Chers lecteurs, pour ce chapitre assez long, faites attention (sans surprise) à la scène de fouille. AVERTISSEMENTS! VIOLENCE PSYCHOLOGIQUE! HUMILIATION!
Ce fut le nouveau qui l'escorta. Bien que, pour son confort personnel, elle eût cent fois préféré Davis, elle ne manifesta rien lorsqu'il lui ouvrit la porte de l'aile N. C'était une occasion d'en apprendre plus, sur l'homme qui avait, avec la complicité de Booth, abusé d'Emma. L'idée de mettre en doute la parole de la jeune fille ne traversa à aucun moment l'esprit de la juriste. Elle s'était chargée de nombreux clients menteurs, avait dû bien souvent démêler le vrai du faux, sans pour autant leur en tenir rigueur. Mais elle accordait à la petite blonde une confiance absolue.
Elle se contenta de serrer les poings lorsque le cerbère lui allongea sur les fesses une claque retentissante. Le bureau de George King se trouvait au dernier étage du vieux bâtiment. Il fallait prendre l'ascenseur. Elle se colla le dos au mur, afin d'éviter, tant que possible, les pelotages.
Le garde devait avoir la cinquantaine. Il pouvait passer pour un « vieux beau ». Mais les œillades vicelardes qu'il lui lançait étaient absolument insoutenables. Il la déshabillait tout simplement du regard, se penchant pour lorgner ses jambes, se passant en ricanant la langue sur les lèvres, reluquant ses seins. Booth faisait preuve de plus de retenue.
Lorsqu'ils furent arrivés au quatrième étage, il lui fit signe de passer devant lui. Habituée aux codes traditionnels et patriarcaux qui faisaient lois dans le monde carcéral, Regina obtempéra en soupirant. Mais à la cinquième calotte, elle n'y tint plus, fit brusquement volte-face, et s'écria, les joues brûlantes : « Ça suffit, maintenant ! » Il la dévisagea avec un mélange de surprise et de déception, puis articula : « Si vous ne voulez pas vous prendre de mains au cul, il faut faire femme au foyer, et garder tout ça pour votre mari. Si tous les avocats étaient aussi bien lestés que vous, je me ferais greffer des paluches supplémentaires. »
Elle ne répondit pas, l'observa attentivement. Sa voix était traînante et nasillarde. Il la jaugeait avec morgue. Néanmoins, il la laissa marcher ensuite jusqu'au bureau de son supérieur sans plus la toucher.
Devant la porte en chêne, il frappa avec déférence, ouvrit dès que la voix sèche répondit : « Entrez ! ». « Monsieur le Directeur, » annonça-t-il, « c'est Maître Mills. Elle prétend avoir un rendez-vous avec vous. » Regina, qui écoutait de toutes ses oreilles, entendit distinctement : « Merci, Hunt. Faites-la entrer. Ensuite, vous pourrez nous laisser. » La pénaliste rangea soigneusement dans sa mémoire le nom du gardien. Hunt, puisque c'était lui, lui adressa un clin d'œil taquin. Elle passa la porte avec méfiance…et tomba nez à nez avec Booth, qui sortait. Il lui décocha un de ses sourires carnassiers, sans qu'elle puisse réellement jauger de son état d'esprit…mais elle n'écopa d'aucune privauté.
Lorsque la porte se referma derrière la femme de loi, elle se sentit saisie de sentiments contradictoires. D'une part le soulagement d'être débarrassée pour le moment de ces deux porcs, de l'autre, le malaise que suscitait toujours chez elle cette pièce, et surtout celui qui y trônait, tel un roi des temps modernes.
Le directeur de l'Institut d'Éducation et de Correction de Boston la fixa de ses petits yeux froids, lorsqu'elle entra, ne cherchant pas à dissimuler le fait qu'il la regardait de bas en haut et jugeait son accoutrement, cherchant la faille. Ne trouvant apparemment rien à redire, il l'invita, d'un signe de la main, à s'asseoir. « Maître Mills. » dit-il en guise de salutation.
C'était un homme grand et mince, aux courts cheveux blancs, ayant dépassé la soixantaine. Son regard glacé exprimait une sévérité implacable. Personne n'avait jamais vu un sourire franc traverser son visage. Il possédait de fait toutes les qualités requises pour occuper le poste de directeur d'une prison pour mineurs.
En prenant un siège, déposant son attaché-case au pied de sa chaise, Regina déclara : « Merci de me recevoir dans un délai si court, Monsieur le Directeur. » Elle s'efforçait d'étouffer sa nervosité. Se trouver en présence de cet homme la ramenait toujours à son adolescence et à l'époque où sa mère la paradait de salons en dîners mondains, en vue de la marier au meilleur parti.
Ayant probablement estimé que c'était assez de civilités, celui qui présidait chaque jour aux tourments d'Emma, non seulement depuis un mois mais également lors de ses incarcérations précédentes, lui tendit un document par-dessus le bureau présidentiel, et demanda avec une colère contenue : « Pouvez-vous m'expliquer ce que cela signifie ? »
S'efforçant de rester maîtresse de la situation, la belle brune répondit sans hésiter. « Cela signifie exactement ce que cela signifie, Monsieur King. Je pense que vous êtes capable de déchiffrer un acte de remise en liberté. » Il souffla avec animosité, jeta le papier dans sa direction. « Emma Swan est l'une de nos détenues les plus assidues. Voilà neuf ans qu'elle fréquente nos cellules, encore et encore. Dès qu'elle en a eu l'âge légal, en fait. Et avant cela, elle ne faisait qu'aller et venir, entre maisons de correction et instituts surveillés… » Il se leva soudainement, se mit à faire les cent pas. Il y avait quelque chose de très violent dans son comportement, dans la façon qu'il avait de s'adresser à elle. Mais Regina n'était plus la fillette terrifiée, redoutant d'être livrée en pâture à l'un ou l'autre des « amis » de sa mère. Secrètement, tout son corps se crispait d'appréhension en présence de cet homme, à qui Cora Mills avait proposé, un jour, alors qu'elle était âgée d'à peine treize ans, d'assister à l'une de ses punitions, voire de la fesser lui-même… Elle avait été sauvée par l'intervention de son père adoré. « Dieu, s'il existe, ait son âme… » songea-t-elle très fugitivement.
Il se retourna vers elle avec une agressivité calculée, la dominant de sa taille. Elle le regarda courageusement, le visage impassible. « Vous allez lâcher dans les rues de Boston une dangereuse criminelle, Maître ! » cria-t-il presque. Elle serra le poing gauche, tâchant de rester calme. Rien ne l'obligeait à révéler qu'Emma ne se retrouverait pas à la rue. Et George King n'avait aucun besoin de le savoir. Pas plus qu'il n'avait besoin d'être mis au courant de ses intentions dissidentes. Et lui expliquer qu'arracher la malheureuse à son lamentable sort était le moindre des actes d'humanité serait absolument inutile. Comme elle le regardait sans mot dire, il s'immobilisa, la considéra longuement : « Vous ne dites rien ? » s'enquit-il, quelque peu désarçonné par son flegme. « Vous ne m'avez rien demandé. » répliqua-t-elle. Il se mordit les lèvres. Elle pouvait voir à quel point elle l'agaçait. Et cela la remplissait d'une sombre satisfaction, en même temps que d'une vague épouvante, face à sa propre audace. « Mon cher cousin peut être fier de son œuvre ! » soupira-t-il en se rasseyant. « À propos, » osa répondre Regina, « Eugène King vous remet son bonjour. » Il la toisa avec humeur et dépit.
Le fait que Regina ait été embauchée par le cabinet King & Mills s'expliquait facilement. Son père, feu Henri Mills, était un avocat renommé. C'était de lui qu'elle avait hérité sa compassion, son empathie, son horreur du système. Cora, sa mère, avait épousé Henri selon un mariage arrangé, comme il s'en concluait tant en cette époque troublée, où les sentiments étaient mal jugés. Leurs caractères étaient aussi éloignés que le jour et la nuit. Le brave homme avait fait tout ce qu'il avait pu pour protéger ses deux filles de la sévérité, pour ne pas parler de la cruauté, de leur génitrice. Mais il n'avait pas eu beaucoup de prise sur les intransigeances éducatives en vogue. Fort heureusement, il était mort après que la cadette eût atteint sa majorité. Dès qu'elle l'avait pu, elle avait fui, à la suite de son aînée. Et Cora était décédée quelques mois plus tard.
Eugène King était non pas un ami mais un camarade de promotion d'Henri, et ils avaient décidé de fonder un cabinet en commun, qui était bien vite devenu le plus prisé de Boston. Les métiers du droit constituaient, à bien des égards, un parcours obligé, pour les rejetons de bonne famille. George, son cousin, avait donc fait carrière dans le même secteur, mais de l'autre côté du spectre.
Pour des raisons évidentes, la famille King étant alliée de la leur, Cora avait fomenté de marier ses filles à des hommes riches, beaucoup plus âgés qu'elles, destinant l'aînée à Eugène et la cadette à George. Mais l'une comme l'autre avaient échappé à leur sort, à force de résistance et avec le soutien de leur père.
