Playlist

« I'll keep you safe » Sleeping at last

« There you are » Zayn Malik

« Heartbreak warfare » John Mayer

« It's you » Wrabel et Magical Thinker

Chapitre numéro deux

Point de vue de Dmitri

« Il est stable, il est stable » indique Dmitri. « Je suis désolé ne pas faire plus ».

C'est tout ce que j'ai pu dire à Aodhan il y a trois nuits.

Je me suis senti inutile.

Je me noie dans l'administration pour tenter de faire taire mon cerveau.

Campanule est entre les mains de nos guérisseurs les plus expérimentés et les plus doués que je connaisse, difficile de trouver meilleurs qu'eux pour s'occuper de lui. Campanule est combatif, je sais qu'il va s'en remettre, ça prendra du temps mais il va s'en remettre. Son Ascension n'est pas normale, il est bien trop jeune et on est tous au courant de cette précocité qui en principe n'arrive jamais, si une fois par siècle et encore. Reste à savoir quand le Cadre va apprendre la nouvelle. C'est une autre histoire à laquelle je refuse de penser là maintenant. Les autres Archanges vont rire au nez de notre nouvelle recrue s'il arrive au sein du Cadre. Seul Titus serait capable de le prendre sous son aile, en plus de Raphaël. Les autres seraient dubitatifs voire choqués et j'ai déjà des noms en tête. Pourtant Illium y serait bien, il a des compétences indéniables. Le problème dans ce type de cas, c'est l'âge. Si pour beaucoup, ça ne signifie pas grand chose, il est un élément indispensable à prendre en compte pour l'expérience acquise. On ne va certainement pas demander la même chose à un ange âgé de cinq siècles à un ange qui en fait le double. Passé le millénaire, les choses prennent une autre tournure. Illium est bien trop jeune. Il a tant d'expériences à vivre avant de penser à l'avenir. Il intègrera le cadre à son deuxième millénaire. Si tout va bien; si tout ne part pas en vrille.

Ma manière de fuir un peu la réalité est de travailler depuis le nid, le point le plus haut de la Tour, là où on a une vue imprenable sur la ville de la Grosse Pomme. De là-haut, plus rien d'autre n'existe et en soi ce n'est sans doute pas plus mal. Ici, c'est une pause hors de la vie tumultueuse de la ville et en bas il se passe autant de choses qu'en haut. Ici, je ne risque pas d'être dérangé de la nuit.

Me noyer dans le travail est ce qui me permet en partie de faire l'autruche. Ce n'est pas la meilleure idée du siècle mais bizarrement ça fonctionne. Quand quelque chose me dépasse, je suis plongé dans le travail pour mettre les angoisses de côté. Je doute que ça soit bénéfique au long terme mais c'est l'idée que j'ai trouvé. Quelle idée judicieuse. Je regarde mon téléphone dès qu'une notification s'affiche. Souvent, il s'agit d'une pub. Jeter mon téléphone du haut de la Tour me démange. Je le mets en mode son pour ne louper aucun appel, message de la part de Keir, de Nisia et pour pouvoir respirer normalement. Je suis comme en pause depuis trois jours. Je veille à la moindre amélioration de l'état de santé de notre Campanule préféré. De toute façon, notre ange aux ailes bleues est pris en charge et surveillé comme du lait sur le feu, mon téléphone est aux aguets pour la moindre nouvelle le concernant. J'espère l'apprendre très bientôt. Je vais continuer d'espérer jusqu'à son réveil.

