Bonjour à tous,
Un grand merci à CruelBrunette et GNTR96 d'être venus me laisser un mot sur cette histoire. Ça me touche toujours autant de constater que j'ai encore des lecteurs malgré mon rythme erratique. J'ai déjà répondu à CruelBrunette en MP, j'espère que vous partagez son avis sur mes choix pour le père de Micro-Ice. Je reviens d'ailleurs sur leur relation dans le chapitre qui suit, avec un peu plus de distance que lors du précédent.
GNTR96, faire de Tia et Micro-Ice un couple est une idée intéressante, ma foi. Je ne dirais pas qu'ils devraient être un couple, mais c'est vrai que ça pourrait marcher entre eux, pour peu qu'on leur donne des circonstances propices. Par contre, avec la direction que j'ai prévu de prendre pour chacun d'eux, je doute de pouvoir mettre ces circonstances en place, désolée.
Encore merci à tous ceux qui passeront une tête par ici, je suis navrée de vous avertir que le prochain chapitre se fera sûrement attendre un moment… Je vous souhaite à tous un bon mois de décembre, plein de chocolats chauds !
Sur ce, bonne lecture.
Chapitre 22 :
Nouveau Départ
Non coupable.
Non.
Coupable.
L'écho de ces deux mots résonnaient dans le crâne de D'Jok tandis que Thran, Ahito, Mark et Sinedd lui tapaient dans le dos ou lui pressait l'épaule.
Si la présence des trois premiers étaient attendues, que le quatrième ait proposé de l'accompagner avait surpris D'Jok. En bien. L'épreuve qu'ils avaient traversée, bien que sur des chemins parallèles, les avait rapprochés. Suffisamment pour vouloir se soutenir. Il avait accepté la proposition avec reconnaissance, avide de se sentir entouré lors de sa possible condamnation.
Son père ne pouvait pas mettre le pied dans un tribunal. Maya était coincée sur Akillian, à faire de son mieux pour assister les secours débordés et apporter les premiers soins aux blessés qu'on retrouvait en continu depuis les séismes. Micro-Ice et Mei étaient toujours à l'hôpital, bien sûr. Quant à Rocket et Tia, c'était comme s'ils avaient disparus, depuis leur retour de leur planète d'origine.
Dans un état second, il serra la main de son avocat, remercia le juge et sortit du tribunal, étonné de constater qu'il marchait sans tituber. Une réussite mise à mal par la tempête de flashs qui l'accueillit dès qu'il posa un pied dehors.
Déjà au courant du verdict final, les journalistes hurlaient leurs questions, avides d'être celui dont la voix porterait au-dessus du vacarme. Celui qui arracherait un mot du plus grand champion de la galaxie. Celui qui recueillerait la première interview d'une icône en passe de retrouver l'adulation de la foule.
Ses coéquipiers s'apprêtaient à tracer devant les papparazzis, comme à leur habitude. D'Jok se figea sur place. Ces dernières semaines avaient été parmi les pires de sa vie. Parce qu'il avait perdu deux personnes qui lui étaient chères, évidemment, mais aussi parce qu'on l'avait identifié comme LE coupable et qu'on lui avait fait payer. Il comprenait. Il comprenait d'autant plus qu'il s'était lui-même identifié comme LE coupable et qu'il s'était fait payer. Si sa popularité retrouvée avait une chance d'éviter qu'on fasse subir le même sort à quelqu'un d'autre, il comptait bien s'en servir.
Ses coéquipiers l'observèrent avec surprise s'avancer vers les flashs crépitants et les micros brandis. Le volume monta de plusieurs décibels, à son approche. Il attrapa une question au vol et se concentra sur le message qu'il voulait faire passer.
« Oui, je suis soulagé par le verdict, mais pas autant que de savoir que les enfants, Mei et Micro-Ice sont tous de retour auprès de leurs familles, en bonne santé. Je voudrais remercier toutes les personnes qui ont rendu ça possible, à commencer par le docteur Darin et le docteur Reevers, dont les compétences nous ont été d'un grand secour durant les recherches, à Thran et à Sinedd, qui étaient les deux seuls Snowkids à pouvoir les aider, à mes autres camarades et amis, qui m'ont soutenu et ont tous apporté une différence pour qu'on atteigne la résolution heureuse que nous connaissons aujourd'hui, et je voudrais tout particulièrement remercier les Tigres Rouges. »
S'il ne vit pas la réaction des quatre Snowkids qui l'avaient accompagné pour sa comparution, celle des journalistes ne se fit pas attendre. Ignorer les questions qu'on lui hurla subitement à la figure fut difficile.
