Bonjour bonjour ! Comme prévu, je vous livre le chapitre 14 de Valsons dans les temps ! *champagne* Pour info, il semble que les alertes du site se sont remises à fonctionner (une fois sur deux cela dit) mais dans le doute, je voulais vous prévenir que j'ai répondu à quasi toutes les reviews depuis le chapitre 11. J'ai également commencé à poster Valsons sur Archive of Our Own avec le pseudo ibmisi (Conteuse ayant déjà été pris, à mon grand désarroi) et je profite de l'occasion pour corriger et réécrire des passages. Il se pourrait qu'à terme, je finisse par migrer définitivement là-bas, mais je vous tiendrai au courant sur mon profil ou ici ! Trève de blabla, ce chapitre est un peu étrange mais j'espère qu'il vous plaira. Bonne lecture et à la prochaine !
Écrit sur les interprétations au piano de Achilles Come Down et Hijo de la Luna par The Blue Notes, la version orchestrale et instrumentale de Black Swan de BTS, ainsi que la version orchestrale de Kamado Tanjirou no Uta par Samuel Kim.
Disclaimer : le titre du chapitre est tiré du premier vers du poème À peine défigurée de Paul Eluard. En début de chapitre, c'est les paroles de la chanson B. de Pomme, et il parait que One Piece appartient toujours à Eiichiro Oda.
TW : On parle des séquelles des violences psychologiques perpétrées par Doflamingo et du massacre de Flevance, avec la mention de : crimes de guerre, cadavres, maladie, incendie.
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Valsons, valsons sans fin
14. Adieu tristesse
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Dans une autre vie, j'aurais voulu te dire
Tout ce que ta voix me fait, le meilleur et le pire
Si tu étais devant moi, je voudrais que tu saches
Les jours où plus rien ne va, je pense à toi.
Pomme – B.
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« Moi, ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi vous ne vous êtes pas révoltés plus tôt. »
La présence du bénitier l'obsède ; déposé au bout du banc en bois, le coquillage nacré miroite dans la pénombre. Law se concentre du mieux qu'il peut pour ignorer l'objet, tourné comme il est vers la fenêtre et la mer tourmentée à perte de vue. Dans la pièce, les fantômes s'animent, ignorant son désarroi.
« Ne sois pas stupide, Diamante, tu demandes ça au gosse, mais tu crois qu'il en sait quelque chose ? (Gladius le toise d'un regard désapprobateur) La vérité, si tu veux la savoir, c'est qu'il y avait encore de l'espoir, au début de la crise. Ils avaient les meilleurs médecins de North Blue à leur chevet et quelques scientifiques téméraires venus des autres mers avaient fait le déplacement pour leur apporter du soutien. C'est quand les nations voisines ont voulu les barricader que les choses ont commencé à s'envenimer. Enfin tu me diras, ça puait déjà depuis que les hauts placés et les médias avaient caché au monde le fait que la maladie n'était pas contagieuse. Et ceux qui voulaient parler finissaient curieusement par mourir prématurément du saturnisme. »
La petite assemblée laisse échapper une exclamation de compréhension, alors que la justification leur paraît tout à fait sensée. Les questions fusent (C'est vrai que tout le monde est tombé malade en même temps ? et C'est le gouvernement mondial qui a ordonné leur exécution ? et Ils sont vraiment tous morts ?) et Gladius prend le temps de répondre à chacune d'entre elles, une à une (À quelques mois près, oui et En tout cas, il ne s'est pas opposé à l'assaut donné par les forces armées des pays riverains et Non, tu vois bien qu'il reste Law).
« Ça va, je vous dérange pas, finit par interrompre le pirate, vous allez rejouer la scène comme si elle ne s'était pas déroulée il y a de cela quinze ans ? Votre putain de disque est rayé.
— Tais-toi donc, Law, tu gâches toujours tout, fait Baby 5, du haut de ses huit ans.
— C'est vrai ça ! renchérit Buffalo, tu interromps le cours d'histoire de Gladius ! »
Law va pour les assassiner du regard avant d'y renoncer ; ça ne lui procure plus autant de plaisir qu'avant, de terrifier les autres enfants, surtout quand ils ne sont que le fruit tordu de son imagination.
Se concentrer sur le bruit des vagues, oublier jusqu'à leur présence.
La discussion reprend son cours comme si de rien n'était.
« Mais personne n'a rien dit ? Flevance n'avait pas d'alliés ?
