Mais... Serait-ce un chapitre sorti DANS LES TEMPS ? Incroyable.
Et il y avait plutôt intérêt à ce qu'il sorte à l'heure puisque que cette semaine on les retrouve directement là où je les avais laissés : complètement bourrés, en train de se courir après comme des idiots. Voyons ce que la soirée leur réserve encore...
— Oula, d'accord... murmura Oven avec stupéfaction.
Brûlée, même si elle avait très envie de rire, commençait à trouver la situation légèrement préoccupante, elle aussi. Il lui paraissait évident que Katakuri n'avait pas bu que de l'eau au cours de la soirée.
Oven se tourna vers sa sœur, à la fois agacé et résigné.
— Il faut qu'on aille le chercher tout de suite, sinon il va tout casser.
— Quoi ? Moi aussi ? S'étonna-t-elle.
— Ouais, moi il m'écoutera pas. Mais toi, je pense qu'il y a encore une chance pour que ta voix atteigne son cerveau.
Un fracas assourdissant l'interrompit, suivi par quelques cris.
— Oh mais c'est pas vrai ! Ils foncent directement dans les murs ou quoi ?!
Oven s'éloigna à grandes enjambées. Katakuri n'était déjà plus visible, King et lui avaient traversé la place comme deux fusées et avaient aussitôt disparu, après avoir renversé tables et plateaux de nourriture sur leur passage, sous les regards médusés des invités. Brûlée se faufila dans le monde des miroirs pour les chercher de son côté.
Elle se demanda si Oven disait vrai et si elle avait une telle influence sur son frère aîné. Pour le moment, elle n'était pas contre l'idée de leur laisser un peu d'avance à tous les deux. Pour donner la possibilité à Katakuri de s'amuser plus longtemps — même s'il risquait de regretter très fort ses actions le lendemain matin — mais aussi pour éviter d'écouter Oven fulminer pendant tout le trajet.
Si on lui avait dit, avant de venir à la soirée, que les rôles des jumeaux serait inversé à ce point là, elle ne l'aurait jamais cru. Cette soirée allait rester dans les annales de la famille Charlotte pour longtemps.
/
Le cerveau de Katakuri ne fonctionnait plus que dans un seul but : attraper King. Il ne savait même plus pourquoi, il ne se posait plus la question depuis longtemps. Le jeu était trop drôle pour qu'il perde son temps à réfléchir davantage. A un moment, son attention avait été détournée par des appels qui lui étaient sans doute destinés mais ça n'avait pas duré plus d'une demie seconde. Il était trop occupé à courir dans tous les sens et à esquiver ou détruire les obstacles que King plaçait volontairement sur sa route pour essayer de le semer.
Il était bougrement agile pour un mec bourré, soi-disant incapable de voler ! Il se projetait en hauteur en un seul battement d'aile et passait de toit en toit, se réjouissant de voir Katakuri se vautrer à sa poursuite. Du moins, c'était ce qui lui semblait, de loin, alors qu'il avait la tête à l'envers. Il l'entendait rire et se payer sa tête, ce qui renforçait sa détermination à l'attraper. Car il était peut-être plus rapide, mais lui était fort. Il fonçait comme un bélier, directement dans les murs et passait à travers si nécessaire, du moment que ça lui permettait de gagner du terrain.
Il n'avait pas eu autant d'énergie depuis des années et il lui semblait qu'il avait retrouvé la même vivacité que celle qu'il avait ressenti durant son combat contre Chapeau de Paille. Seulement, cette fois, il n'y avait aucun autre enjeu que son propre plaisir. C'était beaucoup plus plaisant.
King n'était pas si loin devant lui, s'il visait juste, il pouvait lui sauter dessus et le plaquer au sol. Il tenta le coup mais, ralenti par l'alcool comme il l'était, King eut largement le temps d'éviter son attaque et de s'envoler loin dans le ciel en fanfaronnant. C'est en le regardant filer dans les nuages qu'un bref éclair de lucidité se fraya un chemin jusqu'à son cerveau et lui rendit un peu de son bon sens.
— Eh ! Descends de là ! Ton aile va lâcher !
King — qui ne devait même plus sentir la douleur — haussa les épaules et continua de s'élever au-dessus de la ville.
— Mais non, ça risque rien !
— TES MENOTTES VONT EXPLOSER SI TU T'ÉLOIGNES, CRETIN !
Il utilisa ses pouvoirs et se servit de son bras comme d'un grappin pour lui saisir la jambe et le faire descendre le plus vite possible, avant qu'un accident arrive. Ce ne fut pas difficile de le précipiter au sol — l'explosion qui suivit parut un peu violente aux yeux de Katakuri, mais il valait mieux ça plutôt que de voir son ami se vaporiser au-dessus de sa tête.
Voyant que King ne se relevait pas, il eut peur d'avoir été trop fulgurant. Il courut jusqu'au cratère qu'il avait créé, à cause de son atterrissage violent — comme lors de leur première rencontre tiens — et par chance, King n'avait pas l'air mal en point du tout, il était mort de rire et ses flammes illuminaient les environs d'une lumière douce.
— Putain, ricana-t-il. Heureusement que je suis anesthésié parce que t'y va pas de main morte.
— Je t'ai fait mal ?
— Non.
— Génial, du coup j'ai gagné, frima Katakuri.
— Pourquoi tu devais m'attraper déjà ? Marmonna-t-il, en essayant de retrouver ses esprits.
— ... Je sais plus.
Pour la première fois depuis un petit moment, Katakuri s'arrêta une seconde pour observer les alentours. Ils avaient fichu le camp à l'autre bout de la ville et les quelques lampadaires allumés ne l'aidaient pas à reconnaître le quartier. Il était chez lui, certes, mais où exactement ? Il n'en avait aucune idée.
De son côté, King roula sur son flan comme un énorme chat et tenta de se relever maladroitement. Il se traîna à quatre pattes hors du trou creusé par l'attaque de Katakuri et essaya de se mettre debout sans grand succès. Il se rétama sur le sol avec un bruit sourd. Katakuri se moqua à son tour, il était tout aussi soûl que King, mais au moins il tenait debout.
Prit de pitié, il lui tendit la main pour l'aider à se relever. King accepta son aide mais au lieu d'être utile et de lui servir d'appui, Katakuri trébucha à l'approche du cratère et dégringola de toute sa hauteur, directement sur King. Malgré l'ivresse, le peu de raison qui leur restait à tous les deux les força à remercier Big Mom d'avoir instauré un couvre feu, ainsi personne ne les verrait dans un état aussi pitoyable. Après un effort laborieux, empêché par une crise de rire monumentale, ils parvinrent à s'extirper de leur trou et à se soutenir mutuellement pour ne pas tomber une nouvelle fois.
