Playlist
« Physical » Dua Lipa
« A Million stars » The Faim
« It is what it is » Lifehouse
« Earth » Sleeping at last
Chapitre numéro neuf
Point de vue d'Illium
Lorsque j'atterris à la Tour, j'entends déjà la musique se diffuser dans l'atmosphère. Les lieux sont décorés avec des guirlandes lumineuses qui longent la terrasse de la Tour. Des tables et des chaises sont disposées un peu partout, bien garnies. Le sol habituel de la terrasse est recouvert d'un gazon synthétique. D'autres guirlandes lumineuses sont disposées dans de grandes Dames Jeanne en verre au sol. Des bougies ornent les tables afin de donner une ambiance chaleureuse au lieu. Je dois dire que l'effet est réussi. L'atmosphère a changé en quelques heures. Rien avoir avec le revêtement de verre et de métal habituel de la Tour, loin de l'image imposante qu'elle renvoie.
Une paire d'yeux familiers croisent les miens un instant et je présume que je vais avoir le droit à quelques questions. Un moment de silence s'installe avant que je ne décide à faire le premier pas. Le vampire me détaille rapidement mais je ne le coupe pas dans son élan, il m'accueille dans ses bras avec la plus grande bienveillance. Je devine une émotion subtile ce soir.
« Mon cher Campanule ».
« J'espère ne pas être le dernier arrivé ».
C'est ma première apparition publique depuis... et je dois me montrer au moins une fois car entre les examens médicaux, les jours de vacances pris pour me reposer chez moi et chez ma mère, je n'ai pas côtoyé beaucoup d'anges et de vampires. Me contenter de regarder le monde continuer de tourner depuis la fenêtre de mon salon n'est pas encore dans mes objectifs. À quoi bon déprimer chez moi ou ailleurs, rien ne va améliorer ma situation. Me noyer dans l'alcool pour oublier mais oublier quoi ? Tout est gravé dans ma mémoire. Contreproductif. Autant affronter la vérité en face même si ça fait mal. Sous un ciel intranquille, autant aller de l'avant, au moins pour ce soir. Je voudrais voir un peu plus loin que mon propre salon. J'ai quelques siècles devant moi pour présager un autre destin, même si celui d'Archange ne m'attire pas. L'avenir est imprévisible. Impossible de prévoir quoique ce soit dans une boule de cristal ou via un tirage de cartes. Personne ne peut présager les prochaines Cascades, qui va être impacté, où, quand ni comment. Je me suis reposé chez moi puis chez ma mère au Maroc a été bénéfique car on a passé du temps ensemble, du temps que je ne lui consacrait plus depuis plusieurs mois. Prendre mes distances est la pire chose que je puisse lui infliger.
« Je ne te propose pas de champagne, si ? ».
« Tu sais que... »
« Que tu détestes le campagne » rit-il en roulant des yeux vers le ciel. « Je vais finir par le prendre personnellement ».
« Qui apprécie ? Ce n'est vraiment pas bon ».
« As-tu été traumatisé par le champagne plus jeune ? ».
Est-ce raisonnable de lui raconter ça ? Ce n'était pas un pari. Je déteste le goût du champagne. En réalité, ça remonte à longtemps. Juste à quelques siècles et je me suis promis de trouver une nouvelle boisson à haïr davantage que le champagne mais je n'en trouve pas. Je bois une gorgée de mon verre de vodka pour éviter de répondre. Vodka au shaker uniquement, pas à la cuillère et sans glaçons. J'apprécie cet alcool fort. Une chance qu'il faille des litres avalés avant de ressentir les effets de l'alcool, pour un ange expérimenté et âgé de quelques siècles je parle. Ne dites pas ça aux bébés anges que j'entraine. Dire que Jason a osé répondre d'un pari avec Dmitri pour danser avec une Archange et celle-ci n'a pas dit non. Quand j'ai appris ça, j'ai failli m'étouffer avec mon verre que j'ai ensuite bu d'une traite pour m'en remettre. J'ai tellement ris avec Dmitri ce soir-là. L'Archange en question a dû apprécier, elle qui adore être au centre de l'attention, c'est sa spécialité numéro une. Dans mon cas, je n'aurais jamais osé le lui demander, je préfère demander à un cactus. Elle apprécie le bleu de mes plumes, c'est tout. Pour un verre de Whisky de grand cru. Est-ce que ça en vaut la peine ? Non, pas du tout.
« Je n'ai jamais aimé le champagne » répondis-je simplement sans répondre à sa question.
L'atmosphère est agréable, chaleureuse.
Les invités dansent au rythme de la musique.