— Qu'est-ce que tu crois ? Les autres nations ont raconté que c'était de la légitime défense, et tout le monde avait peur du saturnisme. Comment veux-tu que Flevance se protège, seule contre le reste du monde ? »
Baby 5 va sûrement pleurer, si ça continue, elle a un mais c'est horrible sur le bout des lèvres. Doflamingo lui tapote gentiment la tête avant d'intervenir.
« La triste vérité, c'est que tous les habitants ne s'étaient pas soulevés. Il y avait quantité d'irrésistibles pacifistes, qui négociaient l'extraction des malades les plus graves vers une autre nation amie. Il paraît qu'un accord avait même été trouvé, et qu'un convoi allaient les escorter. Mais le jour du départ, il y a eu une attaque ; qui en était à l'origine, c'est la question que tout le monde se pose (il a un presque-rire, qu'il ravale avec un sourire). Des hommes de la marine, les soldats d'une des quatre nations, des rebelles de Flevance ? Une chose est sûre, c'est qu'après cela, la guerre était inévitable. »
Qu'on ne s'y trompe pas, pourtant ; le sourire de Doflamingo est rarement animé par l'enthousiasme. C'est un rire cynique, empli d'une promesse de vengeance à venir. Témoin sans équivoque du fond de sa pensée, la veine sur son front pulse sans discontinuer. C'est là le piège, Law doit le reconnaître, c'est comme ça qu'il s'est fourvoyé pendant tout ce temps. La Family lui avait fait le plus grand mal, mais elle avait aussi été salvatrice ; pour la première fois, des gens se mettaient en colère, des gens se mettaient à pleurer, des gens pouvait tuer, pour lui. Mais qu'on ne l'y reprenne plus, à s'accrocher à cette affection de façade ; personne ne voulait son bien, ici, au contraire. On ne voulait que sa perte, et qu'elle soit grandiose, s'il vous plaît ; mettre un peu de bois dans la cheminée de sa haine, avant le grand embrasement. Tous les membres de l'organisation portaient en eux un feu qui couvait, petites bombes artisanales fabriquées avec des jouets ; Joker, habile marionnettiste, attendait le bon moment pour tous les faire sauter.
Un silence pensif enfle dans la pièce, avant que Buffalo ne vienne le percer.
« Toi, tu sais pas qui a fait rater le convoi, Law ? »
Ce dernier va pour leur rabattre le caquet, encore une fois ; Non, je sais pas, foutez-moi la paix et cassez-vous maintenant. Mais, lorsqu'il se retourne, il comprend que la question n'est pas pour lui.
Accroupi dans un coin de la pièce, il y a cette petite silhouette qu'il essaie d'ignorer aussi ; l'enfant a le visage enfoui entre ses bras, ses genoux couverts de pansements tremblent de froid. Il ne dit rien, muré dans le silence, et Law se dit qu'il devrait suivre son exemple. Quand Gladius se lève pour s'approcher, il se couvre les oreilles des deux mains pour ne pas l'entendre.
« Tu sais Law, on est tous pareils ici, des rebus de la société dont personne ne voulait plus. Des gens ont déjà, à un moment donné, voulu se débarrasser de nous : c'est notre point commun à tous. Je ne pense pas que quelqu'un puisse un jour comprendre ta peine, mais dans la Family, personne ne va te juger. »
Ils le regardent droit dans les yeux, le gamin maladif, avec ses tâches blanches et sa blessure purulente au fond du cœur, et personne ne se détourne. Ça fait longtemps qu'on ne l'a pas vraiment regardé. La plupart du temps, les gens n'aiment pas voir ce qui est laid et défectueux. Il est de ces choses que l'on cache, que l'on évite ; garçon de mauvais augure traînant dans son sillage la maladie et la mort.
C'est ce qu'il pense, au fond ; avec un parcours pareil, il ne peut être né que sous une mauvaise étoile. Il a presque de la chance, dans sa détresse, d'avoir été recueilli par Corazon. Une accalmie sur son chemin tortueux, pour lui ; un trépas inévitable, pour son bienfaiteur. Quand il y pense, ça le bouffe, cette succession d'infortunes ; du couteau planté dans le dos de son père de cœur au Marine qu'il était allé chercher en espérant le sauver. La mauvaise pioche.
Mais Cora-san avait une bien drôle de manière de concevoir le monde ; un soir sur une plage déserte, après une énième visite d'hôpital soldée d'un échec, il avait pris dans ses bras un Law inconsolable, boule de chagrin que le sort s'acharnait à vouloir voir souffrir. Il lui avait dit que la chance, comme la malchance, ça s'échangeait. Que la vie était un grand jeu à somme nulle et qu'il fallait s'échiner à y participer. Qu'un très grand bonheur devait forcément l'attendre, pour tout le malheur qu'il avait enduré.