Katakuri avait l'impression d'être un faon qui apprend à marcher. Ses jambes le portaient à peine et n'obéissaient plus à ses décisions. Alors, il se reposait avec nonchalance sur King, qui paraissait plus assuré, même si lui aussi faisait peser tout son poids sur les épaules de Katakuri. Ils s'éloignèrent du cratère bras dessus, bras dessous, claudicant comme deux blessés sur un champ de bataille.
Quelque part, Katakuri avait conscience d'avoir l'air ridicule. Simplement : il s'en fichait. Ce que ses frères lui avaient dit de l'alcool était vrai ; il flottait dans une bulle de bien-être et ses problèmes n'avaient plus d'importance. Il savait que le retour de bâton ferait mal. Mais il ferait mal plus tard. Là, tel qu'il était, bienheureux à déambuler dans des rues vides en bonne compagnie, il laissait le temps défiler sans se poser de questions et s'amusait de la bêtise de King.
Il ne le voyait pas sourire souvent mais là, il rayonnait. Avait-il toujours eu l'air aussi espiègle ?
Ou aussi jeune ?
— Eh, marmonna-t-il. J'ai oublié de te demander un truc !
— Quoi ?
— T'as quel âge ?
King s'arrêta d'un coup et faillit les faire tomber tous les deux. Katakuri se redressa avec difficulté et fut surpris de voir que sa question nécessitait réflexion de sa part. Il le dévisageait avec une expression hésitante.
— Tu sais pas ? S'étonna t-il.
— Mais si, se vexa King en roulant des yeux. Mais j'hésitais à te faire une blague et à te dire que j'ai trente ans.
Katakuri encaissa et passa en revue les quelques informations qu'il avait dans la tête pour faire un calcul approximatif de son âge.
— Attends, tu peux pas avoir trente ans.
— Bah non.
— Arrête de te foutre de moi !
King pouffa de rire avant de répondre.
— J'ai quarante sept ans.
— Oh !
Katakuri se détacha de lui, très fier de pouvoir le prendre de haut pour une fois.
— Je suis plus vieux que toi !
— Ah bon ?
— J'ai quarante huit ans !
— Pff ! Ah ouais, quelle grosse différence !
Katakuri fanfaronna une minute. Dans leur famille, l'aînesse prévalait. Et avec autant de frères et sœurs, pour lui une seule année faisait bel et bien une différence. Techniquement, il était l'aîné de King et cette idée l'amusait beaucoup. Mais son ami n'était pas dupe.
— Tu te raccroches à ce que tu peux parce que je fais une tête de plus que toi, le défia King, toujours dans la compétition.
— Et alors ?
— Et alors ça doit pas t'arriver souvent.
Katakuri voulut répliquer mais il ne trouva rien d'intelligent à dire. C'était vrai, il ne croisait jamais de gens plus grands que lui sur Totto Land. Et que King soit plus grand rajoutait des points à son charme déjà irrésistible mais il préférait que ce détail reste son petit secret.
— Kaido est plus grand que nous deux, poursuivit King, sans savoir où il allait avec cette déclaration.
— Et Mama est plus grande que lui.
— Eh ! Fais gaffe !
Il menaça Katakuri d'un doigt accusateur.
— Ben quoi ?
— Pas de concours de capitaines, sinon ça va mal finir.
Il revint s'appuyer sur son épaule, mécontent que Katakuri se soit éloigné de lui. Le poids de son corps paraissait difficile à supporter. Katakuri l'accueillit machinalement et le supporta avec enthousiasme, comme s'il l'avait toujours fait. Ce geste lui semblait parfaitement naturel.
— Si tu veux on se fout de la gueule des autres empereurs, proposa-t-il en guise de compromis.
— Oh ouais, s'enthousiasma King dont la poche à venin ne demandait qu'à s'exprimer.
— Je les ai jamais vraiment rencontrés donc je sais pas quoi dire mais...
— Shanks le Roux c'est un putain de parvenu.
Katakuri éclata de rire tout en marchant. Il n'en fallait pas beaucoup pour qu'il dégaine les insultes.
— Pourquoi un parvenu ?
— Mais parce que ! S'agaça-t-il soudainement. Le gars tout ce qu'il fait c'est rester assis sur son cul, à glander toute la journée ! Il a même pas de territoire fixe ce con là ! Il a que trois glandus en guise de flotte mais il a un haki de taré alors forcément... Et il était dans l'équipage de Roger donc tout le monde est là : Oh ! Regardez, ça c'est un empereur ! Alors que nous on s'est vraiment crevé le cul à bosser pendant toute notre putain de vie pour conquérir l'océan et là, il suffit d'une petite défaite et hop, ça y est, on existe plus. Alors merde ! Va te faire foutre, le Roux.
— Si tu veux, si un jour je le croise, je lui pète la gueule. Moi aussi j'ai un haki de taré.
King considéra sa proposition une seconde, les yeux soudain brillants et humides, avant de se raviser et de se faire tout petit.
— Ouais mais non, tu vas avoir des problèmes.
— Au point ou j'en suis, pouffa Katakuri. Tu m'en crois pas capable, c'est ça ?
— J'ai pas dit ça.
Il fit une pause — et força encore Katakuri à trébucher — pour regarder tout autour de lui.
— On est où là en fait ?
Katakuri se détacha de nouveau de lui pour prendre les devants et pour repérer les lieux plus sérieusement. Heureusement que le donut de son palais faisait office de phare dans la nuit.
— Attends je sais ! Attends, dit-il encore, tout en réfléchissant. Non, en fait je sais pas.
King recommença à rire.
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Katakuri, pas du tout démoralisé, guida King à travers la ville en percutant chaque élément de décoration qui se trouvait sur sa route — il passait son temps à se retourner pour être sûr qu'il le suivait — et en jurant à chaque instant qu'il savait où il allait. King avait du mal à avancer, il était trop occupé à se tenir les côtes tellement il riait.
L'image de ce grand machin dégingandé qui se cognait tous les trois pas était, à ses yeux, un bijou de comédie. Au début, il avait pensé que ça lui déplairait de le voir dans cet état. Il avait trop souvent été témoin des ravages l'alcool. Mais Katakuri n'était ni diminué, ni triste. Il avait l'air d'avoir perdu vingt ans et réagissait à tout ce qu'il voyait ou entendait comme un adolescent stupide, ravi de faire une grosse bêtise. Quand il ne se lançait pas dans une engueulade avec une fontaine de sirop, où une statue de bonbon qui avait l'audace de se trouver sur son chemin.
