Cet OS a été écrit dans le cadre de l'ASPIC Angst du serveur Potterfictions. Il ne peut faire plus de 10'000 mots et doit comprendre trois tropes angsty, imposés par les autres participants et listés à la fin du texte.
Les TW sont également disponible à la fin du texte, j'ai préféré les ajouter là afin d'éviter de spoiler, n'hésitez pas à aller jeter un œil si vous avez peur de ce que vous pourrez trouver dans ce texte.
Bill grimace et essaie de chasser la source du bruit aigu qui résonne à ses oreilles d'un coup de main maladroit. Il se redresse en sursaut et pousse un grognement quand la lumière ambiante lui arrache les rétines.
— Merlin…
Comme toujours au réveil, il attend, quelques secondes, que ses muscles et ses os se réchauffent. Il hausse les sourcils en découvrant que rien n'est douloureux. Autour de lui, tout est d'un blanc aveuglant et il lui faut quelques secondes pour comprendre où il se trouve. L'endroit, malgré son absence de couleur, est d'une familiarité désarmante. Il ne l'a pas vu depuis des mois. Ses doigts se referment sur une touffe d'herbe immaculée et il déglutit avec peine. C'était sa clairière. Celle dans laquelle il rejoint Remus à chaque pleine lune. Il n'a aucune raison d'être ici. Il est supposé se trouver à des kilomètres de là. Sa respiration s'accélère et la panique commence à brouiller sa perception quand un sifflement attire son attention.
Toujours assis sur la pelouse, il se retourne d'un mouvement sec, son souffle le quittant avec force quand il découvre la vision qui l'attend. Remus se tient là, appuyé contre un arbre, les bras croisés sur la poitrine, un immense chien noir à ses pieds, l'air détendu. Sinistros.
Remus… Les larmes montent aux yeux de Bill qui se précipite pour enrouler ses bras autour de la silhouette frêle de l'ancien professeur. Il est… C'était impossible. Il palpe les biceps, le dos et la gorge du sorcier avec ferveur et la main de Remus s'enfouit dans ses cheveux avec douceur.
— Bonjour, Bill… Tout va bien.
Non, tout n'allait pas bien, non. Remus n'aurait pas dû se trouver là. Remus n'aurait pas dû pouvoir lui parler. Remus était… Bill se secoue mentalement.
— On est où ?
Remus observe le paysage autour de lui avec attention et sourit d'un air attendri. Bill ne l'a jamais vu aussi paisible, son visage est détendu, ses épaules relâchées. Ses doigts effleurent régulièrement la tête du chien à ses pieds, qui agite la queue à chaque caresse.
— Dans notre clairière, on dirait.
— Pourquoi tout est blanc ?
Le chien noir laisse échapper un soupir et lève les yeux au ciel. Bill louche en l'observant. Depuis quand les canidés sont-ils capables de ce genre de chose ?
— Tu n'as pas la moindre idée ?
Il déglutit et contemple ses bras nus, exempt de cicatrices, sa peau livide, couverte de taches de son, parfaitement lisse. Il passe les doigts sur son cou et dans le bas de son dos avant de porter un regard terrifié vers Remus. Remus qui est… Ses yeux se fixent sur la gorge du sorcier, tracent les tendons et la protubérance de sa pomme d'Adam.
— J'suis mort, c'est ça…
— Pas encore… Pas loin en tout cas.
— Mais… Et toi ?
— Ah… C'est pour ça que je suis là… On dirait qu'Harry a… Fais quelque chose. Je n'ai pas tout compris, mais… Il semblerait que quelqu'un d'autre pourrait être rescapé.
— L'un de nous ‽
— Hmm…
— Tu dois y retourner, Remus ! Ton fils… Dora !
— Ah… Je…
Remus baisse les yeux et enfouit ses doigts dans les poils sombres du chien qui laisse fuser un couinement si triste que Bill sent son cœur se briser. L'animal presse son museau dans la paume de Remus qu'il gratifie d'un coup de langue. L'autre main du sorcier se referme sur la bague qui pend à son cou. Un bijou que Bill a vu un millier de fois dans les six derniers mois. La chevalière de Sirius.
— Je suis trop abîmé pour rentrer, Bill. Et quand bien même, j'ai peur de faire plus de mal que de bien si j'y retourne…
À nouveau, ses doigts se serrent contre l'échine du chien, qui vient se plaquer contre lui, son museau frottant contre la hanche du sorcier.
— J'en ai déjà fait suffisamment.
Bill secoue la tête.
— Non, tu as une femme et un fils…
— J'ai un mariage de… convenance et un enfant qui sera bien plus heureux sans ma présence… Un enfant que je ne voulais pas… Dora se débrouillera très bien sans moi. Molly sera là pour elle. Fleur et toi aussi.
— Mais… Remus…
— Fleur est enceinte, Bill.
La nouvelle le frappe de plein fouet et il gémit en s'accrochant à l'écorce blanche de l'arbre le plus proche.
— Quoi ‽
— Elle l'était déjà quand tu es parti… Je l'ai senti sur elle. Ah… Ça ne va pas te plaire, mon louveteau…
Le surnom amical lui tire un sourire, mais quelque chose en lui se rebelle contre les deux mots. Il fronce les sourcils sans comprendre pourquoi le terme affectueux lui donne soudain envie de détruire tout ce qui l'entoure.
— Ah… Les souvenirs reviennent, on dirait… Soit fort, Bill, tu vas en avoir besoin.
Remus se projette en avant et enfonce son poing dans le nez de Bill qui retombe en arrière, sonné.
Bill releva la tête et décolla la mèche rousse qui s'était plaquée contre sa pommette humide. Il roula sur le côté, cracha et s'essuya la bouche du dos de la main en observant la salive, mêlée d'hémoglobine et de terre, glisser sur les brins d'herbe.
— Merde…
Il passa la langue contre l'intérieur de sa joue à la recherche de la plaie et découvrit qu'il avait perdu une dent. Une prémolaire, qui laissait un trou lisse et gluant de sang coagulé dans le fond de sa mâchoire. Il grogna et cracha à nouveau avant de se relever. Ou d'essayer, tout du moins. Ses articulations hurlèrent, son dos s'arqua et il inspira sèchement en retombant dans la terre meuble.
Le souffle court et la bouche pleine du goût métallique du sang, il observa les nuages se déplacer au-dessus de sa tête. Pour ce qui devait être la millième fois, il regretta la décision qui l'avait amené ici. Le ciel s'ouvrit et les gouttes dévalèrent des cieux pour s'abattre sur lui. Il ferma les yeux avec un soupir.
Poppy s'était trompée. Elle, qui avait pourtant traité Remus pendant des années, s'était trompée. Non, Bill ne s'en était pas tiré avec une irritabilité accentuée et une envie de viande saignante à l'approche de la pleine lune. Par précaution – et Merlin, qu'il était heureux qu'ils l'aient prise – Fleur l'avait enfermé dans la cave de La Chaumière quand la nuit avait commencé à tomber. Il avait tourné en rond dans la pièce pendant ce qui lui avait semblé des heures avant que ça ne s'enclenche.
Il avait eu l'impression que sa peau se fendait, que ses os se faisaient verre pilé entre ses muscles au supplice, que son crâne allait exploser. Sa dernière pensée humaine avait été pour Remus. Pas l'homme épuisé qu'il croisait entre deux missions et dont le regard vide lui broyait le cœur, non, il avait songé à l'enfant de cinq ans, au gosse qui avait dû endurer ça. Le respect qu'il avait déjà pour le sorcier avait doublé de volume en réalisant qu'il subissait la lune depuis plus de trente ans et qu'il ne s'en plaignait jamais.
