Scène 5
« Qu'avez-vous dit ? »
Sans savoir si c'était à cause de la lueur métallique qui étincela dans les yeux d'Uchiha ou de son étreinte douloureuse autour de son bras, Naruto sentit un affreux malaise l'envahir.
Une phrase lui avait échappé… une phrase qui semblait avoir foncièrement déplu à son compagnon.
« Je… je ne sais pas », balbutia-t-il, en sentant une crainte inexplicable lui serrer la poitrine.
« Vous avez dit que vous espériez ne jamais plus devoir assumer une mission comme celle-ci », énonça Uchiha d'une voix dure. Il se rapprocha de lui et le domina de son imposante stature. « Qu'entendiez-vous par là ? »
Comme paralysé, Naruto fixa un long moment les profondeurs glacées du regard d'Uchiha, avant de lui fournir la seule réponse dont il disposait :
« Je n'en sais rien. » L'esprit tendu par l'effort, il déglutit péniblement avant d'ajouter : « Avant que vous ne les répétiez, je ne me suis même pas rendu compte d'avoir prononcé ces paroles. »
Il savait une chose, en tout cas : jamais il n'oublierait l'expression gravée en cet instant sur les traits implacables de son comparse.
Et tandis que le regard obsidienne de ce dernier le scrutait comme s'il avait voulu percer son âme, Naruto sentit son malaise s'accroître.
Surtout, maintenez le contact avec nous.
La consigne qui retentissait dans sa tête chaque fois qu'il se sentait en danger traversa son esprit engourdi par la frayeur. Par bonheur, surgissant de nulle part, la lumière lointaine de deux phares interrompit cette scène oppressante. Uchiha lança un coup d'œil en direction du véhicule qui approchait, puis il ramena son regard vers lui.
« Je vous dis la vérité, Uchiha », s'empressa-t-il de dire, avec tout l'assurance dont il pouvait faire preuve. «J'ignore pourquoi j'ai prononcé cette phrase.» Il relâcha l'air qu'il retenait dans ses poumons et termina : « Vous devez me faire confiance au moins sur ce point. »
« Il y a une seule personne en qui j'ai confiance, Naruto. C'est moi-même. »
Sur ces mots, le brun se tourna vers les cercles lumineux des phares qui grossissaient à chaque instant. Il tendit le bras et leva son pouce vers le ciel, avant de décocher à Naruto un long regard oblique, et d'ajouter:
« Mais si cela vous permet de vous sentir mieux, sachez que je vous crois. »
Le jeune homme ferma les yeux et remercia silencieusement le ciel. Uchiha le croyait. C'était tout ce qui comptait pour l'instant.
Si Sasuke Uchiha vous soupçonne un seul instant…
Un nouveau souvenir lui fit brusquement rouvrir les yeux. De quoi Uchiha aurait-il pu le soupçonner ? Et Sasuke était-il son prénom? Si oui comment le savait-il ? Leurs agresseurs de la veille l'avaient-ils appelé ainsi ? Il était persuadé que non. Ils avaient utilisé le pseudonyme de Taka.
Il se répéta inlassablement l'étrange avertissement qui venait de résonner dans son esprit.
« Avec ces types lancés à nos trousses, faire de l'autostop n'est-il pas dangereux ? », s'entendit-il demander comme à son insu.
La pensée soudaine que ces hommes pourraient se trouver eux aussi sur cette route renforça encore la terreur qui l'étreignait.
« Ils ne rouleraient pas dans un véhicule comme celui-ci », objecta Uchiha non sans irritation.
Dans une brusque embardée, un vieux pick-up certainement construit avant l'invention des silencieux s'arrêta à leur niveau. Uchiha ouvrit la portière du passager, se pencha à l'intérieur du véhicule, et Naruto l'entendit demander au conducteur de les emmener jusqu'à Ame.
La vieille camionnette paraissait sur le point de rendre l'âme, sauf que c'était toujours mieux que de marcher dans le froid et l'obscurité, avec l'orage qui menaçait d'éclater. Le chauffeur du pick-up acquiesça et Uchiha le laissa monter en premier. Dès qu'il se glissa sur la banquette usée, la chaleur qui régnait dans l'habitacle lui fit presque tourner la tête.
Même l'odeur de tabac froid mêlée à celle, tout aussi incommodante, d'une huile de moteur, ne le retint pas d'apprécier sa chance. La moiteur bienfaisante du chauffage compensait largement ces désagréments olfactifs. Il lança un regard en direction du conducteur, qui bataillait pour passer la première vitesse. Le vieil homme le dévisagea alors avec un intérêt qui outrepassait la simple curiosité, son sourire édenté et sa barbe clairsemée n'enjolivant en rien la laideur de sa face ravinée.
Naruto se rapprocha vivement et instinctivement d'Uchiha, mettant autant de distance que possible entre lui et le vieillard lubrique. Comme s'il avait perçu son inconfort, Uchiha glissa un bras protecteur autour de ses épaules et l'attira contre lui. Il se réjouit de sa présence intimidante à ses côtés. D'autant qu'il l'avait déjà vu à l'œuvre avec Hidan et Kakusu et ne doutait pas qu'il interviendrait à la moindre tentative de leur conducteur. Il aurait bien réglé le cas de ce papi lui-même, mais il avait l'impression d'avoir de la compote en guise de membre depuis plusieurs heures, alors autant s'en remettre à Uchiha et sa soudaine possessivité à son égard.
