Suite du chapitre numéro un
Playlist (suite)
« Till forever falls apart » Ashe and Finneas
« Dandelions » Ruth B.
Chapitre numéro un
Partie deux
Point de vue d'Aodhan
Attendre dans la salle d'attente est juste horrible. Attendre, toujours attendre.
C'est vide. C'est froid. C'est glacial. Sans âme. Triste. D'autres adjectifs me traversent l'esprit et la liste est longue.
Je ne veux plus jamais revivre ça de ma vie. Jamais.
Des bulles rouges foncées se sont formées au coin de sa bouche sans prévenir.
Il a convulsé.
Je n'ai rien compris.
Je revois son visage grimacer, son corps se tordre sans rien pouvoir faire pour l'aider un minimum. Être là sans être là, être là sans rien pouvoir faire. Aucune utilité. Le laisser avoir des tremblements dans tout le corps. La pauvre Nisia le regardait sans être capable de comprendre réellement la situation. Traiter les symptômes à savoir la fièvre et les tremblements qui en découlent est la première chose à faire. Ce sont des symptômes secondaires pour une cause qui n'est autre que celle de cette Cascade à la con.
J'attends depuis cinq heures dans le couloir de l'hôpital du Refuge.
Je n'ai pas eu de nouvelles depuis que Nisia m'a mise dehors. De personne. Nisia est concentrée et je l'entends parler à Keir, je suis soulagé qu'elle ne soit pas seule à affronter ça. Elle soigne les gens et être au contact d'un proche en souffrance est la chose la plus horrible du monde. On regarde la personne avoir mal, physiquement et intérieurement sans connaître les causes profondes, on ne voit que les symptômes qui en résultent. On tente de lui tenir la main pour montrer notre présence physique, que l'on est là, pas que pour le soutien mental et je ne sais pas si c'est assez. J'ai confiance en elle. Nous avons tous confiance en elle. Nisia est un ange expérimenté et c'est la meilleure pour s'occuper de lui. Pour ça, elle a besoin de temps, elle a besoin de notre soutien. Je la laisse travailler même si je meurs d'envie de la harceler de questions. Des questions qui resteront sans réponses cette nuit. Inutile de la faire culpabiliser d'une quelconque manière. Elle a besoin de travailler sans pression supplémentaire. Je ne sais pas si Illium a mal, c'est mon interprétation car en voyant son corps se tordre, j'imagine que c'est de la douleur. Je ne peux pas la hiérarchiser.
Pour les anges, la fièvre est un facteur aggravant car si elle monte trop haut, le corps aura de grosses difficultés pour la supporter. Campanule a supporté la décharge d'énergie tout à l'heure. Par miracle, notre Archange a pu extraire cette énergie destructrice en l'absorbant, en la stockant quelques secondes comme une batterie avant de la relâcher dans la nature. Il l'a rejetée dans le ciel tel un éclair et un tonnerre assourdissant a éclaté dans la nuit. Il a fait comme office de paratonnerre. Je n'ose imaginer la sensation que ça représente de recevoir une dose d'énergie aussi importante, aussi imposante dans les veines. Une puissance qui fait peur mais je connais un autre Archange qui ne recherche que ça et c'est effrayant. À la fois incapable de faire autre chose que de le décharger et sans voix face à la situation, Raphaël a fait preuve d'un sang froid hors paire.
Tout s'est bousculé dans ma tête. J'avais l'impression de devenir sourd à cause du bruit et aveugle à cause de l'intensité de la lumière. En réalité, j'étais comme déconnecté, incapable de regarder la scène et en même temps captivé. J'avais envie de connaître la suite. Mon meilleur ami en souffrance devant mes yeux, moi qui regardais la scène, l'envie de pleurer, le cœur fendu, la gorge serrée. Sans rien pouvoir faire. Inutile. Immobile.
Le silence dans le couloir.
Je hais le silence.