Bien entendu, j'ai encore les images de sa chute en mémoire et ce sont des images que je ne veux plus jamais revoir de ma vie. Son corps a été attiré par la gravité tel un aimant. C'est Aodhan qui était aux premières loges de ce triste spectacle et il a été choqué. Nous sommes tous dans un état anxieux. Voir un ange tomber du ciel n'a rien de bon. Un ange sans ses ailes ne l'est plus, c'est un corps qui n'a plus la même nature. Incapable de voler, clouer au sol est la pire sentence pour un ange. C'est comme si on arrachait les crocs d'un vampire ou qu'on le privait de sang, c'est une torture aussi atroce l'une que l'autre. En un millénaire d'existence, j'ai vu des Ascensions qui se sont déroulées en temps et en heure, comme une lettre à la poste. Les anges qui sont destinés à devenir un Archange le deviennent naturellement. Raphaël était destiné à succéder à ses parents. Illium n'a pas de pareil destin, jusqu'à ce que l'on se souvienne tous de son père. Son arbre généalogique joue contre lui à ce niveau là. Et on sera là pour l'accompagner au mieux. Illium est un excellent élément. Hors de question qu'il subisse la moindre malédiction de cette Cascade. Personne ne peut lutter contre elle et avec les dégâts qu'elle cause, on est mal parti. Lijuan a pris le pouvoir au premier degré et ses conséquences désastreuses. Si elle décide de le faire, de se réveiller je ne sais quand, ses répercussions seront énormes.

J'ai bien envie de jeter mon stylo au sol mais je dois terminer ce dossier.

Dehors le monde reprend du service.

Les chaînes informations doivent tourner en boucle sur l'évènement et ça me dégoute. Je ne peux pas croire que ça soit encore sur Internet. Les images sont assez floues pour ne pas distinguer clairement l'ange à cause des lueurs qui émanent de son corps. Il va tellement vite que les caméras ne suivent pas. On voit la lumière de notre Archange et les images ne sont plus utilisables. Je crois que si je savais voler, j'aurais bloqué le moindre drone, le moindre hélicoptère au sol pour les empêcher de filmer. Sauf que je ne suis pas doter d'ailes magnifiques mais de crocs prêts à en découdre quand même avec les événements. Cloîtré au sol, j'ai pu appeler tous les numéros de mon répertoire pour venir en aide à notre ange en danger. Par miracle, notre Archange a reçu le message, de justesse mais il a eu le message. Le sauvetage a eu lieu aux yeux de tous les anges présents à proximité de la Tour, de tous les passants en bas qui n'ont eu d'yeux que pour la scène chaotique et les vampires comme moi, incapables de se rendre utile autrement qu'en hurlant intérieurement pour que notre Archange arrange la situation. Je ne souhaitais qu'une chose, que notre Campanule aille mieux, quitte a échanger une barre de vie à la mienne. Comme si on était dans un jeu vidéo, quelle idée. Il doit se battre pour ouvrir les yeux maintenant. Et à part attendre, on est démunit. Je le suis en tout cas.

Je clôture ce fichu dossier et ensuite je me rends à la salle informatique, il faut que je parle à Vivek. En parlant de lui, je suis sauvé par le gong avec une notification de sa part.

Même dans l'ascenseur ça ne va pas assez vite. J'ai l'impression de l'attendre depuis trop longtemps pour sa fonction initiale. Il est censé être rapide, pas lent ce soir.

J'arrive finalement dans la salle informatique où il travaille. Loin de moi l'idée de juger la quantité d'écrans face à lui, les lumières me donnent déjà mal à la tête. On doit faire avec notre temps, je n'aurais jamais son niveau d'expertise en la matière. Vivek est un puit de connaissance technologique et un réel atout pour la Tour. Depuis son recrutement, il nous aide sur toute sorte de missions et son aide est indispensable. Je sais qu'il travaillait lorsque Campanule a chuté. Il ne me l'a pas dit directement, j'ai eu des échos et je ne sais pas s'il souhaite en discuter ce soir. En tout cas, j'imagine sa stupeur. Il a réussi à se connecter via une des caméras qui a filmé le début de la chute de Campanule, il a vu les premières images. Ensuite, l'écran a coupé. Et je lui ai aussitôt envoyer un message pour lui demander de supprimer toutes les traces possibles sur Internet. J'ai prié pour que ça soit possible sur le moment. Quoiqu'il en coûte, je refuse de voir circuler une image d'un Sept en danger. Elle peut être reprise et analysée toute une journée par un média. Pas question de nuire à son image. Campanule doit se remettre sur pied avant toute chose.