Il se retourna une vingtième fois afin de s'assurer que King était toujours derrière lui et, puisqu'il était incapable de s'arrêter pour prendre le temps de réfléchir avant de bouger, il se prit un lampadaire de plein fouet. Il poussa un grognement mécontent alors qu'un "dong" sonore retentissait dans toute la ville. King, qui avait déjà du mal à reprendre son souffle, éclata de rire et perdit l'équilibre avant de s'écrouler de tout son long sur le sol, les abdos douloureux.
— Arrête de rire, j'me suis fait mal, se vexa Katakuri en malaxant son visage meurtri.
— Vu le bruit, c'est le lampadaire qui a du se faire mal !
— Mais qui a mis ça là ?! S'énerva-t-il soudain. CA GENE !
Il saisit le poteau métallique entre ses deux mains, tira d'un coup sec et arracha le malheureux lampadaire du sol, les privant alors de lumière. Et comme son état ne lui permettait plus de savoir comment mettre un pied devant l'autre, il tomba sur les fesses, juste à côté de King — sans toutefois lâcher son trophée.
— Voilà ! S'exclama-t-il en le jetant enfin sur les pavés. Comme ça on est tranquille !
Il essaya de se relever mais retomba mollement sur le dos, rejoignant King dans son fou rire. Les pauvres avaient du mal à respirer. Il leur fallut plusieurs minutes pour se calmer. Quand finalement ils parvinrent se regarder sans repartir en crise de rire, il profitèrent d'un instant pour se reposer et laisser l'alcool redescendre un peu.
Un rot échappa à King.
— A tes souhaits, répondit Katakuri qui peinait à trouver une position confortable pour son dos. Oula, le ciel tourne. C'est normal ?
— Nan, lui confirma King. tu vas gerber tes tripes.
Il vérifia ses propres dires en jetant un petit coup d'œil à son voisin et, considérant leur proximité, il poussa la tête de Katakuri du plat de la main pour mettre une distance entre lui et un vomi hypothétique.
— Fais le loin de moi par contre.
Katakuri laissa échapper un petit "ah !" de surprise au contact de la main de King sur sa joue.
Il eut d'abord l'air prêt à déblatérer ses bêtises habituelles sur sa bouche mais son visage changea soudainement d'expression pour laisser place à un air intrigué. Il coinça la main de King dans la sienne sans la quitter des yeux.
— T'as la main très chaude.
— Bah normal, c'est ma main.
Il fallut plus d'une minute à King pour réaliser qu'ils étaient vraiment très proches et que Katakuri manipulait ses doigts avec une délicatesse surprenante.
D'ordinaire, Katakuri était bien trop pudique pour se permettre un contact physique aussi direct avec lui — ou avec qui que ce soit d'autre d'ailleurs. Mais l'alcool l'avait détendu au point de lui faire oublier qu'il était outrageusement timide. King lui-même avait le cerveau embrumé mais il lui restait assez de conscience pour réaliser comme le visage de son ami avait changé maintenant qu'il avait quelque peu perdu le contrôle de ses gestes. Sa bouche était moins figée ; même si il l'exposait au grand jour depuis un moment, on devinait aisément qu'il faisait toujours en sorte de ne pas "choquer" les yeux trop curieux qui pouvaient se poser sur elle. Il ne l'ouvrait jamais trop grand et il parlait toujours bas pour ne pas découvrir ses dents.
Mais là, tout de suite, il s'en fichait. Il était lui-même et King lui découvrait des mimiques joyeuses et pleines de personnalité qui n'avaient absolument rien de monstrueux. Il se perdit dans sa contemplation, plus très sûr de ce qu'il devait blâmer pour la sensation d'étourdissement qui lui embrouillait la tête : l'alcool, ou autre chose. Il n'y avait plus un bruit, plus d'autre lumière que celle qui flottait dans son dos, rien qui pouvait détourner son attention des sensations agréables générées par ce simple contact. Katakuri réalisa à son tour qu'il lui tenait la main depuis un moment et, sans la lâcher, il l'interrogea du regard afin de savoir si ça ne lui posait pas de problème d'être touché.
Ce n'était pas le cas.
Un silence s'installa et King sentit un brusque élan d'affection le submerger. Son cœur s'emballa, comme pris de panique, et une chaleur inconnue, venue du ventre, l'étouffa de surprise. La tentation de toucher Katakuri et de lui ôter son gant se fit soudain immense. Et il lui sembla, pendant une seconde, que celui-ci avait lu dans ses pensées.
Ils restèrent là, sans bouger, à se regarder sans oser faire un seul geste de plus.
Sur le fil du rasoir.
King, soudain apeuré, reprit le contrôle et rompit leur contact visuel en cherchant à se relever. C'était trop d'un seul coup. Il était sûr d'avoir compris quelque chose sans parvenir à l'identifier, son état ne le lui permettait pas. Pour le moment, il lui paraissait plus sage de fuir.
— Euh, il faut peut-être qu'on retrouve ton palais, dit-il à toute vitesse sans articuler.
Katakuri ne sembla pas se formaliser de son flagrant changement de comportement, il se redressa à son tour avec un grognement mais resta assis. Son expression était toujours guillerette mais King remarqua qu'il se tripotait nerveusement la mâchoire.
— Si tu veux, mais donne moi une seconde, je me sens pas très bien.
Un cri se fit entendre, pas très loin d'eux.
— KATAKURI ! Hurla la voix d'Oven, quelque part dans une rue des environs.
Katakuri écarquilla les yeux en réalisant avec horreur qu'il avait des ennuis.
— Oh merde, marmonna-t-il en se relevant tant bien que mal et en se précipitant sur King. Vite, vite, vite il faut qu'on se casse !
— Oh non, moi je cours plus, je suis crevé !
Il le poussa sans ménagement, sans écouter ses protestations.
— Tu discuteras plus tard, vite ! Tu dois déguerpir, il faut pas qu'on te voit !
Son empressement à le cacher comme un secret honteux força King à repartir en fou rire.
— Mais où veux-tu que j'aille ? J'habite chez toi !
— ARRÊTE DE DISCUTAILLER ET DÉGAGE !
Il parvint à le repousser jusqu'à l'entrée d'un parc boisé, probablement dans l'espoir qu'il s'y cache.
— Ok c'est bon, c'est bon, je vais partir mais toi tu vas faire quoi ?
— Je vais me faire engueuler. Après je verrais.
— Je peux pas rester regarder ? Plaisanta King.
— Non, allez ouste ! Supplia Katakuri en le poussant encore dans le dos.