Pas trop tôt, le pick-up se mit en marche dans un cahot souffreteux. En dépit des récentes appréhensions qui le taraudaient concernant Uchiha, Naruto laissa aller sa tête contre son épaule. En cet instant, il se moquait qu'il puisse être un sérial killer, tant qu'il pouvait se reposer un peu. Le brun avait promis de le protéger et de l'éloigner de ce monde de violence. Et même s'il ne semblait pas vouloir se fier à lui, il n'avait pas d'autre choix que de lui faire confiance. Et ce, même s'il ne parvenait toujours pas à comprendre pourquoi il avait employé le terme « mission », ni pourquoi Uchiha y avait réagi avec une telle férocité.
Se pouvait-il que les prostitués utilisent ce mot pour désigner leurs activités ? Ou plutôt, n'était-ce pas les journalistes qui l'employaient à propos des enquêtes qu'ils menaient ? Peut-être était-il reporter et s'était-il intéressé à l'histoire de Uchiha. Ou à celle de l'Akatsuki.
À cette pensée, Naruto se tendit brusquement. Akatsuki. Qui était-ce ? Uchiha – ou leurs deux agresseurs d'hier -, avaient-ils mentionné ce nom devant lui ?
Il ferma les yeux et repoussa ces conjectures. Il ignorait comment il connaissait ce nom. Il ignorait pourquoi il avait parlé de mission. Il ignorait la nature de sa relation avec Uchiha. Et enfin, il ignorait pourquoi il ignorait tout cela. Il était juste tellement fatigué, anxieux, et endolori.
Il se blottit davantage contre son compagnon et sentit son bras se resserrer autour de lui. Sasuke le protégerait, et c'était tout ce qui comptait pour l'instant.
Une quinzaine de minutes plus tard, ils atteignirent le centre d'Ame City. La petite ville s'étirait entre deux massifs montagneux. Des néons clignotaient, vantant divers pièges à touristes : des casinos, des restaurants, des motels et autres bâtiments ordinaires qui s'alignaient le long de la rue principale.
« Laissez-nous à la station-service qui se trouve à droite », suggéra Uchiha à leur chauffeur.
Sa voix, après le long silence du trajet, résonna avec une dureté qui ne laissait aucune place aux discussions dans l'habitacle. Sans poser de questions, le vieil homme s'engagea sur le parking que venait de lui être indiquer. Uchiha le remercia, sortit du pick-up, et Naruto se glissa vivement à sa suite hors de l'habitacle.
Dès que ses pieds touchèrent le sol et qu'il se redressa, il sentit ses jambes flageoler. En plus, après la chaleur de la camionnette, le froid nocturne lui sembla encore plus agressif que tout à l'heure.
« Et maintenant ? », demanda-t-il en regardant son comparse qui inspectait la rue dans les deux directions. Comme il n'obtint pas de réponse, il ajouta : « Nous allons chercher un hôtel, n'est-ce pas ? Trouver un restaurant ou un truc dans le genre. Je suis affamé. »
« Pas encore », répliqua Uchiha, son attention concentrée sur les établissements qui bordaient la rue.
« Qu'est-ce qu'on fait, alors ? », insista-t-il, tout en détestant le timbre geignard de sa voix.
C'était simplement plus fort que lui. Chacun de ses muscles s'insurgeait à l'idée de faire un pas de plus. La migraine qui avait sommeillé dans sa tête tout au long de la journée s'était intensifiée et sa poitrine était toujours aussi serrée. Il avait un besoin urgent de manger, n'importe quoi, sauf du cassoulet froid. Et surtout, il mourrait de soif.
« Il nous faut trouver un véhicule pour nous éloigner du centre-ville », décréta Uchiha, tout en s'engageant dans une rue faiblement éclairée.
Naruto lui opposa mentalement une série d'arguments, mais lui emboîta néanmoins le pas sans protester. S'il l'avait suivi jusqu'ici, ce n'était pas pour changer d'avis maintenant, malgré l'envie qui le taraudait d'entrer dans le premier hôtel et d'y dormir plusieurs jours d'affilée. Si Uchiha décidait de continuer, c'est qu'il avait un plan en tête… et il reconnaissait lui-même n'en avoir aucun.
Sasuke s'arrêta sur le parking d'un casino, où il inspecta méticuleusement tous les véhicules, comme s'il souhaitait en acheter un. L'air glacé avait déjà consommé toute la chaleur que Naruto avait emmagasinée durant leur bref trajet en pick-up. Il enroula frileusement ses bras autour de son buste, décidé à marcher jusqu'à ce qu'il tombe.
Uchiha devait être fatigué, lui aussi. S'il parvenait encore à avancer, il n'y avait aucune raison pour qu'il n'y arrive pas lui-même.
Finalement, il vit son vis-à-vis ouvrir la portière d'une vieille Chevrolet, en inspecter brièvement l'intérieur, puis se tourner vers dans sa direction.
« Montez dans cette voiture », lui intima-t-il d'un ton sec, pour changer.
Il fronça ses sourcils blonds.
« Quoi ? »
« Montez, je vous dis ! »
« Vous voulez voler ce véhicule ?! », siffla-t-il entre ses dents, tout en jetant des coups d'œil furtifs autour d'eux.
En plus d'être un assassin, Uchiha était un voleur ! Il secoua la tête avec incrédulité. Il était fou. Et il était lui-même tout aussi fou de traîner avec ce type.
« Posez votre derrière dans cette voiture sans discuter ! », lui ordonna-t-il sur une inflexion qui aurait fait se dresser un mort.
En désespoir de cause, Naruto ouvrit la portière du passager et se laissa tomber sur le siège. Voilà ce en quoi consistait le plan imaginé par Uchiha. À voler une voiture ! Et il se trouvait complice de ce forfait, à présent. Car même s'il avait perdu la mémoire, il savait que c'en était un. Il voulut attacher sa ceinture de sécurité. Mais celle-ci ne bougea pas. Il tira plus fort.