« Tu as des cernes sous les yeux Dmitri ».

« La camomille n'est pas assez efficace pour les combler. Pitié dis-moi que tu as de bonnes nouvelles ».

Je prie intérieurement pour de bonnes nouvelles.

Je mets l'humour de côté aujourd'hui.

Pas le temps d'ajouter autre chose que Vivek clique sur une page de son écran. Au moins dix onglets sont ouverts. Je ne prends pas la peine de tout lire mais j'en conclue qu'il a dû négocier toute la nuit contre la fatigue et les nerfs mis à rude épreuve pour faire ce que je lui ai demandé.

Vivek est un informaticien génial. Je suis sûr que tous ses efforts sont mis sur la table pour me rendre ce service qui honnêtement est un cadeau pour nous, pour Campanule. Personne ne mérite d'être à la une de tous les journaux pendant les prochaines semaines, les médias new-yorkais sont rapides et affamés de nouvelles.

« J'ai fait ce que tu m'as demandé, les images qui circulent partout sur la toile n'existent plus ».

À ces mots, je suis soulagé. Et la colère commence à pointer son nez. Bien sûr que j'en veux aux rares médias qui ont capturés ces images et les ont diffusés. Mais je connais quelqu'un qui mérite davantage mon énergie que ces parasites. Ils sont utiles quand ils le veulent. Ce n'était pas le cas ces trois derniers jours. Trois jours qui me semble durer une éternité.

« Je te jure que si l'une d'elle réapparait, j'étrangle moi-même son auteur ».

C'est une manière polie de dire que je n'hésiterais à employer certains moyens pour les contraindre à obéir. Mais le chasseur né me regarde avec un air dubitatif avant de me confirmer sereinement que ce ne sera pas la peine d'aller aussi loin. Lui comme moi sommes d'accord pour dire que le bien-être de Campanule passe avant tout. Encore une fois, se noyer dans le travail est notre manière d'avancer un peu. Lui menace de s'arracher la tête à force de traquer les dernières traces de notre ange bleu dans le ciel publiées sur des pages Internet.

« En principe non, ça n'arrivera pas j'ai pu bloquer l'accès aux vidéos et elles ont disparues de la toile. J'ai averti les médias concernés aussi ».

« Merci beaucoup, bien joué Vivek ».

Ce chasseur né est génial.

Venant de ma bouche, ça veut dire beaucoup. Je suis reconnaissant. Grâce à lui, les médias sont coupés dans leur élan de faire du buzz. Pas le temps pour ça. J'ai une ville à codiriger et un ange sur le feu à surveiller. Je devrais lui parler ensuite, quand il reprendra ses esprits. J'ai demandé à Keir quand même de lui faire passer des examens complémentaires. C'est important de prendre soin de lui. Les autres Sept me demandent des nouvelles, moment délicat au moment de répondre que non. Ils s'en vont la mine déçue. En ce moment, Jason est en mission, Galen s'entraîne avec les autres anges aussi dur qu'avant et Jessamy ne cesse de lui poser des questions. Il m'a dit qu'elle a pleuré quasiment toute la nuit en apprenant la chute. Je me soucis de ses sentiments autant qu'un autre membre des Sept. Jessamy est un ange indispensable. Son puit de connaissances, sa bienveillance, elle est un cadeau pour le Refuge, nous. J'espère que ses élèves ne posent pas trop de questions, je leur en donnerai bien mais je n'ai pas eu de quoi répondre aux miennes jusqu'à présent.