Eugène, contrairement à George, n'était pas un mauvais homme. Regina savait, en son for intérieur, que jamais il n'aurait épousé sa sœur de force, malgré les illusions que persistaient à se faire leur sorcière de mère. Lorsque la jeune femme avait été diplômée, elle avait adressé son curriculum vitae à divers cabinets, en commençant par celui de son regretté père. L'associé de celui-ci l'avait immédiatement rappelée, lui proposant un poste sans hésitation.
« C'est pour pavoiser, que vous m'avez demandé un entretien ? » lui demanda son interlocuteur abruptement. La magistrate se redressa sur sa chaise, joignit les mains sur le bureau, regrettant soudainement de s'être montrée quelque peu sarcastique. Elle savait que sa requête n'avait que de maigres chances d'aboutir. « Non, Monsieur le Directeur. » répondit-elle. « Je suis venue vous demander une faveur. »
Il en resta muet de surprise. Se reprenant, il déclara, en la dévisageant avec stupéfaction : « Une faveur ? Vous ne manquez pas de toupet ! » Sans commenter, elle s'expliqua : « Demain, je viendrai chercher ma cliente, à l'heure des remises en liberté… » « Eh bien oui, à mon grand dam ! » répondit le directeur. Regina se racla la gorge… « Et elle devra, selon la loi, subir une fouille de niveau 3. » George King hocha la tête avec conviction. La juriste prit une grande inspiration. Il ne servait à rien de reculer pour mieux sauter. « Je vous demande de faire en sorte que ce soit Davis qui procède à la fouille. »
Quelques secondes s'égrainèrent, au cours desquelles le vieil homme la scruta avec tant d'insistance qu'elle dut faire un violent effort sur elle-même pour ne pas baisser les yeux, ne pas rougir. « C'est une plaisanterie ? » finit-il par répondre. « Non, Monsieur le Directeur. » rétorqua l'avocate. Il se cala bien au fond de son fauteuil, esquissa une grimace, qui se voulait peut-être un sourire, et qui ne présageait rien de bon. « Puis-je vous demander la raison de cette requête ? » interrogea-t-il. La jeune femme hésita à répondre, se demandant jusqu'où révéler la vérité. Finalement, elle se décida : « Booth et…votre nouvelle recrue…Hunt…terrifient ma cliente. » Elle ne voulait pas parler des attouchements que ces deux ordures avaient fait subir la veille à sa protégée. D'une part elle n'avait aucune preuve. De l'autre, cette révélation ne ferait qu'accroître la vindicte de ce bureaucrate, chargé de torturer des enfants et des adolescents.
Il la vrilla du regard, encore quelques instants. « Le hasard fait parfois bien les choses… » commença-t-il d'un ton moqueur. « Comme vous avez pu le constater par vous-même, j'ai reçu Booth juste avant notre entretien. C'était pour le mettre au courant de la relaxe d'Emma Swan. Et je lui ai demandé de procéder à la fouille. »
Regina serra les poings, se mordit les lèvres presque jusqu'au sang. « Malheureusement, Hunt doit encore passer un dernier examen, pour faire définitivement partie du staff… » ajouta-t-il avec un léger regret dans la voix. « …sans quoi je lui aurais demandé d'assister son collègue. Vous savez…il doit encore se former, et… » renchérit-il en lui adressant, chose incroyable, un clin d'œil, « …vint doigts valent mieux que dix. »
La belle brune en resta muette de rage, quelques instants. Ses mains tremblaient irrépressiblement. Finalement, elle se résolut à une dernière tentative : « S'il vous plaît, Monsieur le Directeur ! Changez le planning. À la rigueur, vous pouvez confier cette procédure à Webb. »
Le visage impitoyable de George King se durcit encore davantage. La juriste n'aurait pas cru cela possible. « Au nom de l'amitié que vous partagiez avec ma mère. » essaya-t-elle en désespoir de cause.
Sans exprimer la moindre émotion, le directeur appuya sur un bouton, posé sur un engin noir, qui trônait sur son bureau. Regina reconnut immédiatement les grésillements qui caractérisaient une communication par walkie-talkie. À l'envers, elle déchiffra le nom de Booth, collé avec du scotch, juste au-dessus du commutateur.
Presque immédiatement, la voix bien connue du garde-chiourme retentit. « Monsieur le Directeur ? » demanda-t-il de son ton obséquieux. En un éclair, une série de réflexions peu réjouissantes traversèrent l'esprit de la pénaliste. Il était donc au courant de la relaxe. Cela signifiait que, s'il avait rejoint l'aile N, ce qui était plus que probable, il l'avait crié sur tous les toits. Et qu'il était très certainement en train de tourmenter Emma à ce sujet, secondé par Hunt et par les codétenus de la malheureuse.
« Booth, » commença George King, « comme je vous l'ai dit, vous procéderez demain, en présence de Maître Mills, à la fouille de niveau 3 réglementaire, sur Emma Swan. Je voulais simplement vous recommander de faire preuve de zèle et de diligence. Allez bien jusqu'au fond des choses, si vous voyez ce que je veux dire. » Le cerbère, à l'autre bout du fil, éclata d'un rire joyeux. « Avec le plus grand plaisir, Monsieur le Directeur ! » répondit-il.
Le chef de l'Institut d'Éducation et de Correction de Boston coupa la communication. Il toisa Regina avec un sourire satisfait. Elle resta abasourdie, durant quelques secondes.
Comprenant que rien ne pouvait épargner à sa cliente cette dernière épreuve, elle se leva lentement, récupéra son attaché-case, se prépara à partir. Autant rentrer chez elle, anticiper autant que faire se pouvait l'arrivée de la jeune fille, contacter Catherine.
En guise de salut, elle articula posément, à l'adresse du directeur : « Vous êtes un monstre. Et vous ne vous en rendez même pas compte. » Il lui adressa un rictus qui dévoila ses dents parfaitement alignées, rétorqua : « Et vous, ma petite, vous auriez mieux fait d'écouter votre mère, et de m'épouser. J'aurais su comment vous remettre à votre place. » « Oh ! Je n'ai aucun doute à ce sujet. » répondit rageusement la belle brune, avant de tourner les talons.
Ce fut à nouveau Davis qui l'escorta le lendemain, à onze heures précises. Elle avait eu si peur d'être en retard qu'il lui avait fallu attendre une grande demi-heure devant la grille. Il faisait un froid glacial, et une pluie fine avait commencé à tomber. En plus de son fidèle attaché-case, elle portait en bandoulière un énorme duffle bag, qui ne s'accordait que très peu avec son élégance coutumière.
Bien qu'elle ployât visiblement sous le poids de son double fardeau, le jeune soldat ne lui proposa pas son aide. Elle lui lança un regard intrigué. En arrivant dans l'aile N, elle tourna anxieusement la tête vers le petit bureau posté à l'entrée. Il était occupé par Webb, assis, encore plus taiseux que Davis. Ce dernier répondit à la question qu'elle n'avait pas posée. « Booth vous attend dans la salle de fouille. »
Un peu surprise par son ton cassant, elle le dévisagea sans mot dire. Contrairement à son habitude, il l'escorta en marchant à pas très lents. Il avait déposé son pistolet mitrailleur dans le casier prévu à cet effet, à l'entrée du couloir, mais son arme de service se balançait à sa ceinture. « Vous êtes consciente du mal que vous faites ? » lui demanda-t-il à brûle-pourpoint.
C'était donc ça…Elle prit une grande inspiration, répondit à voix basse : « Eh bien, j'imagine que non. Expliquez-moi, je vous prie. » Le regard du gardien, habituellement inexpressif, reflétait à présent une vague animosité. Il s'arrêta tout simplement. Probablement pour achever cette conversation avant de passer devant les cellules. Malgré ses propos, elle lui en sut gré. « Remettre des délinquants dans nos rues, ce n'est bon ni pour eux ni pour la société. » Elle le contempla, tâchant d'évaluer son degré de sincérité. « Emma Swan n'est un danger pour personne, Davis…et vous le savez bien. » Il était tout à fait insolite qu'elle l'appelle ainsi par son nom. « Je ne sais rien de tel. » répliqua-t-il, toujours sans élever la voix. C'était la première fois qu'ils échangeaient tant de paroles. Son niveau de langue était assez surprenant. Elle ne put s'empêcher d'argumenter.
« Mais enfin, Davis…Vous avez vous-même procédé à certaines de ses exécutions. Vous avez constaté que, même dans ces moments abominables, elle ne se révolte pas. Et vous ne pouvez pas ignorer son état, voyons ! Vous avez vu les horribles dégâts que produisent vos verges et vos cravaches. » Il secoua la tête d'un air buté. « C'est triste, bien sûr. Je n'ai aucun plaisir à faire ça, contrairement à d'autres…Mais je fais confiance à la justice de mon pays ! Si elle a écopé de tant de condamnations, c'est qu'elle le méritait. En tout cas j'espère (tout comme vous, j'imagine) que les dernières bonnes fessées qu'elle a reçues lui auront été profitables. » Regina s'apprêta à répondre, puis, soudain, renonça. C'était parfaitement inutile. Et il fallait s'occuper d'Emma.
