Participants : 23 – Equipe en tête : Aigles de Jais

04 : 12 : 56

L'infirmerie se trouvait au rez-de-chaussée du bâtiment principal, dans un couloir qui menait à l'aile est, près de l'accueil. Ingrid avait suggéré que l'on s'y rende pour soigner mes blessures et celles de Dorothea, qui heureusement, avait été à peine effleurée par la hache d'Annette. Hache qui se trouvait désormais entre les mains d'Edelgard. Si tout le monde avait été d'accord sur le fait qu'il valait mieux s'armer – au cas où – je me demandais tout de même qui avait cru bon de confier cette lame tranchante à la principale suspecte de notre petit peloton. Depuis que nous avions quitté l'amphi, je me tenais à bonne distance de mon étudiante que je ne savais plus sous quels angle ou couture regarder. Ni regarder tout court.

Nous avancions lentement, et les couloirs obscurs semblaient interminables. Cela-dit, mieux valait être prudent que foncer tête la première et tomber nez-à-nez avec un étudiant qui aurait déjà péter les plombs. Edelgard ouvrait la voie avec Ingrid, Dorothea les suivait de près, succédée par Lysithea qui peinait à mettre un pied devant l'autre. Moi, fermais la marche. De cette manière, j'avais une bonne vue d'ensemble et couvrais nos arrières. Et puis, nous devions rester silencieuses, et j'avais tant de questions à poser à Edelgard – ou bien d'accusation à lui présenter plutôt – qu'il aurait été difficile pour moi de fermer ma grande bouche. Avant ça, je lui aurais certainement juste demandé à quelle heure elle me rejoindrait chez moi, ou bien si je devais poireauter dans ma caisse le temps qu'elle finisse sa journée. Là, la discussion aurait ressemblé à quelque chose comme « Tu as choisi le film pour ce soir ? Combien de personne as-tu tué de sang-froid avant d'arriver jusqu'ici ? Au fait, j'ai commandé pizza pour vingt-heure, j'espère que ça te va. ». Une discussion tout à fait censée dans un tel contexte.

En temps normal, ce trajet aurait été simple. Il suffisait d'arriver dans l'aile est par l'étage, puis d'emprunter les escaliers jusqu'en bas pour rejoindre le hall du bâtiment principal. L'infirmerie était sur le chemin. Là, tout était plongé dans l'obscurité, certains accès étaient barricadés et l'entrée principale le serait peut-être également. Pourtant, certains élèves avaient été aperçus dans la cours, c'est qu'ils étaient bien sortis quelque part. A moins de s'être réveillés dehors ? C'était une théorie plausible, mais il y avait forcément un moyen pour eux d'arriver jusqu'à nous, et inversement, ou ce « jeu » n'aurait absolument aucun sens. Et, quand bien même nous arriverions à sortir, je n'avais aucune idée d'où nous nous trouvions. Certes, les bâtiments ressemblaient brique pour brique à ceux de l'académie, mais je n'avais vu que des arbres tout autour. Si nous nous échappions, combien de temps errerions-nous avant de trouver des secours ? Le problème, c'était que chaque pas que je faisais dans cette obscurité étiolait peu à peu ma raison. A peu de choses près, j'avais l'impression d'être guidée dans un labyrinthe qui nous menait tous vers la catastrophe.

En file indienne, j'avançai avec la lenteur de mes camarades tout en laissant mon esprit s'embrumer de questions, mais mon corps se raidit lorsqu'un bruit sourd, derrière, coupa court au fil de mes pensées. Je me retournai alors violement prête à trouver quelque chose ou quelqu'un à ma suite, mais l'absence de présence accueillit la lampe torche de mon téléphone dont la batterie fondait à vue d'œil. Les bruits de pas de Lysithea s'estompaient peu à peu, laissant place au silence de ces très longs couloirs. Je tendis l'oreille quelques secondes supplémentaires mais je n'étais plus en mesure d'entendre quoique ce soit tant malgré mon cœur battant dans ma poitrine à grands coups lents. Tout ici semblait raisonner en craquement sinistres, même le silence lui-même. Je rangeai alors mon téléphone, prête à rejoindre mes compares, lorsque de nouveau, j'entendis quelque chose. Plus aigus, cette fois, comme un grincement. N'importe quelle personne saine d'esprit aurait juste filé fissa, bien loin d'ici, mais force était de constater que ces lieux, et surtout ce jeu, m'avaient déjà atteinte, puisque je fis un retour sur mes pas sans même en avertir les autres.