Vivek ne quitte jamais ses écrans de la journée. À sa place, ma tête aurait la taille d'une citrouille. Il referme deux onglets d'Internet avant de me montrer une autre image qui a eu beaucoup de succès sur les réseaux sociaux, celle de l'ange qui tombe comme une étoile filante, en perspective d'un immeuble. Un hashtag circule. Je n'ose pas aller lire les messages. Vivek a dû jeter un coup d'œil pour vérifier. Je vais le laisser travailler vaquer moi aussi à mes occupations.

« Tu as des nouvelles ? » demande t-il en se retournant de l'écran.

« Non ».

Lui dire le contraire ne sert à rien. Je n'ai pas pris le temps d'aller au Refuge voir Campanule.

« Il va aller mieux hein, il est fort ».

Bien sur qu'il ira mieux. Ça prendra du temps et personne ne le laissera tomber.

Depuis mon bureau, j'ai a une vue imprenable sur New-York.

Du haut de la tour de verre et de métal, peu de détails nous échappe. Il a des espions partout. Pas autant que notre maître espion préféré qui ne révèle jamais ses failles. Ce qui lit tout ce beau monde, c'est la loyauté. Un lien indescriptible, unique qu'on garde précieusement. Une chance pour nous de faire partie de la garde rapprochée d'un Archange en ayant des liens fraternels aussi forts. Pour l'instant, ce qui effraie tout notre beau monde, c'est le destin qu'annonce la Cascade pour notre Campanule préféré. Il faut admettre que cet ange est bien trop jeune pour être confronté à de tel changements physiologiques. Auparavant le plus jeune était âgé de deux cent ans de plus que Campanule. Il y a donc quelque chose de pas clair dans cette histoire. De plus, il n'a pas de sang d'Archange dans les veines de Campanule mais du sang d'Ancien oui. C'est grâce au lien de sang qu'on les Sept avec Raphaël qu'il a pu survivre. Il est intervenu à temps en déchargeant l'énergie qui menaçait de brûler l'ange aux ailes bleues dans le ciel nocturne de la ville, aux yeux de tous. Impuissants face à la situation tragique écrite nulle part jusqu'à présent. Même si Illium est l'ange le plus apprécié parmi tous auprès des habitants et entre eux, il a une bonne humeur contagieuse qui met tout le monde d'accord. Personne ne peut résister au charisme naturel de l'ange. Il a une aura. Et cette aura va grandir encore au fil des siècles. Il a encore du temps à vivre et ça je me promet de l'aider à évoluer au mieux. Jamais je ne laisserai cet ange espiègle connu dès son plus jeune âge patauger dans une mélasse infâme qui plane au-dessus de sa tête à cause de cette Cascade. C'est sa joie de vivre, son insouciance, son sérieux quand il le faut qui fait sa personnalité et l'ange le plus attachant, celui qu'il faut connaître une fois dans sa vie.

J'écris un message à Nisia pour en savoir plus et en attendant sa réponse, je repense à ce que l'Archange m'a dit hier matin. Attendre est la pire chose du monde. Je suis assis à travailler dans mon bureau en attendant que Campanule se réveil. Il se bat contre lui-même, contre une énergie destructrice. Si notre Archange n'avait pas été là, je m'en serais voulu. Et quand j'y pense, l'émotion me gagne. Jamais je ne pourrais me faire à cette idée. L'espoir fait partie de la vie aussi et dans la vie, après la pluie et l'orage, il y a le soleil. Bon sang que c'est nul mais en vérité, ça aide ne serait-ce qu'une minable seconde à ne pas broyer du noir. Mon cœur est coupé en deux. L'envie de croire à une amélioration prend le dessus, il n'y a pas de raison du contraire merde. Campanule est surveillé tel du lait sur le feu, rentre toi ça dans la tête Dmitri.

« À quoi penses-tu ? ».

