Regina resta immobile, debout près du lit. Elle n'était bien sûr pas surprise mais cela n'enlevait rien au chagrin qu'elle ressentait. L'horrible institution n'avait même pas eu la vertu de protéger l'orpheline. Elle n'avait fait que la torturer. Elle savait par expérience qu'il ne servait à rien de tourmenter la malheureuse. Elle achèverait de se confier lorsqu'elle serait prête. Ce fut Catherine qui parla la première.

- Étant donné les lésions que l'agression vous a laissées, vous avez dû saigner, Emma.

L'ex-détenue secoua la tête.

- Pas tant que ça. Je me suis lavée dès que j'ai pu…euh…dès que j'ai pu tenir debout. Avec l'eau de l'évier de ma cellule.

Le médecin regarda la juriste, qui crut déceler un reproche dans ce regard, et se défendit aussitôt.

- Son pantalon était déjà complètement imprégné de sang, à cause des flagellations répétées…c'était toujours comme ça…J'ai…

Elle s'interrompit, prit une grande inspiration, se souvenant que sa cliente avait refusé de se dévêtir. Sachant qu'elle sortirait le lendemain, elle avait préféré ne pas insister.

- Je n'ai probablement…pas fait la différence…pas identifié d'où venait le sang…

Elle baissa la tête, se perdit momentanément dans de sombres pensées.

« Est-ce qu'ils vous ont sodomisée ? Avec leurs doigts peut-être ? » L'avocate revint soudainement à la réalité. Catherine avait parlé d'une voix blanche mais parfaitement claire. La belle brune la regarda, des reproches plein les yeux. Jamais elle-même n'aurait fait preuve d'une telle brusquerie. Mais, (effet de la morphine, du demi-sommeil, des deux ?), Emma répondit avant qu'elle n'ait pu réagir: « C'est dans le cul, ça, non ? Ils l'ont pas fait… »

La juriste posa une main sur le bras de son amie. « Ça suffit. L'examen est terminé. » Comprenant que sa camarade d'université lui reprochait sa rudesse, la généraliste chuchota à son égard : « C'est important, enfin ! Il faut que je sache ! » « Eh bien, tu sais à présent. On la laisse tranquille ! » déclara Regina avec autorité. Le médecin ouvrit la bouche pour répliquer, probablement, qu'il lui restait quelques vérifications à faire, mais un coup d'œil sur la jeune fille la fit taire.

Bien que presque endormie, l'enfant martyr pleurait en silence dans son doudou. La révélation qu'elle venait de faire l'avait visiblement secouée. La magistrate récupéra à la hâte le pantalon de toile bleue. « Je vais vous aider à vous rhabiller. » dit-elle avec douceur et en joignant le geste à la parole. La malheureuse l'aida, en levant péniblement les hanches. Dès qu'elle fut vêtue, Emma sembla se détendre. Ses pleurs cessèrent mais elle était encore secouée de sanglots, entrecoupés de crises de toux.

Catherine récupéra sa mallette, puis s'adressa à l'orpheline : « C'est fini, Emma. Vous avez été…vous êtes… très brave. Regina vous soignera. De votre côté, il faut vous préoccuper seulement de prendre des forces. Bien manger, dormir tout votre saoul, vous hydrater. Au moindre soupçon, Regina m'appellera. » La petite blonde hocha la tête. « Au revoir. C'est un honneur de vous connaître. » Elle fronça les sourcils, comme peu sûre d'avoir entendu, répliqua en toussotant : « Euh…Merci. Au revoir, Docteur. » « Appelez-moi Catherine. » « Vous reviendrez ? » ajouta-t-elle à l'immense surprise du médecin, qui en resta, quelques secondes, interdite. « Oui ! Certainement ! » finit-elle par répondre. S'approchant, elle lui tendit la main, comme elle l'avait fait à son arrivée. L'ancienne détenue la lui serra, avec un peu moins d'hésitation. La juriste la couvrit soigneusement de la confortable couette, jusqu'au cou, lui caressa doucement la tête. Les grands yeux de jade la suivaient avec une timide curiosité. « Vous pouvez dormir à présent. » « Vrai ? » demanda la petite d'un ton incrédule. « Bien sûr…vous êtes exténuée. Tout ira bien, ne vous en faites pas. » « Merci. » rétorqua-t-elle en bâillant. Et elle ferma les yeux, se pelotonna.

Lorsque Regina se retourna pour quitter la chambre sur la pointe des pieds, Catherine n'était plus là et la porte était entrebâillée. Elle referma avec mille précautions, derrière elle, puis se rendit dans la grande pièce centrale. Elle eut un instant de confusion en constatant que son amie ne se trouvait pas dans l'entrée. Mais elle l'attendait au salon, assise sur le canapé. En s'approchant, la juriste vit encore quelques flacons, dispersés sur la table basse.

Le docteur en médecine la regarda avec une expression qui eût été, pour quelqu'un qui ne la connaissait pas aussi bien, indéchiffrable. Mais l'avocate savait que sa camarade était bouleversée. Elle vint s'asseoir à ses côtés, lui posa une main sur l'épaule. « Tu vas bien ? » demanda-t-elle. Le médecin poussa un profond soupir. Ses yeux clairs se firent fuyants. Elle s'éclaircit la gorge. Après quelques instants de recueillement, elle répondit.

- C'est abominable…Je n'aurais jamais cru qu'on traitait les enfants de cette façon, dans ce pays.

Regina eut un réflexe d'argumentation.

- Ce n'est pas une enfant. Cette façon de repousser sans cesse la majorité, depuis des décennies, n'est qu'une manière parmi d'autres de les manipuler en les infantilisant.

- Je voulais parler de l'épisode de l'épaule cassée. Ne rien faire pour soulager la douleur causée par une fracture comme celle-là, c'est déjà monstrueux en soi. Mais la battre en prime…je n'ai pas de mot…De toute façon, ce qu'ils lui ont fait par la suite est encore plus inhumain, je suis bien d'accord.

- Je te l'avais dit…tu n'as jamais voulu me croire.

Son amie lui lança un regard énigmatique.

- Franchement, ça changerait quelque chose si je m'excusais de ne pas t'avoir accordé suffisamment de crédit ?

La magistrate eut un léger rire, plein d'amertume.

- Non…rien.

- Tu es consciente qu'elle gardera des cicatrices toute sa vie ?

Catherine avait parlé presque avec brusquerie.

- Je lui paierai la chirurgie réparatrice.

Un silence tomba. La juriste avait dit cela d'un ton neutre, comme entre la poire et le fromage. Le médecin la dévisagea.

- Regina…Tu n'es pas sérieuse ? Tu as une idée de ce que ça coûte ?

Pleine d'assurance, la belle brune développa.

- Absolument…Je suis au courant des prix. C'est un marché en pleine expansion. Les rejetons de familles bourgeoises ne sont pas à l'abri des fessées judiciaires. Et parfois, les châtiments corporels pratiqués en milieu scolaire laissent aussi des traces. Je connais le nom et l'adresse du meilleur chirurgien de Boston. C'est un spécialiste en la matière. J'ai des milliards à la banque, qui font des petits grâce à mon gestionnaire de fortune. Je ne les utilise pas. Ce serait une ruine pour un avocat ordinaire mais pas pour moi. Je veux qu'elle puisse mettre tout ça derrière elle.