« Regarde-moi, Law, avec cette cape de plumes noires qui me donne un air de corbeau et cette maladresse terrible ! On me surnomme l'oiseau de malheur, mais tout cela a bien un sens ! Chaque chute, chaque brûlure, chaque échec, je l'échange contre un peu d'élixir de chance ! Au bout d'un moment, la roue va tourner et nous sourire, tu verras. Je t'en fais le serment. »
Il avait cette croyance que la balance de la fortune était équilibrée, qu'elle distribuait à chaque vie autant de misère que de félicité. Il avait été sauvé par le passé, lui avait-il raconté, alors qu'il pensait que la vie ne valait plus la peine d'être vécue. Le front couvert de poussière, il lui avait soufflé – Grand Prophète – ton tour viendra plus vite que tu ne le crois !
Mais Corazon se trompe. Avec sa bonne humeur et ses grand yeux plein d'espoir, il a sûrement tort. Ou alors, c'est que Law a usé de toute la chance dont il disposait, tant ses jeunes années avaient été jolies. Corazon se désolait souvent de ce que son frère lui avait fait faire, ressasser sans cesse cette nuit cauchemardesque. Il lui avait fait promettre de ne pas effacer toutes ces belles choses qu'il avait vécues, à Flevance, de ne jamais oublier l'essentiel.
Mais dans le fond, bonne fortune ou mauvaise fortune, ça n'a plus aucune importance. Le monde est si simplement cruel, à lui arracher comme il l'a fait le père qu'on lui a offert ; c'est ça, la vérité qu'il a choisi de ne pas oublier.
Dans la vigie, le temps fait le chemin à l'envers ; les fantômes reprennent leur place, à la manière d'une bobonne de film que l'on enroule sur elle-même. Law se rejoue la scène, encore une fois, juste pour faire durer sa peine. C'est un souvenir falsifié par les années, mais c'est ce qu'il a de plus vivace, celui qu'il se garde pour les soirs où il veut se faire du mal.
Les acteurs se mettent en position, prêts à se donner la réplique. Du coin de l'œil, il voit le tone dial briller d'une lumière irradiante, choisit de l'ignorer, se penche un peu en avant pour ne rien manquer.
La conversation reprend comme il y a quinze ans.
« La maladie a pris cinquante pour cent de la population. Les balles se sont chargées du reste. »
Gamin, il n'a jamais eu de mal à raconter cette soirée d'horreur. Il s'est plié à l'exercice de Doflamingo avec le ton aseptisé des traumatisés, a retracé son parcours de survivant sans rien omettre, une fois, deux fois, trois fois, sans que les larmes ne viennent le couper. Et puis un beau jour, il n'en a plus été capable.
Heureusement, les membres de la Family l'ont suffisamment écouté pour reprendre son rôle de conteur. C'est comme ça, après tout, qu'on perpétue la mémoire.
« Enfin, ce n'est même pas vrai, s'interrompt Gladius. Le pire, ça devait être l'odeur de chair brûlée. Tu sais qu'au bout d'un moment, ils ont laissé tomber les fusils d'assaut pour les lances-flammes ? Les derniers survivants étaient brûlés vivants. Ils faisaient d'une pierre deux coups ; de toute façon, il fallait incinérer les corps, ne pas risquer que la maladie se propage. »
Les paroles qui dépècent, une nuée de vautours.
« Il paraît que l'incendie qui a consumé l'hôpital a mis une semaine à s'éteindre. »
Il y a un truc qui finit par disjoncter, dans le fond de son crâne. Le hurlement qui sort lui déchire la gorge.
« Fermez-la ! Cassez-vous ! Je ne veux plus vous entendre ! »
Il se saisit brusquement du bénitier avant de le projeter de toutes ses forces contre le mur, à l'autre bout de la pièce. Le coquillage vient s'éclater sur le sol dans un grand bruit, que Law n'entend pourtant pas ; la chaleur de la colère fait gondoler de ses épaisses volutes chacune des fibres de son corps jusqu'à les faire fondre. La migraine s'est réveillée, totale, elle l'assomme avec un gros marteau et il en aurait presque vomit si soudain le froid glacial ne se répandait pas dans ses veines.
Au milieu de la pièce, le tone dial s'est mis à jouer.
La pluie dégringouline
Ouvert en deux, le coquillage laisse s'évaporer dans l'air la voix distordue de Sanji, inlassable rengaine.