« Lorsque leur capitaine a compris qu'il était responsable de la disparition, reprit-il en haussant la voix pour couvrir les exclamations, il nous en a immédiatement informés, sans se soucier des impacts sur sa carrière et sa réputation. Aussi, maintenant que nous avons retrouvé nos disparus et que nous savons qu'ils vont tous bien, je voudrais demander aux habitants de Zaelion de se souvenir davantage du courage dont à fait preuve Ezrel plutôt que de l'erreur qu'il a commise. »
Son discours était faux, il le savait. Les disparus n'allaient pas bien et Ezrel avait attendu d'être acculé avant de révéler ce qu'il avait fait. Peu importait. Son adversaire n'avait jamais voulu faire de mal à qui que ce soit, son père le lui avait assuré. La justice se chargerait de déterminer la punition à la hauteur de son acte. Le livrer à l'ire du peuple était une cruauté non nécessaire, qu'il ferait de son mieux pour éviter.
Il garda contenance le temps de rejoindre le véhicule qui devait les ramener à leur hôtel, puis s'éffondra sur la banquette, à l'abri derrière les vitres fumées. Les dernières montagnes russes d'émotion lui avaient coupé les jambes.
« Merci de m'avoir accompagné, les gars, souffla-t-il en fermant les yeux une minute. Je me sentais pas d'affronter ça tout seul.
- Si ça peut te rassurer, ça s'est pas vu, marmonna Ahito en s'étirant comme un chat. Je dirais pas que t'avais l'air à l'aise, mais tu faisais plus sérieux que stressé. Un tout nouveau D'Jok pour nos fans adorés. »
Il s'endormit sur le dernier mot, la tête appuyée contre l'épaule de son jumeau.
« C'était bien, ce que t'as dit sur les Tigres Rouges, poursuivit ce dernier en calant son cadet correctement sur son bras.
- Si c'est toi qui le dis, ça me rassure, répondit-il d'une voix lasse. Je brille plus sur un terrain que derrière un micro…
- Ça c'est vite dit, » rétorqua Sinedd avec un sourire en coin.
Sa pique tira un petit rire à D'Jok, mais il était trop fatigué pour chercher une répartie. Bercé par la voiture, il suivit d'une oreille distraite les échanges entre ses trois compagnons encore éveillés. Une annonce de Sinedd l'empêcha de rejoindre Ahito dans le camp des endormis.
« Oui, je les ai vus hier. Ils ont dit qu'ils se sentaient prêts à recevoir des visites des Snowkids, maintenant. C'est vrai qu'ils ont l'air d'aller mieux. Un peu, en tout cas. Ils ont encore l'air crevé, et Micro-Ice… »
Il haussa les épaules en soupirant. D'Jok continua la phrase dans sa tête. Micro-Ice avait un bras en moins. Et un père en plus.
Lorsqu'ils arrivèrent à leur hôtel, une nouvelle meute de journalistes se jeta sur eux. D'Jok renoua avec leurs bonnes vieilles habitudes : foncer tout droit sans s'arrêter jusqu'à rejoindre un lieu sûr.
Une fois dans le hall, il s'éclipsa, avide de s'effondrer sur son lit, mais Mark lui courut après tandis que les autres partaient manger au restaurant de l'hôtel.
« D'Jok, attends ! J'ai un truc pour toi.
- Un truc ? s'étonna-t-il.
- Ouais, je voulais pas te le donner avant le procès, t'avais d'autres choses en tête. Et je sais pas à quel point tu voudras garder tout ça pour toi, alors je voulais pas te le donner devant les autres non plus.
- Garder tout ça pour moi ? De quoi tu parles ? » demanda D'Jok en fronçant les sourcils.
Mark tâta ses poches avant d'en sortir une enveloppe froissée.
« C'est de la part de Nikki. »
Le nom lui causa un mouvement de recul instinctif. Sans pouvoir s'en empêcher, il leva un regard rempli d'une accusation douloureuse sur son camarade.
