Playlist
« Little house » The Fray
« Harmony hall » Vampire Weekend
« Bruises » Lewis Capaldi
« Memories » Shawn Mendes
Chapitre numéro cinq
Point de vue d'Illium
« Bonjour maman » dis-je la tête un peu embrumée suite à ma mauvaise nuit.
« Illium, mon petit chat, comment tu te sens ? Ne me mens pas, j'ai eu Raphaël au téléphone, j'ai failli me décomposer en apprenant la nouvelle ».
Ma mère est en train de me jeter une réalité en plein visage.
Celle où elle a non seulement appris la nouvelle via mon Archange mais elle a aussi vu des images sur Internet, ça c'est quelque chose dont je ne me remettrai pas.
Cette sensation de nœud dans l'estomac et au fond de ma gorge qui se nouent, de mon cœur qui se serre, de mes mains qui tremblent en même temps est horrible. Je tente de cacher ma nervosité à l'écran. Pas question que ma mère voit mon anxiété. Je ne veux pas lui causer de stress. Elle a suffisamment d'inquiétudes. Je frotte mon visage fatigué de ma main légèrement tremblante pour accentuer ma fatigue.
J'ai conscience de la peur causée à tout le monde. À moi aussi ça m'effraie. Mes nuits sont agitées et les images de ma chute dans le vide me hantent. Ce n'est pas nouveau et de plus en plus de détails me reviennent en mémoire. Je ne veux pas y penser autant mais mon inconscient me fait savoir du contraire, la vérité doit me frapper encore et encore comme une gifle. Refouler les souvenirs n'est pas bon. Je dois m'y confronter pour avancer, quitte à avoir mal autant que ce soit douloureux tout de suite. Ça ne peut se résoudre en un claquement de doigts de toute façon je le sais bien, juste que c'est difficile pour moi. Je tente de refouler les larmes qui menacent de franchir la barrière de mes yeux et je veux rassurer ma mère du mieux possible. Je ne pleure pas beaucoup mais je sens qu'après cette conversation, je vais aller chercher la boîte de mouchoirs. J'ai longtemps gardé mes émotions enfouies jusqu'à présent car les montrer me fait devenir vulnérable aux yeux des autres. Affronter les choses me préoccupent et ça me fait peur. Me résoudre à oublier n'est pas envisageable. Affronter le regard des autres Sept aussi m'effraie. Ils me voient comme un ange différent suite aux effets secondaires et dangereux de cette foutue Cascade que j'ai envie d'enfouir très profondément sous terre.
Ses yeux couleurs champagne continuent de me fixer. Ils veulent dire: « Je suis ta mère, je te connais, je sais que quelque chose cloche. Dis-le moi ». Elle est inquiète. Elle lit en moi comme dans un livre ouvert et je sais que notre relation mère-fils est unique, nous avons l'habitude d'avoir un dialogue ouvert, sans secret l'un pour l'autre et je me ferme comme un livre scellé. Jamais je n'ai eu affaire à son jugement. Mes peines de cœurs, elle les connaît sur le bout des doigts. Mes questionnements, elle les connaît, elle les devine aussi. Mes doutes, mes peurs, mes angoisses, elle les connaît. Je me rétracte même sur ma chaise. Je croise les pieds, je joue avec mes doigts en baissant le regard de l'écran de l'ordinateur. Lui mentir est inenvisageable pour moi mais je suis réellement incapable de me justifier, je suis fatigué. Cette épisode m'a fatigué. Je me sens comme une coquille vide. C'est ce qui me chagrine le plus, décevoir ma mère d'une quelconque manière. Ça, ça me fend le cœur. Je ne suis pas capable de la regarder trop longtemps via l'écran qui nous sépare.
« Je vais bien maman ».
« Comprend juste que je m'inquiète pour toi et que je ferais n'importe quoi pour t'aider ».
« Tu es ma mère » dis-je en laissant une larme couler le long de ma joue gauche.
