Stiles s'accoutumait lentement mais sûrement à la vie au loft, tant et si bien qu'il avait dû envoyer un message à son père pour prolonger un peu son séjour. Pour lui, c'était plus simple. Il n'avait pas à s'inquiéter d'une potentielle rechute qui, à la maison, ne ferait que le mettre à terre. Ici, il avait conscience d'être épié, en quelque sorte surveillé… Mais ça lui allait, ça le rassurait. Il savait que, si par mégarde son esprit lâchait momentanément, Derek serait là pour le rattraper. N'était-ce pas ce qu'il faisait depuis le début de cette histoire ? Stiles se sentait perpétuellement fébrile et se demandait souvent s'il pouvait basculer de nouveau. Disons qu'il avait pris un peu de recul et que le souvenir de cette fameuse soirée dans la forêt, celle où tout aurait pu se terminer si Derek n'avait pas été là… L'horrifiait. Parce que s'il s'agissait de quelque chose qu'il avait vécu, d'un moment qu'il avait dirigé – mais pas digéré –, Stiles ne se reconnaissait pas dans ce jeune homme complètement perdu qui avait été prêt à se tirer une balle dans la tête.

Ainsi, il réapprenait doucement à s'accoutumer à la vie en elle-même et à chasser de sa tête l'idée même d'en finir. Il se souvenait encore de son attitude emplie d'arrogance, alors qu'il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour que Derek cesse de le protéger. Seulement quelques jours après, les choses avaient changé au point que Stiles avait totalement mis son ego de côté et acceptait pleinement ladite protection. Il ne le disait pas vraiment, mais chacun de ses gestes et chacune de ses attitudes le montraient. C'était quelque chose dont il avait besoin et… Il avait cessé de lutter contre.

Sa situation était d'autant plus supportable au loft que Derek était parfait pour assurer le rôle qu'il s'était lui-même confié et pour rien au monde Stiles ne demanderait à quelqu'un d'autre de l'exercer. L'ancien alpha n'avait pas sa langue dans sa poche et s'il avait quelque chose à dire, il n'hésitait jamais à l'ouvrir. Sa franchise légendaire rivalisait avec sa lucidité que Stiles trouvait d'une froideur rassurante : Derek voyait les choses telles qu'elles étaient et n'allait pas les embellir pour lui faire plaisir. Le jeune homme, avec du recul, était d'avis qu'il préférait que la vérité lui assène un bon coup avant de le laisser se relever plutôt que le mensonge bienheureux le berce pour ensuite le faire tomber de plus haut encore.

Alors voilà, Stiles voyait mal son propre père ou même Scott assumer un rôle qui, au final, n'allait bien qu'à Derek. Noah… Était quelqu'un d'assez fragile que l'hyperactif ne mettrait en danger pour rien au monde et au final… Il fallait avouer qu'il était assez heureux que Derek ne lui ait rien dit de sa tentative de suicide avortée. Car si Stiles n'avait aucune idée de la manière dont le shérif pourrait réagir, il savait toutefois que la chose était à craindre. Puis il connaissait son passif avec l'alcool, sa tendance à abuser un peu lorsqu'un moment de la vie lui paraissait difficile à encaisser ou un évènement, trop dur à avaler.

Quant à Scott… Outre le fait qu'il l'agaçait de temps à autres, Stiles était d'avis qu'il n'aurait tout simplement pas convenu. Ce n'était pas tant son côté maladroit qui le dérangeait, c'était… Enfin, de son point de vue, Scott n'aurait sans doute jamais eu le pouvoir de trouver les mots, de lui dire ce qu'il fallait pour qu'il se rende compte des choses. Sans doute se serait-il énervé un bon coup avant de revenir en arrière et d'aller dans son sens, juste pour rendre les choses plus faciles… Mais Stiles était quelqu'un qui avait besoin qu'on lui donne un bon coup de pied aux fesses tout en l'écoutant et en faisant l'effort de le comprendre.

Et même si, à la limite, Lydia aurait peut-être pu convenir, Stiles avait désormais la certitude que personne ne pouvait faire mieux que Derek à ce niveau-là. Il était… Parfait dans son rôle. Puis il avait ce calme naturel qui rendait toute chose plus douce et moins difficile à appréhender aux yeux de Stiles. C'était foutrement subjectif, mais il s'agissait de son avis et rien ni personne ne pourrait l'en faire changer.

Le seul hic, l'élément qui continuait de le déranger… C'était ce visage. Celui qui lui évoquait mensonge et douceur. Gentillesse et horreur. Claudia Stilinski, même morte, restait un paradoxe à elle toute seule, que la vérité ne faisait que compliquer.