Quand Fol-Œil l'avait contacté pour rejoindre une expédition spéciale et qu'il avait vu Remus dans la pièce, il aurait dû comprendre. Il aurait dû dire non. Il aurait dû rentrer chez lui, se foutre sous sa couette et s'enrouler autour de Fleur. Mais le loup avait hurlé si fort sous son crâne. Sa peau lui semblait toujours trop étroite pour lui, comme un costume mal taillé, comme une écharde plantée dans l'index qui pressait sur sa baguette. Il avait l'impression d'imploser constamment sans aucune soupape pour laisser la vapeur s'échapper. Ne rien faire, continuer à être un pion inutile, ça aurait fini par le tuer.
Quand Bill était entré dans la cuisine, la pièce était déjà pleine de monde. Autour de la table, Tonks, Remus, et Charlie étaient penchés sur une carte. Kingsley et Minerva discutaient près de la cuisinière et l'expression de profonde contrariété qui se discernait sur les traits de la directrice de Poudlard n'avait rien fait pour rassurer Bill. Sa mère s'activait devant le plan de travail alors qu'elle découpait à la main les légumes du repas de ce soir. Maugrey avait levé le nez de la Gazette en l'entendant entrer et ce que Bill avait lu dans son regard l'avait figé sur place. Ils avaient perdu Sirius, puis Dumbledore. Il était temps de prendre des mesures drastiques.
— Weasley… Non pas toi, Charlie, ton frère. Weasley, Lupin, dans le bureau, faut qu'on parle.
Remus avait froncé les sourcils et le visage de Tonks s'était renfrogné. Elle avait posé une main sur son avant-bras et il avait serré ses doigts dans les siens avec un sourire triste avant de se redresser avec une grimace. Son pas traînant avait résonné dans les couloirs, accompagné du claquement sec de la jambe artificielle de Maugrey. La porte s'était close derrière eux avec un clic définitif. Dans le bureau qui avait appartenu à Orion Black, Bill avait noté la façon dont Remus s'était ramassé sur lui-même en esquivant des yeux les multiples objets portant le blason des Black. Il avait levé une main tremblante et l'avait refermé sur quelque chose sous sa chemise.
— J'vais avoir besoin de toi, Bill, pour une mission de récupération d'informations, avait grogné Maugrey.
Les prunelles dorées de Remus s'étaient fichées dans les siens et il avait secoué la tête avec un rire sans joie.
— Non.
— Lupin… Écoute-moi avant de monter sur tes grands chevaux.
— Non, je sais pertinemment ce que tu vas demander à Bill et c'est non. Peu importe les renseignements qu'il pourrait obtenir, ça n'en vaut pas la peine. Envoie-moi à sa place. Je l'ai déjà fait, je peux le refaire.
— J'suis pas un enfant, Lupin. J'peux donner mon avis tout seul.
— Tu comprends pas, Bill. J'ai été dans ta position, je sais ce qu'on va exiger de toi. Tu… Personne ne devrait avoir à…
— Lupin, la ferme. Soit tu restes et t'écoutes, soit tu te tires. Weasley a le droit de prendre sa décision tout seul. T'es là simplement pour prodiguer des conseils, lui avait rappelé Maugrey.
Remus avait grimacé et fermé la bouche, les mâchoires serrées à s'en faire mal, les mains tremblantes. Bill avait enfin vu ce qu'il tenait si fermement. Une chevalière, ornée d'une pierre sombre.
— On a eu des informations sur une meute.
Bill avait soupiré brutalement. C'était donc ça. Remus l'avait mis en garde. Il l'avait prévenu qu'on lui demanderait sûrement la même chose qu'à lui à l'époque de la Première Guerre. Il ne lui avait pas donné de détail sur ce qu'il avait dû faire, mais les ombres qui avaient dansé dans ses yeux fatigués avaient suffi à refroidir les ardeurs de Bill. Il était prêt à aider, mais quel prix devrait-il payer ?
— Laisse-moi deviner. Greyback est dans les environs et tu veux que Bill essaie d'infiltrer sa meute ? avait craché Remus, les iris luisants de colère.
— Je veux que tu le coaches pour qu'il soit paré à le faire.
— Alastor… Je… Non. Bill peut pas…
Remus déglutit et secoua la tête.
— Tu peux pas l'envoyer seul. Laisse-moi l'accompagner. Il survivra pas à la première pleine lune.
— Remus… Je veux juste que tu lui donnes les infos. Pense à Dora et à ton futur fils.
— Hey ! s'insurgea Bill. J'suis capable de me débrouiller et Maugrey à raison, pense à Dora.
— Il a raison, Bill, t'y connais rien. Tu as passé toutes tes pleines lunes avec moi et sous Tue-Loup.— Tu… Non, tu sais pas ce que c'est. Dora survivra très bien sans moi, elle est plus surveillée que Gringotts à l'heure actuelle. Tu seras mort en quelques minutes sans moi. Tu maîtrises rien des dynamiques de meute et Greyback est… Greyback est un monstre.
L'expression de Remus s'était faite douloureuse et la chevalière s'était enfoncée dans sa peau tant il l'avait serrée fort. Ils avaient perdu Sirius presque deux ans plus tôt et personne n'avait espéré que Remus soit capable de faire son deuil. Pourtant… De l'autre côté de la porte, Tonks l'attendait. Remus avait trouvé la force de construire quelque chose en s'appuyant sur les décombres que lui avaient laissés deux guerres successives. Pourtant… Pourtant, Remus se portait volontaire pour chacun des raids. Il était constamment en première ligne et revenait toujours couvert de contusions. Lors des pleines lunes, le loup devenait de plus en plus difficile à contenir. Il avait déjà dû passer plusieurs jours consécutifs dans leur infirmerie de fortune suite à une intervention particulièrement imprudente de sa part. Il avait sauvé la vie de Bill à plusieurs reprises en mettant la sienne en danger. Bill déglutit la bouche sèche.
— Je peux y aller seul, Remus. Tu peux pas laisser…
— Bill, si t'y vas seul tu seras mort avant la première pleine lune…
— J'suis plus costaud que j'en ai l'air, Remus. J'm'en sortirais. Reste.
Il avait dit oui à Fol-Œil. Remus avait secoué la tête et juré, lui avait jeté un regard chargé d'une telle tristesse que Bill n'avait pas eu la force de le soutenir. Il l'avait mis en garde, lui avait expliqué ce qu'il risquait d'y perdre. Bill n'avait pas écouté. Il n'écoutait plus personne ces jours-ci, le loup grondait trop fort pour ça. Il aurait dû l'écouter pourtant. Il aurait dû rentrer chez lui. Il aurait…
Il rouvrit les yeux quand une branchette craqua et roula sur le ventre avec une vivacité impressionnante pour quelqu'un qui avait été incapable de se relever quelques minutes plus tôt.
— Remus !
Il se précipita pour se lever en grimaçant, les muscles de ses cuisses protestèrent contre l'effort et il grogna avant de vaciller jusqu'à la silhouette familière de Remus. Il avait tout essayé pour le convaincre de rester, Remus avait refusé chacun de ses arguments. Même les supplications de Tonks n'y avaient rien fait. Bill, aussi égoïste que ça puisse être, lui était reconnaissant d'être là. Il serait mort depuis longtemps sans lui. Il serait mort la première nuit.
La forêt était trop silencieuse. Les bruits habituels des insectes, des oiseaux et des petites créatures qui fouissaient entre les racines étaient étouffés par une gangue de terreur qui alourdissait jusqu'à l'air qui entrait dans les poumons des deux sorciers.
— Attends.
Remus referma ses longs doigts sur le bras de Bill qui tourna la tête pour le regarder. Qu'est-ce qu'il attendait ? Il savait aussi bien que lui qu'ils étaient là. Qu'est-ce qu'ils avaient à gagner en poireautant comme deux crétins à l'orée des bois ?
— Attendre quoi ? siffla Bill en attachant ses cheveux.