Catherine en resta muette, durant une vraie minute. Lorsqu'elle reprit la parole, ce fut d'un ton préoccupé, en secouant la tête.

- Regina…je m'inquiète beaucoup pour toi. Bien sûr, que cette pauvre gosse n'a pas été gâtée par la vie. Bien sûr qu'elle est à plaindre. Et je connais tes projets politiques. Je comprends pourquoi tu fais tout ça. Mais il n'empêche que c'est une délinquante, que tu héberges comme ça, chez toi, sans savoir pour combien de temps. C'est le scénario typique où tu te réveilles un matin, et ton portefeuille et tous tes objets de valeur ont disparu…Et encore, ça, c'est dans le meilleur des cas…

- Arrête tout de suite !

La pénaliste avait parlé fort, interrompant d'autorité son amie. Elle jeta aussitôt un œil en direction de la chambre d'ami, tendue. Réveiller sa protégée était la dernière chose qu'elle désirait. Elle reprit, beaucoup plus bas.

- Tu ne vois donc pas ? Suis-je la seule à comprendre ?

Elle eut un geste ample, en direction du couloir.

- Cette jeune fille nous est supérieure, à toi et à moi…à tous, tant que nous sommes. Elle n'a jamais volé que pour survivre. Elle m'a promis qu'elle ne volerait rien, chez moi, ce qui veut dire qu'elle a pensé avant toi à ce fameux scénario, soi-disant typique. Tu as dit toi-même que, à sa place, nous aurions hurlé de souffrance. Tu te rends compte de sa résistance ? Et malgré ce qu'elle a subi, elle continue envers et contre tout à s'inquiéter pour les autres. Même pour ceux qui la tourmentent. Elle s'est affolée, quand je lui ai dit que je prenais un congé pour m'occuper d'elle. Elle a immédiatement pensé aux autres détenus. Elle est attentionnée, pleine d'empathie et de compassion…Et elle est intelligente ! Elle comprend à une vitesse folle, malgré son manque d'éducation. Elle essaie toujours de saisir le point de vue des autres. Et…

« Oh ! Par Hippocrate ! » s'écria le médecin. « Tu es amoureuse ! »

Ceci arrêta net la tirade de la belle brune.

- Hein ? Mais qu'est-ce que tu racontes ? Tu as perdu l'esprit ?

Catherine se rapprocha, prit dans les siennes les mains de son amie.

- Oh non…Tu ne t'en rends pas compte, encore, mais ça ne saurait tarder. Je te connais ! Cette lueur dans ton regard. Tu avais la même pour Daniel, la même pour Robin…Et à l'université, la même pour Mal ! Cela faisait bien longtemps que je ne l'avais plus vue, cette flamme. Sauf que, cette fois, c'est encore plus fort. Tu es folle d'admiration ! Tu t'entends, quand tu parles d'elle ?

Quelque peu revenue de son abasourdissement, l'avocate répliqua :

- Mais enfin ! Comment peux-tu dire ça ? Tu te rends compte de ce dont tu m'accuses ? Elle a sept ans de moins que moi !

- Tu n'arrêtes pas de clamer qu'elle est une adulte. D'ailleurs, même aux yeux de la loi, elle l'est, depuis aujourd'hui. Sept ans de différence, ce n'est rien, Regina ! Et elle est charmante…touchante au possible…Et elle est belle, très belle !

La juriste, chose extrêmement inhabituelle, demeura muette, quelques secondes de plus. Elle paraissait ébranlée, mais finit par se reprendre.

- Catherine, elle est sous ma protection. Tu…tu ne penses quand même pas que je cherche à la mettre dans mon lit? Ce serait le pire des abus de pouvoir.

Le docteur en médecine leva les yeux au ciel.

- Tes intentions sont pures comme neige, je le sais parfaitement ! Et je vois bien qu'avant que je n'arrive avec mes gros sabots, tu n'avais absolument pas réalisé que tu commençais à développer des sentiments de ce genre. Bien entendu, tu te ferais tuer plutôt que de te servir de ton influence pour faire pression sur elle. Mais il n'en demeure pas moins que tu l'as manipulée en vue de tes projets politiques…

- Les nantis ont besoin d'une figure marquante, à laquelle ils puissent s'identifier.

Elle avait parlé d'une voix sombre, continua sans se troubler.

- C'est abject, mais tous les indécis de ce monde, s'ils tombent sur une interview d'Emma Swan, avec sa chevelure de princesse de conte de fée, son ravissant visage, triste et marqué de souffrance…et surtout, sa peau blanche, arrêteront de zapper et écouteront.

Elle poussa un profond soupir, détourna le regard.

- Ce sont eux, qu'il faut toucher. Et ils sont nombreux. Il faut leur donner la parole, pour contrer les sadiques, du genre de Booth ou de George King, ou même ceux qui sont convaincus que c'est la seule chose à faire, comme Davis… C'est vrai, que je la manipule, dans une certaine mesure…Mais je suis honnête avec elle. Elle a compris ce que je comptais faire. Elle a accepté. Et c'est pour changer les choses en profondeur. J'essaie de faire ce qui est bien.

Catherine hocha la tête.

- Oui…mais tes sentiments sont réels, et te tourmenteront, quoi que tu en penses…Et il me semble plus ou moins inévitable qu'elle tombe à son tour amoureuse de toi. Cette pauvre gamine ! Elle te regarde déjà comme une déesse ! Tu réalises ce que ça signifie, qu'elle insiste comme ça, pour que tu restes, même pendant l'examen gynécologique ? Tu deviens son monde, Regina ! Que feras-tu, lorsqu'elle commencera à roucouler comme une colombe ? Est-ce que ça ne risque pas de compromettre tes fameux projets ?

L'avocate secoua la tête avec une certaine véhémence.

- Ça ne les compromettra pas le moins du monde ! Parce que ça n'arrivera pas. Elle est traumatisée. La dernière chose qu'elle souhaite en ce moment, c'est une relation sexuelle.

Invaincue, le médecin répliqua :

- L'amour peut tellement de choses, Regina…

Le silence tomba dans le grand salon. Chacune des deux femmes sembla s'absorber dans ses réflexions quelques instants. Ce fut le docteur en médecine qui reprit la parole.

- Qu'est-ce que tu comptes faire, au sujet de ces deux violeurs qui jouent les gardes-chiourme pour enfants ?

La femme de loi s'éclaircit la gorge.

- Je ne sais pas encore. C'est compliqué. Il faudrait un élément de preuve, en plus de son témoignage. Tu penses qu'il faut que je prenne des photos ?

- Bien sûr !

Catherine avait répondu sans la moindre hésitation.

- Dès ce soir, pour éviter que les marques ne pâlissent !

Elle réfléchit quelques instants.

- Tu crois que tu peux faire quelque chose ?

La magistrate plongea ses yeux, noirs de rage et de détermination, dans les prunelles bleues de son amie.

- Je te fais le serment de tout faire pour les empêcher de nuire.

Le médecin hocha la tête avec conviction, serra brièvement la main olivâtre de sa complice de toujours, puis laissa passer quelques instants avant de changer de sujet.

