Playlist
« How can I forget » MKTO
« Wonder » Honeywater
« If i could fly » One direction
« Say you will » Hearts & Colors
Chapitre numéro quatre
Point de vue d'Illium
En principe, la nuit est sensée porter conseil, apaiser les tensions de la journée, elle permet de ne plus penser à rien, de faire le vide, de prendre le temps de rêver, de reposer le corps quelques heures et de profiter d'un sommeil bénéfique. En tout cas, sur le papier car la réalité est toute autre. La nuit porte conseille, tu parles. Au contraire, je fixe le plafond et à ce stade, je pourrais en deviner toutes les fissures. J'ai rénové cette maison de fond en comble, il n'y a pas de fissures. Cette maison est mon bien le plus précieux, un cocon que je veux préserver absolument et être ici me réconforte, j'ai besoin de m'enrouler dans une couette et de rester là. Depuis que j'ai fait les examens demandés, on m'a laissé tranquille et je me suis plié au jeu car les réponses éventuelles m'intéressent beaucoup. Je veux connaître les répercutions qui peuvent me tomber dessus.
Un coup d'œil à la pendule au mur de la chambre, il est trois heures du matin.
Trois heures du matin.
Ma nuit commence quand ?
Je pensais que justement, le repos, le repos et le repos d'aujourd'hui allait m'aider.
Mon front est mouillé par la sueur.
Mon cauchemar recommence.
Mon cauchemar n'est pas prêt de se terminer.
C'est toujours le même cauchemar. Je rêve de ma chute dans le ciel. Je tombe comme un projectif qu'on jette sans le rattraper.
Un projectif inutile.
Les images sont gravées dans ma mémoire, sans possibilité de les rembobiner et de détruire la cassette.
Mon cœur menace de sortir de ma poitrine. Je ne pensais pas être aussi impacté.
Les effets ne se dissipent pas. C'est bien le problème.
Le même schéma se répète: je vole dans les airs sans me soucier de quoique ce soit et tout s'arrête.
Une poussée de fièvre me surprend.
J'ai chaud.
Des sensations de picotements me parcourent le corps et surtout la chaleur qui se propage à l'intérieur de mon corps me secoue.
C'est un feu qui prend en moi, s'embrase doucement avant de s'accélérer en une minute. Jusqu'à ce que je devienne une torche humaine vivante.
Je tente de reprendre mon souffle, de réguler ma respiration afin de ne pas paniquer ou de ventiler dans le vide.
Rien n'y fait. Je vois flou. Des étoiles apparaissent devant mes yeux. Je menace par la même occasion de me prendre la statue de la Liberté dans la figure et rien ne me fait rebrousser chemin, limite un coup de vent violent me ferait me dévier de ma trajectoire. Je n'entends plus l'environnement qui m'entourent, la circulation routière, les cris de Strass, plus rien ne me parvient aux oreilles. J'ai beau regarder partout autour de moi, les étoiles dansent devant mes yeux et refusent de disparaître pour me laisser tranquille rien qu'une seconde. Elles dansent en me narguant. Résultat, je suis énervé et frustré.
Mes yeux se ferment.
Je sens que je vais brûler sur place et je me demande quand ce calvaire va prendre fin. Je suis devenu une bougie qui menace de fondre en plein ciel, un feu d'artifice aussi qui menace d'exploser et de disparaître comme de la poudre à canon. Aucune trace. Même mes plumes bleues se seraient envolées je suis sûr.
Mon énergie a été absorbée, ma vie est sauve grâce à Raphaël.
Au quel cas, je serais mort depuis cinq jours, seul dans le ciel à m'embraser.
Ce n'est évidemment pas la fin que je souhaite et encore moins marquer les esprits de cette façon aussi triste soit-elle.
Je revois les dernières images en boucle. je n'ai pas demandé à Dmitri de me raconter plus. Les images circulent déjà à la télé, je n'ai pas eu le courage de les regarder. En espérant que Vivek veuille bien m'aider à les faire effacer d'Internet. Hors de question que ces images horribles soient encore disponibles dans le monde entier. Je ne veux plus les voir. Jamais.
