans en piquant le voleur par accident.
« Aide-moi plutôt à sortir Dagga, Bibi et Claire de là, abruti ! » s'écrie le voleur.
J'entends Steiner qui proteste avant de commencer à ouvrir la boîte où Dagga est cachée, puis la nôtre. J'en émerge en clignant des yeux pour me réhabituer à la lumière. Nous sommes juste à côté d'un immense aéronef qui se trouve sur l'un des champs convertis en pistes d'atterrissage à l'extérieur de Dali.
Le chevalier s'affaire auprès de la princesse, qui essaie de le calmer et de le rassurer. Elle nous adresse un sourire, visiblement rassurée que Bibi et moi soyons sains et saufs. Mais le petit mage noir reste accroché à moi, incapable de bouger ou de réagir à ce qui nous entoure. Il m'émet aucun son, et ne répond même pas quand j'appelle son nom et que j'essaie de lui parler. Djidane me demande de rester avec lui en attendant qu'il reprenne ses esprits, puis il demande à Steiner s'il sait où va l'aérocargo, et je suis rassurée de voir que le chevalier est encore moins bon menteur que moi quand il essaie de convaincre le voleur que le vaisseau se rend à Lindblum et non à Alexandrie. L'adolescent s'apprête à insister, quand retentit un sifflement strident, suivi d'un claquement sourd : le deuxième Valseur vient de se téléporter. Avec toutes ces émotions, je l'avais presque oublié, celui-là ! Il est un peu plus grand que son frère, ou alors c'est peut-être qu'il se tient plus droit, et il flotte à quelques centimètres du sol en battant lentement des ailes. Steiner dégaine immédiatement son épée et se place devant Dagga pour la protéger, pendant que notre assaillant siffle d'une voix menaçante :
« Princesse Grenat, sa Majesté vous attend au château !
- Vous... Vous êtes combien comme ça ? Demande Djidane avec colère en se mettant en position de combat, une dague dans chaque main.
- Vous ? Demande Steiner sans quitter le mage des yeux. Que signifie ceci ?
- On a croisé un gus similaire dans la Caverne des Glaces, je réponds avant de me recroqueviller sous le regard glacé de la créature.
- Ainsi, c'est vous qui avez vaincu numéro 1 ? On m'appelle Valseur 2, et je suis bien plus puissant que mon petit frère. Il est inutile de résister, princesse, suivez-moi gentiment. »
Il laisse échapper un rire strident, qui s'interrompt quand Dagga tape du pied et rétorque :
« Je refuse ! Je ne rentrerai pas au château !
- Très bien. Dans ce cas, je devrai vous ramener de force ! »
Sans plus attendre, il s'élance dans la direction de la princesse, qui se jette de côté pour esquiver l'attaque, tandis que l'épée de Steiner fend l'air en direction du Valseur. Mais celui-ci s'est déjà téléporté hors de portée de l'arme, et le chevalier ne frappe que le vide. Djidane s'élance alors pour essayer d'intercepter le mage, mais celui-ci se dérobe de nouveau, et contre-attaque d'un violent coup de son baton. Le voleur atterrit en roulé-boulé aux pieds de Dagga, qui le soigne, puis il repart immédiatement à l'assaut, suivi de Steiner. En coordinant leurs attaques, il parviennent à mettre le Valseur sur la défensive et même à lui porter un coup, mais cela ne semble pas l'affecter outre-mesure, et il leur lance des sorts dévastateurs en retour. Après plusieurs minutes d'action intense, j'entends Bibi s'écrier : « Brasier ! ». Je le regarde en essayant de ne pas céder à ma propre panique : je croyais qu'il était encore sous le choc, mais il a l'air de s'être repris pour protéger ses amis, ce qui est une moins bonne nouvelle que je ne souhaiterais. En effet, comme dans le jeu, le Valseur contre-attaque par la version plus puissante du sortilège, Brasier+, qui met le feu à la robe de Bibi avant que je ne le plaque au sol et que je ne l'aide à l'éteindre. La distraction a certes permis à Djidane de planter ses dagues dans le dos de notre ennemi, mais celui-ci s'est rapidement débarrassé du voleur, avant de se téléporter une nouvelle fois pour éviter l'attaque de Steiner. Mais je m'aperçois de quelque chose : à chaque fois que le Valeur disparaît, il se déplace dans la même direction, en s'éloignant peu à peu de l'aérocargo, ce qui me donne une idée. Probablement une mauvaise idée, mais à ce stade, j'ai l'impression qu'on est en train de perdre de toute façon : Bibi ne peut pas utiliser sa magie sans être blessé en retour, Djidane et Steiner commencent à fatiguer, et Dagga ne va pas pouvoir continuer à les soigner indéfiniment. Je souffle au petit mage noir de ne pas gaspiller ses sorts et de plutôt renforcer les attaques du chevalier. Il a visiblement été secoués par le sortilège qui l'a touché, et il tremble de peur, mais il hoche la tête avec courage.