Elle eut un haussement d'épaules et continua sa route. Le garde lui emboîta le pas. Dès que les détenus s'aperçurent de leur présence, ce fut le plus formidable tintamarre d'acclamations, de huées, de vociférations en tous genres qu'elle eût jamais entendu, ce qui n'était pas peu dire…Elle dut faire un effort surhumain pour ne pas réagir. Il y avait de tout. Des récriminations : « À cause de toi, on pourra plus s'amuser dans les douches, salope ! Tu devrais la remplacer. » D'obscènes félicitations : « Meilleure avocate de tous les temps ! Et avec une bouche de suceuse en prime ! » Des suppliques, même : « Maître Mills ! Maître Mills ! Mon avocat s'en tape ! Prenez-moi comme client ! » Certaines de ces clameurs s'adressaient à Emma : « Tu crois vraiment que c'est mieux dans la rue, poupée ? Par ce temps ? Au moins ici tu ne gèles pas…surtout pas aux fesses ! »
Regina pressa le pas. Comment allait-elle retrouver sa protégée ? Elle fut bientôt devant la dernière geôle, Davis sur ses talons. Elle eut l'immense surprise de trouver la jeune fille debout, juste derrière ses barreaux. Ses mains rougeaudes serraient si fort deux des montants d'acier qu'elle en avait les jointures décolorées. Son visage portait encore de nombreuses traces : la balafre écarlate causée par Booth, un peu moins fraîche que la veille, l'empreinte lie-de-vin de l'épouvantable gifle, les rigoles empourprées, sillons profondément gravés par les larmes, qui descendaient presque jusqu'à son menton tremblotant. Les grands yeux verts étaient gonflés par le manque de sommeil, rendus globuleux par les émotions diverses qui s'étaient déversées sur l'infortunée, depuis vingt-quatre heures, ainsi, certainement, que par vingt-trois années de souffrance.
« Ils ont commencé à gueuler comme ça hier. » déclara-t-elle à sa défenseuse. Elle ne lui avait même pas dit bonjour, ce qui n'était absolument pas dans ses habitudes. La magistrate, sans attendre que Davis eût ouvert la porte, déposa ses mains gracieuses sur celles de sa cliente, les serrant doucement. Emma sursauta, regarda, sans avoir l'air d'y croire, à droite, puis à gauche, l'endroit où les doigts manucurés de Maître Mills…Maître Mills qui avait fait des études…Maître Mills qui semblait tout savoir, qui était si belle, si douce, Maître Mills qui venait la sauver…l'endroit où ces doigts délicats tâchaient, sans y parvenir, de recouvrir ses grosses patoches d'enfant des rues, enserrant les barreaux qui la maintenaient encore prisonnière.
« Tout ira bien, Emma. Très bientôt vous serez libre. Il ne vous reste plus qu'une épreuve à passer. » fit la voix chaude et musicale. Tandis que Davis ouvrait, à contrecœur et avec une lenteur désespérante, la pesante porte, Regina dut tendre l'oreille pour entendre la question. « Vous allez vraiment me faire sortir ? Y a pas eu des…euh…des embrouilles ? » Regina secoua la tête, sourit, satisfaite de constater que sa cliente manifestait de l'excitation. Elle semblait penser à sa libération, plutôt qu'à la fouille imminente. « Non. Il n'y a plus aucun recours possible, pour eux. Je vous le promets, je vous le jure. Dans une demi-heure, vous serez dehors. » À travers les barreaux de sa cage, la juriste vit le joli visage ravagé se rapprocher du sien, plus près que jamais, au point qu'elle put voir son reflet dans les orbes limpides. « Et vous allez… » L'enfant perdue se tut brusquement. Ses pupilles dilatées glissèrent sur le côté, semblèrent enregistrer la présence du garde-chiourme, revinrent sur la pénaliste. « Vous…vous allez vraiment me faire sortir ? » Ensuite, elle fut soudainement pliée en deux par une quinte de toux qui lui fit monter les larmes aux yeux.
Comme si elle lisait dans ses pensées, la belle brune suivit tout le cheminement de cet esprit réputé simple. Elle comprit qu'Emma avait failli lui demander si elle allait véritablement se retrouver chez l'une des avocates les plus réputées de la ville, dans un environnement sûr et douillet. Puis, elle avait réalisé que, Davis étant tout près, il valait sans doute mieux ne pas répandre une nouvelle rumeur à son sujet, et elle avait renoncé à poser sa question. « Elle est intelligente. » songea Regina… « Brillante, même. »
« Mais oui, Emma. Oui. Vous me faites confiance ? » La petite, remise de son accès de toux, se redressa, les larmes aux yeux, et se mit à pleurer. Elle baissa la tête, esquissa le geste de s'éloigner un peu. Aussitôt, la magistrate lui lâcha les mains. « Oui… » répondit la jeune fille tout en s'essuyant les joues. Elle avait parlé si bas que l'élégante dame au tailleur impeccable lut sur ses lèvres plutôt qu'elle ne l'entendit. « Pas encore tout à fait… » pensa cette dernière, « mais la confiance viendra. »
Enfin, Davis ouvrit grand la porte. D'une voix inhabituellement dure, il aboya : « Viens ici, Swan ! » Pour la première fois, Regina n'entrait pas dans la cellule froide et humide. C'était sa cliente qui venait à elle. L'orpheline avança en boitillant. Le premier pas lui arracha un gémissement de souffrance. La juriste se fit la réflexion que le simple fait que, sans y être obligée, elle avait quitté sa paillasse, s'était mise debout pour attendre son avocate, malgré sa faiblesse et l'état désastreux de son séant, en disait long sur sa fébrilité.
Le gardien sortit de sa poche une paire de menottes. Sans avoir l'air surprise, Emma tendit les bras, se laissa entraver. Le sinistre instrument émit un cliquetis reconnaissable entre tous, lorsqu'il se referma sur les poignets grêles.
Les hurlements des détenus s'étaient un peu apaisés entretemps. Mais lorsque ce qui devait être la dernière « marche de la honte » de celle qui ne serait bientôt plus une prisonnière débuta, ils reprirent de plus belle. « Tu vas te faire explorer tous les trous, Blondie ! » « Bien sûr, » songea amèrement Regina… « ce sont tous des récidivistes, qui ne font qu'entrer et sortir de prison, depuis l'enfance. Ils sont au courant du protocole. » « C'est Booth qui va te trifouiller la chatte et le cul ! » explicita l'un des jeunes gens. « Il s'en est vanté hier, toute la journée. » « La chance qu'il a… » « Moi, » dit soudain une voix que l'avocate ne reconnut pas, « je sors dans une semaine. Je te retrouverai, Blondinette, c'est promis…Y a pas des tonnes d'endroits où les taches comme toi peuvent dormir sans se faire ramasser illico…Et je te ferai enfin ton affaire. » Davis tirait Emma, sans ménagement, par le coude, la forçant à hâter le pas, ce qui était rendu intolérable, aux yeux de la juriste, étant donné l'état de la petite et la façon dont elle trébuchait dans ses sabots trop grands. Les menottes, ainsi que le fait que, pour une fois, la magistrate ne pouvait se charger d'escorter sa cliente, faisaient partie du cérémonial de sortie. Regina estimait que tout cela n'avait pas la moindre utilité et relevait d'une esthétique perverse.
La belle brune vit la malheureuse se contracter dramatiquement. Elle avait entendu la menace de son codétenu, celui qui devait sortir la semaine suivante. Soudain, un bras jaillit d'entre deux barreaux, tâchant de l'agripper, la ratant de quelques centimètres. L'enfant martyre fit néanmoins un écart, fut ramenée brutalement dans le droit chemin par Davis, qui dit d'une voix forte : « Estrada, arrête ton cirque ! » « Tu me fais tellement bander que je vais te défoncer, chérie ! Deux fois de chaque côté, au moins… » ajouta néanmoins le nommé Estrada. Intriguée, Regina tourna la tête, eut un choc. C'était un tout jeune garçon, aux traits hispaniques. Il aurait pu être très beau, s'il n'avait pas été aussi abîmé par la misère, la violence et la drogue. Il devait avoir à peine quinze ans. Presque un enfant. Un vrai, pas l'un de ces hommes infantilisés par l'institution.
Tous trois arrivèrent péniblement au bout du couloir, sans que les acclamations de toutes sortes faiblissent. La pénaliste suivait, se plaçant à la hauteur d'Emma, la regardant de manière obsessionnelle, tout en restant juste assez loin pour ne pas se faire rabrouer par le gardien. Celle qui ne serait bientôt plus une prisonnière gardait la tête baissée, les yeux fixés au sol. Elle respirait laborieusement. Un son sifflant s'échappait de sa bouche aux lèvres serrées. Simple bronchite ou pneumonie ? se demanda la femme de loi avec inquiétude.