— Ça.
Les fourrés s'ouvrirent pour laisser passer trois silhouettes. Dans l'obscurité, Bill y voyait juste assez pour définir qu'il s'agissait de trois hommes, mais Remus recula d'un pas et baissa la tête avec une déférence qui fit se hérisser Bill. Une inspiration profonde ne lui apporta rien de connu à part l'odeur de musc caractéristique qui accompagnait toujours les personnes atteintes de lycanthropie.
— Lupin ?
La surprise qu'il perçut dans la voix de l'un des hommes le força à reporter son attention sur lui. Il s'avança et la lune, à demi pleine, le baigna de sa lumière. Fenrir Greyback était exactement comme il se l'était figuré. Grand, imposant et terrifiant. Ses bras musculeux tombaient le long de son torse épais, ses mains étaient enfoncées dans les poches d'un pantalon qui menaçait de craquer sur ses cuisses puissantes. Ses cheveux, longs et striés de gris, effleuraient ses épaules et ses joues étaient mangées par une barbe poivre et sel mal entretenue. Quand il sourit, ses dents luirent dans la pénombre. Elles étaient jaunes et inégales et la vision d'une gueule de loup, la langue pendante, s'imprima immédiatement dans l'esprit de Bill.
Il s'approcha de Remus et s'empara sans douceur de son menton. Il lui inclina le visage en arrière et fixa ses traits avec une expression que Bill ne comprit pas. Il relâcha la mâchoire de Remus et referma une main de propriétaire sur sa hanche, ses doigts pressant dans le tissu moelleux du pull sauge que le sorcier avait enfilée avant de partir. Un sifflement douloureux s'échappa des lèvres de Remus qui ne fit pourtant rien pour se débattre. Il gardait les yeux baissés, le dos rond et la tête légèrement penchée sur le côté. Une position de soumission.
— De retour auprès de ton maître, je vois. Tu as fini par comprendre alors ?
Remus fixa un point dans le lointain et hocha la tête, les mâchoires serrées. Le regard de Fenrir se déporta sur Bill et il se crispa. Si Remus et lui étaient affligés de lycanthropie, Fenrir Greyback était un loup revêtant une peau d'homme. Son regard était celui d'un prédateur, d'un animal sauvage. Le genre de regard qui luisait tapi dans les ténèbres et peuplait les cauchemars des enfants.
— Et qu'est-ce que tu m'as ramené ? ronronna-t-il.
Si vif que Bill ne vit rien venir, il s'empara du catogan qui tombait sur son épaule et tira en arrière. Un grondement sourd s'échappa de sa gorge, mais Greyback se contenta de rire en reniflant son cou avant d'asséner une pichenette contre sa pomme d'Adam. Bill s'étouffa avec sa salive et peina à reprendre sa respiration.
— Un louveteau, encore tout frais. Je me souviens de toi… Je n'avais pas prévu de t'offrir ce cadeau. Un heureux accident.
Un cadeau ? Greyback considérait sa condition comme un cadeau ? Comme si sentir sa peau s'ouvrir, son squelette se réarranger et ses organes se rabougrir une fois par mois était un cadeau. Comme si la faim qui lui tordait le ventre, les hurlements qui résonnaient sous son crâne et la rage qui enflait aléatoirement en lui était un don. Fenrir relâcha la pression sur les cheveux qu'il tenait serrés dans sa main et Bill détourna le regard.
— Il est à toi ? demanda Fenrir d'une voix sourde en direction de Remus.
Un grognement d'assentiment lui répondit et les poings de Remus se crispèrent sur ses cuisses. Le souvenir de sa voix jaillit dans l'esprit de Bill. « Il va sûrement croire que tu es mon compagnon. Ne dément pas, ça peut jouer en notre faveur. Il sera forcément intéressé par toi… Tu es jeune et beau. Tu lui plairas de base, mais si tu t'avères être à moi ? On peut être sûr que ça le rendra barge. »
Le sourire de Fenrir se fit carnassier et le regard concupiscent qu'il posa sur Bill lui tira un frisson d'effroi. Il aurait dû dire non. Il aurait dû dire qu'il préférait se rendre utile ailleurs, que ses capacités de briseurs de sort pourraient servir pour autre chose. Il n'avait rien à foutre là.
— Ça fait trois quarts d'heure que je te cherche.
Bill referma les bras autour du corps frêle et épuisé de Remus. Le sorcier lui répondit naturellement et Bill se blottit dans son étreinte, le nez contre sa gorge. Remus frotta son menton contre la tempe de Bill et un son aigu, un peu pitoyable, lui échappa. C'était un geste rassurant, qu'ils partageaient depuis plusieurs mois maintenant. Une once de tendresse dans un milieu qui ne leur en offrait aucune.
Six mois que ni lui, ni Remus, n'avaient remis les pieds à Londres. Six mois sans voir sa mère, ses frères, sa sœur. Six mois sans Fleur. Un nouveau couinement lui échappa et Remus raffermit la prise de ses bras autour de lui. Il savait. Bien sûr qu'il savait. Tonks avait, supposément, accouché la semaine précédente et ni l'un ni l'autre ne savait si la jeune femme se portait bien, si l'enfant était en bonne santé. Remus ne connaissait même pas le nom de son propre gamin. Il ne le connaîtrait peut-être jamais au rythme où les choses allaient.
— Rien de cassé ?
— Non… Enfin, j'ai perdu une dent.
— Montre.
Remus lui ouvrit la bouche de force et y braqua sa baguette illuminée pour observer avec un grognement de mécontentement.
— Merde… Je suis désolé Bill, ça ne serait pas arrivé si…
— Remus, c'est pas de ta faute. Avec des « si », on serait tous les deux à la maison… C'est pas de ta faute si j'suis là.
Les mots lui échappèrent avec plus de rage que ce à quoi il s'attendait. C'était de la sienne si Remus l'était. Il n'aurait jamais dû venir, il aurait dû rester avec sa femme et son futur fils. Il était fatigué, tellement fatigué d'être là. Remus était au bout de ce qu'il avait à donner. Son corps, insensible à la douleur, ne cicatrisait plus qu'à moitié, malgré la capacité de régénération hallucinante des garous. Bill avait l'impression de crever un peu plus chaque jour, de voir son humanité s'éloigner à chaque pleine lune quand il se réveillait et trouvait Remus dans un état déplorable. C'était de sa faute, si Remus était en train de tout perdre dans le simple but de s'assurer que Bill, lui, survivrait. Il s'accrocha désespérément à la silhouette trop frêle entre ses bras. Il ne pourrait jamais remercier Remus et si les choses ne s'arrêtaient pas rapidement, il n'aurait même plus la possibilité de compter sur lui. Il savait qu'il ne partageait rien de son état dans les Patronus qu'il peinait à envoyer à l'Ordre et Bill avait interdiction totale de communiquer avec eux.
Un frisson lui parcourut l'échine. La pleine Lune venait de passer et sa peau était à vif. Celle de Remus aussi. Les combats n'étaient pas rares une fois l'aste complet et, bien qu'ils aient tous les deux réussi à y échapper cette nuit, il n'en ressortait pas moins amoché. Ses doigts, plaqués contre l'épaule de Remus, percevaient sans mal l'humidité caractéristique du sang imbibant le coton. Pourtant, Remus était venu le trouver, s'assurer qu'il était entier.
— J'ai appris un truc, marmonna Remus contre sa tempe.
Bill se raidit immédiatement et recula pour l'observer avec attention.
— Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?
Remus jeta un œil autour d'eux. Ils étaient seuls dans la clairière, mais les arbres avaient des oreilles. Du bout des doigts, il dessina un cercle et les oreilles de Bill émirent un pop sonore. Il grimaça et en frotta une avec vigueur. Il détestait le sort de silence qu'utilisait Remus, bien plus puissant que les sortilèges ordinaires, il avait un effet désastreux sur les tympans de Bill. Remus lui offrit un sourire d'excuse fatigué.