« Je sais, répondit ce dernier à son interrogation muette. Dit comme ça, c'est pas hyper engageant pour toi. Et je sais aussi que t'as d'autres chats à fouetter. Mais je t'assure que… Enfin, disons qu'elle est pas aussi garce qu'elle en a l'air. Je te demande juste de réfléchir un peu avant de jeter sa lettre sans la lire. Quitte à pas la lire tout de suite, d'ailleurs. »
D'Jok attrapa l'enveloppe à contrecoeur. Il pouvait au moins faire ça pour Mark.
« Tu sais ce qu'il y a, dedans ? demanda-t-il avec une pointe d'amertume.
- Des excuses, j'imagine. »
La réponse étonna le rouquin.
« Ouais, je sais, ça m'a fait le même effet. Mais c'est pour ça que je te dis qu'elle est moins garce qu'elle en a l'air. Y a sans doute pas que des excuses dans sa lettre, mais je serai vachement surpris qu'il y ait des accusations. »
Sur cette supposition, que D'Jok trouvait trop optimiste pour être vraie, Mark le quitta pour rejoindre les jumeaux et Sinedd.
Perdu dans ses pensées, il sursauta au « ting » de l'ascenseur. Ses yeux quittèrent l'enveloppe avec un air coupable, et il ressentit un soulagement déplacé en découvrant que la cabine était vide. Il s'engouffra dedans, pressé de rejoindre l'isolement de sa chambre.
Quand il atteignit cet espace protégé et que la porte se verrouilla derrière lui dans un vrombissement mécanique, il n'était pas plus avancé sur le sort à réserver à la lettre. Il s'affala sur l'immense lit d'hôtel avec un soupir las. Il en voulait à Mark de lui être tombé dessus comme ça, alors que les choses commençaient tout juste à s'arranger. Nikki lui avait fait du mal. Ce qu'elle lui avait balancé à la figure tournait et retournait dans sa tête sans qu'il arrive à s'en détacher. Parce qu'elle avait raison. Et qu'il savait qu'elle avait raison. Il s'était conduit comme un connard, durant son épisode paradisien. La désigner comme bouc émissaire ne risquait pas de redorer son blason.
La mort dans l'âme, il se décida à décacheter l'enveloppe.
D'Jok,
Je suis désolée. Je ne voulais pas dire tout ce que j'ai dit lors de nos deux dernières rencontres et je ne le pensais pas. Tu n'es pas médiocre et je comprends que tu me considères responsable d'une bonne partie de ce qui s'est passé à Paradisia.
Lord Phénix s'est montré opportuniste, c'est vrai. Tu étais fragile psychologiquement, c'est vrai. Je pense que sa proposition n'avait rien de déplacée, mais je comprends que ce ne soit pas ton cas.
Je veux que tu saches que j'étais vraiment heureuse de jouer dans ton équipe, à ce moment-là. Parce que tu nous apportais de la notoriété, mais aussi parce que je t'admirais en tant que joueur. Être ta coéquipière, c'était une chance inouïe.
L'hypnose, c'est un sujet épineux. Bon, ok, c'était un coup bas. Ne pas vouloir nous aider à gagner jusqu'au bout, c'était un peu un coup bas aussi, mais ça restait ta décision et on aurait dû la respecter.
Quant au baiser… Je te l'ai dit, je t'ai embrassé parce que j'en avais envie. Je me doutais qu'on nous verrait et que ça ferait la Une des tabloïds, mais ce n'était pas une question de gloire, pour moi. Plutôt une opportunité de t'empêcher de faire comme si rien ne s'était passé ensuite. Je savais que tu pensais encore à Mei. Je voulais que ce ne soit plus le cas. Je croyais que t'embrasser devant témoins m'aiderait. De toute évidence, je me suis plantée.
Ce que j'essaie de dire, c'est que je ne pense pas avoir que des torts dans tout ce qui s'est passé, mais c'est pareil pour toi.
Tu as quitté ton équipe lors d'un tournoi alternatif, et puis après ? Des tas de joueurs l'ont fait. Mei l'a fait. Tu l'as peut-être fait pour des raisons vaseuses, mais ça te regarde, les autres ont pas à te juger.
