Une insulte, voilà de quoi il s'agissait. Suffisamment enveloppée de flatterie et de déférence pour se donner l'air de prestige, mais insulte néanmoins.
Oberyn avait essayé de faire comprendre cela à son lord et frère, seulement pour se voir opposer une fin de non-recevoir à ses objurgations de ne rien accepter des propositions de l'Usurpateur, à l'exception de la tête de Tywin Lannister et de ceux de ses chiens qui avaient si cruellement massacré Elia et ses enfants.
Elia.
Même trois ans plus tard, la douleur de la savoir partie de ce monde – et dans quelles circonstances – ne s'était pas atténuée. Les rudiments de médecine que le second prince de Dorne avait appris à la Citadelle l'informaient trop bien du pourquoi : tant qu'une plaie n'est pas correctement nettoyée, elle persistera à s'infecter, encore et encore, jusqu'à en faire crever le patient.
Rien ne guérirait la perte d'Elia si ce n'était la vengeance, et certainement pas une offre de mariage entre la jeune nièce d'Oberyn et le neveu à peine sorti des langes de l'Usurpateur.
Sur le papier, ça tombait sous le sens : les Martell avaient perdu une fille supposée régner aux côtés de son princier mari, alors Jon Arryn – ce ne pouvait être que lui, l'impression qu'il avait laissée à Oberyn lors du passage de celui-ci à Port-Réal pour récupérer les dépouilles de sa sœur et de ses neveux était celle d'un vieillard ayant trop vu de combat pour ne pas désirer la paix à tout prix – offrait un fils pour gouverner aux côtés d'une future Princesse de Dorne, un rejeton qui expierait les péchés de sa famille en consolant celle que les Barathéon avaient si cruellement meurtrie.
Comme si les humains se remplaçaient aussi simplement et facilement que les assiettes cassées. Si Oberyn ne méprisait pas déjà le jeu des trônes, c'était dorénavant assuré qu'il l'abominerait pour le restant de ses jours.
Le pire de tout était qu'il ne pouvait même pas évacuer sa colère sur les deux Barathéons supposés arriver pour les présentations officielles : après tout, Bruce Barathéon n'avait même pas été à proximité de Port-Réal lors du sac de la ville par les forces Lannister, ayant été laissé derrière à Pierremoûtier après avoir été blessé et décidant de ne pas rejoindre les forces de son frère après s'être rendu compte que la lady l'ayant réconforté lors de sa convalescence portait son enfant – le garçon même offert à Arianne comme fiancé.
Assez curieusement, la lady en question n'avait pas souhaité épouser le père de son enfant qui pourtant aurait été un beau parti, et l'était devenu plus encore une fois l'Usurpateur assis sur le Trône de Fer. À la place, elle s'en était repartie dans sa demeure ancestrale du Nid de Corbeaux, et aux dernières nouvelles avait convolé avec un marchand des terres de la Couronne point trop regardant sur la virginité de son épouse.
Le bambin résultant de l'aventure avait été légitimé par principe, au prétexte que même les Dorniens renâcleraient de laisser un bâtard se marier avec leur future Princesse. À titre personnel, Oberyn aurait encore préféré que le marmot conservât le nom Storm plutôt que de se présenter à Lancehélion en tant que Barathéon, mais personne ne l'avait consulté là-dessus.
Il ne voyait que de très rares points positifs dans tout ce désastre. Le premier, bien sûr, étant que le garçon n'était pas directement issu de Robert Barathéon – accueillir l'engeance de l'homme ayant traité ses neveu et nièce de frai de dragon, l'homme qui avait souri de voir sa sœur réduite à un cadavre fracassé, ça jamais. Merde à la diplomatie et à la faiblesse martiale de Dorne, Oberyn aurait sorti ses couteaux et son poison le plus virulent.
Le second était la jeunesse du bambin. À tout juste trois ans comparé aux dix d'Arianne, cela laissait une bonne marge de temps avant que les noces ne puissent avoir lieu – suffisamment de temps pour faire rendre gorge à l'Usurpateur. Ou à défaut de pouvoir recourir à ce plan, pour s'assurer que le futur mari de la nièce d'Oberyn grandirait pour devenir le genre d'homme qui ne mettrait pas Dorne en péril.
