Mes petits chats,

Onzième partie de l'histoire de Steve et Bucky au bord de la mer.

Encore un gros morceau mais je n'ai pas pu le séparer sans créer de déséquilibre avec le reste alors je me lance. J'espère que cela gardera quand même la lecture agréable.

Nos deux amis se rapprochent lentement mais sûrement d'un moment très important pour eux. … Comme on dit, suite au prochain épisode :)

D'ici là, je vous laisse en leur compagnie.

Pour les curieux, vous trouverez ci-dessous quelques notes explicatives. Pour tous, je vous souhaite une très bonne lecture et vous salue pour mieux vous retrouver dans quinze jours.

Bien à vous,

ChatonLakmé


Shafer est le nom d'un vignoble californien, créé en 1972 par la famille du même nom. Elle produit un vin rouge (cépage cabaret-sauvignon, une variété de raisin noir) assez alcoolisé, vendu à un prix très élevé. Il a des notes de bois, de cassis et de réglisse.

La California State Polytechnic University (CSPU) est le nom de l'université d'État de Humboldt. Elle se trouve dans la ville d'Arcata, au nord d'Eureka et de l'autre côté d'Arcata Bay et est une des rares universités polytechniques des États-Unis.

Portrait de femme (1881) est le roman le plus connu de l'écrivain américain Henry James (1834-1916). Il relate le destin social et amoureux d'Isabel Archer, jeune Américaine amenée à voyager dans la vieille Europe. L'ouvrage contient l'ensemble des éléments stylistiques les plus caractéristiques de l'auteur, habile à détailler la psychologie humaine .

La bosa nova est un genre musical qui mêle la samba et le cool jazz, né à la fin des années 1950 à Rio de Janeiro au Brésil.

Sollicitée dans le cadre judiciaire, la médecine légale est une spécialité en médecine qui consiste à évaluer les traumatismes et les lésions sur les victimes, vivantes (médecine légale du vivant) ou décédées (thanatologie).


L'homme de la plage

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Onzième partie

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Début octobre


— « Encore toutes mes félicitations pour ton nouvel emploi mon ami ! Trinque avec moi ! Non, fais-le mieux que ça ! »

Sam attrape le verre de Chris pour le faire tinter bruyamment contre le sien, un sourire ravi aux lèvres. L'excellent Shafer 2021 tangue dangereusement sur le bord et Bucky voit Maria se raidir à côté de lui. Une tache sur le beau tapis en laine bouclée de leur salon serait irrécupérable.

— « Sam… », dit-elle d'un ton menaçant.

Son compagnon boit trois longues gorgées d'affilée pour éviter une catastrophe avant de faire claquer sa langue contre son palais de satisfaction. Cette fois, la jeune femme le fusille du regard. C'est une insulte de déguster ce cabernet-sauvignon comme une pinte de bière fraîche par une journée écrasante de chaleur.

Son verre à la main, Bucky ricane et se contente de mouiller ses lèvres dans l'alcool. Assis en face de lui, Chris accompagne poliment Sam. Trop poliment car le jeune homme appuie sur le pied de son verre pour l'inciter à boire plus, un rire malicieux accroché aux lèvres. Le blond proteste aussi gentiment que possible, Bucky sourit doucement. Leurs regards se croisent de part et d'autre de la table basse et ils tournent légèrement la tête, un peu gênés.

Sam, tout à son ivresse gentiment joyeuse, n'a rien remarqué mais le brun sent le regard perçant de Maria peser sur lui. Elle se penche en avant et pose son verre encore à demi plein sur la table basse.

— « N'essaye même pas de me resservir », menace-t-elle tandis que Sam s'approche avec la bouteille. « L'un d'entre nous doit garder les idées claires pour ranger l'appartement après notre soirée. »

— « On le fera demain ma douce. »

— « Le salon va sentir l'alcool et la viande grillée. Quand tu te lèveras demain matin avec la gueule de bois tu en auras la nausée. Je rangerai ce soir. »

— « Je t'aiderai », s'empresse de proposer Chris.

— « Toi et James êtes nos invités, c'est hors de question. Sam n'a qu'à cesser de se comporter comme s'il était encore au lycée… »

— « Je fais seulement honneur à ce délicieux vin de Californie que Bucky a apporté pour qu'on trinque à la réussite professionnelle de Chris ! » Sam se tourne vers le blond. « … Est-ce que je t'ai déjà félicité ? »

— « Plusieurs fois Sam. Tiens ton verre plus droit ou tu vas tacher votre tapis », rit le jeune homme.

Sam termine son verre d'une grande traite avant de se resservir avec enthousiasme. Ses babillements envahissent le salon de l'appartement, le vin est bon, la chaleur agréable. Chris et lui se regardent et se sourient à nouveau réellement même s'il y a encore un peu de gêne.

Bucky s'enfonce légèrement dans le canapé de contentement.

Ils progressent bien quand même. Chris et lui ont eu raison de délocaliser leur barbecue chez leurs amis. L'ambiance n'est plus tout à fait la même à la maison dernièrement et elle sent l'eau légèrement croupie. Littéralement. Un gros accident avec le lave-linge quand le brun a voulu faire la lessive de tout le linge de toilette souillé par le bain de Sandy. Dégât des eaux dans la buanderie. Une partie des lames du parquet est à changer, gondolées et abîmées par l'eau souillée. Cela fait déjà une semaine mais l'odeur est encore perceptible au rez-de-chaussée. On a connu franchement mieux pour aiguiser l'appétit.

Bucky entend son ventre gronder doucement et il le frotte distraitement du plat de la main. Sam éclate bruyamment de rire comme si c'était la chose la plus amusante du monde. Il sourit. Les pitreries de son meilleur ami et un bon repas les aideront à effacer les dernières miettes de gêne qui existent entre eux pour que tout redevienne comme avant le jeune homme en est convaincu. Bucky n'attend que ça, il sait qu'il en est de même pour Chris.

Il jette un regard à son ami. Ses yeux brillent doucement et il ne cesse de sourire et de rire. Pour de vrai. Ouais, les choses iront forcément bien mieux à la fin de soirée.

Sam lève à nouveau son verre devant lui.

— « J'allais oublier ! Je trinque aussi à ta splendide Mercedes, je tuerais pour pouvoir conduire un monstre pareil ! », s'esclaffe-t-il avec joie. « S'il te plaît, dis-moi que tu es venu avec et que je pourrais l'essayer en faisant un tour dans le quartier. »

— « Eureka n'est pas prête pour ça », marmotte Bucky en savourant une gorgée.

Sam lui jette un regard luisant.

— « Je suis sûr que Chris t'a déjà laissé la conduire et pourtant tout Eureka se souvient encore du jour où tu as passé ton permis Buck'… »

— « Menteur. Je l'ai eu au deuxième examen, c'est très honorable », proteste le brun en se redressant.

Chris pouffe et secoue la tête.

— « Je suis désolé Sam, on est venu avec le pick-up. »

— « Oh non ! Le vieux Ford de Buck' et ma petite chérie aux longues oreilles qui n'est pas là ! La viande a intérêt à être bonne mon pote », grogne Sam en pointant un doigt menaçant dans sa direction.

Le brun hausse légèrement les épaules.

— « Là, c'est Sand' qui n'est pas prête pour ça. Le Dr Dubach a dit qu'elle devait rester tranquillement à la maison et manger uniquement du riz et du blanc de poulet pendant les prochains jours. » Il lorgne sur son meilleur ami. « Tu es incapable de ne pas la gâter quand tu la vois, exactement comme Chris. Ce n'est pas dans notre salon qu'elle aurait vomi mais sur votre beau tapis. »

Maria grimace légèrement de dégoût. Bucky a découvert avec étonnement que sa chienne n'a pas réellement d'instinct de préservation. L'eau saumâtre et malodorante qui coulait dans la buanderie s'est avérée une grande source de curiosité pour Sandy. Elle en a bu à grandes lampées et s'est rendue malade.

Le brun se mord les joues. La semaine a vraiment été très longue, rendue plus difficilement encore par la gêne qui règne dans la maison, sa propre frustration et les prudences excessives de Chris. Il a réellement hâte qu'ils tournent la page et qu'ils ne parlent plus jamais de ce qu'il s'est passé dans la salle de bain. Plus jamais.

— « Les travaux avancent bien ? », lui demande la jeune femme.

— « Le menuisier devrait intervenir la semaine prochaine pour changer les lattes du parquet. Chris a pris les choses en main et il gère ça comme un chef », répond Bucky en désignant son colocataire.

— « J'attends encore les devis pour faire changer la VMC, j'ai suggéré à Bucky d'en faire installer une plus puissante. C'est toujours utile dans une pièce humide et ça permettra d'assainir l'air plus facilement. La buanderie sent encore l'eau croupie… »

— « Il gère comme un chef », répète le brun en hochant la tête avec conviction.

Chris le remercie d'un sourire, plus franc et vrai que tous ceux de la semaine passée.

Bucky sent son ventre se tordre légèrement. Il a tellement foiré les choses cette dernière semaine. Il aurait pu perdre tout ça.

Le soir de leur dispute – peut-il réellement l'appeler comme ça ? – son ami est rentré après son urgence sur le chantier. Ça n'a pas suffi à le rassurer. Il a été ombrageux, d'une nervosité de sensitive jusqu'à ce que le dégât des eaux ne le fasse réellement exploser de colère. Un excellent moyen de passer sa frustration plutôt que de faire quelque chose d'encore plus stupide. Ça a été si facile d'insulter l'appareil, d'aboyer après Sandy, de jurer contre l'eau qui s'infiltrait partout. Jusqu'à ce qu'il réalise que l'odeur croupie était tellement insupportable dans la chambre de son colocataire que ce dernier pouvait décider de partir. Bucky n'aurait pas pu lui en vouloir, il ne faisait pas grand-chose pour le retenir. Trop mortifié, trop frustré et en colère contre lui-même. Terreur absolue jusqu'à ce que Chris lui dise qu'il comptait occuper le canapé du salon en attendant la fin du chantier. Le brun aurait pu en pleurer de soulagement. À partir de là, il a pris sur lui et a arrêté de se comporter comme un con. Il a sincèrement remercié Chris pour son aide dans la gestion du sinistre, il a acheté le gâteau préféré du blond dans cette tarterie du centre-ville pour se faire pardonner. Il le lui a offert avec la même gêne que s'il s'agissait d'un bouquet pour le bal de promo du lycée. On tente de récupérer des points comme on peut.

— « Je compatis sincèrement à ce qu'il vous est arrivé mais c'est agréable de vous avoir à la maison », reprend Maria en souriant. « Ce barbecue est une excellente idée. »

— « Une délicieuse idée », ajoute Sam avec gourmandise.

Bucky roule des yeux. Chris et lui ont apporté la viande qu'ils avaient déjà achetée, l'excellente bouteille de Shafer et un bouquet pour la jeune femme. Si son meilleur ami pense pouvoir manger jusqu'à écœurement des travers de porc marinés, il ne connaît pas l'énorme appétit de son colocataire. Bucky a presque hâte de les voir se disputer le dernier morceau pour lequel le blond a attendu pendant plus d'une demi-heure dans la file d'attente de la boucherie sur F Street. Il sait que Chris ne lâchera rien, c'est ce qu'il préfère. Ça va être amusant.