Comme si cette phrase résumait tout et pourtant, elle résume tout. Qu'elle tienne à moi comme la prunelle de ses yeux, je le sais. Les naissances angéliques sont suffisamment rares pour être exceptionnelles et célébrées quand elles arrivent à terme. En général, les couples angéliques ne fondent pas de famille parce que l'éternité leur ait offert, pourquoi se soucier de créer un foyer. Les humains voient les naissances comme des cadeaux qu'il faut chérir, ils profitent de la vie aussi courte soit-elle pour s'y consacrer dans la joie. Ma naissance était tellement attendue par mes parents qu'ils ont eu peur que la grossesse n'arrive pas à terme mais il faut croire qu'une bonne étoile a brillé au-dessus d'eux. Mettre ma mère en situation de détresse ou d'inquiétude est tout ce que je déteste. Elle ne souhaite que mon bien-être, mon bonheur. Tout comme je le lui souhaite. Ma mère est connue dans le monde angélique dans le domaine de l'art. Fait avéré puisque quelques unes de ses œuvres sont dispersées chez quelques Archanges du monde.
Nous discutons de tout et de rien depuis une heure maintenant. Elle évoque ses prochaines œuvres artistiques. Je suis heureux de la voir via l'écran. Au moins, discuter avec ma mère me fait penser à autre chose. La voir me raconter ses dernières trouvailles sur les marchés, l'écouter parler tout simplement.
« Tu me manques ».
« Toi aussi » dis-je doucement en sanglotant un peu sans m'en rendre compte.
À peine les deux mots sortis de ma bouche, une deuxième larme dévale le long de ma joue droite. Si elle avait été là, elle l'aurait essuyée doucement avec son pousse en me disant que c'est insensé de penser au pire. Je vais bien. Je vais mieux. Accepter la réalité est difficile car je sais très bien que j'aurai pu tout perdre en une minute et c'est ce qui m'effraie parce que quelque chose s'est brisé au fond de moi. Je n'arrive pas à l'expliquer, c'est un ressenti, une sensation étrange. Je mets ça sur le compte du choc. Je ne veux pas l'inquiéter davantage. Elle me demande si j'ai eu les résultats des examens médicaux que Nisia m'a fait passer à la demande de Dmitri. Je lui réponds que je n'ai pas pris le temps de les consulter. Ils sont disponibles au Refuge, sur le bureau des guérisseurs. j'ai préféré me reposer chez moi avant.
« Non pas encore, je suppose que ça va être rapide, il n'y a pas grand chose à dire ».
« Ton père et moi sommes des Anciens, il y a toujours eu une possibilité, juste que je ne m'y attendais pas non plus. Dis, tu as un tatouage ? ».
« Je le sais, le destin l'a décidé pour moi. Le tatouage est apparu la semaine dernière, quand... il me brûle un peu ».
« Que représente t-il ? Une constellation ? ».
« Oui mais je n'ai aucune idée de sa signification maman ».
L'envie de le savoir est là, juste que mon corps m'a dit stop. Mon corps a eu besoin de quelques jours de repos avant. Je vais consulter Jessamy et les livres de la bibliothèque pour en savoir plus ou peut-être que Vivek me donnera des réponses issues d'Internet. C'est que je vais faire dans les prochaines semaines après l'appel avec ma maman chérie. Je ne vais pas le faire devant ma mère quand même. Dmitri m'aurait averti s'il avait eu connaissance de quelque chose d'anormal, non ? Je crois que oui et je me sens apte à comprendre, il n'y a que la fameuse constellation qui m'intrigue. Mes blessures se sont résorbées depuis mon réveil. Le médicament a éteint le feu qui me rongeait quand j'étais entre les mains de Nisia pour me sauver et il a fait effet puisque mes organes sont intactes. Quant aux autres, ils m'ont évité de me plier en deux de douleur et m'ont fait oublier ces maux. Je ne veux pas que cette puissance incontrôlée de ma part puisse contraindre mon avenir chez les Sept. Me résoudre à autre chose n'est pas envisageable et je suis sûr que Nisia en a discuté avec Raphaël. Il n'y a pas de solution autre. Mon cas est particulier et personnel, s'il faut en parler autour d'une table je dois faire partie de la discussion. J'ai mon mot à dire.
« Tu t'es reposé ? ».
« Un peu ».
