Chapitre vingt-deux : "Je suis un monstre, Hermy"
1983.
The Olympus - édition du deux janvier 1983
Mort de Jacob : Les esprits de la nature en deuil
"Cela fait désormais sept heures que les jeux maléfiques d'Héphaïstos ont débuté et la promesse qu'avait faite le dieu à son audience, à savoir qu'il n'y aurait qu'un seul gagnant, semble être en très bonne voie. En effet, ce jour, aux alentours de cinq heures du matin, les plus fervents supporters d'HéphaïstosTV et autres amateurs de monstruosité en tout genre, ont pu se régaler avec la première mise à mort de l'un des participants, Jacob Blake.
Une mise à mort des plus spectaculaires, puisque le satyre a été exécuté froidement par l'un de ses compagnons de voyage, Hugo Walters, qui n'a montré aucune pitié envers le satyre agonisant, le poignardant en pleine poitrine avant de le lancer en direction du Minotaure, le monstre ne manquant guère de l'embrocher au passage.
Mais pouvions-nous réellement attendre une quelconque émotion de la part de ce fils d'Arès ? D'après les rumeurs qui commenceraient à courir sur son sujet, et alors même qu'il figure parmi les favoris des parieurs, qui le voient d'ores et déjà grand gagnant de la compétition, il semblerait que ce jeune homme âgé seulement de quatorze ans est davantage de sang sur les mains que tout autre demi-dieu, ce qui n'est pas pour déplaire à son père :
"Hugo a toujours été l'un de mes gosses préférés, a déclaré celui-ci, dans son salon, alors même qu'il continuait de regarder l'émission. Je suis fier de son parcours et de ce qu'il a accompli jusqu'ici. Le sang sur les mains, c'est nécessaire à tout bon héros qui se respecte. Et j'espère que mon fils continuera sur la même voie."
Si Arès souhaite que les jeux se poursuivent jusqu'à leur fin, et remercie même son demi-frère pour cette "très chouette émission", d'autres personnes, divinités comme créatures, souhaitent que tout cela s'arrête au plus vite :
"Cette émission est à vomir, s'est exclamé ce matin un satyre qui a souhaité garder l'anonymat. Elle ne devrait même pas exister. Voir l'un des nôtres être ainsi sacrifier… Vous savez, on nous a toujours appris à respecter les demi-dieux. Depuis notre plus tendre enfance, on nous apprend que notre rôle est de les guider au mieux pour qu'ils puissent accomplir de grandes choses. Mais voyez comment ils nous traitent ! Nous ne sommes que de vulgaires morceaux de viande à leurs yeux !"
Une opinion qui semble être partagée par de nombreux autres satyres, aujourd'hui réunis devant la demeure de Zeus, accompagnés de quelques nymphes tout aussi remontées : "On souhaite que le Seigneur des Cieux mette fin à tout ce cirque !, a crié l'une d'entre elles, sous les vivats de ses comparses. Des vies innocentes sont en train d'être sacrifiées sur l'autel de la jalousie maladive d'un dieu boiteux et cela va à l'encontre même de la règle sacrée : seules les Parques ont le droit de décider du sort de chacun d'entre nous !"
Alors les Parques sont-elles depuis le début les grandes instigatrices de ces jeux funestes ou Héphaïstos a-t-il franchi une limite qu'aucune divinité saine d'esprit n'oserait dépasser ? Seul l'avenir nous le dira.
Ce que nous pouvons vous assurer, en revanche, c'est que le dieu des forges a créé un véritable bazar au sein de la communauté mythologique : d'après nos toutes dernières informations, il y aurait même eu un conseil au sein même de l'appartement du roi des dieux, et diverses divinités olympiennes seraient montées au créneau. On se murmure même que Dame Artémis a donné à ses précieuses chasseresses l'ordre de partir sur les traces de ces bien infortunés demi-dieux. Décision prise par Zeus lui-même ou acte solitaire de la part de sa fille ? Le Seigneur des Cieux a malheureusement refusé toute sollicitation de notre part, allant même jusqu'à foudroyer grièvement l'un de nos confrères un peu trop insistant."
Héra n'avait cessé de fusiller Zeus du regard alors que, tremblant comme une feuille, un de leurs serviteurs lisait le quotidien olympien. Ou plutôt, l'article qui avait mis Héra en rogne et lui avait donné envie de venir perturber la tranquille matinée de son époux, occupé à beurrer l'une de ses nombreuses tartines.
"Qu'est-ce que tu veux que j'y fasse ?, lança le concerné une fois que sa femme ait libéré le satyre. Ils exagèrent toujours, ces journalistes. Je suis certain de ne pas avoir dépassé les brûlures au second degr…"
Le bruit sourd que produisit le poing d'Héra en s'abattant violemment sur la table à manger fit sursauter Zeus, qui lança, dans sa direction, un regard où se mêlaient incompréhension et lassitude : Nom de Chronos, n'en avait-elle pas encore fini avec sa crise ? Des sujets bien plus importants et urgents l'attendaient dans son bureau.
Comme une très séduisante nymphe des bois, par exemple.
"Je me fiche de savoir dans quel état tu as bien pu rendre ce pauvre journaliste, cracha la déesse, mâchoires serrées. Ce qui m'importe, Zeus, c'est ton attitude face à toute cette histoire ! Face à ce que l'un d'entre nous est en train de faire !"
Quoi, encore ça ?
Le seigneur des cieux fit de son mieux pour retenir son irritation mais un profond soupir s'échappa néanmoins de ses lèvres.
Posant soigneusement son couteau sur le bord de son assiette, Zeus prit le temps de s'essuyer les mains et la barbe avant d'accorder de nouveau son attention à Héra.
"N'as-tu pas assisté à la conversation d'hier soir ?, grinça-t-il, la fusillant du regard à son tour. J'ai ordonné à Hermès et à…"
"Mais toi, Zeus, toi, qu'est-ce que tu comptes faire, exactement, mis à part ordonner, comme tu passes ton temps à le faire ?"
Zeus cligna des paupières, pas certain de savoir où Héra voulait en venir.
"Qu'est-ce que tu veux dire ?"
Cette fois, la déesse se passa la main sur le visage, étouffant tant bien que mal un hurlement de frustration. Lorsque son regard glacial s'ancra de nouveau dans celui de son mari, on pouvait sans aucun mal y déceler une envie de meurtre.
"Hermès, Artémis, Aphrodite… même Apollon et Athéna sont sortis de chez eux pour tenter de trouver une solution à ce désastre ! Poséidon lui-même a quitté sa salle de jeux et est parti avec ses meilleurs éclaireurs. Hadès a dépêché ses serviteurs les plus fidèles et leur demande des comptes-rendus toutes les heures, comptes-rendus qu'il retranscrit ensuite sur une carte ! Il n'y a que toi qui restes sagement assis sur ta chaise, Zeus. Toi qui prend encore le temps d'avaler un petit-déjeuner pendant que des enfants se font exécutés !"
"Poséidon et Hadès peuvent bien faire ce qu'ils veulent, ils n'arriveront jamais à ma cheville."
Le dieu du ciel haussa les épaules d'un air totalement détendu, les traits empreints d'une assurance inébranlable. Il reprit même son couteau et entreprit d'ajouter de la confiture sur sa tartine, avant de continuer, la conviction palpable dans le ton qu'il employait :
"Ma réputation est sauve, Héra, sois en certaine. C'est l'un de mes messagers qui retrouvera ces enfants. Pas ceux de mes frères. Et, alors…"
"Mais ma parole, Zeus !"
Un nouveau coup porté à la table. Inquiet, Zeus regarda là où Héra venait de frapper, priant pour qu'il n'y ait pas trop de dégâts : la déesse savait-elle combien il avait dépensé pour s'offrir une telle salle à manger ?
"Je me fous de ta réputation, qui est d'ailleurs bien plus mauvaise que tu ne l'imagines ! Je me fous de te savoir convaincu à l'abri et désigné comme grand sauveur si on arrive à localiser les demi-dieux ! Ce que je veux, Zeus, c'est QUE TU TE BOUGES ! Bouge-moi ces fesses de là et, pour une fois, fais preuve d'un peu de bonté et de compréhension ! Agis comme si tu avais un cœur à la place de l'énorme pierre qui se trouve dans ta poitrine ! Cela me rend complètement folle de te voir aussi calme ! On dirait que rien n'est en train de se passer !"
"Et rien ne se passe, Héra, répondit laconiquement Zeus avec un énième soupir. Rien ne se passe. Des héros meurent tous les jours. Ils sont faits pour cela, d'ailleurs. Mourir. Tout demi-dieu est un jour confronté à son funeste destin. Ces trois adolescents auront rencontré Thanatos bien plus vite que prévu. Mais qu'est-ce que tu veux que j'y fasse ? Qu'est-ce que tu veux que ça me fasse ? Ce ne sont pas mes enfants. Et ce n'est guère les demi-dieux qui nous ont rendu le plus de… Mais ça ne va pas ?!"
N'y tenant plus, Héra venait de balancer l'amphore de nectar sur Zeus, qui la reçut en pleine figure. Désormais trempé de la tête au pied, le seigneur des cieux se leva de sa chaise, les joues rouges de colère et d'embarras : les serviteurs qui avaient assisté à la scène offraient des visages choqués mais le dieu était persuadé qu'ils se délectaient de ce qu'il se passait en ce moment-même sous leurs yeux ; le grand Zeus à la merci de sa femme.
L'égo de Zeus souffrait déjà des futurs ragots qui ne manqueraient pas de circuler sur l'Olympe.
"Tu as fini de te comporter comme une gamine capricieuse ?, s'écria le dieu, adoptant au passage le même ton agressif qu'Héra, faisant désormais fi des apparences et laissant libre cours à son irritation. Tu viens de ruiner 200 000 drachmes de costume, toutes mes félicitations ! Et ne t'avise pas de recommencer !, ajouta-t-il, un grondement de tonnerre résonnant au-dessus d'eux, doigt pointé vers Héra qui s'approchait d'un vase. Ma colère actuelle ne sera rien par rapport à celle que tu provoqueras ! Ce n'est pas parce que je t'ai épousé que je ne peux pas te punir, Héra. Je suis le roi. Le plus puissant des Olympiens. J'ai tous les droits sur vous autres, que vous le souhaitiez ou non."
"Et moi, je n'en ai que faire de tes menaces, Zeus !"
Héra s'empara finalement du vase, l'envoyant valser par-dessus la tête de Zeus, dans un fracas de marbre et d'épines.
"Tu peux me menacer autant que tu le souhaites, tu peux me punir autant que tu le désires…"
Armée d'une seconde amphore, Héra prit le temps de viser la tête de son mari, qui, malheureusement, se pencha au bon moment, avant de continuer :
"... tu sais très bien que j'aurais éternellement le dessus sur toi. Il en a été ainsi pendant des siècles, et tu le sais. Ou dois-je te rappeler le triste sort de chacune de tes maîtresses ?"
Un autre objet, que le seigneur des cieux n'eut guère le temps d'identifier, vola vers lui, le contraignant à s'abriter sous la table. Quelques rires résonnèrent alors. Où était-ce simplement son esprit qui lui jouait des tours ?
"Je suis bien plus féroce que toi, bien plus rancunière, bien plus forte., poursuivait Héra, et des bruits sourds indiquaient à son mari qu'elle avait vraisemblablement l'intention de détruire l'ensemble de leur mobilier. Je ne me défile jamais devant les décisions que je prends. J'assume mes décisions tout comme chacun de mes actes. Pas comme toi, petit goujat qui croit qu'une table résistera à ma colère !"
A ces mots, Héra fit appel à toute sa force divine pour soulever la table et l'envoyer valser dans un coin, faisant déguerpir deux serviteurs, qui évitèrent ainsi une mort certaine. Puis, avec une rapidité des plus fulgurantes, et sans que Zeus n'ait le temps de réaliser quoi que ce soit, la déesse vint le saisir par le col de sa chemise et le plaquer contre le mur.