Quoiqu'on puisse en dire, les artistes apprécient le silence pour pouvoir se concentrer. Moi non puisque depuis des années je subis la musique trop forte de mon ami aux ailes bleues. Avec lui, le silence n'existe pas. Le bruit fait partie de la vie. Il exprime beaucoup de choses: les joies, les célébrations, les peines même si souffrir en silence est douloureux, le bruit se répercute sur les murs. Le bruit montre le fait de se savoir en vie aussi. Il s'exprime.
On dirait un fantôme qui ère dans les couloirs. Une âme en peine aussi. Je dois faire peine à voir.
Attendre. Toujours la même chose, attendre.
Il a été pris en charge par la pauvre Nisia qui ne savait plus où se mettre en le voyant. Elle n'a jamais vu ça. La pauvre. Les larmes aux yeux au début puis elle s'est rappelée que perdre son sang froid n'était pas ce qu'il fallait faire. Personne ne lui aurait jeté la pierre. Perdre son sang froid ça arrive et ça prouve son humanité. De l'humanité chez un ange est quelque chose de très précieux. Elle est un ange. Nous avons des sentiments aussi. Les émotions ont le droit de sortir. Il fallait agir. De là, la porte de l'infirmerie s'est refermée sur moi.
J'ai entendu ses reniflements, elle essayait de refouler ses larmes avant de se mettre au travail. J'aurais voulu lui dire que ses efforts sont déjà énormes, que Keir est là pour l'assister, qu'une équipe médicale se trouve dans les couloirs et que ça ira. Évidemment je n'ai pas pu. J'attends.
Les cas de poussées de puissances extrêmes sont si rares. Elles sont si rares qu'ils n'existent que quelques cas dans l'Histoire angélique et il a fallu que notre ange bleu préféré y soit de la partie. Je m'en mords les doigts. Je me souviens des paroles de Dmitri qui tentait de m'apaiser il y a cinq heures: « Je vais appeler Keir pour faire des examens complémentaires. Je veux m'assurer que ses organes internes soient intacts » m'a t-il dit.
Dans le couloir, seul, ma respiration brise le silence. Il fait froid. Pas de bruit susceptible de me donner un indice. Impossible de savoir s'il va bien, s'il est en train de faire des examens ou s'il respire juste. Ou s'il dort. Jamais je n'ai vu d'Ascension de ma vie. Son changement d'humeur, son humeur irritante, sa manière d'agir étaient-ils des signes précurseurs ? Qui peut prendre ça en compte et imaginer une crise si soudaine et si énorme ? Personne et surtout pas lui-même. Après tout, ça ne signifie pas un éventuel réveil d'un Ancien, si ? Comme un fils conducteur entre les deux situations, ça parait improbable. Et pourtant, j'ai été le premier spectateur, incapable de le récupérer, c'est Raphaël qui a réussi cet exploit. De toute manière, il n'y a pas de réponse. J'en viens même à me demander ce que j'ai « manqué » dans l'histoire. Si je n'ai pas été assez vigilant ou si j'ai bien fait de crier que quelque chose n'allait pas. Mes pensées sont brouillées par des questions sans réponses et ce soir il n'y en aura pas.
Obligé d'attendre dans le couloir pour espérer recueillir des nouvelles au compte goutte. Je reste assis sur la chaise en plastique inconfortable et je dois dire que ça m'importe peu. J'ai envie d'envoyer valser cette chaise, de la jeter contre un mur.
Ses blagues me manquent déjà.
Les images m'obsèdent. Elles me hantent l'esprit, défilent sous mes yeux. Une partie de mon monde s'est effondré comme un château de cartes en quelques secondes. C'est le pire sentiment du monde. D'ailleurs, lorsqu'il va se réveiller, va t-il se souvenir de sa chute ? Dans ce type de cas, il ne vaut mieux pas s'en souvenir. L'amnésie temporelle a parfois du bon. Je ne veux pas qu'il garde ça en tête.