- Bon…Je t'ai fait part de mes inquiétudes. À toi d'en faire ce que bon te semble. Dans l'immédiat, tu as tout ce qu'il faut pour la soigner. J'ai mis les ampoules de morphine et les seringues dans ton frigo. Tu auras l'occasion d'aller chercher les prescriptions ?

La juriste parut hésiter quelques instants.

- Euh…Je ne veux pas la laisser seule. Mais je n'ai qu'à envoyer tes ordonnances en ligne, à la pharmacie. Ils me livreront dès aujourd'hui.

- Bien…Laisse-la dormir…disons jusqu'à dix-neuf heures au maximum. Mais si elle ne se réveille pas d'elle-même d'ici-là, il faudra que tu le fasses, pour la nourrir.

- OK…et concernant ses règles ?

- Mmmm…douloureuses, irrégulières, surabondantes…ça pourrait être dû simplement à la malnutrition…pour l'instant contente-toi de l'observer. Tu m'appelles au moindre symptôme alarmant.

- Des recommandations diététiques ?

Catherine poussa un soupir.

- Tu t'y connais presque autant que moi… Si tu as un doute sur quoi que ce soit, appelle-moi, mais disons que le mot d'ordre est de lui faire reprendre des forces. Tu l'as pesée ?

Regina secoua la tête en se mordant les lèvres. Comment n'y avait-elle pas pensé ?

- Ce n'est pas grave. À vue de nez, je dirais qu'elle doit prendre dix kilos avant que nous puissions nous détendre. Ça a l'air facile, comme ça, mais ça ne l'est pas. Les régimes grossissants sont encore plus lents et astreignants que les diètes amaigrissantes. Pèse-la à partir de demain matin, à jeun. Note son poids. Si elle repart vers le bas, tu t'affoles et tu m'appelles, d'accord ?

- Bien sûr !

- Au moins quatre repas par jour…privilégie la fréquence, pas la quantité, dans un premier temps. Ensuite, il faudra la faire manger le plus possible. La collation de dix heures, qui avait été instaurée en Europe après la deuxième guerre mondiale, pour remplumer les enfants rachitiques, est une aberration pour quiconque affiche un poids normal. Mais pas pour elle ! Si tu peux la faire manger cinq, six fois par jour, n'hésite pas !

La belle brune écoutait religieusement, hochant de temps à autre la tête pour montrer qu'elle suivait. Catherine était aussi versée qu'elle en histoire contemporaine, d'où l'allusion à l'après-guerre.

- Bien sûr, il faut éviter à tout prix de la rendre malade. Les pâtes, dans le bouillon, c'était pour donner un booster à son organisme. Mais c'est fini pour cette semaine. En terme de féculents, tu ne lui donnes que quelques pommes de terre, bien cuites, et un peu de pain, disons jusqu'à lundi. Ensuite on avisera. Même si, a priori, je dirais que cette gosse a un estomac en béton armé.

Regina eut un petit rire bref, que partagea son amie. Celle-ci poursuivit la liste de ses recommandations.

- Elle a un besoin démentiel de protéines ! En terme de viande, tu privilégies le poulet…la volaille d'une manière générale. Évite la viande rouge pour l'instant. Pas de légumes crus. Pas de légumineuses. Des poissons gras, au moins une fois par jour, pour pallier les carences qu'elle a certainement accumulées. Il lui faut des omégas trois ! Et à ce sujet…

Catherine désigna les flacons posés sur la table de salon.

- Ce sont des compléments alimentaires. Un comprimé de chaque sorte, une fois par jour, en mangeant.

« Les produits laitiers ? » intervint Regina.

- Bien sûr ! N'y va pas trop fort sur le fromage au début. Si tu t'aperçois qu'elle le digère sans problème, c'est open bar. Persuade-la de te confier si elle a la diarrhée. Ça aussi, c'est à éviter absolument. Des yaourts, du lait entier, du beurre. Le pain…blanc au début. Dès après-demain, tu peux passer au complet, si tout va bien. Vas-y doucement sur les fruits pour l'instant, sauf les bananes…Tu peux lui en donner dès ce soir, pour le potassium. Quelques pommes et poires…cuites de préférence, et c'est tout. On avisera lundi.

La diététicienne réfléchit encore un peu.

- Les œufs, tu peux franchement y aller, du moment qu'ils sont de première qualité, et je sais qu'ils le seront. Le sucre…euh…tu y vas progressivement. Mais bien sûr, c'est un excellent moyen de lui faire prendre du poids à peu de frais. C'est le moment ou jamais de sortir tes talents culinaires. Tout ce qui contient de la farine, des œufs, du beurre, du lait et du sucre est le bienvenu. Hydrate-la bien. Tu peux lui faire boire du lait, chaud ou froid. Et c'est le seul cas où les jus de fruit sont une bonne idée…frais ou en boîte, c'est pareil…

La belle brune lança à son amie un regard presque narquois.

- Tu ne crois tout de même pas que je vais lui donner du jus d'orange lyophilisé ?

Catherine continua, sans tenir compte de l'intervention.

- Et bien sûr, pas de substance excitante. Pas de café, ou très peu, pas d'alcool ni de tabac.

Regina se pinça l'arête du nez.

- Tu es certaine ? Parce que je me disais justement qu'une petite ligne de coke, pour la détendre…

La généraliste ne se fendit même pas d'un sourire.

- Je suis sérieuse ! Son sommeil est très important, aussi. Son corps et son esprit seront tiraillés entre la nécessité de récupérer et les traumatismes multiples. Attends-toi à des cauchemars, des crises d'angoisse…

L'avocate soupira profondément.

- Je m'y attends, ne t'inquiète pas…

- Je ne saurais trop te conseiller de prendre un rendez-vous chez un psychiatre.

« Déjà fait… » répondit sombrement l'avocate.

Catherine s'abîma dans ses pensées, durant quelques secondes, puis se leva, en récupérant sa mallette.

- Bien…je vais vous laisser. J'ai des patients cet après-midi. Tout est clair pour toi ?

La belle brune se leva également, hocha la tête. Les deux femmes s'embrassèrent tendrement. Le médecin chuchota « Fais attention à toi, Regina ! » Son amie ne lui répondit que par un murmure.

Une fois seule, la pénaliste se rendit à pas feutrés dans la chambre d'ami, ouvrant la porte avec mille précautions. Emma était là, couchée sur le côté, pelotonnée sous la couette, ses cheveux blonds épars sur l'oreiller immaculé. En s'approchant sans bruit, la belle brune eut un léger choc. Dans son sommeil, la petite délinquante suçait son pouce droit, à la manière d'un nouveau-né. Elle ne toussait pas mais sa respiration était poussive, embarrassée. Elle émettait des sons divers. Son souffle oppressé, les clapotis humides qu'elle produisait en tétant son doigt, de légers gémissements, à fendre le coeur. Ses joues pâles et creuses étaient salies de traces de larmes. Attentive à ne pas produire le moindre son, Regina ouvrit un tiroir de la grande commode, en retira un babyphone, qu'elle alluma et posa sur la table de chevet, emportant le récepteur avec elle.