Tu as révélé une faiblesse critique d'Ahito, et puis après ? T'étais son adversaire et t'avais une arme pour gagner, c'est le jeu. S'il a un tic que peut lui coûter la victoire, c'est à lui de le corriger, pas aux autres de l'ignorer.
T'as embrassé une fille devant les caméras juste pour rendre ton ex jalouse, et puis après ? Je le savais, j'étais prête à faire avec et l'initiative venait de moi. Je peux pas dire que j'espérais pas autre chose, mais ça aussi c'est le jeu. Si je n'ai pas ce qu'il faut pour te faire tirer un trait sur ton ex, eh bien, tant pis pour moi. Je prends ce que je peux prendre et merde au reste.
Je ne veux pas que tu te détestes à cause de moi. En ce qui me concerne tu n'as rien à te reprocher. Je ne veux pas que tu me détestes non plus, mais pour ça, j'ai encore des progrès à faire, je crois…
Bref, tout ça pour dire que j'aimerais bien te revoir. Je suis à peu près sûre de réussir à me tenir si tu ne m'insultes pas d'entrée de jeu. C'est que je me vexe vite, quand on place mon mauvais caractère avant ma gueule d'ange. Si ça t'intéresse, je serai au Bar du Bout du Monde vendredi soir. Si tu ne viens pas, eh bien, je comprendrai le message et je te foutrai la paix.
Ta perverse narcissique préférée (j'espère),
Nikki
Quand il acheva sa lecture, D'Jok avait envie de rire et de pleurer en même temps. Lire tout ça… Ça lui faisait du bien, et ça lui foutait le cafard en simultané. Nikki était peut-être en train de lui dire qu'il ne s'était pas comporté comme un connard sur Paradisia – une position que peu de gens partageaient – mais dans ce cas, il s'était comporté comme un connard avec elle ces derniers jours. Ces derniers jours et avant.
Je t'ai embrassé parce que j'en avais envie et mes raisons ne regardent que moi.
Et lui, pourquoi il l'avait embrassée ? Pour rendre Mei jalouse ? Il ne savait même plus. La seule chose qu'il savait, c'est qu'il était temps de prendre ses responsabilités et de cesser de se comporter comme un connard.
Un échange de sms plus tard, il avait récupéré le numéro de Nikki auprès de Mark. Il lui écrivit sans attendre, pour ne pas se dégonfler.
Salut Nikki, c'est D'Jok.
Il appuya sur Envoyer sans se laisser le temps de réfléchir. Il le regretta aussitôt, mais resta convaincu que c'était la meilleure chose à faire.
Merci pour ta lettre.
Ça, au moins, il pouvait le dire en étant sûr de ne pas se tromper. Peu importe ce qu'on pensait de son contenu, Nikki avait été sympa de l'écrire.
J'aurais pas dû te parler comme je l'ai fait.
Ça aussi, il avait peu de chance de regretter de l'avoir écrit. Quand bien même cette lettre ne serait qu'un piège cruel, et Nikki s'avèrerait bel et bien aussi garce qu'elle en avait l'air, c'était pas une raison pour s'abaisser à ce niveau.
Les difficultés commençaient là. Une fois qu'il avait évacué les évidences, qu'est-ce qu'il était censé répondre au reste de son message ?
Il écrivit, effaça et réécrivit une bonne quinzaine de fois son sms suivant. Et dire qu'il détestait les gens qui envoyaient plein de petits textos au lieu de tout dire d'un bloc…
Au bout d'un temps beaucoup trop long, il se décida enfin à appuyer sur la touche d'envoi pour la dernière fois de la journée.
M'attends pas vendredi soir. Je suis pas prêt à te parler pour le moment. Il s'est passé trop de choses, j'ai besoin de faire le tri dans ma tête. Désolé.
Pas terrible, mais il ne ferait pas mieux. Pas ce jour-là, en tout cas.
Il s'apprêtait à jeter son holophone sur la table de chevet lorsque l'appareil vibra dans sa main. Son ventre se serra à l'idée que Nikki lui avait déjà répondu et il songea qu'il aurait mieux fait d'attendre le milieu de la nuit pour lui répondre, histoire d'éviter ça. Il n'était pas prêt à lui parler, ça incluait les échanges de messages.
Il voulut poser son holophone sans lire son message. Une curiosité malsaine l'en empêcha.