Mes yeux marrons croisent les yeux verts de ma femme. Honor. Je ne l'ai même pas entendu entrer ici. Récemment transformée en vampire, elle a des capacités de discrétion insoupçonnée, comme traverser une pièce à l'allure d'un chat sans faire de bruit. Elle s'avance dans la pièce en me regardant avec bienveillance, tout en ayant une once de pitié. Je hais la pitié. Ma mine est sans doute neutre, les récents événements n'aident pas. Elle va me questionner à ce sujet. Logique, on en parle depuis trois jours, tous entre nous. Elle aussi dégage quelque chose d'attractif. C'est une chasseuse-née. Habituée à poursuivre des vampires désobéissants dans les rues de New-York, en devenir un est un peu étrange mais ce fut le prix à payer pour avoir une vie bien plus longue que les autres, la cerise sur le gâteau à mes côtés. Posant sa tête contre mon épaule, elle contemple la vie qui s'offre à elle aussi, les futurs siècles de vie commune. Les millions de lumières artificielles de la ville et les immeubles tous plus hauts les uns des autres sont face à nous. Hormis la Tour, on y est déjà.

« Au calme qui règne dans cette ville » répondis-je simplement même si elle sait que c'est faux, je pense à Campanule, que je dois aller voir bientôt d'ailleurs, j'attends un message de confirmation de Nisia.

Je ne veux pas la déranger en plein travail ni poser trente six questions alors qu'elle est fatiguée et anxieuse.

« Un peu trop calme à ton goût ? ».

Je soupire et hausse les épaules. Disons que la ville est calme oui, comme si elle était sur pause alors qu'elle ne l'est jamais, ce n'est pas plus mal mais c'est le destin de Campanule qui me met dans un état songeur. N'étant pas le plus démonstratif des Sept, je n'en ressens pas moins les choses, je sais que son état va s'améliorer. Juste que ne plus le voir exercer ses pirouettes dans le ciel me manque. C'était comme un rendez-vous, le voir virevolter comme un papillon sous mes fenêtres, l'entendre rire, l'entendre donnez un ordre à un autre ange à proximité, l'entendre râler, chanter parfois. Toutes ces choses me manquent. S'il m'entend, il va en profiter. Pas question de profiter de ma faiblesse. Alors qu'en réalité je m'en fiche. Je l'ai vu grandir. Je l'ai vu voler pour la première fois comme un papa fier alors que nous n'avons pas de lien biologique. Il est un ange, je suis un vampire. Tout nous oppose et pourtant, je ne peux pas m'empêcher de vouloir le protéger. Je ne veux que rien ne lui arrive. Et je ne suis pas seul à penser la même chose. Déjà qu'il s'inquiète pour sa propre mère alors si j'endosse ce rôle pour lui, le pauvre je le plains. Illium n'a pas besoin de pitié mais de soutien, d'écoute, de protection dans la limite du raisonnable et je compte le lui offrir sur un plateau d'argent voire en or massif dès qu'il ouvre les yeux de son lit.

« Je me méfie des moments trop calmes ».

Triste vérité.

Souvent, on a tendance à se méfier des moments calmes, comme si quelque chose allait nous tomber dessus. Tu as été trop bien, bam quelque chose va te ramener sur Terre. La définition même de cette saloperie de Cascade. Elle frappe les anges de manière gratuite. Pour Illium en tout cas, en début de symptômes: changements d'humeur pour ne pas les nommer, des capacités physiologiques qui changent aussi mais on y peut rien. C'est ce qui est le plus culpabilisant. Regarder l'autre changer sans qu'il ne comprenne lui-même pourquoi et nous par intermédiaire. Nous sommes inégaux. Et Campanule a besoin de respirer.

Je laisse Honor me masser les épaules. J'ai l'impression de l'entendre craquer à cause du stress. J'ignore. Elle continue et je refuse que ce moment de détente s'arrête.

« Parce que quelque chose arrive ensuite ? » demande-elle en me massant les épaules.

« Oui ».

S'il doit arriver quelque chose à cet ange, je ne s'en remettrais pas.

Autant être honnête et l'admettre.

Le sommeil de Campanule durera le temps nécessaire. Continuons d'espérer et on avisera.