Elle avait choisi l'appareil qui offrait la portée la plus grande, le régla avec soin, le mit dans sa poche, où il entrait à peine. En empruntant l'ascenseur pour se rendre au garage, elle fut accompagnée tout du long par les bruits étranges, entrecoupés de parasites, que produisait son invitée en dormant. Heureusement, il était encore tôt et elle ne croisa presque personne. Elle mit près d'une demi-heure à shampouiner, avec une solution anti-poux commodément placée dans le coffre de sa voiture, le siège du passager.

Au moment où l'ascenseur s'arrêtait au neuvième étage, un cri s'échappa du babyphone. Regina bondit, trépigna tandis que la porte semblait mettre une minute entière à s'ouvrir, se précipita jusqu'à son appartement, le cœur battant à tout rompre. Un autre cri, plus perçant, suivi d'un « Non ! » déchirant se firent entendre. Soucieuse de ne pas attirer l'attention des autres occupants de l'immeuble, elle prit néanmoins le temps de refermer derrière elle, puis courut jusqu'à la chambre d'ami.

La petite blonde se débattait contre un ennemi invisible, les yeux fermés, les poings effectuant de pitoyables mouvements défensifs. La magistrate s'assit sur le bord du lit et chercha à lui prendre la main, tout en l'appelant par son prénom. L'effet fut instantané. La malheureuse cessa de lutter mais continua à pleurer et à gémir. « Emma… » dit la juriste d'une voix claire, « …c'est moi, c'est Regina. Votre avocate. Votre amie. Vous êtes chez moi. Vous vous souvenez ? Vous êtes en sécurité, bien au chaud, dans un lit confortable. » Les grands yeux verts s'ouvrirent, regardèrent dans le vague. L'avocate plongea ses doigts dans la chevelure épaisse et dorée, caressa doucement, sans cesser de parler. « Vous avez fait un cauchemar. Mais ce n'est pas réel. Personne ici ne vous veut du mal…Vous pouvez vous rendormir tranquillement. » Les prunelles d'émeraude se posèrent sur elle, imprécises. « Maître Mills ? » « Oui, » répondit la pénaliste en souriant, « c'est moi…Vous êtes chez moi, vous vous souvenez ? Vous pouvez vous rendormir. Il est encore très tôt. Je suis juste à côté. Si vous faites un autre cauchemar, je viendrai vous réveiller, ne vous en faites pas. » Emma referma les yeux, murmura « OK », et se remit à sucer son pouce avec ferveur. Un instant après, elle dormait profondément. Elle n'aurait probablement aucun souvenir de l'épisode.

Revenue dans le salon, Regina déposa le babyphone sur la petite table, en le réglant au maximum, afin d'être certaine de l'entendre, où qu'elle se trouve dans l'appartement. Il lui restait beaucoup à faire. Elle se rendit à la buanderie, afin de laver les coussins et tout ce que sa protégée avait touché avant qu'elle lui fasse le traitement anti-poux. Après quoi, elle se lança dans l'une de ses activités favorites : la cuisine.

Un peu avant dix-neuf heures, Regina fut réveillée par la certitude d'une présence. Elle réalisa qu'elle s'était endormie sur son canapé, un livre reposant sur son estomac. Se redressant en sursaut, elle regarda par-dessus le dossier du sofa. La petite se tenait debout, au milieu de la pièce, sa couverture serrée contre elle, très mignonne dans son pyjama neuf, et pieds nus.

L'avocate se fendit de son plus beau sourire, se leva sans hâte. « Bonjour, Emma. Vous avez bien dormi ? » La jeune fille se frotta les yeux. Ils étaient tout englués de sommeil. Elle lui lança un regard coupable. « Oui…super bien…Je suis désolée. Je voulais pas vous réveiller. » La magistrate secoua la tête. « Ce n'est rien du tout. J'ai très bien dormi, de mon côté. Nous avions toutes deux besoin de récupérer. » L'ex-détenue esquissa un geste de la tête, en direction de la fenêtre. « Fait nuit… » « Oui, » répondit Regina tout en déposant son roman sur la table de salon, « le jour tombe vite et tôt, en cette saison. » Les prunelles vertes se fixèrent sur le livre, et l'orpheline le désigna d'un geste timide. « C'est quoi ? » Un peu surprise, la juriste répondit néanmoins : « C'est un roman américain, très beau, « Les raisins de la colère. » L'auteur s'appelle John Steinbeck. Je l'ai déjà lu plusieurs fois mais c'est un de mes préférés. Je le relis régulièrement. » La petite fixait le livre avec une expression étrange, faite de curiosité, de respect, de honte. « Ça raconte quoi ? » La belle brune dut réfléchir. Comment présenter les choses tout en tenant compte de l'ignorance de son interlocutrice ? « C'est une histoire qui se passe il y a plus de deux cents ans. Une famille qui doit fuir, parce qu'il n'y a plus rien à manger là où ils habitent. Cela raconte leur périple, vers une vie meilleure. » Emma avait écouté avec une grande attention. Elle hocha la tête, les yeux brillants d'intérêt.

Sans vraiment savoir d'où lui venait cette inspiration, Regina proposa : « Si vous en avez envie, je pourrais vous le lire, un jour…Ou en tout cas vous en lire des passages. » La fine bouche gercée s'entrouvrit dans une expression stupéfaite. « Sérieux ? » « Mais bien sûr, Emma. J'en serais ravie. » Un de ces magnifiques sourires, que l'avocate avait déjà observés en de rares occasions, éclaira le visage d'ange martyrisé. Mais aussitôt, l'expression extatique se mua en une grimace douloureuse. La petite piétina légèrement, d'un pied écorché sur l'autre.

« Vous avez à nouveau mal ? » lui demanda son hôtesse avec inquiétude. L'orpheline baissa la tête, lui lança un regard fuyant. « N…non, pas vraiment. Vous en faites pas. » « Je vais vous refaire une injection de morphine. Ordre du médecin ! » ajouta-t-elle d'un ton qui n'admettait aucune réplique. La jeune voleuse la regarda avec effarement. « Vous voulez bien retourner dans votre chambre ? Il vaut mieux que vous soyez allongée pour cela. » Après quelques secondes d'hésitation, Emma acquiesça et fit demi-tour, se dirigeant vers le couloir de sa démarche boiteuse, sa couverture toujours serrée contre sa poitrine.

Après avoir récupéré une ampoule de morphine dans le réfrigérateur, ainsi que divers tubes, Regina la rejoignit dans la chambre d'ami. Elle était allongée sur le côté droit et avait déjà découvert son épaule. Avec toute la douceur dont elle était capable, la juriste lui fit l'injection. Emma ne semblait plus appréhensive. Un long soupir de soulagement lui échappa au bout de deux minutes à peine. Elle lança à sa bienfaitrice un regard brillant de reconnaissance. « Merci. » murmura-t-elle.