Je commence alors à m'éloigner en me faisant aussi petite que possible en continuant d'observer attentivement les téléportations de Valseur, et mon intuition se confirme : il suit un schéma d'action assez répétitif, et même s'il domine encore largement le combat, ses déplacements se font moins fluides et plus mécaniques. Sans cesser de progresser lentement, je saisis une des planches qui sont à proximité des tonneaux, et je regarde le Valseur se rapprocher insensiblement de la position que j'ai choisie. Enfin, lorsqu'il lance une nouvelle attaque qui met Steiner hors de combat avant de se téléporter pour éviter les lames de Djidane, je me redresse et je frappe de toutes mes forces l'endroit où j'estime qu'il va apparaître. Un craquement sonore retentit et le mage maléfique titube, blessé et surpris. Mais je suis emportée par mon élan et je m'affale sur le sol. Il se retourne vers moi, et plisse ses yeux jaunes et menaçants en me remarquant pour la première fois. J'essaie de ramper en arrière le plus vite que je peux, mais il lève son bâton pour m'achever. Heureusement, avant qu'il n'ait eu le temps de lancer son sort, Bibi s'écrie « Glacier », et cette fois, le Valseur n'a pas le temps de se préparer : le sortilège enferme le bas de son corps dans un bloc de glace qui l'immobilise, au moins temporairement. Mais cela suffit pour que Djidane plante ses deux dagues dans le dos de notre ennemi, et alors que celui-ci pousse un cri strident de douleur, Steiner, que Dagga a soigné, accourt et enfonce sa lame dans le visage de la créature. Cette fois, c'en est fini : le Valseur s'effondre enfin au sol, mort.
J'ai beaucoup de mal à ne pas hyperventiler. Je m'attendais à ce que ce soit un boss relativement inoffensif, mais il a bien failli nous éliminer. Autour de moi, les autres semblent presque aussi fatigués que moi, mais ils éprouvent un soulagement que je ne ressens pas : je sais que le pire nous attend. Je me remets lentement debout sur des jambes flageolantes et je tends des Potions à tout le monde, ainsi que des Ethers aux deux magiciens pour restaurer nos forces. Steiner engloutit la sienne, puis propose de monter à bord de l'aérocargo afin de s'assurer qu'il est prêt au départ. Dagga le regarde d'un air soupçonneux, mais ne dit rien.
« Tu sais, on va bientôt arriver à Lindblum, t'es sûre que ça vaut la peine de gâcher nos réserves alors qu'on est presque en sécurité ? Demande Djidane en regardant la fiole qu'il tient à la main.
- On est encore loin de Lindblum, Djidane, et je te signale que ce bâtard nous a dit qu'il était un Valseur. Tu sais, comme la valse ? Une danse à trois temps ? Si on a vaincu le numéro 1 et le numéro 2, il y a de fortes chances...
- Qu'il y ait un numéro 3, conclut le voleur à ma place avant d'avaler la Potion. T'as raison, on ne peut pas être trop prudents. »
À ce moment, les hélices de l'aérocargo se mettent à tourner, d'abord lentement, puis de plus en plus vite. Le voleur lâche un juron :
« Et merde ! Allez, grouillez-vous, sinon, on va se retrouver coincés ici !
- Es-tu sûr que ce vaisseau se rend bien à Lindblum ? Demande Dagga.
- Probablement pas, fait Djidane avec insouciance, mais cela arrête net la princesse.
- Je t'ai pourtant dit qu'il était hors de question que je retourne à Alexandrie ! S'exclame-t-elle avec colère.
- T'inquiète, je te dis. Je vais trouver une solution.