Un feu ardent brûlait dans ses prunelles bleues et le dieu du ciel se sentit blêmir bien malgré lui.
"Si tu pensais pouvoir passer la journée à te la couler douce avec ta nouvelle petite nymphe, tu te mets le doigt dans l'œil, mon coco !, siffla Héra, le venin contenu dans ses paroles faisant déglutir Zeus avec difficulté. Rosaline est sous bonne garde, crois-moi. Un seul mot, un seul geste de ma part et elle rejoindra le royaume de notre cher Hadès. Alors tu vas aller te changer et me suivre sans discuter, tu entends ? Tu feras une déclaration à la presse, en répétant mot pour mot le discours que j'ai préparé pour toi et ensuite, tu me suivras dans mes recherches. Parce qu'on va participer aux recherches, Zeus. Que tu le veuilles ou non. Un des nôtres a franchi une limite et il est de notre devoir de le retrouver et de le ramener à la raison. Avant que des innocents ne meurent et que les Parques perdent l'esprit une bonne fois pour toutes."
Héra avait tellement appuyé sur la gorge de Zeus au fur et à mesure de son discours que lorsqu'elle cessa de parler, le seigneur des cieux ne pouvait que difficilement respirer. La bouche légèrement entrouverte, l'air sifflant dans sa gorge, et les yeux aussi ronds que des soucoupes, le dieu regardait Héra comme si cette dernière n'était qu'une folle venue l'agresser de bon matin et non plus la femme qui avait un jour partagé sa couche et envers laquelle il éprouvait toujours, malgré les millénaires et les nombreuses aventures, un tant soit peu de tendresse.
"Tu…, articula-t-il difficilement. Héphaïstos… est ton fils. Tu… es la seule… responsable de la situation."
"Mon fils."
Un rire sans joie s'échappa des lèvres d'Héra.
"Mon fils t'a rendu de grands services, Zeus. Mon fils t'a aidé à asseoir ton pouvoir. Mon fils te fabrique les meilleures armes à la demande. Mon fils est parfois le tien quand il accomplit tes désirs et ne fait pas fi de tes ordres. Ce fils, il t'est bien utile. Mais qu'est-ce que tu crois qu'il va se passer si Aphrodite le trouve en premier, hm ? Tu crois qu'elle saura se retenir de lui arracher la tête et de le réduire consciencieusement en morceaux ? Alors qu'il lui a pris le fils qu'elle aimait le plus ?"
Héra ajusta de nouveau sa prise autour du cou de Zeus, qui laissa échapper un gargouillement inaudible, avant de continuer, plus sournoise que jamais :
"Et lorsque cela arrivera, souffla-t-elle, la tête penchée sur le côté dans une fausse expression d'incrédulité. Qui prendra la relève pour te fournir tes armes ? Tu as perdu la confiance et l'allégeance des cyclopes depuis bien longtemps : ils n'obéissent plus qu'à Héphaïstos, et tu le sais. Mon fils disparu, plus de main-d'œuvre pour réaliser tes jolis petits éclairs. Et ce sera alors là l'occasion parfaite pour tes ennemis de frapper ; imagine leur envie, leurs pensées et leur enthousiasme quand ils auront devant eux un Zeus totalement impuissant. Crois-tu qu'Hadès, qui a hérité d'un royaume qu'il ne voulait absolument pas, et qui a toujours scandé qu'il était le plus vieux des trois grands, n'y verrait pas là une formidable opportunité de prendre le trône qu'il convoite depuis tant de siècles ? Penses-tu que les Titans qui ont échappé au Tartare en venant de lêcher les pieds à la fin de la guerre te seront toujours aussi fidèles, Zeus ? Ne réalises-tu pas que la disparition éventuelle d'Héphaïstos pourrait annoncer ta propre chute ?"
Héra avait prononcé cette dernière phrase dans un doux chuchotement, un sourire cruel étirant ses lèvres fines. Elle savait où appuyer pour blesser, et elle se régalait. Elle avait pensé toute la nuit à cette confrontation, cherchant et cherchant encore les bons arguments pour faire réagir son mari et elle était assez fière des résultats que cette intense réflexion semblaient provoquer : pâle comme un linge, la lèvre inférieur qui tremblait légèrement sans même qu'il ne s'en rende réellement compte et qu'il puisse la contrôler, Zeus était plongé dans ses pensées, des pensées faites d'humiliation, de peur et de guerres. Guerres dont il ne sortirait guère vainqueur si on le privait de ses éclairs.
Enfin, pensa Héra en le relâchant brutalement et en le regardant tituber un instant. Enfin, il allait s'activer, enfin, il allait sortir de son bureau bien douillet. Peut-être pas pour les bonnes raisons, mais au moins, il allait le faire. Et les demi-dieux venaient peut-être de gagner une chance de plus de s'en sortir vivants.
A cette réflexion, le cœur d'Héra se serra douloureusement.
Il faudrait qu'Héphaïstos et elle aient une sérieuse discussion, une fois tout cela terminé. Si son fils voulait à ce point se venger d'Aphrodite, il y avait des moyens beaucoup plus directs que celui-ci, et qui n'impliquaient guère d'aussi jeunes âmes.
"Je… je te suis, soupira Zeus, en se passant une main sur le visage, après un instant de silence. Par quoi est-ce qu'on commence, déjà ?"
µµµµ
1986.
Lorsque Ambre avait entendu le hurlement d'Apollon, elle avait tout d'abord eu un instant de paralysie complète, comme si son propre corps n'avait su guère alors gérer la peur qui s'était insinuée en elle et qui l'avait submergée de tous les côtés.
Après tout, cet hurlement n'avait absolument rien eu d'humain, et avait davantage ressemblé au cri que pousserait un géant assoiffé de vengeance, sur le point de déverser tous les rochers et le venin qu'il pouvait sur ses pauvres cibles qu'à celui d'un homme que venait passablement d'irriter un adolescent.
Oui, face au cri sauvage d'Apollon, où s'étaient mêlées rage et animalité, la fille d'Iris avait tressaillit, en avait fait tomber son stylo bille et était restée un instant immobile, tandis qu'un désagréable frisson avait couru le long de sa colonne vertébrale, les poils de ses bras se dressant tandis que son coeur avait accéléré les battements. Puis, des pas précipités dans le couloir de l'hôtel l'avait ramenée à la réalité et elle avait eu une vision : celle de son jumeau, partant le matin même en compagnie d'Apollon, en direction du lycée.
Et alors qu'Hermès se mettait à courir, car oui, cela avait été bien lui qu'elle avait entendu dans le couloir, Ambre avait su.
Elle avait su qu'elle devait agir. Que son jumeau était probablement en danger de mort et qu'il lui fallait intervenir.
Parce que les colères d'Apollon étaient connues pour être redoutables. Et parce que Matthew ne méritait pas d'être écrasé par inadvertance par cet ascendant que tous deux commençaient à connaître et à apprécier.
Cela aurait été un bien funèbre destin, et Ambre, qui avait déjà perdu Benjamin White, ne pouvait se résoudre à perdre son jumeau trois ans plus tard. Ce serait comme perdre la moitié de son être. La deuxième partie de son âme. La partie la plus précieuse.
Alors, tout comme le messager, la fille d'Iris s'était mise à courir du plus vite qu'elle le pouvait. Elle s'était mise à courir sans même regarder où elle allait, bousculant les passants et les autres clients de l'hôtel, sans même sans rendre compte, sans même un mot d'excuse.
L'adrénaline avait couru dans ses veines avec une telle force qu'elle s'était surprise à battre des records de vitesse et à ne pas souffler comme un boeuf les cinq cent premiers mètres dépassés : la peur l'avait guidée avec une telle force que tout son corps, de son cerveau à ses poumons pas franchement sportifs en passant par ses jambes, tout son corps s'était dépassé. Avait surpassé ses limites.
Puis, elle l'avait vu.
Et son cœur avait raté un battement, ses jambes avaient tremblées et si Hermès ne l'avait on savait comment rattrapée - Ambre n'avait même pas remarqué qu'elle avait réussi à le rattraper (ou était-ce lui qui avait ralenti la cadence pour l'attendre ?) -, la jeune fille se serait certainement retrouvée au sol, tête la première, ses pieds s'étant emmêlés sous le choc de la vision. Oui, le choc. Il n'y avait pas d'autre mot possible, guère d'autre terme qui pouvait définir ce qu'avait ressenti Ambre en voyant ce qu'était devenu Apollon : un géant de plus de trois mètres de haut, qui s'élevait en plein milieu du carrefour d'ordinaire le plus fréquenté et le plus commerçant de Phoenix. Un géant aux poings serrés, dont il était impossible d'apercevoir le haut de la tête sans risquer de se briser la nuque. Un géant qui, alors même qu'il n'accordait aucune importance à la foule qui tentait en vain de fuir, était envahi d'une fureur telle qu'une chaleur écrasante, qui n'était pas sans rappeler celles des longues nuits caniculaires d'été, se dégageait de tout son être. Une chaleur immense, solaire, qui avait même commencé à faire fondre le goudron.
"Mais qu'est-ce que… ?", avait balbutié Ambre, les yeux écarquillés d'horreur et incapable de terminer sa phrase.
Parce que la jeune fille avait eu beau lire et relire des centaines de mythes, s'attarder sur les plus violents et les plus morbides d'entre eux, rien ne préparait réellement à cette vision d'un dieu qui semblait sur le point d'abandonner sa coquille que représentait le corps humain pour redevenir l'énergie vibrante et instable qu'il était depuis la nuit des temps.
Même les récits qui s'acharnaient à s'attarder sur les moindres détails du sort de cette pauvre Sémélé et de l'apparence qu'avait pris Zeus devant elle, ne préparaient guère à un tel spectacle.
"Évite de le regarder, lui avait soufflé Hermès au creux de l'oreille. Et…"
Mais le dieu avait été coupé dans son élan par un second cri, presque plus sauvage encore que celui d'Apollon. Un cri suivi d'une étrange étincelle orangée. Elle-même suivie d'une apparition qui finit de glacer le sang d'Ambre.
"Par les Parques, pas cela…, avait gémi Hermès à ses côtés. Ambre, va chercher Matt, je…"
Mais Ambre n'avait guère entendu la suite : la simple mention de son frère avait suffit pour la sortir de sa torpeur et, oubliant un instant la terreur qui l'assaillait, la jeune blonde avait regardé autour d'elle, priant silencieusement le ciel, jusqu'à ce que ses iris croisent celles de Matthew, accroupi sous la vitrine d'une cordonnerie. Le soupir de soulagement s'était échappé de lui-même d'entre ses lèvres et la jeune fille s'était mise à courir de nouveau, jusqu'à arriver au chevet de son frère.
Un frère sain et sauf. Choqué, tout aussi terrifié qu'elle, mais sain et sauf. Sans aucune égratignure. Sans aucun os brisé.
Dire qu'Ambre avait eu alors du mal à ne pas refouler ses larmes aurait été un euphémisme. Mais la situation ne s'était guère prêtée à de tels épanchements, aussi la jeune fille avait-elle simplement observé son frère sous toutes les coutures, comme pour être sûre. Certaine.
Puis tout était devenu flou.
Oui, flou. Ambre ne savait pas si c'était parce que les heures avaient passées, ou si son cerveau avait préféré anéantir tout souvenir de la suite des événements, comme pour lui épargner un trauma supplémentaire, mais lorsqu'elle tenta le lendemain de se souvenir du mieux possible de tout ce qu'il s'était passé, elle savait qu'à partir du moment où Arès avait commencé à parler, tout était devenu flou.
Cela avait été comme si la jeune fille avait soudainement été plongée dans un épais brouillard. Comme s'il se passait bien trop de choses pour que son cerveau de pauvre mortelle ne puisse en saisir tous les détails sans risquer d'y laisser la raison.