La pénaliste se racla la gorge. « Emma, je suis désolée de vous imposer cela mais…il faudrait que je prenne quelques photos de vos blessures… » La petite la regarda de ses yeux mouillés. « Pourquoi ? » « Il faut arrêter ces deux ordures ! » répondit-elle avec conviction. « Et pas seulement…il faut incriminer cette institution. Ce que vous avez subi n'est pas normal ! Personne ne devrait vivre ça. » « D'accord ! » La belle brune en resta stupéfaite. Elle s'était attendue à devoir faire preuve de plus de persuasion. Mais l'orpheline semblait saisir sans difficulté l'importance des preuves. Ne pas insister ! Elle sourit, se leva. « Je vais chercher mon téléphone. »

Lorsqu'elle revint dans la chambre, Emma s'était déshabillée et reposait, nue, sur le côté. Lorsque sa bienfaitrice vint s'asseoir à côté d'elle, l'orpheline désigna le babyphone, posé sur la table de chevet. « C'est quoi ? » « Un appareil qui me permet de vous entendre quand vous dormez. De cette façon, je peux intervenir si vous avez un malaise ou si vous faites un cauchemar…ou même simplement si vous m'appelez. » « Sérieux ? » répondit l'ancienne délinquante. « Oui. Absolument ! » assura la magistrate. Elle photographia ensuite son visage, son dos, ses fesses, ses pieds même. Elle lui fit écarter les jambes et immortalisa les meurtrissures, bien visibles sur sa vulve. La jeune fille obtempéra à toutes ses demandes, les yeux baissés, le regard fuyant. L'avocate en profita pour lui enduire les pieds, les mains, le dos et les fesses, des diverses pommades prescrites par Catherine. La pharmacie avait livré la commande dans l'après-midi. La belle brune demandait systématiquement la permission, proposant à chaque fois son aide, sans l'imposer. Habituée sans doute à ces soins qui l'avait sauvée à bien des égards durant sa dernière incarcération, l'ancienne délinquante accepta tout, se montra incroyablement coopérative.

Regina l'aida ensuite à se rhabiller, avec des gestes tendres. Son cœur semblait tout gonflé. Une sensation d'étouffement, à la fois pénible et grisante. « C'est l'amour, cela ! » pensa-t-elle. « Catherine avait raison. Seigneur, elle est si jeune ! » Elle éprouvait un mélange d'émotions étrange, fait de bonheur, de honte, de désespoir. Elle se promit de ne rien laisser paraître, de n'œuvrer que dans l'intérêt de l'objet de son affection.

Lorsque la jeune voleuse fut couverte, elle l'aida à se relever. Constatant qu'elle tremblait légèrement, qu'elle semblait secouée par la séance de photos, l'avocate eut recours à une diversion qu'elle savait infaillible. « Bien…Nous allons dîner, à présent. » dit-elle en s'efforçant d'adopter un ton enjoué.

Emma releva brusquement la tête, en fit presque tomber son doudou. « Mais…vous m'avez déjà donné à manger ! Plein ! » Aucunement surprise, Regina répondit avec sérieux. « Vous avez entendu Catherine. Vous devez vous nourrir le plus possible, le plus souvent possible, du moment que cela ne vous rend pas malade. » Comme la petite affichait toujours le même étonnement, elle ajouta : « La plupart des gens mangent trois fois par jour…Je sais que c'est un monde que vous n'avez jamais connu. Même dans les orphelinats, les mieux lotis ne bénéficient que de deux repas, bien trop frugaux et d'un manque de qualité révoltant d'ailleurs…C'est un problème qui ne fait que s'accroître, et un des scandales que je veux dénoncer. »

L'ex-détenue continuait à la regarder comme un animal d'une espèce inconnue, cligna des yeux, puis dit : « Nous on mangeait qu'une fois…et j'étais très souvent privée de bouffer… » La juriste hocha la tête avec conviction : « Une autre façon pour eux de faire des économies…et pendant ce temps-là les directeurs d'établissements pour enfants, que ce soit les pouponnières de l'état ou les instituts scolaires, s'en mettent plein les poches. » Emma ne répondit pas mais son regard glissa vers le côté, se perdant momentanément dans le souvenir.

À sa propre surprise, Regina tendit la main. « Venez, nous allons nous installer au salon. » La maîtresse de maison avait glané dans les inépuisables réserves de son congélateur pour préparer un plat de saumon grillé, accompagné, selon les instructions de Catherine, de quelques pommes de terre bien cuites et d'un assortiment de légumes d'automne.

Les yeux de la petite semblèrent sur le point de tomber de leurs orbites lorsque la juriste déposa son assiette devant elle. Elle avait repris sa place, à califourchon sur son traversin, retrouvé ses lunettes avec un soulagement visible, drapé son doudou sur ses jambes, confortablement installées de part et d'autre de l'énorme coussin. Lorsque Regina revint avec son assiette, pour s'asseoir à son tour, souplement, devant la table basse, elle considérait le plat d'un œil sidéré. Elle se saisit gauchement de sa fourchette, tapota l'énorme pièce de poisson qui lui avait été octroyée. Regina s'était scrupuleusement assurée de l'absence d'arête. « C'est quoi ? » demanda l'ex-détenue sans quitter la nourriture des yeux.

L'avocate était à présent habituée aux questions naïves de sa protégée.

- C'est du saumon, Emma…Un excellent poisson. Vous n'en avez jamais mangé ?

La petite blonde attrapa, encore plus maladroitement, son couteau, et entreprit de couper un morceau.

- Euh…non, j'crois pas…

Elle se mordait les lèvres et sa main tremblait de convoitise inquiète en portant le poisson délicatement assaisonné à ses lèvres. Elle renifla, considéra la chair rose, sortit une langue fouineuse, goûta prudemment, fronça les sourcils, et enfin se décida à fourrer sa fourchetée dans sa bouche.

Évidemment, ses yeux se remplirent de larmes. Elle reposa avec bruit sa fourchette dans son assiette, regarda sa bienfaitrice, posa une main devant son museau tout en mâchant et en avalant avec empressement. Regina sourit de toute son âme.

- Ça vous plaît ?

Elle eut une sorte de haut-le-corps, comme si elle avait du mal à respirer.

- C'est p…pas croyable…

Et elle enfourna précipitamment trois portions de suite, sans reprendre haleine, avant de se souvenir de ne pas manger trop vite. Se retenant visiblement à grand peine d'engloutir son assiette comme un requin, la jeune fille tapota les pommes de terre, puis les légumes, les uns après les autres.

- C'est quoi ?

- Un assortiment de choux, Emma…des brocolis, du chou-fleur, du chou vert et blanc…C'est plein de bonnes choses, qui aideront votre organisme à se remettre. Seulement, ce n'est pas ce qu'il y a de plus facile à digérer, alors j'ai rajouté des carottes et des navets.

À présent en confiance, la petite blonde se concentra sur son assiette. Elle poussait de petits gémissements de plaisir, presque obscènes, après chaque bouchée. Regina mangea sans s'en apercevoir, tant elle regardait sa protégée, souriant à chacun de ses soupirs extatiques. À la fin du repas, la magistrate rassembla les différents remèdes prescrits par Catherine, les lui fit avaler avec un grand verre d'eau. Elle lui tendit une cuillère remplie de sirop pour la toux, qu'elle ingurgita en grimaçant. Elle toussait déjà beaucoup moins, ssemblait se remettre vite, avec une grande vigueur.