Voilà ce à quoi ressemble mes trois dernières nuits.
Trois nuits que j'ai ouvert les yeux.
« Dmitri ».
Je ne sais pas pourquoi son prénom me vient en tête tout de suite. Il a tout vu de la Tour. J'ai besoin d'en apprendre plus. Tout est dans un rapport sur le bureau de Raphaël et il faut que je le lise. Je sais que les détails seront douloureux mais je dois me confronter à la réalité. Et je sais que pour ma santé mentale, il va dire non.
« Illium, tu veux que je vienne ? ».
« Non ».
« Alors quoi ? ».
« As-tu eu les résultats de mes examens ? ».
« On en discutera plus tard, je te l'ai dit. Dors. Repose toi le plus possible ».
Sur le plan physique je vais bien, mes blessures se sont ressoudées et ma cicatrice au bras persiste. Elena l'adore, moi beaucoup moins et elle ne me fait mal. Parfois, je me mets à briller telle une luciole. Autant dire que je hais cet effet secondaire ridicule.
Mentalement c'est autre chose. Je suis vidé, aussi parce que la Cascade me tombe dessus et quelque part, ce n'était pas un secret pour à moi à cause de ce co... d'Ancien qui me pourrit la vie dès que possible. Il a fallut qu'il marque un point une nouvelle fois. J'en parle beaucoup mais c'est la vérité. Il faut imaginer la probabilité pour que ça me tombe dessus.
Je crois avoir perdu quelque chose depuis ma chute et même avant finalement, ma personnalité joyeuse a bien diminué. Mes humeurs changeantes, mon comportement solitaire, l'envie de m'évader en volant dans le ciel. Ces choses-là ont pris le dessus. À un point où voler me rend moins heureux, moins euphorique. Je vole pour me déplacer, pour penser à autre chose ou simplement passer le temps comme pour en perdre. J'ai l'impression de flétrir et ça me fait peur.
Dmitri m'a laissé du temps pour permettre à mon corps de se reposer. J'ai l'impression de tourner en rond chez moi tel un lion en cage. Mon cerveau est rempli de pensées que je suis incapable de gérer. Comment suis-je capable de gérer une montée de puissance ? Pas à mon âge et je suis en vie, ce qui est exceptionnel. Combien d'Archange protège autant sa garde ?
J'ai besoin d'air.
Il faut que je sorte dehors, respirer, sentir l'air frais de la nuit sur mon visage. J'ai l'impression que mon cerveau surchauffe, que des millions de questions s'entrechoquent dans mon esprit, que la fièvre commence à monter de nouveau. À croire que ça ne me laissera pas tranquille. Il faut que je me calme sinon je vais devenir dingue. Dmitri va débarquer chez moi parce qu'il n'aura aucune nouvelle et s'apercevra que je suis au sol chez moi. Ce n'est pas ce que je veux. Si les autres commencent à paniquer en plus, je refuse de voir les Sept chez moi.
La nuit est calme. Pas un chat. Pas même le beau chat roux de l'autre nuit. Tous doivent dormir.
« C'est encore allumé chez toi à cette heure-ci ? ».
Je relève la tête et je croise le regard de mon meilleur ami. Il rentre rarement dans sa maison à l'Enclave. Nous ne sommes pas voisins, la sienne est au bout de ma rue. Il n'y a que quelques Sept qui habitent ailleurs: Jason, Galen, Naasir et Dmitri. Venin.
Je ne pensais pas voir Aodhan de sitôt, pas ce soir et je pensais que nos retrouvailles se feraient à la Tour. D'habitude, il rentre dans sa chambre à la Tour, épuisé de son entrainement avec Galen et non directement chez lui à l'Enclave. Mais ça me fait plaisir de le voir. Il se tient devant mon portail fermé qui ne l'est pas à clef. Je lui fais signe d'entrer jusqu'au perron de la maison. Il est l'une des rare personnes à entrer chez moi. Son visage est moins tiré, il semble avoir récupérer des heures de sommeil et ça me fait plaisir même s'il reste inquiet.