Une piste des plus intéressantes, s'accorderaient à dire Dionysos et Hermès bien plus tard. Des plus intéressantes et des plus probables : après tout, le cerveau des humains n'était guère formé de la même façon que celui d'un dieu. Les demi-dieux avaient peut-être un certain don avec la Brume, mais celui-ci, même s'il leur permettait de percer la Brume à jour, voire de la contrôler dans certains cas, n'était rien en comparaison de celui que possédaient les divinités elles-mêmes : nombreuses étaient les histoires où les héros avaient été trompés par cette Brume. Les dieux, eux, ne souffraient pas de ce subterfuge. Les divinités voyaient tout ce qui se trouvaient sous leurs yeux tel que cela était, qu'il s'agisse de monstres, d'esprits de la nature ou de personnes mal intentionnées. Tout simplement, à en croire le dieu psychologue, parce qu'ils n'avaient été guère élevés au sein d'une société qui les forçaient à abandonner toute étincelle d'imagination et de magie dès le plus jeune âge. Et également, avait rappelé le messager à juste titre, parce que les divinités n'étaient guère autre chose que des énergies. Des énergies sans forme distinctes, douées de raison, certes, mais dénuées de tout organe, y compris du cerveau. Ces énergies pouvaient apprendre des tas de choses et s'en souvenir sans souffrir de maux de tête ou de folie parce que, contrairement aux Hommes, ce qui leur permettait de se remémorer et d'agir n'avait pas de limites tangibles. Pour faire simple, les dieux n'étaient guère équipés du disque dur aux nombres de gigas particulièrement restreints des humains. Disque dur à cause duquel ces derniers, demi-dieux ou non, n'étaient guère en état de saisir l'intégralité de tout ce qui se déroulait sous leurs yeux, et qui donc, en réalité, manquaient pas mal de choses.
La confrontation avec Arès débutée, le cerveau hyperactif d'Ambre avait donc décroché et il ne restait que désormais des brides de souvenirs à la jeune fille.
Elle se souvenait avoir échangé quelques mots avec Matthew. Elle se souvenait qu'ils s'étaient écartés en urgence, et avec des cris de surprise et de douleur, de la vitrine du cordonnier lorsque celle-ci avait fini par éclater en morceaux.
Mais entre ce moment et celui où elle s'était retrouvée aux côtés d'Arès ?
Absolument rien. Le black-out le plus complet de l'histoire de l'humanité.
Elle ne se remémorait que d'une chose ; d'un immense pressentiment. Un immense et mauvais préssentiment qui l'avait poussée à se diriger vers le dieu de la guerre, malgré les protestations de son frère. Malgré le fait que la situation semblait s'être dénouée, que tout semblait rentrer dans l'ordre, Apollon ayant commencé à rapetisser sous les yeux ébahis de certains passants, quelque chose en elle lui avait crié - ou plutôt hurlé - de se méfier. De se méfier de ce dieu de la guerre qui reprenait lui aussi une taille humaine mais dont le regard restait aussi noir qu'une nuit sans lune et le sourire plus carnassier que celui du plus vicieux des loups.
Alors, elle s'était approchée de lui. Et l'avait touché. Simplement touché. Du bout des doigts, avec l'envie de l'arrêter, de le supplier de se calmer et de ne pas toucher à un cheveu supplémentaire des personnes auxquelles elle tenait le plus au monde. Elle l'avait fait parce que son instinct le lui criait et que l'envie la démangeait.
Elle l'avait fait les yeux clos, comme pour mieux se concentrer, comme pour prier pour que son geste, dérisoire, suffise à attirer son attention et à l'empêcher de sauter à la gorge d'Hermès, son couteau de poche en main. Parce qu'elle savait, comme on savait que la terre était ronde, que c'était précisément ce qu'il s'apprêtait à faire. Et ce, sans qu'il ne le dise : elle avait une vision très claire de la scène. Hermès, la gorge en sang, un Apollon désespéré à ses côtés et un Arès hilare qui s'éloignait en criant que cela était bien fait. Une scène des plus horribles, des plus terrifiantes, qui l'avait poussée à toucher le dieu.
Et sans qu'elle sache pourquoi, le contact de son index sur l'épaule d'Arès avait été d'une violence inouïe pour la divinité : le dieu avait crié à s'en déchirer les cordes vocales, avant de tomber à genoux, la main posée à l'endroit exact où le doigt d'Ambre l'avait auparavant effleuré. Il était ensuite tombé sur le côté, et avait crié d'autres paroles que personne n'avait réellement bien comprises : il y avait été question de feu, de douleur, d'impression d'être brûlé vif.
Ambre avait cru qu'il s'agissait-là d'une blague morbide du dieu. Qu'il était tout simplement en train de se moquer d'elle et de sa pauvre tentative de le freiner dans ses projets. Qu'il était en train de simuler, à l'image de ces quelques parents ou proches qui prétendent avoir eu mal lorsqu'un enfant leur décoche une flèche en plastique sur l'épaule, rendant ainsi le petit plus amusé et fier encore de son coup.
Elle l'avait pendant de longues minutes, jusqu'à ce qu'Hermès finisse par se pencher sur le corps de son frère, qui s'était mis à fumer.
Elle l'avait cru jusqu'à ce que Dionysos force Arès à avaler un monticule d'ambroisie, arguant qu'il devait lui obéir s'il voulait rester un tant soit peu en vie.
"Ah !, s'exclama soudainement Apollon, interrompant le récit d'Ambre et faisant sursauter tout le monde par la même occasion. Voilà ! Tu viens toi-même de le dire : si Arès n'avait pas mangé d'ambroisie, il ne serait plus de ce monde !"
"Mais…"
Ambre se redressa sur son lit, jouant nerveusement avec une de ses boucles blondes, les joues rouges.
"Si ça se trouve, Dionysos a seulement dit cela pour…"
"Oh, non, crois-moi."
Le dieu du vin, assis sur le large appui de fenêtre, tourna son regard brun vers Ambre et eut un sourire triste.
"Je ne lui aurais pas sauvé la vie s'il s'était contenté de simuler, Ambre., déclara-t-il calmement. Même pour toutes les vignes du monde. Arès était réellement dans un sale état."
Apollon leva les bras au ciel, une expression de soulagement mêlé à un certain triomphe sur les traits, remerciant le ciel que son frère s'allie ainsi à sa cause : parce que le temps commençait à se faire long. Cela faisait deux jours qu'Apollon tentait de convaincre Ambre qu'elle possédait des pouvoirs dignes de ses plus grands héritiers mais la fille d'Iris semblait trouver toutes les excuses au monde pour ne pas se faire à l'idée. Ou même entendre cette dernière.
"Ce n'est peut-être pas moi. Zeus est arrivé peu après que vous ayez repris votre taille normale et…"
"Par les Parques, Ambre !"
Apollon interrompit brusquement la jeune femme, se prenant le visage dans les mains au passage. Il laissa échapper un lourd soupir avant de plonger son regard dans celui de son interlocutrice :
"Pourquoi est-ce que l'idée que tu aies pu littéralement nous sauver la vie t'effraie autant ?"
"Parce que… parce que…"
Mais la fille d'Iris n'alla guère plus loin, se contentant de hausser les épaules et de baisser le regard vers ses mains qu'elle triturait nerveusement depuis plusieurs longues minutes.
Et le mutisme est de retour…
A la fois désespéré par l'entêtement de sa descendante et légèrement inquiet, Apollon s'avança jusqu'au lit, où il s'assit. Il prit lentement l'une des mains d'Ambre dans les siennes et la serra doucement.
Vas-y doucement, l'avertit la voix de Dionysos dans son esprit, alors que le dieu observait la scène depuis son perchoir à l'autre bout de la pièce. Je pense savoir pourquoi elle ne veut pas en accepter l'idée et si c'est réellement cela… ne la brusque pas. Sauf si la perspective de te faire étrangler par Hermès et Matthew plus tard dans la journée ne te laisse guère indifférent.
Apollon tourna la tête vers son frère, sourcil droit levé en guise de question silencieuse. Mais pour toute réponse, le dieu du vin grimaça.
Le musicien se mordit la lèvre inférieure avant de concentrer de nouveau toute son attention vers Ambre, dont il n'avait guère lâché la main.
"Ecoute, murmura-t-il doucement. Ce qu'il s'est passé vendredi… ce qu'il s'est passé vendredi est entièrement de ma faute, tu le sais, ça, n'est-ce pas ?"
Un court silence suivit, le temps qu'Ambre hoche la tête en signe d'assentiment.
"Bien. Si ce point est clair, c'est déjà pas mal., poursuivit le dieu. Mais ce que j'aimerais bien comprendre, si tu le permets, c'est la raison qui te pousse à refuser le statut d'héroïne que nous te donnons tous. Je veux dire, je suis totalement d'accord pour dire que l'apparition d'Hermès m'a permis de me calmer. Mais seule toi as pressenti les désirs d'Arès. Et si tu n'avais pas… on sait tous les deux que ce que tu avais vu se serait certainement produit. Tu as des visions, Ambre. Ce don, qui vient uniquement de moi et ne peut en aucun cas provenir de ta mère, tu l'as accepté. Pourquoi pas l'autre ?"
L'énième silence qui s'installa dura tellement longtemps aux yeux d'Apollon, qu'il se demanda brièvement si, Ambre, encore souffrante, ne s'était pas endormie. Mais alors même que cette pensée le traversait, la fille d'Iris murmurait, d'un ton presque inaudible, où la souffrance était des plus palpables :
"Parce… Parce qu'il est horrible."
Apollon sentit Dionysos gigoter derrière lui pendant qu'il ouvrait et fermait la bouche, décontenancé.
"... Non, Ambre., souffla-t-il, dubitatif et un chouïa blessé dans son égo - faites des cadeaux aux demi-dieux, qu'ils disaient ! -, Il représente seulement l'autre côté de la médecine. Matthew et toi êtes les deux faces d'une même pièce. Vous êtes la médecine même, dans toute sa définition."
"Je refuse d'être le côté sombre de la médecine, Apollon. Je refuse d'être capable de faire du mal aux autres. C'est ce que je déteste le plus au monde !"
Ambre avait arraché sa main de l'emprise du dieu et ses mots résonnèrent comme un couperet dans la chambre silencieuse. Son regard bleu ancré dans celui quasiment identique de son ascendant, Ambre laissait finalement les émotions prendre le dessus, les yeux humides et l'angoisse serrant violemment son estomac.
"Ce n'est pas un don, murmura-t-elle avec douleur. C'est une malédiction."
Le cœur d'Apollon manqua un battement alors que cette dernière phrase le heurtait avec la même violence que l'aurait fait un taureau qui aurait souhaité le charger : c'était réellement ce que Ambre pensait ? Que descendre de lui était l'un des pires sorts au monde ?
Elle ne remet pas en cause ce que tu es. Ni votre relation. Mais son don d'affaiblissement.
Apollon avait envie de crier à Dionysos que cela revenait au même, mais le dieu le coupa net, le ton teinté de reproches :
Allons, Apollon. Toi comme moi savons pertinemment que tu ne te définis pas simplement par ce que tu offres à autrui ; Ambre a vécu dans un foyer où la violence régnait en maître et était quasiment quotidienne. N'a-t-elle pas le droit de craindre de devenir comme son père ? Toi comme personne devrait comprendre cette peur.
Oui. Oui, Apollon la comprenait dans son entièreté ; après tout, il avait passé des siècles à se convaincre qu'il allait finir comme Zeus, et à cauchemarder à ce sujet. Avant-hier encore, il avait longuement examiné son reflet dans le miroir de la salle de bain, à la recherche du moindre signe qu'il deviendrait comme lui. Une transformation que sa mère serait très heureuse de percevoir, mais qui le rendait malade dès lors qu'il y pensait : seul Dionysos savait combien d'heures ils avaient passé à discuter de la bataille interne du musicien, constamment à la recherche de preuves concrètes qui l'éloigneraient de son paternel.
"Cela… Cela peut être une malédiction lorsque le don n'est guère contrôlé, Ambre. Mais avec de l'entraînement…"
"Qu'est-ce que cela peut donner ? Quand le don n'est pas contrôlé ?"