Le moteur vrombit soudain et Naruto dévisagea Uchiha avec stupéfaction.
« Comment avez-vous réussi à faire démarrer cette voiture aussi vite ? »
Le brun eut un de ces rares sourires qui avaient le don de le bouleverser.
« Secret professionnel », répondit-t-il avec un clin d'œil.
Puis, sans qu'il le lui demande, il se pencha au-dessus de lui pour l'aider à s'attacher. Lorsqu'il tendit la ceinture sur ses cuisses, Naruto sentit une minuscule spirale de désir se lover au plus profond de lui-même. Ce n'était pas la première fois qu'Uchiha le frôlait de si près, mais à ce moment-là, ce geste l'émut profondément. À cause de son aspect protecteur, sans doute. C'était comme si sa sécurité lui importait. Comme si, dans toute cette folie, il comptait à ses yeux.
« Merci », murmura-t-il, le souffle soudain court.
Toujours penché au-dessus de lui, Uchiha s'immobilisa pour poser son regard sur sa bouche. Le clignotement des néons balayait l'habitacle de lumières éblouissantes et d'ombres inquiétantes. Il fit remonter son regard jusqu'au sien et Naruto perçut une chaleur intense se déployer dans son ventre. Toutefois, d'un battement de cil, Sasuke bannit l'intense lueur de convoitise qu'il avait décelée dans ses yeux. Il le regarda se redresser, passer la marche arrière et marmonner quelques mots qu'il ne comprit pas.
Ensuite, sans un autre regard vers lui, il dégagea la Chevrolet de son emplacement et sortit du parking.
Naruto se laissa aller contre le dossier de son siège et tenta en vain d'oublier le désir qu'il avait lu dans le regard d'obsidienne. Il ne put s'empêcher de repenser au trouble qu'il avait éprouvé en se réveillant dans ses bras, ce matin. C'était son propre émoi – bien plus que la manifestation flagrante du désir de son protecteur -, qui l'avait alors incité à réagir aussi violemment.
Et plus tard, dans la forêt, il avait également eu envie qu'il l'embrasse – ce qu'il aurait fini par faire s'ils n'avaient pas été interrompus. À un certain niveau, savoir qu'il plaisait à Uchiha était loin de lui déplaire. Car Sasuke Uchiha était peut-être un salaud mais il n'en avait pas moins quelques attraits.
Par-dessus tout, songea Naruto avec un petit sourire, il avait de très beaux yeux.
Reprends-toi !
Il ne pouvait pas se permettre de fantasmer sur Uchiha !
Ce type est capable de tuer n'importe qui de sang-froid.
Les propos d'Hidan ne l'avait pas quitté. Sasuke Uchiha était un assassin. Un tueur. Comment pouvait-il être attiré par quelqu'un comme ça? Qu'est-ce cela disait de lui?
Je t'avoue que la dangerosité de cette mission me préoccupe.
Naruto ferma les yeux et s'efforça de mettre un visage sur la voix qui, dans sa tête, venait de remplacer celle d'Hidan. C'était une voix féminine. La même que celle qui le hantait si fréquemment. Celle d'une femme en qui il avait confiance.
Mais de qui pouvait-il bien s'agir ?
Il soupira et fixa l'obscurité, au-delà des phares de la Chevrolet. Son passé était-il si terrible pour qu'il n'ose se le remémorer ?
Le faisceau de leurs phares éclaira bientôt un panneau indiquant : Tazuna City, 15 km.
«Tazuna City, est-ce là que nous allons ? »
Comme Uchiha ne répondait pas, il se tourna vers lui.
« Qu'y a-t-il d'intéressant à Tazuna City ? », insista-t-il.
« Une gare routière. Et oui, c'est là que nous allons », répliqua le brun sans le regarder, son ton indiquant qu'il n'avait pas envie de bavarder, comme d'habitude en somme.
Cet homme, lorsqu'il n'était pas un enfoiré de première était muet comme une tombe.
Trop épuisé pour s'en offenser, Naruto s'appuya contre sa portière et regarda les premières gouttes de pluie s'écraser contre le pare-brise. Le chauffage, qui avait fini par se mettre en marche, emplissait l'habitacle d'une chaleur bienfaisante. La pluie se fit plus régulière, brouillant le long ruban de route noire qui se profilait devant eux.
Naruto avait l'impression que son esprit était aussi vide et désolé que cette route. Au bout d'un moment, bercé par le ballet lancinant des essuie-glaces, il sentit ses paupières s'alourdir. Il avait cruellement besoin de dormir, de détendre ses muscles contractés et de soulager la douleur qui lui comprimait la poitrine. Il finit par fermer les yeux et par laisser l'obscurité l'envelopper.
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Il fut réveillé en sursaut par des secousses désagréables semblant indiquer qu'ils avaient quitté la route. Il lança un regard inquiet en direction de son taciturne comparse, craignant qu'il ne se soit endormi au volant. Mais non, ce dernier était parfaitement réveillé.
Sasuke freina et immobilisa la Chevrolet, sur ce qui semblait être…au bout milieu de nulle part.
« Où sommes-nous ? », l'interrogea-t-il, en scrutant la bruine et l'obscurité au-dehors, sans rien distinguer d'autre que des arbres.
« Nous allons terminer le trajet à pied », décréta Uchiha avant d'ouvrir sa portière et de sortir de la voiture.
Naruto mit quelques instants à comprendre qu'il voulait qu'ils marchent sous la pluie.
« Vous plaisantez ? », protesta-t-il, lorsque l'autre homme vint ouvrir sa portière.
Ce dernier se pencha vers lui, détacha sa ceinture de sécurité et le considéra avec froideur.