— Je me suis réveillé tout près du village… Non… T'inquiète, je… J'ai rien fait. Bref, il y a eu… Quelque chose s'est produit à Gringotts ce matin, tout le monde ne parlait que de ça.
Fleur. Fleur travaillait à Gringotts, elle y passait ses journées, ses longues mèches blondes enroulées en un chignon professionnel alors qu'elle démêlait avec un talent indécent les enchantements et malédictions qui couvraient les objets qu'on leur apportait. Souvenirs d'une vie qui semblait ne plus lui appartenir. Fleur et son rire qui tintait comme un carillon. La respiration de Bill s'accéléra, son souffle se raréfia et des points noirs commencèrent à envahir son champ de vision. Si quelque chose était arrivé à Fleur, il ne s'en remettrait pas. S'il était là, c'était plus pour s'assurer qu'elle serait en sécurité que pour protéger un monde qui ne la considérait, de toute façon, pas mieux que lui. Remus jura, poussa sur ses épaules pour le forcer à s'accroupir et coinça, d'une main étonnamment ferme au vu de la carrure de l'ancien professeur, sa tête entre ses genoux.
— Respire Bill, elle va bien. Fleur va bien, j'en suis sûr. Il y a eu une intrusion à Gringott. Trois personnes ont réussi à atteindre un coffre et se sont échappées. Trois adolescents. Ils ont fui sur le dos d'un dragon.
Le dernier mot, soufflé d'un ton impressionné, laissa Bill prendre une inspiration sifflante et il releva le visage vers Remus, les yeux écarquillés.
— Un dragon ?
Charlie ? Est-ce que Charlie avait trouvé une solution ? Quelque chose pour lui permettre de quitter cet enfer et… Non, Charlie n'était pas un adolescent… Ron, Harry et Hermione avaient disparu subitement à la fin de l'été… Peut-être… ?
— Est-ce que t'as la moindre idée d'où on est, Bill ?
— Non…
— On est à six heures de marche de Pré-au-Lard.
— QUOI ? C'est là qu'on va ?
— Shh… Je… Je suis pas sûr, mais je crois que oui…
— Tu… Tu penses que c'est…
— WILLIAM ?
La voix rocailleuse fit couler un frisson de dégoût le long de son dos et Bill gémit quand les phalanges de Remus se refermèrent contre sa nuque avec force. Un grondement sourd s'échappait de la poitrine de l'ancien professeur qui fixait un point par-dessus son épaule. La mâchoire serrée et l'œil luisant de rage, il indiqua la direction d'un coup de menton.
— Va. Je pense que tu vas très vite le savoir.
Lupin agita les doigts et les tympans de Bill claquèrent à nouveau. Il inspira profondément et enferma la lueur d'espoir que Remus lui avait offerte dans le coffre qui contenait ses souvenirs de Fleur, ceux de sa famille et de ses années à Poudlard. Il n'avait pas le temps pour ça. Il s'étira et, avec un dernier regard pour Remus, trottina en direction de la voix qui venait de l'appeler. Il essaya d'y mettre tout son entrain. Fenrir n'était pas aussi intelligent qu'il aimait le croire, mais Bill se méfiait constamment.
— Ah, te voilà, gronda-t-il en le voyant s'approcher. T'étais parti où encore ?
— Y a une clairière plus loin, j'étais en train de me reposer.
— Tu fais bien…
Il tendit le bras et Bill vint se nicher contre lui. Même après des mois, il n'arrivait toujours pas à s'habituer à l'odeur de Fenrir. Il sentait la sueur rance, la viande avariée, le tabac à chiquer et le chien mouillé. Bill ne devait pas être mieux après des semaines d'errance sans voir la moindre douche, mais Fenrir lui donnait la nausée et des frissons. Celui qui dévala son échine sembla plaire à Greyback qui glissa le bout de ses doigts sous le tissu de son t-shirt éliminé. Ses ongles, sales et cassés, griffèrent la peau marquée de cicatrices. Ils accrochèrent contre l'une des entailles dans le bas de son dos et la triturèrent quelques secondes.
Bill savait que s'il tombait sur un miroir et qu'il avait le courage de s'y regarder, il n'y verrait rien de l'homme qui avait quitté le square Grimmaurd six mois plus tôt.
Aux trois cicatrices qui avaient marqué sa joue, s'ajoutaient désormais toutes celles qu'il avait récupérées depuis le début de cette mission. Celles héritées des transformations et des combats avec ses compagnons de meute tout comme celles qui ponctuaient l'intérieur de ses cuisses, sa gorge, sa nuque, ses épaules et le creux de ses reins, portaient toutes le même reflet argenté. Des stigmates qui le marquaient pour ce qu'il était. Un loup-garou. Une putain. Un membre de la horde.
Il n'avait pas vraiment l'espoir, d'un jour, reprendre sa vie telle qu'elle avait été. La terreur des premières semaines avait peu à peu laissé la place à une résignation sourde. Il crèverait en obtenant des renseignements ou quand Greyback se lasserait de lui, mais jamais il ne reverrait Fleur. Il ravala une fois de plus les souvenirs de sa compagne ainsi que les informations partagées par Remus et nicha son visage contre le cou de Greyback. Il fallait qu'il reste concentré. La tension qui habitait les épaules et le creux du dos du loup-garou étaient de mauvais augure, tout comme la force qu'il mettait dans sa prise contre la hanche de Bill.
Il déglutit, le goût du sang toujours présent dans sa bouche, et adoucit sa voix, la rendit mielleuse et aimante pour s'adresser au chef de meute.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? J'te sens tout raide. Tu devrais pourtant être plus détendu avec ce que j't'ai fait hier soir…
Il força un rire sirupeux à filer entre ses lèvres avant de les plaquer contre la gorge de Greyback. Les images des traînées de sperme qui avaient encore couvert ses joues et son front alors qu'il se tordait de douleur sous l'influence de la lune la veille lui revinrent en mémoire en même temps qu'il perçut la saveur âcre de la peau de Fenrir. Un frisson lui retourna le ventre et Fenrir laissa fuser un ricanement graveleux au-dessus de sa tête quand il le prit pour un frémissement de plaisir.
— Mmh… C'est vrai que tu as été particulièrement enthousiaste…
Une langue, presque râpeuse, parcourut la pommette de Bill qui ferma les yeux avec une expression pleine de contentement.
— Toujours pour toi…
Merlin, il se haïssait d'être capable de faire si bien semblant. Par moment, il craignait de se prendre à son propre jeu, de vraiment tomber pour le monstre qui malaxait sa peau d'un geste de propriétaire et reniflait l'arrière de son oreille. Quand il passait trop de temps loin de Remus et que Fenrir le gardait près de lui, niché sous son bras, il s'oubliait. Il oubliait la réalité des faits, éteignait la partie rationnelle de son cerveau pour ne laisser parler que la Bête. Elle réussissait à trouver une forme de contentement dans la relation qui le liait à Greyback.
— Mon louveteau, souffla Greyback contre son oreille. J'ai reçu de très mauvaises nouvelles ce matin, mais… Elles nous offrent une délicieuse perspective d'avenir.
Il se força à laisser une expiration tremblante lui échapper alors qu'il enroulait une mèche de cheveux gras autour de son index avec un sourire mielleux. Il frotta le bout de son nez sous la mâchoire de Fenrir dans un geste de soumission et d'affection classique et soupira. La dernière fois que Fenrir avait eu ce genre d'expression… Il était revenu en se targuant d'avoir apporté l'Élu à Voldemort. Puisque la guerre n'avait pas subitement pris fin, Remus et Bill s'étaient accrochés à l'espoir qu'Harry avait dû réussir à s'enfuir.