Après moult hésitation, Regina avait soigneusement préparé deux grands bols de yaourt maison, légèrement sucrés à la cassonade, agrémentés de rondelles de bananes et de fruits secs. Elle déposa le dessert devant la petite, ainsi qu'une large tasse de chocolat chaud et crémeux.

Bien entendu, l'enfant trouvée considéra longuement l'offrande de sa bienfaitrice, les yeux si pleins d'ébahissement qu'ils en semblaient vagues, sans expression. L'avocate s'assit à son tour devant son dessert, attendant une réaction. Finalement, Emma désigna les deux récipients.

- C'est quoi ?

- C'est votre dessert, Emma.

Quelques secondes de silence.

- Dessert ?

- Oui…vous connaissez ce mot ?

- Euh…

La belle brune eut, un instant, peur de l'avoir vexée. Mais elle se contentait de regarder les deux récipients d'un air dubitatif.

- Oui…j'crois même que j'en ai déjà mangé…Dans des familles d'accueil. Mais pas comme ça…

- C'est du yaourt, avec de la cassonade…un sucre roux…c'est une spécialité belge, que je trouve dans un magasin bien précis, le seul de Boston. C'est le meilleur sucre du monde, vous verrez…avec de la banane et un assortiment de noix. Calcium, potassium, magnésium, calories. Tout cela est excellent pour vous. Et…

Elle désigna le bol de chocolat chaud.

- …le chocolat est fait maison…et c'est un chocolat belge, sorti de la même boutique. Le meilleur ! C'est plein de bonnes choses. Des antioxydants, de la théobromine…et le lait entier vous donnera encore du calcium et des protéines, dont vous avez un énorme besoin…

- OK…

À sa grande joie, Emma saisit sa cuillère dans la main droite, le bol dans la main gauche, et goûta la crème onctueuse. Elle ferma les yeux de plaisir, versa quelques larmes, murmura « C'est bon » et se mit à déguster son dessert, beaucoup plus lentement qu'à son habitude. Sa faim paraissait enfin apaisée. Très satisfaite, Regina lui emboîta le pas. Cherchant à faire la conversation, elle lui demanda avec douceur.

- Qu'avez-vous pensé de Catherine ?

L'orpheline déglutit posément, la regarda de ses yeux clairs et profonds.

- Elle est super gentille…

Déposant son bol à moitié vide, elle saisit sa tasse, la porta à ses lèvres, huma la boisson avant d'en avaler une gorgée. Elle reposa bruyamment le mug sur la table en s'écriant « Wawww… » Ravie, la juriste l'imita en trempant ses lèvres dans le chocolat. « Je sais… » Un sourire radieux illumina le visage pâle de l'ex-détenue. Elle but encore quelques gorgées, les dégustant sans se presser, puis reprit son bol. « Je peux vous poser une question ? » demanda-t-elle. « Bien sûr ! » s'empressa de répondre Regina.

- Catherine est docteur…et vous êtes avocate…

- En effet.

- Vous avez dit que vous avez étudié ensemble…Comment ça se fait ?

Surprise et charmée, Regina déposa son bol presque vide sur la table.

- Nous n'étions pas dans la même faculté, bien sûr, mais elles se situaient l'une à côté de l'autre. En tant que futurs avocats, nous avions quelques cours de médecine. Les écoles de droit sont très conscientes de ce que représente le métier, de nos jours. Certains de nos clients sont dans un état physique épouvantable. Ces cours devaient nous préparer à juger leur condition, à faire pression pour qu'ils reçoivent les soins adéquats. Quant aux futurs médecins…c'est le revers de la médaille en quelque sorte. Ils ont besoin de cours de droit, pour savoir par exemple où commence leur devoir de dénonciation.

Elle s'interrompit, se demandant une fois de plus si le vocabulaire qu'elle utilisait ne se situait pas hors de portée de la jeune fille. Mais celle-ci semblait suivre, bien que, tout en dégustant son dessert et son chocolat, elle fronçât ses sourcils beiges, se concentrant pour comprendre. La pénaliste continua donc son exposé.

- Dès la première année, nous avons eu des cours en commun. Nous étions toutes deux très isolées. Mes condisciples m'intimidaient, en général, bien que, par la suite, je me sois rapprochée de certains d'entre eux. Nous nous sommes retrouvées assises l'une à côté de l'autre, dans un auditoire bondé. Nous avons commencé à parler. Nous avons des idées, des idéaux même, en commun. Nous ne nous sommes jamais quittées.

Emma avait écouté avec attention, en hochant la tête de temps à autre. Elle se mordit les lèvres, hésita visiblement, puis se décida à parler.

- Vous deux, vous…enfin, je veux dire…ce…c'est juste une amie ou bien… ?

Regina mit quelques secondes à comprendre où elle voulait en venir. Mais elle réalisa tout à coup ce qui la préoccupait. Avec un geste de déni et un sourire, elle répondit de bonne grâce.

- Non…il n'y a jamais rien eu de tel entre nous. Catherine n'est attirée que par les hommes, d'ailleurs. Et elle est mariée.

L'enfant trouvée releva assez brusquement la tête, avec un peu d'inquiétude.

- Avec un homme ?

Attentive, l'avocate acquiesça.

- Oui, en effet.

- Ce…Je veux dire…c'est un mec bien ? Euh…Il la traite comme il faut ?

Comprenant sa réaction, la belle brune se fit aussi rassurante que possible.

- Jim est éperdument amoureux d'elle, Emma ! C'est un homme charmant, doux et gentil. Il est professeur de sport, dans une école primaire, et je sais qu'il tâche d'adoucir l'existence de ses élèves, ce qui n'est pas aisé, dans le monde où nous vivons. J'en ai longuement parlé avec lui, un jour. Catherine et lui ont l'intention d'avoir des enfants mais pas avant un an ou deux.

Un joli sourire timide éclaira le visage angélique. La magistrate se demanda si le soulagement qu'elle lisait dans les traits expressifs n'était dû qu'au fait de savoir Catherine en sécurité chez elle… Se pourrait-il que l'assurance qu'aucune relation intime ne liait les deux amies y soit également pour quelque chose ? Non…elle commençait sans doute simplement à prendre ses désirs pour des réalités. Prudence !

Les desserts étaient terminés. La jeune fille poussa un soupir satisfait en déposant sa cuillère dans son bol. Regina l'observait attentivement.

- Vous n'avez plus mal ?

Une lueur étonnée traversa le regard émeraude.

- Euh…n…non…v…vraiment plus du tout.

- Tant mieux…Je vous ai donné une dose un peu plus élevée, selon les instructions de Catherine. Vous avez l'air de réagir très bien. Et vous n'êtes plus si somnolente. Vous avez dormi profondément et bien récupéré, visiblement.

L'avocate se leva et entreprit de débarrasser la table. Déposant son doudou sur le fauteuil derrière elle, Emma se hâta, en s'appuyant à la table basse, de se lever à son tour.

- Je vais faire la vaisselle !

Comprenant que la reconnaissance l'étouffait et qu'elle ressentait le besoin de se rendre utile, Regina lui tendit un bras secourable, auquel elle s'arc-bouta sans hésitation pour se mettre debout.

- Nous allons simplement mettre tout cela dans le lave-vaisselle. J'accepte votre aide.