- Allez, il faut qu'on bouge, je coupe. Peu importe la destination qui est prévue, on pourra toujours décider de ce qu'on fait une fois qu'on sera à bord. »
Je pousse un peu la princesse, qui se remet à courir à contrecoeur. Djidane et Bibi nous talonnent et nous arrivons à l'échelle qui se trouve à l'arrière de l'aérocargo juste à temps pour le décollage. Je m'assure de monter juste derrière Bibi, et comme prévu, j'entends une exclamation étouffée, ainsi qu'une claque qui est plus inattendue : comme dans le jeu, le jeune voleur a l'air d'avoir posé sa main sur les fesses de la princesse, mais celle-ci a réagi plus violemment que dans la version originale. Je ne peux pas lui donner tort, cela dit : Djidane n'est pas dégueulasse à regarder, mais ce n'est pas une raison pour se laisser palper sans rien dire.
Une fois que nous sommes tous sur la plate-forme arrière du vaisseau, le voleur, dont une des joues porte effectivement une empreinte de main, essaie de se défendre et d'expliquer qu'il ne l'a pas fait exprès, mais la princesse ne veut rien entendre, et elle se contente de croiser les bras en disant qu'elle ne souhaite plus en parler. Je m'approche de Bibi, qui est penché par-dessus le bastingage et je pose une main sur son épaule :
« Ça va ? Je lui demande avec sollicitude.
- J'ai l'impression que je vais être aspiré, souffle-t-il d'une toute petite voix.
- Ouais, moi aussi j'ai un peu le vertige. On va aller à l'intérieur, tu vas voir, ça va aller mieux. »
Mais dès que j'ouvre la porte, je m'aperçois que c'était une idée stupide, car à l'intérieur se trouvent plusieurs mages noirs qui s'affairent en silence. Dès qu'il les voit, Bibi s'immobilise, stupéfait. Le reste du groupe se regarde, sans savoir comment réagir, jusqu'à ce que le petit garçon s'approche lentement et demande à l'un des mannequins :
« Comment tu t'appelles ? »
Comme dans le jeu, il n'obtient aucune réponse, mais il insiste en essayant de susciter une réaction. Quand il voit qu'il n'arrive à rien, il se dirige vers un autre mage et recommence. Ça me brise le cœur de le voir comme ça, et Dagga et Djidane sont aussi désemparés que moi. Enfin, Bibi revient et souffle, atterré :
« On dirait... qu'ils ne me voient pas... J'essaie de leur parler, mais... ils ne répondent... jamais...
- Bibi, je suis désolé, fait le voleur en posant une main sur l'épaule de son ami. J'aimerais t'aider, mais il faut que j'aille sur le pont. Si on ne fait rien, on risque d'arriver au château. Dagga, Claire, vous pouvez rester avec lui ? »
Je suis tentée de protester et de dire que ce n'est pas toujours aux femmes de s'occuper des enfants, mais je ne peux pas résister au visage effondré de Bibi. Clairement, je suis nulle comme féministe. Djidane s'éloigne à grands pas, nous laissant Dagga et moi essayer de remonter le moral du petit mage noir. Initialement, celui-ci ne réagit pas, mais il finit par lever ses grands yeux jaunes vers nous et demander :
« Est-ce qu'ils me ressemblent ? »
Dagga est déroutée par la question, et je reste moi aussi silencieuse, incapable de savoir quoi lui répondre. Je sais que comme les mages noirs que nous venons de découvrir, il a été fabriqué par une machine comme celle qu'on a vue à Dali. Je ne pense pas qu'on puisse dire que ce sont des automates, ou qu'ils ne sont pas vraiment vivants, car ils ont été produits à partir de la Brume, ce qui veut dire qu'ils ont quelque chose comme une âme. Et quand bien même ça ne serait pas le cas, ils ont des émotions et des pensées individuelles. Ce n'est pas très facile de s'en apercevoir en regardant les gestes mécaniques des mannequins qui s'affairent dans l'aérocargo, mais je n'ai qu'à repenser au Village des Mages Noirs du Continent Extérieur pour savoir qu'ils ont beau ne pas être exactement humains, ce sont des personnes à part entière. Mais comment est-ce que je peux expliquer tout ça à un petit garçon comme Bibi, tout en dissimulant tout ce que je ne suis pas censée savoir ? Heureusement, Dagga me sauve la mise :
« Bien qu'ils portent les mêmes vêtements que toi, cela ne veut pas dire que vous êtes identiques. Ce sont vos actions qui comptent, et non votre apparence.