Ils ne pensent à rien d'autre.
Les verres vides s'accumulent sur les plateaux des serveuses qui circulent entre les invités. Pleins, ils sont saisi par les invités qui passent à proximité.
Je vois Jason qui lève son verre en premier suivi de Galen, Aodhan et des autres anges en ma direction. Je regarde la scène le sourire collé aux lèvres, je me sens chanceux de les avoir à mes côtés depuis des siècles et j'espère d'autres à venir. On ne se le dit pas directement mais si un jour, nos chemins se séparent, ce sera un déchirement et une partie de nous n'existera plus pour nous tous. Tout ce que je vois ce soir me conforte dans le fait que nous sommes une famille. Les larmes me montent aux yeux et je ne veux pas pleurer une nouvelle fois. L'Archange m'a consolé tout à l'heure.
La musique donne une autre atmosphère à la Tour, une atmosphère où l'on s'amuse, on profite de la compagnie d'autrui. Tous oublient les soucis causés par l'Archange de Chine, les effets néfastes de la Cascade me concernant, les enquêtes à résoudre au sein de la ville au quotidien et les images horribles des scènes de crimes. Tout semble loin. Pour un temps mais nous en apprécions la distance aussi courte soit-elle de ce soir en nous amusant. J'aperçois Naasir danser avec une fille aux ailes de couleur crème, un ange du Refuge je crois. Il lui sourit joyeusement. Notre vampire tigré ne changera jamais mais c'est ce qui fait son charme. Il est sociable et ne se pose aucune question quand il va vers les gens. Tous profitent de la soirée. Et ils ont raison de le faire car voir de la joie m'en procure aussi. La vie prend à nouveau ses droits et en cette période morose me concernant, ça me conforte dans le fait qu'elle l'emporte toujours. La vie est plus forte. Elle élève les gens et les gens en ont besoin. Elle a une force telle que la morosité est mise au placard.
« Illium ? ».
Je suis surpris d'entendre une voix qui me fait sortir de mes pensées. À force de rêvasser, cela me perdra, je ne fais absolument pas attention à la voix en question. À l'entende de mon prénom, je menace de m'étouffer avec mon verre de vodka. Combien de verres ai-je bu ? Deux vodkas pomme. Mon visage est confus et mon verre me glisse des mains avant de rebondir sur la table. J'attrape des serviettes pour me sécher les mains et jette le tout sur la table. Le visage éclairé de Mahiya me fait face. Un sourire se dessine sur son visage comme sur le mien mais en plus timide. Ses yeux fauve rencontrent les miens une seconde. Avant que je ne comprenne quoique ce soit, la compagne de Jason me prend les mains et me regarde émue. Ses ailes paon sont collées à son dos, je perçois des éclats émeraude dans ses plumes. Elle est habillée d'un beau sari assorti à ses ailes de paon. Mahiya éprouve un soulagement, en tout cas je le perçois. Mon corps se détend un peu plus qu'il y a une minute. Son contact est chaleureux. On dirait que l'on ne s'est pas vu depuis des mois. De mémoire, ça doit être le cas. Je comprends sa surprise heureuse car depuis ma chute, je n'ai pas mis le nez à une fête. Revoir du monde me fait du bien. Au début, je vais y aller doucement mais comme je connais tout le monde ici, c'est rassurant.
« Tu es venue » s'exclame t-elle visiblement soulagée de constater que je sois entier.
« La Cascade ne va pas se débarrasser de moi comme ça, je vais bien c'est gentil de demander Mahiya ».
« Quelle frayeur ! Jason m'a raconté un peu et je n'ai pas osé en demander plus, le savoir de ta bouche me rassure davantage, tu veux bien m'en dire plus ? ».
« Oh maintenant ? » demandais-je un peu surpris.
« Les grandes lignes, je veux te l'entendre dire » répond t-elle en me prenant la main.
« Mahiya, peut-être que Campanule ne souhaite pas en discuter maintenant » intervient Jason.
Elle lui lance un regard de reproche avant de m'interroger du regard elle-même.
C'est une femme super. Elle a trouvé sa place dans notre petit groupe tout de suite.
Je ne sais pas quoi lui répondre. Je vois dans ses yeux que ça a une importance alors je me contente de lui dire que si des questions sont sans réponses, il faudra me le pardonner. Si Jason n'a pas pu lui donner toutes les informations souhaitées, ce ne sera plus de mon ressort. Parler de ce sujet m'angoisse un peu et elle le comprend. Elle m'explique juste que l'entendre de ma bouche la rassurerait davantage mais qu'évidemment si je veux parler, Jason sera mon oreille attentive si je me sens bien. Je suis touché de ce geste. Je la rassure sur le fait que Jason a été une très bonne oreille attentive l'autre soir. Mahiya semble ravie de l'entendre. Après avoir échangé encore quelques banalités, elle s'éloigne avec Jason main dans la main vers les autres invités. Ils forment un couple incroyable.