— « Vous êtes allé faire les courses avec la Mercedes ? »

— « Sam, laisse nous tranquille avec cette voiture… », soupire Maria.

— « Seulement quand j'aurai posé mes fesses à l'intérieur », proteste le jeune homme. « Tu n'aimerais pas que je te conduise à Providence avec, ma chérie ? On aurait l'air d'un couple de célébrités. »

— « Ma Smart me convient très bien », roule-t-elle des yeux.

— « Autant que mon pick-up », ajoute Bucky en souriant.

Sam lui jette un regard noir.

— « Ose me dire les yeux dans les yeux que tu refuserais de conduire cette splendeur si Chris te le proposait ? », le défie-t-il en haussant un sourcil.

Le brun hausse les épaules. Outre sa ligne racée et presque sensuelle, cette berline est un monstre de mécanique et de puissance. Il serait stupide de prétendre le contraire et de défendre le pauvre moteur un peu fatigué de son Ford.

— « … Tu pourrais le faire. »

Bucky lève brusquement les yeux sur son ami. Chris se mordille légèrement les joues.

— « Tu dis que le pick-up fait un bruit étrange depuis quelques jours, je pensais te la proposer pour te dépanner si le Ford devait rester en réparation. Je pourrais accorder mes déplacements avec les tiens pour la laisser un peu plus à la maison. »

— « Tu es le seul conducteur déclaré à l'assurance », lui rappelle doucement le brun.

— « On s'arrangerait entre nous. Je suis sûr que David n'y serait pas opposé », s'empresse d'ajouter Chris. « C'est juste pour t'aider… »

— « Oh aller Buck', ne te fais pas prier », ricane Sam avec envie. « Je suis sûr qu'elle fait le plus joli bruit du monde quand elle roule sur la 101. »

— « Elle le fait. C'est très agréable à entendre et plus encore d'appuyer sur l'accélérateur », le taquine Chris.

— « Je te déteste », gémit le jeune homme d'un air de martyr.

Tous éclatent de rire. Un sourire affectueux aux lèvres, Bucky lève légèrement son verre vers son colocataire pour le remercier. À sa grande surprise, Chris se lève précipitamment pour le faire tinter contre le sien. Comme une promesse. Ou pour conjurer le mauvais sort.

— « Je suis sérieux », souffle-t-il en le regardant.

— « Je sais, tu l'es toujours. Merci », lui répond gentiment le brun.

Sam applaudit avec enthousiasme avant de se renverser d'aise contre le dossier du canapé. Chris lui retire habilement son verre pour éviter une catastrophe et Maria le remercie d'un sourire soulagé.

— « Quelle chance tu as de travailler pour David Dumault. Il est l'un des plus gros propriétaires fonciers d'Eureka tu sais », reprend-il en lui jetant un regard. « C'est une extraordinaire opportunité pour toi. Tu vas rencontrer beaucoup de gens, développer ton propre réseau et pouvoir investir à ton tour dans l'immobilier. Tout le monde sait qu'il est un très bon employeur. »

— « Il est généreux mais exigeant. Ne crois pas que la berline, le portable et l'ordinateur dernier cri sont des cadeaux », le corrige doucement Chris.

— « Tu oublies ta remarquable complémentaire santé », ajoute Bucky avec malice.

Son ami lui jette un regard noir et il glousse doucement. Il glousse. Bon sang, ça revient vraiment, ce truc entre eux.

— « Toi plus que quiconque tu sais que je travaille très dur. Je pars souvent très tôt le matin pour visiter un chantier et parfois je rentre vraiment très tard. Je ne peux pas toujours dîner avec toi même si tu essayes de m'attendre », dit Chris d'un air entendu.

— « Adorable », roucoule Sam. « Et comment Buck' sait-il à quelle heure tu pars ? Tu te lèves en même temps pour le voir ? »

Le brun rougit légèrement et lui jette un biscuit apéritif. La boule au fromage le manque et tombe sur le tapis mais Sam se penche pour l'attraper et la manger. Tous grimacent légèrement.

— « Tu fais la même chose quand je suis de permanence à Providence. Tu essayes vraiment dur de m'attendre mais je te trouve toujours endormir sur le canapé devant la télé quand ça arrive. Tu es très mignon », fait remarquer Maria d'un ton nonchalant.

— « Je ne répondrai rien à ça ma chérie. Mais Chris est vraiment verni s'il a même quelqu'un qui l'attend à son retour », ricane Sam.

Bucky a l'impression que la chaleur inonde son cou et ses oreilles. Le sale petit…

— « Ils sont deux en réalité. Sandy couine chaque matin et elle me fait la fête chaque soir », précise Chris.

— « Ouais. Comme Buck'… »

Cette fois, le brun a envie de lui jeter tout le bol de boules au fromage au visage. Sam glousse de contentement, Bucky a l'impression de le revoir à quatorze ans quand il le taquinait sur son béguin pour ce garçon plus âgé et lui faisait des suggestions censées faire tomber ce dernier dans ses bras. Tu parles. Maria éloigne prudemment les biscuits apéritifs de lui.

— « Plus sérieusement, tu devrais peut-être profiter de ton nouveau poste pour réfléchir à la suite », reprend-il en regardant Chris.

— « La suite de quoi ? »

— « De ta vie parmi nous ici, à Eureka », ricane Sam. « La maison de Bucky est charmante mais tu pourrais sans doute faire de très bonnes affaires dans des quartiers encore sous-estimés de la ville. David pourrait t'aider pour ça, je suis sûr que ce vieux renard y pense déjà lui-même. Notre quartier de Rosewood est très bien par exemple et les tarifs sont encore compétitifs. Avec la pression immobilière provoquée par les étudiants de la CSPU, tu ne perdras jamais d'argent en achetant en appartement à louer. Je peux te donner le numéro de téléphone de l'agent immobilier qui nous a aidé. Juliet est très bien. »

— « Oui, elle adorait ton petit bouc et tes cheveux coupés très court. Si tu l'avais suivi dans son délire et accepté d'être soldat, je suis certaine qu'elle aurait tout fait pour que le propriétaire accepte notre premier prix. On aurait pu avoir la maison pour cinq mille dollars de moins », persifle Maria d'un air peu amène.

Sam ricane d'aise. Ce souvenir a l'air de le chatouiller agréablement mais le regard de sa compagne est glacial. Le jeune homme se lève, tangue un peu avant de chasser Bucky du canapé pour prendre sa place. Le brun va s'asseoir à côté de Chris qui l'accueille avec un sourire timide. Bon, eh bien ça progresse vraiment. Le couple gazouille un peu devant lui, surtout Sam, et c'est gênant pour eux deux.

— « Tu as vu à quoi ressemble Chris depuis qu'il a cette barbe de trois jours ? Juliet défendra son dossier pour dix mille dollars de moins », reprend Sam.

— « Ça ne m'intéresse pas », proteste doucement le blond.

— « Oh mon pote, ça pourrait vraiment être bien que tu te constitues un capital. »

— « Je ne travaille que depuis quelques semaines, aucune banque n'acceptera de me faire un prêt. »

— « Je ne te parle pas d'un investissement immédiat », ricane Sam. « Je dis juste que tu pourrais vraiment mettre à profit ta situation actuelle. Tu n'as pas de loyer à payer, presque pas de charges. C'est idéal pour épargner. »

Bucky voit son ami pâlir un peu et il fusille Sam du regard. Son meilleur ami doit vraiment avoir l'esprit embrouillé par le vin pour parler avec autant de désinvolture de ce sujet. Moins de quatre mois et Chris continue à vouloir faire plus, participer plus, payer plus. Le brun est parvenu à le convaincre de longue haleine de partager les frais induis par le dégât des eaux. Son colocataire voulait régler seul toutes les factures.

Maria pince le genou de son compagnon avant de se lever pour sortir sur la terrasse. Les braises du barbecue rougeoie agréablement, Bucky aperçoit des flammèches qui lèchent les grilles. Il se lève à son tour pour aider la jeune femme.

— « Est-ce que je peux faire quelque chose ? », s'empresse de demander Chris.

— « C'est ta journée. Tu vois ces guirlandes électriques accrochées dans le jardin ? Nous les avons sorties pour toi alors fais-moi le plaisir de rester assis et de te faire servir », sourit le brun.

— « Surveille bien la cuisson des pommes de terre dans le brasero », ajoute Sam en riant. « Nous survivrons si les légumes verts de Chris brûlent sur la plancha mais pas de barbecue sans des pommes de terre. »

— « Amen mon frère », ricane Bucky.

Par la baie vitrée entrouverte, il entend son ami défendre avec conviction la recette de légumes marinés que Susan lui a conseillé et Sam protester en riant. Le brun tient le plat de viande à Maria tandis que la jeune femme retire les morceaux de la grille brûlante et en vérifie la cuisson. La chair grésille joyeusement et l'odeur des épices embaume le jardin. Bucky se lèche distraitement les lèvres. Mr Vitali est un génie quand il s'agit de créer des marinades pour accompagner des travers de porc ou une côte de bœuf.

— « Alors, tu veux le numéro de Juliet ? », entend-il.

— « Non Sam je te remercie. Je préfère que les choses restent comme elles sont. J'aime habiter avec Bucky.

— « L'un n'empêche pas l'autre. »

Le brun jette un regard noir à son meilleur ami par-dessus son épaule. Sam ne le remarque pas. Il est retourné s'asseoir à côté de Chris et Bucky lui en veut mortellement d'avoir pris sa place. Maria le bouscule amicalement d'une épaule pour attirer son attention.

— « Il va finir par se lasser. Tu sais comment est Sam avec les gens qu'il apprécie. Il ne veut que le meilleur pour eux. »

— « Chris vient de dire que le meilleur est de rester avec moi », siffle Bucky avant de rougir un peu.

La jeune femme n'ajoute rien mais son sourire est éloquent. Elle indique aux deux hommes de se mettre à table, Sam s'exécute avec empressement tandis que Chris lui emboîte le pas en apportant leurs verres à tous dans la salle à manger. Le blond reste debout à côté de sa chaise. Quand il s'empare des couverts de service, Bucky pose le plat de viande sur la table et appuie sur son épaule pour l'inviter à s'installer.

— « Je te sers Chris. Assieds-toi et ne fais plus rien s'il te plaît. »

Sam tente de se faire servir le plus beau, le plus gros morceau de porc à ses yeux. Bucky le dépose ostensiblement dans l'assiette du blond sans quitter son meilleur ami du regard. Maria et lui achèvent le service avant de s'asseoir à leur tour. Sam s'est consolé en ajoutant des brochettes de poulet aux épices cajun à son assiette et il claque sa langue de satisfaction contre son palais. Il déchante légèrement quand sa compagne ajoute dans son assiette des légumes.

— « Ma douce, c'est trop vert. »

— « C'est exactement ce dont tu as besoin. Tu manges trop souvent sur le pouce aux urgences alors fais-moi le plaisir de manger un peu plus équilibré pour une fois. Chris a eu raison d'apporter ce plat », le gronde-t-elle.