Ambre avait interrompu Apollon d'un ton pressant, le regard cependant fuyant.
La demi-déesse avait envie de savoir tout en craignant que cela ne confirme les pires scénarios qui s'étaient d'ores et déjà établis dans son esprit.
Une sensation, un dilemme qu'Apollon ne connaissait que trop bien.
"Eh bien…"
Apollon s'interrompit, tentant tant bien que mal de rassembler ses idées. A vrai dire, il ne s'était guère posé la question depuis des années - pour ne pas dire quelques siècles : ne faisant usage de ce pouvoir que très rarement, et Hélia et ses autres enfants divins n'en ayant guère hérité, le musicien se surprenait désormais à éprouver quelques difficultés pour réunir tout ce qu'il savait sur le sujet. Cependant, ce fut heureusement chose faite après quelques minutes et Apollon en aurait poussé un soupir de soulagement - nom de Chronos, sa mémoire ne lui faisait pas encore défaut ! -, s'il ne savait pas Ambre si angoissée et si Dionysos ne s'était soudainement approché, prenant place sur la chaise du bureau.
Intrigué, le dieu du soleil lança de nouveau un regard interrogateur à son frère mais celui-ci avait les yeux rivés sur Ambre et ne lui portait donc aucune attention. Décidément, il agissait comme si Ambre était une réelle bombe à retardement…
"Eh bien, je suppose que si le don n'est pas bien contrôlé, ou totalement ignoré, déclara Apollon, se surprenant à soupeser ses mots, soudainement hésitant. … Je suppose que cela pourrait avoir des conséquences dramatiques."
"Quel genre de conséquences ?"
Ambre était désormais si angoissée qu'elle frottait désormais si fort ses poignets qu'Apollon craignit qu'elle se fasse mal. Avec toute la douceur du monde, il prit de nouveau l'une de ses mains dans les siennes, désormais inquiet.
Et conscient.
Pleinement conscient de ce que Ambre craignait d'entendre. Et qu'il était sur le point de lui annoncer. C'était comme si la vérité, à mesure qu'il cherchait dans les moindres recoins de son cerveau des informations sur le don d'affaiblissement, s'était drapée autour de ses épaules, telle un lourd manteau d'hiver. Cette vérité transperçait son cœur de part en part, lentement, douloureusement, et le dieu eut soudainement les yeux humides.
"...Ambre… Il… Il faut que tu saches…", tenta-t-il, la voix légèrement tremblante.
Mais la fille d'Iris ne lui laissa guère le temps de poursuivre :
"C'est moi, n'est-ce pas ?, chuchota-t-elle d'une voix brisée. C'est moi qui ai rendu Matt malade."
Une déclaration, pas une question. Ce constat étreignit douloureusement le cœur d'Apollon alors qu'il cherchait, en vain, les mots pour tenter de rassurer sa descendante : son regard humide chercha celui d'Ambre, mais la jeune femme gardait opiniâtrement la tête baissée. Et le musicien avait beau se creuser la tête, rien ne lui venait. Rien d'autre que le choc de la nouvelle et l'horreur qui y était liée. Ce n'était pas Ambre, qui était horrible à ses yeux. C'était l'héritage qu'il lui avait transmis et qui…
Par les Parques, comment avez-vous pu faire cela à des jumeaux ? Comment osez-vous leur faire subir pareille tragédie ? Leur père ne vous suffisait-il pas ?
Il serait encore difficile aujourd'hui de décrire ce qu'il se passait dans l'esprit d'Apollon : tout n'y était que brouillard. Des nuages de pensées s'entrechoquaient entre eux, s'emmêlaient comme autant de pelotes de laine tombées au sol. Le dieu avait beau essayer, fermer les yeux, se concentrer sur sa respiration, rien n'y faisait : les émotions prenaient le dessus, le laissant totalement incapable de faire ce qu'il aurait dû faire présentement ; réconforter Ambre.
Plusieurs fois, il ouvrit la bouche, sans qu'aucun son ne suive.
Plusieurs fois, il prit une profonde inspiration, mais resta muet par la suite.
Sa gorge était serrée. Trop serrée.
Tout comme ses mâchoires.
Et son cœur battait trop vite. Beaucoup trop vite.
A la tristesse, se mêlait la colère et la rancune. Une colère et une rancune indescriptible envers les Parques. Pourquoi ? Pourquoi ces trois vieilles folles avaient-elles fait cela ? Qu'est-ce qui les avait poussées à dessiner un schéma de vie si tragique pour les Jones ? Pour ces jumeaux envers qui Apollon avait tant d'affection ? Après tous ces millénaires, les sœurs avaient-elles finalement perdu l'esprit pour de bon ? Nombreuses étaient les fois où le musicien aurait aimé pouvoir leur dire deux mots à propos de leurs décisions, parfois totalement dénuées de sens…
Non, plus que de la colère, c'était de la haine, qu'il ressentait présentement envers ces vieilles chouettes. La même haine indicible qui s'était propagée dans ses veines lorsque Zeus avait eu l'idée du Serment…
"De façon totalement involontaire, Ambre."
La voix de Dionysos sortit Apollon de ses sombres pensées et ces paroles donnèrent envie au musicien de serrer son frère dans les bras pour le remercier : l'attitude suspecte de Dionysos s'expliquait désormais aussi clairement que deux plus deux font quatre dans l'esprit d'Apollon et s'il devait se fier à son intuition, il était prêt à parier que le dieu s'était préparé à cette conversation et serait désormais à même d'apaiser Ambre comme il le fallait. Que Dionysos saurait trouver les mots qu'il devrait être en mesure d'apporter lui-même, mais qui lui manquaient cruellement pour le moment.
Cesse de t'auto-flageller ainsi. Par les satyres, je comprends d'où Ambre tient cet amour propre si énorme qui lui est difficile de passer les portes ! Tu n'as pas voulu voir la chose, Apollon, et on ne peut t'en vouloir. Qui souhaiterait prendre conscience d'une telle chose ?
Le cerveau du dieu du soleil était si retourné par les émotions qu'il fallut un certain temps à Apollon pour comprendre que Dionysos avait fait preuve de sarcasme… Il s'en rendit compte juste à temps, au moment même où il s'apprêtait à lui décocher un regard noir.
"De ce que l'on sait, poursuivit le dieu du vin, qui avait quitté la chaise de bureau pour s'approcher du lit. Cela pourrait très bien s'être produit alors même que vous n'étiez encore que des foetus. Et je doute sincèrement qu'un foetus sache ce qu'il fait, Ambre. Ni même qu'il existe."
Les mots avaient été prononcés avec le calme et la douceur qui caractérisait Dionysos lorsqu'il s'adressait à ses proches ou à ses patients. Pourtant, Ambre et Apollon éprouvaient quelques difficultés à ne pas laisser l'anxiété les ronger davantage.
"... Cela reste tout de même horrible, souffla Ambre, si bas que les deux dieux faillirent ne pas l'entendre. Et rien ne nous dit que je n'ai pas continué à l'affaiblir pendant toutes ces années. Que je continue même à le faire et que mon don nourrit sa maladie en ce moment-même. Et que je pourrais affaiblir et avoir affaiblir tou…"
"Ce n'est pas toi qui as tué Benjamin White, Ambre, et tu le sais."
Une certaine fermeté s'était glissée dans la douceur de Dionysos, comme si, malgré tout, malgré le souhait de réconforter et d'écouter Ambre, il lui était insupportable, inenvisageable de la laisser dire des choses qu'elle savait être fausses depuis bon nombre d'années.
"Benjamin a été tué par Héphaïstos. Lui seul est responsable de cette mort tragique. Quant à savoir si tu affaiblis les personnes qui gravitent autour de toi…"
Dionysos se passa une main dans ses boucles, un léger soupir s'échappant de ses lèvres :
"Apollon a dit que c'était une possibilité mais… Est-ce que la maladie de Matthew a évolué de manière exponentielle, avec le temps ? Plus qu'elle n'aurait dû ?"
Ambre secoua légèrement la tête.
"Non… Les médecins ont d'ailleurs toujours été assez surpris que la maladie semblait se stabiliser…comme si quelque chose l'empêchait de se propager. Mais ils ne sont pas certains que ce soit le traitement, vu qu'ils n'ont jamais vu le même cas chez d'autres patients."
"Le don de Matthew ?"
Cette question de Dionysos était vraisemblablement adressée à Apollon, puisque le dieu remarqua, après un instant de silence, que le regard de son frère était posé sur lui. Encore enfoui sous des tonnes de pensées, Apollon secoua la tête de manière vive, comme l'aurait fait un chien pour se débarrasser de la pluie, avant de répondre, hésitant :
"Je n'ai pas encore réussi à travailler suffisamment son don avec lui pour pouvoir te répondre précisément. Mais de ce que je sais… J'aurais tendance à dire non, Dio. Parce que la plupart de mes héritiers guérisseurs, sont incapables de se guérir eux-mêmes de la même manière qu'ils soignent autrui. Ils ne peuvent pas utiliser la magie pour eux. Ce serait bien trop facile…"
Le musicien se frotta nerveusement l'arrière du crâne, avant de demander à Ambre :
"Est-ce que tu sais à quel moment la maladie s'est… à quel moment a-t-elle cessé de se propager ?"
"C'est difficile à dire…"
La main droite d'Ambre, toujours dans celle d'Apollon, tenta de s'échapper pour rejoindre le poignet opposé de la jeune femme, mais le musicien raffermit doucement sa prise. Ambre resta silencieuse un instant, ouvrant et fermant la bouche à plusieurs reprises, en pleine réflexion. Apollon pouvait presque imaginer les neurones qui tentaient de grappiller le reste des souvenirs d'enfance. Chose guère aisée, les mauvais ayant fini par faire oublier les bons.
"... J-Je crois que c'est quelques semaines après la disparition de notre père, finit par articuler Ambre. Le pensionnat où on vivait ne faisait que très rarement des visites médicales, mais Matt… Matt avait un suivi plus régulier, à cause de l'ostéogenèse. Et la visite médicale qui a suivi le décès de notre père, le médecin a relevé une amélioration. Minime, mais tout de même là. Les sœurs se sont servies de cela pour nous inciter à aller prier plus régulièrement et de manière plus studieuse, disant à tout le monde que le Seigneur avait Matthew dans ses bonnes grâces uniquement parce qu'il se montrait sérieux dans ses devoirs religieux."
Si la situation n'avait pas été si sérieuse, et si Apollon n'avait pas été autant en proie aux émotions, peut-être qu'il se serait autorisé à sourire pleinement : après tout, ce genre de réaction l'amusait toujours un peu, et témoignait d'une certaine naïveté des mortels ; les divinités, de quelque confession que ce soit, n'accordaient que très rarement ce genre de faveur et encore plus quand la personne concernée n'avait rien fait d'héroïque ou de courageux. Il existait des milliers de mortels et très peu d'entre eux étaient connus des dieux.
"La disparition de votre père, donc., reprit-il, soupesant ces paroles comme s'il essayait d'y découvrir une vérité cachée. Si je me fie à ce que j'ai entrevu dans tes cauchemars… peut-être que cela relève d'une certaine logique, après tout."
Apollon se passa une main sur le front, de nouveau plongé dans ses pensées. Un silence s'installa alors dans la pièce et ce ne fut que lorsque Dionysos se racla la gorge que le dieu du soleil se rendit compte que ses deux interlocuteurs l'observaient, sourcils froncés.
"Pardon, souffla-t-il avec un petit sourire. Je réfléchissais en même temps."
Il tourna son regard bleu vers celui d'Ambre, qui baissa de nouveau la tête.
Apollon en eut une grimace attristée mais n'insista guère.