« Je n'arrive pas à dormir » dis-je doucement.
Aodhan s'avance silencieusement et s'installe à côté de moi. Il ne dit rien. Ce n'est pas habituel, tellement étrange que j'ai envie de rire très fort. La situation est ridicule. Je ne suis pas le genre de personne à pleurer pour rien sauf que j'ai envie de le faire et de rire très fort en même temps parce que c'est ridicule. Cet épisode doit être derrière moi. Me lamenter ne me servirait à rien du tout et pourtant c'est ce que je fais depuis trois jours. J'ai l'impression que ça fait un mois.
« Tu viens voler ? ».
Je relève la tête surpris. Si Dmitri l'apprend, il va m'envoyer voir Galen pour me torturer à l'entrainement les deux prochains mois. Je l'aime bien, là n'est pas le problème mais ses entrainements sont les plus difficiles de la Tour. Tout le monde le sait. Je n'ai pas envie de souffrir davantage. J'ai bien cru vivre mes dernières heures il y a peu. Je n'ai absolument pas la tête à sortir de chez moi ni à m'entraîner pendant des heures même si ça m'aiderais à me vider l'esprit. Et j'ai déjà désobéi en allant voler la nuit dernière. S'il m'avait vu; il m'aurait fait la remarque.
« Strass... ».
Mon meilleur ami sait me prendre par les sentiments. Nos courses aériennes me manquent mais je ne suis plus d'humeur. Pas maintenant et c'est ce qui m'effraie parce que quelque chose est en train de me changer.
« Tu ne vas pas me dire non, si ? ».
« Je... Ce n'est pas une bonne idée, Keir me le déconseille et je ne te parle pas de Dm... ».
« Dmitri n'en saura rien ».
L'ange assied à côté de moi essaye de me convaincre, on ira pas loin.
Encore une fois, les arguments sont bons.
Le savoir ici me rassure même si mon accueil n'est pas chaleureux.
« Ne me dis pas que tu as volé sans moi ? ».
Mon anxiété prend à nouveau le dessus. Je veux être certains que mon ami ne sera pas loin, si je recommence à zigzaguer dans ciel, je dois ralentir ma vitesse. Aussi, prévenir d'autres anges serait une solution de sécurité pour moi, si jamais... Voler est inscrit dans mon ADN. Quand j'étais petit, mes ailes étaient trop grandes par rapport à ma taille et ça ne m'a pas empêché de tester mes aptitudes dans les airs, même si on m'a ramassé avec des plumes en moins. Le pauvre Dmitri en a été le premier témoin, il m'a pourtant encouragé dans mes expériences, au grand désespoir de mes parents. Je m'enfuyais la nuit pour échapper à leur surveillance pour voler tout seul, admirer la mer, admirer un lever de soleil ou simplement manger des gâteaux avec mon meilleur ami. Mes parents étaient inquiets et moi je m'amusais. La belle époque. Et j'ai envie de tester mes aptitudes à voler après une Cascade. Pour voir ce que ça fait, après une forte montée de fièvre qui a failli me cloîtrer au sol. Juste un peu. Pourtant, j'ai été voler dans les airs la nuit dernière et les sensations étaient identiques. C'était spécial. J'ai redécouvert la sensation de l'air frais sur mon corps, le sentiment de liberté et de bien-être, mon esprit était concentré sur autre chose que la Cascade.
« Si un peu la nuit dernière ».
« Juste un kilomètre ? » répète Aodhan en me tendant la main.
Au final, voler me fait du bien.
En vérité, je me sens bien.
Je suis dans mon élément.
Aodhan sourit et se tient juste à un mètre devant moi.
Ses ailes incrustées de morceaux de verre pilés scintillent au milieu des millions de lumières new-yorkaises qui brillent dans la nuit. L'effet est unique.
Les immeubles brillent autour de nous.