Webb, qui n'avait pas bougé de sa place, à la petite table située à l'entrée de l'aile N, leur jeta un coup d'œil distrait. Tandis que Davis ouvrait la porte en soupirant, Regina en profita pour glisser : « Ce sera Booth qui procédera à la fouille. Je suis vraiment désolée. J'ai essayé de changer ça mais je n'ai pas pu. » La jeune voleuse leva les yeux vers elle, la regarda de ses prunelles noyées. « Ce n'est pas grave, Maître, » chuchota-t-elle, « ce ne sera pas la première fois. » La belle brune fronça les sourcils. « Vous voulez dire que… ? » Comme le jeune soldat revenait vers elle pour l'empoigner et la faire avancer, elle expliqua très vite : « Oui…Il me l'a déjà fait. » L'avocate ignorait ce détail. Bien entendu, elle savait que sa protégée avait déjà effectué de nombreux séjours en prison. Comme il s'agissait du seul institut de correction pour mineurs de la ville, il était parfaitement logique que ce fût en ces lieux. Et statistiquement, les chances qu'elle tombât sur Booth étaient élevées.
Au moment où le trio passait la porte de l'aile N (pour ne jamais y revenir…en ce qui concernait Emma en tout cas, espéra la pénaliste), une voix féminine s'éleva du fond du couloir, couvrant les timbres viriles et brutaux, et hurlant : « Bonne chance, Swan ! » L'enfant trouvée en eut un petit tressaillement de surprise. Regina avait remarqué, malgré son impatience et sa nervosité, en passant devant les geôles, la présence d'une jeune fille qu'elle n'avait jamais vue. Elle devait être plus jeune que sa cliente. Dix-sept ou dix-huit ans, la peau noire. La malheureuse…si elle n'avait pas décidé de prendre une pause carrière, pour se consacrer exclusivement à la petite blonde et à son combat tout neuf, Regina aurait pu exiger de s'occuper de son cas. Mais elle se fit violence, réfléchit au fait que sa tentative de révolution pourrait lui faire davantage de bien.
La salle de fouille se trouvait juste avant le grand hall. Davis ouvrit la porte avec une certaine brusquerie. Regina, malgré son sac trop lourd, s'avança prestement. Elle avait déjà assisté à de nombreuses perquisitions de fin de peine et savait, malheureusement, à quoi s'en tenir. D'un coup d'œil, elle vérifia que tout était réglementaire. La caméra fonctionnait. La table semblait adaptée à la taille de sa cliente. La poche contenant les gants de plastique était déjà posée dessus, sur un coin. Booth, juste à côté de cet autel sacrificiel contemporain, les mains sur les hanches, jaugea rapidement son collègue, puis la condamnée, puis l'avocate. Il était bien sûr parfaitement conscient qu'à la moindre anomalie, cette dernière ferait un rapport défavorable, voire porterait plainte. Savait-il qu'Emma avait parlé à sa défenseuse des attouchements illicites ? Il devait s'en douter, en tout cas.
« Fais entrer ces dames, Davis ! » dit-il en portant toute son attention sur Emma. Cette dernière, la tête déjà bien basse, les yeux rivés au sol, se mit, au grand chagrin de Regina, à trembler de façon irrépressible. Le jeune garde la poussa vers l'avant, si bien qu'elle trébucha, se rattrapa in extremis. Il fit un signe de tête sec à la magistrate, qui pénétra dans la petite pièce, à sa suite.
Booth semblait très calme, affichait le même sourire rêveur qu'il arborait parfois, durant les exécutions. Son arme, son gourdin et sa cravache pendaient à sa ceinture, lui laissant les deux mains libres. « Enlève-lui ses menottes et laisse-nous. » dit-il. Davis obtempéra, le visage fermé. Au moment où les bracelets de métal s'ouvrirent dans un cliquetis, il regarda la jeune voleuse dans les yeux, et lui dit d'une voix forte : « Tiens-toi à carreau, maintenant, Swan ! » Ensuite, il quitta la pièce sans mot dire, sans adresser le moindre signe à Regina, et claqua la porte.
Booth s'approcha de la table de métal, s'y appuya des deux mains, sourit à la juriste de toutes ses dents gâtées. « Il ne supporte pas l'injustice. » dit-il comme pour excuser son collègue. Ensuite, il lui désigna un coin de la pièce. Comme pour les exécutions, les avocats ne pouvaient pas s'approcher de leurs clients en-deçà d'une certaine distance, durant les fouilles. La belle brune se rapprocha de sa protégée, lui mit très doucement une main sur l'épaule, la sentit tressaillir. La jeune fille tourna la tête, la regarda. Son visage était pâle comme la mort, les joues écarlates, maculées de traces de larmes, de diverses marques de coups, de l'ecchymose laissée par celui qui allait, une dernière fois, l'outrager. Pourtant, il y avait une lueur déterminée au fond de son regard. « Courage, Emma. » lui souffla la pénaliste. « Ça va aller, Maître. » reçut-elle en guise de réponse.
Au lieu de s'installer dans le coin désigné par le tortionnaire, Regina choisit un endroit d'où elle pourrait voir à la fois le corps et le visage de la petite, durant la fouille. La table était pourvue de poignées, si bien qu'une seule position était possible.
Lorsqu'elle fut en place, elle posa à ses côtés son duffle bag et son cartable, se massa distraitement l'épaule. « Venez ici, Mademoiselle. » dit le garde-chiourme d'un ton presque affable. Sans hésiter mais en tremblant, Emma vint se poster juste en face de lui.
L'avocate était aux aguets, guettant le moindre faux-pas. Booth regarda la délinquante de bas en haut, en se léchant les lèvres. Il esquissa un geste, mais se ravisa. Il était évident qu'il aurait voulu la déshabiller lui-même.
Lorsqu'il parla à nouveau, ce fut presque en criant. « À poil ! » Emma sursauta, mais saisit à deux mains les pans de son haut d'uniforme, qu'elle fit passer au-dessus de sa tête. Puis, elle le tint devant sa poitrine. Sa tête était si basse que son cou formait avec sa nuque un angle droit. Ce fut à ce moment qu'elle fut prise d'une quinte de toux qui la plia en deux.
Le garde recula avec méfiance. S'adressant à Regina, il dit : « Elle a commencé à tousser comme ça ce week-end, d'après les gars qui étaient de garde. M'est avis que vous lui avez pas rendu service, en la libérant. Elle passera pas l'hiver. » Tout en parlant, il se dirigea vers un petit meuble métallique, semblable à celui qui servait à ranger les verges, dans la salle d'exécution, en extirpa un masque chirurgical, qu'il fixa sur son visage.
Se retournant vers la détenue, il lui aboya : « T'as pas intérêt à me tousser dessus, Blondie ! » L'avocate ne dit rien, se garda bien de détromper le cerbère, sur les chances de survie d'Emma. Elle suivait scrupuleusement le moindre geste, aussi bien ceux du soldat que ceux de sa protégée. Comme cette dernière tenait toujours cet uniforme, qu'elle devait quitter pour la dernière fois, devant son torse maigre, le garde-chiourme lui ordonna : « Fais pas ta timide ! Tu crois que j'ai jamais vu des nichons ? Tu plies ça bien proprement et tu le mets là. » Il désigna une chaise, posée dans un coin.
Emma s'exécuta. Ce faisant, elle garda le vêtement devant ses seins, aussi longtemps que possible. En le déposant, soigneusement plié, sur la chaise, elle jeta un regard désespéré à Regina, qui ne put déterminer si elle cherchait un soutien moral ou si elle était honteuse, de se montrer ainsi dévêtue à elle. Les deux, peut-être. Après quoi, très vite, elle se débarrassa de ses sabots, les posa, bien alignés, sous la chaise, et enleva son pantalon. Pour ce faire, elle dut s'appuyer au meuble. Le moindre de ses mouvements la faisait visiblement souffrir. Elle grimaçait, se mordait les lèvres, laissait échapper quelques gémissements. Au moment où elle dut se pencher, lever un pied, puis l'autre, pour s'extirper définitivement de son accoutrement, elle poussa même un petit cri de douleur. Enfin, elle fut nue, debout, dans la pièce glacée. Elle se retourna face au gardien. La pénaliste s'aperçut qu'elle ne pleurait pas, semblait à la fois apeurée, humiliée et déterminée. Elle ne cacha pas sa nudité de ses mains, comme elle l'avait fait de son uniforme. Bien sûr, songea la magistrate, elle était habituée à devoir se dévêtir ainsi complètement, au moment des douches, que ce soit en prison ou dans les établissements de correction pour enfants qu'elle avait fréquentés depuis son plus jeune âge.
Booth la regarda d'un air à la fois pensif et gourmand. Par réflexe, Regina vérifia une nouvelle fois, d'un coup d'œil, que la caméra fixée au plafond fonctionnait. Comme le moindre fait et geste des employés du monde carcéral, la fouille de fin de peine était minutieusement réglementée. Elle connaissait le protocole jusqu'au plus infime détail…et le gardien aussi. De même que lorsqu'il lui faisait subir une fouille de niveau 1, il irait exactement aussi loin que la loi le lui permettait. Et la façon dont il regardait la détenue ne faisait l'objet d'aucun article.