"Ton père n'était pas quelqu'un de bien, Ambre., poursuivit-il finalement. Tu ne pouvais t'empêcher de l'aimer, certes, comme tout enfant aime ses parents. Mais pour ton organisme, il représentait un danger. Une menace. Ce n'est qu'une hypothèse mais peut-être que ton don était donc davantage à l'œuvre lors de son vivant et qu'une fois le danger écarté…"
"Tu veux dire que pendant onze ans, j'ai usé d'un don dans l'espoir de tuer un de mes proches ?"
Apollon n'avait nul besoin de regarder Ambre pour savoir qu'il venait, malgré lui, de faire une énième boulette : les deux pieds dans le plat, bien comme il fallait. Sans aucun tact, ni aucune douceur. Il s'en mordait les doigts et avait envie de se taper la tête contre un mur. Mais avait-il réellement un autre choix ? Dionysos, Ambre… eux comme lui, étaient à la recherche de la vérité, et parfois…
Parfois il n'y avait guère moyen d'offrir la cruelle vérité sans que cela ne blesse, même en y mettant toute la douceur que l'on souhaitait. Parfois, même en prenant toutes les précautions que le monde pouvait offrir, la vérité faisait un mal de chien. Apollon comprenait totalement l'état d'esprit dans lequel se trouvait Ambre : lui aussi, n'aimait guère être source de souffrance pour ses proches. Tout du moins, il détestait se l'entendre dire. Cependant… si cela pouvait aider à mieux comprendre le don d'Ambre…
"Inconsciemment, Ambre. Inconsciemment., tenta-t-il tout de même de nuancer. Ce n'est pas comme si tu lui avais versé de l'arsenic dans son café tous les mat…"
"Apollon."
Les faits, seulement les faits. Arrache le pansement au lieu de le décoller lentement. Elle souffre déjà assez et continuera de vivre avec cela sur la conscience bien après…
J'essayais juste de…
Les métaphores ne servent à rien, le mal est fait. Tu ne fais qu'appuyer davantage sur une blessure qui fait déjà un mal de chien.
La dernière phrase de Dionysos fit grimacer Apollon, qui éprouva un désagréable frisson le long de sa colonne vertébrale : la simple idée du geste le faisait frémir.
Je voulais faire preuve de davantage de tact., soupira-t-il silencieusement, alors que son regard croisait les prunelles brunes et pressantes de son frère. Je…
Le tact est inutile. Et puis, tu n'es pas franchement doué dans le domaine, si je peux me permettre. Je nettoierais les pots cassés par la suite, ne t'en fais pas. Notre première séance est prévue demain matin.
Notre première séance… Apollon eut un bref soupir de soulagement : il avait complètement oublié qu'Hermès avait demandé à leur frère de travailler avec Ambre sur ses traumatismes. Cela ne lui enlevait guère la culpabilité qu'il éprouvait à ainsi blesser sans le vouloir sa descendante, mais cela le rassurait tout de même un peu : Dionysos ne laisserait pas Ambre avec ses démons une fois cette discussion close. C'était le plus important.
"Ce que je veux dire, Ambre, articula-t-il finalement, en pressant doucement la main de la concernée dans la sienne. C'est que ton corps s'est défendu contre Cole comme il se serait défendu devant tout virus, à la différence qu'au lieu des anti-corps, il a usé du don d'affaiblissement. C'était une réponse tout à fait automatique, presque biologique. Mais malheureusement, ce n'est pas ton père qui s'est retrouvé le plus affaibli. Matt… je ne voudrais pas parler de lui comme une victime collatérale mais… c'est presque cela. Pour ne pas dire complètement : la preuve, ton père disparu, l'état de Matt a cessé de se détériorer !
Apollon avait haussé la voix sur la dernière phrase, criant presque, ce qui eut pour effet de faire sursauter Dionysos et Ambre. Mais nulle colère ne résidait dans ces cris, bien au contraire : le musicien criait pour faire comprendre à la fille d'Iris qu'elle n'avait pas rendu son frère malade de son plein gré et que la preuve venait de leur sauter aux yeux. Il voulait lui faire entendre raison, il voulait voir son visage blême reprendre ne serait-ce qu'un peu de couleur. Il souhaitait qu'Ambre cesse d'avoir honte d'elle-même. Et ose le regarder de nouveau dans les yeux.
"C'est la preuve même que ton don n'était pas dirigé vers ton frère. Vers ton jumeau. Et tes amis, hm ?"
Le dieu était tellement convaincu et soulagé qu'il se trouvait désormais presque inarrêtable.
"Aucun de tes amis n'a déclaré de maladie ou s'est trouvé mal en ta présence. Pas un. Jamais. Et je suis persuadé qu'ils le sentiraient de manière inconsciente si ton don les affectait : dans les rares cas que j'avais en tête sur l'affaiblissement, beaucoup d'héritiers se retrouvaient seuls, car incapables de gérer les effets néfastes de leur don. Tu es loin d'être seule, Ambre. Et on est loin de vouloir s'éloigner de toi."
Ces mots, Apollon les avait prononcés avec douceur, relevant doucement le menton de sa descendante pour y ancrer son regard dans le sien. Les deux étaient noyés de larmes, les deux étaient identiques, tant dans leur aspect physique que de part les émotions qu'ils renvoyaient : une souffrance indicible, associée à une profonde tristesse.
Le dieu essuya avec douceur une larme sur la joue d'Ambre, ses propres vannes cédant également :
"Tu comptes pour moi. Tu comptes pour Hermès. Je suis presque certain que Dio finira par t'adorer même s'il n'en croit pas un mot pour le moment. Tu es une belle personne, Ambre. Une belle personne qui a sauvé la vie à de nombreuses personnes. Ton don est terrible, certes, mais il ne te définit pas, tu m'entends ? Tu ne l'as pas laissé te définir jusqu'ici alors ne cède pas à cette tentation, d'accord ? Je vais t'aider à le maîtriser, passer des heures à te montrer que tu le fais déjà avec brio si c'est nécessaire, mais en aucun cas, je te laisserai croire ce qui n'est pas. Je me battrai jusqu'à ce que ta confiance et ton estime de toi reviennent. Je t'en donne ma parole."
Sans attendre de réponse, Apollon s'approcha un peu plus d'Ambre et vint la serrer contre lui, avec toute la force dont il était capable. La jeune femme ne broncha pas, se contentant de déposer son visage au creux de l'épaule du dieu. Et de pleurer.
Apollon pleura avec elle.
Il pleura de la voir ainsi.
Il pleura pour lui avoir refilé ce don maudit.
Il maudit les Parques de lui causer autant de douleurs.
Assis à côté d'eux, Dionysos garda le silence, distribuant simplement quelques mouchoirs lorsque cela s'avérait nécessaire.
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Depuis leur dispute, Hermès avait soigneusement évité Apollon : bien entendu, il avait autorisé le dieu à revenir dans la chambre, mais il s'était abstenu de lui adresser la parole ou de passer trop de temps en sa seule présence, se réfugiant auprès de Dionysos lorsque la tension devenait un peu trop palpable.
Car même si leurs éclats de voix s'étaient terminés en apitoiement collectif et en recherche de réconfort en serrant l'autre dans ses bras du plus fort qu'ils le pouvaient, Hermès en voulait encore un peu à son ancien compagnon et une part de lui souhaitait le faire comprendre à Apollon. Chose certainement faite désormais puisque, alors même qu'au début, le dieu du soleil tentait de briser le silence et de lancer la conversation, cela faisait quelques heures qu'il n'essayait plus de le faire, n'adressant que très rarement des regards au messager.
Hermès en était autant satisfait - enfin, le musicien comprenait la leçon -, que détruit : la part la plus bienveillante de son être, celle qui avait tendance à souhaiter le bien-être de tous et à tout faire pour que cela se produise, souffrait terriblement et ne cessait de lui répéter qu'il devait arrêter ce manège. La bataille qui se livrait en lui-même était tellement éprouvante qu'il n'avait pas pu s'empêcher d'en faire part à Dionysos, qui avait ainsi mis quelques heures de sommeil de côté pour l'écouter. Et lui annoncer que la décision de cessez-le-feu lui revenait entièrement, et qu'il ne pouvait guère l'aider davantage.
Cette réponse avait frustré Hermès au plus haut point, mais, en y réfléchissant, qu'est-ce que le dieu du vin aurait pu lui dire d'autre ?
Hermès avait marmonné dans sa barbe et s'était promis intérieurement de mettre fin à ce calvaire du lundi matin, histoire de faire encore gamberger Apollon durant le week-end mais de commencer la semaine du bon pied ; après tout, rien n'était pire qu'un lundi pourri. Et puis, maintenant qu'il avait commencé à comprendre la leçon, autant laisser Apollon l'assimiler vingt-quatre heures de plus, non ?
Que représentaient vingt-quatre heures dans la vie d'un dieu ? Ces dernières fileraient à une telle vitesse qu'aucun des deux, que ce soit Hermès ou Apollon, ne s'en apercevraient.
Vingt-quatre heures et je mettrais fin à ce manège. Mais 24 heures. Il faut que je tienne bon. Cela est nécessaire pour chacun de nous. Je m'en remercierai plus tard.
Voilà donc les paroles que n'avaient cessé de se répéter Hermès tout le long de la journée. Une sorte de promesse, qui vola en éclats dès qu'il franchit la porte de la chambre.
"... Apollon ? Qu'y a-t-il ?"
Déposant son sac à dos au pied du bureau, Hermès observa le musicien, légèrement inquiet : accoudé contre l'appui de fenêtre, le front posé contre celle-ci, Apollon tournait le dos au messager, les yeux clos. Mais même s'il ne pouvait guère apercevoir son teint blême, Hermès sentait que son interlocuteur n'allait pas bien : les battements saccadés de son cœur, la peine qui formait presque comme un brouillard autour de son être…
Le propre cœur d'Hermès manqua un battement à cette sensation et le dieu dut se forcer pour ne pas se précipiter vers Apollon.
N'oublie pas que tu es censé lui en vouloir encore un peu…, chuchota une voix dans son esprit.
"Je suis un monstre, Hermy."
Cela n'avait été qu'un simple chuchotement, mais ces paroles suffirent à ébranler à nouveau le coeur d'Hermès, qui, les yeux soudainement humides face au ton totalement dévasté que venait d'employer le musicien, se retrouva à ses côtés en quelques secondes, sans réellement s'en rendre compte.
"Qu'est-ce… Qu'est-ce que tu racontes ?", demanda-t-il doucement, sourcils froncés.
Il ne put s'empêcher de déposer une main sur l'épaule du dieu, qu'il sentait désormais trembler.
"La vérité, renifla Apollon, avec haussement d'épaules. Je n'apporte que problèmes, malédictions, mort et blessures psychologiques sur mon chemin. Et il m'a fallu trois milles ans pour le percevoir."
Le dieu prononça cette dernière phrase dans un petit rire dénué de toute joie. S'essuyant la joue du revers de sa manche, il s'écarta ensuite de la fenêtre… pour se laisser tomber sur son lit, visage enfoui dans l'oreiller.
"Je ne vaux guère plus que lui.", maugréa-t-il en reniflant de plus belle.
"Mais… Mais, Apollon…"
Pris de court, Hermès se tut, les mots lui manquant cruellement. Par les Parques, qu'est-ce qu'y avait-il pu se passer pour mettre son ancien compagnon dans cet état ? Hermès n'était parti que trois heures en compagnie de Matthew et…
Le messager cligna des paupières, comme anesthésié : il ne s'était guère préparé à retrouver Apollon en pleine crise existentielle, alors que ce dernier allait encore très bien quelques heures auparavant. Et puis, il en avait perdu l'habitude… parce que, même si, parfois, le musicien souffrait de moments de déprime comme tout être vivant digne de ce nom, jamais, ô grand jamais, ils n'avaient cette intensité. Ou alors, ils avaient cette intensité mais Hermès avait pu identifier les signes avant-coureurs et ainsi s'y préparer, attendant patiemment que les barrières lâchent. Et encore, ces occasions restaient rares : Apollon restait Apollon. Le dieu du soleil. Un dieu qui avait presque son titre dans sa peau. Une divinité qui avait le pouvoir de toujours voir le bon côté des choses, de réchauffer la pièce par un simple sourire ou de se remonter seul le moral en moins de temps qu'il ne le faut pour le dire.