Je lève la tête à la recherche de quoi me raccrocher car à part regarder dans le vide, il n'y a rien à faire. Je peux rester toute la nuit assis sur cette fichue chaise si besoin.
Il doit être dans un coma artificiel afin de lui donner du temps, pour que ses blessures corporelles se résorbent. Autant ne plus souffrir. S'éloigner de la réalité. Tout ce que je lui souhaite est de se rétablir. Il me manque. Pour une fois, je vais laisser une de mes barrière tomber et j'ai besoin de serrer quelqu'un dans mes bras. Un soutien moral. Je me sens vulnérable. D'habitude je ne m'exprime pas beaucoup sur mes émotions.
Quand la porte de la salle de soins s'ouvre, le visage de Nisia apparait, décomposé. Éteint. Fatigué. Elle vient de passer cinq heures à chercher une solution. L'ange aux ailes grises foncées s'assoit à côté de moi en soupirant de fatigue. Je la laisse souffler et parler si elle le souhaite. Je ne vais en aucun cas la questionner directement. Son aile s'appuie sur la mienne. Pour être honnête, j'apprécie. On reste ainsi quelques minutes dans le silence et dans le froid du couloir, assis sur une chaise en plastique. Elle tourne la tête et plonge ses yeux pleins de larmes dans les miens. Elle s'est retenue. Ses émotions ont besoin de sortir. J'hésite à le faire mais j'en ai besoin aussi, je l'enveloppe délicatement et la prend dans mes bras. Elle me sert un peu et je la laisse faire. Ses larmes coulent le long de ses joues, je peux les sentir sur ma peau. Des larmes de douleurs, celles qui sont coincées dans le fond de la gorge. Celles qui font mal. Ses larmes ont besoin d'être évacuées et je ne peux pas m'empêcher de pleurer à mon tour. Deux anges soulagés que ça se soit terminé mais très inquiets pour la suite. Plus de feux d'artifice pour ce soir. Plus d'éclairs dans le ciel. Plus de douleurs.
« Il dort, il s'en remettra » lâche t-elle entre deux sanglots.
Je n'aime pas voir notre ange guérisseuse pleurer à ce point mais je ne suis pas bien placé pour le lui dire, nous sommes dans un état vulnérable. En autant de siècles de vie, c'est très rare de l'exprimer.
« Il est dans une sorte de coma, en Anshara. De sa propre initiative. Je l'y aurais mis quand même de toute façon. Les médicaments doivent faire aussi leurs effets. Il a besoin de repos. Son corps a souffert. Je ne sais pas comment il a fait pour avoir autant d'énergie dans les veines. J'aurais explosé au sens littéral du terme à sa place, comme la plupart d'entre nous, peut-être même Raphaël s'il avait eu toute cette énergie d'un coup et non diffusée dans ses veines au jour le jour. Pas lui. Illium a lutté. Ses veines sont fragilisées mais elles se résorberont. Je ne peux pas l'expliquer tout de suite. Je lui ai donné un médicament pour éteindre le feu interne qui aurait continué de brûler. Il va bien Aodhan. Il va bien. Je ne sais juste pas quand il se réveillera » débite t-elle en ne se retenant plus de pleurer à nouveau.
Elle vient se réfugier contre moi et je ne refuse pas une nouvelle étreinte. Je tente de la rassurer par ce biais, en lui caressant le dos. Des gestes tendres. Elle a passé cinq heures à se retourner le cerveau pour aider Illium. Elle a tout endossé. Bien évidemment, Keir est venue la rejoindre aux trois dernières heures, il avait a faire avant. Raphaël a suivi ça de près avec lui et il a donné des instructions. Quand elle m'explique ça, je suis rassuré. Raphaël ne laisse jamais l'un d'entre nous seul. Son téléphone est branché. S'il y avait eu besoin de son aide, il aurait atterrit tout de suite sur le toit de la Tour et il aurait apporté son aide à son Sept.