— Ah oui ? Des nouvelles que tu voudrais fêter ?
Il laissa sa paume glisser le long de son torse couvert de poils grisonnants et enfonça le bout de ses doigts dans la ceinture du pantalon en lambeaux de Greyback avant de relever le nez, un air d'innocence feinte sur les traits. Sa voix dégoulinait d'intérêt et d'excitation, comme si l'idée de se faire sauter une fois de plus par Greyback devant l'intégralité de la meute le remplissait de joie. Il fallait qu'il la joue fine, si Fenrir se doutait de la moindre chose, s'en était fini de lui. Des mois qu'il dansait sur la corde raide et qu'il récoltait des informations au compte-goutte entre deux baisers et caresses. Des mois qu'il le travaillait au corps en utilisant l'obsession malsaine du mangemort pour Remus et lui afin de gagner sa confiance. Il se lécha les lèvres avec envie et inclina la tête sur le côté, offrant sa gorge à l'attention du prédateur.
— Hmm…
Fenrir se pencha et mordit sans douceur dans sa peau. Bill lui fut reconnaissant de ne pas percer l'épiderme, cette fois. Un rire menaça de lui échapper quand il réalisa ce qu'il venait de penser. Il était reconnaissant envers ce monstre de ne pas le défigurer encore davantage ? Il avait envie de gerber, de s'éclater la tête dans le mur, de s'ouvrir le bide et de voir ses organes imbibés la terre de leur sang. Il ne valait vraiment pas mieux que tous ceux qui l'entouraient. La langue de Fenrir qui remonta de sa gorge à sa joue et plongea dans sa bouche le rappela à l'ordre et il répondit au baiser avec enthousiasme, sa langue venant chercher celle de Greyback.
— Dis-moi, tu sais bien que je suis curieux… souffla-t-il contre ses lèvres gercées.
— Le Seigneur des Ténèbres prévoit d'attaquer Poudlard et d'aller récupérer Potter ce soir. Demain nous serons libres, mon louveteau. Libre de chasser et de nous nourrir sans plus aucune restriction. Nous n'aurons plus à nous cacher.
Bill écarquilla les yeux et continua machinalement d'embrasser Fenrir. Ses mains parcoururent le dos couvert de cicatrices du garou alors que son esprit hurlait en silence. Ce soir ? Il fallait qu'il fasse remonter l'information à Remus le plus vite possible. La langue de Fenrir pressa contre la plaie laissée par la dent qu'il avait perdue. Autour d'eux, la tente de fortune se vida après un claquement de doigts. Parfois, il offrait cette clémence à Bill et le ravageait en privé. Une fois de plus, un élan de reconnaissance enfla dans sa poitrine et il retint de toutes ses forces le haut-le-cœur qui l'accompagna.
Le silence autour d'eux était toujours compliqué à gérer pour Bill, il laissait trop de terrain à son esprit pour vagabonder. Il ferma les yeux et laissa les doigts de Fenrir s'enfoncer sous la ceinture de son pantalon. Il aurait souhaité oublier, penser à autre chose, à quelqu'un d'autre, mais il refusait de souiller les souvenirs de ses amants précédents ou de Fleur avec Lui.
— Fen' ?
Bill passa la tête dans la tente qu'ils avaient récupérée quelques semaines plus tôt. Fenrir voulait le voir. C'était bon signe pour le plan qu'ils avaient mis en place avec Remus et mauvais signe pour lui.
— Ici, louveteau.
Il pénétra dans la tente et tourna sur la droite en suivant la voix de l'Alpha. Fenrir était allongé sur son lit, le torse entouré d'une bande propre. Il revenait d'une visite au manoir Malefoy et apparemment, le groupe de Rafleur qu'il avait accompagné avait réussi à capturer Harry. La terreur avait broyé le ventre de Bill pendant des heures avant que le reste de la meute ait vent de la fuite d'Harry, Ron et Hermione. Bill se laissa tomber à genoux près du lit et plaqua une expression d'inquiétude sur ses traits. Il songea à Remus, affalé contre un arbre dans la forêt, à son épaule démise et à la plaie qui ne s'arrêtait pas de saigner depuis la dernière lune sur l'intérieur de sa cuisse. Il pensa à Ron, seul avec ses deux meilleurs amis dans le Manoir de Lucius. Il déglutit, des larmes plein les yeux et poussa un couinement plaintif.
— Shh, je vais bien, ce n'est qu'une petite entaille, louveteau. J'irais mieux demain, c'est promis. Bellatrix me le paiera, tu peux en être sûr.
Fenrir leva sa main et la pressa contre la joue de Bill qui s'empressa d'y enfouir son visage. Il puait le sang, la sueur et le musc et pourtant, Bill passa un coup de langue contre sa paume comme s'il portait l'odeur la plus douce de la création. Un grondement sourd, proche du ronronnement s'échappa de la gorge de Fenrir.
— Lupin ?
— Il a survécu, mais il aura du mal à nous suivre pour les prochains déplacements.
— Bien, j'veux qu'il souffre.
Bill fronça les sourcils. La haine de Fenrir pour Remus était née de sa fascination pour Bill et bien qu'utile à leur plan, elle l'inquiétait profondément. Fenrir était tout à fait capable de tuer Remus dans son sommeil.
— Pourquoi ?
— Pour avoir essayé de me tenir éloigné de ce qui m'appartient, gronda Greyback en attirant le visage de Bill plus près du sien. Tu aurais dû venir à mon chevet dès mon retour, pas rester avec lui.
— Tu sais bien que c'est ce que j'aurais voulu… Mais je suis l'un des seuls à connaître des sorts de soin…
— Et moi alors ?
— Tu avais Bethany…
— Bethany n'est pas aussi douée que toi, mon louveteau…
— Je sais… Si ça doit se reproduire, je me précipiterai près de toi… Je… Je n'ai pensé qu'à toi durant tous les soins que je faisais à Lupin.
Bill inspira profondément. Quelque chose en lui se recroquevilla et mourut quand les lèvres de Greyback trouvèrent les siennes. Il savait, depuis plusieurs jours maintenant, qu'il n'aurait pas d'autre choix, qu'il devrait se plier à ce genre de choses. C'était une bonne chose, ça voulait dire que la stratégie qu'ils avaient émise avec Remus fonctionnait, qu'ils pourraient obtenir des renseignements plus frais, plus sûrs. Plus proches de Fenrir ils étaient, plus l'Ordre pourrait bénéficier des informations qu'ils entendraient. Si Bill se montrait suffisamment malléable et fragile, Fenrir ne se méfierait pas de lui. Il ravala la nausée qui montait dans sa gorge et laissa la langue de Greyback piller sa bouche.
Il courait. À peine les mains de Fenrir eurent-elles relâché ses hanches, à peine le premier ronflement avait-il retenti, à peine avait-il réussi à s'extirper de la masse de corps qui l'entouraient pour atteindre l'ouverture de la tente qu'il courait. Ses pieds nus matraquaient la terre, les pierres et les feuilles. Il glissa sur le sol gorgé d'eau, l'odeur d'humus lava ses narines, la pluie lava sa peau. Rien pour laver son âme. Aucune porte de sortie pour son esprit à l'agonie. Il courait, il courait, comme s'il avait la mort aux trousses, comme si dans son dos la Bête qu'il devenait chaque mois le traquait. Il sentit les mâchoires dégoulinantes de bave du Monstre se refermer sur sa cheville quand il trébucha pour la fois de trop. Il roula dans la terre, dévala la pente en rebondissant comme une poupée de chiffon. C'est un rocher couvert de mousse qui arrêta sa chute et il enfouit son visage dans la végétation trempée. Il aurait voulu s'y noyer, s'étouffer dans les bouclettes vertes et disparaître. Il aurait voulu oublier, mais la douleur qui battait entre ses cuisses et celle qui laissait des traînées rouges couler de ses reins au pli de ses genoux ne lui laissait aucune paix. Contre son poitrail, la morsure pulsait, comme une voix susurrante. Chienne. Chienne. Chienne. Une mélopée au rythme lancinant qui ne faisait qu'augmenter la terreur et l'horreur qui lui broyait le ventre.