La pluie dégringouline
Il répète la phrase en boucle, encore et encore ; agenouillé comme auprès d'une dépouille, Law observe les petits mécanismes se bloquer, puis rembobiner, encore et encore.
La pluie… la pluie…
Les fantômes se sont tus, ils observent la scène en silence, alors que le chirurgien se relève. Il ramasse l'objet qui chante tristement dans ses mains, avant de se rasseoir sur le banc, près de la fenêtre.
La voix de Sanji, douce litanie, finit par se tarir au bout de quelques heures.
C'est encore plus tard que Law remarque que le navire a repris la mer. Au ciel noir de suie s'est substituée la voûte céleste ; sa toile bleue tâchée des lumières de la nuit fait tomber dans la vigie une lumière opaline. Il a dû s'assoupir d'un sommeil sans rêve. Au milieu de la pièce, près de la trappe, se trouve un plateau repas avec un bol de riz et du poisson – probablement laissé là par Sanji ; avec cette réalisation, Law comprend qu'il a raté le dîner. Il y a une note griffonnée à la va-vite (mange, et pas de gâchis !) mais Law se détourne, le visage las. La faim n'est pas au rendez-vous ; il se forcera peut-être, plus tard.
Le reste de la troupe s'en est allé et il n'y a bien qu'un fantôme dans la vigie pour lui tenir compagnie. Corazon regarde son protégé avec tendresse, sans rien dire ; l'autre triture inconsciemment le bénitier qui a cessé de fonctionner. Il faudrait qu'il demande à Usopp ou à Franky de le réparer.
Il en aurait des choses à lui dire, avant qu'il ne disparaisse. Law a presque envie de raconter à son père adoptif comment il a monté son plan pour faire tomber son frère ; l'enrôlement chez les Grands Corsaires, les enfants kidnappés de Punk Hazard, la libération de Dressrosa. Lui dire que Doflamingo lui a tiré dessus avec le même pistolet qui a causé sa mort et qu'il ne fera plus jamais souffrir quiconque avec à présent. Mais ça aussi, finalement, ça n'a plus d'importance. S'il y a un là-haut, alors Corazon sait.
Le silence leur a toujours beaucoup mieux convenu.
La trappe de la vigie s'ouvre sur Luffy, emmitouflé dans sa couette. Il a le visage farouchement boudeur et Law papillonne des yeux de surprise, à le voir débarquer comme ça au milieu de la nuit. Le capitaine s'arrête un instant devant le repas froid, retrousse ses lèvres avec dédain, et reprend son chemin vers son allié.
« Luffy... »
Silencieusement, le plus jeune force d'une main l'autre à s'allonger sur le banc, avant de venir se lover au-dessus de lui. La main tatouée trouve par réflexe les épis de cheveux noirs, qu'il lisse du bout de ses doigts, alors que le plus jeune vient humer le parfum du pirate dans le creux de son cou. La chaleur qui se dégage de son amant fait prendre conscience à Law qu'il était en train de mourir de froid.
« Je suis désolé » finit par laisser échapper l'ancien corsaire ; il dit ça essentiellement parce qu'il ne sait pas quoi dire d'autre. Le souvenir de la nuit dernière est trop vivace et il ne peut pas oublier leur misérable étreinte.
Luffy renifle bruyamment en réponse.
« On s'excuse pas quand on n'a rien fait de mal. »
Il n'aime pas beaucoup pleurer, le garçon au chapeau de paille – se faire traiter toute son enfance de pleurnichard par deux frères idiots lui a au moins appris à s'endurcir. Mais voilà, Luffy est tellement entier, avec toute cette palette d'émotions qui le traversent de part en part que, quand il est triste, et bien c'est tout simple, il pleure. Pourquoi quelque chose d'aussi évident peut être aussi difficile, pour les autres, c'est une question à laquelle il n'a pas de réponse.
« Tu es plus stupide que ce que les gens pensent, Torao. Tais-toi maintenant, j'ai sommeil. »
Un sourire va poindre sur le bout des lèvres de Trafalgar, qu'il efface d'un baiser sur le haut du crâne de Luffy. Il va pour dire d'accord, se retient, remarque que le dernier fantôme s'est évaporé, enfin.
Sous l'auspice de son oiseau de malheur (Cora-san, la bonne étoile), la lumière laiteuse du ciel les couve de son voile de mystère. Lui aussi, il est temps de le laisser partir. Trouver le courage de lui dire au revoir, et merci. Pour continuer de vivre.
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Teaser : Chapitre 15, Robin.
