Je n'avais finalement pas résisté à l'envie d'essayer les instruments de Saint Seiros et mes doigts grattaient les cordes d'une guitare classique qui se trouvait dans la pièce depuis une demi-heure maintenant. Je l'avais accordée avec une application installée sur mon téléphone (avant j'étais aussi capable de le faire à l'oreille mais je n'avais pas joué depuis un moment). Je commençais à avoir mal aux doigts. Même si trois cordes seulement étaient filées en métal (contre six pour une folk) ma peau avait retrouvé la souplesse et l'épaisseur de celle d'un nouveau-né. L'extrémité de mes doigts était toute rouge (et barrée par des plis). J'allais devoir reprendre l'habitude si je voulais être capable de produire quelque chose pour l'examen. Je reposai la guitare sur son trépied contre le mur, puis sortis mon téléphone de ma poche.

Vous : Tu es encore au bahut ?

Mes doigts trainèrent le long de chaque étagère, sur chaque meuble. Il y avait des instruments que je n'étais même pas sûre de savoir utiliser. Je ne sais pas vous, mais moi j'ignorais totalement ce qu'était un Kalimba ou une Cigar Box à l'époque. Par contre, je savais ce qu'était un violon, et celui dans l'écrin que j'ouvris était vraiment joli. C'était un Stentor (moins onéreux qu'un Steinway vous pouvez me croire) en bois flammé (loin des effets nacrés premiers prix). J'avais encore du mal à croire que Saint Seiros puisse laisser en libre service des instruments aussi cher (comptez six-cent dollars le violon) mais vu la réputation de l'école, ils devaient trier les candidatures sur le volet.

Edelgard : Oui. Tu es rentrée chez toi ?

Vous : Non, je regarde les instruments de l'école.

Ecole qui ne se refusait rien. Je pris l'archet dans une main et sorti l'objet plus gros de son coffre de velours pour poser mon menton sur la partie noire (ca s'appelait une mentonnière) comme j'avais pu voir faire les professionnels. Je ne savais même pas s'il était accordé (et je ne savais pas accorder un violon) mais glissai quand même la mèche de crins de cheval sur les cordes. Le son produit par l'instrument m'arracha une grimace pas très sexy (ça a toujours l'air plus facile quand on voit les autres faire). Je recommençai, plusieurs fois, et mes oreilles finirent par arrêter de saigner quand je réussi finalement à produire un mi plutôt acceptable. Le violon était accordé, et les notes étaient plutôt jolies. Elles continuaient de raisonner dans mes pensées même quand l'archet quittait le corps. Jolies. Mais difficiles. C'était assez perturbant de jouer d'un instrument à corde sans savoir comment utiliser les cordes. Mes doigts tâtèrent différents emplacements, je trouvai quelques notes mais enchainer était plutôt complexe. Et je ne jouais que sur celle du mi. A côté, la guitare c'était du pipi de chat.

Je pris mon téléphone que j'avais laissé sur l'étagère à côté de l'écrin et cherchai le nom de mon meilleur ami en matière de musique : Youtube. Deux trois publicités m'agacèrent mais j'avais trouvé une vidéo qui s'appelaient « Tutoriel VIOLON N°2 : Mes premières notes au violon » (et fait l'impasse sur le tuto N°1). Encore une fois, ça n'avait pas l'air très difficile (ça ne l'est jamais sur Youtube) mais quand j'essayais de reproduire ce que le bonhomme faisait ça ne rendait pas tout à fait pareil. C'était même plutôt moche au début (ainsi qu'à la fin). Malgré ça, les notes (même les plus douloureuses à entendre) vibraient en moi. C'était une sensation assez étrange, je retenais mon souffle chaque fois que je frottais les cordes. Hélas, j'étais plutôt nulle, alors je décidai de simplement remettre le petit violon à sa place pour m'installer dans un coin, derrière le piano. Je sortis une paire d'oreillettes Bluetooth d'une petite boite dans ma poche que je glissai dans mes oreilles avant de sympathiser un peu plus avec Youtube. Il y avait tellement de vidéos que je ne savais même pas lesquelles regarder, alors je tapai simplement « Violin song ». J'avais déjà entendu parler de Linsey Stirling car elle avait remixé une des musiques d'un jeu que j'aimais beaucoup mais je n'avais jamais écouté. Pour moi, le violon, c'était un truc réservé aux Opéra, au classique, aux orchestres symphoniques aussi. Dès les premières envolées de notes, l'idée que je m'étais faite du violon et autres instruments du genre s'écroula. Elle se fissura en deux avant de se briser complètement. La mélodie était dynamique, puissante, et tellement belle que je me surpris même à fermer les yeux un instant. J'avais la sensation que mon cœur battait au rythme des portées de notes délivrées par l'artiste directement dans ma tête. Il y avait une telle richesse dans l'univers sonore de cette chanson que je me mis à ressentir des émotions nombreuses et diverses qui n'avaient absolument aucune logique. Accompagnées de tout un tas de souvenirs. C'était…

—Magnifique.