Je réalise aussi qu'Aodhan continue de briller. Il a cru ne plus briller mais la lumière ne s'est jamais éteinte chez lui. J'ai l'impression d'être de l'autre côté du miroir parce que c'est moi qui a été blessé et lui est spectateur de cette souffrance. J'ai été pris de cours, comme tous les spectateurs de la scène quand ça m'est arrivé et encore plus quand ça lui ai arrivé deux siècles auparavant. Au final, l'histoire est une boucle car les événements se répètent dans les deux sens et je suis un témoin. Rare sont les fois où deux anges brisés se recollent en un morceau. J'admets que les siècles passent, ils aident à recoller les fameux morceaux mais la thérapie doit aider aussi, je songe à en demander une auprès du personnel médical du Refuge.
Les rôles s'inversent.
C'est ce qui m'angoisse maintenant. Rien ne sera plus comme avant et c'est je crois ce qui m'effraie le plus. Finalement, quand on pense que ça n'arrive qu'aux autres, on n'y ai confronté d'une manière ou d'une autre et quand ça arrive, c'est saisissant.
Je m'égare dans mes pensées.
Nous passons au-dessus de Central Park.
De ce que je vois, rien à signaler de potentiellement suspect dans le parc. Les rondes de nuit sont efficaces s'il faut agir. Aodhan me précède et un mince sourire se dessine sur ses lèvres sans que je ne sache pourquoi. Il semble avoir quelque chose derrière la tête.
« Les inséparables ! J'ai besoin de vos services » intervient Dmitri.
« Pour quoi faire ? » demande Aodhan comme s'il était dérangé.
« Un vampire n'honore pas son contrat, il est parti il y a une heure. L'ange qui l'a en charge a appelé la Tour il y a une demi-heure. Ramenez ce vampire chez lui ».
On se dirige vers le vampire en question qui menace une jeune femme, il est près à se jeter à son cou. Hors de question. Il est en fuite, je suis étonné que l'ange qui l'emploie n'ai pas eu l'idée de régler la situation lui-même. Je ne vais pas chercher à comprendre sa situation. Je contacte l'ange qui me précède et on va aviser une fois en bas.
« Strass, on a besoin de nous ».
« Notre vampire préféré vient de m'en informer ».
Transmission de pensée. Un vampire visiblement en fuite attire notre attention tout de suite. Sa discrétion est nulle. Il est pathétique à essayer de mordre une jeune femme. Il mord dans le vide. Ses dents n'effleurent même pas un centimètre de sa peau et je suis heureux pour elle. Il est vêtu d'une veste en cuire délavée et très très usée, il empeste la cigarette froide et ses cheveux sont tellement plaqués contre son crâne que le vent nocturne ne les fait pas bouger d'un millimètre. Elle par contre, est très gênée par la situation et je devine une substance qui n'est pas légale planer dans l'air. Elle a consommé quelque chose contre son gré car elle le menace de porter plainte. Ses nerfs sont mis à rude épreuve.
« Je crois qu'un vampire a enfreint son contrat » dis-je en atterrissant en même temps que mon compère.
« Il a voulu prendre l'air. On va le ramener ».
Un vampire qui n'honore pas son contrat à son premier siècle de vie est une infraction. Soit l'ange qui l'a en charge ne fait rien par générosité soit une mesure est prise en accord avec la Tour. Ce vampire n'a pas l'air dangereux, il est plutôt inoffensif et peureux. Il cesse tout de suite son agression et ouvre de grands yeux en vous voyant. Aodhan est près à sortir une arme cachée dans son dos mais pas besoin. Inutile de recourir à ça. Il tremble tout seul comme une feuille et ne conteste pas. On le récupère en le maintenant contre un arbre, il essaye de bouger d'un millimètre et il n'existe plus. Ce qui ne m'arrange pas, je vais devoir justifier ça à la Tour. Il a pris des substances, il gigote comme un acarien dans une moquette. D'habitude, ils s'enfuient en se cognant contre les arbres, les bancs publics avant de chuter contre le vide, ils voient flou à cause des substances illicites consommés. Lui n'a pas l'air de cet avis, il préfère garder le silence et il vaut mieux pour lui. La fille en question n'a pas l'air dans son état normal non plus. Nous savons que certains humains aiment le danger. Se confronter à un vampire n'est pas anodin. Côtoyer un vampire incapable de se contrôler peut s'avérer être très dangereux. Et encore le mot « dangereux » est un euphémisme. Inconscient, suicidaire. Un vampire vraiment assoiffé peut juste esquisser un sourire et la pauvre humaine se retrouve la tête en arrière, des crocs plantés dans le cou et sans aucun souvenir si le vampire en question possède le don d'effacer la mémoire. Tous n'ont pas de don particulier, beaucoup se contentent de jouer sur leur statut d'immortels pour avoir des proies faciles à manipuler, les profits se ressemblent en général.