« Je ressemble à un clown ? »
Sidéré, Naruto ne bougea pas. Il n'allait pas quitter ce véhicule chaud et confortable pour s'aventurer sous la pluie glacée ! Décidément, Uchiha était fou – pire que cela. Il était… il était…
Il ne trouva pas d'attribut apte à le décrire.
« Sortez de cette voiture », ordonna ledit fou en penchant vers lui un visage à présent menaçant.
Naruto vit un muscle tressaillir dans sa mâchoire. Les ombres projetées par la lumière du plafonnier rehaussaient encore l'impatience de ses traits. Il ne gagnerait pas cette bataille, comprit-il alors que le brun se redressait avec un imperceptible sourire de triomphe en attendant qu'il obtempère.
Etreint par la frustration, le jeune homme s'extirpa du véhicule, dont il claqua violemment la portière.
Indifférent, Uchiha remonta le col de son blouson. Puis, sans un mot de plus, il rebroussa chemin en direction de la route qu'ils venaient de quitter, abandonnant la Chevrolet. Le temps que Naruto libère la capuche de sa parka et qu'il le ramène sur sa tête, ses cheveux étaient mouillés. La pluie s'était déjà s'infiltrée dans l'encolure de son sweat-shirt. Il riva alors son regard sur le dos de son comparse et marmonna une série d'interjections. Comme d'habitude, ce dernier l'ignora.
Lorsqu'ils atteignirent la route, un panneau leur indiqua qu'ils n'étaient plus qu'à un kilomètre de Tazuna City. Du moins n'allaient-ils pas devoir marcher trop longtemps. Aussi, il devina que Sasuke avait abandonné la Chevrolet parce qu'elle était volée. Dissimulée parmi ces bouquets d'arbres, cela prendrait des jours, voire des semaines, avant qu'on ne la retrouve. D'ici là, lui et son compagnon de fortune seraient loin.
Dès qu'il s'agissait d'effacer leurs traces, Sasuke semblait décidément penser à tout.
Il est chaque fois parvenu à leur glisser entre les doigts.
Le jeune homme fronça les sourcils. Cette voix. C'était encore cette même voix féminine. Mais à qui se rapportait ce commentaire ? À Uchiha ? Et à qui aurait-il échappé si adroitement ? À la police ? Aux autres gangsters ?
Il enfouit ses mains dans ses poches avec un soupir de frustration. Chaque parcelle de son instinct lui disait qu'il fallait absolument qu'il le sache. Que sa vie en dépendait.
Cependant pour l'instant, il était trop fatigué pour y réfléchir. Il frissonna en réaction à la pluie glacée qui fouettait son visage. Dieu, ce qu'il détestait avoir froid ! Son estomac se mit à gronder. Il détestait également avoir faim.
Dès qu'ils atteignirent les faubourgs de la ville, Uchiha entra dans la cabine téléphonique d'une station-service. Naruto n'avait aucune idée de l'identité de la personne qu'il appelait. Mais tremblant de manière à présent incontrôlable, il était trop gelé pour s'en soucier. À ce moment précis, la seule chose qui lui importait était de trouver un endroit sec, où il aurait chaud.
Quelques minutes plus tard, Uchiha ressortit de la cabine et il le suivit jusqu'à un motel à l'aspect miteux qui se dressait à l'autre extrémité du parking. Il se demanda comment il faisait pour ne pas trembler comme lui.
Il ne réagissait pas comme un humain. Peut-être était-il secrètement un robot. Sasuke Uchiha, si c'était son véritable nom, était une machine dénuée de sensibilité. Une machine à tuer. Mais alors, il se rappela la façon dont il pouvait également l'émouvoir d'un seul regard.
Peut-être son mystérieux compagnon détenait-il une part d'humanité, après tout.
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Naruto promena son regard autour de la petite chambre à l'aspect misérable. Même s'il ignorait tout de son niveau de vie habituel, il devina que ce lieu se situait largement en dessous de ses critères.
« Il n'y a qu'un lit ! », s'exclama-t-il, remarquant soudain le mobilier décrépit.
« C'était la seule chambre libre. Vous avez vous-même entendu le responsable le dire. Alors ravalez votre déception et allez vite prendre une douche. Nous devons nous débarrasser de nos vêtements trempés. »
Après lui avoir décoché un regard interdisant toute protestation, Uchiha laissa tomber son blouson sur une chaise et commença à défaire les boutons de sa chemise.
« Qu'est-ce que vous faites ? », souffla Naruto en reculant d'un pas et heurtant le lit étroit.
« Ce que vous allez faire vous-même, à moins que vous ne vouliez que je vous aide», répliqua son vis-à-vis d'un ton acerbe.
Comme Naruto hésitait, il eut un rictus et ajouta :
« Ne vous inquiétez pas, je suis trop fatigué pour être dangereux. »
Tout en parlant, il ôta sa chemise, révélant son torse musclé au jeune homme, qui sentit aussitôt sa bouche s'assécher. Puis il entra dans ce qui ressemblait à une salle d'eau. Il en ressortit aussitôt en se frictionnant à l'aide d'une serviette, l'invitant silencieusement à se doucher le premier.
Uchiha était peut-être fatigué, mais Naruto trouva plus sûr de penser qu'il était dangereux, même dans son sommeil. Il se débarrassa en hâte de sa parka. Puis il passa devant l'intéressé sans le regarder et s'engouffra dans la minuscule salle d'eau, dont il ferma la porte à clé.
Là, il fixa son reflet dans le miroir et faillit sursauter.