Me reposer, comme si mon cerveau se mettait sur pause.
J'ai envie de rassurer ma mère sur mon état de santé. Lui dire que je tiens sur mes deux jambes, que mes ailes sont là aussi, je ne sais pas comment faire pour paraitre rassurant envers ma mère et envers moi par la même occasion. Si je lui mens, elle cherchera à savoir la vérité et si je ne lui dissimule provisoirement, ses interrogations seront sans réponses. Ma maman adorée m'interrogera jusqu'à avoir toutes les informations nécessaires. Et je ne peux pas lui en vouloir, moi aussi je les veux ces réponses. Mais je n'ai pas envie de m'étendre sur le sujet maintenant. Ma santé est un autre domaine sur lequel je n'aime pas m'étendre, pas auprès de ma mère, même si on se connait tel des livres ouverts. Disons que je n'ai pas envie de l'inquiéter plus que ma mère ne l'est déjà. Notre niveau d'anxiété commun est au niveau 25. Peut être au niveau 50 pour elle. Elle va appeler Nisia et Raphaël pour avoir les réponses souhaitées.
« Viens à la maison quelques jours, le soleil du Maroc te fera du bien. Les Sept peuvent bien me prêter mon fils un semaine, non ? ».
« Avec plaisir » répondis-je spontanément.
Le soleil marocain me fera du bien, un autre environnement que les murs de ma maison, ma mère me manque. Je vais demander des jours off à Dmitri.
« Je te tiens au courant maman, je vais devoir couper la communication ».
« D'accord, à bientôt mon chat, j'ai hâte de te voir à la maison ».
Je raccroche avec ma mère. Lui parler m'a fait du bien. Au moins, elle est au courant de ce qui ne va pas dans ma vie, j'ai pu lui raconter mon réveil. Raphaël l'a rassurée tant qu'il a pu et je l'en remercie. Les choses changent et c'est ce qui m'inquiète le plus. J'ai peur. J'ai peur des conséquences. Je ne veux pas paraître fou. Mes nuits sont catastrophiques, je pense que ça ne va pas s'arranger avec la suite. Et la suite, je ne la connais pas vraiment. Hors de question d'en rajouter sur ma conscience.
Je rabats l'écran de l'ordinateur en me demandant si j'ai bien fait d'être évasif. La réponse me parait évidente, non ? Ne pas lui dire les choses est mauvais et ça me rend nerveux alors je préfère enfouir ça sous le tapis. Technique de l'autruche.
En atterrissant sur le toit du Refuge, je remarque que Venin a déjà commencé son combat du jour. Un couteau entre les lèvres, il essaye de viser une des cibles que Galen lui indique de sa voix. Facile pour lui, il ne manque aucune cible, exceptée la dernière qui s'encastre dans un banc. Il y arrive les yeux fermés aussi, à condition que ce soit dans le silence. Concentré, il vise toutes les cibles. Il a une ouïe en or. Je le regarde depuis l'extérieur, quand le regard de l'ange aux cheveux roux se fixe sur moi. J'aime bien observer les gens depuis un toit par exemple, quand ils marchent dans la rue, quand ils entrent dans un café, je suis très curieux des humains.
Ma faiblesse. J'ai été sous le charme d'une humaine fut un temps. Un temps révolu. Au bout d'un moment, ma présence est remarquée. Je vais devoir demander des conseils au maître espion numéro un de me donner des conseils pour me fondre dans la masse. Il ne peut pas me le refuser.