Merci de m'avoir répondu.
C'était tout. Pas de demande d'explication, pas de marchandage, juste un accusé de réception et des remerciements. De quoi lui faire encore un peu plus regretter son comportement.
Avec un soupir fatigué, il lâcha enfin son portable sur la table de chevet et s'effondra en plein sur son lit. Il n'était pas tard, pas encore vingt heures, et il n'avait pas mangé. Il sombra dans le sommeil comme une pierre.
Quand il émergea le lendemain, il était midi passé. Il contempla l'heure pendant une bonne minute, incapable de croire qu'il avait dormi aussi longtemps. Depuis que l'holotraineur s'était ouvert sur dix personnes manquantes, ses nuits n'avaient pas dépassé les quatre heures d'affilée. À croire que, même s'il restait une tonne de problèmes en suspens, son corps avait décidé que tout allait bien maintenant que le procès était derrière lui. Une culpabilité étrange le saisit lorsqu'il en arriva à cette conclusion. Comme s'il n'avait pas le droit d'aller bien. Pas encore, en tout cas.
Il se leva avec difficulté, encore pâteux de cette nuit impromptue qu'il avait passée tout habillé, et plongea sous la douche. Le jet d'eau brûlant lui éclaircit l'esprit. Il réalisa deux choses. Il avait peur de voir Micro-Ice, et il ne se pardonnerait pas s'il n'y allait pas dès maintenant. Ces derniers jours, il s'était caché derrière son jugement et derrière le fait que Mei et lui ne se sentaient pas prêts à recevoir des visites. Son jugement était passé – sur un verdict positif – et Sinedd avait confirmé que leurs coéquipiers avaient cessé de filtrer l'entrée de leur chambre.
Il faillit renoncer à manger pour s'interdire de repousser, mais son dernier repas remontait à plus de douze heures et il avait le ventre tellement noué à ce moment-là qu'il n'avait presque rien avalé. Il choisit un plat à emporter au hasard au restaurant de l'hôtel, qu'il mangea dans l'holocab sur le chemin de l'hôpital.
À chacun de ses séjours sur le Genèse Stadium, il avait toujours fait la plupart de ses trajets à pied. Parce qu'il aimait marcher, et surtout parce qu'il aimait signer des autographes. Ce moment où de parfaits inconnus s'arrêtaient, fronçaient les sourcils, écarquillaient les yeux et se précipitaient vers lui, c'était un de ceux qu'il préférait depuis qu'il était devenu une star du Galactik Football.
Tout avait changé avec la disparition. Il s'était mis à craindre l'instant où on le reconnaitrait dans la rue. À craindre le regard plein de mépris, de dégoût ou de haine qu'on lui jetterait. Il n'était plus D'Jok, l'attaquant star de la meilleure équipe de la galaxie. Il était D'Jok, le prof de foot raté qui avait causé un traumatisme chez les enfants qui avaient été assez fous pour lui faire confiance. Peut-être que la révélation du rôle des Tigres Rouges changerait quelque chose. Peut-être pas. L'avenir le dirait. En attendant il prenait le taxi.
Taxi qui finit par s'arrêter devant l'hôpital. Une bouffée d'angoisse lui colora les joues tandis que D'Jok se disait qu'il resterait bien à l'abri du véhicule. Après un temps suffisamment long pour intriguer le conducteur, il s'extirpa de l'habitacle et pénétra dans le bâtiment d'une démarche flageolante. Il connaissait déjà le numéro de chambre de Micro-Ice et évita avec soulagement d'attendre un accès à l'accueil. La dernière chose dont il avait envie était de patienter au milieu d'un lieu fréquenté. Enfin, l'une des dernières choses dont il avait envie.
La boule dans son ventre doubla de volume alors qu'il attendait que l'ascenseur le dépose au bon étage. Elle tripla quand il posa la main sur la poignée de la chambre de Micro-Ice.
« Ben alors ? On t'a jamais appris à frapper aux portes ? »
Elle s'évanouit dès qu'il entendit cette voix qui lui avait tant manqué faire une de ces vannes qui ne lui avaient pas manqué du tout mais qui lui donnait l'impression que le monde se remettait enfin à tourner rond maintenant qu'il l'entendait.