« Juste une goutte » finit par dire le vampire.
Ses crocs n'ont pas eu le temps de se planter dans la peau frêle de l'humaine en face que je l'ai arraché d'elle aussi vite que nous sommes arrivés.
« Certainement pas ».
Celui-ci m'exaspère et je me retiens de ne pas lui arracher la tête, pas en public. Il appartient déjà à un ange. Ce n'est pas forcément à moi d'appliquer la sanction. Je n'ai pas l'envie de sanctionner un vampire ce soir et encore moins de traumatiser une humaine seule dans un parc. Ceci-dit, l'usage d'effacer sa mémoire est une solution. Au moins, elle rentrera chez elle sans aucun souvenir de cette soirée. Ma tête commence un peu à tourner. J'ai hâte de rentrer. Je n'écoute qu'à moitié la conversation qui suit. Les équipes de la Tour arrivent récupérer le vampire.
« Merci, c'est la dernière fois que je me fie à une application de rencontre » dit-elle soulagée.
« Laquelle ? ».
« Oh une très à la mode qui consiste à sélectionner des profils via des fruits pour définir la relation sérieuse ou non. J'aurais dû me méfier du pamplemousse ».
« Ce vampire ne vous fera plus de mal, on va le renvoyer chez lui » dis-je rassuré pour elle.
« Deux anges pour moi toute seule, quelle chance ».
Elle dédramatise la situation. Son sens de l'humour est bon.
« Il n'a pas résisté une seconde ».
« Normal, je l'ai attrapé par la peau des fesses ».
« Vous avez été droguée ? Vos mains tremblent et vos pupilles sont dilatées ».
« Une nouvelle drogue sur le marché ? ».
« Pas à ma connaissance » me répond l'ange de diamant.
« Ce co... a mis un produit dans mon verre ? On vient de sortir d'un bar et il a voulu m'amener ici regarder le lac ».
« Quel bar ? ».
« Le Central Park qui est à côté de chez moi. D'habitude je vais à l'Érotique mais pourquoi pas changer d'adresse après tout et je n'aurais pas dû le croire » dit-elle les larmes aux yeux.
Elle a été dupée. Je ne blâme personne mais se faire avoir est si facile. Certains utilisent des stratagèmes si bien menés qu'on peut arriver à la situation de ce soir. Cette jeune femme a sélectionné un profil, il y a eu un match et un rendez-vous donné après quelques semaines à discuter, le piège s'est fermé doucement et nous avons été prévenu d'un problème à Central Park par Dmitri et heureusement, ça s'est joué à rien. Cette jeune femme me fait de la peine. Elle a voulu passer une soirée sympathique et la voilà entre les crocs d'un vampire visiblement près à l'avoir pour déjeuner. Nous n'avons pas d'informations sur lui alors aucune idée de quand il a été transformé. Cette jeune fille a eu de la chance de s'en être sortie indemne.
« Je te propose d'aller y faire un tour ? ».
« J'ai la tête qui tourne ».
« Ok, je vais demander à un vampire d'y aller, je vais te ramener chez toi. Ne t'inquiète pas, je prends la responsabilité de ta sortie nocturne avec moi ».
« Merci mademoiselle, on s'occupe du reste. Contactez la Tour pour faire des analyses, on ne sait pas ce que vous avez dans les veines ».
« Il aurait pu me transformer ? ».
« Oui. Des analyses de substances illicites seront faites demain matin pour savoir laquelle et vous aurez un traitement adapté ».