C'était la première fois que l'avocate voyait sa cliente entièrement nue. Elle la regarda brièvement, par réflexe, pour jauger dès à présent son état de santé, tout en prenant bien soin à ne pas s'attarder, afin de ne pas ajouter à son humiliation. Emma n'était pas aussi étique qu'elle l'avait craint. Bien entendu, ses côtes étaient par trop apparentes, les os de ses hanches parfaitement visibles. Mais Regina s'était attendue à voir une poitrine presque plate, d'enfant à peine pubère. C'était un buste de femme que Booth était en train de lorgner sans pudeur aucune. Ce buste qu'il avait outragé avec la complicité de Hunt, se rappela la juriste, dans un regain de colère.
« Amène-toi ! » tonna-t-il. Emma obtempéra, se posta devant lui, les bras le long du corps, le menton tremblant, les larmes aux yeux. Ce faisant, elle tourna le dos à la belle brune, qui put constater de visu les dégâts infligés l'avant-veille. La pénaliste eut un haut-le-corps, qu'elle s'efforça de dissimuler. Le fessier de sa cliente était dans un état pire qu'à la fin de la semaine dernière. Aux déchirures encore saignotantes, qui zébraient la chair en tous sens, s'ajoutaient à présent des contusions de couleur aubergine. D'où elle était, Regina ne put acquérir la certitude qu'il n'y avait pas d'infection.
Booth guigna longuement les petits seins, puis son regard torve glissa vers la femme de loi. Le code précisait que les plis du corps dans lesquels les détenus étaient susceptibles de dissimuler des objets devaient être inspectés manuellement. Mais la poitrine de la jeune fille était si ferme et si haute que rien ne justifiait un tel zèle, et de toute évidence, le bourreau le regrettait. Il aurait voulu, lui, tâter la prisonnière tout en envoyant des sourires narquois à sa défenseuse. Regina eut un frisson en songeant que si un jour elle-même se trouvait dans une telle situation, avec ses seins pleins et lourds, sous chacun desquels elle pouvait faire tenir un crayon, elle n'échapperait pas à une palpation en règle.
Comme par compensation, le garde-chiourme fit posément le tour du corps nu. La magistrate put voir la pauvre carcasse maltraitée, longue, pâle et maigre, se crisper de façon pathétique. L'homme contempla longuement les fesses suppliciées, avec un sourire satisfait, et, sans surprise, les gratifia de plusieurs tapotements, juste assez vifs pour être douloureux. Emma tressaillit, devint toute rouge, poussa un gémissement pitoyable. « Que voilà un petit cul bien châtié, Mademoiselle ! » dit-il d'un ton moqueur. « Espérons que vous aurez encore bien longtemps du mal à vous asseoir. Cela vous rappellera de ne pas voler les honnêtes citoyens. » Regina surveillait les gestes du bourreau avec tant d'attention, s'assurant qu'il ne dépassait pas le cadre légal, que sa colère ne constituait plus qu'une sorte de toile de fond, un paysage coutumier.
« Respirez, Emma. » dit-elle d'une voix claire à l'adresse de sa cliente. « Ne vous affolez pas. Ce sera bientôt fini. Et songez qu'ensuite, vous serez libre. » Sans tourner la tête vers elle, la jeune fille acquiesça doucement.
Booth se dirigea vers la table métallique, se saisit d'une paire de gants de plastique et les enfila. Après quoi, il revint se placer face à la prisonnière, regarda encore ostensiblement sa poitrine, puis lui ordonna : « Ouvre la bouche. » Connaissant la procédure, elle obéit aussitôt, se décrocha littéralement les mâchoires.
Le gardien fouilla minutieusement la cavité buccale. Regina savait qu'il devait passer ses gros doigts entre les dents et les lèvres, explorer le palais. Elle entendit sa protégée émettre des bruits étranglés, qui annonçaient une nausée. Elle se mordilla la lèvre inférieure. Ce salopard enfonçait probablement ses phalanges épaisses jusqu'à la glotte. Enfin, il ôta ses doigts, alla jeter ses gants dans la poubelle prévue à cet effet, tandis qu'Emma était prise d'une affreuse quinte de toux, qui, à la grande inquiétude de son avocate, la fit chanceler.
Le tortionnaire enfila une paire de gants propres, revint se placer en face de la délinquante, et entreprit de lui fouiller les cheveux. C'était sans doute pour lui le moins amusant de l'affaire, mais il en profita néanmoins pour tirer brutalement sur les mèches sales, arrachant à l'enfant trouvée de petits piaillements de douleur. Il sembla ne pas s'apercevoir de la présence des poux. Regina espéra qu'il serait contaminé.
Après quoi, devant sa victime nue et larmoyante, le cerbère ôta ses gants, alla les jeter à la poubelle, puis revint se placer derrière elle. Une claque retentissante sur les fesses meurtries. Un cri aigu. « Allez, Swan ! Tu sais quoi faire. » Emma s'avança en boitillant vers la table métallique. Le garde regarda la juriste, lui adressa un clin d'œil narquois et un petit baiser volant, auxquels elle n'accorda que très peu d'attention. Son regard tomba sur les pieds de sa cliente, afin d'évaluer leur état. Bien entendu, des blessures étaient visibles, sur les chevilles, sur les cous-de-pied, et aux talons. Les plantes devaient être très abîmées, infectées peut-être.
La détenue, rompue au protocole, se plia en deux pour s'étendre sur la table, sur le ventre. Elle poussa un petit cri lorsqu'elle sentit son abdomen et sa poitrine s'écraser contre le métal froid. Deux poignées étaient vissées à l'extrémité de la tablette. Les prisonniers devaient les agripper durant la fouille, afin d'éviter, soi-disant, qu'ils ne puissent se saisir subrepticement de ce qu'ils auraient réussi à dissimuler sur ou dans leur corps. L'orpheline s'en saisit docilement, ce qui tendit à l'extrême son buste et ses jambes, de telle sorte qu'elle dut se hisser sur la pointe des pieds. Lorsqu'elle écarta largement les cuisses, sans même que le gardien eût à le lui demander, Regina l'entendit sangloter. « C'est presque fini, Emma ! Après, vous serez libre. » rappela la magistrate. Du coin de l'œil, elle vit Booth hausser dédaigneusement les épaules.
Il se dirigea lui aussi vers la table, asséna encore quelques claques facétieuses à la petite croupe martyrisée, puis enfila une autre paire de gants. Une main sur la fesse gauche, il enfonça, sans le moindre avertissement, trois doigts dans le sexe de la jeune fille. Celle-ci cria. La juriste vit les longs bras trembler, les mains rouges se crisper sur les poignées métalliques. Il ne fallait surtout pas que l'infortunée fasse mine de résister, même à peine. « Emma ! » s'exclama la femme de loi d'une voix forte. « Ne bougez pas ! Attendez ! Laissez-le faire. Cela ne peut pas durer très longtemps ! » Comme par miracle, l'enfant perdue se détendit, mais continua à faire entendre des sanglots à briser le cœur, tandis que le soldat lui sondait le vagin.
L'intervention de la représentante du cabinet King & Mills avait visiblement agacé Booth. Mais pour montrer qu'il gardait le pouvoir, il lui fit un autre clin d'œil, les doigts toujours enfouis dans l'intimité de celle qui, pour quelques minutes encore, était une prisonnière.
Regina regarda ostensiblement l'horloge suspendue au mur. Le temps était un élément déterminant. L'effet fut instantané. Booth ôta ses doigts, si brusquement que cela suscita un autre geignement endolori de la part de la petite. Le soldat haussa les épaules : « Vous, les bonnes femmes, vous faites toujours toute une histoire quand on vous rentre dans la chatte…C'est pourtant pour qu'on y entre, que vous en avez une ! » La belle brune était parvenue à un tel degré de courroux, à l'égard de cette ordure, que plus rien ne l'étonnait. Il cherchait évidemment à la provoquer. Elle ne répliqua pas. Restait, sans doute, le plus dur. Le garde prit tout son temps pour aller jeter ses gants usagés dans la poubelle. D'un ton détaché, il dit, sans regarder Emma : « He bien, je suppose que le moment est venu de te trifouiller le fion, Swan ! » Un sanglot, qui s'efforçait d'être discret, lui répondit. Il poussa un soupir dramatique, comme pour exprimer que, pour lui, il s'agissait d'une corvée.
Revenu vers la table, il se posta derrière son souffre-douleur et dévora des yeux le petit postérieur endommagé, non seulement par la récente condamnation, mais par des années de tortures incessantes. Puis il enfila une nouvelle paire de protections. Malgré ses efforts, la jeune fille se mit à pleurer bruyamment, puis fut secouée d'une quinte de toux qui fit pratiquement tambouriner son torse contre la table glacée. Son avocate en eut les larmes aux yeux, chercha quelque chose à dire, puis se décida pour : « Shhhhhh…Emma…Courage ! Je suis là ! Je suis avec vous. » Le garde-chiourme lui jeta un regard à la fois railleur et exaspéré. Puis, il posa une paume sur chaque fesse et écarta. Les pleurs augmentèrent.
Le bourreau examina visuellement l'anus exposé. Regina se rendait compte de la bravoure de sa cliente, qui s'appliquait à respirer profondément, à ne pas s'agiter. Mais elle fut prise inopinément d'une nouvelle quinte de toux, qui secoua son corps amaigri. « Pouahhh… Tu pues, ma fille. » persifla Booth. Et, lâchant momentanément la fesse droite, il ajusta son masque, sur son visage. « Les gars qui s'occupent des douches pourraient être plus consciencieux, franchement ! » Jugeant qu'il était parfaitement inutile de répliquer, la pénaliste se contenta d'observer de tous ses yeux, redoutant, ou peut-être espérant, une exaction.