- Elle a raison, Bibi, j'ajoute. Je sais que ce n'est pas facile pour toi, et que tu demandes quelle est ta place dans tout ça, mais tu es la seule personne qui peut décider qui tu es. »
Je ne suis pas sûr que ce soit réellement vrai, mais ça sonnait bien, et ça a eu l'air de remonter un peu le moral du petit mage noir. Nous quittons alors la cale pour gagner le pont du navire, et nous sommes accueillis par Steiner qui se précipite vers la princesse pour la supplier de lui pardonner d'avoir manqué à son devoir. Un échange quelque peu absurde prend place tandis que Dagga s'efforce d'essayer de comprendre ce dont parle le chevalier, avant de réaliser qu'il pense que c'est une grave trahison que de ne pas être celui qui l'a fait monter à bord de l'aérocargo. Je vois la jeune fille lever les yeux au ciel, mais rassurer Steiner.
À ce moment, le vaisseau fait une embardée en changeant abruptement de cap : Djidane a pris le contrôle de la barre, et nous dirige vers Lindblum. Je me retrouve projetée contre le bastingage, ce qui me coupe le souffle, tandis que Steiner attrape la princesse pour l'empêcher d'être déséquilibrée et de se blesser. Bibi tombe au sol et roule vers moi. Je m'assure qu'il va bien, puis je regarde par-dessus la rambarde. Il me faut un certain temps, mais je trouve ce que je cherchais : le petit aéronef où Pile et Face nous observent, et d'où s'envole une figure sombre avec un chapeau pointu très reconnaissable : le troisième Valseur. Je déglutis avec angoisse : je m'attendais à ce que le deuxième Valseur ne pose aucun problème, et il a failli nous expédier ad patres, et le dernier des frères est infiniment plus terrifiant que lui. Comment est-ce qu'on va pouvoir l'emporter sur lui, et même simplement survivre ?
Lorsque Steiner se précipite vers la cabine pour arrêter Djidane et forcer l'aérocargo à reprendre sa route vers Alexandrie, j'agrippe son bras, et je pointe du doigt le mage qui vole dans notre direction.
« Qu'est-ce que c'est que ça ? Fait le chevalier en fronçant les sourcils.
- Je ne sais pas, je mens avec une panique qui pour le coup n'est pas feinte. Mais ça m'étonnerait qu'il ait des intentions pacifiques ! »
Le chevalier acquiesce et s'empresse d'emmener la princesse hors de danger. Je suis tentée de le suivre, mais je vois que Bibi est resté derrière, et le temps que je décide si je veux rester avec lui et l'amener en sécurité ou si je suis trop terrifiée pour me préoccuper d'autre chose que de protéger mes propres fesses, le Valseur a déjà atterri à l'avant du vaisseau. Il est plus grand que ses deux frères, et ses yeux jaunes dégagent une aura maléfique qui me fait instantanément trembler d'effroi. Il pointe son bâton orné d'un croissant de lune vers Bibi et demande d'une voix froide et métallique :
« Ainsi, c'est toi qui as vaincu numéro deux ? Tu n'as pourtant pas l'air très impressionnant. Je vais prendre un grand plaisir à mettre fin à ton existence, vermine ! »
Bibi est aussi terrifié que moi, et il ne répond rien. Mais alors que le Valseur s'apprête à lancer un sort, les autres mages noirs s'interposent en silence.
« Vous osez vous opposer à moi pour le protéger ? S'exclame le monstre avec rage. Foudre X ! »
Heureusement que j'avais une idée de ce qui allait arriver, car même ainsi, j'ai à peine le temps de tirer Bibi en arrière et de nous abriter derrière une caisse que j'avais repérée. Les autres mages n'ont pas cette chance : le corps des plus proches est simplement anéanti par la puissance du sort, et de larges parties du bastingage volent en éclat autour de nous, libérant de nombreux mages qui se trouvaient dans des tonneaux accrochées aux flancs du vaisseau et qui chutent, sans vie, en direction du sol. La caisse derrière laquelle nous sommes cachés explose aussi, nous projetant contre la cabine avec une force qui me coupe le souffle. Je crois même que je perds conscience une seconde, mais la douleur et la terreur qui se sont emparées de moi m'empêchent de penser clairement. Je vois Bibi se relever, ce qui doit signifier qu'il a été moins touché que moi, ou qu'il est assez furieux pour ne pas y penser, et je l'entends crier quelque chose au Valseur, sans que mon cerveau arrive à comprendre les mots qu'il prononce. En théorie, je devrais aussi le savoir, parce que c'est sans doute à peu près la même chose que dans le jeu, mais rien ne me vient à l'esprit, jusqu'à ce que je sente la main de Steiner se poser sur mon épaule :
« Comment allez-vous, Claire ? Êtes-vous blessée ? » Demande-t-il avec inquiétude sans quitter le Valseur des yeux.