Rare sont les fois où nous avons vécu quelque chose d'aussi traumatisant. Quoiqu'on en dise, ça l'est. C'est impressionnant. Je ne mesure pas l'ampleur de ce feu d'artifice dans le corps de mon meilleur ami. Il a dû se sentir consumé.
« Tu es géniale Nisia, tu devrais aller te reposer maintenant, tes yeux sont fatigués, tu es fatiguée. Je n'ai pas spécialement sommeil mais je ne suis pas capable de rester là jusqu'au lever du jour ».
« Le soleil est déjà en train de se lever Aodhan » souffle t-elle. « Tu as veillé avec moi toute la nuit. Il est surveillé en permanence. S'il y a le moindre bip suspect des machines, je serais avertie. Dmitri surveille aussi ».
« Raison de plus de rentrer chez toi, tu as été mise à rude épreuve ».
« En autant de siècles de vie, je n'ai jamais vu ça » intervient Nisia. « Je lui ai fait une prise de sang qui sera analysée demain matin, je n'ai plus la force de... ».
« Tu as fait tout ce qu'il était possible de faire ce soir, je t'en suis reconnaissant à vie Nisia, tu as sauvé notre Campanule ».
« Euh « sauvé » ça je ne sais pas, tout est imprévisible tu sais et la Cascade va encore faire des siennes ».
« On ne va pas refaire le monde ce soir, il est endormi et on ne devrait pas tarder à faire pareil que lui ».
« Tu as raison, dormir quelques heures nous feras du bien. Merci d'être resté Aodhan ».
L'ange s'éloigne et va rejoindre son appartement, je fais de même.
Entre ces quatre murs, je me sens toujours en sécurité. Heureux de savoir que Campanule se repose. Il dort. Il est loin de la vie tumultueuse de la ville et de celle qui habite la Tour en ce moment. Beaucoup d'agitations autour de lui qui va se poursuivre dans les prochains jours, jusqu'à son réveil.
Le calme de la pièce me rend nerveux. Je passe d'un théâtre avec un vacarme digne d'un feux d'artifice qui a mal tourné à un silence, moins étouffant que celui du couloir du dispensaire quand même mais je ne me sens pas moins anxieux.
M'asseoir sur mon lit est une épreuve. Mes muscles sont engourdis et mes angoisses sont montées au niveau maximum. D'abord, je vais prendre une douche. J'ai besoin d'une douche. L'eau chaude me fait vraiment du bien. Mes pensées divergent vers autre chose. Je ne sais pas si demain ça ira mieux ni si Nisia trouvera une information supplémentaire dans les résultats de la prise de sang. Aucune idée d'où toute cette histoire va nous mener, va le mener finalement. Ce fut une soirée, une nuit éprouvante et on a besoin d'avoir des réponses dans les prochains jours.
Je ne sais pas si les quelques heures de sommeil qui m'attendent vont être bénéfiques. Si je continue à réfléchir, ce ne sera pas le cas. Ressasser les mêmes choses de cette nuit n'est pas utile mais c'est plus fort que moi. Les mêmes images me reviennent en pleine face. Difficile de fermer les yeux sur elles. Je ne peux pas les enlever. Elles me hantent. Elles défilent tel un film que je n'ai pas envie de regarder. Et pourtant il défile sous mes yeux quand même sans aucune autorisation. Triste fait. Je pense que l'on s'est tous pris une claque ce soir. Une claque que nous n'allons pas oublier de sitôt et il va falloir creuser le sujet bientôt.
Le sommeil me prend par surprise. À croire qu'il a eu pitié. Merci Morphée. Je laisse mon cerveau prendre une pause, une courte pause. Mes yeux se ferment tout seuls et mes rêves m'amènent ailleurs que dans la réalité.
La journée s'annonce longue.
L'entrainement du jour ne me ménage pas.