King, qui avait déjà oublié sa peur de tantôt, était partagé entre l'envie de lui faire plaisir en disparaissant discrètement et entre son besoin de rester encore un peu, de prolonger l'échange tant que possible. Puisque Katakuri l'avait mis dans tout ses états, il devait impérativement lui rendre la pareille. Il fit d'abord mine de céder à sa demande à contre cœur, pour l'apaiser. Puis quand il s'y attendait le moins, il pivota sur ses talons lui attrapa la main pour y déposer un léger baiser, en guise d'au revoir.
Il attendit un instant avant de partir, pour savourer sa réaction. Katakuri piqua un fard immédiat et le poussa plus fort en marmonnant des borborygmes paniqués et incompréhensibles.
Le choc fit perdre l'équilibre à King, qui tomba à la renverse dans les massifs de fleurs. Le choc de son propre poids l'assomma légèrement et il resta planté là un moment avant de se décider à quitter la zone. La voix de Oven lui parvint mais il ne fit aucun effort pour essayer de comprendre ce qu'il disait. Il rampa sur le sol et s'éloigna lentement, sans savoir où il allait.
/
Katakuri culpabilisa une seconde d'avoir balancé King dans les buissons mais il oublia très vite. Il était trop occupé à se remettre de ses émotions. Il n'avait jamais autant regretté de porter des gants.
La voix de Oven retentit à nouveau et il essaya d'avoir l'air de ne pas avoir été proche de King quelques temps plus tôt. Il s'interposa entre la "cachette" de celui-ci et son frère, même s'il n'avait pas la moindre idée d'où il allait débarquer. Heureusement pour lui, Brûlée le trouva la première. Un miroir scintilla quelque part au-dessus de lui et il l'entendit appeler leur frère.
— Oven ! Je l'ai trouvé !
Elle descendit et rejoignit Katakuri. Il se rendit compte qu'il était très content de la voir.
— Brûlée ! Il faut que je te parle !
Elle arriva à sa hauteur et il fut soulagé de voir qu'elle n'était pas fâchée du tout, un sourire amical flottait sur son visage.
— Attends un peu, s'amusa-t-elle. Tu vas t'asseoir une seconde d'abord.
Elle s'avança vers lui et voulut lui prendre la main pour le guider vers un endroit où il pourrait se reposer mais il l'en empêcha en la gardant serrée contre lui. Il devait absolument lui expliquer son geste mais Oven déboula d'une rue adjacente. Contrairement à leur sœur, il était furibond.
— TOI ! Hurla-t-il en désignant son jumeau avec rage. J'ai deux mots à te dire !
Katakuri se dégagea de l'emprise de Brûlée et fonça à sa rencontre. C'était risqué mais il se sentait sincèrement désolé d'avoir mis son frère en rogne et voulait le calmer.
— Oven ! Dit-il en lui tombant dans les bras par surprise pour lui faire un câlin.
Choqué, Oven s'immobilisa immédiatement. Katakuri le serra contre lui, il y avait très longtemps qu'il n'avait pas pris son frère dans ses bras et maintenant il n'avait plus envie de le lâcher.
— ... Wow. Ok. Il est complètement bourré, déclara Oven, stupéfait. Et il est où l'autre ?
Brûlée haussa les épaules sans cesser de rire, attendrie par la niaiserie soudaine de son aîné.
— Je t'en supplie Oven, fais le s'asseoir.
Oven obéit et repoussa son frère avec douceur malgré sa colère — l'étreinte l'avait probablement touché. Katakuri tomba mollement sur les fesses, entouré par son frère et sa sœur qui semblaient tout à coup réellement inquiets pour lui. Il se demanda pourquoi jusqu'à ce qu'il sente que la terre tournait vraiment beaucoup trop vite autour de lui.
— J'suis pas bien, déclara-t-il en se rappelant de l'avertissement que King lui avait donné quelques minutes plus tôt.
— Respire, ça va aller, le rassura Brûlée.
Il souffla une seconde afin de retrouver ses esprits mais c'était compliqué. Il y avait beaucoup de choses très importantes qui tournaient dans sa tête et il avait du mal à se concentrer maintenant que son estomac menaçait de se vider et que Oven lui hurlait dessus.
— Vraiment, tu te fous de ma gueule ! Ca fait des années. Des années ! Que je te supplie de venir à ne serait-ce qu'une soirée pour que tu t'amuses avec nous, tu m'as toujours dit "oui euh tu sais c'est pas mon truc, il faut que je sois sérieux, nia, nia, nia", tu fais la gueule à chaque Tea Party... Mais là, ça y est ! Il y a un connard de beau mec qui se pointe et alors là par contre, c'est la fête !
Brûlée essaya de le tempérer un peu mais même sous influence de l'alcool, Katakuri comprenait parfaitement pourquoi il était aussi en colère.
— C'était pas prévu que ça se passe comme ça, dit-il pour se défendre.
— Ca, je me doute ! Mais comme quoi, tu es capable de te marrer comme tout le monde ! Je te jure que la prochaine fois, t'as pas intérêt à me faire le coup du frère exemplaire ! J'y crois plus maintenant, c'est fini.
Soudain, Katakuri repensa à la façon dont lui et King avaient quitté la soirée.
— Oh pardon ! S'exclama-t-il en se couvrant la bouche. Je crois que j'ai complètement gâché la fête !
Oven le jugea d'abord avant d'avoir pitié de lui et de s'adoucir.
— Gâchée... Peut-être pas. Les gens ont été un peu surpris c'est tout, le rassura-t-il. Par contre il y en a pour quelques millions de berrys de dégâts, ouais.
— Des millions ?!
— Heureusement qu'on a fait ça chez toi. Comme ça demain ce sera ton problème.
Oven avait oublié sa colère, à présent il jubilait mais Katakuri était mortifié.
— Je suis vraiment désolé, je me rendais pas compte. Je me suis un peu laissé emporter...
— Ah bah on a vu hein, se moqua Oven, infléxible.
Katakuri se sentait tout à coup tellement ému qu'il aurait pu fondre en larmes. Heureusement pour lui, Brûlée était de la partie et elle n'avait pas l'intention de laisser Oven profiter d'une revanche mesquine.
— Allez, on verra ça demain. Katakuri, tu vas venir dormir chez moi parce que là, tu tiens plus debout.
— Mais non, ça va aller, je peux rentrer chez moi.
— Jamais je te laisse monter des escaliers dans l'état ou tu es.
Elle lui saisit le bras pour l'aider à se relever et il se rappela instantanément avoir quelque chose de très important à confier à sa sœur préférée.
— Brûlée, il faut vraiment que je te dise un truc.
— Ça ne peut pas attendre cinq minutes ? Râla-t-elle sans cesser d'essayer de soulever l'énorme masse de son frère.
— Non, c'est urgent.