Dix minutes plus tard, le salon et la cuisine étaient impeccablement rangés.

La juriste regarda sa protégée. Bien sûr, elle était encore fatiguée mais elle n'avait certainement pas l'habitude de dormir aussi longtemps. Malgré la morphine, il fallait l'occuper encore une heure ou deux avant de lui proposer de se coucher pour la nuit. Elle avait longuement réfléchi aux options possibles.

- Voudriez-vous regarder un film avec moi avant de dormir ?

Elles se trouvaient toutes deux dans l'impériale cuisine. Sans son doudou, Emma semblait un peu perdue. Elle la regarda, se tordit les mains assez nerveusement.

- Euh…un…un film ?

- Oui. Vous en avez déjà regardé ?

La petite blonde fronça les sourcils, chercha dans ses souvenirs.

- Euh…dans les maisons d'accueil, y avait toujours la télé. Elle était allumée tout le temps ! Alors…parfois, quand on me laissait tranquille, je regardais. Mais…ça durait jamais longtemps…J'ai jamais vu un film en entier, je crois.

En souriant de toute son âme, Regina eut un geste d'invitation.

- Venez, je voudrais vous montrer quelque chose.

Et elle la conduisit devant les immenses rayonnages coulissants, bourrés de DVD, qui occupaient deux pans entiers de murs, sur trois niveaux de profondeur.

La petite regarda l'impressionnante collection sans avoir l'air de comprendre.

- Ce…c'est pas des livres ?

- Non, Emma. Mes livres sont rangés dans ma chambre et dans mon bureau. Je vous les montrerai. Ceci est ma collection de DVD. Vous savez ce que c'est ?

L'ancienne délinquante secoua la tête.

- Ce sont des films, sur un support qui permet de les conserver et de les regarder quand on le souhaite, pourvu qu'on ait le matériel adéquat, c'est-à-dire un lecteur de DVD. Je me fournis dans la seule boutique de Boston qui les propose. Ils me trouvent tout ce que je demande, même si cela prend parfois un peu de temps.

- M…mais vous avez pas Interflix, comme tout le monde ?

- Oh oui…C'est absolument indispensable, si on ne veut pas être totalement coupé de la réalité. Seulement, Interflix est aux mains du gouvernement, comme Internet lui-même. Tous les films et séries qu'ils proposent ne font que promouvoir leur idéologie. La télévision allumée en permanence, dans les foyers, dont vous parliez à l'instant, diffusait certainement en boucle les programmes phares, imposés par l'état, sans choix de la part de vos parents d'accueil. C'est un outil de propagande extrêmement puissant. Vous comprenez ?

La jeune fille hocha distraitement la tête. Les grosses lunettes ébréchées étaient restées sur la table basse. Ses yeux de myope ronds d'intérêt, Emma se rapprocha des rayonnages, à quelques centimètres à peine, afin de pouvoir regarder les tranches des jaquettes. Regina désigna les étagères les unes après les autres.

- Je m'intéresse énormément à l'histoire du cinéma. À l'histoire en général, en fait. De ce côté, se trouve ma collection de films en noir et blanc. J'ai même des films muets. Ces étagères sont consacrées à la deuxième moitié du vingtième siècle. Ici, j'ai une belle série de films européens, asiatiques ou africains, rangés par pays et par époque. De l'autre côté sont rangées de vieilles séries. Certaines sont de purs chef-d'œuvre ! Et là, juste devant vous, les grands films américains des années 2000. Vous devriez peut-être choisir parmi ceux-là. Ils présentent un univers qui vous sera intelligible.

Les doigts calleux glissèrent le long des tranches en carton ou en plastique. Certaines étaient abîmées, d'autres flambant neuves. Elle hésita longuement. Finalement, son index s'arrêta sur une jaquette jaune vif. Elle regarda sa bienfaitrice d'un œil interrogateur. « Vous pouvez prendre le DVD. » dit Regina en souriant. Avec mille précautions, la petite vagabonde s'exécuta. Elle regarda attentivement la photo de couverture, la rapprocha tout près de ses yeux. « J'aime bien la couverture de celui-ci. J'aime bien le jaune. » murmura-t-elle.

Regina l'observait avec le plus grand intérêt, sans approcher outre mesure. Emma se mit à déchiffrer le titre, avec difficulté, en buttant sur chaque mot. « Lit…Little…M…Miss… » L'avocate s'efforça de ne pas l'aider tout de suite. Mais lorsqu'elle en arriva au troisième mot, elle n'eut plus le choix. « S…sun…s… » Semblant se souvenir de la présence de son hôtesse, la jeune voleuse releva brusquement la tête, la regarda en rougissant. "Sunshine, Emma…c'est Little Miss Sunshine. Un film du début du dernier millénaire. Je pense que c'est un excellent choix. Cela devrait vous plaire. » « On va vraiment le regarder ? » demanda la petite avec anxiété. « Mais oui ! Installons-nous au salon. »

Regina mit le disque dans son antique lecteur. En se retournant, elle vit Emma qui chaussait ses lunettes. Elle avait discrètement récupéré son doudou et le serrait contre elle. Debout devant le vaste canapé, elle semblait se demander où était sa place. La juriste réfléchit quelques instants. En effet, la façon dont elle allait installer sa protégée s'avérait problématique.

- Je vous propose de vous coucher sur le canapé, de côté.

Elle eut un peu de mal à trouver une position confortable mais se retrouva allongée sur le flanc droit, face à la télévision. La belle brune commença par s'asseoir sur l'un des fauteuils individuels mais l'ex-détenue ne l'entendait pas de cette oreille.

- Non…vous allez rien voir, comme ça. Vous…vous ne voulez pas vous mettre près de moi ?

Cherchait-elle le contact ? En souriant, la magistrate commença par s'asseoir sur le canapé. Emma était grande. Elle occupait une place considérable. Aussi, la maîtresse de maison se retrouva-t-elle à l'extrême bord du divan, ce dont la petite blonde s'émut immédiatement.

- Vous êtes pas bien…Je prends toute la place. Ça va pas…Vous êtes chez vous.

Et elle fit mine de se relever. Avait-elle l'intention d'essayer de s'asseoir dans l'un des fauteuils ? La morphine soulageait la douleur mais ne soignait en aucun cas ses fesses dévastées. C'était hors de question ! Regina hésita encore un instant puis se lança.

- Emma…pourquoi ne poseriez-vous pas tout simplement votre tête sur mes genoux ?

Leur position obligeait la jeune fille à prendre appui sur un coude et à se tordre le cou pour la regarder, ce qu'elle fit d'un air dubitatif. Dire les choses, avec le plus de sincérité possible.

- Si vous ne voulez pas, je comprendrai. Mais ce sera confortable, pour vous comme pour moi, et…peut-être que vous avez besoin de ces contacts amicaux dont vous avez toujours été privée.

Elle acquiesça. La pénaliste glissa vers la gauche, en prenant garde à ne pas la toucher. Très doucement, le crâne blond vint s'appuyer sur ses cuisses. La tête ambrée semblait très lourde mais c'était une sensation précieuse et agréable. Avec une douceur infinie, Regina posa sa main droite sur les cheveux d'or et commença à les caresser. « Vous êtes bien ? » demanda-t-elle. Emma dut se racler la gorge. Les émotions l'assaillaient visiblement.