J'ouvrai soudain les yeux en réalisant que j'avais prononcé ce mot à haute voix. Et mon cœur manqua un battement quand je compris que je n'étais plus seule. Je n'avais pas fait attention quand mon téléphone avait vibré dans mes mains, ni à la notification qui était pourtant arrivée sous mes yeux (mais je vous rappelle qu'ils étaient fermés) avant de disparaitre et qui disait « J'arrive ». Toute la première moitié d'un album de Lindsey Stirling y était passé. Je retirai une oreillette encore sous le coup des émotions et eu du mal à soutenir l'intensité du regard parme braqué sur moi.

—J'ignorais te faire un tel effet.

—Je ne parlais pas de toi ! J'écoutais juste…

Je rangeai la première oreillette ainsi que la seconde que j'ôtai dans l'étui qui termina dans ma poche avant de verrouiller l'écran du téléphone.

—Laisse tomber.

Il était plus de quatorze-heure et je n'avais pas vu le temps filer. Peut-être m'étais-je même endormie un peu.

—Pourquoi t'es pas en classe ? demandai-je en me relevant devant une Edelgard qui ne cessait de m'observer. Et si tu pouvais cesser de me fixer en souriant ainsi…

—Je ne souris pas.

—Non, tu te moques de moi.

—Pas du tout, mais tu paraissais tellement plongée dans ta bulle que je n'ai pas osé intervenir.

—Et donc ? Pourquoi t'es là ?

—J'ai terminé mon aigle. Et je n'ai pas l'inspiration nécessaire afin de commencer un nouveau projet dans l'immédiat.

—Tu me montres ?

—Hors de question.

—Pourquoi ? Je l'ai bien vu la dernière fois.

—La dernière fois, il n'était pas terminé.

—Normalement, c'est justement quand un travail est terminé qu'on a envie de le montrer aux autres.

—Si la vie était faite de normalement, Byleth, tu ne serais pas à Saint Seiros.

—Ouais ouais, je serais en centre de redressement pour mineurs, c'est ça ?

—Puisque tu es majeure, peut-être pas.

—Je ne l'étais pas au moment des faits. Et puis, j'ai commencé les conneries bien avant ça.

—Je sors donc avec une vraie délinquante.

Le silence marqua un temps de pause. J'avais aussi oublié pendant un court (ou long) moment qu'Edelgard était désormais ma petite-amie. Enfin, personne n'était au courant pour l'heure, et même-moi n'avait pas changé grand-chose de mes habitudes quotidiennes. Je me demandais comment les gens réagiraient de voir une fille comme elle sortir avec une fille comme moi. Ca allait être un sketch.

—Tu voulais me dire quelque chose ?

—C'est toi qui es venue ici.

—Tu as envoyé le premier message.

—Ha, ouais, c'est vrai.

J'avais tellement été absorbée par la lecture de l'album (merci Lindsey) que j'avais complètement oublié ce détails.

—J'ai croisé Ingrid tout à l'heure. Je ne savais pas qu'elle faisait de la basse. Encore moins qu'elle jouait dans un groupe.

—Ingrid est en effet pleine de ressources et encore plus de surprises. J'ai accompagné certaines de leurs prestations en première année.

—Elle est vraiment sympa, Ingrid. Je pensais que…

—Que tous les élèves de Saint Seiros étaient arrogants et prétentieux ?

Mon soupir était plus éloquent qu'une réponse. Encore plus quand j'haussai les épaules. Ma vision de cette académie se déstructurait déjà. C'était pénible d'avoir tort. Enfin, deux trois exceptions ne faisaient pas une généralité à elles seules.

—Hélas, tu portes également l'uniforme désormais.

—J'y ai été forcée !

—Cela va de soi.

—C'est une désillusion totale, je pensais pourtant pouvoir passer l'année à regretter de ne pas être en centre de redressement mais certaines personnes sont plutôt cool.

Encore une fois, deux ou trois personnes plus polies que les autres ne faisaient pas de Saint Seiros un centre de sympathie, je tiens à le préciser, car Saint Seiros avait son lot de plaies.