Il avait une tête effrayante. Les grands cernes noirs qui ombraient ses yeux contrastaient de manière frappante avec la pâleur de sa peau. Claquant des dents, il ôta ses vêtements mouillés, entra dans la cabine de douche et régla la chaleur de l'eau au maximum tolérable. Il sortit une minuscule savonnette de son emballage, puis ferma les yeux et laissa l'eau brûlante détendre ses muscles endoloris. Cette sensation était si agréable qu'il aurait presque pu lui faire oublier sa faim.
Presque. Parce qu'en vrai, il était si affamé qui voyait rouge. Pour couronner le tout, le motel ne mettant pas de shampoing à la disposition de sa clientèle, il fut contraint de se laver les cheveux avec la savonnette. Il le passa ensuite sur ses épaules, ses bras et sa poitrine. À mesure que la vapeur emplissait la minuscule salle d'eau, le souvenir de la douche qu'il avait prise avec Uchiha envahit son esprit. Il revit le torse pâle de son compagnon pressé contre son buste, ses bras puissants l'enlacer, ses mains douces et réconfortantes enserrer sa taille. Puis ces images firent tout à coup place à celles des terrifiants événements des deux jours qui venaient de s'écouler.
La rencontre avec les deux gangsters. Les coups de feu. Sa fuite en voiture avec Uchiha, puis leur longue marche dans la montagne. L'hélicoptère. Il repensa à la façon dont Uchiha l'avait protégé en toute circonstance. Et en dernier lieu, dans ce pick-up qui les avait emmenés à Ame, alors même qu'il venait de le juger définitivement dangereux.
Décidément, les multiples facettes de l'homme le rendaient inclassable. Pour autant, rien n'autorisait Naruto à le croire inoffensif.
Enfin, il revit l'intense désir qui avait brillé à plusieurs reprises dans le regard de son compagnon. Se pouvait-il qu'il se soit réellement passé quelque chose entre eux ? Il n'arrêtait pas de son torturer l'esprit avec ça.
Il imagina son corps puissant, dénudé au-dessus du sien, envisagea presque de se prendre en main, et de fister sa bite jusqu'à libération. Quand bien même cela l'aiderait à se détendre, serait-il assez effronté de se masturber à l'image d'un homme qui n'était séparé de lui que par une vulgaire planche de bois? Où était sa moralité dans cela ?
Fort heureusement, la lucidité lui revint avant que sa main ne s'aventure dans sa région inférieure. Il tressaillit et essaya de bannir en hâte les images incriminantes de son esprit.
Il ferma le robinet d'eau et sortit de la douche. Enroulant une serviette autour de sa taille, il se pencha vers le miroir pour en essuyer la buée. Un homme aussi séduisant qu'Uchiha pouvait-il le trouver attirant ? se demanda-t-il en examinant son reflet avec curiosité.
Il était assez beau, même s'il trouvait son visage un peu trop rond et juvénile. Il n'était pas si mal dans sa peau qu'il ne pouvait pas reconnaitre qu'il possédait un certain charme. Il tourna légèrement la tête et inspecta l'affreux hématome sur sa tempe gauche, qui avait viré vers un ton violacé peu flatteur. Puis il dénoua la serviette et contempla le reste de son corps.
Son pénis n'était pas énorme, mais il était bien proportionné par rapport au reste de son corps, long et courbé. Sa taille était fine, et ses jambes longues, toniques et harmonieuses. Il devait sans doute s'entrainer d'une manière ou d'une autre, parce qu'il était sacrément en forme, avec des muscles définis et secs.
Dans l'ensemble, il se sentit satisfait de son inspection. Si seulement il avait pu se remémorer son passé et savoir qui était le jeune homme qui habitait ce corps…
Soudain, des coups à la porte de la salle d'eau le firent sursauter violemment.
Craignant un instant que leurs poursuivants avaient fait irruption dans la chambre, il recouvrit ses parties intimes avec ses mains, comme si on avait pu le voir.
« Pourquoi êtes-vous si long ? Vous vous croyez au spa ou quoi ? », réprimanda alors la voix bourrue d'Uchiha.
Ce n'était que lui, qui attendait son tour de douche, comprit Naruto avec soulagement.
« Juste une minute », balbutia-t-il avant de se sécher prestement, puis d'enrouler à nouveau la serviette autour de ses hanches.
Après quoi, il sortit la petite brosse qui se trouvait dans son sac et le passa dans ses cheveux mouillés. Enfin, il réunit ses vêtements et prit une longue inspiration avant d'ouvrir la porte.
Uchiha lui bloquait le passage, une vive irritation gravée sur ses traits.
« Etendez vos affaires sur le radiateur, à côté des miennes », lui suggéra-t-il. « Je l'ai monté au maximum afin qu'ils sèchent plus vite. »
Lui aussi ne portait plus rien d'autre qu'une serviette enroulée autour de sa taille.
S'interdisant de laisser descendre son regard plus bas, Naruto fixa les poils fins qui jouaient sur la toison de son torse. Son attention fut attirée par de longues et fines cicatrices sur sa peau. Mais avant qu'il ne puisse l'interroger à ce sujet, Sasuke se poussa pour le laisser passer.
Il passa devant le brun, incapable, après les pensées qui l'avaient assailli pendant qu'il se douchait, de le regarder dans les yeux. Il fallait qu'il soit fou pour fantasmer ainsi sur un meurtrier, doublé d'un voleur. Et d'un ravisseur, s'il ajoutait à la liste de ses méfaits celui de l'avoir entraîné de force dans cette cavale infernale.
Naruto étala ses vêtements à côté des siens, en sentant tout du long son regard brulant percé un trou dans son dos. Lorsqu'il eut terminé d'étendre ses habits, il se redressa, réunit son courage et lui fit face. Il le découvrit debout devant la penderie, dont il avait entrouvert la porte, le fixant avec sévérité.