Les larmes refusèrent de couler, ses yeux brûlaient pourtant, sa gorge était si serrée qu'il peinait à inspirer et dans sa bouche le goût du sperme laissait place à celui du sang remplacé progressivement par celui de la terre humide et de l'eau de pluie. Il se redressa sur les genoux et arracha son corps à l'étreinte de la pierre glaciale. À quatre pattes dans la forêt, il vida le contenu de son estomac dans l'herbe. Des spasmes secouèrent sa carcasse trop maigre et l'averse, comme une caresse, lava l'hémoglobine qui couvrait le bas de son dos. Elle s'inséra dans les marques inégales qui s'étalaient de chaque côté de ses hanches. Deux entailles en dents de scie qui laisseraient des cicatrices argentées sur sa peau trop pâle. Deux traînées d'argent dans le mouchetis de tache de son qui tapissait son corps. Il vomit à nouveau en glissant une main tremblante entre ses genoux. Ses doigts serrèrent, trop fort, ce sexe traitre qui s'était dressé plus tôt. Il aurait voulu l'arracher. « Tu perdrais tout intérêt sans ça, idiot. » La voix à l'accent français fusa sous son crâne alors que ses ongles griffaient la peau à l'intérieur de ses cuisses. Un rire dément lui échappa et les larmes coulèrent enfin. Elles jaillirent de ses yeux pour se mêler à la pluie et Bill hurla. Il hurla le manque de celle qui partageait sa vie, de cette famille remplacée par un ersatz dégueulasse, de ces amis. Plus que tout cela, il hurla la perte de ce qui faisait de lui ce qu'il était. Il pleura les miettes qu'il abandonnait chaque jour depuis des semaines, les morceaux qu'il avait laissés entre les griffes du Monstre deux ans plus tôt et que Fleur avait récupérés pour lui à la force de ses doigts et de ses mots. Ceux que Fenrir arrachait du bout des ongles chaque fois qu'il posait les yeux ou la main sur lui. Il pleura la perte des grains d'innocence qui lui restait encore. « Tu devras sûrement faire des choses qui te rendront malade. Du genre qui t'empêche de te regarder dans le miroir sans avoir envie de vomir ou pire de chialer. » Alastor l'avait prévenu et il s'était une fois de plus cru plus fort qu'il ne l'était.
Il était l'aîné des Weasley après tout. Il avait survécu à sa fratrie, à sa mère aimante, mais étouffante. Il était capable de faire ça. Il s'était cru invincible et Fenrir venait de lui prouver qu'il n'était qu'un enfant. Un gamin qui n'avait rien à foutre là. Il tremblait sous la pluie, les cheveux plaqués au crâne et aux épaules, la bouche grande ouverte sur des inspirations rauques. Ses doigts se portèrent à son lobe d'oreille gauche, la boucle ornée d'un croc de dragon, cadeau de Charlie, perdue depuis longtemps lui manquait comme un membre fantôme. Dernier souvenir physique d'une existence qui n'était plus la sienne, il avait fait de son mieux pour la conserver, mais la vie nomade avait eu raison de ce lien.
Les branches craquèrent et comme une proie dans les ténèbres, Bill se figea. Ses yeux bleus s'ouvrirent tout grand et cherchèrent dans la pénombre la provenance du bruit. Une silhouette mince à la peau tannée et aux boucles plaquées sur le crâne par l'eau l'observait à quelques mètres et s'approcha les mains levées.
— Tu veux ton tour ? cracha Bill, le menton dressé.
La bouche de Remus s'ouvrit en silence et ses sourcils se froncèrent.
— Je… Je venais juste voir comment tu vas, Bill… Je… J'ai vu.
— Comme tout le monde. Il est pas particulièrement discret.
— Je sais. J'ai été à ta place.
Bill laissa fuser un rire désabusé. Bien sûr. Remus se retourna et descendit la ceinture de son pantalon de toile épaisse tout en remontant d'une main tremblante l'ourlet de son pull en lambeau. Contre le bas de son dos, de chaque côté, deux entailles irrégulières luisaient dans la lumière de la lune. Bill expira tout l'air de ses poumons d'un coup. Remus n'avait jamais évoqué la cause des cicatrices jumelles qui barraient sa chute de reins. Bill n'avait jamais demandé.
— Quand ?
— La Première Guerre.
— Comment ? Comment on se remet de ça ? Comment t'as…
Il y avait une supplique dans sa voix. Tu y as survécu, dis-moi comment faire ? Dis-moi qu'une fois rentré il t'a pardonné ? Dis-moi qu'elle comprendra ? Dis-moi que je pourrais un jour respirer à nouveau correctement ?
— On s'en remet pas. On apprend à vivre avec et à… à avancer.
Remus pressa deux doigts à la jonction de son épaule et de son cou contre une cicatrice, rose celle-ci, qui ornait sa peau. Une trace de morsure. Deux rangées de dents parfaites. Une marque d'appartenance. Du genre qu'il aurait dû laisser Fleur apposer sur sa gorge. Après la guerre, avait-il promis. Après la guerre… Que restera-t-il de lui ? Restera-t-il encore assez de l'homme qu'elle a connu ?
— Elle date d'après.
Il releva le nez vers Remus qui le fixait avec des yeux luisants de compréhension.
— La morsure. Elle date d'après. Elle date du retour de Sirius. Après la guerre, après James… Après Azkaban.
Une miette d'espoir dans l'océan de merde qui les entourait. Le cœur de Bill, du moins ce qu'il en restait, se fendit en pensant à tout ce que Remus avait perdu, à tout ce qu'il avait laissé derrière pour assurer sa protection et sa survie. Il n'aurait jamais les mots nécessaires pour exprimer sa reconnaissance envers l'homme qui lui faisait face, ni ceux pour contrer la terreur sourde qui l'habitait à chaque fois qu'il se mettait en danger pour lui.
— Viens là, tu vas crever de froid.
Remus ouvrit les bras, et sans réfléchir, Bill s'y jeta. Remus était chaud, brûlant même. Plus chaud que toutes les autres personnes que Bill avait eu l'occasion d'étreindre. Immédiatement, la chaleur s'insinua en lui et tenta de reconstruire ce qui venait d'être détruit. Les mains qui caressaient son dos étaient douces, le menton qui frottait contre sa tempe, rassurant. Le premier contact tendre depuis presque trois mois. La première once de grâce que son épiderme avait trouvée en quatre-vingt-quatre jours. Remus sentait la même odeur que la forêt en été. Il sentait comme le jardin du Terrier – la terre chauffée par le soleil, les feuilles gorgées de chlorophylle et les bourgeons sur le point de s'ouvrir – et Bill s'accrocha à son odeur avec l'énergie du désespoir.
— Tu vas survivre. Tu vas t'en sortir. On va s'en sortir.
La voix de Remus tremblait contre la joue de Bill et il hocha la tête une fois. Ils pouvaient faire ça. Ensemble. Ils pouvaient y arriver, ensemble.
De l'autre côté du pont, Neville leur jetait un regard plein d'une bravoure que Bill ne lui avait jamais vu. Un élan de fierté enfla dans le creux de son ventre. Le gosse se tenait entre une armée de loup-garou et ce qu'il considérait comme son foyer. À ses côtés, il sentit plus qu'il ne vit le sourire qui étirait les lèvres de Remus. Un reniflement amusé lui parvint et il planta son coude dans les côtes du sorcier. Ils devaient encore faire attention. Encore un petit peu, jusqu'à ce qu'ils rejoignent le reste de l'Ordre. Le pont explosa et Neville s'enfuit en courant vers le château. Ils ne passeraient pas par-là.