Sam a soudain l'air si déconfit que Bucky éclate de rire. Il n'a lui-même qu'un intérêt très modéré pour la chose mais il laisse Chris le servir généreusement. Sa satisfaction le rend charmant, il a roulé les manches de son polo sur ses avant-bras parce qu'il fait chaud dans le salon de leurs amis. Ça distrait un peu le brun.

Sam goûte du bout des lèvres sans enthousiasme avant de gémir d'une manière presque obscène quand il déguste la première bouchée de son travers de porc. Maria lève les yeux au plafond.

— « Tu vas les finir, Sam. »

— « …Je ne peux pas lutter contre un homme qui t'amène des fleurs », ronchonne le jeune homme et Chris a très bien choisi la composition florale. « Sans compter cette barbe et cette coupe branchée. Une envie de changement peut-être ? »

Le blond caresse distraitement sa mâchoire du bout des doigts. Bucky a l'impression de sentir le crissement des poils un peu drus jusque dans ses os. Ça le fait toujours autant chavirer, même quand il faisait la tête et que Chris ne cessait de faire ce geste pour manifester sa gêne. Il a souffert.

— « C'est une suggestion de Miss Patty et l'envie de ne plus ressembler à l'homme que Bucky a trouvé à Humboldt Beach. Je préfère ce que me renvoie le miroir ces derniers temps, j'ai l'air moins perdu. »

— « Tu as l'air assez sexy. Tu dois être le plus sexy de tous les hipsters sexy de ce côté d'Arcata Bay », marmotte Sam en mangeant.

— « Tu exagères », souffle Chris avec gêne.

— « Pas du tout mon pote. Regarde les gens autour de cette table, je suis excellent juge en matière de beauté. Tu es sexy en diable. Ne le regarde pas trop longtemps Maria ou tu pourrais succomber à son charme. »

— « Le jour où tu m'interdiras quelque chose n'est pas encore arrivé mon chéri. Et tu devrais être rassuré, nous parlions encore mariage il y a quelques jours… », lui répond la jeune femme d'un air nonchalant.

Bucky garde sa fourchette en l'air tandis qu'il écarquille les yeux de surprise. Pour la première fois de la soirée, Sam rougit violemment et essaye de se faire un peu petit sur sa chaise.

— « On n'avait dit qu'on n'en parlerait pas encore… », proteste-t-il.

— « C'est ce que tu veux, c'est ce que je veux alors inutile de garder plus longtemps le mystère. J'y aurais peut-être pensé à deux fois si tu semblais un peu moins ivre », sourit Maria d'un air charmant.

— « … Vous allez vous marier ? »

Sam semble rougir encore plus fort en face de lui. De la pointe de sa fourchette, il joue distraitement avec un morceau de pomme de terre.

— « Vous allez vous marier ? C'est – Bon sang, c'est – Sam ? », croasse Bucky.

— « Marie et moi sommes ensemble depuis presque dix ans Buck', je trouve assez raisonnable d'avoir envie d'un seul nom sur notre boîte aux lettres. Ça pourrait être vraiment bien », sourit doucement son ami.

— « … Mais je te connais depuis toujours, je t'ai vu courir tout nu sur Manila Beach lors de ta première cuite et je t'ai offert les moitiés de tes figurines de super-héros Marvel quand tu les collectionnais à quinze ans », balbutie le brun d'un air un peu ahuri.

— « J'ai grandi mais merci pour ces précieux et impérissables souvenirs », grommelle Sam en levant les yeux au plafond.

Maria pouffe tendrement. Toujours un peu halluciné, Bucky voit Chris se lever précipitamment pour récupérer la bouteille de Shafer sur la table basse du salon et leur en servir un fond à tous.

— « Je trinque aux boîtes aux lettres avec un seul nom de famille », s'esclaffe-t-il malicieusement.

Les quatre amis se lèvent et trinquent avec enthousiasme. Le brun est sûr qu'il a le visage un peu rouge. Sam le fixe avec attention avant de lui faire un clin d'œil.

— « Tu verras Buck', un jour tu connaîtras aussi la vie des grandes personnes. »

— « Enfoiré », grommelle-t-il.

— « À d'autres mon pote, tu rougis comme si c'est toi qui allais l'accrocher sur ta boîte aux lettres. »

Le jeune homme boit son verre et le repose en soupirant doucement.

— « Tu es épuisant ce soir », dit-il en se rasseyant.

— « Il y a trop longtemps que nous ne sommes pas vus pour que tu y échappes, James », réplique son ami, hilare.

— « Ne te moque pas, Samuel », dit Maria en accentuant à dessein les syllabes de son prénom. « Tu as aussi un très beau prénom, très distingué. »

Les lèvres sur le col de son verre, Chris rit joyeusement. Son corps est chaud à côté du sien. Bucky hausse légèrement les épaules.

— « On le trouvait prétentieux quand j'étais adolescent. Quand on a étudié Portrait de femme au lycée, Sam a été assez compatissant pour se mettre à brailler mon surnom pour que tout le monde l'utilise », sourit-il avec une pointe de mélancolie.

— « Mon professeur de littérature de lycée était passionné par Georges Orwell. Tu aurais pu plus mal tomber », ajoute Maria avec taquinerie.

Sam éclate de rire et se renverse à moitié sur sa chaise.

— « … Tu aurais aussi pour t'appeler Lévine », renchérit Chris en lui jetant un regard malicieux.

— « Tu es blessant, j'aurai au moins été un Alexis », lui rétorque le brun du tac-au-tac.

Par coquetterie, il préfère s'imaginer comme le beau militaire et amant d'Anna Karénine. Il se serait contenté du brillant uniforme, de la longue épée et du cheval pour charmer un autre soldat. Chris grimace légèrement.

— « Tu es très mauvais quand il s'agit de viser quelqu'un avec une boule au fromage, je ne pense pas que ta carrière militaire aurait été la plus brillante du monde. Tu es définitivement comme Lévine. »

— « Qui est Lévine ? », demande Sam avec curiosité.

— « C'est l'amoureux attentionné de la belle-sœur de l'héroïne. Il est gentil et fidèle », explique Chris en mangeant un morceau de viande.

— « Ouais, définitivement comme Buck' », ricane le jeune homme. « Vous en êtes à faire des jeux de mots que vous êtes les seuls à comprendre. Il se passe trop de choses que j'ignore dans cette maison de Manila… »

— « Parle pour toi mon chéri, j'ai étudié Anna Karénine quand j'étais dans ce club de lecture à l'université », sourit Maria. « Tu l'as lu aussi Chris ? »

— « J'essaye mais pas plus d'une ou deux pages par jour. Mon travail pour David est prenant, je m'endors souvent avant de finir », avoue le blond.

Sam grimace d'un air outré. Bucky se perd agréablement dans ses pensées. Chris qui dodeline de la tête dans son lit, la lumière de la lampe de chevet adoucissant les traits de son visage et rendant sa peau nue plus veloutée. Distrayant. Au moins autant que de s'imaginer tendre le bras au-dessus de lui pour l'éteindre, embrasser son épaule en guise de bonne nuit. Se pelotonner l'un contre l'autre sous les draps. Juste ça. Le brun avale une grosse bouchée de légumes pour se redonner une contenance. C'est meilleur qu'il ne le pensait.

— « C'est tellement domestique mon pote. Ne le dis à personne ou ta cote de popularité de hipster sexy va s'effondrer », se moque-t-il.

— « Au moins autant que toi quand tu fais les mots croisés du Time Standard en m'attendant le soir. »

— « C'est tellement domestique Sam », le singe Bucky en riant.

Le jeune homme renifle légèrement. Il pique du bout de sa fourchette le plus gros travers de porc du plat pour le déposer dans son assiette.

— « Je préfère que nous changions immédiatement de conversation », marmotte-t-il avant de pointer sa fourchette couverte de gras vers Chris. « Je suis certain de te battre sur au moins une chose, je parviens à rester très longtemps en apnée sous l'eau. Et je sais faire le poirier. Demande à Buck', il peut en témoigner. »

— « … Tu sais faire ça ? », demande le blond en se tournant vers Bucky.

Le jeune homme hausse légèrement les épaules.

— « La seule fois où j'ai essayé, j'ai bu la tasse et j'ai manqué de lui briser le nez en battant des jambes pour garder l'équilibre… », avoue-t-il avant de jeter un regard à Sam. « Ce n'est pas une compétition. »

— « C'est ce que disent tous les perdants. Je te mets au défi de faire mieux que lui. »

Chris roule un instant des yeux. Sam tend à nouveau sa fourchette pour se servir un autre gros morceau et le blond le lui ravit habilement devant lui.

— « Peut-être plus tard. Quand tu seras un peu plus sobre, moi aussi et que je pourrais garder efficacement les yeux sur toi pour t'éviter de boire la tasse. »

— « Froussard… », marmonne Sam.

Chris a un geste superbe de résignation qui fait ricaner le brun. Leur table finit par observer Sam et Chris s'affronter pour terminer le plat de viande. Maria grimace légèrement de dégoût, Bucky est trop repu et trop bien pour s'en offusquer. Il encourage mollement Sam, plus efficacement son colocataire. Après un âtre combat à coups de fourchette, son meilleur ami doit reconnaître sa défaite. Il se venge en terminant les brochettes avec des gémissements outrés de plaisir. Bucky savait que Chris allait l'emporter, il reste quand même un peu admiratif de la quantité de nourriture que son ami a avalé sans sourciller. Finalement, les pieds des chaises raclent légèrement sur le carrelage alors que tous se mettent un peu plus à l'aise autour de la table. Le salon est envahi par un silence confortable, celui de profond contentement qui succède à un excellent repas. Des odeurs d'épices et de grillade flottent encore dans l'air, accompagnées du parfum plus tannique du vin qui reste au fond des verres.

— « C'était divin », soupire Sam d'un ton presque voluptueux.

Des marmonnements paresseux lui répondent en guise d'acquiescement. Bucky recule encore un peu sa chaise et pose familièrement son bras sur le dos de celle de Chris. Il se sent vraiment bien. À nouveau à sa place. Il sent la chaleur du dos de son ami irradier jusqu'à lui, jusque dans sa main et il serait facile de déplier les doigts pour l'effleurer. Le brun crispe légèrement ses doigts sur le dossier. Il veut se retirer mais Chris lui jette un regard, un sourire doux aux lèvres. Ce sourire qui dit que tout va bien. Bucky cale à nouveau ses reins contre sa chaise et ne bouge pas. Il n'y a pas de problème.

Sam grogne et passe une main lourde sur son visage.

— « J'ai besoin d'aller prendre l'air », marmotte-t-il en se levant péniblement. « Chris ? Tu m'accompagnes ? »

Le jeune homme, qui commençait à aider Maria à débarrasser, se fige, un peu incertain. Bucky lui retire l'assiette sale des mains d'un air un peu lascif de bien-être.

— « Tu veux bien s'il te plaît ? Sam a beaucoup bu. »

— « Ouais, viens avec moi Chris. Tu vas voir comme je sais bien faire le poirier. »

— « Tu viens de manger ton poids en viande et en pommes de terre », lui rappelle le blond.