« Merci beaucoup, heureusement que vous étiez là. Tu t'appelles comment ? ».
« Je m'appelle Aodhan ».
« Victoria. Je vous dois beaucoup ce soir, qui sait ce qui aurait pu se passer » dit-elle en effleurant la main d'Aodhan.
Un léger frisson de sa part. Rare sont les démonstrations d'affections particulières en public pour lui, une fois des enfants ont voulu lui faire un câlin et il leur a répondu simplement d'un sourire et d'un clin d'œil. Pas de câlin cette fois. La jeune femme est frêle et un peu secouée par l'événement de ce soir.
« C'est normal » répondis-je poliment.
« Alors bonsoir Victoria ».
« Merci les garçons. Au fait, Nisia voudrait te voir Campanule ».
« Tout de suite ? »
« Dès que possible ».
« Tu ne m'en veux pas ? ».
« Strass vient de me raconter. Comment t'en vouloir Illium ? Grace à toi, une jeune fille a été sauvée par deux chevaliers et un vampire dangereux arrêté, tu as été efficace, merci de ton aide ».
Sur le toit d'un immeuble voisin au quartier de l'Enclave, on aperçoit la Tour, Aodhan me regarde d'un air satisfait de sa virée nocturne. Je ne pensais pas attraper un vampire par le col et le renvoyer chez lui. Il faut dire que cette jeune femme a eu de la chance. Strass semble ravie d'avoir discuté un peu avec elle. Comment elle s'appelle déjà ? Vi...Vicky ? Victoria. Ses jolis yeux marrons n'ont pas laissé l'ange à coté de moi indifférent. En même temps, je peux comprendre. Soyons honnête, le charme d'Aodhan est évident. Sa personnalité intrigue beaucoup les gens et je sais qu'il était distant quand Ellie est arrivée à la Tour et dans nos vies par la même occasion. Alors imaginer une jeune femme humaine attirée par ce bel ange, c'est quelque chose de satisfaisant. Je lui souhaite de trouver quelqu'un. Nous sommes les deux seuls anges encore célibataires à la Tour.
« Alors ? ».
« Alors quoi ? ».
« Voler. Ça te fait quoi ? ».
Il me regarde comme si la réponse était évidente.
Il ose esquisser un sourire en plus.
Réussir à voler dans les cieux après ma chute est un exploit que je n'aurais accompli seul.
C'est comme retrouver ma liberté.
Un ange sans ses ailes n'a plus de sens.
« Ça m'a manqué ».
« Je le savais » dit-il amusé car il était certain d'avoir deviné la réponse.
« Pas difficile à deviner ».
« Tu nous as fait vraiment peur ».
« Je sais ».
Tout s'est enchaîné.
Sentir l'air sur mon visage ce soir, ne pas penser aux évènements d'il y a quinze jours pendant ce vol nocturne m'a fait plaisir. Au moins, je me suis senti libre, un ange comme d'autres, pas vraiment puisque faire partie des Sept n'est pas habituel. À mes yeux en tout cas.
J'atterris chez moi, dans le jardin. Mon jardin n'est pas aussi grand que ceux de mes voisins mais suffisamment pour en profiter.
Aodhan a survolé le jardin avant de partir directement chez lui, en me disant que c'était un moment agréable. Cela me rend heureux et il a bien fait de le proposer. Quand il s'élève, une de ses belles plumes tombe sur le sol. Si je n'avais pas reculé d'un pas, elle serait tombée sur mon nez. Demain, je la lui rendrais. Je n'ai pas l'usage de garder toutes les plumes qui tombent du ciel dans mon jardin.
« Merci » lui dis-je mentalement.
Pas de blagues, pas de remarques ironiques, pas de commentaires gratuits. Je suis étonné moi-même mais je sais aussi faire preuve de sérieux. Je suis reconnaissant ce soir d'avoir pris l'air avec mon meilleur ami. J'en ai eu besoin. Voler ce soir m'a fait penser à autre chose et en ce moment, c'est nécessaire. J'avais besoin de sortir m'aérer l'esprit.