Apollon était solaire. Apollon était rarement déprimé.
Et en cet instant, Hermès avait l'impression que l'état du musicien allait encore plus loin que la simple déprime et cela l'angoissait. Cela l'inquiétait, cela le laissait totalement démuni.
Etait-ce lui qui avait causé cela ? Était-il le responsable de cette immense tristesse qui enserrait le cœur d'Apollon ? Avait-il été trop loin dans sa sanction, dans son désir de rancune, au point de ne pas se rendre compte du mal qu'il infligeait réellement au dieu ?
"Ce n'est pas toi, Hermès. C'est moi. C'est entièrement et uniquement moi."
"Mais qu'est-ce que tu racontes ? Qu'est-ce que… Par les Parques, Apollon, que se passe-t-il ?"
Le messager s'en voulait de balbutier ainsi, et il s'en voulut encore plus lorsqu'il prit conscience du ton qu'il avait employé : un ton impatient, presque cassant, comme s'il s'adressait davantage à un enfant ayant commis un méfait qu'à une personne en détresse émotionnelle.
Peut-être parce que tu commences à l'être, toi aussi, en détresse…
Et cette pensée ne pouvait guère être plus véridique : plus Apollon perdait pieds, et plus Hermès se noyait.
"Apollon, reprit-il d'un ton plus doux en s'asseyant aux côtés du dieu toujours allongé. Parle-moi. Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Pourquoi t'auto-flageller de cette manière ?"
"Parce que je le mérite."
Cette réponse donna envie à Hermès de saisir Apollon par les épaules et de le faire basculer sur le dos. Ce fut d'ailleurs ce qu'il fit, ancrant son regard dans le sien.
"Je sais bien que tu as des choses à te reprocher, s'exclama-t-il. Mais je ne souhaitais pas que ce soit à ce point. Où est donc passé ta fierté ?"
Encore une fois, Hermès sentit son estomac se retourner et sa culpabilité augmenter alors que la question semblait résonner avec force dans la chambre silencieuse. Mais le messager, bien qu'il s'en mordait les doigts, n'avait guère voulu causer davantage de mal en la posant. Au contraire, il s'agissait là d'une tentative pour redresser la situation, pour sortir Apollon de sa tristesse en réveillant son égo. De créer une sorte d'électrochoc.
Un électrochoc qui ne vit pas le jour.
« … partie depuis bien longtemps, marmonnait Apollon dans son oreiller. D'abord Hélia et toi et ensuite… »
« Tu n'as pas fait qu'apporter du tort à notre fille et à moi, Apollon., l'interrompit le messager en se retenant de lever les yeux au ciel. Tu nous as aussi apporté de très bonnes choses et j'ai maintes fois remercié les Parques de t'avoir à mes côtés. Tes dons se comptent par milliers, tes torts ne sont qu'infimes, même si j'ai été particulièrement rancunier ces derniers jours. Mais la hache de guerre est désormais enterrée, tu peux me croire. »
La sincérité même sonnait dans les paroles d'Hermès et Apollon tourna finalement le visage vers ce dernier, le regard empli de larmes :
"C'est vrai ?", souffla-t-il du ton de celui qui n'osait pas trop y croire.
"Bien sûr que oui, voyons…"
Un léger sourire aux lèvres, Hermès ancra son regard dans les prunelles bleues d'Apollon, et lui effleura ses boucles blondes.
"Maintenant, dis-moi ce qu'il se passe., murmura-t-il alors que le musicien fermait les yeux à ce doux contact. D'abord Hélia et moi et ensuite… ? Quelle était la fin de ta phrase ?"
"Les jumeaux."
Hermès arqua un sourcil tandis qu'Apollon se redressait, désormais assis en tailleur sur son lit.
"Matt et Ambre.", précisa le blond, prenant la perplexité d'Hermès pour autre chose que ce qu'elle était.
"J'avais bien compris, Apollon, sourit ce dernier, presque amusé. Ce que je comprends pas, c'est… Pourquoi ? Pourquoi penses-tu leur avoir causé du tort ? Ambre est bien trop gentille et bienveillante pour t'en vouloir par rapport à Hugo : comme tu l'as vu, elle s'accuse elle-même de ce qu'il s'est passé."
"Leurs dons, Hermy. Ou plutôt le don que j'ai refilé à Ambre et potentiellement à leur vaut rien de père."
Apollon avait lâché ces mots avec toute la colère dont il était capable et le messager savait que s'il n'y avait pas eu chez le musicien une sorte de retenue naturelle, son ami n'aurait guère mâché ses mots et aurait qualifié le père Jones de bien d'autres choses que de simple "vaut rien".
Et Hermès n'aurait clairement pu lui en vouloir : il y avait bien des choses qu'il aurait aimé pouvoir infliger au père des jumeaux et le dieu s'était même mis en tête de s'entretenir avec Hadès, histoire de voir ce qu'il était advenu de l'homme et si la sanction suffisait.
"Le don d'affaiblissement ?, s'exclama Hermès en fronçant les sourcils, pas certain de savoir où Apollon souhaitait l'emmener. Tu penses que le père l'avait également ?"
Apollon haussa les épaules, le visage défait.
"C'est une possibilité., déclara-t-il, l'air pensif. Plus je repense aux cauchemars d'Ambre et… ce n'était pas sa simple présence qui rendait Matt et Ambre aussi angoissés, il y avait autre chose. Je veux dire, il arrivait à les maîtriser si facilement, ils n'étaient clairement plus que de simples marionnettes entre ses mains lorsqu'il le souhaitait."
"Un homme violent peut arriver à beaucoup de choses tout en étant cent pour cent mortel, Apollon. Surtout s'il s'en prend à de simples enfants et ce, depuis leur plus jeune âge. Nul besoin d'être un dieu ou demi-dieu, l'Histoire nous l'a maintes fois prouvé."
"Je suis bien d'accord, soupira le musicien en laissant sa tête retomber sur l'oreiller. Mais il y a quand même un truc qui me chiffonne à propos de lui. Et puis, si Ambre et Matt ont hérité de moi, pourquoi pas lui ? C'était mon petit-fils, après tout."
Un court silence s'installa dans la chambre, les deux divinités plongées dans leurs pensées. Petit-fils, oui, pensait Hermès, mais comme avec tout bon mortel, la génétique pouvait jouer de drôles de tours : combien d'enfants aux yeux bleus étaient nés de parents aux yeux marrons ? Ou combien de rouquins y avait-il dans des familles parfois brunes depuis des générations ? Comme pour chacun des traits qui constituait un être, la génétique avait également le mot pour ce qui était des dons divins. La génétique et les Parques.
"Quelqu'un pourrait nous aider à y voir plus clair, si cette possibilité te retourne tellement.", déclara finalement le messager, d'un ton calme.
Ce fut au tour d'Apollon d'hausser un sourcil.
"Iris pourrait détenir ce genre de renseignements, expliqua Hermès. Il suffirait de lui demander."
"Et… comment ? Nous ne sommes plus autorisés à être en relation avec notre monde, Hermy."
"Nous deux, non, mais Dionysos oui. Zeus lui a demandé de rester en liaison avec Chiron."
"... Si je te suis bien, tu veux demander à Dio, qui demandera lui-même à Chiron, qui finalement demandera à Iris ? Puis Iris répondra à Chiron, qui appellera Dio, qui lui-même nous livrera finalement la fameuse information ?"
Hermès hocha la tête et Apollon se passa une main sur le visage.
"Eh bien, on ne peut pas dire que tu te facilites la vie, Hermès, lança-t-il dans un soupir, à la fois dubitatif et admiratif. Mais rien n'est dit qu'Iris voudra répondre. Après tout… elle a de quoi vouloir éviter le sujet, tu ne crois pas ?"
Hermès haussa les épaules.
"Nous ne saurons jamais, si nous ne tentons pas. Par ailleurs, il se peut même que nous n'ayons pas besoin de son aide : peut-être que Chiron saurait nous dire si oui ou non il se souvient d'avoir vu débarquer un Jones à la colonie. Et s'il est réellement passé en dessous des radars…, ajouta-t-il rapidement alors qu'Apollon ouvrait la bouche. Je sais qu'Iris ne nous fera pas défaut. Je la connais assez pour savoir qu'elle assume toujours ses erreurs. Et qui sait si Cole Jones n'était pas manipulateur au point de tromper une déesse ?"
Nouveau silence pensif dans la pièce. Aucun des deux ne pouvait apporter réellement de réponse à cette question : pour cela, il aurait fallu connaître l'histoire de Cole et d'Iris et Apollon, comme Hermès, aucun ne pouvait dire qu'il la connaissait. D'ailleurs, le musicien n'avait appris que bien plus tard - après leur rencontre ! - que les Jones étaient ses descendants. Insinuer qu'il avait assisté à la romance du père Jones et de la messagère aurait été du pur mensonge.
"C'est tout ce qui te tracassait ?"
La question d'Hermès fit sursauter Apollon, occupé à essayer tant bien que mal d'imaginer ce que Iris avait bien pu trouver à Cole pour lui donner deux enfants. Les divinités n'enfantaient guère avec n'importe qui. En général.
"... Hein ? Heu… je suppose que oui. Enfin… Il y a aussi Ambre., ajouta-t-il dans un murmure en se passant une main dans les cheveux. Elle culpabilise beaucoup à cause de son don d'affaiblissement."
"Elle n'a fait que du mal à Arès et apparemment, c'était pour me sauver la vie. Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?"
Hermès avait prononcé ces deux dernières questions avec précipitation, voyant Apollon blêmir. S'était-il passé quelque chose, en son absence ?
"Tu… tu sais que Matt a la maladie des os de verre.", commença Apollon, clairement hésitant.
"Je crois que tu me l'as déjà dit, oui…", murmura Hermès, pas réellement certain de vouloir entendre le raisonnement de son ami.
Peut-être parce qu'il le savait déjà. Peut-être parce que l'hypothèse l'avait effleuré lorsqu'Apollon avait expliqué le don d'affaiblissement et qu'elle lui avait méchamment et tristement serré le cœur.
"... C'est censé être héréditaire et génétique., chuchota Apollon. Cole ne l'avait pas. Ambre n'en a pas de traces dans son organisme. Du moins, ils n'en ont guère décelé, à l'époque. Et Iris…"
Le dieu laissa échapper un rire sans joie.
"Tu comprends pourquoi je tiens tant à savoir pour Cole ?", s'enquit-il en ancrant son regard dans celui d'Hermès.
"Pour tenter de ne pas tout mettre sur le dos d'Ambre…, acquiesça le messager alors qu'Apollon hochait la tête, attristé. Mais… Elle n'en est pas responsable à proprement parler. Je veux dire, elle ne savait même pas qu'elle possédait le don il y a deux jours à peine !"
Apollon grimaça.
"Je sais, Hermy. Mais essaie donc de la convaincre… Dio et moi avons lamentablement échoué, tout à l'heure."
Hermès se passa les mains sur le visage, réprimant un soupir : décidément, Ambre lui donnait pas mal de travail…
"J'irai la voir plus tard, souffla-t-il en regardant de nouveau Apollon. Pour l'instant, j'ai envie que tu retrouves le moral et… il y a quelque chose qui pourrait t'y aider. Beaucoup."
"Un baiser ?", taquina Apollon, quoique absolument pas contre cette idée.
Hermès préféra ne pas relever, mais le musicien nota avec joie ses joues devenues rouges : après tout, c'était lui qui avait commencé. Avec la main dans les cheveux. Un geste anodin, certes, mais que le messager ne s'était plus permis depuis leur rupture.
"Je pensais à l'enveloppe qu'Héra m'a confié."
D'un geste, les yeux soudain brillants, Hermès tendit à Apollon la dite enveloppe, qu'il venait de sortir de sous son oreiller.