La salle dans laquelle notre le jeune vampire des Sept s'entraîne est haute de plafond. Les murs sont en verre, cela me donne l'occasion de le regarder depuis l'extérieur. J'aime bien le faire sans que d'autres personnes ne me regardent. Venin n'est pas du genre à refuser un public. Il adore être regardé. L'ange qui l'entraîne ce matin est un de mes amis proche, Galen. Derrière son air froid et son regard qui peut vous congeler sur place se cache un cœur, oui il y a un cœur qui bat dans ce corps sculpté dans la glace. C'est un ange très drôle qu'il faut apprendre à connaître et son amitié m'est précieuse. Ses ailes couleur gris-noir aux stries blanches s'étirent d'impatience car la journée a été longue. Quand j'entre discrètement dans la salle, elles sont repliées et il est aussi concentré que Venin. Il analyse les mouvements du vampire. Il soupire quand Venin prend une petite épée, il vient sans doute juste de la nettoyer et au bruit qu'elle fait dans le vide, elle n'est pas assez affutée. Galen connaît toutes les armes blanches possibles et inimaginables du monde. Il en manie beaucoup, principalement les épées avec moi et Venin et les vibrations dans l'air lui donne la nature de l'arme utilisée. Il est aussi adepte des couteaux, ce dont je suis moins fan mais c'est une question de point de vue. Je manie mon épée comme si c'était une extension de mon bras. Sur le terrain d'entrainement notre statut de Sept prend le dessus, on est redoutable.
« Mon petit papillon est de retour » murmure Galen avec un sourire au coin des lèvres dans un français parfait.
« Campanule » me sourit Venin de tous ses crocs.
« C'est à croire que je vous ai manqué les amis ».
« L'avouer publiquement n'est pas dans mes habitudes mais je t'aime quand même Campanule » me répond t-il avec un clin d'œil.
Venin replace ses lunettes sur le nez. C'est le vampire le plus insupportable que l'on puisse rencontrer tellement il manie l'ironie avec brio. On l'aime ce vampire. Quand on apprend à le connaitre, la loyauté transparait et une fois qu'il vous fait confiance, il vous donne sa loyauté sur un plateau d'argent. Il a un humour spécial mais personnellement, je l'adore. Il a une audace propre à lui-même et personne ne peut le nier. Venin me fait toujours rire, j'ai un concurrent sur ce point et il trouve toujours le moyen de m'entrainer dans des paris improbables mais je ne vais pas les lister, la liste serait longue. Avec Dmitri, c'est le duo de choc. Mais je serais méchant si je laissais Naasir en dehors donc je dirais qu'ils forment un trio de choc. Comme Aodhan et moi sommes inséparables avec Galen donc un autre trio. D'ailleurs Naasir est au Japon, il rentre la semaine prochaine je crois.
L'ange aux ailes grises et noires m'explique que Venin va s'entraîner avec lui et qu'ensuite il irait voir les autres anges pour les entrainer. Les « bébés » anges. Ce sont de très jeunes anges qui sont entraînés au Refuge. Je l'aide à donner des cours dès que possible. Ils font partie de la garde de la Tour. Il se trouve que Galen juge intéressant de leur apprendre des déplacements rapides, des tactiques d'approche si jamais ils sont confrontés à un combat réel. Ce qui peut arriver, récemment par exemple lorsque l'Archange de Chine a décidé de se réveiller.
Il entraîne les jeunes anges au maniement de l'épée aujourd'hui. Je quitte donc la salle de notre vampire pour aller dans une autre, à côté avec Galen. Les bébés anges sont enthousiastes, ils me félicitent de mon retour parmi eux, parmi la Tour, parmi les Sept. Je suis touché par leur marque d'affection.
« La séance d'aujourd'hui sera intensive. Vous devrez m'écouter sans rechigner et être concentré. Nous avons un spectateur de marque aujourd'hui, je compte sur vous pour êtres parfaits. On commence tout de suite la séance ».
Comme dans les films, Galen pivote légèrement sur la gauche et se met en place pour observer les anges alignés en rang comme à l'armée. Il les regarde tout du long du rang avant de claquer dans ses mains. Il fait les cent pas en expliquant le déroulé de la séance. Il place les bases. Galen est stricte. Mais croyez-moi, passé cette barrière il est un ange, au sens propre. Redoutable sur un terrain de combat, imparable lors des stratégies, c'est sa spécialité numéro une et tous les Archanges le savent, Titus l'adore c'est son ange préféré parmi les Sept. Les yeux verts pâle de Barbare comme je l'appelle regarde les moindres mouvements inadéquates des anges et il leur fait savoir. Le déroulement d'une séance est basique. Le maître d'arme explique la procédure pour la séance du jour, les anges sont attentifs et commencent à mettre le premier exercice en place, rien de surprenant. Parois, les séances sont entièrement théoriques ou physiques pour se préparer au mieux à une bataille importante et tous les anges réunis dans la pièce doivent être prêt à temps. Cet après-midi, je m'imagine à la place du prof du jour. Les anges ne rechignent pas aux devoirs demandés. Ce qui me fait sourire car il est plus exigent que moi à ce sujet. Je m'assois sur un des bancs de la salle pour regarder et analyser la séance de travail. Ils se mettent deux par deux et travaillent les mouvements que Galen a demandé. Les exercices s'enchaînent et il est satisfait. Un sourire se dessine sur ses lèvres. Il est fier de ses élèves du jour.