« Vous allez attendre ici, le temps que je me douche. »
À ces mots, Naruto sentit la colère enflammer ses joues.
« Vous vous foutez de moi, j'espère », lança-t-il.
« Non », répliqua Uchiha avec une expression imperturbable. « C'est le seul moyen de m'assurer que vous ne vous enfuirez pas. » Il lui fit signe d'entrer dans la penderie. « Je ne serai pas long. »
Sachant que discuter serait inutile, Naruto redressa le menton et traversa la pièce d'un pas furibond. Il s'immobilisa à côté du brun et le toisa d'un air meurtrier.
« Au point où j'en suis… », dit-il d'un ton désabusé. « Ce ne sera pas la première offense que je subirai depuis que je vous connais. »
Sur ce, il entra dans la minuscule penderie avec un soupir offusqué et tourna le dos à Uchiha jusqu'à ce qu'il en referme la porte.
Comment se faisait-il que cette chambre minable soit équipée d'une véritable penderie ? s'interrogea Naruto avec amertume, sidéré par l'ironie de sa situation.
De son côté, Sasuke cala prudemment une chaise sous la poignée de la porte.
Enfermer Naruto dans ce réduit ne le réjouissait aucunement. Mais il ne pouvait pas risquer de le laisser s'échapper.
Même s'il lui paraissait inoffensif, il n'en demeurait pas moins un élément inconnu… et représentait donc un danger potentiel. Il écarta le pincement de culpabilité qu'il ressentait et se dirigea vers la salle d'eau. Il laissa la porte ouverte afin de pouvoir garder un œil sur la chambre.
Sous le jet brûlant de la douche, il ferma les yeux, appuya son front contre le carrelage ébréché du mur, permettant à l'eau chaude de détendre un moment ses muscles fatigués. Il se lava et se rinça rapidement comme il avait promis de ne pas laisser Naruto enfermé trop longtemps. Cet idiot était capable de se mettre à taper sur la porte de la penderie ou à hurler et ameuter tout l'immeuble à leur porte. Il avait vite compris, à ses dépens, que le blond était aussi imprévisible qu'il pouvait lui-même l'être.
Or cette pensée le perturbait d'autant plus qu'il en savait encore très peu à son sujet. Mis à part, bien sûr, le fait qu'il le voulait, qu'il le voulait comme il n'avait jamais voulu qui que ce soit.
Heureusement il n'était pas encore assez fou pour penser que céder à la tentation était une bonne idée.
Il s'était senti attiré par Naruto dès l'instant où il avait posé son regard sur lui. Il lui avait paru si magnifique, et en même temps si vulnérable. Il émanait de lui un mélange de force et d'innocence qui le touchait profondément. À force de côtoyer toutes sortes de vauriens, il avait oublié qu'il existait des gens honnêtes, comme lui. Seulement, cette innocence se révélait aussi attirante pour lui que la lumière pour un papillon de nuit. Et sans doute allait-il se brûler les ailes… ou pire.
Il était fou, en effet… et stupide.
Après être sorti de la douche, il se sécha en hâte et enroula une serviette autour de sa taille. Puis il alla délivrer son impétueux acolyte, lequel sortit de sa prison sans lui jeter un regard, se dirigea directement vers le lit et se glissa sous les draps.
Au seul spectacle de ses longues jambes galbées et de son corps bronzé dévoilé par cette serviette, Sasuke avait eu le temps de sentir le désir s'emparer de lui. Bon sang, il détestait cette façon qu'il avait de s'alanguir à la seule vue de cet homme.
S'il continuait, il allait se faire descendre à cause de lui. Cela faisait plus de dix ans qu'il bravait la mort et qu'il lui échappait. Mais pour la première fois, il ne se sentait pas prêt à affronter la mission qu'il s'était donnée. C'était mauvais signe. Très mauvais signe.
Reprends-toi, mon vieux.
Il se força à penser que Naruto Uzumaki était un homme parmi tant d'autres. Et que s'il éprouvait ce besoin impérieux de le protéger, c'était parce que son complexe du sauveur avait décidé de faire des siennes. Voilà tout.
Il refusait d'avouer qu'en vérité, ce qui le préoccupait plus que tout, c'était qu'en se trouvant avec lui, Naruto risquait sa vie.
Malheureusement, il ne pouvait plus le laisser repartir seul, à présent… même s'il se révélait être son ennemi.
Ecartant cette pensée dérangeante, il se dirigea vers la table de chevet et sortit un annuaire du tiroir. Il était fatigué et serait mieux à même d'affronter ce problème après une bonne nuit de repos.
« Quel genre de pizza préférez-vous ? », demanda-t-il tout en feuilletant les Pages Jaunes à la recherche d'un restaurant qui proposait des livraisons à domicile.
« Cela m'est égal », répondit Naruto avec froideur. « Je n'ai ni l'intention de manger en votre compagnie, ni celle de vous parler. »
Enfoui jusqu'au nez sous les couvertures, il lui tourna le dos, engoncé dans ses bouderies.
Ciel, voilà pourquoi il ne voulait sortir avec personne et surtout pas quelqu'un de plus jeune que lui! Immature, caractériel et agaçant, Sasuke fuyait les gens qui présentaient ces traits de caractères comme la peste. Même si, et ça il était prêt à le parier, Naruto devait être un champion dans sa catégorie.
« Vous m'en voyez atterré », marmonna-t-il avant de composer un numéro et d'effectuer sa commande, les nerfs en vrille qu'il fut contraint de ravaler.
Comment diable s'était-il fourré dans cette situation ? Ne suffisait-il pas que les hommes de Zetsu soient à ses trousses ? Et que les autorités de Konoha le recherchent eux aussi ? Il fallait encore qu'il ait sur le dos – il lança un regard furibond en direction de Naruto -, un mystérieux amnésique, qui avait le pouvoir de le mettre hors de lui.