- Oh oui…Vous…vous avez pas peur des poux ?

- Certainement pas ! Même au cas très improbable où un seul d'entre eux ait survécu au traitement de choc que nous leur avons fait subir.

Un petit gloussement cristallin. L'avocate tendit la main vers la lampe sur pied, trouva l'interrupteur sans difficulté, annonça : « Je vais éteindre. » Lorsque la pièce fut plongée dans l'obscurité, le corps de la jeune fille se contracta. Attentive, la belle brune enfonça ses doigts dans la tignasse blonde, massa doucement le cuir chevelu, jusqu'à ce qu'a ce qu'elle se fût à nouveau détendue, qu'elle eût confortablement arrangé sa couverture contre elle.

- Vous êtes prête ? Puis-je lancer le film ?

- Oui.

Elle avait déposé la télécommande sur l'accoudoir du canapé, appuya sur un bouton.

Dès les premières images, les premières notes de musique, Emma sembla engloutie. Elle ne bougea pas, de tout le film. À la légère lumière qui filtrait de la rue, la juriste pouvait voir son joli profile, ses yeux écarquillés, agrandis par les verres des épaisses lunettes, sa bouche entrouverte, sur un intérêt avide. Elle rit plusieurs fois, eut les larmes aux yeux. Lorsque le périple familial débuta, son pouce se glissa de lui-même entre ses lèvres et elle se mit à le sucer avec une régularité d'horloge.

Quand le générique de fin apparut sur l'écran, Regina alluma la lampe halogène, réglant la luminosité afin qu'elle soit douce et apaisante. La petite ôta doucement son pouce, l'essuya distraitement sur son doudou. L'avocate décida de la laisser parler la première.

- La musique est tellement belle !

- Je sais…Alors, qu'avez-vous pensé du film ?

Comme la jeune voleuse semblait devoir rassembler ses pensées, la magistrate éteignit la télévision.

- La camionnette, c'est la vie, hein ?

La belle brune interrompit ses caresses, sur la tête blonde.

- Que voulez-vous dire exactement ?

- Ben…

Emma hésita mais tenta néanmoins de s'expliquer.

- …euh…la camionnette. Faut la réparer, trouver des combines pour qu'elle continue à rouler. À la fin elle a plus de porte, plus de frein à main, elle est toute cabossée. Mais elle roule encore. Et c'est en s'y mettant tous qu'ils arrivent à la faire démarrer. C'est pas la vie bien sûr mais c'est pour parler de la vie. Y a un mot pour ça, je crois…

Seigneur ! Elle était stupéfiante. La juriste sentit son cœur se gonfler d'amour, et éclater, comme un grain de maïs métamorphosé en pop-corn.

- C'est une métaphore, Emma. Et oui, je suis entièrement d'accord avec votre analyse. Cette famille est magnifique, n'est-ce pas ?

- Oh oui ! Et ils restent ensemble, malgré tout ce qui peut arriver. Même quand le grand-père meurt. Même la mort peut pas les séparer. Même s'ils s'entendent pas forcément entre eux. Même si y a plein de choses qui vont pas. Comme a dit le gamin. Faillite, divorce, suicide.

Regina ne put que hocher la tête avec conviction.

- Le…l'écrivain dont parlait l'oncle…Proust, c'est ça ?

- Oui…oui, Marcel Proust.

- Vous l'avez lu ?

- Oui…toute son œuvre. C'est magnifique mais ce n'est pas facile. Je pourrais vous en lire des passages, un jour, si vous voulez.

- Oh oui ! Merci !

Sans gêne apparente, elle refourra son pouce dans sa bouche, ferma les yeux lorsque sa bienfaitrice recommença à lui caresser la tête, s'abandonnant quelques minutes à la sensation. Puis, elle reprit la parole.

- En fait, s'ils sont ensemble malgré tout ce qui peut arriver, c'est grâce au concours de beauté de la gamine. Comme ils ratent tous tout ce qu'ils essaient de faire, ça devient leur seul espoir.

- Exactement, Emma ! Et qu'en pensez-vous ? Ce concours de beauté, c'est une réussite ou un échec, finalement ?

- Oh ! Une réussite ! Justement, les concours de beauté pour enfants c'est tout pourri ! Mais la petite fille, elle parvient à le faire à sa manière, et en souvenir de son grand-père. Elle le fait comme ça, parce qu'elle veut le faire, pas parce que ces gens-là veulent qu'elle le fasse. Et elle leur a donné une bonne leçon. Et en fait, dans sa famille, ils sont tous comme elle. Même le père ! Ils font pas ce qu'on veut qu'ils fassent.

- C'est de l'anticonformisme…Je suppose que vous ne connaissez pas le mot ?

- Non, mais…mais je crois que je comprends quand même.

- Je suis certaine que vous comprenez en effet ! Vous savez, si le sujet de l'anticonformisme vous parle, je pourrais vous montrer un autre film, demain. Il est un peu plus récent, d'une vingtaine d'années peut-être.

- Comment ça s'appelle ?

- Barbie.

Le joli visage pâle se tourna de façon à regarder l'avocate. Les grands yeux verts étaient pleins d'étonnement.

- Comme la poupée ?

Regina sourit avec émotion. Enfin, elle avait trouvé quelqu'un avec qui partager sa passion. Catherine avait peu de temps à lui consacrer. Et elle n'aimait pas particulièrement le cinéma.

- Exactement ! Comme la poupée ! Et en plus de traiter de l'anticonformisme, ce film-là parle du féminisme. Je sais que vous devez sentir ce que cela signifie ! Même si c'est la première fois que vous entendez ce mot.

Toujours surprise, Emma hocha la tête.

- Avez-vous eu…euh…pardon, j'allais vous demander si vous aviez eu une Barbie, lorsque vous étiez enfant…Je sais que vous n'avez certainement jamais eu de jouets à vous. Mais avez-vous eu l'occasion de jouer avec une Barbie ?

Elle se mordit les lèvres, comme toujours lorsqu'elle devait chercher dans ses souvenirs.

- Euh…oui…une fois…y en avait une, toute abîmée, dans une de mes familles d'accueil.

- Eh bien, je suis sûre que vous adorerez ce film. Et vous comprendrez tout ! Nous pourrons en parler.

Un sourire ravi se dessina sur les lèvres roses et gercées. En les regardant, Regina se souvint du baume à lèvres que lui avait donné sa meilleure amie. Lui en mettre avant de la coucher. Elle secoua la tête. Elle n'était ni une enfant ni une poupée. Elle le ferait toute seule.

- Bien…si cela vous va, je pense qu'il serait bon que nous allions dormir, toutes les deux.

La jeune fille acquiesça en bâillant, se releva assez péniblement, aidée par sa protectrice.

Alors que les deux femmes se dirigeaient vers la salle-de-bain, la belle brune sentit un long bras souple se glisser timidement sous le sien. Elle répondit à l'étreinte. Son cœur manqua un battement lorsque les doigts calleux se resserrèrent sur ses phalanges délicates, les pressant avec reconnaissance.