Il n'y avait que deux portes proches de moi, assez proches du moins pour me convaincre que le son provenait d'une pièce derrière. L'une était close, fermée à clef, puisqu'elle refusa de s'ouvrir quand je basculai la poignée. La seconde, en revanche, émit un gémissement de douleur lorsque je l'entrebâillai. Je sortis de nouveau mon téléphone pour m'éclairer – un gros nuage sombre occultait les rayons de la lune. C'était une salle de classe, aussi poussiéreuse, désordonnée et insalubre que celle dans laquelle je m'étais réveillée, comme si une décennie toute entière l'avait ravagée. Je fis quelques pas à l'intérieur, et manqua de me casser sévèrement la figure sur une grosse boite au sol. Heureusement, le bureau supposé du professeur qui devait enseigner ici à une époque bien lointaine maintenant amorti ma chute, et je reportai mon attention très vite sur le coffret au sol. Il faisait environ un mètre de long sur soixante centimètres de large, à vue d'œil, et l'intérieur était tapissé d'un velours rouge. Dans ce velours, je n'eus aucun mal à remarquer la forme de l'arme avec laquelle Annette nous avait agressées un peu plus tôt. Laissée ici telle une récompense. J'en déduisis rapidement que Bernadetta et elle-même avaient dû se réveiller dans cette pièce. Les fenêtres donnaient en effet sur le champ de mines sur lequel Raphael avait finit en gros tas de cendres ensanglanté. Un spectacle qui avait dû être aussi terrible à voir pour elles qu'il le fût pour nous.

Il n'y avait rien ici, rien qui ne puisse m'aider, mais je fis volte face lorsque je sentis quelque chose m'effleurer, et pointai la lueur de mon objectif pourtant d'aucune utilité dans cette direction. Si la présence avait été un fantôme, peut-être y aurait-il eu une quelconque réaction physico-chimique, mais là, je n'entendis qu'un grondement de mécontentement, et le reflet du faisceau de lumière dans le métal m'aveugla à mon tour.

—Qu'est-ce que tu fais là ?! me fis-je sermonner aussitôt. Tu as disparus subitement ! On te cherchait, j'ai cru que…

Mais Edelgard, dont le front était barré d'une ligne tant elle plissait les yeux, ne termina pas sa phrase. Une personne saine d'esprit aurait déjà fait un geste de recul, mais, comme je me l'étais déjà répété à de multiples reprises, je ne l'étais plus tout à fait, et l'arrivée de la blanche m'apaisa pendant une minute. La suivante, mon corps se mit sur la défensive. J'avais de nombreuses raisons de me méfier, et ce à plus d'un titre.

—J'ai entendu quelque chose. Je voulais juste vérifier…

Je regardai une énième fois la pièce, pour ne rien trouver de plus que tout à l'heure, à part le désordre, et le coffret qu'Edelgard avait remarqué elle aussi, dont la hache aurait parfaitement épousé la forme intérieure.

—Ca devait être mon imagination.

Mais ma camarade ne sembla pas convaincue par mes explications. Le contraire aurait été plus juste puisqu'elle fit un pas dans une allée séparant des pupitres alignés (plusieurs étaient renversés à l'instar des pièces précédentes). N'ayant guère d'autres options, mais surtout refusant moi aussi de la laisser seule dans cette pièce sombre même si l'idée m'avait traversée la tête pendant une seconde ou deux, je lui emboitai lentement le pas.

La jeune femme ne laissait rien au hasard, ce qui n'était pas surprenant dans ce contexte, encore moins pour elle j'imaginais. Son expérience passée avait du lui apprendre à se méfier de tout, et de tout le monde, même du moindre bruit, même s'il provenait du plus profond de l'imagination de quelqu'un. Du moins, c'est ce que je pensais, au début.

—Byleth…

Je rejoignis Edelgard et me plaçai à son niveau, avant de suivre le rayon de lumière projeté par son propre téléphone, dans le renfoncement de la pièce. Tout ce qui n'était pas directement dans le faisceau se déformait et se changeait en ombres grandissantes et tout aussi angoissantes. Une simple chaise renversée se transformait en monstre informe, en silhouette prête à se jeter sur nous.