Dmitri a un sourire que je perçois du coin de l'œil. Je ne sais pas si c'est censé être rassurant. Ses mouvements sont bien entendus rapides et les miens stoppent ses actions à temps. Je suis le mouvement en question qui menace de me transpercer un bout de l'aile droite. Mes pensées vagabondent et se heurtent dans ma tête. Insupportables. Désordonnées aussi. Depuis hier soir, le même film se joue en boucle. Évidemment, on est secoué. Je pense bien sûr à mon meilleur ami, c'est lui qui subit. Nous vivons les répercussions. Nous sommes dans l'attente de nouvelles le concernant.
« J'ai été gentil, non ? ».
« On n'a pas la même définition du mot gentil Dmitri » soufflais-je.
Je réussi à intercepter un mouvement de justesse avant de me prendre son arme dans l'épaule droite.
« On va arrêter pour aujourd'hui, tu as bien travaillé ».
« Mais on a commencé il y a une heure ».
« C'est suffisant. On en a vu de toutes les couleurs hier soir ».
Dmitri range les armes, passe une main dans ses cheveux noirs pour les mettre en arrière. Ses yeux couleurs chocolat croisent les miens une seconde. Je devine sans mal de la tristesse. Il s'inquiète aussi. Nul ne sait quand notre Campanule va se réveiller. Je sais pertinemment que c'est son préféré parmi nous. Je ne lui en veut pas, il a raison. Dmitri a vu en Illium un enfant certes plein d'innocence mais il a vu en lui quelque chose et Raphaël aussi, jusqu'à l'accueillir dans sa garde les bras ouverts. Je me demande si depuis le début, ils auraient pas deviné que l'Ancien dans l'arbre généalogique d'Illium n'aurait pas un rôle à jouer, d'une quelconque manière, à un moment donné. Dans un siècle, deux siècles, trois siècles ? On n'en a aucune idée. Anticiper est impossible. Avoir une idée potentiellement réaliste non plus. Plus on émet de théories, plus on s'enferme dans un cadre et le problème de cette Cascade à la con, c'est qu'elle n'en a pas. L'Archange de Chine nous manipule aussi tel des pantins désarticulés et les événements sont inévitables, ils nous prennent par surprise. On est tous figé. Campanule le premier et il a été impacté. J'ai envie de savoir. J'ai envie d'aller le voir aussi, de lui parler un peu sans même savoir s'il entend quelque chose.
« Tu as eu des nouvelles ? ».
« Son état est stable et je compte passer le voir ce soir, après avoir terminé mes dossiers, j'ai de l'administration, encore. Mon téléphone est en alerte. Crois-moi, dès qu'il y a une amélioration je serais averti ».
« Merci Dmitri ».
« Campanule est fort et on ne le laissera pas tomber dans les méandres de cette saloperie de Cascade infernale ».
Je me retrouve seul dans la salle d'entrainement et le silence rugit à nouveau, me laissant avec mes pensées à la dérive. Souvent, on dit qu'il fait plus de bruit que le reste. Je crois que c'est vrai. Le silence brise. Il fait plus de mal selon moi car justement il est fugace et discret. Du moins, c'est ce que j'ai ressenti moi-même à un moment de ma vie où je m'y suis réfugié. J'y étais bien un temps entre ses bras. C'était calme et en dehors du tumulte que je vivais intérieurement. C'est avec le recul que j'émets cette hypothèse. Sans mes amis, je serais encore l'ombre de moi-même.
La nuit suivante ne me porte absolument pas conseil.
Les nuits suivantes non plus.
Trois jours plus tard, je me demande comment on va remonter la pente.
Encore une fois, je me mets à repenser aux mêmes images. Illium doit toujours dormir. Il doit toujours être sous médicaments et ça fait déjà trois jours. Je me suis consacrée aux entrainements en ayant mon téléphone à proximité au cas où. Je suis rentré tout à l'heure en ayant peur d'avoir loupé un appel de Nisia. En sortant de la douche pareil, j'ai allumé les informations à la télé et les images capturées par des médias m'ont dégouté. Les mêmes images mal cadrées, je me suis vu sur un plan ou deux; le visage grimaçant. Dmitri doit déjà être au courant des médias qui diffusent en continue la chute.