"Je ne me lasse absolument pas de son contenu.", souffla-t-il alors que le musicien plongeait la main à l'intérieur.
"Tu sais que tes propos sont très ambiguës, Hermy ? Qu'est-ce que notre belle-mère a pu te donner qui puisse t'obséder autant et te pousser à garder l'enveloppe sous ton oreiller, dis-moi ?"
Cette fois, Hermès donna une petite tape à l'arrière du crâne du musicien, qui rit de plus belle. Mais le messager n'était pas décidé à le laisser gagner plus longtemps, même si l'entendre rire avait le don de lui mettre du baume au cœur.
"Tais-toi donc et regarde, plutôt. Je te parie ce que tu veux que tu pleures de joie dès la première photo."
µµµµ
"Mais c'est ma… Magnifique…"
Le reste de la phrase se perdit dans les sanglots du musicien, et Hermès eut un sourire attendri : encore une fois, Apollon l'étonnait par son étalage de sentiments, mais il ne pouvait que le comprendre. Comment résister, après tout ? Comment ne pas avoir la larme à l'œil à la vue de cette dizaine de clichés ? Lui-même n'avait guère réussi à se contenir, lorsqu'il les avait découverts : dire qu'il avait passé une petite heure à pleurer et à remercier Héra aurait été un euphémisme ; encore aujourd'hui, le messager avait les yeux qui pétillaient d'émotions.
« Je t'avais bien dit que tu craquerais, souffla-t-il, sourire toujours aux lèvres. Même si j'espère que ce cadeau n'aura guère l'effet inverse que celui que j'avais prévu… »
Une légère inquiétude s'était immiscée en Hermès, les larmes d'Apollon continuant de couler sans discontinuer : peut-être que les clichés lui feraient plus de mal que de bien, en fin de compte… peut-être que Héra n'avait mentionné Apollon parce qu'elle savait qu'au lieu de lui remonter le moral, cela enfoncerait un peu plus le musicien…
Mais celui-ci secouait déjà légèrement la tête, comme pour faire fuir les mauvaises pensées de la cervelle du messager.
« … n-non, ça… ça fait du bien, au contraire., annôna-t-il, la respiration encore hachée par quelques sanglots. Elle… ça fait du bien de la voir. Mon Little Sunshine… »
D'un geste rendu tremblant par les émotions qui le traversaient, Apollon se saisit d'une photographie, les yeux brillants et un sourire aux lèvres.
Assise à même le sol dans son appartement, Hélia souriait à l'objectif, entourée de deux personnes que Hermès et Apollon connaissaient bien : Poséidon et Dionysos. Sur la table basse, le musicien pouvait deviner des restes de pizza ainsi que la jaquette d'une VHS au titre non identifiable.
Ému, le musicien passa un pouce sur le visage de sa fille, comme il l'aurait fait pour caresser sa joue si elle avait été présente à ses côtés. L'expression d'Hélia, le sourire sincère, lui mettait du baume au cœur et lui apportait un réel réconfort.
« Je crois que c'est ma préférée, souffla-t-il alors qu'Hermès l'observait, les yeux embués. Je suis tellement reconnaissant envers Dio et Poséidon pour avoir ainsi veillé sur Hélia… je ne pensais pas… »
« Dionysos est son parrain, Apollon., s'exclama doucement Hermès, quoique avec un léger ton de reproche. Tu sais bien qu'il ne l'aurait jamais abandonnée ainsi, même si Hélia le lui avait demandé. Et Poséidon… Héra a dit qu'on pouvait continuer de compter sur lui. Sur eux deux. Tu sais qu'ils considèrent Hélia comme leur petite-fille. »
Apollon hocha lentement la tête, gardant le silence. Face à tous ces clichés qui montraient sa fille dans différentes situations, il ne savait que dire. Savoir qu'Hélia avait tout de même réussi à continuer une certaine routine, et ce, même en leur absence, le réconfortait : il aurait été totalement désemparé de savoir que son rayon de soleil, rongé par la tristesse, avait abandonné tout ce qui comptait à ses yeux et qu'il se laissait dépérir en attendant leur retour.
« Elle a toujours été une battante. », chuchota-t-il alors qu'il s'intéressait désormais à une photographie montrant Hélia en train de peindre dans son appartement.
Cette dernière semblait avoir été prise à l'insu de la jeune femme, pleinement concentrée sur son projet que ses pères ne pouvaient voir : une fenêtre séparait le photographe de son sujet.
« Je crois qu'elle tient ça de toi, continua Apollon en tournant son regard vers Hermès. La résilience. Vous en avez une des plus extraordinaires. Vous arrivez toujours à rebondir, même dans les moments les plus durs, là où je m'emporterais ou laisserais tomber par pure exaspération et frustration. Je te remercie de lui avoir transmis une telle capacité, Hermy. Tu ne sais pas à quel point cela est précieux. »
Hermès, ému à son tour, esquissa un mince sourire, où se mêlaient tristesse et attendrissement. Son cœur accéléra ses battements alors que l'envie de passer une main dans les cheveux d'Apollon lui reprenait : le musicien se trompait. Tout du moins, en partie. Lui aussi, avait permis à leur fille de faire face aux moments les plus difficiles ; si Hélia devait sa personnalité solaire à quelqu'un, une personnalité qui se percevait même à travers une simple photo, c'était bien à Apollon. Pas à lui. Hermès aurait aimé le lui rappeler, mais il n'était pas certain qu'Apollon soit en capacité de le comprendre et de l'admettre sans discuter.
Alors le messager se contenta de se rapprocher du musicien, se penchant par-dessus son épaule, comme pour inspecter le cliché de plus près… Alors même que ce qu'il recherchait réellement était le simple contact de son ancien compagnon.
« Sur quoi penses-tu qu'elle travaille, hm ? », murmura-t-il à l'oreille d'Apollon, désignant du doigt le chevalier sur lequel Hélia était penchée.
« Va savoir, souffla le musicien, un léger sourire étirant ses lèvres. Sûrement l'un de ces projets secrets dont elle ne veut pas parler. Je veux dire, ajouta-t-il alors qu'Hermès souriait à son tour. Sur quoi d'autre pourrait-elle travailler à une heure moins dix, hm ? Même moi je ne travaille rarement mes gammes et mes poèmes aussi tard. »
« Tu sais très bien que notre fille a toujours eu une vision très négative du sommeil. »
Cette réplique déclencha un petit rire chez Apollon, auquel Hermès se joignit avec plaisir, rassuré de voir le musicien reprendre des couleurs.
« C'est vrai., acquiesça le dieu du soleil avec un sourire. Par les Parques, qu'est-ce qu'elle nous en a fait voir, quand elle était petite ! »
« Ce qu'elle t'en a fait voir, plutôt, rit Hermès, les souvenirs remontant à la surface. Je ne compte plus les fois où tu m'as appelé à l'aide pour la coucher. »
« Parce qu'elle ne voulait rien entendre ! Le sommeil, c'est ennuyeux, qu'elle disait. A cinq ans, elle m'a même déclaré que ce n'était qu'une perte de temps. A cinq ans ! Non, mais ! Je reste convaincu que c'est ton côté addict au travail qui ressort, dans ces moments-là. »
« Ben voyons, maugréa Hermès, faussement vexé. Mon côté. Rappelle-moi ce qu'elle faisait avant d'aller dormir, la plupart du temps ? Ah oui, je m'en souviens, désormais !, ajouta-t-il après un temps de fausse réflexion alors qu'Apollon ouvrait la bouche, sachant pertinemment où Hermès voulait l'emmener. Elle dessinait. Ou elle peignait. Elle était en pleine transe créative. Et ça, mon cher Apollon…"
"Ok, ok, j'ai compris !"
Le dieu du soleil interrompit brusquement le messager, mains levées en signe de reddition et cachant tant bien que mal son envie de rire.
"Nous sommes tous les deux responsables, Hermy. Chacun à sa façon. Point partout. Ça te convient ?", poursuivit-il avec un sourire.
Sourire qu'Hermès lui rendit après avoir pouffé.
"Tous les deux, d'accord. Si tu y tiens."
Devant la nouvelle taquinerie de son ancien compagnon, Apollon arqua un sourcil.
"J'y tiens., répondit-il, avec conviction, tandis que le sourire d'Hermès s'étirait un peu plus. Je suis même capable de te sortir un diapo de tous les tics que tu as refilé à Hélia, et l'affaire peut durer plusieurs heures, crois-moi."
Hermès haussa les épaules, l'air nullement impressionné :
"Je peux faire la même chose de mon côté.", lâcha-t-il, laconique.
"Ah oui ? J'attends de voir."
"Moi aussi."
Un silence se fit dans la pièce, les deux dieux se défiant faussement du regard, leur visage seulement à quelques centimètres l'un de l'autre. Des papillons dans le ventre, certain d'être aussi rouge qu'une tomate bien mûre, ce fut finalement Hermès lui-même qui esquissa le premier geste : il ne savait pas réellement pourquoi, mais le messager ressentait un cruel besoin de retrouver les bras d'Apollon. De se lover contre lui, de retrouver sa chaleur et les battements si familiers de son cœur. D'oublier tout ce qui se trouvait et se passait autour d'eux, pour se perdre entièrement dans son regard bleu qu'il aimait tant… Les échanges qu'il venait d'avoir lui avait rappelé de biens douces périodes, le rire d'Apollon également. Et son coeur en réclamait désormais davantage.
Alors, lentement, Hermès caressa la joue d'Apollon avant d'y venir poser sa main, le regard toujours ancré dans le sien. Le musicien, dont le cœur s'affolait déjà depuis plusieurs secondes, laissa échapper un soupir, de ceux qui prennent conscience qu'ils ont arrêté de respirer quelques secondes plus tôt, sans même sans rendre compte. Une sensation agréable avait envahi l'entièreté de son être au toucher d'Hermès et le dieu se rapprocha de ce dernier, ses prunelles brillant d'affection alternant un court instant entre le regard et les lèvres du messager.
Il ne fallut qu'un imperceptible hochement de tête de la part de ce dernier pour qu'Apollon plonge vers les lèvres si familières, des lèvres qui l'appelaient depuis bien trop longtemps.
Hermy., pensa-t-il. Si tu savais comme tu m'as manqué…
µµµµ
1983.
L'orage hivernal s'abattait avec hargne, les éclairs zébrant le ciel nocturne. Pluie et grêle mêlées tombaient du ciel sans discontinuer, noyant le sang-mêlé et le pégase dans un déluge qui en aurait fait fuir plus d'un. La visibilité était devenue inexistante et les échos du tonnerre étaient à s'en déchirer les tympans. Lorsque Poséidon était venu rendre visite à son frère pour lui faire part de sa demande, Héra avait promis un orage qui resterait dans les annales. La déesse avait même obtenu l'aide d'Eole et de ses pairs. Et le dieu des mers devait bien admettre, que, depuis l'Olympe, le tout dépassait ses attentes les plus folles : rêver mieux aurait été souhaiter Manuel davantage en danger. Cependant, Poséidon voulait ralentir son descendant. Pas le tuer. Et il avait été très clair sur ce point.
Un point que Zeus n'avait guère apprécié, arguant qu'un séjour aux Enfers était la solution la plus radicale pour ralentir un sang-mêlé, d'autant plus quand celui-ci n'était pas censé exister. Poséidon l'avait fusillé du regard et menacé de lui tordre le cou. Mais force était de constater que, plus les minutes s'égrenaient, plus le dieu reconsidérait la proposition de son frère.
Et si… ? Et si cette dernière s'avérait être la seule capable d'arrêter le sang-mêlé ? Si envoyer Manuel quelques jours aux Enfers était la seule chose qui pouvait l'empêcher de renoncer à sa mission suicide ? Poséidon en avait des nausées rien que d'y penser. Cependant…
"... Héra, murmura-t-il alors que tous les deux regardaient Manuel tenter de rassurer un pégase paniqué. Tu penses que… qu'Hadès serait d'accord pour…?"