D'une manière ou d'une autre, Stiles avait vu sa mère et l'avait senti lui faire du mal. S'il n'irait pas catégoriser cet épisode comme surnaturel, il était clair qu'il s'était passé quelque chose : que, d'une certaine manière, son inconscient avait essayé de lui faire passer un message. Il s'agissait sans doute d'une sorte de réaction à retardement… D'une façon pour lui de mettre à l'épreuve ses propres réactions, de les roder suffisamment pour finir par accepter l'inacceptable. La maltraitance si discrète qu'il y avait été aveugle et que rien… Non, rien ne lui avait permis de décoder. Parce que sa mère se comportait bien avec lui, c'était ça le pire. Il y avait juste ces quelques fois où la peur avait pris Stiles. Il était arrivé qu'il ne comprenne pas ce qu'elle faisait… Mais elle ne l'avait jamais frappé, jamais insulté, jamais dit de mots qui auraient pu lui faire comprendre qu'il n'avait pas été désiré – pas par elle, en tout cas.

Alors voilà, il voyait cette « apparition », cette réaction tardive à ce qui relevait pour lui du traumatisme… Comme quelque chose d'embêtant, mais sans doute nécessaire. Même si elle avait été sa mère, il devait cesser de l'idéaliser. Garder son image de mère aimante intacte serait plus malsain qu'autre chose. C'était un travail sur lui-même que Stiles devait continuer de faire s'il voulait s'en sortir et se débarrasser complètement du souvenir macabre qui avait pris possession de lui le soir où… Il avait décidé que les choses devaient s'arrêter là pour lui.

Si sa manière de penser avait changé, l'envie n'était pas complètement partie. Elle lui semblait latente, endormie et Stiles n'aimait pas ça, mais… Il sentait sa propre santé mentale fragile. Bancale. Les choses tendaient doucement à s'améliorer, simplement, en attendant… Il dépendait complètement de la surveillance de Derek.

Parce que Stiles n'avait plus vraiment confiance en lui-même. S'il avait cédé une fois, un rien pouvait le faire basculer à nouveau. Et l'apparition qui l'avait fait perdre les pédales dans la cuisine aurait pu avoir cet effet-là – le jeune homme en était certain. « C'est juste le choc », se répétait-il régulièrement. Un choc très tardif, certes mais à ses yeux, cela ne pouvait être rien d'autre.

Et à côté de cela, il aimait la vie et continuait de se dire qu'elle avait sans doute encore tout un tas de choses à lui offrir malgré tout.

- Une idée de ce qu'on pourrait manger à midi ?

Stiles releva la tête en direction de Derek. S'il avait bien découvert quelque chose avec cette histoire, c'était son côté gentil. Qu'il avait toujours deviné derrière cette manière particulière qu'il avait d'aider la meute tout en gardant un air fermé, mais qu'il ne faisait que constater depuis qu'il l'avait sauvé.

L'avoir dans son champ de vision le rassura et lui fit du bien. Il haussa les épaules.

- Tout ce que je sais, c'est que j'ai envie de manger bien gras et de me péter le bide.

Ce qu'il ne se permettait pas toujours, en tant qu'adepte de nourriture saine. Parfois, il se faisait plaisir – l'on connaissait son addiction pour les Curly fries – et là, c'était ce qu'il voulait. Était-ce une façon pour lui de combler un manque ? De réveiller complètement ses papilles gustatives pour les concentrer sur le plus agréable, éloignant ainsi un peu ses soucis de sa conscience. La nourriture faisait pour lui partie intégrante de sa guérison intérieure – si cela pouvait paraître un peu étrange, c'était une part intégrante de sa philosophie. Il ne mangeait jamais à outrance : simplement une dose exceptionnelle et surtout, bonne.

- Je suppose que ce que je pourrais te faire ne sera pas assez gras pour toi, fit Derek d'un air faussement indifférent.

Mais Stiles voyait bien la lueur rieuse dans ses yeux. Elle apparaissait souvent, ces derniers temps et l'hyperactif mentirait s'il disait que cela ne lui faisait rien.

- Tu peux toujours essayer de me surprendre, rétorqua-t-il, un léger rictus étirant ses lèvres. Mais pas sûr que tu y arrives.

L'humain continuait malgré tout d'aimer chercher le loup, sauf qu'il s'y prenait en ce moment d'une manière douce et presque… Complètement différente de ce qu'il avait eu l'habitude de faire. Néanmoins, cela ne lui déplaisait pas : il se rendait compte qu'il aimait susciter des réactions chez Derek, encore plus lorsqu'elles n'impliquaient aucune once de colère ou d'agacement. C'était comme s'il jouait avec lui… Et que l'ancien alpha en faisait de même – le tout, sans animosité aucune.

Il en viendrait presque à voir une forme de tendresse dans leurs échanges verbaux qui, s'ils n'étaient pas si nombreux que cela, restaient néanmoins bien plus récurrents qu'autrefois.

Et s'il vit Derek se crisper un peu, il mit ça sur le compte de la fin de sa tirade. Même s'il était beaucoup plus apaisé qu'avant en sa présence, le loup gardait un certain égo et ne devait pas apprécier, que ce soit une blague ou non, le fait qu'il mette en doute sa réussite.

En réalité, Stiles se trompait complètement et il ne se douta à aucun moment des pensées qui traversèrent l'esprit de Derek lorsque celui-ci rétorqua, une lueur particulière dans le regard :

- Je te surprendrai.