— William.
— Oui, Fen' ?
— Tu es le dernier à avoir été à Poudlard, par où est-ce qu'on peut rentrer facilement ?
— Euh…
— J'ai fait une carte du château quand j'y étais encore. Il y a un passage secret, un peu plus haut, si on retourne à Pré-au-Lard. Il nous fait arriver sous le Saule Cogneur et je sais comment le neutraliser, s'interposa Remus en jetant un regard plein de dédain à Bill.
Un groupe de défense était posté près de l'arbre, prêt à cueillir les loups-garous qui en sortiraient.
— Sûr ?
— À moins qu'il ait été bouché depuis mon départ, je pense oui. Il était encore ouvert il y a quatre ans quand j'ai enseigné.
— Parfait, on prend cette direction.
Fenrir tapota l'omoplate de Remus d'une main crasseuse et Bill nota la tension qui habitait ses épaules. Remus filait un mauvais coton. Il était sur les nerfs depuis la veille. Prêt au combat, une énergie impatiente enflant sous sa poitrine. Bill referma les doigts sur son poignet, les sourcils froncés.
— Ça va ?
— Ouais, avance Bill, c'est presque fini.
Bill obéit et suivit le mouvement.
Quinze minutes plus tard, ce fut le bain de sang. La meute était sortie en rangs serrés de la Cabane et les sorciers les avaient attaqués avant que Greyback ne puisse déserter les lieux. Fenrir avait acculé Remus contre le mur. Bill se tendit. Il fallait qu'il fasse quelque chose. Les deux loups qui l'encadraient s'emparèrent de ses bras. Il déglutit, le corps vibrant d'énergie contenue. Remus…
— Tu quitteras pas cet endroit, Lupin. C'était ta prison du temps de Poudlard, hm ? Là qu'il t'enfermait ? Le coin pue l'asservissement.
Les ongles de Greyback étaient plantés de part et d'autre de la gorge de Remus. Son regard lumineux était éteint et il n'essayait même pas de se défendre. Il gardait ses prunelles dorées braquées dans celles de Greyback. Un dernier acte de défiance envers l'homme qui avait fait de sa vie un enfer.
— J'aurais dû me douter que t'étais trop bien dressé par le vieux fou pour revenir auprès de ton vrai maître, Lupin, cracha Greyback.
— Pour lui… toussa Remus dans un souffle gras en inclinant le menton vers Bill qui écarquilla les yeux. J'l'ai fait pour lui.
Un rire surpris fusa de la bouche de Greyback.
— Pour mon louveteau ? Mais, Lupin…
Il se pencha et lécha les traînées de sang qui marbrait le cou de Remus, ses doigts s'enfonçant plus profondément. Remus serra les dents, un cri étranglé lui échappa et Bill laissa un son plaintif jaillir de sa gorge broyée par l'émotion. Fenrir aurait tout aussi bien pu le tenir lui tant il avait l'impression que tout l'air s'était évanoui dans le néant.
— Tu sais bien qu'il est à moi…
Greyback planta son regard dans celui de Bill au moment où, d'un geste sec à la puissance tout inhumaine, il arracha la trachée de Remus. Le bruit humide de l'hémoglobine et le craquement du cartilage lui tordirent le ventre et Bill ne chercha même pas à retenir le hurlement de terreur et d'horreur mêlée qui déchira sa gorge. Pas Remus. Pas Remus. Pas Remus.
— NON !
— Trop tard, louveteau, il n'aurait pas dû vouloir toucher ce qui ne lui appartenait pas, j'avais de toute façon prévu de me débarrasser de lui ce soir, répondit Fenrir en jetant la masse sanguinolente sur le sol. Le corps de Remus s'affaissa contre la cloison avec un épouvantable gargouillis.
Fenrir s'approcha de Bill et caressa sa joue de ses doigts ensanglantés. L'odeur métallique de l'hémoglobine lui donna la nausée et il ravala sa salive avec difficulté. Il ne pouvait pas craquer. Fleur était là, quelque part, derrière les murs de Poudlard. Il devait la voir au moins une dernière fois avant d'abandonner. Fenrir le relâcha après avoir frotté son nez contre sa pommette.
— Maintenant, plus rien ne viendra essayer de se mettre en travers de nous, mon louveteau. Tu peux rester ici, en sécurité. Virgil s'occupera de veiller sur toi.
Greyback quitta la Cabane Hurlante de son pas traînant, accompagné de Calder, et Virgil se laissa tomber sur une chaise en marmonnant dans sa barbe. Bill rampa jusqu'au corps, encore chaud, de Remus et s'effondra sur lui. Les larmes roulèrent silencieusement sur ses joues et vinrent se mêler au sang qui maculait déjà ses vêtements. Quelque chose pressa contre sa pommette et il releva la tête pour extirper la chevalière de sous la chemise de Remus. Il détacha la chaîne avec délicatesse et la glissa dans la poche de son pantalon. Il ne regarda pas le cadavre de son ami en se redressant. Il ne voulait pas emporter cette image avec lui. Il garderait de Remus le souvenir de sa chaleur, de ses rires un peu rauques et du soutien infini qu'il lui avait prodigués durant les six derniers mois de sa vie et les deux années précédentes. Ses phalanges se refermèrent sur le bois usé de sa baguette et il se retourna lentement.
— Avada Kedavra.
La lumière verte jaillit avec une facilité déconcertante et vint frapper Virgil en plein front. Bill fit tourner sa baguette entre ses doigts et la glissa à nouveau dans sa poche. Ce n'était pas si difficile que ça après tout. Il quitta la Cabane, déterminé à assouvir sa vengeance.
Bill courait. Il avait l'impression de ne faire que ça. Courir après sa vie. Courir après Charlie qui fonçait droit devant sans réfléchir. Courir après les filles et les garçons dans les couloirs de Poudlard. Courir après les jumeaux, après Ron, après Ginny dans le jardin du Terrier. Courir après ses collègues pour fuir une pyramide sur le point de s'effondrer. Courir après Fleur Delacour et ses cheveux d'or. Courir droit devant. Courir pour survivre. Courir dans les bois, le bruit des pattes comme un tambour de guerre. Courir après les informations. Courir après Remus. Courir après… Courir.
À l'instant, il ne courait pas après quelque chose, les dents découvertes, un grondement sourd dans le fond de la gorge, il courait vers . Vers Greyback qui levait la main pour frapper de ses ongles immondes la joue d'une gamine. Vers l'homme qui venait d'assassiner son meilleur ami. Vers celui qui avait fait de leurs vies à tous les deux un enfer. Il courait et il ne comptait pas s'arrêter. Son corps percuta celui plus lourd, plus épais et plus puissant de Greyback. Mais la vitesse lui offrit l'avantage nécessaire et ils roulèrent dans les gravats.
Il sentit sa peau se déchirer quand son épaule rencontra un morceau tranchant et il aurait pu en rire, hurler de joie en imaginant la cicatrice si désespérément rose que la plaie laisserait derrière. Ses doigts s'enfoncèrent dans la bouche de Fenrir, pressèrent sur sa langue, sur ses dents. Ses ongles, raclèrent son palais, arrachèrent la muqueuse fragile de ses lèvres. Ses genoux trouvèrent appui contre le sol lorsqu'un poing s'abattit contre sa mâchoire. Une nouvelle molaire sauta et Merlin, il s'en foutait. Il cracha son sang et les morceaux d'émail sur la glèbe dévastée de Poudlard et déjà, il était debout. Le souffle court, des cheveux plein les yeux, de l'hémoglobine plein la gueule.