Quelle heure est-il ? Deux heures du matin ? Oui, il est deux heures du matin. Je pourrais lire, sortir prendre l'air ou tout simplement rester au lit à regarder le plafond et à repérer les éventuels défauts qui s'y trouvent. Je décide quand même de choisir la première option, sortir prendre l'air. Il fait un peu froid mais honnêtement, la température m'importe peu. M'asseoir sur un fauteuil du balcon, les pieds sur l'accoudoir à fixer la vue extérieure. Je regarde la vue qui donne sur les immeubles aux alentours. J'ai une maison à l'Enclave. Je n'ai pas eu le courage de m'y réfugier cette nuit, autant être ici, plus près du refuge que chez moi.
« Tu ne dors pas ? ».
« Comment veux-tu que je dorme ? » répondis-je sans tourner la tête pour savoir quel ange est là, à attendre sur mon balcon.
Galen.
J'ai reconnu sa voix. Ses bruissements d'ailes aussi. Reconnaissable entre mille. J'aurais dû sursauter. Je m'attendais à sa visite ou à celle de Venin par exemple. Lui et son accent français par moment, quand ce n'est pas son accent grec qui est plus prononcé. Il joue avec le langage. Campanule adore ça aussi. Il faut les voir au combat tous les deux, ils jouent de cette particularité. Les deux anges parlent dans une langue qui n'est pas connue de tous les anges et vampires de la Tour. On est tous polyglottes parmi les Sept. Avec les siècles, on a le temps et l'envie d'apprendre de plus en plus. Et celle que Galen emploi avec Campanule est comme un code, un code très drôle. Ce qui donne à des discutions privées entre eux que je peux comprendre.
Galen n'ajoute rien. Moi non plus.
Ses yeux verts fixent les miens.
Rien à faire je ne bougerais pas.
Je suis bien installé dans le fauteuil.
L'ange arrête de faire du surplace et atterrit sur le balcon, il replie ses ailes grises et reste à la fenêtre.
« Écoute » dit-il en remettant ses cheveux roux en arrière. « Campanule va s'en remettre tu vas voir. Dès son réveil, il va faire des pirouettes dans le ciel en riant et cette histoire sera loin derrière ».
Je ne daigne pas à ouvrir la bouche. Je ne sais quoi répondre à Galen, je hausse les épaules. Il a les bons mots en règle général et je sais qu'il est perçu comme quelqu'un de froid, de distant, un peu comme moi parfois aux premiers abords. Ce n'est pas vrai. Ne rien dire de plus. Autant rester dans le silence. Sauf que ce silence n'est pas agréable. Mes pensées se bousculent et ça ne sert à rien de les dresser, elles prennent toujours le dessus. Pourtant avec Galen, on est ami depuis très longtemps et je n'aime pas ce climat d'animosité qui nous sépare.
« Un plaisir ».
« Ne le prends pas mal » dis-je pour briser ce silence.
« J'ai conscience de la difficulté que ça demande, ne crois pas que je sois insensible ».
« On a jamais vu ça Galen et je n'ai jamais dis ça » lâchais-je comme une bombe.
Je ne réponds jamais sur ce ton sec d'habitude. Je m'en veux un peu. Ce sont mes nerfs mis à rude épreuves qui prennent le dessus sur le reste. J'ai vu mon meilleur ami dévier, dériver de sa trajectoire et se transformer en un feu d'artifice vivant. J'aurais préféré qu'il tombe dans l'Hudson mais je doute que le feu répandu dans ses veines se serait éteint tout seul. Il se serait pris la surface de l'eau en pleine face et ça aurait été aussi fatale que le béton. Ses blessures vont mettre du temps à s'apaiser. Il est fiévreux et dans un coma depuis trois jours. C'est ce qui me fait le plus mal. Et ce qui me soulage un peu c'est qu'il n'est plus conscient de ce qu'il se déroule autour de lui. Après tout, son corps est peut-être en hypervigilence, à « entendre » ce qu'il se passe autour de lui. Je ne sais pas. Si mon meilleur ami entend quelque chose, j'aimerais qu'il sache que l'on est tous là.