La grosse dextre, plutôt que de se poser à nouveau sur la chair, se dirigea tout droit dans le pli inter-fessier, et le gardien enfonça sans préambule son index dans l'ouverture. Emma poussa, cette fois, un petit cri. Mais elle ne bougea pas d'un pouce. L'homme se mit en devoir d'explorer bien à fond, tout en vrillant la juriste du regard et en lui souriant malicieusement.
La belle brune regardait avec tant d'attention qu'elle en oubliait de cligner des yeux. Son regard noir allait et venait, entre le corps tourmenté et l'horloge. Au bout d'une minute, tandis que Booth continuait à fouiller l'intérieur de la jeune fille d'un air appliqué, elle perdit soudain patience. « Mais enfin ! » s'écria-t-elle, « Sérieusement, qu'est-ce que vous pensez trouver ? Qu'est-ce que vous croyez que ma cliente a bien pu cacher dans son rectum ou dans son vagin ? Son écuelle ? Du papier toilette ? » Le sourire perverti de Booth s'élargit. Regina le vit enfoncer, dans l'orifice intime, en plus de son index, son majeur, ce qui arracha presque un hurlement à la malheureuse. « Vous ne croyez pas si bien dire, Maître ! Pas plus tard que le mois dernier, j'ai trouvé dans le cul d'un môme de quatorze ans des morceaux de céleris et d'oignons, qu'il avait récupérés dans son gruau. » Quatorze ans…c'était l'âge minimum pour être condamné à une peine dans cet institut. Les enfants plus jeunes étaient pris en charge par d'autres établissements, à peine moins inhumains. L'avocate répondit, entre ses dents serrées : « Imaginez la détresse de ce gamin…La terreur qu'il devait ressentir, à l'idée de la faim, de se retrouver sans ressource, à la rue, pour faire une chose pareille…D'ailleurs, ce n'était même pas du vol, même pas selon vos lois disproportionnées. Ces légumes étaient à lui, puisqu'ils faisaient partie intégrante de sa ration. »
Le garde eut l'air de trouver que la juriste ratiocinait. Celle-ci jeta à nouveau un œil à l'horloge. « Vous êtes en train de dépasser le temps imparti, Officier ! » articula-t-elle posément. Le gardien ôta brusquement ses doigts du fondement d'Emma. Pour faire bonne mesure, il lui asséna, sur chaque fesse, une formidable claque. La jeune fille hurla. La magistrate serra les poings.
Elle regarda, le cœur battant à tout rompre, l'homme se diriger vers la poubelle, se débarrasser de ses gants et de son masque, les jeter dans la corbeille. Ensuite, sans se retourner, il saisit deux documents, qui avaient été placés à l'avance sur le meuble roulant, tendit un stylo, marmonna : « Une petite signature, Maître… » Regina se précipita, s'assura d'un simple coup d'œil qu'il s'agissait bien de la déposition qui attestait que la fouille avait été exécutée, et qui consacrait donc la libération de l'enfant martyre. Elle signa les deux exemplaires avec peine tant ses mains tremblaient. Elle ne remarqua presque pas les tapotements outrageants dont le garde lui gratifia la croupe. Sans s'éloigner, elle lui rendit le stylo. Il signa lui aussi, à contrecœur.
Dès que ce fut fait, la femme de loi s'empara de l'un des documents, le plia en quatre et le rangea soigneusement dans la poche de sa veste de tailleur. Ensuite, elle se précipita vers le duffle bag qu'elle avait apporté. Sous les yeux incrédules de Booth, elle en extirpa ce qui ressemblait à un vaste morceau de tissu bleu profond, courut pratiquement jusqu'à Emma, toujours ployée en deux sur la table, et en couvrit le corps nu.
L'orpheline leva péniblement la tête, étonnée. Sa main droite quitta la poignée de métal, qu'elle avait serrée convulsivement durant toute la durée de la fouille, saisit le col du vêtement, le froissa doucement entre ses doigts. Sans se redresser, elle se tordit le cou pour regarder sa défenseuse de ses yeux rougis et humides, et lui demanda de sa voix toute cassée : « C'est quoi ? »
Regina se sentait véritablement bouleversée. Elle se demanda si vraiment, les fouilles auxquelles elle avait précédemment assisté avaient été aussi épouvantables. Sans du tout réfléchir, elle caressa pensivement la tête blonde et répondit aussi doucement que possible. « C'est une de mes robes de chambre, Emma. » La petite voleuse eut un tressaillement de surprise. Ses doigts couturés tâtèrent encore l'étoffe, comme si elle n'avait jamais rien rencontré de tel, ce qui était sans doute le cas. « Comment…comment ça peut être si doux…et si chaud ? » « C'est de la flanelle. » répondit l'avocate. La voix outrée de Booth interrompit l'échange. « Vous rigolez ? Vous la prenez pour une princesse ? »
Brutalement ramenée à la réalité et au fait que celui qui avait fait subir mille avanies à sa protégée se trouvait toujours dans la même pièce, la belle brune se redressa, non sans s'être assurée que son peignoir resterait bien en place, couvrant la nudité de la jeune fille. « L'acte de remise en liberté est signé. La fouille de sortie a été effectuée. Bien en profondeur ! » cria-t-elle presque, « Comme vous l'a demandé Monsieur le Directeur. Je vous saurai gré, à présent, de nous ouvrir. » Et elle désigna une petite porte, dérobée mais blindée, et munie d'un système de sécurité, comme celle du grand hall. Le gardien rougit. Il se dirigea d'un pas vif vers ladite porte, tapa un code pour la déverrouiller, puis se retourna, la tenant grande ouverte.
Regina reporta toute son attention sur celle qui n'était désormais plus sa cliente, drapa plus étroitement encore la robe de chambre autour de sa chair frigorifiée. Elle alla ensuite récupérer son attaché-case et son duffel bag. Après quoi, elle revint se placer aux côtés de la jeune délinquante. Déposant les objets qui l'encombraient sur un coin de la table de métal, elle encouragea Emma à se redresser, ce qu'elle fit avec de petits gémissements endoloris. Lorsque l'enfant des rues se trouva debout, face à elle, l'avocate prit le temps de nouer bien délicatement la ceinture bleue autour de sa taille.
L'orpheline la regardait faire, avec des yeux ronds d'étonnement. Elle semblait même avoir oublié la présence de son tortionnaire. Lorsque Regina se fut bien assurée que le corps malmené était couvert, elle suspendit l'énorme sac en bandoulière, autour de ses frêles épaules, ploya presque sous son poids. Elle saisit son cartable dans sa main droite et enroula, comme elle l'avait déjà fait tant de fois, son bras gauche autour de la taille de l'ex-détenue. Avec une douceur infinie, elle lui dit : « Venez, Emma. Nous allons nous rendre dans l'autre pièce. »
La jeune fille lui emboîta le pas sans hésitation, bien qu'en boitant et en titubant sur ses pieds nus, glacés et endommagés. Lorsqu'elles furent arrivées à environ un mètre du gardien, la magistrate marqua une pause. Plongeant ses prunelles de feu dans les pupilles torves, elle déclara, en détachant chaque mot : « Je ne vous conseille pas d'essayer de nous toucher, Mademoiselle Swan ou moi-même, Officier ! Croyez-moi sur parole. » Booth fronça les sourcils. Les deux ennemis s'affrontèrent du regard quelques secondes, durant lesquelles la juriste sentit que le corps de sa protégée se contractait affreusement. Finalement, le garde-chiourme eut un geste irrité et dit : « Oh ! Et puis, bon débarras ! À la revoyure, Swan ! La prochaine fois, je serai aux premières loges, en train de bouffer du pop-corn, et toi à poil sur l'échafaud ! » Il s'éloigna d'un pas.
Consciente d'avoir gagné le duel psychologique, Regina fit passer sa protégée dans une pièce minuscule, meublée simplement d'une chaise et d'une table sur laquelle trônait une boîte de plastique. La porte claqua derrière elles. En entendant le bip qui annonçait la fermeture électronique, l'avocate poussa un grand soupir de soulagement.
La belle brune guida péniblement la petite voleuse vers la table. « Appuyez-vous, Emma. » dit-elle, consciente qu'il n'était pas question de lui proposer de s'asseoir. La malheureuse obtempéra et l'avocate en profita pour se débarrasser de son fardeau, qui lui cisaillait l'épaule.