Un peu plus loin, j'aperçois Honor qui me sourit de toutes ses dents et qui imite Mahiya sauf qu'au lieu de me tenir la main; elle m'enveloppe délicatement dans ses bras. Comme pour constater que je suis bel et bien entier, dis donc c'est une habitude. Son contact est chaleureux. Elle m'enveloppe comme pour constater que c'est réel, que je ne suis pas un fantôme. Elle comprends que ça va. Je l'espère car je ne veux inquiéter personne. Je constate aussi que l'ancienne chasseuse sanglote en silence dans mes bras. Je ne veux plus inquiéter quiconque. Je veux la rassurer, lui dire que c'est grâce à leur soutien, grâce à l'aide incontestable et sans faille de Nisia, de Keir que je suis en vie. Sans eux, je ne sais pas comment mon réveil aurait été, si j'aurais pu être capable de me relever, de ne pas sombrer. La vampire est encore vulnérable, c'est le début de sa nouvelle vie et même si elle va refuser de l'admettre car les émotions sont mises à rudes épreuve au début, elle va vivre de très beaux siècles à nos côtés, aux côtés de notre vampire préféré bien entendu. Contrairement à d'autres chasseuses, elle ne chasse plus autant qu'avant, elle accepte des missions en duo avec Ash. Depuis que l'on coopère avec la Guilde, l'aide des chasseurs est indispensable à nos enquêtes. Même si nous avons des vampires prêts à nous aider partout dans la ville et dans les environs de celle-ci, cela ajoute une aide supplémentaire non négligeable.
« Je suis si contente de te voir ce soir » murmure t-elle.
« J'espère que ce sont des larmes de joies ».
« Évidemment » dit-elle en s'essuyant une larme. « Tu nous a manqué, Dmitri était mort d'inquiétude, moi aussi, nous tous ».
« Je suis d'accord pour parler à Dmitri, s'il le souhaite » dis-je d'un coup.
Je ne sais pas pour quelle raison, je n'ai pas encore discuté concrètement avec Dmitri. La dernière fois remonte à dans la salle d'entrainement après la partie de baseball avec Strass et en présence de Venin, pas seul à seul avec lui. Le vampire est inquiet et me le fait savoir en public. Quand on est le second d'un Archange, on se doit de rester droit, c'est sa marque de fabrique. Il a tendance à garder beaucoup de choses pour lui. Je ne peux pas le lui reprocher, ce serait hypocrite sachant que je suis pareil. À un moment, il va falloir percer la bulle qui nous entoure tous les deux et se dire que la crise est passée. J'ai pris du temps pour digérer la situation oui, à me prendre en main en passant des examens avec Nisia et ensuite, je pourrais discuter un peu plus avec Dmitri.
« Je ne suis pas là pour te le demander. Dmitri ne t'en veux pas du tout. Il tient à toi Illium » me dit-elle en tendant sa main pour que je la tienne. « Comme tous les Sept. Tu n'en fait pas partie pour rien Campanule ».
Cette chute, cette Cascade ne doit en aucun cas diriger ma vie. Depuis, tout s'enchaîne et j'ai la chance immense d'être encore en vie et soutenu. Le tourbillon qui menace de m'absorber ne doit pas prendre le dessus sur le reste. Mais je ne veux pas ennuyer Honor avec mes histoires. De toute manière, ça ne va rien changer à mon malheur. Honor est compréhensive mais je ne veux pas m'étaler sur le sujet pour ce soir.
Je termine le fond de mon verre cul sec.
Le regard bienveillant d'Honor se pose sur moi, un peu surprise mais j'ai besoin de me changer les idées. Se noyer dans la boisson est la plus mauvaise du monde. Je vais le regretter demain matin.
Honor remet une mèche de ses cheveux bouclés en place et bois une gorgée de son verre. Je reconnais l'odeur de ma boisson secrète, dont la recette devrait se vendre à prix d'or. Tous essaye de trouver la recette mais en vain. Mais comme je l'ai dit, je ne partage pas ce secret là. Elle se met à remplir à nouveau son verre et à remplir le mien.
« Au diable la Cascade, elle n'aura la peau de personne et surtout pas toi ».
« J'y compte bien » dis-je en portant mon verre rempli à mes lèvres.