Il lui fit comprendre d'un geste, qu'il croyait discret, qu'il s'agissait d'une confidence capitale et elle consentit à lui tendre l'oreille.
— Si je vous dérange dites le, grogna Oven, vexé d'être ignoré.
Katakuri s'approcha de Brûlée pour lui chuchoter son secret.
— Je crois que je suis amoureux de King.
Elle se détacha de lui avec mauvaise grâce et le toisa d'un regard mi attendri, mi consterné.
— Oui, je sais. C'est pas un secret.
— Non mais vraiment.
— Oui, je te crois, se moqua-t-elle gentiment, toujours à voix basse pour que Oven ne sache rien de leur échange.
— Et puis...
Il réfléchit une minute et se rejoua toute la scène dans sa tête avant de lui confier la suite.
— Je suis pas sûr, mais je me demande si c'est pas réciproque.
Il avait l'impression de dévoiler un secret encore plus important que celui du One Piece et fut d'autant plus étonné d'entendre Brûlée soupirer.
— Je te le confirme. Ça n'a échappé à personne.
Il resta sous le choc pendant un instant. A la fois pour encaisser ce que Brûlée venait de lui dire et pour réfléchir à tout ce que pouvait impliquer cette réciprocité.
Les effets de l'alcool s'estompèrent alors et sa raison refit surface. Cette histoire était en train d'aller trop loin et il ne la contrôlait plus. Son lâcher prise de ce soir pouvait avoir des conséquences catastrophiques pour toute la famille. Pour tout Totto Land. Son esprit était encore trop embrouillé pour en saisir tous les tenants et les aboutissants mais il savait qu'un palier avait été franchi. Il interrogea Brûlée d'un regard angoissé.
— Qu'est-ce que je vais faire ?
Elle comprit son dilemme et son visage exprima la même incertitude inquiète que lui. Elle choisit de garder les pieds sur terre et de remettre à plus tard ce qui nécessitait une vraie discussion.
— Pour l'instant : tu vas dormir. Le reste, on en parlera plus tard. Lève toi !
Katakuri fit enfin l'effort qu'elle attendait de lui et tenta de se rappeler comment fonctionnait son corps. Elle lui offrit son épaule pour qu'il s'y appuie mais Oven intervint avant qu'il ne puisse profiter de cette aide bienvenue.
— Attends Brûlée, pousse toi une seconde.
Un flash aveugla Katakuri avant qu'il ne parvienne à se remette debout. Quand il fut sur ses deux pieds et de nouveau en mesure de voir clair, il aperçut Oven, un escargophone à la main, en train de ranger une photo dans sa poche.
— Si tu crois que je vais te laisser oublier cette soirée, tu rêves, dit-il à son jumeau en le gratifiant de son plus beau sourire. Celle-là, je vais en faire des posters.
/
King errait dans le parc sans trop se presser. Il marchait tranquillement en direction du palais donut, laissant l'alcool redescendre. Et ça allait plus vite que prévu.
Passé l'amusement de voir Katakuri paniquer avant l'arrivée de son frère et la fierté de l'avoir mis dans tous ses états, il se retrouvait seul avec ses pensées. Et elles étaient tumultueuses. Il n'avait pas eu d'autre choix que de dessaouler s'il voulait être sûr de les comprendre. La première, qu'il ne cessait de ressasser, était déjà tellement extraordinaire qu'il ne savait pas comment l'appréhender. La première fois qu'elle lui était venu à l'esprit, il était resté immobile à fixer le vide tant elle lui semblait irréelle.
C'était la première fois de sa vie qu'il s'amusait. Avant cette soirée, jamais il n'avait passé de bon moment comme celui-là, à ne rien faire d'autre que se détendre. Pas d'objectif à atteindre, pas de soucis à se faire pour quelqu'un, pas d'ennemis à vaincre ou à fuir, rien. Il avait passé une soirée agréable et il avait ri. A force, il avait fini par croire qu'il n'en était vraiment incapable !
Il faut dire que pendant toutes ses années, il n'avait eu personne pour rire avec lui. Du moins personne qui lui semblait digne de confiance. Kaido était le seul candidat au poste et c'était un fêtard de première mais il était son capitaine. King avait tout de suite pris le rôle de celui qui garde la tête froide en toute circonstance, pour le protéger des débordements. Il n'avait jamais été son compagnon de beuverie mais plutôt celui qui se tient dans l'ombre, prêt à intervenir si les choses tournaient mal. Quant au reste de l'équipage, leur animosité conjuguée à sa méfiance vis à vis du monde entier ne lui avait certainement pas donné envie de s'en faire des amis.
C'était la place que Katakuri avait pris sans qu'il ne s'en rende compte, celle d'un ami. C'était nouveau pour lui.
Cette idée lui réchauffait le cœur autant qu'elle lui faisait mal. Tout ce temps, il avait considéré Kaido comme le seul être digne de son affection, le seul en qui il pouvait placer toute sa confiance — et c'était toujours le cas, l'affection qu'il lui portait n'avait pas bougée d'un iota — mais à présent, il réalisait le déséquilibre qui caractérisait leur relation.
Tout ce qu'il avait partagé avec Kaido ne l'avait jamais conduit à se lâcher à ce point là, et il ne comprenait pas pourquoi. Était ce de sa faute ? Parce qu'il le respectait trop pour se permettre d'être ridicule en sa présence ? Par peur de trop en dévoiler sur lui-même ? Parce qu'il avait toujours cherché à cacher son identité au point de renier son propre nom ? Il aurait dû faire mieux. S'il avait pris son rôle d'ami plus tôt, et plus au sérieux, peut-être que l'alcoolisme de Kaido n'aurait pas été solitaire. Peut-être qu'il n'y aurait pas eu cette distance entre eux.
En même temps, il était heureux d'avoir rencontré Katakuri justement parce que cette pression était complètement absente de leurs rapports. A tort, sans doute, pourtant c'était le cas. Il ne se sentait obligé de rien en sa présence. Il ne s'était jamais permis ça avec Kaido. Et il se sentait d'autant plus coupable d'éprouver de la joie face à ce constat. Car c'était bien l'émotion qui dominait pour le moment : il était heureux et satisfait.
Mais à ce bien être qui lui tenait encore l'esprit, s'ajoutait le reste. Ce qui l'avait fait paniquer.
Il considérait Katakuri comme un ami, de ça il était sûr, mais il se demandait également s'il n'y avait pas plus... ?
Il avait l'habitude qu'on lui court après et qu'on le courtise. Même avec son masque il avait toujours été conscient de son magnétisme. Il ne comptait plus le nombre de fois où les recrues de son équipage, ou divers alliés, avaient tenté de l'attirer dans leurs filets. Il avait toujours éprouvé, sinon du mépris, de la répulsion pour le désir qu'il créait chez les gens. Parce qu'il le savait orienté et morbide.