— « Mon pote, j'ai été étudiant en médecine pendant sept ans. Crois-moi, mon estomac est en acier trempé… »

Chris roule des yeux et abandonne la vaisselle sale. Maria lui sourit gentiment.

— « Merci. Et évite de le laisser s'approcher du jacuzzi, Sam a des lubies étranges quand il a bu. »

Le blond s'empresse de quitter le salon pour rejoindre le jardin. Sur la terrasse, Sam chante très faux un air à la mode. Bucky se lève lentement et se retient de se frotter le ventre. Il a trop mangé. Maria est déjà retournée dans la cuisine avec les plats de service, le brun lui emboîte le pas avec les assiettes.

— « Je vais laver ce que tu as apporté pour que tu puisses repartir avec », lui dit la jeune femme, les mains dans l'évier.

Bucky louche un peu sur le gras et les traces de sang qui maculent le verre. Ça lui donne un peu la nausée.

— « Ne te préoccupe pas de ça, je les laverai à la maison. »

La jeune femme ricane et fait couler l'eau chaude pour les rincer avant de passer l'éponge dessus. Bonne idée finalement, la seule idée des odeurs de nourriture dans le pick-up sur le chemin du retour lui donne la bouche un peu sèche. La fenêtre de la cuisine est entrouverte, Bucky se place à côté d'elle pour sentir un peu d'air frais sur son visage. Depuis le jardin, de bruyants éclats de rire et la voix toujours aussi fausse de Sam semblent résonner dans tout le quartier. Entre deux refrains de chansons pop, il entend aussi Chris, plus mesuré et prudent. Le brun pose sa tête contre la fenêtre et soupire doucement. Son esprit bourdonne, un peu embrumé par l'alcool.

— « Sam est intenable ce soir, j'ai l'impression qu'il a à nouveau quinze ans. Il pouvait être vraiment infernal à cette époque, sa mère pensait même qu'il était hyperactif. »

— « Il est juste très heureux de t'avoir ici. Tu lui manques. »

Bucky tourne la tête vers Maria. La jeune femme est en train de faire la vaisselle avec des gestes doux et appliqués, le verre tinte à peine entre ses doigts. Le brun est un peu admiratif.

— « Tu lui as beaucoup manqué ces derniers temps », reprend-elle. « Sam croise régulièrement Chris à Providence mais tu es plus rarement à Eureka ces derniers temps. »

— « Je n'ai pas – Je ne me suis pas éloigné », proteste-t-il en fronçant les sourcils et les mots sonnent faux dans sa bouche. « J'ai été occupé avec la traduction et les changements dans la vie de Chris. »

Et la Chose qui s'est passée dans la salle de bain, ses propres sentiments, ses ennuis avec Stark Publishing… Oh, mince.

Maria sourit en coin.

— « Je ne t'accuse de rien. Sam apprécie beaucoup Chris mais il n'est pas son meilleur ami et il est un peu… tourmenté d'avoir de tes nouvelles par son intermédiaire plutôt que par toi. »

— « Il n'a pas à être tourmenté, il ne se passe pas grand-chose d'intéressant dans ma vie dernièrement », marmotte-t-il.

Pieux mensonge. La jeune femme lui jette un regard en coin.

— « Pas même cette professeure de l'université d'Arizona qui te fait jurer comme un docker ?

Le brun enfonce légèrement sa tête entre ses épaules. Ce n'est qu'un petit rien, vraiment pas très important. Pas comme le Monstre qui régnait encore dans la maison il y a quelques jours mais ça, Bucky n'aurait jamais pu en parler à Sam. Ça aurait probablement ressemblé à quelque chose comme « Je te l'avais bien dit » ou « Tu as tendu la corde pour te faire pendre » et ce n'est pas ce qu'il a envie d'entendre.

— « Sam ne se plaindra jamais parce qu'il est parfois têtu et un peu orgueilleux mais je sais qu'il demande après toi. … Il est vraiment très heureux que tu aies proposé cette soirée chez nous. » Un rire résonne dans le jardin et la jeune femme lève les yeux au plafond. « Ça explique probablement la raison pour laquelle il a fait tant honneur à ta bouteille de Shafer. »

— « C'est un excellent vin », proteste un peu le brun.

— « Il l'est », acquiesce Maria.

Les deux amis échangent un sourire avant de rire doucement. Bucky s'appuie à nouveau contre la fenêtre.

— « … Chris a pris beaucoup de place dans ma vie. Quand je l'ai invité chez moi, je n'ai probablement pas entièrement réalisé ce que signifiait d'avoir une vie à deux… en quelque sorte », précise-t-il en sentant ses oreilles chauffer un peu.

— « Sam n'a pas tort quand il se moque gentiment de vos petites manies. Quand nous nous sommes rencontrés, tu as mis des semaines à m'accepter dans vos rencontres entre garçons alors que tu t'entends avec Chris comme si vous vous étiez toujours connus. »

— « Ce n'est pas – »

— « Ce n'est pas grave, j'ai appris à te connaître et à t'apprivoiser », rit Maria en se moquant gentiment. « Tu as eu un coup de foudre amical pour Chris et c'est très bien. Je suis contente de savoir qu'il y a quelqu'un avec toi et que ça te rend en paix. »

— « … Je suppose que c'est ce qui arrive quand deux personnes deviennent proches. » Bucky ricane mais sa gorge est un peu serrée. « Chris est très… important pour moi. »

— « C'est bien, ça a l'air de te rendre heureux. »

Le brun regarde son amie. Maria sourit doucement, ses lèvres pleines joliment ourlées par un sourire. Elle s'applique à sa tâche, ses gestes sont lents, sans violence mais appliqués. Bucky se mord les joues. Il pourra accuser l'alcool plus tard ou juste cette atmosphère qui à cet instant, le fait se sentir en sécurité. Lui donne envie de baisser un peu ses barrières.

Dans le jardin, Chris rit joyeusement et le son semble se répercuter jusque dans ses os. Il déglutit.

— « … Il me rend heureux, Maria », souffle-t-il en se frottant les yeux.

Le bruit des verres qui s'entrechoquent doucement dans l'eau savonneuse n'a pas un raté, aucun accroc. Pourtant, il sait que le message est passé. Un euphémisme, comme « ami », pour dire qu'il est désespérément amoureux de son colocataire.

— « Je vois. Et lui ? »

Et Chris ?

Abandonné, les jambes à demi-écartées sur le carrelage mouillé de la salle de bain ? En train de le regarder sous ses yeux mi-clos, la tête renversée contre la baignoire ? Si beau. Si attirant … Si invitant ? Joueur ? Blessant ?

Bucky secoue la tête. Il ne veut pas repenser à ça.

— « Je ne sais pas et je ne vais rien lui dire. Chris a un travail qu'il aime, il reste habiter avec moi parce qu'il se sent bien. C'est suffisant. » Il se mord les joues. « Il ignore beaucoup de choses sur lui-même encore, je ne veux pas que mes sentiments puissent l'influencer. Ou qu'il confonde notre amitié avec de l'amour. »

De toute manière, Chris et lui en sont encore très loin. Après une semaine difficile, les choses redeviennent lentement ce qu'elles étaient pendant cette soirée. Bucky esquisse un rictus amer. Maria lui désigne un torchon d'un signe de tête et le brun se rapproche pour commencer à essuyer les verres à vin.

— « Tu as dit ce qu'il fallait. Je n'aime pas avoir le mauvais rôle mais je suis aussi médecin en plus d'être ton amie, il est de mon devoir d'observer une position déontologiquement juste. » La jeune femme le regarde. « Sam m'a dit que Chris refuse toujours de voir un psychologue et qu'il va de moins en moins au commissariat pour se renseigner sur son affaire. Il semble avoir complètement fait le deuil de ce qu'il a perdu et – »

— « Je ne suis pas en mesure de lui dire ce qu'il doit faire Maria », proteste le brun. « Chris n'est pas un enfant, il prend ses propres décisions et il sait si ce qu'il fait est bon pour lui ou non. Il est très raisonnable tu sais. »

— « Tu sais qu'il fait des cauchemars ? Ils pourraient être des souvenirs résurgents et parler à un professionnel serait bénéfique. »

— « Je suis au courant, Chris ne me cache rien, Maria. »

— « Alors tant mieux si ce qu'il est le fait rester plus longtemps avec toi, n'est-ce pas ? »

Bucky se braque, les épaules raides. Il jette un regard noir à la jeune femme mais celle-ci ne détourne pas les yeux. Elle semble le défier de lui dire le contraire, de lui affirmer les yeux dans les yeux qu'il pensera toujours au bien-être de Chris avant le sien. Navré mais il n'est pas un héros de roman. Il fronce les sourcils, l'esprit soudain beaucoup plus clair. Le seul souvenir de son ivresse est le poids désagréable sur son estomac. Et le goût acide dans sa bouche.

— « Cela ne te ressemble pas d'être aussi dure. »

— « Je ne suis pas – » La jeune femme passe une main sur son front, des paillettes de mousse s'accrochent à ses cheveux sombres. « Je suis moi aussi quelqu'un de raisonnable Bucky et je pense comme un médecin. Je dois penser comme un médecin. »

— « Je ne le suis pas mais ça ne m'empêche pas de penser aussi tout le temps à lui. Je pense à sa santé, à son bien-être, à faire tout ce qu'il faut pour qu'il puisse construire quelque chose dont il serait fier. Je ne le fais pas pour moi mais pour lui. » Sa voix est rauque, un peu hachée mais il ne peut pas s'arrêter. « Je n'ai été stupide qu'une fois et nous nous sommes disputés. J'ai compris la leçon, je ne recommencerai pas. »

— « … Qu'est-ce que tu as fais ? »

— « Je ne veux pas en parler, c'est fini », se renfrogne-t-il.

— « Bucky, je te jure que si tu ne me dis pas ce qu'il s'est passé, je vais imaginer les pires choses imaginables et tu me mettrais dans une position très difficile en tant que médecin. »

Le brun déglutit tandis qu'il regarde son amie. Maria a les doigts crispés sur le bord de l'évier, ses jointures blanches et contractées. Seigneur. Il jette précipitamment le torchon humide sur le plan de travail et se met à agiter les mains dans tous les sens, fébrile et très mal à l'aise.

— « Arrête de penser à ce que tu es en train de penser ! Quoi que ce soit, ce n'est pas ce qu'il s'est passé ! », s'exclame-t-il bruyamment. « C'est juste – On était dans la salle de bain après avoir baigné Sandy et – et il était trempé et si foutrement sexy, il sentait le ylang-ylang, il souriait et j'ai… Je voulais tellement l'embrasser. Tellement… »

— « Mais tu ne l'as pas fait. »

Bucky secoue lentement la tête, mortifié. Maria repousse à nouveau les mèches sur son front en arrière.