Habituellement, je ne suis pas le dernier à participer quand il s'agit d'aller dans un bar ou à une fête. Profiter de la vie fait toujours partie de mes ambitions. J'aime la vie. Rien de plus simple. En ces temps troubles, je me mets à songer à ce qu'il peut se passer pour moi, à envisager des possibilités d'avenir, au cas où la Cascade refait surface et la réponse est que je n'en ai aucune idée. Broyer du noir, voilà ce qui m'attends et ce n'est pas l'objectif. Elle va refaire surface à un moment où à un autre. Et à ce moment-là je serais prêt à la mettre six pieds sous terre.
Naasir s'incline auprès de l'ange qui lui a accordé une danse avant de repartir dans la direction inverse, la mienne. Il passe une main sur son visage, prend un verre vide sur une des tables qu'il rempli avec la bouteille violette. Il n'en reste donc que deux. Il boit une gorgée de son verre en soupirant. Quand son regard arrive vers le mien, il me sourit.
« C'est bon de te revoir Campanule » me dit-il avec ses yeux argentés.
« Moi aussi c'est bon de me revoir ».
On peut toujours compter sur cette créature un peu étrange, atypique et attachante qu'est Naasir. Il a une humanité à lui. Ses manières maladroites font ce qu'il est. Le vampire aux cheveux argentés se tient à côté de moi, souriant, tenant un verre à la main. Il rit et me dit de l'attendre une minute. Le vampire revient avec deux petites bouteilles vertes. Je devine l'alcool en question et en regardant l'étiquette, le taux est faible. C'est raisonnable sachant que je dois rentrer chez moi ensuite.
« Comme si nous n'avions pas assez bu ce soir ».
« Oh, une de plus une de moins » dit-il en haussant les épaules.
« Merci » dis-je en prenant la bouteille.
Inutile de préciser que nous sommes deux sur la terrasse.
Regarder les étoiles est l'une de ses passions.
À force de les observer, il les distingue facilement dans le ciel noir d'encre. D'ailleurs, il m'en montre une du doigt. La grande Ours.
Une bourrasque de vent arrive.
Le vent fait voler mes mèches de cheveux devenues un peu longues. J'ai l'habitude d'avoir les cheveux cours alors quand ils me tombent un peu sur les yeux, c'est autre chose. Si je coupe des mèches, des humains vont se bousculer pour en récupérer une. Personne ne touche à mes cheveux. Je soupçonne les effets secondaires de la Cascade mais si ce n'était que ça, tout le monde serait déjà au courant.
« Ne touche pas à tes cheveux, ils sont très bien » dit-il en menaçant du doigt.
« Tu veux discuter cheveux ? ».
« Couleur naturelle Monsieur » réplique t-il.
Je lui montre mes mains en signe de défaite pour répliquer quoique ce soit d'autres. Ces derniers temps, j'ai changé. J'ai eu l'impression de me perdre. Avoir cette sensation est horrible, un sentiment de ne pas savoir comment rebondir, ni comment apprendre à l'accepter. J'ai l'impression d'être dans une machine à laver et que le cycle de lavage est toujours le même. Le linge est lavé une première fois puis une deuxième et une troisième fois. J'attends toujours le cycle d'essorage. Et je ne parle pas du cycle de séchage hein, celui-là peut attendre encore longtemps. Je déteste cette sensation. Je suis là sans être là. Un fantôme qui regarde la vie faire son travail sans rien pouvoir faire pour montrer une manifestation. Depuis mon réveil, j'ai fait ce que l'on m'a demandé, à juste titre et je suis spectateur du reste de ma vie soyons honnête. Et je ne veux causer aucune inquiétude auprès des autres. Ce qui est un échec, c'est déjà le cas, on me le fait savoir sauf que ça ajoute de l'anxiété à la quantité que j'ai déjà. Je ne peux pas paraître indifférent alors que ça me comprime le cœur.
Le vampire qui se tient près de moi est du genre à ne pas cacher ses sentiments, ses émotions non plus et je trouve que c'est une bonne chose. Pas besoin de déchiffrer ses pensées ou ses intentions comme avec Jason. Un miroir et une huître. L'un un peu naïf qui exprime ses pensées facilement et l'autre qui est très privé. Incapable de dévoiler un secret, c'est leur point en commun. Moi aussi, je deviens une huître. Sans perle par contre. Naasir remet une mèche de cheveux en place. Je reporte mon regard sur lui. Il est fasciné par les anges depuis son enfance. Ne me demandez pas pour quelle raison, je n'en ai aucune idée. Je me demande pourquoi je ne lui ai pas posé la question. Sans doute parce que comme les humains sont fascinés, aucun de nous n'a cherché plus loin le concernant. Je suppose que ce sont à cause des ailes. C'est l'une des parties du corps la plus appréciée chez les anges. Les plumes sont comme la carte d'identité d'un ange. On le reconnait à grâce à elles. Je peux sentir les doigts du vampire à côté de moi les effleurer délicatement. Je le laisse faire. Il est vrai que toucher les ailes d'un ange ne se fait pas car c'est un acte intime. On ne les touche pas, excepté si on est blessé.