Même après l'arrivée des pizzas, dont le seul parfum le fit saliver, le blond ne se retourna pas et continua de le punir par son silence. Installé sur une des chaises qui flanquaient l'unique table de la minuscule chambre, Sasuke cala ses pieds contre le lit, puis mordit dans une part de pizza. Le plus jeune ignora ses divers commentaires concernant la saveur délicieuse des ingrédients ou le croquant parfait de la pâte. Cet idiot avait besoin de manger, mais il ne pouvait pas non plus l'y contraindre.
Bon sang, ce gamin avait le don de l'irriter au plus haut point !
Il termina son repas, se leva et s'étira, se sentant épuisé. Il alla s'allonger à côté de Naruto, qui se réfugia aussitôt au bord du lit. Une fois qu'il fut confortablement adossé aux oreillers et qu'il eut allumé la télévision afin d'écouter les nouvelles, Naruto se leva et se dirigea vers la table. Sasuke le suivit du regard, les sourcils froncés.
Le blond se laissa tomber sur l'une des chaises, puis prit une grosse part de pizza, mordit dedans et ferma les yeux en savourant la première bouchée.
« Je croyais que vous faisiez une grève de la faim »
Naruto but une longue gorgée de soda avant de le foudroyer du regard.
« Je n'ai jamais dit que je ne voulais pas manger. J'ai dit que je n'avais pas l'intention de le faire en votre compagnie. »
Sasuke réprima un sourire. Naruto refusait visiblement de le laisser triompher sur ce point. Mais en réalité, il commençait à se demander si ce n'était pas ce jeune homme agaçant et naïf qui finirait par triompher de lui, sur toute la ligne. Car en l'espace de trente-six heures, il l'avait troublé comme personne ne l'avait fait avant. Mais il ne s'agissait pas entre eux d'une simple attirance physique. Non. Le pouvoir que Naruto exerçait sur lui tenait plutôt de la façon dont il parvenait à l'émouvoir d'un seul regard et à faire ainsi céder ses plus fermes résolutions.
Quoi qu'il en soit, il ne pouvait pas se laisser distraire de la sorte. Il devait recouvrer le contrôle de lui-même. Il détacha son regard du corps à demi dénudé du jeune homme; contempler sa peau lisse et soyeuse ne l'aiderait pas. Il zappa au lieu de cela d'une chaîne télévisée à l'autre sans qu'aucun programme ne retienne son intérêt.
Finalement, Naruto revint se coucher. Il se serra au bord du lit étroit et continua à lui tourner le dos. Sasuke lança un regard impatient dans sa direction, le laissant s'attarder sur ses épaules dénudées et sentit son sexe faire un sursaut d'intérêt.
Bon sang, il fallait à tout prix qu'il se sorte cet homme de la tête. Qu'il le tienne à distance. Mais comment allait-il y parvenir, alors qu'ils risquaient de passer encore plusieurs jours ensemble ? Il n'y avait qu'une solution, en fait. Il devait à tout prix mener sa mission à terme au plus vite.
Oui, c'était à tous points de vue la meilleure option. Dès le lendemain, il y réfléchirait et prendrait les mesures nécessaires.
Satisfait de ses résolutions, Sasuke éteignit la télévision, puis sombra assez rapidement dans un sommeil plus que nécessaire.
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Sasuke se réveilla à 6 heures, son bras gauche étendu sur la poitrine de Naruto. Son visage était enfoui au creux de son cou, et sa main, emmêlée dans ses longs cheveux blonds.
Il s'imprégna de la douceur de son parfum, se rendant compte à quel point il sentait bon, et de la chaleur de son corps contre le sien. Il lui serait si facile d'abaisser le drap et de prendre ce qu'il désirait si ardemment. Naruto lui résisterait-il, s'il utilisait sa bouche et ses mains pour le convaincre ? Il en doutait. Il avait vu son désir pour lui étinceler plus d'une fois dans son regard cristal saphir.
Naruto aussi avait envie de lui, peut-être même autant qu'il avait envie de lui en retour. Son corps entier se tendit en imaginant combien celui du jeune homme serait doux et accueillant. Il avait envie de goûter sa saveur, de s'enfouir tout entier en lui. De tout oublier, l'espace d'un instant. Se laisser aller à ce genre de pensées risquait de les mener tous deux à la mort, mais c'était plus fort que lui.
Il souffla, se forçant à rester concentré sur sa mission. Avec un soupir exaspéré, il se leva, récupéra son jean et sa chemise sur le radiateur et se dirigea vers la salle d'eau. Se sentant magnanime, il décida de laisser Naruto dormir quelques minutes de plus. Ce dernier s'était tourné et retourné dans le lit toute la nuit et Sasuke se demanda quels démons avaient pu le pourchasser jusque dans ses rêves.
Il lui semblait trop jeune et trop simple d'esprit pour être hanté par quoi que ce soit. Cependant, il savait à quel point les apparences pouvaient s'avérer trompeuses. Peut-être Naruto n'était-il pas le jeune homme intègre qu'il paraissait être, et que cet apparat naïf était sa plus redoutable arme.
Peut-être n'était-il qu'un appât, un très séduisant appât. Jusque-là, Sasuke n'avait pas vraiment considéré cette possibilité. Il fixa son reflet dans le miroir, se contraignant à garder les idées claires. Ce ne serait pourtant pas la première fois qu'on utilisait ce genre de stratagème pour le piéger.
« Imbécile », maugréa-t-il, tout en se rendant compte que dès l'instant où Naruto lui était apparu, il avait commis une erreur.