Une nouvelle toux secoua le corps maigre. La juriste regarda son ancienne cliente avec inquiétude. Son front était constellé de sueur, son regard hanté. La fouille avait de toute évidence été pour elle une terrible épreuve. Pourtant, une lueur singulière, faite d'espoir autant que d'appréhension, brillait dans ses prunelles vertes. « Vous… » commença-t-elle. Ses yeux enfiévrés plongèrent dans ceux de sa sauveuse, donnant à Regina l'impression qu'ils lui pourfendaient l'âme. « Vous allez vraiment me… » Elle s'interrompit, regarda autour d'elle, puis acheva : « …me faire sortir. »
La magistrate esquissa un demi-sourire. « Il n'y a pas de caméras ici, Emma. Cette pièce est un sas, destiné uniquement à vous permettre de vous habiller avant de sortir. Techniquement, elle n'appartient même pas à la prison. D'ailleurs, cette porte… » Elle en désigna une, encore plus petite que celle par laquelle elles étaient entrées. « …ne mène pas à l'entrée principale, mais sur une petite rue, à l'arrière de l'établissement. Autant ils aiment faire entrer les détenus en grandes pompes, fers aux poignets et aux chevilles, en les poussant à coups de pied, autant ils détestent qu'on les voie sortir, voyez-vous… »
La jeune fille hocha la tête, répondit très bas : « Je sais…Je suis déjà passée dans cette pièce. J'avais remarqué qu'y avait pas de caméra. Mais je me disais qu'y avait peut-être un micro… » « Non ! » se hâta d'expliquer Regina. « La loi les en empêche. Et la porte blindée est absolument insonorisée. » L'avocate posa très prudemment une main sur l'épaule anguleuse. « Et pour répondre à la question que vous alliez poser, oui, je vais vous emmener chez moi. » Elle consulta rapidement sa montre. « Nous avons un quart d'heure. »
Elle ouvrit le casier de plastique, en examina le contenu, vérifiant que tous les objets répertoriés dans le dossier d'admission étaient bien présents. « Vous m'avez dit que ce ne serait pas la première fois que Booth vous ferait subir une fouille de niveau 3…Il s'en est occupé à votre arrivée ? » Emma acquiesça. « Oui. Et la dernière fois, quand je suis sortie, c'est lui qui me l'a fait, aussi. » La magistrate chercha quelques instants dans son excellente mémoire. « Il y a…quatre mois, donc… » « Euh…je suppose…Vous savez, dans la rue, comme ça, c'est…pas évident…le temps… » La juriste se contenta de valider les paroles de sa protégée d'un léger signe de tête.
Étalant ensuite les objets appartenant à Emma, elle annonça : « Tout y est. Nous allons vous habiller à présent. » Elle vit son ancienne cliente resserrer nerveusement la confortable robe de chambre contre elle, la regarda, de la compassion plein les yeux. « Je comprends que ce soit difficile. Je sais que vous avez froid et que vous souffrez. Mais d'ici une heure, au grand maximum, vous serez au chaud et à l'abri. »
Portant la main à son front, elle s'écria : « Oh ! J'ai failli oublier. » S'accroupissant, elle ouvrit à la hâte son attaché-case, en ressortit un flacon et une petite bouteille d'eau. Autant il était interdit d'apporter aux prisonniers quoi que ce soit en dehors de ce qui était fourni par l'administration, autant il n'en était pas de même lors des libérations. Comme elle venait de l'expliquer, elles se trouvaient techniquement en dehors de la prison. Bien entendu, cartable et duffel bag avaient été scrupuleusement sondés à son arrivée. Et pour l'occasion, la femme de loi avait pu garder son manteau.
Se redressant, elle montra la fiole à la petite et demanda : « Avez-vous mangé votre ration, hier, après mon départ ? » Les grands yeux de jade papillonnèrent. « Euh…ben…pas tout…la moitié, peut-être. » Regina réfléchit. Cela devrait aller. « Bien…je voudrais que vous preniez un de ces comprimés. Ce sont des antalgiques… » Une lueur de confusion passa dans les prunelles brillantes. « Des antidouleurs. » clarifia-t-elle. Emma fronça les sourcils. « Vous allez devoir vous asseoir dans ma voiture. J'ai placé un coussin sur le siège. Le plus confortable que j'ai pu trouver. Mais tout de même…Et il est bien sûr hors de question que nous nous mettions en défaut. Il faudra que vous ayez votre ceinture de sécurité. » L'avocate vit nettement le petit visage, déjà blême, pâlir encore davantage. Elle n'avait pas eu besoin de mentionner que le risque était de se voir arrêtées par l'un des innombrables policiers ou soldats qui stationnaient à chaque carrefour.
La jeune fille hocha la tête. S'appuyant de la main gauche sur la table, elle présenta sa dextre. La magistrate fit tomber, dans la paume tendue, un cachet, puis dévissa le bouchon de la bouteille. Emma avala le médicament avec une gorgée d'eau, puis regarda la bouteille pleine, jeta un œil interrogateur à sa défenseuse. « Vous pouvez boire, autant que vous le voulez. » dit cette dernière. Emma but avec avidité, vida presque la bouteille. « Le médicament n'est pas très fort. » murmura la belle brune. Catherine lui avait bien recommandé de ne rien administrer de trop puissant à sa protégée avant qu'elle ait eu l'occasion de l'examiner.
Regina récupéra la bouteille, la plaça dans le duffel bag, puis s'accroupit à nouveau, fouilla dans son sac, en extirpa un pantalon de jogging gris. Elle regarda la jeune voleuse en ayant l'air de s'excuser. « Lorsque vous êtes arrivée ici, il y a un mois, vous étiez en possession d'une robe, d'un legging, d'une culotte, de vos lunettes, de votre couverture, d'une paire de sandales et d'un sac fourre-tout…Il fait très froid dehors. J'ai garé ma voiture le plus près que j'ai pu, mais il y aura quand même quelques mètres à parcourir, et vous toussez déjà. Le problème, c'est que vous avez perdu beaucoup de poids. Votre legging ne vous ira plus. Je me suis permise de…vous procurer ceci. »
Les yeux d'Emma s'écarquillèrent. « Vous voulez dire que…c'est à vous ? Comme le peignoir ? » « Non. Je l'ai acheté. Ma robe de chambre est juste un peu courte pour vous mais mes pantalons de sport sont beaucoup trop serrés. Ils vous auraient fait mal et c'est exactement le contraire de ce que je veux obtenir. J'ai pris une taille peut-être un peu grande, pour votre confort. » La petite ouvrit une bouche stupéfaite. L'avocate s'attendait à cette réaction. « Écoutez, je sais ce que vous allez dire. Je vous ai expliqué que c'est vous qui me faisiez une faveur, en acceptant que je m'occupe de vous. Cela ne me coûte rien, Emma. J'ai largement les moyens de subvenir à vos besoins. S'il vous plaît… » Elle attendit patiemment que l'enfant perdue accepte son aide. Un infime mouvement du menton. Les grands orbes verts la dévisageaient sans comprendre. Elle ajouta : « Je pense qu'il vaut mieux que vous ne mettiez pas de sous-vêtement. Ce n'est que pour arriver jusque chez moi, après tout. »
S'accroupissant devant elle, Regina encouragea sa protégée à lever une jambe, puis l'autre, lui enfila le vêtement. Lorsque celui-ci fut aux genoux, elle la laissa le hisser jusqu'à sa taille, sous le peignoir. Elle extirpa ensuite de son sac une paire de bottines, fourrées et imperméabilisées. Le temps pressait. Il ne fallait pas laisser à Emma le loisir de revenir de sa surprise. « Je vous ai aussi acheté ces chaussures. L'intérieur est composé d'une sorte de mousse, très confortable. Et elles sont chaudes. J'ai pris une pointure un peu grande. » Sans même lever la tête, toute à son affaire, la juriste posa les bottes au sol, juste devant la jeune fille. « L'intérieur est si douillet que j'ai pensé qu'il valait mieux ne pas vous procurer de chaussettes pour le moment. Levez le pied, je vous prie. »
Deux secondes s'écoulèrent. Finalement, Emma prit appui sur la table et leva le pied gauche. Très habilement, la belle brune lui enfila la bottine, la lui fit reposer au sol, tira la fermeture éclair, puis fit de même du côté droit. Quand ce fut fait, elle releva la tête, regarda la petite, qui avait l'expression de quelqu'un qui vient de tomber nez-à-nez avec un extraterrestre, lui adressa un gentil sourire. Sa gorge lui faisait mal, à force de retenir son émotion. En chaussant Emma, elle avait senti à quel point elle était gelée, et avait vu plusieurs blessures, partout sur ses pieds, qui saignotaient. Elle se remit debout, s'empara de la petite robe de coton, la tendit à la jeune fille. « Voulez-vous que je vous aide à la mettre ? » Les yeux toujours exorbités de surprise, la petite délinquante acquiesça, puis se débarrassa maladroitement du peignoir, le posant sur la table. Elle frissonna en se retrouvant torse nu, dans la pièce glacée, toussa à plusieurs reprises, dans son coude. Regina se hâta de faire passer la tunique au-dessus de la tête blonde, l'aida de son mieux à trouver les manches. Toutes deux poussèrent un soupir de soulagement lorsque le pauvre corps meurtri et tremblant fut vêtu. Enfin, la pénaliste extirpa de son duffel bag un manteau de laine noire, qui couvrait largement les épaules et était pourvu d'une capuche. C'était le plus chaud qu'elle possédait. Elle le tendit à son ancienne cliente, lui ouvrant la manche droite. Autant le pantalon de jogging était un simple article de sport, autant la pèlerine et les bottines semblaient coûteuses. Cette fois, les prunelles de la petite parurent sur le point de tomber de leurs orbites. Lisant ses interrogations sur son visage expressif, la belle brune se hâta d'expliquer. « Il est à moi. Je vous le prête le temps du trajet. J'ai dû préparer votre arrivée hier. J'ai eu beaucoup à faire. Je n'ai acheté que le strict minimum. »
Emma était visiblement trop estomaquée pour protester. Elle enfila le manteau, au prix de quelques contorsions, qui lui arrachèrent des geignements de souffrance. Une fois vêtue de pied en cap, elle fut à nouveau secouée d'une alarmante quinte de toux, et dut encore s'appuyer à la table. Regina regarda dans le casier de plastique qui avait contenu les effets de la condamnée. Il demeurait une petite boîte de carton et une grande enveloppe de papier. Elle ouvrit l'étui, en extirpa les lunettes ébréchées, les donna à l'orpheline, qui les chaussa maladroitement. Enfin, l'avocate déchira l'enveloppe. Elle savait que celle-ci contenait la couverture de laine blanche, décorée d'un ruban violet brodé au nom d'Emma, dans laquelle le pauvre bébé avait été enroulé avant d'être jeté au bord d'une route.