— « Est-ce que Chris a compris ? »

— « Il est amnésique, pas stupide », siffle-t-il avec colère. « Je suis amoureux de lui mais je saurai continuer à être son ami. Si tu penses que je fais mal quelque chose alors dis-le-moi tout de suite parce que je ne le réaliserai pas seul. Je te l'ai dit, je ne vois que lui… »

— « Et Chris ne voit que toi aussi. » La jeune femme passe une main dans sa nuque. « Il dit que ses souvenirs ne reviennent pas et qu'il préfère se rappeler de ce qui est important pour lui maintenant. … Tu t'es mis dans une situation vraiment très délicate Bucky. »

Le brun rit mais il sent ses yeux picoter légèrement sous les larmes salées. C'est l'alcool et le reliquat de son ivresse, rien d'autre. Maria soupire doucement et tend une main pour presser gentiment son avant-bras.

— « Je ne sais pas quoi te dire », souffle-t-elle en cherchant son regard. « La neurologie n'est pas ma spécialité, Chris pourrait très bien ne jamais se souvenir d'autres choses que ce qu'il est en train de construire à Eureka autour de toi. Ou brusquement retrouver tout ce qu'il a perdu. Est-ce que tu es prêt pour ça ? »

— « Non, mais j'y travaille. »

Maria sourit mais c'est fragile et surtout plein de tristesse. Elle prend sa main dans la sienne.

— « J'aimerais que les choses soient plus simples Bucky. »

— « Moi aussi. J'aimerais que Chris soit fou amoureux de moi et qu'il ne quitte jamais Eureka mais je ne dois pas y penser, n'est-ce pas ? »

La jeune femme n'ajoute rien mais dans ses yeux marrons, le brun lit la réponse qu'il appréhende. Il doit rester raisonnable. Raisonnable.

— « Je suis désolée », souffle son amie.

Bucky hausse légèrement les épaules et se frotte les yeux. Maigre consolation, il n'a pas pleuré même si l'alcool l'a rendu incroyablement triste. Un peu malade aussi. Il se frotte distraitement le ventre. Il a au moins passé une très bonne soirée et Chris et lui sont à nouveau comme avant.

— « Ne dis rien à Sam s'il te plaît », murmure-t-il après un silence.

— « Pour qui me prends-tu ? », siffle Maria en lui pinçant le dos de la main et le brun couine de douleur. « Je serai une tombe mais si tu veux en parler, je serai toujours prête à t'écouter. Toujours, Bucky. »

La jeune femme le regarde avec insistance. Le brun la remercie d'un sourire un peu faible. D'accord, le message est aussi passé et il y pensera. Peut-être. Quand ce sera devenu trop difficile de tout garder pour lui. Ça arrivera probablement à un moment donné, Bucky n'est pas fait en bois ou en pierre. Il ne sait que trop bien tout ce qu'il ressent.

Des rires résonnent toujours dans le jardin et le brun a l'impression d'être très loin. Encore quelques paroles étouffées, des cris un peu inarticulés à cause d'une langue rendue lourde par l'ivresse. Puis un bruit de plongeon.

Les deux amis se figent.

Maria s'éloigne brusquement de lui et tend le cou vers la fenêtre pour apercevoir le jardin.

— « Je rêve… », siffle-t-elle d'un ton incrédule.

Bucky regarde par-dessus son épaule et se mord les joues pour ne éclater de rire.

— « Sam fait exactement ce qu'il avait dit qu'il ferait », note-t-il devant les jambes nues de son ami qui gigotent en l'air, hors de l'eau du jacuzzi. « Ne t'inquiète pas, Chris est avec lui. »

Maria jure entre ses dents. Elle sort la tarte aux fruits du frigo et les assiettes à dessert dans des gestes crispés. La vaisselle secouée fait un bruit d'enfer.

— « Tu es certaine de vouloir épouser cet imbécile heureux ? », lui demande-t-il quand elle lui donne les assiettes.

— « Il est mon imbécile heureux. Laisse-toi un peu de temps et tu commenceras aussi à trouver des défauts à Chris », renifle-t-elle avant de grimacer. « …Désolé. »

Bucky hausse les épaules. Il retourne dans le salon suivi par la jeune femme. Maria s'empresse de poser le plat sur la table, surveille une dernière fois le jardin avant de s'éclipser en disant qu'elle va chercher des serviettes.

— « Je t'en prie, empêche-les de rentrer dans la maison. Ils vont mettre de l'eau partout », dit-elle en disparaissant déjà dans un couloir voisin.

Le brun acquiesce sagement. Il traverse le salon et sort sur la terrasse. Le jacuzzi de ses amis, un véritable bassin en béton en forme de haricot forme plutôt une toute petite piscine avec un espace de balnéothérapie. Chris se tient accroupi à côté, les bras tendus pour empêcher Sam de se blesser. Ce dernier a recommencé à faire le poirier et ses jambes tressautent toujours en l'air. Son ami le salue d'un bref coup d'œil avant de se concentrer à nouveau sur Sam. Bucky s'approche. Il note que le blond est très mouillé.

— « J'ai réussi à le convaincre de garder son boxer plutôt que de tenter un bain de minuit », dit-il en roulant des yeux.

Le jeune homme rit joyeusement et baisse les yeux sur les vêtements de Sam, abandonnés en un tas informe sur les dalles qui entourent le bassin. Il croise les bras sur son torse et attend. Après quelques secondes, son meilleur ami bascule et émerge enfin dans une grande gerbe d'eau. Chris ne cille pas quand il se retrouve encore un peu plus éclaboussé, il se contente d'essuyer son visage en utilisant le bas de son polo. Ah. Sam cligne des yeux pour chasser les gouttes perlant à ses cils et il éclate de rire.

— « Très sexy », roucoule-t-il avant de remarquer le brun. « Ah Buck' ! Tu devrais me rejoindre, elle est incroyablement bonne ! »

— « Sans façon, merci. »

Son meilleur ami plisse légèrement les yeux, baisse la tête pour se regarder dans le jacuzzi avant de glousser.

— « … J'oubliais que tu as peur de l'eau quand tu ne vois pas tes pieds et il fait très sombre. »

— « Va te faire voir Sam ! », rugit Bucky en rougissant violemment. « C'était une nuit sans lune, on n'avait que la lampe de nos portables pour nous éclairer ! On ne voyait rien autour de nous ni en dessous. Il y aurait pu y avoir n'importe quoi dans les vagues ! »

Sam éclate de rire et il se laisse tomber en arrière dans l'eau pour les éclabousser. Le brun fait un pas rapide en arrière pour l'éviter, Chris accueille doctement la nouvelle vague qui vient mouiller son jean, collant l'étoffe à ses cuisses. Il repousse ses mèches humides en arrière et Dieu ce que c'est sexy.

— « Un bain de minuit… nu ? »

— « Bien sûr mon pote. Buck' était tellement peureux, il craignait qu'un poisson lui mange son – »

— « Sam ! »

Hors de lui, le brun plonge la main dans l'eau et asperge copieusement son ami. Son visage est brûlant. À côté de lui, Chris fronce légèrement les sourcils avant de se lever. Il attrape Sam par les poignets et le hisse rapidement hors du bassin.

— « Je pense que c'est assez pour aujourd'hui », dit-il en accueillant Maria et ses serviettes d'un sourire reconnaissant.

La jeune femme l'éloigne de son compagnon et jette à ce dernier un drap éponge avec colère en lui sifflant de se débrouiller. Chris récupère la serviette et la drape gentiment sur les épaules de Sam. Encore une fois, il s'oublie alors le brun pense à lui. C'est ce qu'il a dit à Maria. Il prend l'autre serviette et la pose doucement sur sa tête. Chris lui jette un regard entre les plis du tissu éponge, Bucky ne peut pas s'empêcher de commencer à essuyer ses cheveux humides.

— « Tu vas attraper froid », baragouine-t-il un peu faiblement.

— « Elle était fraîche », avoue le blond sans ciller.

Bucky hésite à continuer mais Chris ne dit rien, il a oublié Sam qui se frictionne vigoureusement non loin d'eux et qui tente de se faire pardonner en roucoulant des mots d'amour à Maria. Le brun se rapproche imperceptiblement de lui.

— « Merci d'avoir veillé sur lui », dit-il avec reconnaissance.

— « C'est normal. » Chris hausse légèrement les épaules. « … Est-ce que tout se passe bien avec Maria ? J'ai cru vous entendre hausser la voix. »

— « Nous avons tous un peu trop bu ce soir », élude Bucky en souriant. « Va emprunter des vêtements secs à Sam, on vous attend pour le dessert. »

Sous le regard acéré de Maria, les deux hommes rentrent dans la maison avec un luxe de précaution pour ne pas laisser d'eau sur leur passage. Le brun les entend quand même encore rire et chahuter dans le couloir menant aux chambres. La jeune femme contemple le tas de vêtements d'un œil mauvais et Bucky ricane.

— « Je regrette presque de ne pas avoir pris de photos. Si j'avais l'esprit mauvais, je projeterai le diaporama le plus gênant du monde à votre mariage… »

— « Sauf que nous savons tous les deux que tu aimes trop Sam pour lui faire ça », sourit Maria tandis qu'elle ramasse les affaires de son compagnon. « … Tu pourras quand même le taquiner un peu quand il te demandera d'être son témoin et qu'il attendra ta réponse. »

— « Tu es sérieuse ? » Le brun cligne des yeux. « Vous avez dit que vous en aviez seulement parlé mais ça commence à ressembler à un projet abouti. … Vous avez déjà le nom du traiteur ? »

La jeune femme roule des yeux et lui jette le boxer de Sam au visage. Bucky grince de dégoût.

— « Et tu as déjà songé à accorder ton costume à celui de Chris ? », lui répond-elle du tac-au-tac.

Les deux amis se défient un instant du regard. Cela ressemble à la bonne camaraderie de leur amitié mais le brun voit autre chose dans les yeux de la jeune femme. Un peu de reproche et d'inquiétude. Elle ne laissera pas passer ce qu'ils se sont dit dans la cuisine un peu plus tôt.

Bucky détourne la tête, un peu gêné. Les épaules basses, il rentre dans la maison et offre un sourire un peu faux à Chris qui le rejoint, un polo étriqué sur ses larges épaules.

— « Vous avez été rapide. L'appel du ventre ? », dit-il alors que son meilleur ami le talonne.

— « Toi aussi tu as toujours faim pour une tarte de chez Cici's », lui répond Sam du tac-au-tac en regagnant le salon. « Chris et moi nous nous sommes réchauffés en même temps pour gagner du temps. »

— « Sam… », soupire doucement le blond.

Le jeune homme ricane tandis qu'il s'accroupit devant la bibliothèque à côté de la télé. Il allume la chaîne hifi et bientôt, un air doux de bosa nova envahit le salon de chaleur et de langueur brésilienne.

Bucky apporte les assiettes à dessert sur la table basse et se laisse tomber sur le canapé. Il passe une main fatiguée sur son visage. Entre ses doigts, il voit Chris hésiter un instant avant de s'installer à côté de lui. Leurs genoux et leurs coudes se frôlent imperceptiblement et si Bucky sent le regard de Maria peser sur lui tandis qu'elle sert le dessert, il n'en montre rien. Il se concentre sur l'essentiel, la somptueuse tarte aux fruits à laquelle il fait honneur.