Une très grave erreur. Celle de perdre tout discernement.
Irrité, il s'habilla en hâte. Puis il rassembla les vêtements de Naruto et alla s'asseoir au bord du lit. Il alluma la lampe de chevet et observa le jeune homme avec attention. Le drap avait glissé, révélant son torse. Mais surtout, il remarqua qu'il était encore plus pâle que la veille. L'hématome de sa tempe avait viré au rouge violacé. Le rose de ses lèvres n'était plus aussi vif et les cernes sous ses yeux étaient beaucoup plus sombres.
Plus il l'observait, plus il sentait un malaise l'envahir. Naruto avait l'air mal en point, maladif. Malheureusement, ils avaient encore de nombreux kilomètres à parcourir.
D'ailleurs, en consultant sa montre, il vit qu'il était déjà 6 h 15. Il fallait qu'ils partent.
« Naruto, réveillez-vous. », l'enjoignit-il en le secouant doucement par l'épaule. « Naruto, il faut vous lever et vous habiller. »
Le jeune homme se redressa d'un bond, comme en alerte. Il couvrit son corps dénudé à l'aide du drap et promena vivement son regard autour de la chambre.
Ce n'était pas la première fois que Sasuke remarquait cette étrange réaction de sa part, à son réveil. Il le fixa avec attention, la suspicion luttant un moment en lui contre l'instinct de protection qu'il lui inspirait. Puis il se dit que quoi que le jeune homme puisse avoir à cacher, le fait qu'il l'ait oublié le rendait en fin de compte inoffensif.
Mais qu'arriverait-il, quand il recouvrerait la mémoire ? Sasuke reconnu qu'il n'était pas pressé de le savoir.
« Que se passe-t-il ? », demanda le blond en repoussant ses cheveux de son visage.
« Habillez-vous. Nous devons partir. », répondit-il en lui balançant ses vêtements au visage.
Il se leva ensuite et alla regarder par la fenêtre, le temps que Naruto se prépare. Après avoir passé dix bonnes minutes dans la salle d'eau, ce dernier enfila son manteau et annonça enfin qu'il était prêt.
Même si le soleil brillait, l'air matinal était glacé. Par bonheur, ils n'avaient pas de montagne à gravir aujourd'hui. Il lança un regard inquiet en direction du jeune homme, qui peinait déjà à le rattraper. Il paraissait à peine capable de parcourir les quelques centaines de mètres menant à la gare routière.
Sasuke attendit qu'il le rejoigne avant de poursuivre sa route. Deux pâtés de maison plus loin, il l'entraîna à l'intérieur de la gare et acheta deux billets, sans qu'il fasse de commentaire. Après quoi, il le suivit en silence jusqu'à la voie d'embarquement.
Cette passivité inhabituelle vint confirmer l'impression qui le taraudait : Naruto était souffrant.
Enfin, lorsqu'ils montèrent dans l'autocar prêt à démarrer, le jeune homme se dirigea sans protester vers la place libre qu'il lui désigna au fond du véhicule. Il s'y assit et se mit aussitôt à fixer le paysage par sa vitre. De son côté, Sasuke se détendit peu à peu sur son siège et ferma les yeux. Cela faisait une éternité qu'il n'avait pas voyagé en autocar ; à présent, il se rappelait pourquoi. Ces derniers étaient bruyants, malodorants et inconfortables.
Mais ils permettaient de se déplacer efficacement d'un point à un autre. Et les hommes qui les poursuivaient ne s'attendraient sans doute pas à ce qu'ils voyagent de cette façon.
La voix de Naruto l'arracha soudain à ses pensées.
« Qu'allons-nous faire à Kiri ? »
Sasuke ouvrit un œil et le dévisagea avec surprise.
« Je croyais que vous aviez enfin décidé de me faire la grâce de vous taire. »
« Oh, laissez tomber », fit Naruto avec lassitude avant de se retourner lentement vers la vitre.
« J'ai une affaire à régler… avec un vieil ami », répondit-il alors, tout en étant irrité de s'y sentir contraint. « Un ami terriblement pressé de me voir », ajouta-t-il avec sarcasme.
Il eut envie de rire. Il n'avait pas de véritable ami, et encore moins les gens qu'il avait le plus récemment trahi.
Naruto se tourna vers lui, une lueur vindicative brillant dans son regard.
« De quel genre d'affaire s'agit-il, au juste ? Et de quel genre d'ami parlez-vous ? D'un homme comme Kakusu ou Hidan ? » Puis il ajouta d'une voix hésitante : « Avez-vous vraiment tué tous ces hommes ? »
Cette question le fit sourire. Où Naruto avait-il entendu de telles sornettes ? Ah oui. Il lui semblait qu'Hidan avait parlé de ça dans la voiture. Il se pencha alors vers lui.
« Vous voulez vraiment le savoir ? »
Le jeune homme s'éclaircit la gorge avant d'acquiescer :
« Oui. »
« Je n'ai jamais compté », déclara Sasuke en haussant les épaules avec indifférence. Une manière d'éluder la question de Naruto, tout en le tenant à distance.
En effet, ce dernier recula jusqu'à la vitre et riva un regard dégouté dans le sien.
« Est-ce que vous tuez ces gens… pour de l'argent ? », demanda-t-il avec une grimace. « Est-ce cela que vous faites ? »
Sasuke eut un petit rire étouffé.
« Non. Ce n'est pas exactement pour de l'argent. »
Naruto inspira, avant de lui poser une autre question :
« Alors pourquoi tuez-vous des gens, exactement ? »
Il cessa de sourire et prit un ton intimidant.
« Si je répondais à votre question, je serais obligé de vous tuer aussi. »