« On t'a pas appris à parler, non plus ? »
Pendant un instant, D'Jok crut que son cerveau avait cessé de fonctionner. Il avait envie de rire, de pleurer, de serrer son meilleur ami dans ses bras et de l'insulter en même temps.
« Putain, Mice, finit-il par murmurer. Tu sais pas à quel point ça fait du bien de te revoir.
- Ah, si, ça je le sais très bien. Après tout, je suis l'incroyable, que dis-je, le mirifique Micro-Ice ! Évidemment que me revoir provoque l'émotion la plus exceptionnelle qu'on puisse ressentir. »
C'est là que D'Jok comprit. Que c'était du flan. Que son meilleur ami allait mal. Parce qu'il ne brandissait qu'un seul bras vers le ciel. Parce qu'il souriait mais que ses yeux ne riaient pas. Une seconde plus tard, D'Jok l'avait pris dans ses bras.
« Non, tu sais pas, Mice. Même avec ton penchant pour l'exagération, t'es à des années-lumière de la vérité. »
Au début, il crut que son ami allait le repousser. Qu'il allait continuer à fanfaronner, ou peut-être se mettre en colère. Dur à dire. À une époque il aurait su. À une époque, il se serait vanté de connaître Micro-Ice par cœur. La disparition avait tout changé.
Puis le petit brun referma des bras hésitants autour de lui et D'Jok eut l'impression qu'une enclume s'envolait de ses épaules.
« Faut pas me faire ça, D'Jok, murmura-t-il. J'ai déjà bien assez pleuré ces derniers jours, j'ai pas la moindre envie de continuer.
- J'te l'fais pas dire… »
Quand ils se lâchèrent enfin, ils savaient tous les deux qu'il y avait quelque chose de différent entre eux. Pour la première fois depuis des jours, c'était quelque chose qui paraissait surmontable.
« Paraît que t'as rencontré mon père ? »
La question posée de but en blanc surprit D'Jok.
« Euh, oui, bredouilla-t-il. Il est… »
Il était quoi ? Il ne pouvait pas dire « gentil » ! On ne disait d'une personne qu'elle était gentille que lorsqu'on ne trouvait rien de mieux à dire sur elle ! C'était la pire chose à dire !
À son grand étonnement, Micro-Ice pouffa de rire devant sa détresse.
« Il fait cet effet à beaucoup de monde !
- Pourquoi tu m'as jamais parlé de lui ? »
La phrase était sortie toute seule. D'Jok réalisa tout de suite qu'il n'aurait jamais dû la poser, à la crispation dans les épaules de Micro-Ice.
« Tu m'en veux ? »
Son ami l'interrogeait avec un sourire. D'Jok ne s'y trompa pas. Il prit le temps de réfléchir à sa réponse.
« Non, je t'en veux pas. J'ai juste peur de découvrir que c'est à cause de moi. Parce que tu pensais que je me moquerai, ou quelque chose comme ça. »
Le sourire de Micro-Ice prit une teinte plus triste. Plus réelle, aussi.
« On avait six ans, D'Jok. Je pensais qu'Akillian tout entier se moquerait de mon père. Et après… Je sais pas. C'est devenu impossible de faire marche arrière. Encore plus quand j'ai appris que t'étais le fils de Sonny Blackbones.
- Qu'est-ce que Sonny vient faire là ? réagit D'Jok.
- Oh, allez, je suis sûr que même un roux peut tirer la bonne conclusion. Sonny, c'est mon père comme j'aurais rêvé qu'il soit. Un scientifique indépendant qui étudie les Fluides, et qui est cool, un meneur d'hommes, qui fait bouger les choses, tout en faisant toujours passer son fils en premier. Pendant longtemps, Sonny c'était le père que je voulais avoir. Et voilà que c'était ton père à toi, alors que tu me laissais déjà sur le carreau dans à peu près tous les domaines !