La baie vitrée sur la terrasse est restée entrouverte et la fraîcheur de la nuit entre dans la maison, le brun la sent sur sa nuque. Les conversations deviennent plus paresseuses, l'ivresse joyeuse de Sam s'apaise tandis que le son des percutions les bercent agréablement.

Bucky cligne des yeux.

Il est en train de partager une autre petite part de tarte avec Chris qui a bien voulu l'accompagner. Dans la même assiette et le brun l'a simplement posé sur son genou. Il se sent un peu somnolent, envahi par une agréable torpeur. Les odeurs trop fortes de viande et d'épices ont été remplacées par celle du sucre et du café alors que leurs tasses vides s'alignent sur la table basse. Il ne reste de la pâtisserie d'un petit morceau avec des abricots qu'ils ont tous un peu délaissés car il s'agit de fruits en conserve, moins goûteux que des fruits frais. Chris l'interroge du regard, Bucky acquiesce mollement. Le blond s'en empare et s'installe à nouveau dans le canapé pour la terminer. Leurs épaules sont plus proches que jamais, leurs cuisses se touchent presque et le brun se demande à quel moment leurs corps se sont autant rapprochés.

Devant eux, Sam et Maria dansent doucement l'un contre l'autre, tendrement enlacés. Ils tournent lentement sur eux-mêmes et Bucky admire la capacité de Sam à pouvoir danser proprement avec autant d'alcool dans le sang.

Chris se lèche distraitement le pouce, repose son assiette vide. Il cale confortablement son dos contre le dossier, croise les mains sur son ventre et ne bouge plus. Bucky esquisse un sourire. Sans doute sont-ils un peu ridicules à contempler ainsi leurs amis danser, avachis dans le canapé et les paupières lourdes.

Le brun étouffe un bâillement dans sa main. Il frissonne quand il sent Chris se pencher vers lui.

— « Je peux conduire pour le retour si tu veux. »

— « Tu as bu autant que moi… », marmotte le brun d'une voix pâteuse.

— « Oui mais je ne semble pas sur le point de m'endormir. »

Bucky lui jette un regard noir et lui donne un coup de coude dans les côtes. Maria a allumé les lampes d'appoint dans le salon plutôt que le plafonnier, rendant l'atmosphère plus douce et intime. S'il entendait la mer, le brun aurait l'impression d'être chez eux. Peu importe où ils se trouvent, l'éclairage indirect fait toujours de très jolies choses sur le visage de Chris. Ça le rend toujours beau et c'est injuste pour le cœur de Bucky. Il est encore un peu ivre alors il s'autorise à contempler longuement le visage de son ami, sans dire un mot.

— « Bucky ? »

Le jeune homme se mord les joues. Il soupire et penche la tête pour l'appuyer sur le dossier du canapé. Il doit le dire pour clore définitivement le sujet et recommencer à aimer Chris en silence, sans remord.

— « Je suis désolé. Pour ce qu'il s'est passé », souffle-t-il et le blond fronce les sourcils. « J'ai été stupide et méchant. Je ne veux pas que ça se reproduise alors je te promets que ça n'arrivera plus. Je suis désolé. »

Son colocataire le regarde un peu étrangement. Même l'esprit embrumé par l'alcool, Bucky le voit. Il ne sait juste pas l'interpréter et il n'en a pas envie. Il a dit ce qu'il devait alors il ne baisse pas les yeux, ne détourne pas le regard. Il se contente de regarder Chris, un sourire d'excuse aux lèvres. Le blond cligne des yeux et s'éloigne lentement de lui.

— « … Moi aussi j'ai été stupide », chuchote-t-il en observant à nouveau le couple danser.

Le jeune homme hoche lentement la tête. Bien, affaire classée donc. Il ferme les yeux. Sa tête lui semble lourde, ses tempes bourdonnent et il étouffe un grognement.

— « …Je veux bien que tu nous ramènes. »

Chris rit doucement et cogne doucement son genou du sien. Bucky sourit. Voilà, c'est ça. C'est bien. Comme avant. Il a le ventre et le cœur pleins. Le jeune homme tend mollement la main et presse les doigts de son ami en guise de remerciement. Comme un ami. Parfait. Plus de sujet.

o0O0o

À peine le pied posé sur le bitume du parking de Providence, Bucky claque la portière du pick-up Ford avant d'enfouir ses clés dans le fond de sa poche. Il traverse rapidement les places de stationnement jusqu'à l'entrée de l'hôpital, salue les infirmières en poste à l'accueil en familier puis rejoint les ascenseurs. Le brun monte au troisième étage et remonte le couloir en lisant les plaques indiquant le nom des médecins.

Il ne se souvient jamais exactement où se trouve le bureau de Sam ce qui pourrait être un peu gênant si son meilleur ami n'avait eu plusieurs postes en dix ans et autant de bureaux dans différentes parties du bâtiment.

Le brun s'arrête devant une porte entrouverte, les semelles de ses baskets couinent sur le lino. N° 357 Dr Samuel Wilson.

— « Sam ? », appelle-t-il en toquant doucement.

Bucky passe la tête dans l'embrasure. Son ami est assis à son bureau, le téléphone à l'oreille. Son visage s'illumine quand il l'aperçoit et il lui indique d'entrer d'un grand geste empressé.

Le brun referme avec discrétion la porte derrière lui et patiente en observant la bibliothèque moderne en verre qui orne le pan de mur opposé au bureau. Les mains dans le dos, il lit les titres des ouvrages qui s'alignent parfaitement sur les étagères, intercalés avec des bibelots et des objets médicaux. Bucky est en train de grimacer devant l'écorché anatomique d'une main quand Sam raccroche. Le couinement familier de son large fauteuil en cuir lui indique qu'il s'est levé et s'approche de lui, le brun voit son reflet dans le verre parfaitement propre.

Sam lui donne une vigoureuse accolade et Bucky sourit d'un air un peu coupable dans son cou. Oui, il a de toute évidence énormément manqué à son meilleur ami.

— « Est-ce que tu veux que je te prête un de mes livres pour te changer les idées entre deux chapitres de ton roman d'amour à traduire ? », lui demande Sam avec malice. « J'ai beaucoup aimé celui sur les maladies vénériennes à travers l'histoire, il y a des photos en couleurs d'excellente qualité de tableaux et de photos anciennes. »

— « Tu es répugnant », grogne Bucky en lui donnant un coup dans les côtes. « Je me souviens encore de ce livre sur la médecine légale que tu m'as montré quand on était au collège en disant que c'est ce que tu voulais faire comme métier. Ça a peuplé mes cauchemars. »

Son ami glousse joyeusement et l'entraîne vers le petit salon aménagé entre la bibliothèque et le bureau. Moderne aussi, de bon goût mais un peu aseptisé. S'il n'y avait le poster de U2 sur le mur, la tournée 2006, et le gros ficus en pot qui trône dans un angle de la pièce, Bucky peinerait à retrouver son ami. Il s'installe avec contentement dans le large canapé en cuir crème. Les sacs en plastique qu'il tient à la main crissent doucement tandis qu'il les dépose sur la table basse.

Sam hausse un sourcil interrogateur.

— « Tu rejoins Chris en ville pour le déjeuner ? », lui demande-t-il en désignant les emballages d'un geste. « Et tu as pris à emporter chez le traiteur japonais sur 4th Street ? Tu ne te moques pas de lui… Laisse-moi deviner. David a troqué la Mercedes contre une Cadillac dernier cri et je le déteste encore plus ? »

Le jeune homme sourit, il plaisante et rit mais Bucky esquisse un sourire un peu triste. Il a vraiment négligé son meilleur ami et c'est indigne de lui. Il vérifie le contenu des sacs d'un coup d'oeil avant d'en pousser un vers Sam.

— « C'est le tien. Je suis venu pour toi Sam, je sais de source sûre que tu es libre pour le déjeuner aujourd'hui. Je me suis dit que je pouvais te tenir compagnie alors… surprise », dit-il avec entrain.

Sam lui adresse un sourire si rayonnant que Bucky se sent seulement minable. Son ami se relève pour retirer sa blouse et l'accrocher avec soin au porte-manteau à côté de la porte. Il remplit deux verres à la fontaine à eau avant de le rejoindre. Le brun le remercie d'un sourire que son ami remarque à peine. Il est déjà occupé à déballer le contenu de son sac avec gourmandise.

— « J'ai aussi rapporté le brasero en terre cuite, il est resté dans le pick-up. Merci de nous l'avoir prêté, Chris et moi l'avons bien utilisé pendant la semaine. »

— « Je le récupérerai quand je te raccompagnerai au parking tout à l'heure. Il a fait encore chaud ces derniers jours, il m'a manqué… »

Bucky ricane et lui donne un léger coup de genou.

— « Chris a testé une autre excellente recette aux légumes à l'intérieur mais ne t'inquiète pas, il n'en a gardé ni le goût ni l'odeur. »

Sam renifle légèrement de dédain et le brun sourit. Son ami ne sait pas ce qu'il a manqué. C'est une des meilleures choses qu'il a mangé de sa vie et le sourire plein de fierté de Chris quand il l'observait saucer son assiette le rendait encore plus délicieux.

— « Nous n'avons pas pensé une seule fois à toi, avec tes plaques électriques et ta pauvre plancha… »

— « Le contraire aurait été étonnant. Tu ne vois pas grand-chose d'autre quand Chris est avec toi », marmotte Sam en roulant des yeux.

Bucky hausse un sourcil. Ça c'est nouveau. Son ami n'est pas un homme médisant mais ce qu'il vient de dire ressemble fort à une vraie critique. Le brun se mord les joues et entreprend de déballer avec soin son repas. Le silence un peu inconfortable du bureau est troublé par le crissement des emballages et le tintement de la table basse en verre.

Bucky passe une main dans sa nuque, tirant distraitement sur les mèches un peu folles échappées de son chignon. Sam termine de disposer avec soin ses sushis et ses gyozas au poulet devant lui. Il ajuste la serviette en papier, corrige la position de ses baguettes avant de grommeler et de se frotter vigoureusement le visage à deux mains.

— « Je suis ridicule, n'est-ce pas ? », grogne-t-il.

— « Tu peux développer un peu ? »

Son ami lui jette un regard noir avant de lui adresser un geste un peu vulgaire. Il passe une main sur ses cheveux coupés court.

— « Je suis jaloux », marmonne-t-il. « Je me comporte comme un ami jaloux et je déteste ça. C'est pathétique Buck'. Je te connais depuis plus de vingt ans, je devrais me moquer des personnes avec lesquelles tu préfères faire tes soirées pyjama maintenant. »

Bucky ricane. Il termine de verser les sauces dans les petits récipients prévus à cet effet et tend une main pour presser gentiment son genou.

— « Je n'ai pas été un très bon ami depuis quelques semaines », avoue-t-il. « Je suis désolé de ne pas avoir été plus présent pour toi Sam. »

— « … Tu as parlé avec Maria, n'est-ce pas ? Le déjeuner est son idée ? »

— « C'est une initiative personnelle et une offre de réconciliation », jure Bucky, la main sur le cœur. « J'espère que ça t'aidera à me pardonner. »

Le brun sort d'un autre sac en plastique une boîte en métal dont la vue allume quelque chose dans les prunelles sombres de Sam. Son ami la prend et l'ouvre avant de rire joyeusement.