« Elles sont douces, je me demande de quelle couleur seraient mes ailes si j'en avais ».
« Probablement argenté comme tes cheveux » dis-je simplement
« Je crois que c'est la couleur adéquat » admet-il. « Mais tu as des reflets argentés en plus ».
« Quoi ? » dis-je en menaçant de m'étouffer avec mon verre.
« Tu l'ignorais ? ».
« À quoi ça ressemble ? » dis-je en me tournant afin qu'il m'en dise plus.
« Des trilles argentées, à l'intérieur de tes plumes » dit-il concentré.
« C'est nouveau » dis-je dans un souffle.
« C'est une mauvaise surprise ? ».
« Je ne sais pas ».
« Désolé Campanule mais tes plumes sont encore plus belles tu sais ».
« Ça signifie surtout que l'énergie qui a traversé mon corps commence à s'incruster dans mes plumes » dis-je la voix légèrement tremblante.
« Oui » dit-il en hochant la tête.
Nous restons assis un moment dans le silence.
Son regard est rivé vers la vue qui s'offre à nous.
Je fais de même tout en tournant la tête vers lui et en buvant une gorgée de ma boisson.
Il a fallut que ça tombe sur moi.
Je me retiens de ne pas tordre la bouteille et la jeter.
Je me contente de la terminer d'un coup.
Pas besoin de grands discours pour se comprendre avec Naasir. Il parcours le reste de la vue des yeux avant de reporter son attention sur moi. Je me demande pourquoi avec lui, je ne cherche pas toujours à comprendre les raisons pour lesquelles il se montre attentif, bienveillant envers les autres. Nous sommes chanceux de le compter parmi nous en tant que Sept.
« Je me suis inquiété pour toi Illium. Ne pense pas que ce soit niais ou fleur bleu mais c'est vrai. Je vous aimes. Vous êtes ma famille. Te savoir dans un état de détresse, ton malaise a fait peur à tout le monde, ça m'a fait mal au cœur. Encore moins comment tu as du te sentir sur le moment. Et après, j'ai voulu te rendre visite à l'hôpital mais Aodhan et Dmitri ont été plus rapides que moi et... J'ai pensé que voir trop de personnes à ton réveil allait te rendre mal à l'aise, je ne voulais pas te faire paniquer ».
Ses paroles me font de la peine et me touchent beaucoup à la fois. Il n'a pas à s'excuser. Il a pensé à moi, c'est déjà beaucoup. Le vampire a les larmes aux yeux. Je ne l'ai jamais vu pleurer. Il exprime son inquiétude. Les yeux encore dans le vide, il détourne son regard pour masquer ses larmes.
« Merci » réussis-je à dire. « De t'inquiéter mais ne te culpabilise pas. Je me sens mieux. Te voir ce soir me fait plaisir ».
« Sache que si tu as besoin de quoique ce soit, de venir chez moi, de discuter, de regarder les étoiles avec quelqu'un, de boire un verre, ma porte t'ai toujours ouverte. N'hésite pas Campanule ».
Je hoche la tête pour approuver sa réponse. L'entendre me fait plaisir car on se laisse peu aux confidences entre nous, lors de la dernière bataille avec une Archange déchaînée.
On peut dire que la fête organisée par Elena fut un vrai succès.
Se détendre, célébrer quelque chose pour aucune raison particulière fait du bien.
J'ai revu quasiment tout le monde.
J'ai vu des corps déchaînés par le rythme de la musique, des verres bien remplis, des discussions, des éclats de rire spontanés et des visages heureux. Quant à moi, j'ai un peu noyé mon désespoir intérieur en buvant, en regardant les gens s'amuser sans le faire moi-même. Parfois, j'ai l'impression de ne pas savoir comment sortir de la bulle dans laquelle je me suis enfermé depuis quatre semaines. Je repense aux mots: d'Honor: « Dmitri ne t'en veut pas du tout. Il tient à toi Illium. Comme tous les Sept. Tu n'en fait pas partie pour rien Campanule ». Ces mots me font forcément écho. Il est évident que je laisse transparaitre ma morosité aux yeux des autres. Ce n'est pas pour les décevoir mais en ce moment, je suis incapable de cacher mes rancœurs, des émotions diverses se battent en duel dans ma tête. Celles dans mon cœur ne sont pas faciles à maitriser. Dans ces moments-là, je conçois que le fait de se laisser submerger est quelque chose d'incontrôlable et il en est hors de question. Pas question que je sombre dans un truc qui ne me ressemble pas. S'ils s'en sont aperçus aussi vite, c'est que je cache mal mon jeu.