Honor s'appuie sur mon épaule et contemple la vue qui s'offre devant nous.

Le cœur d'Illium n'est pas encore prêt.

Voilà la conclusion. Personne ne l'est. On avance étape par étape.

Je suis certain que la vampire qui partage ma vie pense que c'est le mauvais œil. Toujours se méfier du dit « mauvais œil », s'il y a le mot « mauvais » dedans, c'est pour une raison, non ? Je réponds juste que les siècles de vie m'en apprennent beaucoup mais je compte sur ceux passés ensemble pour m'apprendre encore plus.

« Tu es allé le voir ? Ou tu veux y aller ? On peut y aller à deux si tu veux » murmure t-elle.

Je hoche la tête en guise d'acquiescement en écoutant mon épouse, je dois aller le voir, tant pis si c'est dur, tant pis si ça fait mal, c'est pour lui apporter un soutien suffisant sans pour autant lui donner une impression de l'étouffer. S'il est au fond de la piscine, il faut qu'il remonte. Doucement mais sûrement, comme pour Aodhan. Les circonstances sont différentes car l'ange aux ailes diamantées a un traumatisme et il avance. Tous les jours, il prend conscience de la chance d'être en vie et que la vie en vaut la peine. Illium aura toujours un sentiment étrange au travers de la gorge parce que la Cascade qui plane sera toujours là, prête à frapper sur lui pour se faire entendre. Les Archanges sont au courant. Traiter Illium comme n'importe quel autre ange, aussi exceptionnel soit-il est une nécessité. Respecter son besoin d'intimité aussi. Il aura besoin de se retrouver dès son réveil, le travail commencera, il aura une batterie d'examen et un suivi, je veux tout connaître des conséquences que ce coma aura eu sur lui. C'est difficile de ne pas exprimer ses émotions pour lui; je suis partagé entre l'inquiétude d'un ami, la loyauté d'un vampire puissant envers son Archange et un de ses Sept. Mais tout ça est mélangé. Avant d'être loyaux les uns envers les autres, on a un lien amical et fraternel unique. Il est temps de mettre en place ces sentiments et prouver à Campanule qu'il ne sera pas seul, qu'il compte aux yeux de beaucoup de gens.

À présent, je songe enfin à quitter le bureau dans lequel je passe la plupart de mes journées, j'ai besoin d'air.

« J'ai envoyé un message à Nisia il y a une heure afin de savoir comment il allait et si c'était possible de le voir quelques minutes sans déranger personne » murmurais-je.

« Je t'accompagnerais ».

Je la remercie en la prenant dans mes bras.

Plus rien d'autre que nous deux n'existe. Je savoure cette parenthèse.

« Merci ».

« Autant profiter de cette accalmie, qu'en penses-tu ? » prononce la vampire en saisissant le col de ma chemise noire.

« Idée intéressante ».

Un sourire satisfait se dessine sur mes lèvres de vampire. Mes lèvres capturent celles de ma femme. Celle-ci rit face à la réaction spontanée. Un moment un peu magique pour nous. Depuis notre mariage, on se sent revivre. Tout le monde mérite de trouver la bonne personne, de se sentir bien dans sa peau, de gouter à des émotions inconnues jusqu'à présent, d'apprécier le moment présent, de sentir le soleil réchauffer sa peau. Vivre. Depuis les derniers événements, rien ne sera plus comme avant et tout le monde est déjà au courant. Mon bureau est ouvert, les baies vitrées qui composent le mur du fond donnent une vue imprenable sur les immeubles aux alentours. Une volonté de s'ouvrir sur le monde dans un certain sens. Ne plus penser au négatif. La vampire sent tout de même une petite réticence de ma part à l'idée d'aller plus loin dans mon bureau alors elle se rapproche un peu plus afin remédier au petit préjudice. Je laisse échapper un rire. J'ai envie de répondre à cette provocation gratuite mais je m'abstiens. Impossible de répliquer face à elle. De plus, j'en avait secrètement envie sans le dire à voix haute et non plus par la pensée. Honor refuse de lâcher prise. Ce qui n'est pas pour me déplaire. Je ne demande que ça. On est marié et on se connait depuis un moment mais les sensations sont identiques, si ce n'est plus fortes avec le temps. Seulement, je ne pense pas passer la nuit dans le bureau. J'interrompt le baiser un peu à contre cœur.