— « Tes cookies parfaits. Buck', je vais finir par croire qu'il y a autre chose dans ta venue que la seule envie de soigner mon égo un peu blessé. » Le jeune homme cogne vigoureusement son genou contre le sien. « … Même si tu n'as rien à te faire pardonner, je suis vraiment content que tu sois venu me voir. »

Sam pose la boîte en métal et entame avec enthousiasme son repas. Bucky l'imite, un peu plus prudemment. Manger avec des baguettes n'a jamais fait partie de ses meilleures compétences.

— « Je sais que tu es trop gentil pour me reprocher quoi que ce soit mais j'ai eu tort », proteste-t-il doucement. « Maria m'a rappelé des choses que j'avais un peu oubliés ces derniers temps et notre barbecue chez vous a été vraiment très réussi. J'ai adoré ce moment. »

— « C'était une excellente idée et la viande de chez Vitali était succulente », opine Sam avant de le regarder. « Tu m'as manqué Buck'. »

— « Toi aussi », sourit le brun et il réalise soudain combien c'est vrai. « Je suis désolé. »

Son ami hausse légèrement les épaules.

— « Ce n'est rien. Je sais que tu es quelqu'un de passionné et que tu t'investis toujours sans réserve dans ce que tu entreprends », dit-il entre deux bouchées. « C'est la qualité qui t'a permis d'apprendre les rudiments du russe en deux mois presque sur un coup de tête quand le proviseur du lycée disait que c'était une activité inutile. »

— « Il était fainéant et incapable. »

— « Tu rassembles tellement à ta mère quand tu dis ça, elle le détestait », s'esclaffe son ami avant de boire bruyamment un peu de soupe miso. « Je ne devrais pas m'étonner de la tournure des événements alors que tu as proposé à un parfait inconnu de venir habiter avec toi. »

— « Ose me dire que tu n'essayais pas de trouver une alternative à un hébergement dans un foyer d'accueil quand Chris est sorti de l'hôpital. Tu trouvais aussi que ce n'était pas la bonne chose à faire. »

— « La décision du conseil d'administration de Providence m'a dérangé mais elle était raisonnable d'un point de vue médical », se défend mollement Sam. « Et même si ça me mettait mal à l'aise, je peux t'assurer que je ne l'aurais jamais invité chez moi. »

— « Qu'est-ce que tu craignais qu'il se passe ? Chris était encore convalescent », lui demande Bucky en roulant des yeux.

— « Je sais… C'est sans doute le bon moment pour t'avouer que j'ai très mal dormi les nuits qui ont suivi votre emménagement ensemble », grimace son ami. « J'étais inquiet pour toi. »

Le brun le regarde avant de glousser doucement. C'est adorable. Sam lui donne une rude bourrade dans les côtes.

— « Ne te moque pas, c'était un doute légitime. »

— « Est-ce que tu es rassuré maintenant ? », le taquine Bucky.

Sam roule des yeux. Le brun insiste un peu, il le titille en prenant un gyoza dans son plat avant que son ami ne l'arrête d'un coup de baguette.

— « Oui, je suis rassuré. Chris a un très bon emploi, des relations et des habitudes en ville comme s'il avait toujours habité à Eureka mais le seul endroit où il semble avoir envie d'être, c'est ta maison. C'est un mec génial qui t'adore alors je suis aussi rassuré que tu ne sois plus seul chez toi. »

Bucky rougit légèrement tandis qu'il baisse les yeux sur ses genoux.

— « Chris mène sa propre vie, nous habitons l'un avec l'autre mais pas réellement ensemble », tente-t-il maladroitement et il sait que rien n'est plus faux.

— « Eh bien ne lui dis pas ou tu vas le blesser. Quand il vient à Providence pour ses rendez-vous, il ne parle que de toi et de votre petit train-train quotidien », ricane Sam. « Tu es très important pour lui, tu le rends heureux et je sais que tu ressens la même chose. Tu n'as pas à minorer ce qu'il se passe entre vous Buck', je suis quand même ton meilleur ami. »

Le brun mâche lentement son sushi au saumon, le regard dans le vide. La discussion prend un tour qu'il n'avait pas vraiment prévu en venant faire son mea culpa. Il fronce les sourcils. C'est à croire qu'évoquer, même de manière voilée, ses sentiments pour Chris, est une boîte de Pandore impossible à refermer une fois qu'elle a été entrouverte.

— « Qu'est-ce que tu cherches à faire Sam ? », demande-t-il doucement.

— « Rien de particulier, on ne fait que discuter ensemble », se braque un peu son ami avant de soupirer. « Je suppose que j'en ai un peu plus gros sur le cœur que je ne pensais, ça fait si longtemps que nous ne nous sommes pas vus. Je suis encore jaloux et c'est assez mortifiant, je ne veux pas te blesser. Tiens, prends mes makis à l'avocat. Je sais que tu adores ça. »

Bucky ricane tandis que Sam remplit son plat d'habiles coups de baguettes. Il recommence à manger lentement.

Les mots de son ami résonnent en lui, à la fois taquines et un peu amères. Malicieuses et un peu blessées. Comme Susan. Comme Maria.

Sans doute, Bucky mérite une réprimande pour avoir préféré croire que le monde ne s'étendait pas réellement au-delà de Manila Beach et de leur maison. Pour avoir fait de Chris le seul interlocuteur auquel raconter ses journées, se plaindre ou rire. Pour avoir aussi fini par croire qu'il pouvait tout gérer seul. Voir son colocataire ahaner de douleur migraineuse dans sa chambre ou décider que ces cauchemars n'étaient pas grand-chose et certainement pas des souvenirs.

Le brun esquisse un sourire un peu triste. Il se souvient d'une nuit, il y a des années, pendant laquelle Sam, allongé tête-bêche avec lui dans son lit, lui avait avoué timidement qu'il était tombé amoureux de Liz Bennett, la capitaine du club de volley. Il se rappelle ses joues brûlantes à sa confession, la fragilité et l'incertitude dans sa voix alors qu'il n'était pas certain de tout avouer à la principale concernée. Parce que Sam est comme ça, entier, sincère avec un grand cœur. Son aveu avait été fébrile, les mots embrouillés butaient contre ses dents et semblaient se précipiter sur sa langue. Si maladroit. Bucky, dans son pyjama Superman, avait vu Sam comme un véritable héros au courage infini. Lui n'aurait jamais osé avouer une chose pareille à ce garçon en deuxième année qui lui plaisait bien. Ça n'avait pas fonctionné. Le brun avait dû réconforter son ami sanglotant à son premier gros chagrin d'amour parce que Liz sortait déjà avec Asher Costa, un garçon plus beau que Sam et avec de meilleures notes. Son ami avait pleuré très fort contre lui mais il était resté son héros.

Il ne lui avait rien caché, jamais. Ni son premier baiser, ni le récit de sa première fois, ni sa peur d'entrer seul à l'université d'État à Chico, loin de chez eux et de lui, son meilleur ami ni l'angoisse de son premier poste.

Sam dit toujours les choses.

Bucky se renfrogne un peu.

Il dit les choses au moins autant que lui les dissimule. Il avait promis pourtant, aux obsèques de Winnifred Barnes, de ne plus garder pour lui ce qui fait mal parce que Sam l'avait trouvé étouffant de douleur dans le dressing de sa mère.

Il arrache l'élastique de ses cheveux.

Il a promis et il a menti.

Sam sait qu'il ne lui raconte pas tout mais il continue pourtant à rire et à sourire comme si de rien n'était.

Bucky est un imbécile et il recommence depuis des semaines à étouffer sous le maelstrom de sentiments et d'émotions qu'il sent s'agiter en lui. Il est un con. C'est à lui de s'allonger tête-bêche dans la chambre pour raconter. Et contrairement à Maria, Sam ne le jugera jamais. Il n'est pas Susan alors il ne le plaindra pas non plus pour sa stupidité.

Le brun ouvre la bouche mais Sam ne lui laisse pas le temps de commencer. Il cogne doucement son genou contre le sien.

— « Ne fais pas cette tête, je me sens encore plus misérable », grommelle-t-il. « …Tu veux aussi mes gyozas ? »

Bucky cligne des yeux avant de rire.

— « Arrête de vouloir te faire pardonner, ce n'est rien. Je suis aussi fautif que toi », dit-il en piochant dans son plat. « … J'arrive pas à croire que j'ai échappé à tes atermoiements quand tu as commencé à songer à devenir un homme marié. »

— « Ce n'est pas encore fait, Maria et moi commençons tous juste à en parler. »

Bucky lui donne un petit coup d'épaule avant de replonger dans ses pensées. Sam en profite pour prendre deux sushis dans son plat, c'est un jeu depuis qu'ils sont adolescents.

— « … Maman aurait été très heureuse d'assister à tes essayages et de faire ton nœud de cravate », souffle-t-il après un silence.

— « Je penserai très fort à elle le jour J parce que j'aurais adoré qu'elle soit parmi nous mais tu seras là pour deux Buck'. »

Le brun sourit doucement et hoche la tête. Winnifred Barnes sera sans le moindre doute avec eux en pensée ce jour-là, vêtue de cette robe rose qu'elle mettait pour les grandes occasions et assortie au foulard vert et blanc que Bucky lui avait offert pour un de ses derniers anniversaires. Il fronce légèrement les sourcils. … Avec un chapeau ? Oui, sa mère aurait définitivement porté un chapeau pour le mariage de Sam.

Son ami se racle légèrement la gorge, comme si elle était un peu trop serrée.

— « Tu seras à mes côtés parce que tu auras accepté d'être mon témoin, n'est-ce pas ? », reprend Sam d'un air un peu nerveux.

Oh. Bucky a un peu chaud tout à coup. Il déglutit.

— « Tu devras vraiment être là parce que je t'assure que je serais incroyablement stressé le jour J », ajoute son ami en riant avec fébrilité. « Je ne pourrais pas faire ça sans toi. »

— « C'est avec Maria que tu te maries, pas avec moi », le taquine Bucky.

— « Ingrat… », grince Sam. « Je t'offre l'opportunité de figurer dans les pages du Times Standard. Imagine-nous, toi, moi et Chris, en costumes habillés dans la rubrique Carnet du jour. Les trois plus beaux hommes d'Eureka ! »

Bucky hausse un sourcil avant d'éclater de rire. Il termine son plat de sushis et commence à empiler les emballages sales dans le sac en plastique transformé en poubelle. Le brun se lève, fait rouler ses épaules et va ouvrir la fenêtre du bureau pour aérer un peu. Assis dans le canapé, son meilleur ami achève à son tour son repas avec des bruits de satisfaction un peu écœurant. À peine a-t-il jeté ses baguettes qu'il ouvre la boîte à cookies pour piocher à l'intérieur.

— « Ce sera un jour parfait avec les gens que j'aime et j'ai déjà hâte de te voir porter un costume Buck'. Tu seras beau mon pote. »

Le brun refuse un biscuit d'un signe de tête, il préfère terminer son thé glacé sucré.