- Mice…
- Arrête. J'ai pas besoin de t'entendre dire que j'ai pas à penser comme ça. Je pense plus comme ça. Mon père est comme il est, il a beaucoup de défauts, mais c'est pas forcément un moins bon père que le chef des pirates qui disparaît toujours par monts et par vaux. Sauf que j'ai pensé comme ça. C'est un truc qui changera jamais. Et c'est pour ça que je t'ai jamais parlé de mon père. C'est à cause de moi. Parce que j'étais trop lâche pour me confronter à toutes ces choses horribles que j'ai pu penser. Et que je savais que je serai obligé de le faire si quelqu'un me demandait « Pourquoi tu m'as jamais parlé de ton père ? ». »
Il criait presque, en atteignant la fin de sa tirade. Incapable de trouver une parole réconfortante, D'Jok ne put que répéter la question que lui avait posée Micro-Ice :
« Tu m'en veux ? »
Pendant un instant horrible, il crut que son ami allait lui jeter un oui plein de hargne à la figure. Puis la rage déserta le visage du petit brun aussi vite qu'elle était arrivée.
« Non, je t'en veux pas, soupira-t-il. Ni pour ta question, ni pour ce qui s'est passé. Je suis en colère que ça soit arrivé, c'est tout.
- Je suis désolé.
- Je viens de te dire que je t'en voulais pas, s'agaça Micro-Ice.
- T'as qu'à te dire que je m'en veux pour deux.
- Sérieux D'Jok, t'es obligé de –
- Je m'en veux de t'avoir donné l'impression que je te laissais sur le carreau dans à peu près tous les domaines ! » le coupa-t-il, sans lui laisser l'occasion de se mettre en colère.
Micro-Ice le dévisagea, les sourcils froncés, comme s'il hésitait entre exiger qu'il la boucle et le laisser étaler ce qu'il avait sur le cœur. D'Jok n'attendit pas qu'il se décide.
« Je m'en veux parce que t'es mon meilleur ami depuis aussi loin que je me souvienne et que ça m'a pas empêché de te laisser croire que j'étais meilleur que toi.
- D'Jok… essaya de l'arrêter un Micro-Ice excédé.
- Non, laisse-moi finir ! Je sais que tu n'as plus de complexe de ce genre depuis un bout de temps. Mais je savais aussi que tu avais ces complexes quand on était ados et j'ai rien fait pour te sortir ces idées de la tête. J'étais content que tu aies des complexes de ce genre parce que ça me rassurait sur ma propre valeur ! Des pensées horribles auxquelles j'ai pas envie de me confronter, j'en ai plein la tête. La dernière en date, c'est que je t'en ai voulu d'avoir disparu et de pas être là pour moi quand je devais gérer toute cette merde parce que… Parce que c'était un putain d'enfer et que je fais que de la merde si t'es pas là pour me remonter le moral quand je suis au fond du gouffre ! Et je sais, JE SAIS, que c'était encore plus dur pour toi là où t'étais ! Résultat, j'ai pas été foutu de servir à quoi que ce soit, c'est tout juste si j'ai évité de finir en taule, alors que toi… Tous les gosses vont bien ! Grâce à toi, grâce à Mei et toi, ma vie est pas bousillée sans espoir de retour ! Vous êtes des héros ! Alors que j'ai passé notre adolescence à te laisser croire que je te laissais sur le carreau dans à peu près tous les domaines !
- C'est bon, t'a dégueulé tout ce que t'avais sur le cœur ? »
Son ami n'avait plus l'air en colère. Il n'avait pas l'air compatissant non plus.
« Ouais, répondit D'Jok d'une voix fatiguée. Ouais, j'ai fini.
- Cool, parce que, vraiment, j'en ai rien à branler. »
D'Jok éclata de rire à cette annonce nonchalante.
« Je pensais pas que ça te ferait marrer, tiens, s'étonna Micro-Ice.
- Tu préfèrerais que je m'énerve ? demanda D'Jok avec un sourire las.
- Pas vraiment non, déclara le petit brun en haussant les épaules. J'ai juste la flemme de me lancer dans un concours de qui est le plus misérable.
- Je cherche pas à faire un concours. En fait… Je sais pas. J'ai juste la trouille de dire le truc qui faut pas.
- Du coup tu balances plein de trucs borderlines histoire que j'oublie de péter un câble sur celui que je veux vraiment pas entendre ?
- Ça ou j'essaie de me saboter par pur masochisme. Ou parce que je me sens tellement minable en ce moment que je suis sûr de pas être à la hauteur pour te soutenir.
- Attention.
- Pas de concours, ouais, désolé. Je suis content de te retrouver, Mice.