« On va voir si notre ami a perdu ses réflexes » me dit-il en me lançant un couteau.
« Je... ».
« Pour montrer l'exemple ».
« Pas besoin d'exemple, tous savent que c'est moi » murmure Venin.
Ses iris verts verticaux me fixent et un sourire se dessine sur ses lèvres. Évidemment il attend que j'œuvre moi aussi à l'exercice. Je n'ai pas remis les pieds ici depuis quinze jours et mes réflexes ont été un peu en sommeil. On dit que c'est comme faire du vélo, ça ne s'oublie pas. Je n'ai jamais vu un ange sur un vélo. Je revois pas le rapport. Une fois face à Galen, je reprends mes esprits et redevient le guerrier qui fait la réputation des Sept. Nous savons nous montrer redoutable.
« Avec un peu d'imagination tu serais un parfait futur Archange ».
« De l'imagination ? ».
Je réplique à son attaque avec mon couteau, en pivotant sur la droite. Mes mouvements sont plus rapides que les autres anges, un avantage énorme en cas de situation critique. Galen me surnomme « le papillon », c'est pour une raison précise. J'arrive à esquiver ses attaques et je suis très étonné de ne pas avoir tout oublié depuis la chute. Ma souplesse doit être travaillée ainsi que ma dextérité par moment mais je suis heureux de constater que mes réflexes sont bien là. J'ai l'impression de bouger au ralenti par moment tellement je suis sur mes gardes. Anticiper les actions des autres est difficile. Je ne suis pas le dernier à dire le contraire. Mes mouvements sont comme une chorégraphie pour contrer ceux de mon adversaire, j'aime bien. Mes capacités physiques ont évolué. Au moins, je suis toujours dans le coup et je peux éviter de me faire planter. Le maitre d'arme reste sur ses gardes quand même, il anticipe mes actions. Je n'ai pas l'intention de me laisser faire non plus. Désolé Galen mais je ne suis pas fichu aujourd'hui. Je bloque la lame de l'adversaire et lui fait tomber la sienne, qu'il récupère en deux secondes.
« Je suis sérieux dans mes propos » dit-il en esquivant un nouveau coup de ma part.
Dommage, je menace de faire un trou dans une de ses ailes.
« Galen, tu n'as pas besoin de prendre des gants, je ne le serais jamais de ma vie » dis-je sans conviction.
« Laisse-moi en douter une seconde ».
« Je vais faire comme si tu n'avais rien dit ».
« Campanule, tu es le premier à rire d'habitude ».
« Non... Je... Je ne suis pas prêt » murmurais-je en étant débarrassé du couteau que mon adversaire a fait voler dans la pièce.
Plusieurs secondes de silence interminables pour moi laissent planer une atmosphère que je n'aime pas. Lui ne dit rien, il regarde autour de lui, les mains dans les poches. Le seul élément qui interrompt ce silence, c'est une montre qu'il porte au poignet. Atmosphère pesante. On se regarde dans le blanc des yeux. Les autres anges sont silencieux, sauf deux dont je ne peux deviner les murmures. Une sorte de voile se met devant mes yeux. Il est temps de mettre fin à la démonstration devant les anges. Ce n'est plus le moment, la séance est terminée. Je quitte la salle. Je sais ce que ce n'est pas un comportement réfléchit. Ridicule. Incapable de gérer la situation, j'ai besoin de sortir sinon je vais devenir anxieux. Je le suis déjà, l'anxiété est ma seconde nature en ce moment. J'ai besoin d'air. Dehors, le vent frappe mon visage et je me retiens de ne pas pleurer. Les larmes veulent faire leur apparition sur mes joues et elles n'attendent qu'un coup de vent supplémentaire pour trouver une opportunité de franchir la barrière de mes yeux. Disons que devenir Archange n'est absolument pas dans mes ambitions et encore moins dans mes projets futurs, je raye ça de la liste.