Il n'avait jamais senti ça chez Katakuri. Pas une seule fois. Dès leur première rencontre il avait constaté chez lui une dignité et un honneur qui lui interdisaient tout manque de respect, même envers un ennemi. Et il avait toujours fait attention à ne pas outrepasser ses limites quand rien ne l'y obligeait. Au contraire ! Leurs capitaines étaient rivaux, il aurait dû le traiter avec méfiance et mépris, il ne l'avait jamais fait.
Et ce soir, il était quasiment certain d'avoir détecté plus que de la sympathie dans son regard. Ou alors il se faisait des idées parce qu'il était complètement retourné par ses propres égarements. Il n'avait jamais eu d'ami avant mais il n'avait jamais eu de bouffées de chaleur pour l'un d'entre eux non plus. Ni ressenti d'envie de le toucher.
Il avait du mal à comprendre d'où lui venait ces émotions et comment elles fonctionnaient mais il n'était pas complètement ignorant non plus. Il savait ce que c'était. Et il était inquiet. Qu'est-ce qui allait se passer maintenant ?
Il y avait encore une chance pour qu'il soit complètement à côté de la plaque et que l'alcool lui ait fait imaginer des choses — même si cette perspective lui déplaisait — alors il ne voulait pas s'emporter. Si ça ne devait rester que dans un sens, il n'y avait pas de raison de s'en faire. Ca passerait. Leurs équipages ne seraient pas mis en danger. Et puis, il avait l'habitude du sens unique après tout. C'était ce qu'il espérait, c'était l'option la plus lâche mais aussi la plus simple.
Les effets pervers de l'alcool commençaient à faire leur effet. Passée l'euphorie du jeu, il broyait du noir. Il n'avait pas envie d'être raisonnable et de penser à l'avenir, il voulait rester sur son nuage, retourner faire l'idiot avec Katakuri mais il était trop tard pour revenir en arrière.
Un bruit attira son attention. Des sanglots ? Il n'était quand même pas en train de chouiner sans s'en rendre compte ? Il porta la main à ses yeux pour vérifier mais ils étaient secs. Ce n'était pas lui qui pleurait. Il s'arrêta et chercha l'origine du bruit en regardant tout autour de lui. A force de réfléchir, il n'avait pas fait attention au décor. A quelques mètres de là, il y avait un bel étang et devant celui-ci, sur un banc, pleurait une toute petite silhouette féminine.
C'était Pudding. Il n'avait plus aucun mal à la reconnaître maintenant. Passé l'étonnement de la voir dans les parages, il retrouva tout à coup son entrain. C'était la distraction dont il avait besoin ! Une petite emmerdeuse qu'il pouvait emmerder à son tour. Il sentit un sourire fendre son visage alors qu'il s'approchait d'elle, pernicieusement. Pour une fois, il serait celui qui débarquerait de nulle part pour troubler sa solitude.
Il fit tous les efforts du monde pour ne pas faire un seul bruit. Il n'était pas sûr d'y arriver mais Pudding était trop prise par son chagrin pour remarquer sa présence. Il s'approcha tout doucement et quand enfin il arriva à sa hauteur : il lui cria dans les oreilles pour la faire sursauter.
La pauvre poussa un cri strident à réveiller les morts et faillit foncer dans l'étang par réflexe. Elle se retourna et posa un regard furieux sur lui alors qu'il était très fier de sa blague.
— ESPÈCE DE MALADE ! Hurla-t-elle. Tu te crois drôle ?!
— Tu l'as pas volé, ricana-t-il.
Elle avait l'air tellement outré qu'il ne pouvait pas s'empêcher de rire comme un idiot. Il avait parfaitement conscience que ce n'était pas le moment — la pauvre gamine avait le visage ruisselant de larmes — pourtant il avait le sentiment d'avoir eu raison. Elle n'était pas de cet avis : elle ramassa la première pierre qu'elle avait sous la main et la lui jeta en plein dans le ventre.
— DÉGAGE !
Une piqûre de moustique lui aurait fait plus de mal.
— Qu'est-ce que tu fous là toute seule toi ? Demanda-t-il enfin, sans vraiment se rendre compte à quel point sa présence dans son intimité était malvenue.
— Je t'ai dit de te casser ! Fous moi la paix !
Elle s'agitait comme un chihuahua à ses pieds et vu l'état dans lequel elle était, il était hors de question qu'il la laisse traîner dans la rue. Il la considéra comme il aurait considéré Yamato dans la même situation : il allait la ramener dans sa chambre, par la peau du cul s'il le fallait.
— Allez ça suffit les conneries, tu viens là, hop.
Il s'approcha d'elle et, sans qu'elle puisse y faire quoi que ce soit, il la ramassa tel un insecte sur le sol. Elle n'en revenait pas qu'il ose faire une chose pareille et s'époumona pour qu'il la laisse partir, en pure perte.
— MAIS LACHE MOI ! CONNARD ! Hurla-t-elle en se débattant comme un diable dans sa main.
— C'est ça, insulte moi si ça te défoule. Je te ramène.
Il enjamba l'étang et reprit tranquillement sa route vers le palais. Pudding lui donnait des coups de pieds et criait à s'en arracher les cordes vocales en le traitant de tous les noms mais ça ne le gênait pas le moins du monde. Il était très habitué.
— Mais qu'est-ce que tu as bu pour être stupide comme ça ?! Lâche moi, je veux être seule !
— Pff, quelle casse-couille.
S'en suivirent plusieurs longues minutes où il feignit de ne pas entendre ses hurlements ou ses insultes. Quand enfin elle parut se fatiguer un peu, il la déposa sur son épaule — en lui déconseillant de sauter au risque de se péter une jambe à l'atterrissage — et se décida enfin à la faire parler.
— Alors, c'est quoi ton problème ? Pourquoi tu fais la gueule ?
— Je ne fais pas la gueule, répliqua-t-elle, toujours agressive.
— Si, tu fais la gueule. Je t'ai trouvée en train de chialer comme une victime alors vas-y, déballe.
Elle refusait de le regarder en face et gardait une posture défensive.
— Profites que je sois de bonne humeur parce que ça arrive pas souvent.
Sans la voir, il sentait qu'elle était partagée entre ce que lui dictait son orgueil et son besoin flagrant d'épancher ce qu'elle avait sur le cœur.
— En quoi ça t'intéresse ? Cracha-t-elle.
— Arrête de tergiverser et lâche toi. A qui veux-tu que je le répète de toute façon ?