« Illium ? Tu m'écoutes ? ».
« Pardon, oui ».
Nous sommes dans l'un de mes endroits préférés de la ville. L'Erotique. Avec deux vampires qui me regardent, Venin et Naasir. Rare sont les fois où je me retrouve dans un bar avec eux. D'habitude, un des deux m'accompagne et il s'agit de Venin le plus souvent ou Dmitri ça dépend de sa charge de travail au sein de la Tour. Naasir est à Amanat la majeure partie de l'année. Il revient à New-York dès que possible. Il n'a pas voulu rater la fête d'Elena hier soir. Pour avoir le soutien dont il espère et pour montrer son agacement, Venin donne un coup de coude à son voisin. J'ai le regard dans le vide alors que je suis le premier à participer à une fête. Nous sommes assis à une table après avoir bu quelques verres supplémentaires. Ces deux vampires m'ont suggéré de boire un verre après la journée d'entrainement que j'ai eu. Je me suis sentie capable de sortir ce soir. Plusieurs verres plus tard, la tête en citrouille car l'alcool me monte à la tête, mes yeux veulent trouver un moyen de se fermer. Signe qui montre que je ne me sens pas bien du tout. Quelle idée j'ai eu de les suivre ici. J'aime venir dans ce bar. C'est ici que j'ai eu des crises de rire avec les deux vampires en face de moi, le lieu où j'aime passer du temps après une mission dans une région du monde ou alors après avoir terminé une journée à l'extérieur sur une enquête complexe. Me détendre quoi. Venir ici fait partie de mes habitudes. Sauf que ce soir, je n'aurais pas dû dire oui. Il se trouve que les arguments de ces deux là m'ont faits écho. Je ne me souviens pas du nombre de verres que j'ai avalé. Dix ? Le taux d'alcool ne m'a pas semblé élevé pour les cinq premiers verres. Ici, les lumières sont tamisées de sorte à ce que les vampires présents agissent de manière discrète quand ils amadouent une victime consentante pour du sang frais.
Les deux vampires ont un air vraiment surpris quand je me lève de ma chaise et que je m'éloigne d'eux jusqu'à atteindre la porte des toilettes. La fraîcheur des toilettes me fait du bien. Le lieu est frais et coupé du bruit du bar. Je commençais à étouffer un peu à l'intérieur du bar avec les fumées de cigarettes, les vapeurs d'alcool. J'ai l'impression de ne pas contrôler mon corps, il me fait savoir que j'ai besoin de calme. Je respire doucement. Mes bras sont tendus au lavabo. J'ai l'impression d'avoir froid alors que pas du tout, des frissons me parcours le corps. J'ai chaud en même temps, ma tête commence à tourner alors je ferme les yeux pour ne pas tomber dans les pommes. Mon rythme cardiaque semble stable. Mon front commence à être perlé de sueur, ce qui n'est pas bon signe non plus. La montée de fièvre revient et je suis seul, pas d'anges susceptibles de me venir en aide. Cela me rend nerveux et je commence à paniquer. De nouvelles questions tournent en boucle dans mon esprit. Je ne cherche pas à prévenir les deux vampires qui m'ont accompagné. De plus, je constate que je brille. Les effets secondaires reprennent le dessus alors que je me portais mieux. Dire que cette soirée devait justement m'aider. Demain, je vais me réveiller avec un mal de tête.
Je ne sens pas les bras frais ni l'odeur marine mêlée de sel de Raphaël. Il n'est pas dans les environs. Cela m'inquiète, je n'ai pas le temps de parler qu'une odeur de champagne et d'autres nuances addictives me fait un peu sortir de mes rêveries.
« Illium ? ».
J'ai envie de lui répondre quelque chose susceptible de me faire comprendre. Le vampire ne cherche pas à me faire passer un savon. Je me demande comment il a su où je suis. Je me contente de la fraîcheur du lavabo pour reprendre mes esprits ainsi que l'odeur du produit d'entretien à l'eucalyptus. J'ai envie de m'asperger le visage d'eau fraîche. J'ouvre péniblement le robinet et la sensation est très agréable. Mon reflet dans le miroir ne m'inspire pas spécialement confiance non plus, j'ai perdu mes couleurs. Je me sens pâle, faible et pas en état de continuer la soirée en compagnie de mes vampires préférés.