« Avec Raphaël ça a pris plus de temps je te l'accorde. Si tu veux en parler ok. On peut imaginer toutes les hypothèses, d'ici un siècle, deux siècles ou trois. Demain. On en a aucune idée ».
« Compter là-dessus n'est pas une solution suffisante. Attendre est la seule chose à faire, c'est horrible d'ailleurs ».
« Ce n'est pas moi qu'il faut engueler » dit Galen en haussant le ton.
J'admets.
Mes émotions prennent le dessus. Hausser le ton ne sert à rien.
« Je... n'aurais pas dû, excuse-moi ».
« J'en ai parlé à Jessamy figure toi. Elle a été aussi choquée que nous tous et a pleuré la moitié de la nuit encore ce soir, ça fait trois jours de suite. La voir comme ça me fends le cœur. Elle voudrait le voir pour comprendre ».
Jessamy est l'ange le plus humain que je connaisse.
Son cœur est pure et elle ne peut s'empêcher de s'inquiéter pour les autres.
C'est clair que pour nous Sept, on a une image de guerrier mais au fond, un cœur bat. L'image renvoyée n'est pas la même. Difficile de faire plus vulnérable.
On attend tous des nouvelles. Reste à savoir quand il va ouvrir les yeux. Bien entendu que Jessamy s'inquiète car elle a dû écouter le récit de Galen avec effroi, elle a dû regarder les informations horrifiées par les images en différées. Un ange qui tombe d'un coup, attiré par la gravité fait la une des médias, logique de se sentir impuissant face à une prophétie historique.
Je regrette de m'être emporté. Galen n'a pas à entendre mon énervement. Nous sommes tous dans une attente interminable. Logique d'être à cran. Galen me regarde avec bienveillance et me souhaite une bonne nuit. Il repart aussi vite qu'il est apparu sur le balcon et je le regarde s'éloigner comme une flèche loin de moi.
Une fois Galen parti, le sommeil est revenu me chercher.
La fatigue.
Les nerfs.
Je m'en veux de lui avoir dit des choses sous le coup de l'émotion alors qu'il est venu en ami me rassurer et se rassurer lui-même. Je lui ai présenté de brèves excuses. Il mérite d'être écouté. Je m'en chargerais.
Je me réveille tôt dans la matinée, probablement à huit heures. Je me surprends à rêvasser en regardant les œuvres d'arts présentes dans le couloir de la Tour. Certaines m'appartiennent, ça me fait sourire de les voir ici.
J'arrive devant la porte du bureau de Dmitri, vide. Des lumières en veilles. Il est resté ici toute la nuit. Il doit être chez lui. Il a veillé sur la sécurité de notre Campanule.
Même la bibliothèque est vide.
Personne au Refuge.
Je présume que les enfants dorment encore. J'y passe leur faire la lecture de temps en temps.
En passant devant le bureau de Keir, des sanglots, des pleurs plutôt me parviennent aux oreilles. Je reconnais tout de suite ceux de Jessamy. Ses longs cheveux marrons sont attachés d'un nœud bleu. Ses yeux marrons sont pleins de larmes. Des larmes coulent le long de ses joues. Mon cœur se sert. La voir aussi triste, peinée, apeurée, tout est mélangé dans sa tête. Elle a dû écouter le récit de Galen une partie de la nuit et j'espère qu'il ne lui a pas faire part de notre dispute, j'aimerais régler ce froid avant. Je préfère la laisser tranquille, jusqu'à ce que ses beaux yeux croisent les miens je ne sais pas où me mettre.
« Aodhan » souffle t-elle.
« Je peux repasser plus tard ».