Je ne suis pas prêt.
J'ai peur.
Je ne suis pas prêt du tout.
Je veux tout effacer.
Impossible pour moi de l'envisager, d'ici deux millénaires on verra bien comment le destin va se comporter avec moi.
En regardant autour de moi, je suis seul. La remarque de Galen n'est pas méchante en soit puisque les faits sont là, un destin d'Archange semble se dessiner pour moi. Rien de plus angoissant à mes yeux, je vais devoir m'y résoudre au bout d'un moment. J'ai besoin de temps, de beaucoup de temps avant d'apprivoiser la puissance qui m'attend et de m'y faire psychologiquement. Comment mon propre corps va emmagasiner l'énergie dans mes veines ? Comment ma capacité à prendre le contrôle va se faire ? Je n'en ai pas la moindre idée. Si mon corps n'est pas capable de supporter autant de puissance, mon mental ne le saura pas non plus et c'est ce qui m'effraie. Mon mental. Je ne veux pas perdre la raison, sombrer dans un état second, changer. Évoluer oui parce qu'on le fait tous mais changer non. Ma hantise est d'être une autre personne. Un ange déchu. Un prénom en particulier me vient en tête mais je ne veux pas le dire à voix haute.
« Je ne veux pas devenir comme lui. Non. Je ne veux pas » dis-je les larmes aux yeux.
Rare sont les fois où je me montre aussi vulnérable.
Le vide.
Les montagnes en face de moi qui se dressent fièrement.
Évidemment que je me souviens de cette nuit-là. J'ai voulu le poursuivre et cet idiot m'a piégé en se cachant dans les nuages. Il m'avait vu venir. Facile pour lui de me mettre à terre, il m'a éjecté dans le fleuve d'un revers de la main. Je me suis pris la surface de l'eau en pleine face à une vitesse folle. J'étais dans un sale état. Échec. Et quand je pense à Raphaël qui a été obligé de lui mettre la main dessus, un temps ils étaient meilleurs amis. Ça me fait très mal de l'admettre, si jamais...
J'ai envie de crier sur tous les toits. De crier que non, je ne deviendrais pas différent. Mon humanité doit rester en moi jusqu'au bout. Pas question de me laisser consumer avant. Si l'Archange de Chine en décide autrement avec sa Cascade, qu'elle vienne me chercher en personne. Autant se dire la vérité en face. Sans filtre. Elle qui rêve de m'épingler sur son mur dédié à sa collection personnelle d'ailes de papillons, ce sera une occasion en or pour elle. J'ai envie de l'envoyer valser.
« Tu ne deviendras jamais comme lui ».
Le vampire est sorti de la salle. Je devine son odeur de cumin.
Ses mots me rassurent un peu. Il est sorti de la salle en récupérant l'arme dans ses mains. Galen va râler sur la rayure causée par la chute. Il trouvera les mots pour la justifier. Il s'approche doucement de moi, de manière bienveillance. Mes larmes ne cessent de couler pour autant, elles me font mal. Toute la tension retenue ces derniers jours sort. Je n'ai rien demandé. Comme si mon corps avait tout stocké. Je n'ai pas eu conscience des choses à la fin, quand le trou noir a commencé. Me voir tomber à été le début de la fin comme on dit, le début des choses sérieuses, le début de ma vie qui prend une autre tournure. Une tournure qui ne me plaît pas mais une tournure que je vais devoir apprendre à maîtriser.
« Je te promets que ça va s'arranger » me dit-il en me prenant dans ses bras comme un enfant.
Je ne suis plus un ange mais un enfant que l'on vient rassurer.
Un enfant qui ne sait plus comment envisager l'avenir avec une épée de Damocles au-dessus de la tête.