« Pas ici chérie ».

« Quoi tu as peur d'être interrompu ? ».

« Les vitres ne sont pas opaques dans ce bureau ».

« Les stores fonctionnent, non ? Mets de la musique, ça fera diversion ».

Cette femme m'épate tous les jours.

Quitter mon espace de travail pour se rendre directement dans la chambre attribuée à chacun des Sept au sein de la Tour me traverse l'esprit. Mais je ne dois pas quitter les lieux cet soir. Ses baisers caramels sont addictifs. J'en profite autant qu'Honor. Son odeur l'est toute autant. Ce n'est un secret pour personne. Ses mains trouvent placent dans mes cheveux plus vite que les miennes autour de sa taille.

Il faut évidemment que mon téléphone décide de se manifester.

Je l'ignore une première fois.

« Interrompre ce moment devrait être interdit » souffle t-elle en faisant une interruption d'une seconde.

Ne pas répondre ne serait pas correcte et je risque de le regretter. Je ne peux pas me concentrer sur les sensations que ma femme me donne et sur la culpabilité de ne pas accorder d'importance à ce fichu téléphone. Duel difficile. Je quitte la taille de mon Honor pour discrètement regarder l'écran de mon téléphone que j'avais envie de jeter par la fenêtre ce matin et que je considère comme un objet précieux ce soir. Le nom de la personne qui s'affiche me fait bondir. Au début je pense à une sorte d'hallucination à force de trop penser à la situation mais non.

Nisia.

Nisia apparaît sur l'écran, des messages s'affichent aussi. Mon téléphone est soudain pris d'assaut. Les notifications s'enchaînent et prennent mon téléphone en otage. Je ne sais pas comment réagir. Honor est toujours dans mes bras et l'interrompre serait déplacé. Son corps contre le mien m'apaise dans ces instants là. Improbable que mon outil de travail se mette à vibrer dans un moment pareil. Sans mon téléphone, je n'ai plus de quoi travailler, si je le perds la colère de Raphaël se manifesterait et me le ferait savoir. Il faut que je réponde à ces messages. Je suis désolé d'interrompre les gestes doux de ma femme. Nos regards se croisent et elle peut lire un « désolé » dans le mien. Les messages de Nisia sont clairs et une onde de soulagement me prend par surprise ainsi que des larmes qui perlent mes yeux. Enfin.

« Campanule a ouvert les yeux » je peux lire sur l'écran.

Mon visage entre mes mains, je commence à prendre conscience du chemin parcouru par Campanule depuis trois jours, il a fallu que le quatrième jour soit le bon. Reste à en savoir plus, je ne peux pas me permettre de sauter de joie et de me dire que les choses iront bien. Il a juste ouvert les yeux. Juste le temps de croiser le regard de Nisia. Et après ? Va t-il dormir pour se remettre de ses blessures corporelles ? Je pense que oui et il aura raison. Au moins, on sait que son état va s'améliorer. Je l'appelle aussitôt et quelqu'un frappe à la porte de mon bureau. À peine ai-je eu le temps de me retourner que la guérisseuse coupe la conversation et raccroche les larmes aux yeux, ses yeux sont rouges d'avoir pleuré. Elle prend Honor dans ses bras de longues minutes et elle recommence à pleurer dans les miens durant quelques minutes aussi. Je ne suis pas forcément quelqu'un de douer pour réconforter les gens mais je sens que la guérisseuse en a besoin, elle a besoin d'un câlin pour la soutenir. Pour lui faire comprendre que tous les efforts fournis payent. Son travail est récompensé.