Dans un tel cadre, il était logique que Doran suggérât que son futur beau-fils serve en tant que page ou échanson dans sa maisonnée une fois en âge de comprendre et d'effectuer ses devoirs. Et c'était à cause de cette suggestion que Bruce Barathéon venait visiter sa future belle-famille.
Apparemment, le second frère cadet de l'Usurpateur ne leur faisait pas confiance – voyez-vous cela. Oberyn jugeait cette méfiance assez malvenue – elle aurait été tellement mieux dirigée contre les Lannister, que ledit Barathéon devait compter dans son arbre généalogique depuis que Cersei Lannister était devenue sa belle-sœur, le pauvre bougre.
Les fiançailles ne pouvant être rompues d'emblée – hélas – Barathéon avait conclu qu'il lui faudrait venir en personne inspecter Lancehélion et les Jardins Aquatiques, cela quatre ans avant que son rejeton ne vienne y demeurer, afin de cataloguer tous les possibles périls et adversaires que renfermaient les lieux. Des plus paranoïaques, vraiment, au point de frôler la grossièreté. Mais d'après les rumeurs courant sur le compte de Stannis Barathéon, peut-être n'était-ce pas si étonnant que son frère ne connaisse plus ses manières : grandir dans le voisinage de pareil triste sire ne pouvait que vous laisser des marques.
Et puis, après ce qui était arrivé à Elia – une princesse consort assassinée dans le château où elle aurait dû être la femme la plus protégée des Sept Couronnes – peut-être Barathéon avait-il un peu raison de se méfier. La majeure partie des lords et chevaliers de Dorne obéirait à Doran si celui-ci donnait un ordre ne leur plaisant pas – comme de tolérer un féal de l'Usurpateur parmi eux – mais beaucoup ne sont pas tous. Et il y avait toujours un sot qui se croyait plus malin que le reste des autres, pensant obéir à la lumière du jour et magouiller dans le noir sans se faire attraper tôt ou tard.
La veille de l'arrivée des Barathéon, après avoir nourri leur fille et l'avoir rejoint au lit, Ellaria avait décidé de le confronter ouvertement :
« Oberyn, aurais-tu l'intention de causer un esclandre demain, devant ton lord et frère et les vassaux de l'Usurpateur ? »
La tentative du prince de fuir la question en se cachant la tête sous l'oreiller avorta lorsque son amante de cœur lui arracha le coussin. Après quoi, il s'efforça de détourner son attention d'une manière nettement plus jouissive seulement pour qu'elle l'empêche de lui toucher les hanches.
« Ma réponse, Oberyn. Donne-la-moi et nous baiserons après si tu en as toujours envie, mais je veux une réponse. »
C'était ça qu'il admirait le plus chez Ellaria, autant que ça le contrariait à l'occasion : elle refusait de se laisser marcher dessus, peu importe la naissance de son interlocuteur.
Oberyn soupira.
« Si seulement je le pouvais. Mais j'ai le sang brûlant, ma douce, pas la tête vide bien que nombre de gens confondent les deux. Et Doran a menacé de m'envoyer au Mur dans le cas où je gâterais les présentations. »
Ellaria eut le culot de glousser, ce à quoi Oberyn fronça exagérément les sourcils.
« Comment oses-tu dérider pareil châtiment ? Un froid de gueux même au plus fort de l'été, rien à porter que du noir... »
« Et tous ces hommes frustrés » glissa son amante de cœur, « qui sait quels outrages ils infligeraient à un pauvre prince envoyé parmi eux… Toute une garnison rien que pour toi, ça devrait te rassasier pour un moment, non ? »
Le prince s'autorisa un sourire alors qu'elle commençait à lui caresser la poitrine.
« Deux jours, trois au plus » finit-il par juger.
Le rire d'Ellaria retentit brièvement afin de se changer en glapissement aussi surpris que contenté, et le restant de l'heure se fit bien plus joyeux.