Cet argument fit mouche. Elle hésita quelques minutes et il la sentit s'agiter sur son épaule avant de finalement saisir la perche qu'il lui tendait.
— Je ne me sens pas à ma place, dit-elle enfin.
King leva les yeux au ciel mais trouva la force en lui pour ne pas lui répliquer "comme tous les ados du monde". Il ne répondit rien et la laissa parler. Elle avait beaucoup plus sur le cœur qu'elle ne voulait bien le montrer et King n'en fut pas surpris. Il s'abstint de faire des commentaires même si la tentation était grande et qu'il n'en pensait pas moins.
Elle lui parla de la pression qu'elle ressentait vis à vis de ses frères et sœurs — évidemment — de son mariage raté et de l'impression qu'elle avait d'être passée à côté de sa vie — mais t'as seize ans, t'en trouvera un autre — des responsabilités qu'on lui confiait et dont elle pensait ne pas être digne — on t'as pas confié la gestion de l'empire non plus, détends toi.
— Et puis, encore un truc, on dirait pas parce qu'on est nombreux dans la famille mais moi je suis toute seule.
Cette fois King ne comprit pas ce qu'elle voulait dire par là.
— Comment ça "toute seule" ? T'as pas de jumeau, c'est ça ?
— Non. Je suis la seule Trois-Yeux.
King ralentit l'allure. Il était surpris. Maintenant qu'elle le lui faisait remarquer, il réalisait qu'en effet, il n'avait pas vu d'autre Trois-Yeux sur Totto Land.
— On est tous différents parmi mes frères et sœurs, poursuivit-elle. Et je suis pas la seule à avoir caché ma vraie nature, je le sais maintenant, mais Katakuri ce qu'il a c'est une particularité. Ca le rend unique. Moi je sais que je ne suis pas la seule au monde à être comme ça, pourtant on me regarde comme si...
Elle s'interrompit, soudain un peu gênée.
— Mais bon, tu peux pas comprendre.
King s'arrêta pour de bon et lui décocha un regard et un sourire lourd de sens. Il comprenait très bien. Elle lui rendit un regard incrédule pendant une seconde avant de réaliser la bêtise de sa déclaration.
— Oh, si, tu comprends, s'excusa-t-elle.
Il reprit sa marche, un peu troublé par leur échange. Il n'avait pas réalisé que lui et Pudding partageait un point commun que peu de gens partageaient avec eux. Cela expliquait peut-être pourquoi elle lui avait tant collé aux basques. Peut-être avait-elle recherché ce contact avec une personne qui, elle aussi, savait ce que cela faisait d'être seul représentant d'un clan tout entier. Il éprouva alors une énorme empathie envers elle et fit ce qu'il n'était pas habitué à faire, il la réconforta.
— Je sais parfaitement ce que tu ressens mais dis toi que tu as de la chance.
— Comment ça "de la chance" ?
De toute évidence elle n'en croyait pas un mot.
— Oui. Tu as des frères et sœurs pour se soucier de toi.
Elle resta silencieuse. King poursuivit, il n'était pas au mieux de sa forme mais il essayait d'être clair.
— Sur les quatre vingt il y en bien au moins quatre ou cinq qui t'aiment ! Et qui sont métis eux aussi. Ils ne comprennent sûrement pas ce que toi tu vis, mais ils existent. C'est toujours mieux que d'avoir personne.
— Peut-être, lui concéda-t-elle. Mais ils attendent quand même de moi que j'éveille un pouvoir que personne ne peut m'expliquer.
King ne répondit pas. Il n'avait plus rien à lui dire qui aurait pu l'aider à se sentir mieux.
— Tu dois te sentir seul, toi aussi.
— Vaut mieux pas parler de moi.
Elle souffla.
— T'es gonflé, tu me fais parler mais tu dis rien !
Comme King continuait de marcher sans dire un mot, elle se tut également. Il la sentait moins tendue et finalement, il la soupçonnait d'être bien contente que quelqu'un lui soit tombé dessus pour l'inviter à parler. Quelqu'un d'extérieur à sa famille.
— Donc euh, reprit-elle doucement. Sanji, il était à Wano. Tu l'as vu ?
Il sourit. Voilà pourquoi elle se tenait tranquille, cette petite peste. C'était tout ce qui l'intéressait.
— J'ai essayé de l'embrocher, dit-il, exprès pour l'énerver.
— Quoi ?! Mas t'es un monstre !
— Oui.
Elle lui frappa la tempe de ses tout petits poings sans lui causer le moindre dommage.
— Eh, t'as bien vu dans le journal que ça allait bien pour lui, alors arrête de me frapper.
Elle s'exécuta mais il savait que c'était parce qu'elle manigançait quelque chose. Il pouvait percevoir son sourire rusé du coin de l'œil.
— Je sais que t'as craqué pour mon frère, alors fais pas le malin.
— Qu'est-ce que tu racontes ? Grogna-t-il sans la regarder, se maudissant lui-même d'avoir une répartie aussi nulle.
— Ça fait un moment que je te vois lui tourner autour, fais pas genre !
Bêtement, King ne savait pas quoi répliquer. Elle l'avait eu et elle le savait. Elle savoura sa victoire en le taquinant sans pitié. Elle ne tolérait pas son manque de réaction.
— Admets-le que tu l'aimes bien au moins, insista-t-elle. Comme ça on sera quittes.
— Et puis quoi encore !
— Allez...
— De toute façon, ça n'a pas d'importance que je l'aime bien ou non.
— Comment ça ? Dit-elle sans comprendre.
King soupira, incertain de ce qu'il allait dire et du manque de prudence qu'il y avait à confier une chose pareille à une fille de Big Mom, fut elle adolescente.
— Parce que c'est temporaire. Malgré ce que ton frère a fait pour moi, et à quel point on a pu se marrer ce soir, il y a un moment où ça va devoir se finir. Quand nos capitaines reviendront, on retournera comme avant et on sera de nouveau ennemis.
Pudding perdit son sourire et lui aussi. En écoutant sa propre explication, il se rendit compte d'une chose : il n'avait pas du tout envie que ça arrive.
— Ben, t'as qu'à l'emmener avec toi, dit Pudding en haussant les épaules.
— Quoi ?
— Katakuri. Emmène le avec toi chez Kaido, il n'est pas heureux ici de toute façon.
Elle parlait plus d'elle-même que de son frère mais il envisagea cette option et réalisa que Kaido ne s'opposerait sûrement pas à ce qu'il rejoigne leur équipage. Une seule chose comptait pour lui : la force. Et Katakuri était d'une puissance remarquable en plus d'être compétent. Il doutait qu'il soit plus heureux sur Onigashima que sur Totto Land mais au moins là-bas, il n'aurait pas à se cacher.