Mais les mots ne franchirent la barrière de ses lèvres ; ils étaient bien trop douloureux, bien trop durs à prononcer. Son cœur de grand-père avait beaucoup de mal à y faire face. Et puis, n'avait-il pas promis à Euphemia de veiller sur son enfant ?
"Parfois, veiller sur quelqu'un implique de prendre des décisions bien difficiles, Poséidon. Des décisions qui nous hanteront pour le restant de nos jours. Regarde Apollon et Hermès. Aucun des deux ne s'est réellement remis du serment que notre frère leur a imposé. Et pourtant, ils savaient que refuser réserverait un sort bien pire à leur petite Hélia. Alors ils ont agi en conséquence. La mort dans l'âme, mais avec les intentions les plus pures et paternelles qui soient."
Un instant de silence suivit les déclarations de la déesse. Bien sûr, Poséidon remerciait Héra d'avoir ainsi lu dans ses pensées. Bien sûr, elle venait de prononcer le discours qu'une partie de lui souhaitait à tout prix entendre. Mais cela aurait été mentir que de prétendre que chaque mot ne s'était guère planté dans le cœur de Poséidon comme autant de pics à glace. Jamais, ô grand jamais, le dieu de la mer ne s'était senti si partagé entre les limites du bien et du mal, du raisonnable et du déraisonnable. En d'autres circonstances, il aurait été l'un des premiers à traiter de folle une divinité qui prétendrait "tuer son héritier pour le protéger". Il serait monté au créneau, l'aurait secoué comme un prunier et lui aurait demandé combien de litres quotidiens de nectar elle s'enfilait. Il en aurait fait tout un scandale. Et voilà que lui-même en était venu à se poser la question : est-ce que Manuel ne serait pas mieux mort que vivant ? Ne serait-ce que pour quelques jours ?
"Ce n'est pas une décision à prendre à la légère, concéda Héra, alors qu'elle posait une main sur l'avant-bras de Poséidon. Et je ne dis pas qu'Hadès t'accordera si facilement cette faveur… Mais si tu penses que c'est la seule solution…"
Leurs regards se croisèrent et le dieu de la mer se sentit soulagé lorsqu'il vit que sa sœur ne semblait guère plus enthousiaste à l'idée qu'il ne l'était lui-même : le regard teinté de tristesse, une ombre assombrissant son visage, Héra semblait compatir. Cela était un moindre réconfort, mais Poséidon était si dévasté que toute bouée était bonne à prendre, et l'expression de sa sœur en était une. Dans cette tempête d'émotions et de tourments, quelqu'un semblait comprendre sa peine.
"Je ne sais pas quoi faire, Héra, avoua-t-il humblement, avec une pointe de désespoir dans la voix, tandis que son attention revenait sur Manuel. Je pensais qu'un orage serait assez pour le ralentir au moins cette nuit…"
Et une partie de lui en était d'ailleurs toujours convaincue : parce que Manuel avait toujours détesté les orages. Parce que le jeune homme ne supportait pas d'entendre des coups de tonnerre. Parce que bébé, le sang-mêlé hurlait à la mort les soirs d'été où l'atmosphère se faisait électrique. C'était bien simple : dès qu'il y avait de l'orage, Manuel angoissait. Un éclair et le jeune homme se réfugiait à l'intérieur de sa cabine ou du commerce le plus proche. Il y avait même un jour où il avait tout bonnement refusé de quitter son collège tant que l'orage n'était pas passé.
Manuel avait peur des orages. Il s'agissait là de sa principale phobie.
Ou, tout du moins, Poséidon avait toujours pensé que c'était le cas.
Et pourtant.
Et pourtant, Manuel restait obstinément dans les airs, sur le dos de Rodolphe. Le sang-mêlé était trempé - et certainement gelé - jusqu'aux os, mais il ne semblait guère vouloir abandonner. Peu importait si Rodolphe se mettait à gigoter, peu importait si les éclairs se rapprochaient… Manuel continuait sa route. Comment ? Seules les Parques le savaient…
"Attendons de voir comment cela évolue."
La voix d'Héra sortit à nouveau Poséidon de ses pensées et le dieu observa la déesse se pencher vers la table de marbre, comme pour mieux examiner le sang-mêlé qui évoluait sous ses yeux.
"Certaines chasseresses d'Artémis ne sont pas loin., poursuivit-elle avec douceur. Leur demander d'intervenir pourrait être une solution. Elles arriveront certainement à le retenir quelques heures, notamment si Artémis leur en donne l'ordre. Et, si par malchance les autres sang-mêlés ne sont pas retrouvés d'ici là ou qu'il arrive à se glisser entre les mailles du filet, alors ce sera à toi de jouer, Poséidon. Il se rendra certainement ici en premier. New-York. Là où les dieux résident et où Benjamin White a été aperçu pour la dernière fois. Mais New-York peut recéler de biens des pièges pour quelqu'un qui n'y a jamais mis les pieds."
A ces derniers mots, Héra releva le regard vers Poséidon. Et ce fut seulement lorsque ses iris grises plongèrent de nouveau dans les siennes qu'il sut avec certitude ce qu'elle entendait par pièges.
"Ils sont toujours là, n'est-ce pas ?", souffla-t-elle.
Pour toute réponse, Poséidon hocha la tête, le visage défait.
Si vraiment Manuel devait les rencontrer, le dieu devrait s'assurer qu'ils seraient le plus rapides possibles ; hors de question qu'ils s'amusent avec son petit-fils comme ils aimaient le faire avec l'ensemble de leurs proies.
"J'espère simplement que nous n'arriverons pas à cette partie du plan.", chuchota-t-il, le regard baissé vers son descendant.
Celui-ci avait baissé en altitude et semblait chercher un coin où se poser. Se pourrait-il que… ? Une étincelle d'espoir raviva le cœur de Poséidon ; une étincelle très vite éteinte par sa sœur.
"S'il tient de sa mère, s'exclama-t-elle, et il m'en a tout l'air, j'ai bien peur que tu n'aies d'autres solutions. Sinon, il risque réellement de se mettre dans le pétrin."
Poséidon se passa la main sur le visage, soudain blême et las. Comme s'il avait entendu les paroles d'Héra, Manuel demanda à Rodolphe de gagner de nouveau en hauteur.
"Hadès est-il toujours là ?"
Héra hocha la tête.
"Salon de lecture. Je crois qu'il tentait de battre l'un de mes serviteurs aux échecs la dernière fois que je l'ai croisé."
µµµµ
1986.
"Tu m'avais manqué, Hermy."
Pour seule réponse, Hermès déposa un baiser sur la joue d'Apollon avant de poser son front sur l'épaule de celui-ci. Un léger soupir de bien-être s'échappa de ses lèvres lorsque le musicien resserra sa prise autour de sa taille.
Leur cœur battant en une parfaite synchronisation, les deux divinités savouraient cet instant de calme qui suivait une valse de baisers enflammés. Assis dans un coin de la chambre, Hermès contre lui, Apollon jouait distraitement avec une boucle du messager, le menton posé sur le haut du crâne. Et le corps empli d'une joie indescriptible : il avait réellement pensé ce qu'il venait de chuchoter à l'oreille de son compagnon. Hermès lui avait réellement manqué. Et ce, même s'ils avaient toujours gardé un contact quasi quotidien depuis leur rupture. Parce que le contact n'avait guère été le même depuis. Parce que, dans certains moments, Apollon s'était surpris à observer le messager avec un peu trop d'intensité. Parce que, certains jours, il s'était surpris à rêver de pouvoir glisser une main dans ces boucles noires qu'il connaissait si bien ou sur cette joue constellée de taches de rousseur qui s'enflammait dès qu'il l'effleurait. Hermès et lui avaient peut-être rompu d'un commun accord, ils savaient tous deux que cela n'avait été guère de gaieté de cœur. Que, quelque part, les sentiments avaient toujours été là. Mais aucun d'eux n'avait réellement eu le courage de refaire le premier pas. Par pudeur ou par peur que l'histoire ne se répète, seules les Parques le savaient.
Aujourd'hui, le premier pas avait été fait. Et Apollon en ressentait un immense soulagement. Il aurait aimé pouvoir crier sa joie au monde entier. Il aurait aimé pouvoir appeler Hélia et lui annoncer la bonne nouvelle, elle avec qui il partageait toutes ses histoires de cœur. La jeune femme en aurait été ravie, à n'en pas douter. Le miracle qu'elle attendait depuis des décennies était en train de se produire.
Et je ne peux même pas le lui annoncer…
La gorge d'Apollon se serra à cette pensée et le dieu se sentit soudain nauséeux : une sourde inquiétude venait de prendre place au creux de son estomac, une inquiétude qui se répandait lentement dans ses veines et qui tourmentait son cœur de père. Hélia…
"Que se passe-t-il ?"
Sensible au changement d'état d'esprit d'Apollon, et surtout attentif aux battements de son cœur qui s'étaient nettement accélérés, Hermès releva la tête, une lueur inquiète dans le regard.
"Apollon ?", tenta-t-il de nouveau lorsque le dieu ne lui répondit pas, l'air profondément plongé dans ses pensées.
"Je… c'est Hélia."
Le musicien avait prononcé cette phrase d'un ton si tourmenté qu'Hermès fronça les sourcils, son cœur commençant lui aussi une cavalcade face à la montée d'adrénaline.
"Hélia ? Comment ça ? Tu as vu quelque chose ?"
Les visions d'Apollon étaient déjà rares en temps normal, Hermès se sentit honteux d'avoir suggéré l'idée alors que son compagnon venait d'être destitué de tout pouvoir divin. Mais le musicien ne sembla pas faire fi de la bourde, et se contenta de secouer lentement la tête, les prunelles teintées de tristesse.
"Non.", souffla-t-il en ancrant son regard dans celui d'Hermès.
Il se tut un instant, laissant le messager dans la perplexité la plus totale, puis poursuivit, sa main glissant lentement sur la joue d'Hermès :
"Je m'inquiète, c'est tout. Je veux dire, elle a l'air heureuse sur l'ensemble des photos que Héra nous a confiées. Mais… Hélia est Hélia, tu la connais aussi bien que moi. Elle connaît sûrement des périodes de moins bien et…"
"Et elle sait où trouver les ressources pour remonter la pente. La course à pied, la peinture, sa tante Artémis. Poséidon. Je ne dis pas qu'elle est totalement insensible à notre soudaine disparition, et que la compagnie d'autres personnes chères à son cœur ne lui rappelle guère à quel point nous lui manquons. Mais elle est bien entourée, Pollo. Elle a repris la fac, continue ses routines…"
Le cœur d'Apollon manqua un battement à l'entente du surnom, mais le dieu était trop préoccupé pour réellement se réjouir d'être de nouveau Pollo.
"Je le sais bien, Hermy., chuchota-t-il en baissant le regard vers le sol. C'est juste… j'aurais aimé qu'elle sache. Pour nous. Cela lui aurait certainement mis du baume au coeur."
"On pourra le lui dire une fois rentrés."
A nouveau, Apollon ressentit une douce chaleur s'emparer de son être et il ne put s'empêcher de rendre le sourire qu'Hermès lui offrait. Un sourire qui était à l'image des mots que venait de prononcer le messager : plein de promesses.
"Je ne dis pas que je céderai facilement, murmura Hermès en serrant une des mains d'Apollon dans les siennes. Mais je suis prêt à te laisser une chance."
Le musicien sourit et déposa son front contre celui de son compagnon, s'autorisant à fermer les yeux et à laisser ces quelques mots se répéter encore et encore dans son esprit.
Une chance. Une nouvelle chance.
C'était ce qu'il attendait avec impatience, son souhait de Noël dernier. Et il était prêt à la saisir.
"C'est tout ce dont j'ai besoin, Herm…"
"Espèce de goujat ! Et Ambre, alors ? J'avais déjà des doutes lorsque Lisa est venue me rapporter votre discussion de l'autre soir, mais alors là !"