« Je vais te ramener chez toi. Où sont passés Naasir et Venin ? ».
Mon corps est dépendant du vampire à côté de moi. Je me laisse faire tel une marionnette. Un comble. Je n'ai d'autre choix que de me laisser faire. De toute façon, je ne vois plus ce qu'il se passe autour de moi, mes yeux se ferment tout seul. Le néant. À présent, je ne me rends plus compte de rien.
C'est donc bien plus tard que j'ouvre les yeux, chez moi.
Au moins, je reconnais mon environnement. Je suis sur une surface moelleuse. Un lit. Mon lit. Chose rassurante. Je ne me souviens absolument pas de ce qu'il s'est passé hier soir. Des flash me reviendront dans la journée. J'ai fermé les yeux quand j'ai senti les bras de Dmitri autour de moi. S'il n'avait pas été dans les parages, je serai livré à moi-même. Hier soir, j'ai abusé de l'alcool.
Tout ça me semble irréel.
Je suis en train de faire l'expérience de ce qu'on nomme une cuite, une gueule de bois. Je me relève avec difficulté dans mon lit, assis dans un premier temps sur le bord. L'esprit embrumé par les vapeurs d'alcool qui me sont montées à la tête. En attendant, je me dirige vers ma salle de bain, deux cachets d'aspirines avalés pour être tranquille et j'allume l'eau de la douche. J'en ai besoin d'une.
Une sorte de pellicule me gêne sur le corps, elle est invisible et ce n'est pas en frottant très fort que je vais m'en débarrasser. Une pellicule qui n'existe pas. Je perds des plumes pour rien à force de me frotter le dos. Si je continue de m'énerver, d'autres vont s'arracher.
Les nerfs sont en train de lâcher.
J'ai envie de tout jeter au sol.
Rien ne va en ce moment.
Des efforts désormais réduits à néants, comme si rien n'avait changé. Alors que si, plein de choses ont changé.
Je flippe.
Les larmes qui coulent le long de mes joues me font mal.
Elles sont douloureuses.
Elles m'arrachent le cœur.
Je suis incapable de faire semblant.
À croire que je suis vraiment dans un état second, un état de détresse sans avoir la capacité d'agir sur moi-même.
Un état indescriptible.
Il faut que je trouve une solution et peu importe le temps qu'elle mettra à m'aider, ça doit valoir le coup.
Je tente de me calmer.
Il faut que je me calme.
Respire Illium.
Ne sombre pas dans quelque chose de flippant, quelque chose qui ne te ressemble pas.
Il me faut une heure pour me remettre de mes émotions.
Une heure durant laquelle j'ai tenté des exercices de respiration pour me sentir mieux et pour m'aider à passer cette crise d'anxiété qui a menacé de me ronger.
Hors de question d'y sombrer.
Ce n'est pas dans ma nature mais cette Cascade m'a changé et c'est la chose qui m'effraie le plus. Je dois prendre le dessus sur ma santé mentale qui est en train de jouer avec moi telle un pantin désarticulé. Les Trois Moires sont en train de décider de mon sort, prêtes à couper mes fils de vie avec leur ciseaux. *
Je suppose que mes yeux sont encore rouges des larmes versées en grande quantité hier soir.
C'est dans ses moments-là où je me déteste.
Incapable d'avancer seul, dans quel état je me mets.
Pitoyable.
Incapable.
Détestable.
Je ne me reconnais plus beaucoup.
Un coup d'œil autour de moi et je me relève doucement. Rien ne sert de rester assis dans le lit.
Concentré sur quelque chose qui n'existe pas, je ne fais pas attention à la personne qui toque à ma porte. Je n'ai pas dû fermer le portail. Mes volets sont ouverts, pas de signe apparent de ma présence chez moi car j'ai choisi un vitrage filtrant la réflexion de la lumière. On peut voir de l'intérieur vers l'extérieur mais pas l'inverse. Et je ne vois pas mon meilleur ami comme cela aurait pu l'être mais une femme, il s'agit d'un ange trop jeune dans notre monde, aux ailes teintées des couleurs de l'aube et des cheveux blancs. Je n'ai pas envie de me lever tout de suite. Avec un peu de chance, elle va partir. Seulement, elle toque à nouveau à la porte avec une intensité supérieure. Et je suppose qu'elle sait que je suis chez moi. Alors, je me lève et ouvre la porte.
« Ellie ? ».
« Salut Campanule ».