—Par tous les Saints…

Mais la lumière se figea sur le bout d'une bottine sombre qui dépassait au fond, au sol, derrière une étagère renversée.

Mon reflexe fût d'attraper la manche de la chemise d'Edelgard qui se précipitait déjà là bas pour la retenir, mais celle-ci se dégagea sans même y prêter attention, et s'enfonça plus profondément dans la salle de classe. Une assurance inhérente à elle. Elle escalada un bureau à l'agonie et se glissa entre les quelques chaises derrières qui s'entremêlaient presque les unes aux autres, alors j'imitai ses prouesses physiques et l'on se rapprocha de cette pompe en cuir noir. J'espérais ne pas trouver une jambe au bout, mais il y en avait bien une, et après m'être m'avançée un peu plus, mes yeux s'écarquillèrent sur le corps tout entier adossé contre un mur. Une plaie béante barrait le buste de la victime, de l'épaule gauche jusqu'à la hanche droite. Les vêtements tranchés eux aussi était maculés de sang, et je devinai presque aussitôt qu'Edelgard tenait entre ses mains l'arme du crime.

—Est-ce qu'elle est…

—Je crains que oui… répondit la blanche en posant son index et son majeur sur la peau pâle recouverte d'une mèche rousse du cou d'une étudiante de la promo des cerfs.

Les mots, mais surtout les émotions, me manquèrent cruellement lorsque je vins m'agenouiller aux côtés de Léonie, dont les paupières étaient closes.

—Putain ! hurlai-je en oubliant les règles de la discrétion. Qu'est-ce qu'il s'est passé ici ?!

Mais je connaissais déjà la réponse, le téléphone avait vibré avant notre conversation avortée dans les toilettes où nous avions trouvé Lysithea. Elle l'avait dit : un cerf est mort. Je n'y avais pas cru, sur l'instant, mais Lysithea avait dit vrai.

Je sentis ma gorge se resserrer et mon corps se faire lourd quand mes genoux frappèrent le sol. J'attrapai le bras à faible température de la gamine gisant devant mon regard impuissant, et y serrai mes doigts comme pour la réanimer. Je savais que ce geste était aussi futile que vain : je n'avais aucun pouvoir de vie, dans ce jeux, seulement celui de mort. C'était injuste. Tellement injuste. Et maintenant que Léonie était vengée, il n'y avait plus aucun moyen de savoir pourquoi Annette avait agit ainsi.

—Aller, Byleth… Partons. Il n'y a rien ici.

—Rien ? entendais-je. Mais… J'ai entendu…

Mes yeux refusaient de quitter le visage pâle de l'endormie devant moi. Ce n'était pas le premier cadavre sur lequel mon regard s'attardait ce soir, mais… C'était toujours aussi choquant. Le serait-ce moins au fur et à mesure de la nuit ? Cette simple question me dégoutait, et me faisait me haïr moi-même. Peut-on s'habituer à l'horreur ?

—C'était peut-être seulement le vent. Les fenêtres sont fissurées ici aussi.

—Tu as sûrement raison.

Je jetai un dernier regard à l'étudiante, son visage, ses vêtements tâchés, ses bras relâchés de part et d'autre de son corps, sa main serrée sur le pied métallique d'une étagère contre le mur. Une pile de bouquins s'était écrasée là, quelques pages avait certainement volés puisque répandus tout autour. Ma main glissa sur le bras de Léonie jusqu'à sa main presque froide, comme pour lui dire au-revoir. Une dernière fois.

—Allons-y…

Je secouai la tête de bas en haut pour indiquer l'affirmative, et m'apprêtai à me relever quand mon cœur fit un bond dans ma poitrine. Je crû imaginer la pression sur mes doigts, légère mais perceptible, la première fois. Mais lorsqu'elle se fit plus intense, la seconde d'après, assez pour être sûre que je ne rêvais pas, tout l'oxygène fût violemment expulsé de mes poumons.

—Lé… Léonie ?!

Les paupières de la susnommée étaient toujours closes, mais je vis ses lèvres trembler. Elles tentaient de s'ouvrir sans qu'aucun son ne s'échappe. Je n'arrivais pas à y croire, c'était… C'était impossible !

—El ! m'écriai-je. Elle est encore en vie !