Après avoir claqué la porte, je monte à l'étage pour prendre une douche et je laisse mes pensées vagabonder sous l'eau chaude qui coule sur mon corps. Je ne suis pas du genre à monter ma vulnérabilité mais les larmes coulent toutes seules le long de mes joues. C'est le moment où je réalise que je suis vivant, en vie et mes plumes se gorgent d'eau. Ça c'est la dernière chose dont je me soucis. Je crois que ma santé mentale me joue des tours et les pensées négatives prennent le dessus. Mes larmes me font mal. Elles me nouent l'estomac, restent coincées dans ma gorge. Incapable de parler, de crier encore moins et elles continuent aussi de me nouer la gorge. C'est quelque chose de douloureux. Je me rend vulnérable dans ma propre salle de bain. Je n'ai pas la force de décoller ma tête de la partie carrelée de la douche. Je suis comme un con dans ma douche en train de pleurer comme un bébé. Mais un bébé qui a mal. Mon cœur est en souffrance. Un mal de tête commence à arriver et ce n'est pas le moment. Je me sens comme une coquille vide. Je vais dormir assommé par les médicaments qui vont calmer la douleur dans ma tête. Je crois que j'en ai besoin pour plonger dans les bras de Morphée. Quitte à quitter la Terre quelques heures autant que ce soit via les médicaments pour me donner un coup de main.
Mon reflet dans le miroir ne me satisfait pas beaucoup. J'y vois quelqu'un de triste et non quelqu'un de bien dans sa peau et dans sa tête. Après ce que je viens de vivre, ça semble logique. Je le sais mais j'ai quand même du mal à l'admettre moi-même sans avoir envie de mettre mon poing dans le miroir mais ça coûte sept ans de malheur. J'y réfléchis à deux fois. De plus, avoir des bouts de verres brisés dans la main...peut-être que ma douleur partira un peu ? Comme une solution temporaire. Je brise le miroir d'un coup de poing quand même. Les bouts de verre volent un peu partout et honnêtement c'est la dernière chose qui m'importe.
La douleur se diffuse dans mon corps et une sensation de libération me traverse aussi. C'est étrange de se dire que la douleur puisse être libératrice dans le sens où je pense à autre chose, une substance agréable me traverse les veines. La dopamine. Je plane un peu. Mes yeux se ferment une seconde. Une fois cela fait, la cicatrice disparait aussitôt. Elle se résorbe alors ce n'est pas ça qui va m'empêcher de continuer et au fur et à mesure il n'y aura plus de places sur mes bras, pourquoi pas aussi sur mes jambes. C'est horrible de dire ça, de le penser mais c'est la seule chose qui me chagrine. Les marques indélébiles. Sérieusement, je m'attendais à quoi ? À un miracle ? J'ai l'impression que c'est une blague. Au moins, les coupures m'ont procuré une adrénaline apaisante. Un sentiment apaisant non négligeable, qui me donne envie de recommencer. Demain à l'entraînement, je laisserais quelques coupures volontaires causées par mon arme ou celle de Galen pour retrouver cette légèreté ressentie. Ça ne m'aidera sans doute pas à me concentrer, juste à apaiser ce qui me ronge de l'intérieur. Ce sera un secret. Je serais le seul à le connaître et ce n'est que temporaire. De toute manière, j'ai failli mourir alors une cicatrice sur mon corps n'est pas dramatique. C'est une marque qui signifie quelque chose et l'endroit où je me suis coupé c'est sur ma constellation gravée sur mon bras gauche. Quelle idée. Elle ne signifie rien à mes yeux. Nisia ne l'a pas encore photographiée, Keir oui et il fera des recherches sur elle plus tard. Je me demande si Jessamy ne va pas regarder dans la bibliothèque du Refuge, Vivek va surement fouiller Internet. À force de chercher, ils trouveront quelque éléments susceptibles de m'aider à mieux comprendre ma situation.
Ma situation est atypique, je le sais. En tout cas, je me sens insensible. Je nettoie mes traces rouges, les bris de verre sont ramassés et jetés à la poubelle. Aucune trace. C'est ma propriété.