— « Je me souviens que tu n'étais pas trop mal non plus à ta cérémonie de remise de diplômes à Chico », le taquine-t-il en jouant distraitement du bout de sa langue avec sa paille. « … Chris aussi sera beau en costume. »

— « Bien sûr qu'il le sera et ça le fera paraître encore plus charmant que d'habitude », ricane Sam en roulant des yeux.

— « Tu veux vraiment inviter au jour le plus important de ta vie un homme que tu connais depuis moins de quatre mois ? », lui demande Bucky en souriant.

— « Tu viendras avec lui de tout manière, non ? », lui répond Sam du tac-au-tac.

Le brun regarde distraitement par la fenêtre. Le bureau de Sam donne sur la pelouse à l'arrière de Providence, il aperçoit des visiteurs accompagnant des patients en train de marcher.

— « Soyons sérieux Buck', c'est mon mariage et je ne veux pas que tu viennes seul. Ce serait trop triste. Je sais que tu ne vois personne en ce moment ou alors tu es le plus grand cachottier de cette partie des États-Unis. Chris est la personne la plus proche de toi, je ne trouve pas aberrant que vous veniez ensemble. Ce mec est génial, personne ne peut le détester », reprend son ami en levant les yeux au plafond.

Bucky esquisse un sourire. C'est presque trop facile.

— « Tu as raison. C'est exactement la raison pour laquelle je l'aime », dit-il doucement.

— « Bien sûr mon pote. »

Le brun lui jette un regard un peu étonné. La réponse de Sam est brève, presque lapidaire. Est-ce qu'il aurait manqué quelque chose ? Il s'éloigne de la fenêtre et retourne s'asseoir à côté de son ami qui déguste avec plaisir un cookie aux trois chocolats.

— « Je l'aime vraiment Sam », répète-t-il en se servant à son tour dans la boîte en métal.

— « J'avais compris la première fois Buck'. Tu es amoureux de Chris », acquiesce Sam avant de lui prendre le biscuit des doigts. « Attends, pas celui-là. Ceux aux pépites de chocolat sont mes préférés. J'accepte que tu manges ceux aux cranberries. »

Parfaitement interdit, Bucky accepte le gâteau que son ami met dans sa main sans réagir. Sam a une miette à la commissure des lèvres et une trace de chocolat, il a envie de le lui faire remarquer mais sa gorge est serrée. Il déglutit légèrement et ouvre la bouche. Sam tourne la tête pour le regarder. Ses prunelles sont si pleines de tendresse que Bucky se sent rougir. Alors c'est ça qu'a ressenti Sam quand il lui avait avoué son béguin pour Liz Bennett ? Il répète ce qu'il pensait il y a vingt ans. Son meilleur ami avait eu le courage d'un héros de comics.

Le brun passe nerveusement la main dans ses cheveux.

— « … C'est tout ? Pas de plaisanterie ou de jeu de mots à mes dépens ? »

— « Je serai vraiment un sale type si je me moquais de tes sentiments pour quelqu'un », le gronde Sam en pointant un doigt accusateur vers lui. « J'étais un vrai cœur d'artichaut au lycée et tu ne l'as jamais fait alors que je tombais amoureux tous les mois et que je venais ensuite pleurer sur ton épaule parce que la nouvelle fille de mes rêves était celle d'un autre type plus chanceux que moi. »

— « Elena Nowak sortait avec April Johnson », lui rappelle Bucky en souriant.

— « Aux dernières nouvelles, elles se sont même mariées il y a quelques années mais ce n'est pas le sujet », s'emporte son ami. « Je ne te ferais jamais ça Buck'. Et puisque tu m'en parles alors que tu ne l'as jamais fait jusqu'à présent, c'est que c'est vraiment sérieux pour toi. Alors non, je n'ai pas envie de rire. »

Le brun tire distraitement sur les longues mèches enroulées autour de ses doigts.

— « Ce n'était pas prévu, je n'ai rien prémédité Sam. C'est juste… arrivé », balbutie-t-il un peu en gardant les yeux rivés sur la table basse. « Bien sûr, je trouve que Chris est très beau depuis notre première rencontre mais je n'avais rien projeté en l'invitant à vivre avec moi. Tu dois me croire. »

Bucky se rappelle du regard sombre de Maria tandis qu'ils discutaient dans la cuisine après le barbecue. Cette lueur de reproche et d'accusation, comme si le brun était responsable et un peu manipulateur pour avoir provoqué tout ça.

Il inspire brusquement, crispe ses doigts sur le cookie qui se casse et s'effrite.

— « Je te crois Buck', je sais qu'il n'y a pas de piège », dit gentiment Sam en lui donnant une serviette pour ramasser les miettes sur le tapis. « Tu t'es senti concerné par son cas et tu es tombé amoureux d'un homme merveilleux. Tu vois, c'est simple. »

Le jeune homme rit d'un ton grinçant. Si seulement. Tomber amoureux a été facile, vivre avec sans faire d'erreur est plus compliqué.

Sam mange un autre cookie. Bucky l'imite, il a besoin de quelque chose de sucré et de réconfortant.

— « J'avais plus ou moins compris pendant le barbecue tu sais. Vous sembliez gênés l'un avec l'autre, j'ai pensé que vous aviez peut-être passé une nuit ensemble et que comme tu as tendance à fuir ce qui pourrait te rendre heureux, je me suis dit que tu étais en train de tout gâcher. »

— « Ce n'est pas ce qu'il s'est passé », marmotte le brun en sentant ses joues flamber.

— « Tu n'as pas couché avec lui ? »

Bucky secoue la tête. … Seigneur, faire l'amour avec Chris ? Ça rend sa gorge sèche et aussi râpeuse que du papier de verre.

— « On s'est disputé, plus ou moins. »

— « Parce que tu as fait quelque chose de stupide ? Chris semblait ne pas oser te regarder. »

— « … Quelque chose comme ça. Je me suis excusé et c'est fini maintenant, tout est redevenu comme avant. »

Sam le regarde avec attention et son regard est lourd sur son visage.

— « … J'espère pour vous parce que vous étiez maladroits à faire peur », grince-t-il. « Tu lui as dit que tu l'aimais, c'est ça ? »

Le brun secoue à nouveau la tête. Si ça arrive un jour, si jamais ça arrive un jour, il espère que Chris est un homme suffisamment merveilleux pour ne pas en faire un motif de dispute. Ou de déménagement.

— « Il est encore extatique à l'idée d'avoir des papiers d'identité et un compte bancaire, je ne veux pas l'embêter avec ça », sourit-il timidement.

Sam fronce les sourcils et cogne doucement son genou du sien.

— « Ça ne te ressemble pas d'être aussi hésitant. Quand tu as pris confiance en toi, je ne t'ai plus jamais vu éviter un homme qui te plaisait. »

Bucky se contente de hausser les épaules. Oui, c'est lui qui a abordé Camden et qui l'a embrassé la première fois mais avec Chris tout semble si… important. Son ex petit-ami et lui se sont bien entendus, ça a duré le temps que ça a duré et c'était agréable. Avec Chris, il sait que cela se joue à une autre dimension. Il n'a jamais ressenti pour Camden ce qui fait tressauter son cœur quand son colocataire lui sourit ou rit avec Sandy. Jamais. Et un peu de lâcheté probablement aussi. Dispute, déménagement… Tout ça. Et trois mois après le début de leur colocation, Bucky ne sait pas si Chris est attiré par les hommes.

Sam serre la boîte de cookies contre lui tandis qu'il s'appuie au dossier du canapé.

— « Je ne pense pas que tu mesures entièrement la chance qu'a eu Chris, sinon tu ne laisserais pas une telle chance d'être heureux passer devant toi », reprend-il après un silence. « Il aurait vraiment pu mourir Buck', que ce soit sur cette plage ou en soins intensifs ici. Chris avait une hémorragie intracrânienne, les os de sa boîte crânienne se sont légèrement déplacés. C'est un véritable miracle qu'il n'ait pas de séquelles physiques de son agression. J'ai vu des patients tomber sur un trottoir et être ensuite incapables de tenir une fourchette. Chris a eu énormément de chance . »

Le brun se mord douloureusement les joues tandis qu'il enfonce ses ongles dans la chair tendre de sa nuque. Il entend qu'il respire fort et son cœur bat sourdement dans sa poitrine jusque dans ses tempes.

— « Son état ne peut plus se détériorer, n'est-ce pas ? », croasse-t-il. « Il a des migraines mais on ne peut être… hospitalisé pour une migraine. Ou pour des cauchemars. »

Bucky n'ose pas prononcer un autre mot, plus grave et surtout plus définitif.

Soudain, il a une vision de Chris étendu sur un brancard que des ambulanciers seraient en train d'emmener à un train d'enfer aux urgences de Providence. Il y aurait beaucoup de jargon médical, Sam qui s'agite et Bucky qui panique. Il essuie ses paumes moites sur ses cuisses.

Le bipper de son ami retentit dans la pièce. Sam soupire d'un air de martyre. Il referme avec soin la boîte en métal, retire les miettes prises dans le coton de son chandail et va récupérer sa blouse au porte-manteau.

— « Buck', on ne va pas aux urgences pour ce genre de chose », lui répond-il en enfilant le vêtement. « Les lésions apparaissent dans les vingt-quatre heures qui suivent le traumatisme, pas trois mois après. Chris est toujours Chris et il a une santé de fer. »

Le jeune homme hoche la tête. Il termine de ramasser les emballages dans le sac en plastique servant de poubelle et essuie la table basse avec soin.

— « Il ne te raconte pas ses rendez-vous à Providence quand il rentre chez vous ? »

— « Si, toujours », sourit Bucky.

— « Alors fais-lui confiance. Et toi, reste aussi le même garçon que pour lequel j'ai un coup de foudre amical quand j'avais douze ans. Vous êtes bien ensemble alors laisse faire les choses. »

— « C'est la seule bénédiction que tu me donnes ? Tu ne me demandes pas comment je rêverai de l'embrasser la première fois ? », ricane le brun.

— « Je sais déjà comment tu veux le faire. Ce sera dans un coucher de soleil sur Manila Beach alors que vous êtes assis l'un contre l'autre sur la terrasse », se moque Sam. « C'est très cliché parce qu'au fond de toi tu es un très grand sentimental mais si tu veux mon avis sur quoi que ce soit, tu sais où me trouver. »

Le jeune homme lui donne une accolade un peu emphatique à laquelle Bucky répond en lui pinçant les côtes. C'est de bonne guerre, il n'est pas un acteur de téléfilm sur la chaîne Hallmark. Le bipper sonne une nouvelle fois et Sam le pousse gentiment dans le couloir avant de fermer derrière eux.

— « Tu pourrais déposer le brasero devant la maison ? Je n'ai pas le temps de t'accompagner jusqu'au parking », lui demande son ami en ajustant les revers de sa blouse. « … Je garde la boîte de cookies en otage en attendant. »

Bucky éclate de rire.

Sam est ridicule. Sam est drôle. Sam est brillant.

Avant de rejoindre l'accueil de l'hôpital, le brun le prend une nouvelle fois dans ses bras et le serre fort contre son torse. Il a été tellement stupide. Il n'a qu'un seul meilleur ami et il est plus précieux que tout.