Il hurla et se jeta sur Fenrir qui tomba sur le dos. Le choc et la surprise dans ses prunelles tirèrent un ricanement à Bill. Un rire horrible, grinçant qu'il vomit à la figure du loup-garou en même temps que sa salive ensanglantée. Il récupéra la baguette abandonnée par l'adolescente qui s'était enfuie. Chanceuse. D'un sort, il immobilisa les mains de Greyback au sol. Les clous en argent qu'il invoqua s'enfoncèrent dans la chair en crépitant et il sourit quand le Monstre glapit de douleur.
— Bill ! Bill, c'est moi !
— Oh, je sais parfaitement que c'est toi, oui, cracha-t-il à la figure de Greyback qui sembla plus surpris qu'autre chose.
À nouveau, il se laissa tomber sur Fenrir, il n'avait plus rien à perdre maintenant. Ils auraient pu ressembler à un couple s'étreignant au milieu du chaos. L'instant aurait pu paraître tendre, les mèches rousses de Bill caressant le visage de Fenrir, ses doigts se refermant sur sa mâchoire avec une certaine forme de tendresse. Il garda ses yeux fixés dans ceux du garou quand il enfonça ses phalanges dans les muscles maxillaires. Il y mit toute la puissance que lui offraient sa condition et sa rage et il sentit les chairs s'écraser, exploser, il perçut l'articulation qui se disloqua sous la pression alors qu'un cri monstrueux s'échappait de la gorge de Fenrir.
— Je sais exactement qui tu es, Fen'.
Pour la première fois, Bill vit de la terreur dans le regard de Greyback. Une peur saine, humaine. Un nouveau rire jaillit entre ses lèvres.
— Maintenant, tu sais enfin ce que ça fait… D'être la proie.
Greyback se débattit, tenta de se défaire de son étreinte, mais Bill se contenta de renforcer sa prise, d'appuyer plus fort encore.
— C'est fini, Greyback. T'as perdu. Voldemort est tombé.
Il glissa à nouveau ses doigts dans la bouche de Fenrir, les replia derrière les dents, jaunes et trop pointues, et tira. Sa seconde main vint presser contre le front et le nez du loup-garou, enfonçant son crâne contre le sol et les débris. Il tira de toutes ses forces jusqu'à ce qu'avec un crac retentissant, la mâchoire de Greyback vienne pendre lamentablement, détachée du reste de son crâne, encore maintenue en place par la peau toujours intacte autour des os.
Bill relâcha sa prise, les doigts mouillés d'un mélange de sang – le sien et celui de Fenrir – et de salive. Son poing s'abattit sur le visage déformé, mécaniquement, à répétition. Il écouta les os craquer, les cartilages exploser et le vacarme des combats en arrière plan disparut pour ne laisser que les gémissements de Fenrir, que le bruit humide de l'hémoglobine qui dégoulinait. Il cogna, encore et encore, jusqu'à ce que Fenrir se taise. Il frappait pour lui, pour Remus et pour tous les autres. Tous ceux avant lui, avant eux. Jusqu'à ce que sous lui, le visage ne soit plus qu'un amas de chair tuméfiée. Jusqu'à ce qu'une mare de sang vienne toucher ses genoux. Jusqu'à ce qu'il s'effondre, épuisé, à bout de force.
— Bill ?
Il inspira et par-dessus le sang, la bave et la sueur, il sentit la bergamote et le sable chaud, l'antiseptique et le coton propre. Sa tête se redressa avec une telle rapidité qu'il entendit les tendons crisser et les vertèbres craquer. Fleur. Il haleta et retomba lourdement sur une surface molle. Son corps entier n'était qu'une immense douleur. Il geignit et essaya de lever une main tuméfiée.
— Bill, c'est moi.
Au prix d'une lutte surhumaine, il tourna la tête. Comme une bénédiction envoyée par Merlin et Circé elle-même, elle était là. Ses grands yeux bleus braqués sur lui, son teint de porcelaine tâché du rose de l'effort et sa bouche, rouge comme un fruit mûr, ouverte sur une inspiration tremblante. Elle avait une trace de suie sur la joue, le ventre rond et un hématome sur la mâchoire et un grondement sourd fusa de la gorge de Bill qui essaya de se relever avec violence. Quelqu'un l'avait blessé. Quelqu'un avait levé la main sur elle. Quelqu'un devait mourir. Il devait à tout prix la sortir de là, si Fenrir la voyait, il comprendrait immédiatement. Si Fenrir la trouvait, il la tuerait.
— Bill… Respire, calme-toi. Bill, c'est fini.
Il se redressa, couvert de sang et de poussière et trébucha vers elle. Il descendit du lit sur lequel on l'avait placé, sans saisir ce qu'il foutait là. Le monde était flou. Où qu'il aille, elle serait toujours sa boussole. Toute peinte d'or comme les manuscrits anciens. La maison. Elle s'avança et, ignorant la main qu'il tendit vers elle, referma les doigts autour de sa joue. Elle caressa sa pommette, chassa les larmes qui y coulaient et laissa ses phalanges glisser plus haut, jusqu'à ses cheveux. Elle passa la paume sur sa nuque et tira pour amener son visage à hauteur du sien. Dans ses yeux, la lueur animale de son héritage répondit à l'or qui teintait les prunelles de Bill et un hurlement affamé résonna dans le fond de son crâne. Elle était sienne. Il était libre.
— Fenrir…
— Il est mort. Tu es libre, Bill, c'est fini.
— Vol…
— Pareil, Harry l'a vaincu il y a quelques heures. La guerre est finie…
Les souvenirs revinrent d'un coup à Bill qui s'effondra. Fleur n'avait pas la force nécessaire pour le maintenir debout et elle s'agenouilla avec lui. Fenrir était mort. Remus aussi… Un gémissement piteux lui échappa et le prénom de son compagnon d'infortune fila entre ses lèvres. Fleur raffermit sa prise sur lui avec un murmure plein de douceur.
— Je suis désolée, mon cœur… Ils n'ont…
— Je sais, c'est…
Il aspira une goulée d'air en essayant de rassembler ses idées, de chasser la rage sourde qui pulsait dans son ventre. Il avait vengé Remus, Fenrir était mort. Il n'y avait plus rien à faire. Il se sentait vide. Creux.
— C'est moi qui me suis chargé de Greyback… Pour lui. Pour Remus.
L'expression de Fleur resta parfaitement neutre et il lui en fut reconnaissant. Il avait conscience d'avoir laissé un carnage, plus digne d'une bête que d'un homme. Pourtant, le regard de sa compagne ne changea pas, elle le fixa droit dans les yeux, un sourire sans joie étirant sa bouche pleine.
— Il a eu ce qu'il méritait.
Un rire surpris s'échappa de la gorge de Bill alors que les larmes dévalaient toujours sur ses joues. Il posa une main sur l'arrondi de son ventre. Ses doigts tuméfiés tremblaient et il retira sa paume immédiatement.
— Tu…
— Je sais…
— J'ai cru que…
— Je sais.
— Pardonne-moi…
— Il n'y a rien à pardonner, mon cœur… Tu es de retour, c'est tout ce qui compte.
Il enfouit son visage sale contre la gorge pâle de sa femme et inspira son odeur en frémissant. Il était à la maison.
Trope 1 : Un personnage ne ressent plus rien (physique et/ou émotionnel) et fait tout pour ressentir à nouveau, quitte à se faire du mal ou à blesser ses proches
Trope 2 : Un personnage annonce une mauvaise nouvelle, en commençant par "il faut qu'on parle"
Trope 3 : Un personnage séduit un autre car il le déteste et veut lui faire du mal
TW : Description graphique de violence, gore, body horror, dubious consent, dépression, mort de personnage, envie suicidaire, sang, comportements destructeurs, crise de panique, PTSD, vomissement, haine de soi, cicatrices.