Personne ne doit apprendre ça.
Mon secret.
Enfoui.
Je manque de tomber de fatigue, il est temps de regagner des heures de sommeil qui je le sais ne seront pas totalement réparatrices. J'ai besoin de tenir debout pour la journée de demain. Galen m'a demandé de venir à la Tour l'aider à travailler. Il ne va pas me malmener. Il n'y va pas en douceur avec les jeunes anges. C'est sa spécialité. Il adore en faire baver Elena qui peine à suivre son rythme.
Je regagne mon lit douillet. Mes yeux ne se ferment pas tout seuls sans que je prenne le temps de réfléchir encore à mes actes. J'avale deux somnifères et un antidouleur afin d'être tranquille cette nuit. Plus personne ne peut me faire des reproches, je n'ai pas à me justifier. Ma santé est surveillée de près. Les cicatrices n'existent plus sur mon bras. Il ne reste que cette fichue constellation qui est apparue comme par magie sans que je ne sache pourquoi et c'est un peu déstabilisant. Mon regard s'ouvre de nouveau et encore une fois, je fixe mon plafond avant de changer de position une minute plus tard pour me positionner encore sur le coté. Je me mets à la fixer maintenant comme si elle allait me dire quelque chose alors que pas du tout. Pourquoi est-elle là ? C'est une excellente question. La constellation est étalée le long de mon avant-bras gauche. Elle représente une constellation inconnue à mes yeux. En même temps, je n'y connais rien. Aucune motivation à faire des recherches sur Internet à cette heure-ci de la nuit, il est deux heures du matin. La fatigue l'emporte sur ma constellation inconnue. Une constellation dont je ne connais pas les secrets. Difficile de les deviner. Quelle idée la Cascade a t-elle eu de me faire tatouer ça ? Je n'ai rien avoir avec les étoiles.
J'ai besoin de repos, de calme, d'isolement quelques jours ou semaines je ne sais pas et ça m'importe peu. Je veux être tranquille le temps nécessaire avant de reprendre mon travail avec les jeunes anges de la Tour que j'entraine aussi, comme Galen. Sauf que je suis incapable de rester sans rien faire car je ressasse les mêmes pensées négatives. Je sais que ce n'est pas bon, c'est seulement plus fort que moi. Je suis soumis à mes pensées qui font ce qu'elles veulent. J'ai beau retourner le problème dans tous les sens pour refaire le puzzle, c'est un échec. Keir dirait que c'est trop tôt. Quand il a procédé à mes analyses, j'ai compris que mes réponses n'allaient pas s'élucider tout de suite. Il faut du temps. Et je hais le temps. À chaque fois, c'est la même chose, le temps va me donner des éléments de réponses au compte goutte. Quand il veut en fait. Et je n'ai pas un siècle de ma vie à y consacrer. Une notification. C'est le bruit qu'émet mon téléphone. J'ai bien envie de le jeter par la fenêtre mais je m'abstiens. Mes nerfs ne doivent pas prendre le dessus. J'ai déjà merdé en me coupant volontairement avec des morceaux de mon miroir de salle de bain. Quel con. Je suis tombé dans une mauvaise phase où la douleur va me permettre de ressentir quelque chose de soit disant contrôlable alors que c'est tout le contraire. Un message, un émoji d'une application de rencontre. Oui, moi aussi j'ai succombé à la fraise. Aux émojis fruits qui soit disant filtrent les profils recherchés. Je me demande en quoi ça va m'aider mais c'est une autre histoire. Je clique quand même sur cette notification et le message est nul. Je ne télécharge même pas la mise à jour proposée. Je dois me déconnecter de ces trucs là. Mais je n'ai pas eu de rencontre réelles. Ce ne sont que des messages. Des messages non explicites bande de curieux. Des conversations qui ne se terminent jamais. Sauf qu'une des personnes contactées semblent vouloir rebondir sur une conversation de la semaine dernière. Je ne daigne même pas à y répondre. Je coupe le téléphone pour le restant de la nuit qu'il me reste avant de commencer une nouvelle journée.