Pour ma part, je suis juste soulagée que mes facultés reviennent peu à peu, et je hoche la tête, avant de réaliser quelle était sa question et de corriger en soufflant :
« Non, je n'ai rien. »
Il quitte enfin l'ennemi des yeux, me regarde une seconde, puis reconcentre son attention sur la menace à laquelle fait face Bibi, en Transe. Djidane l'a rejoint et est en position de garde, prêt à assister son ami. Steiner me conseille de ne pas bouger et il s'élance au combat à son tour. Je regarde mes trois amis défendre chèrement leur vie, mais malgré leur supériorité numérique, le Valseur l'emporte sans avoir l'air de faire le moindre efforts. Malgré le pouvoir de la Transe, Bibi est sur la défensive et doit utiliser tous ses PM pour envoyer assez de sortilèges pour contrer ceux qu'envoient le mage maléfique. Mais la puissance des attaques le repousse constamment et empêche Steiner de s'approcher pour porter le moindre coup. Et même ainsi, le Valseur parvient à maintenir une pression suffisante pour forcer Djidane à continuellement esquiver au lieu d'essayer de monter une quelconque contre-attaque. Pire, je réalise que Dagga n'est pas avec eux, avant de me rappeler que Djidane l'a mise à la barre pour maintenir le cap vers Lindblum. Je sursaute quand le chevalier est projeté à côté de moi par un sort que Bibi n'a pas réussi à intercepter. J'arrive à lui tendre une Potion d'une main tremblante. Il l'engloutit après m'avoir remerciée, puis se relève et repart à l'assaut sur-le-champ.
Malgré ce que m'a dit Steiner (à ma décharge, je n'ai pas encore les idées trop en place), j'essaie de me relever pour essayer de trouver une moyen de les aider, mais je perds aussitôt l'équilibre et je retombe lourdement. Tu parles d'une sauveuse ! Je secoue la tête pour essayer de reprendre mes esprits, et je commence à ramper à quatre pattes en essayant de rester à couvert autant que je le peux tout en m'approchant du Valseur. Une fois que je me sens assez proche, j'essaie de refaire ce qui avait marché sur son frère : j'attrape une planche et je frappe le mage maléfique avec. Il est visiblement surpris, car c'est la première fois depuis le début du combat qu'il est touché, mais je ne pense pas l'avoir blessé du tout, et je réalise que j'avais oublié un détail crucial : en l'attaquant, j'ai attiré son attention sur moi. Le poids de son regard est tel qu'il suffit à me faire tomber au sol de peur, et je commence à ramper en arrière aussi vite que je peux. Je m'entends pleurer et hurler de terreur sans pouvoir me contrôler, et je suis certaine que je suis à nouveau en train de me faire dessus, mais j'ai l'impression que mon corps ne m'appartient plus.
« Pensais-tu pouvoir me blesser, petit vermisseau ? »
La voix du mage est pleine de venin et il tend la main vers moi. Une boule d'énergie se forme et se dirige droit sur moi alors qu'il s'exclame : « Foudre ! ». Je vois un éclair s'approcher de moi, et lorsqu'il me frappe, je sens l'électricité parcourir mon corps dans un déluge de souffrance inimaginable. Je hurle une nouvelle fois à m'en arracher les cordes vocales en me tordant de douleur. Mais après un temps interminable, la souffrance s'interrompt : Djidane et Steiner ont profité de la distraction pour planter leurs lames dans le corps du Valseur, qui pousse un cri de rage et tourne son attention vers eux. Mais il est distrait par les sorts de Brasier que Bibi lui envoie à la chaîne. Désormais sur la défensive, il commence à recevoir quelques blessures, qui ne paraissent pas l'affecter outre mesure au départ, mais qui finissent par s'accumuler. Finalement, après avoir reçu un énième sortilège, il pose un genou à terre en ahanant :
« Misé... Misérables ! Je ne peux pas perdre ! Je suis fait pour gagner ! »
Le voleur se précipite vers lui pour l'achever, mais le Valseur prend son envol pour l'éviter, et il s'éloigne de l'aérocargo à tire-d'aile. J'essaie de prévenir mes amis que ce n'est pas fini et qu'il va revenir, mais ma gorge ne laisse échapper qu'un croassement indistinct. Steiner s'empresse de rejoindre la princesse pour s'assurer qu'elle est en sécurité pendant que Djidane et Bibi essaient de me faire boire une Potion, mais je sombre dans l'inconscience avant qu'ils n'y parviennent.