Mais Big Mom le prendrait sûrement moins bien et ils n'étaient pas à l'abri d'une guerre s'ils enrôlait l'équivalent d'un prince de Totto Land dans leur équipage, et après ce qui s'était passé à Wano était-ce bien raisonnable de...
— Non allez stop, on arrête de parler de ça je suis pas en état et t'es en train de m'embrouiller le cerveau. Sorcière !
Pudding gloussa.
— J'ai juste proposé un truc, c'est toi qui t'embrouilles tout seul.
— Toi je vais te ramener à ta chambre en te faisant passer par la fenêtre, tu vas voir, la menaça-t-il.
Disant cela, il constata que justement, le palais n'était plus qu'à quelques mètres d'eux. Il jeta un petit regard à Pudding qui n'était plus certaine d'être en sécurité sur son épaule.
— N'y pense même pas, dit-elle en serrant les dents.
Il n'attendit pas une seconde de plus et la coinça de nouveau dans sa main. Elle poussa un cri suraigu, partagé entre la détresse et le fou rire.
— Non ! Repose moi ! Je m'excuse !
— Tu vas voir ce que j'en fais des gamines insolentes comme toi, menaça King, sans être sérieux le moins du monde.
Il feignit de la lancer par dessus sa tête et Pudding hurla de plus belle.
— T'inquiète pas, même soûl je vise bien, c'est laquelle ta fenêtre ? Je vais t'envoyer directement dedans.
— Non, arrête lâche-moi ! Parvint-elle à articuler dans son fou rire.
— Je peux savoir ce que tu fais à ma sœur ?
King s'aperçut enfin de la présence de Oven, qui l'attendait patiemment sur les marches du palais, les bras croisés sur la poitrine. Son visage exprimait très explicitement qu'il n'était pas d'humeur à plaisanter du tout. Pudding l'appela à l'aide.
— Au secours ! Oven, il me brutalise !
— Mais non, nia King. C'est une otage très heureuse.
— L'écoute pas ! Il me veut du mal !
Le rire de Pudding prouvait clairement qu'elle n'était pas en danger et Oven se détendit un peu, même si chacun de ses gestes exprimait une lassitude extrême — pour le coup, quand il était dans cet état, il ressemblait énormément à Katakuri.
— Ça suffit, lâche la maintenant.
King estimait qu'effectivement, il était temps qu'il la libère. Il la déposa sur le sol — avec délicatesse, elle devait avoir la tête qui lui tournait un peu maintenant — et elle fila jusqu'au palais au trottinant. Personne n'aurait pu deviner qu'elle avait passé une bonne partie de la soirée à pleurer.
Elle rejoignit son frère avec une petite moue coupable mais il la congédia d'un signe de tête bienveillant. King l'entendit chuchoter : "sois gentil avec lui" à son aîné avant de disparaître derrière la porte du palais. Oven leva les yeux au ciel en réponse et attendit que King s'approche d'un peu plus près.
Il aurait certainement dû se sentir menacé mais il n'était pas assez sobre pour ça. Oven ne l'intimidait pas le moins du monde.
— Toi, je te retiens, déclara-t-il, les dents serrées, alors que King gravissait les marches.
Il ne savait pas exactement ce qu'il lui reprochait : ne pas avoir tenu le rôle qu'il était censé jouer lors de la soirée, d'avoir dévergondé son jumeau en le faisant boire ou d'avoir malmené sa petite sœur.
— Je rembourserai les dégâts, dit-il pour plaisanter mais Oven n'avait toujours pas envie de rire.
— Je ne sais pas à quoi tu joues, mais je t'ai à l'œil.
King ne l'écoutait que d'une oreille, il se demanda tout à coup si Katakuri était rentré à bon port. Si son frère se montrait aussi hostile, peut-être que quelque chose de grave avait eu lieu en son absence ?
— Il est où ? Demanda-t-il alors.
— Qui ? Kata ? Loin de ta mauvaise influence.
King haussa un sourcil.
— Il pionce chez notre sœur parce qu'il tient plus debout, précisa Oven.
— Ah bon, dit-il, rassuré, avant de monter deux marches de plus pour aller dormir à son tour.
Oven l'arrêta en lui barrant la route du bras. King s'y cogna et manqua de tomber en arrière, surpris. Le jumeau le fusilla alors du regard — un regard si semblable à celui de leur mère, qui décourageait toute insolence.
— Si tu fais du mal à Katakuri, je t'explose la gueule. C'est compris ?
— J'en ai pas l'intention, répondit King, sans comprendre d'où venait cette animosité.
Il dépassa Oven une bonne fois pour toute et entra dans le palais, ravi à l'idée de se coucher. Ce n'est qu'après avoir monté quelques marches de plus qu'il comprit ce qu'Oven avait vraiment voulut lui dire. Et ce que ça impliquait.
Il venait de lui confirmer ce qu'il avait soupçonné au cours de la soirée. Et il n'avait pas la moindre idée de ce qui allait se passer.
Une étape a été franchie maintenant. Ils ont admis leurs sentiments (enfin, Katakuri l'a admis, pour King c'est plus compliqué). A partir de là, tout peut arriver.
J'ai encore des choses à écrire sur cette soirée mais je peux dire que nous en sommes à la moitié de l'histoire. Je pense. Après ça, on attaque le quatrième arc et je vous réserve encore bien des choses. J'imagine qu'il y en a ici qui me détestent et qui se demandent si je compte les mettre ensemble à un moment vu comme c'est long mais QUAND JE DIS SLOW BURN, C'EST SLOW BURN. (Et oui, bien sûr, on se rapproche fort de la concrétisation du ship là).
Et puis ça me permet d'explorer un maximum de dynamiques et de relations. Notamment celle de King et de Pudding qui est vraiment une de mes préférées. Pudding avait besoin d'une figure comme King dans sa vie : il n'est pas de sa famille et il est très bien placé pour savoir ce que ça fait d'être le seul représentant d'un clan. (Même si pour lui c'est encore différent parce que c'est, apparemment, le dernier) Ils ont tous les deux des lacunes face à une culture dont ils sont les représentants. Et aussi, ça m'amuse beaucoup de mettre le mec qui est vraiment pas doué avec les gosses en duo avec l'ado à problèmes de la famille Charlotte. Il a pris une place de figure paternelle sans s'en rendre compte.
Le prochain chapitre devrait sortir le 10/12 ! Je dis "devrais" parce que maintenant j'ai peur d'être en retard. Et je vais faire une pause pour les fêtes aussi, j'ai pas encore les dates en tête mais je le dirais quand je le saurais. En attendant j'espère que ce chapitre vous a plu !
A la prochaine !