Je ne veux pas faire pitié. Mes émotions ont besoin de sortir.
« Je suis désolé » murmurais-je.
« En aucun cas, tu dois t'excuser Illium. Tu es loin d'être seul, on est Sept ».
Il est quasiment nuit quand je décide de rentrer chez moi.
J'atterris dans le jardin dépité. Pour être honnête, je pense en discuter avec Dmitri. Il ne m'a rien dit de la journée, je remarque qu'il s'inquiète. J'ai même eu la surprise de constater des anges du refuge me suivre par les airs. Plusieurs fois. Ce n'est pas une mauvaise attention mais cela me fait ressentir le malaise engendré contre mon gré au sein de la Tour depuis... que je suis tombé. Je culpabilise parce que je n'ai jamais voulu ni cherché à avoir cette Ascension surprise. En y pensant, cela semble ridicule. Je suis un ange comme d'autres, pas vraiment car je fais parti des Sept. C'est déjà exceptionnel. J'estime quand même être autre chose qu'un des Sept de Raphaël. Avant tout, je reste le fils de Colibri, de Sharine.
Retrouver ma maison après une journée intense me rend heureux.
J'ai trainé tout l'après-midi à ne rien faire.
Qui peut bien sonner chez moi à cette heure-ci ? À vingt heure.
« Tu crois qu'il va mal le prendre ? ».
« Mais non, il a besoin de soutien et de réconfort ».
« On a ramené un bon vin j'espère ? ».
« Le réconfort par l'alcool ? ».
« Quand on a plus que ça. Sache que c'est une très bonne année de ma cave personnelle figure toi. L'avantage d'être vampire est qu'on a des goûts de luxe ».
Les deux voix me sont familières et je m'en veux d'avoir été susceptible tout à l'heure. Je me lève du fauteuil dans lequel, mon après-midi a été relaxant au possible. Le sommeil m'a gagné une demi heure avant d'ouvrir les yeux et de constater l'heure tardive de début de soirée.
« On ne te dérange pas Campanule ? ».
Surpris de constater la présence de Venin et de Galen. Tous les deux ont troqué leur habits d'entrainement pour des tenues confortables. Venin tient même une bouteille de vin dans la main ainsi qu'un sac de plats à emporter. L'après-midi m'a permis de faire le point et de me calmer par rapport à tout à l'heure. J'apprécie Galen pour sa franchise, brute, brutale certes mais réelles. Et je sais que la vérité fait mal. Mon destin d'Archange est là. L'admettre est encore trop difficile si jamais c'est le cas dans deux voire trois millénaires. Le plus lointain possible m'arrange. Je n'ai pas encore fait toutes mes preuves dans la garde de l'Archange.
« Entrez avant de vous faire remarquer par les voisins » dis-je en riant.
« Je suis venu m'excuser » me dit Galen. « M'excuser de façon solennelle me parait un peu prétentieux alors j'ai demandé à Venin de venir avec moi, histoire aussi de vérifier si je ressortirai de cette maison avec toutes mes plumes ».
« Il m'a forcé » répond Venin en se dédouanant de toute responsabilité.
Venin le regarde d'un air outré.
Ils sont venus chez moi car ils savent comment me remonter le moral et encore une fois, c'est aussi dans ces moments précis que je suis gratifiant de les avoir dans ma vie.
J'apporte trois verres sur la table recouverte de béton ciré couleur gris orage de la salle à manger. Je sens d'ici les remarques sur ma décorations intérieure. Il est vrai que j'aime les ouvertures. Quasiment aucune pièce n'est fermée chez moi. Les tons varies entre les couleurs crèmes et les nuances de gris métalliques et toutes les autres nuances de gris. Je vis dans un catalogue de décoration digne de la plus grande enseigne connue dans le monde. J'aime choisir les meubles, les objets de décoration avec le plus grand soin.
« J'ai été con Campanule » me dit Barbare.
« Non... ».
« Si, je n'aurais pas du dépasser les limites. Tu viens de revenir parmi nous et... j'ai été con cet après-midi ».
« Ne souligne plus jamais son destin d'Archange » cris Venin à l'attention de Galen pour le prévenir d'une réaction un peu brusque.
