Hello ! Ce texte est écrit en une heure sur le thème Chimère, dans le cadre de la Nuit du FoF.

Pour celleux qui connaissent le fandom, c'est un UA, pas l'univers canon, quoiqu'on reste dans le registre Urban Fantasy.

Bonne lecture !

Minotaure

« Pourquoi il mange des humains, le Minotaure ? »

Il fume dans une pièce de verre. C'est une vision étrange — une nonchalance en cage, ça a quelque chose d'impudique, d'interdit. La façon qu'il a de s'allonger sur le sol, de tourner la tête vers Angelo Volta avec des aiguilles dans les yeux. Il a raison, certainement il est gardé ici depuis près d'un mois, sans perspective de sortie.

« Pardon ? »

« Le Minotaure. Astérion. Il est mi-homme mi-taureau. Moitié herbivore, moitié omnivore. Et puisqu'il a une tête de taureau, il doit pas avoir des dents pour manger de la viande correctement. »

Sebastian Fen. C'est à peu près tout ce qu'ils ont pu tirer de lui — son nom, il n'avait pas de pièce d'identité sur lui et de ce que leurs équipes ont pu trouver, pas de réseau social à ce nom. Il y a bien la trace d'un Sebastian Fen dans les archives d'une maison pour mineurs en difficulté qui a brûlé une dizaine d'années plus tôt, mais les fichiers ont été perdus dans l'incendie. S'il s'agit effectivement de lui, ça expliquerait la large étendue de peau brûlée-cicatrisée qui couvre son côté gauche. Les causes de l'incendies sont encore inconnues — et plus personne ne s'y intéresse vraiment. L'affaire a été clause, les survivants replacés et les morts, enterrés.

Maintenant, Sebastian Fen attend une réponse, et Angelo doit chercher dans sa mémoire la trame de ce mythe. Ils ne captent pas internet, en bas, et les installations électriques ont été réduites au minimum nécessaire. Qui que cet homme dans la cage soit, et quoi qu'il soit, il a fait griller les circuits de chaque ordinateur descendu à cet étage. Il a sous-entendu que ce n'était pas volontaire, et quand on lui a demandé d'élaborer, il a demandé pourquoi ils voulaient savoir. Il a demandé pourquoi il avait été amené, et comment.

« C'est une punition divine, il me semble. J'avoue mal me souvenir.

— Il faudra redemander à votre collègue, alors.

— Mon collègue ?

— Il a dit qu'on était au centre d'un labyrinthe. Il a parlé du labyrinthe du Minotaure. Puisque le labyrinthe est sous le château, est-ce que ça veut dire qu'on est dans les sous-sols du QG d'Augur ? »

Ils ont fait attention. Pas de logo, pas de nom. L'homme dans la cage sourit, roule sur le côté pour se redresser. Il plie une jambe sous lui, prend une longue bouffée de cigarette.

« Votre visage est connu, Dr. Volta. Si vous vouliez être discrets, il fallait envoyer quelqu'un d'autre. »

Quelque chose pétille, dans le vert de ses yeux, comme des éclairs qui passent et grésillent avant de disparaître. Il est malin, et quelque chose pousse les côtes d'Angelo, le sature à raz bord d'un air qu'il n'arrive pas à expirer tout de suite. Il ne devrait pas sourire.

« Mais j'imagine que les gens qui vous ont envoyé ici ont pensé à ça. Alors c'est que c'est votre domaine d'expertise, spécifiquement. Aussi, votre cravate. »

Il pointe le bout de tissu, Angelo baisse la tête.

« C'est le orange le plus laid que j'aie jamais vu. C'est la couleur de la compagnie. Vous avez l'air d'avoir un sens du style, alors ça fait tache. Je sais pas ce que vous voulez de moi exactement, mais vous continuez à me poser des questions, donc j'imagine que vous avez pas trouvé grand-chose sur moi de votre côté. Et moi, tout seul dans une cage de verre, vous me donnez assez de pièces de puzzle pour que je puisse déduire où je suis et vaguement pourquoi. Soit vous voulez que je devine et que j'essaie quelque chose, soit vous êtes franchement incompétents. »

Et Angelo sait, a l'habitude de fermer son visage pour qu'on n'y lise rien. Ses émotions et ses secrets ont toujours été sûrs. Pourtant, Sebastian Fen le scrute, et son sourire grandit. Il secoue son paquet de cigarettes, presque vide.

« Vous ferez remonter qu'il me faut un nouveau paquet. Enfin si on est au QG on n'est pas trop loin d'un tabac, alors dans l'absolu vous pouvez juste sortir, aller m'acheter des clopes et revenir. »

Il éteint sa cigarette et se lève. Etire son dos, et la peau brûlée roule sur les os et la chair. Il y en a d'autres, des cicatrices. Angelo les a vues. Deux traits chirurgicaux sur le torse, des lignes à l'intérieur des cuisses, des entailles aux genoux. Un grand trait blanc sur l'omoplate qui n'est pas brûlée. Une courbe autour de l'oreille droite, des points de suture sur le menton, les trous d'un piercing entre les yeux qui n'est pas resté. Sebastian Fen tourne le dos.

« Ne le dites à personne. »

Il se retourne par étapes — Angelo croit voir ses oreilles bouger d'abord, puis ses yeux, puis son visage. En tout dernier ses épaules, il se tord sans déplacer ses pieds. Angelo reprend, satisfait autant qu'il est cloué d'avoir son attention.

« Ce que vous venez de me dire. Ne le dites à personne d'autre. »

Les yeux verts s'agrandissent et bientôt le corps entier de Sebastian Fen est au bord de la cage, à un mètre d'Angelo, la main sur la vitre.

« C'est une menace ? »

Angelo veut secouer la tête, jurer que non, s'expliquer, s'approcher de la vitre il inspire et déglutit, il compte jusqu'à trois.

« Non. »

Il quitte le sous-sol, il dépose ses notes sur son bureau et il quitte le bâtiment. Il achète deux paquets de Lucky Strike, il s'assied à la terrasse d'un café. Il lit, sur son téléphone, l'histoire du Minotaure.

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