Lorsqu'apparut la laine immaculée, étonnamment propre, compte-tenu du fait que l'enfant abandonnée avait traîné cet objet avec elle, de pérégrination en pérégrination, depuis sa venue au monde, la jeune fille poussa une exclamation étouffée et s'empara du châle, qu'elle pressa contre sa poitrine. La juriste la vit porter un coin de lainage vaporeux à son visage, s'en caresser une joue, y déposer un petit baiser. Elle regarda ensuite à la dérobée son avocate, et expliqua timidement : « C'est mon doudou. » Regina sourit, puis jeta un coup d'œil à sa montre. « Bien. Nous allons y aller maintenant. » Elle fourra dans le duffel bag les articles restants : de vieilles sandales tout abîmées, la culotte, le legging, le sac fourre-tout et son peignoir, puis passa la lanière par-dessus son épaule.
Le sac était beaucoup moins lourd, à présent que la petite portait sur elle le jogging, les bottes et le manteau. Pourtant, en voyant sa défenseuse se charger d'un tel poids, Emma proposa immédiatement : « Je peux le porter, si vous voulez, Maître. » La belle brune regarda cette malheureuse jeune fille famélique et transie, au corps martyrisé, à la respiration souffreteuse, et répondit : « C'est hors de question. » Elle fouilla dans la poche de sa propre pèlerine, en retira deux paires de gants. Avant d'enfiler les siens, elle tendit ceux qu'elle avait réservés à sa protégée, lui murmura : « Je vais vous mettre ces gants. Vos doigts sont couverts d'engelures. » La jeune fille obéit avec une docilité qui en disait long, présenta ses mains, regarda avec stupeur son ex-avocate la préparer à sortir, comme une mère couveuse le ferait d'un enfant en bas âge. Enfin, Regina couvrit la tête blonde de l'épaisse capuche fourrée. Pour ce faire, compte-tenu de la différence de taille, elle dut se hisser sur la pointe des pieds. « Appuyez-vous sur moi. » Sans laisser à l'ancienne détenue le temps de réfléchir, elle prit son attaché-case dans sa main droite, enroula son bras gauche autour de la taille étroite, et dirigea sa protégée vers la porte dérobée.
Le portique était pourvu d'un verrou automatique, qui permettait de sortir mais non de rentrer. Dès qu'elles furent dehors, le bruit caractéristique du verrouillage se fit entendre. Regina en éprouva un soulagement inexprimable. Elle sentait tout contre elle, malgré l'épais manteau, le corps éprouvé frissonner et tressaillir. Le temps s'était encore gâté. La température devait avoisiner les zéro degrés Celsius. Il ne pleuvait plus mais un vent aigre s'était levé.
L'avocate avait garé sa Mercedes aussi près qu'elle l'avait pu. Elle dirigea la petite sur quelques mètres. Il lui sembla que, grâce aux confortables bottines, la malheureuse ne boitait plus aussi fort qu'avec ses sabots. Un vieil homme, vêtu de guenilles, était assis sur le trottoir humide, le dos appuyé contre le mur de l'établissement. En les voyant passer, il ricana et dit d'une voix traînante : « Alors, ils fessent toujours bien les vilaines filles, là-dedans ? Tu me racontes, la môme ? » « Il est toujours là. » chuchota Emma à l'oreille de sa défenseuse. « Depuis que j'ai quatorze ans, à chaque fois que je sors d'ici, il est là. Et il dit la même chose. » « Je sais. » répondit Regina. « J'ai assisté beaucoup de clients, lors de leur sortie. Il est moins enthousiaste quand ce sont des garçons. »
Bien qu'elle sentît que cela devait la mettre mal à l'aise, la magistrate ne pouvait s'empêcher de jeter des regards à la fois inquiets et fascinés sur l'étrange tableau que présentait la jeune fille, ainsi vêtue de pied en cap. Avec ses gants élégants et chauds, sa tête couverte, ses mèches blondes et sales, qui dépassaient de sous la capuche, son manteau d'un goût exquis, son jogging trop ample et ses bottines chics, elle offrait une image dépareillée et grotesque. Par ailleurs, elle serrait convulsivement son doudou contre sa poitrine, semblant vouloir le protéger contre les intempéries.
Elles furent bientôt arrivées devant l'élégante berline noire, qui détonnait dans la ruelle misérable et malodorante. « Nous y sommes. » dit la juriste. L'orpheline, qui était prête à continuer son chemin, demanda, éberluée : « Ce…c'est votre voiture ? » Regina acquiesça avec un sourire, extirpa habilement ses clefs de sa poche, sans lâcher son cartable. « Mais… » protesta la petite, « …je…je sens mauvais. Je vais tout vous salir. » « Emma, » répondit la femme de loi, « cela n'a aucune importance, voyons. Ce qui m'inquiète, c'est de savoir si vous pourrez vous asseoir. Nous en avons pour plus d'une demi-heure de trajet, et les policiers pullulent, dans le quartier. Une fois que nous serons près de chez moi, nous pourrons nous détendre mais il faut absolument éviter le moindre faux pas avant d'avoir quitté la zone. » Et elle ouvrit la porte.
L'enfant trouvée regarda à l'intérieur de l'habitacle. Comme annoncé, un épais coussin avait été déposé sur le siège du passager. « J'ai jamais vu une bagnole comme ça. » murmura-t-elle. Puis, se rappelant de la question que lui avait posé la juriste, elle plongea ses beaux yeux humides dans les siens. « Oui…ça va aller. Ce truc, que vous m'avez donné…ça marche très bien. J'ai moins mal. » Bien sûr…elle n'avait peut-être jamais avalé un analgésique de toute sa vie.
Regina déposa son attaché-case et son grand sac au sol, sans se soucier de l'humidité, puis aida avec mille précautions son ancienne cliente à s'installer. Malgré son apparente assurance, Emma ne put s'empêcher de geindre. Elle poussa même un petit cri douloureux, lorsqu'elle dut se placer bien au fond du siège. La belle brune, avec des gestes maternels, fixa elle-même la ceinture de sécurité. Après quoi, elle fit à la hâte le tour du véhicule, ouvrit le coffre pour y ranger son cartable et son duffel bag, et vint s'installer à la place du conducteur.
Tout en tournant sa clef de contact, elle regarda celle qui n'était plus une prisonnière à la dérobée. Elle souffrait visiblement. Sa jolie tête blonde était baissée, ses yeux mi-clos, sa respiration poussive. Elle toussa dans son coude, ce qui la fit gémir de douleur. La représentante du cabinet King & Mills n'osait pas imaginer ce que cela pouvait être, d'être obligée de s'asseoir sur un postérieur torturé comme elle savait que l'était celui d'Emma Swan. La pauvre orpheline serrait toujours, entre ses bras, sa couverture blanche, comme si elle craignait qu'on ne la lui prenne.
Avant de démarrer, la juriste, en constatant que la petite voleuse tremblait de froid, malgré le manteau, tourna un bouton. « Vous aurez chaud très vite, Emma. » La jeune fille la regarda, fronça les sourcils. « Il y a le chauffage, dans la voiture. » « Sérieux ? » demanda-t-elle. Regina hocha la tête, puis démarra. Elles repassèrent devant le mendiant, qui les siffla au passage. La pénaliste se fit la réflexion qu'elle ferait mieux de passer par les petites rues. D'un autre côté, il était peut-être préférable d'épargner à la pauvre enfant les cahots causés par les pavés. Après tout, elles étaient parfaitement en règle. Les papiers d'Emma se trouvaient dans le coffre. Elles portaient toutes deux leurs ceintures.
Se décidant à emprunter les grands boulevards, l'élégante jeune femme jeta un œil sur sa droite. La petite tremblait déjà moins. L'atmosphère, dans la voiture, s'était considérablement réchauffée. « Nous serons très bientôt chez moi. » dit l'avocate de sa voix la plus rassurante. « Oui, Maître. Merci… » murmura la voix rocailleuse.