« Illium a accepté mes excuses » réplique t-il.
« Tu n'as rien à te faire pardonner Galen » dis-je.
« Je n'aurais pas dû évoquer un statut d'Arch... Je n'aurais pas dû. On ne s'est pas insulté, on ne s'est pas jeté un couteau à la figure ».
« Encore heureux, tu l'aurais reçu dans le cou » dis-je en riant.
« Au pire tu aurais eu des plumes en moins » constate t-il en buvant une gorgée de vin.
« Trop rapide » dis-je en faisant la même chose.
« Illium, tu ne fait pas parti des Sept pour rien. Nous sommes une famille. Et une famille est unie. Quoiqu'il arrive, on te soutiendra ».
« Arrête Venin, je vais pleurer une nouvelle fois » dis-je sincèrement touché par ses propos. « Je ne veux pas changer. Mon anxiété a pris le dessus tout à l'heure et tout a défilé sous mes yeux sans que je ne puisse arrêter le film » répondis-je.
« Tu ne changeras pas Campanule, on y veillera ».
Qu'est-ce-que je ferais sans ce vampire et sans cet ange dans ma vie, je me le demande. Venin est la personne la plus loyale que je connaisse, le plus sincère et le plus empathe car nombreux sont les vampires qui ne connaissent pas ce mot. Je suis vraiment touché qu'il ait pensé à amener des plats chinois, chez moi et qu'il ait demandé à Galen de venir.
Nous nous installons tous au sol où j'ai disposé des tas de coussins pour manger. Chacun a son assiette chaude dans la main et nos verres de vin posés sur une table basse au milieux de nous trois. Nous passons la soirée à discuter de tout et de rien et ça fait du bien. On revient au sujet principal pour lequel ils sont venus chez moi, au fond je le sais et puis on dérive à un autre sujet plus léger. Galen m'avoue que nos parties de baseball dans les airs manquent à Aodhan et je lui ai promis une revanche. On va organiser ça bientôt avec d'autres anges du refuge. Ce genre de choses me manquent je l'avoue. Pourtant mon malaise date d'il y a si peu de temps. Je l'averti que j'ai encore l'attente des examens passés avec Nisia à prendre en compte. Nos assiettes sont entamées à la moitié et je regarde Galen se tordre de rire. Une des blagues de Venin, ses imitations en particulier l'ont achevé.
« C'est tellement facile de le faire rire » rit Venin.
Personne ne résiste au rire communicatif de Barbare alors on le rejoint dans sa crise de fou rire. Le voir aussi détendu est génial. Il est du genre rigide et ne va pas vers les autres facilement, quand il donne sa confiance c'est sincère. On se complète bien au niveau du caractère. Venin s'est joint à nous parce qu'on l'adore. Son charisme naturel a un effet sur tout le monde à la Tour. Il faut apprendre à connaitre les gens avant de juger et chercher à savoir pourquoi certaines personnes se forgent une carapace dure comme l'acier. Souvent, on cache trop de choses derrière un sourire parce que c'est facile. Une sorte de grimace qui fait office de sourire et qui bluffe tout le monde alors que des gens voient bien qu'il y a un soucis, quelque chose derrière ce sourire que l'on montre pour paraitre bien alors que pas du tout. Sourire est facile. Cacher ses problèmes, ses sentiments n'est pas compliqué. C'est montrer sa peine qui est le plus difficile. Quand je suis avec ces deux-là, je ne déprime plus. Et c'est agréable de parler d'autre chose que ce malaise qui a fait du bruit chez le monde angélique et aussi dans la presse humaine. Ça, personne n'a pu le contrôler même après le communiquer de Dmitri. Les rumeurs circulent toujours. Je les regarde terminer leur assiette respective, finir de boire leur verre de vin. Je les ai prévenu que si une seule tâche se trouvait à apparaitre sur mon tapis ça allait mal aller se passer.
« Merci d'être venus ».
« Je t'en prie ».
« À demain ».
Quand je referme la porte de chez moi, je me sens apaisé et c'est un sentiment que je n'ai pas ressenti depuis quelques jours.