—Comme Ingrid ? Ai-je du souci à me faire Byleth ?

—N'importe quoi.

Les quelques rires d'Edelgard étaient plutôt discrets, comme si ils avaient du mal à s'extirper de ses lèvres pincées, mais la petite marque à leur commissure était toujours présente.

—J'aime mieux ça. En plus, Ingrid est déjà chasse gardée.

—Ah oui ? Tu as des vues sur elle ?

Edelgard leva un instant les sourcils mais souriait toujours en m'interrogeant du regard.

—Après tout, c'est une très belle fille, en plus d'être gentille, ajoutai-je en la fixant un moment. Elle a même proposé de m'aider avec la musique.

Elle avait surtout proposé que je demande à Sylvain, mais c'était un détail qu'Edelgard n'avait pas besoin de savoir. En plus, j'étais certaine qu'elle saurait aussi me donner deux trois conseils si j'en avais besoin.

—Je me demande pourquoi elle ne se lance pas… m'interrogeai-je à voix haute.

—Les histoires d'Ingrid sont assez compliquées. Dorothea le sait.

—Compliquées comment ?

—Ce n'est pas à moi qu'il faut poser la question.

—Mais tu as la réponse. Il y a vraiment des choses qui arrivent à rester secrètes dans cette école ?

—Non, pas vraiment. Mais ce n'est quand même pas à moi de te répondre. Ce sont leurs histoires et nous n'avons pas à nous en mêler.

Edelgard devint d'un coup plutôt formel. Sujet sensible, j'imaginais. Autant laisser tomber. Je répondis un simple « okay » avant de jeter un œil à l'heure affichée sur mon téléphone.

—Je vais rentrée, et toi ?

—Une voiture passe nous prendre à quinze heures Dimitri et moi. Je vais attendre un peu. Mais je peux t'accompagner dehors si tu le souhaites.

Une voiture les amenait. Une voiture venait les chercher. Et toujours tous les deux. C'était bizarre, mais il était encore tôt pour poser des questions. Et Edelgard m'aurait certainement répondu quelque chose comme « ne t'en fais pas pour ça, je contrôle la situation », ce qui n'aurait répondu à rien finalement.

—Pour donner du crédit ?

—Pour donner du crédit.

Edelgard et moi prîmes le chemin le plus court pour rejoindre le rez-de-chaussée du bâtiment principal. Quelques élèves sortaient de leurs options, et d'autres erraient dans le hall. Les gens parleraient très vite, je le savais à la seule façon qu'ils avaient tous de nous dévisager. Nous arrivâmes sur le parking rapidement après être passées près des casiers récupérer mon matos. J'avais déjà enfilé la veste, mais une fois dehors préférai m'en fumer une avant de mettre les gaz.

—Tu sais que tu n'as pas le droit de fumer ici, n'est-ce pas ?

—Je suis une délinquante. Tu vas me dénoncer ?

—Disons que j'accepte de fermer les yeux si tu ne la jettes pas au sol.

Je sortis d'une autre cachette de mon blazer un petit cendrier de poche (il était noir et en métal) que je secouai devant ses yeux l'air de dire « je suis une délinquante, mais une délinquante respectueuse de son environnement ». La première taffe me donna l'impression de revivre, mais j'avais hâte de rentrer chez moi et de fourrer mes fesses dans mon canapé.

—Et Dimitri, il fait quoi lui ?

—Comme option, tu veux dire ?

—Ouais. Ingrid l'a pas mentionné alors il n'a pas dû suivre le mouvement musical.

J'imaginais déjà le quatuor avec le blond à la voix, et le tableau qui apparut dans mon esprit aurait mérité sa place dans les plus grands musées tellement c'était épique.

—Expression corporelle et artistique.

—C'est-à-dire ?

—Il dance.

J'en restai estomaquée. J'avais imaginé Dimitri comme chanteur, mais j'étais convaincue qu'il faisait quelque chose d'un tantinet plus sportif (même si la dance était aussi un sport), comme courir, ou lancer des javelots (quand il ne les cassait pas) puisque ce type était un véritable athlète. Je ne l'imaginais pas faire des pas de chats en pointes peu confortables. Ils étaient vraiment tous bizarres finalement, chacun suivait son étrange chemin. Edelgard dessinait des oiseaux, Dimitri faisait des barres (en fait, c'était de la danse moderne mais je l'ignorais encore), et Claude préparait ses fameuses « potions d'amour » et autres trucs plutôt douteux dont l'odeur persistait parfois des heures entières dans la cage d'escalier.