« Reste, c'est bien que tu sois là ».
Je m'assois à ses côtés comme si je m'excusais d'être là. Sur un coin de chaise. Silencieux. À croire que le silence est mon nouvel ami depuis quelques heures. J'ai évidemment envie de lui répondre que notre Campanule préféré n'est pas seul dans la pièce où il se repose mais que Jessamy ne l'est plus non plus ici. Mes larmes commencent à perler ses yeux et je ne peux rien faire pour les refouler. Je ne me montre jamais vulnérable devant les autres.
« Je suis sûr qu'il ressent ta présence ».
« J'espère » dit-elle en s'essuyant les yeux avec sa manche.
La laisser sangloter me touche évidemment et je me demande si Illium l'entend aussi car on dit que les personnes dans le coma écoutent, qu'elles ne peuvent pas agir physiquement ni montrer qu'elles sont là par quelconques moyens. Elles écoutent. Jessamy est à fleur de peau. Ce qui est compréhensible et elle a besoin de soutien. Tous ici avons besoin de comprendre et je suis sûr qu'on aura des réponses de Keir ou de Nisia bientôt. Certes, son arbre généalogique révèle que l'Ancien va se réveiller, il a déjà eu la bonne idée de se manifester. Il faut que j'aille à la bibliothèque fouiller dans les livres s'il y a une trace d'une Ascension fulgurante similaire dans le passé. Après tout, Illium n'est pas le seul à en avoir subi une, si ? D'autres exemples doivent exister dans l'histoire. D'autres exemples pour mieux comprendre l'ampleur que cela implique. Illium a été dans une situation si délicate. Je n'ai pas revu Nisia depuis trois jours. Elle doit soit être enfermée dans son laboratoire, à chercher la cause de sa forte fièvre. En théorie, Illium ne devrait plus avoir de fièvre ni les autres effets secondaires qui ont suivis mais la Cascade cache beaucoup de choses inconnues.
« Tu veux bien m'aider à préparer la classe ? Les enfants arrivent bientôt ».
« Bien sûr ».
La salle de classe est rempli de jeux, d'activités ludiques, toutes les tables sont alignées de manière à ne laisser aucun élève dans un coin, tous participent. C'est une salle accueillante. Jessamy y veille, elle adore son métier ici, les enfants sont surprenants. Je suppose que certains vont poser des questions sur notre ami, si ce n'est pas déjà fait.
Je distribue des feuilles blanches sur les tables, des feutres et tout le nécessaire pour travailler aujourd'hui. Être ici me donne un moyen de penser à autre chose et de me rendre un peu utile. Les enfants apportent cette innocence. J'imagine leur mines chagrinées en apprenant l'accident. Ils ont le droit de savoir. Avec des mots simples et Jessamy sera les trouver, si ce n'est pas déjà le cas.
« Merci Aodhan. Tu sais, les enfants m'ont posé des questions hier ».
« Tu leur as dit quoi ? ».
« Qu'il dort toujours ».
« J'aurais répondu la même chose » dis-je en entendant la sonnerie résonner.
Les élèves de Jessamy ne vont pas tarder à arriver. Je vais la gêner dans son travail si je reste encore ici. Je vais sans doute me concentrer sur mes derniers dessins dans la journée. Penser à l'art va me faire du bien.
Des petits anges qui ne demandent qu'à apprendre.
Je m'éloigne de la salle de classe et me dirige vers la bibliothèque pour consulter les ouvrages susceptibles de me donner quelconques informations. Je pense que l'équipe médicale est la mieux placer pour ça. Est-ce une bonne idée de m'infliger la lecture de récits sur l'Ascension ? Non, j'ai déjà tout dans la tête mais j'ai besoin de connaître s'il y a un après, quels sont les effets secondaires à redouter, quels sont les moyens de les prévenir et si les choses changent autant qu'on le raconte.
Émotions fortes au rendez-vous pour nos anges et vampires préférés !