« Je ne m'attendais pas à te voir ici » dis-je en refermant un peu la porte derrière moi.
Yeux rougis.
Mine fatiguée.
Cheveux un peu en bataille.
Peau plus où moins hâlée par le soleil.
Odeur de citron habituelle.
Odeur de bougie ?
Odeur d'alcool
Stress
Anxiété
Sommeil en berne
Mine désastreuse
C'est probablement la description qu'elle s'imaginer à l'heure actuelle. Si oui, Elena a raison. Peu de personnes savent où je vis exactement. Les Sept sont au courant que je possède une maison à l'Enclave sauf Elena, ils ont dû lui donne mon adresse. Comme beaucoup d'anges, nous tenons à notre intimité, loin des tumultes du centre ville. Outre les moyens financiers de chacun des habitants de ce quartier résidentiel très prisé et isolé du reste de la ville, des familles s'y installent pour l'environnement idéal qu'il procure. Ma chambre à la Tour me convient très bien mais avoir un foyer à soi est important. Très important. C'est plus qu'un bien immobilier. Étant donné qu'il s'agit d'Ellie, je ne dis rien.
« Tu as une très belle maison Campanule ».
« Merci beaucoup Elena, heureux qu'elle te plaise. Rénovée par mes soins ».
Le genre de chose que l'on aime toujours entendre. Ma maison est l'une des choses dont je prends le plus de soin. Entièrement rénovée par mes soins. De grandes baies vitrées, un jardin à l'arrière de la maison, de beaux volumes, une décoration digne d'un magazine de décoration, des détails personnels un peu partout.
Ellie me regarde avec bienveillance.
C'est une amie.
Il est vrai qu'au début, j'ai été agréablement surpris par son humanité, c'est ce qui m'a attiré. J'aime la nature humaine pour sa fragilité, sa spontanéité, son insouciance parfois.
« Je suis venue t'apporter un panier de muffins au chocolat ».
J'attrape la anse du panier en osier recouvert d'un torchon propre et en le soulevant un peu, les muffins dégagent une délicieuse odeur de chocolat et de vanille, mes parfums favoris et d'autres sont à la banane. Cette attention m'arrache un sourire sincère.
« Montgomery » m'avoue t-elle.
« Merci, ça me fait plaisir, j'adore les muffins ».
« Et je suis aussi venue voir comment tu allais ? ».
« Hier soir a été un peu trop arrosé, j'ai très mal à la tête ».
C'est le cas de le dire sachant que j'ai un trou de mémoire depuis hier soir. Je me souviens avoir prolongé la soirée avec deux vampires et ça s'est arrêté là.
« Tu as des boîtes d'aspirines ? ».
« Oui » dis-je un mince sourire espiègle aux lèvres. « Dix boites je pense ».
Elle me regarde avec incompréhension et je le regrette. Personne ne peut m'aider. C'est à moi de me sortir de cette mauvaise passe. Je ne veux pas être méchant mais elle ne connait pas la vie angélique depuis longtemps, elle n'a pas idées des conséquences non plus de cette Cascade. Elle connait un aperçu grâce à l'Archange qui lui explique certaines choses mais les vivre est complètement différent. Et cette fois, cela me concerne. Je ne pensais pas le vivre maintenant. Pour moi, ça ne devait pas arriver. Je ne suis pas né Archange. Mon destin ne devrait pas se tracer ainsi, ce n'est pas ce à quoi je m'attends. Après tout, qui aurait pu présager une seconde que ça tombe sur moi ? Personne. Les chances sont infimes.
« J'ai cinq siècles Ellie, il m'en faut plus pour disparaître de la circulation ».
« Je ne veux pas que tu t'éloignes de nous, de moi ».
Elena prononce ces mots avec difficulté. Ils ne sont pas anodins.
« Ne dis pas ça Ellie ».
Par chance, la sonnerie de son téléphone se fait entendre, elle me regarde désolée avant de décrocher. Je ne doute pas du tout de la bienveillance d'Ellie. Il est vrai que je me fais discret ces derniers temps et pour être honnête ce n'est pas plus mal. Un signe de tête de ma part pour lui faire comprendre que tout va bien, elle acquiesce.
Un sourire pour la remercier et elle me répond d'un signe de la main avant de quitter mon jardin.
Je souffle, le dos appuyé contre ma porte d'entrée, le panier rempli de muffins dans les bras. Je le pose sur la table de la cuisine. L'odeur me parvient aux narines. Je remercierais Montgomery plus tard pour l'attention.
C'est la première fois que l'on me livre des muffins à domicile.
C'est aussi cool que des fleurs.