« Si tu savais comme j'ai eu peur » murmure t-elle finalement toujours dans mes bras.

« Je vais chercher du thé » m'annonce Honor.

« Tu es disponible pour discuter ? ».

« Oui, je venais pour ça, pour le dire à tous les autres ».

Honor revint avec un plateau, posé sur une table, je crois qu'il va falloir davantage de tasses. Mon bureau manquera de places mais c'est une nouvelle importante, je me vois mal ne pas accueillir tout le monde.

Quand les Sept plus notre Archange réunis dans mon bureau, j'ai l'impression que notre guérisseuse est prise en otage. Tous se serrent les uns contre les autres. Je ne les ai jamais vu aussi tendus et à la fois soulagés des nouvelles positives de ces dernières vingt quatre heures. Le regard de Naasir croise celui de Venin qui pour une fois a enlevé ses lunettes. Jason s'appuie contre la fenêtre, Galen a le regard neutre et Aodhan se tord les doigts. Elena cherche du soutien dans les bras de Raphaël. Dire que ces anges et ces deux autres vampires sont les plus redoutables que je connaissent dans ma vie de Second d'un Archange. Et c'est un vampire millénaire qui le dit. Je suis aussi soulagé qu'eux. Et bien évidemment heureux de les voir réunis et non en mission au quatre coin du monde pour Jason en particulier ou les autres qui œuvrent beaucoup au Refuge ou aux entraînements. Le regard de chacun d'entre nous est plus anxieux car l'après de la chute arrive. Les anges sont en train de boire les paroles de Nisia. Elle nous raconte comment notre Campanule a ouvert les yeux une seconde, les a refermés à cause de l'intensité de la lumière dans la pièce, il a bougé les doigts pour toucher le drap. La guérisseuse lui a demandé s'il souhaitait dormir, il a répondu en serrant sa main une fois pour oui. La réponse est claire, il veut qu'on lui fiche la paix. Et on va lui donner autant de temps que nécessaire à ce qu'il remonte la pente.

C'est alors que Keir arrive dans le bureau bien trop petit pour autant de monde. Bizarrement, personne ne dit rien. On apprécie cette proximité. Keir prend Nisia dans ses bras quelques secondes, il prend aussi la peine de la rassurer. Ensuite, un sourire se dessine sur son visage.

« Je n'ai jamais vu ça » dit-il à notre encontre. « Sachez que Campanule se porte bien. Il lui faut du repos, je pense qu'il dormira pendant quinze jours et ensuite on avisera un protocole pour les examens que tu m'as demandé Dmitri ».

« Quinze jours ? » s'exclame Naasir. « J'ai le temps de préparer une fête surprise ».

« J'espère qu'il n'est pas cardiaque » répond Elena. « On peut aller le voir ? ».

« Pas tous en même temps mais oui, vous vous organiserez ».

« Il dort » dis-je pour moi.

« Oui Dmitri, il dort. Son repos est vraiment important pour sa récupération ».

« Je n'ai aucune idée de comment sera l'après... » intervient Nisia. « Je ne l'ai pas vécu ».

« L'énergie s'est répandue si vite dans ses veines qu'elle a pris le contrôle. Si Raphaël n'avait pas agit... il lui faut du temps. Pour comprendre, si on peut comprendre quelque chose à la Cascade et je crois Raphaël que tu seras le mieux placé pour en parler avec Campanule. Pour appréhender ses nouvelles capacités aussi, ce sera un long travail » débite Keir.

Sur ces bonnes paroles, tous quittent mon bureau pour rentrer chacun chez soi. Je crois qu'on a tous besoin de digérer les paroles de Nisia, de Keir car beaucoup d'informations s'entrechoquent. Demain est un autre jour à ce qu'on dit.


Hey ! J'espère que vous n'avez pas trop flippé. La situation est délicate mais sous contrôle.

Merci d'avoir lu la suite, à la semaine prochaine !