- Ouais. Moi aussi je suis content de te retrouver, Jok. »
Cette phrase n'effaçait pas la distance, mais elle aidait à la relativiser. Avec elle, D'Jok reprenait un peu d'espoir en l'avenir. Puis, alors qu'il se demandait quel sujet sans intérêt il pouvait mettre sur la table, quelque chose qu'il n'avait pas prévu arriva.
« Comment va l'homme le plus sexy de la galaxie ? »
Mei était entrée dans la pièce.
« Oh, désolée, je voulais pas vous interrompre. »
Qu'est-ce qu'elle était maigre.
« T'inquiète pas pour lui, c'est qu'un roux. De la galaxie seulement ? »
Qu'est-ce qu'elle était belle.
« Je me suis dit que tu ne me croirais pas, si j'en faisais trop. »
Ses yeux paraissaient encore plus grands qu'avant.
« Comme si on pouvait trop en faire en parlant du grand Micro-Ice ! »
Son rire était toujours aussi mélodieux.
« Dis donc, Jok, Maya t'a jamais dit que c'était malpoli de dévisager les gens ? »
Le rouquin sursauta comme un enfant pris en faute, et la brûlure sur ses joues le laissa supposer que ses cheveux n'étaient pas les seuls à être rouge vif.
« D… Désolé. Je m'attendais pas à te voir, c'est tout.
- Pour te mettre à jour, D'Jok pense qu'on est des héros et nous remercie d'avoir évité que sa vie soit bousillée.
- Eh bien, c'était un plaisir, D'Jok. Évidemment, c'est faux et c'était un enfer absolu.
- Euh, ouais je… j'imagine. Je… suis content de te revoir, Mei.
- T'es sûr ? Tu fais une tête tellement bizarre, je commence à croire le contraire. »
Sa moue vexée lui tira un rire.
« Oui, je suis sûr que je suis content de te revoir. »
Il se força à s'arrêter là. À ne pas lui dire qu'il avait eu peur pour elle, qu'il avait encore peur pour elle, qu'il était prêt à tout pour l'aider à aller mieux, qu'il était prêt à tout faire pour elle tout court.
Ce n'était plus son rôle. Mei ne lui avait laissé aucun doute sur ce point. Ni quand elle l'avait plaqué, ni quand elle l'avait remplacé par Sinedd. Alors il ne lui dirait pas qu'il crevait d'envie de la prendre dans ses bras, de se noyer dans ses cheveux bien trop longs et de ne plus jamais la lâcher. Il ne lui dirait pas que ne pas pouvoir le faire lui laissait un goût amer dans la bouche et que savoir que Sinedd l'avait fait à sa place lui déchirait le cœur.
« Je suis content de te revoir, » répéta-t-il à mi-voix.
Au regard que Mei lui lança, il devina qu'elle n'était pas dupe et qu'elle avait une bonne idée de ses sentiments véritables.
« Si on te demande de virer deux des gosses de ton école, tu peux le faire ? »
Arraché à ses ruminations par un Micro-Ice qui savait sans doute très bien ce qui se passait dans sa tête, D'Jok fronça les sourcils.
« L'école va sûrement fermer, tu sais.
- Tu pourrais les virer avant quand même, » surenchérit Mei, un éclat farouche dans le regard.
D'Jok cherchait encore la réponse à donner lorsque la porte s'ouvrit pour la deuxième fois sur une personne qu'il ne s'attendait pas voir.
« Excusez-moi, euh…
- Tiens ? Allez-y Sharky, entrez ! s'exclama Micro-Ice avec surprise.
- Vous êtes sûrs ? Je ne voudrais pas déranger. Je pensais que vous étiez seul…
- Nan, ben ouais, allez-y. Sauf si… Vous voulez que D'Jok s'en aille ? Je le mets dehors sans soucis, hein !
- Hé ! »
Micro-Ice lui retourna un immense sourire et son ami oublia d'être atteint par la proposition.
« Non, pas besoin, je voulais juste… »
Le journaliste se ratatina sur place, ses oreilles rabattues sur les côtés de son visage.
« C'est mon appareil photo, avoua-t-il, son œil unique tremblotant. Je croyais que les médecins l'avaient pris quand on est arrivé, mais je leur ai demandé et… Ils ne savent pas où il est. Je voulais vous prévenir au cas où… Pour que vous ne pensiez pas que… Que c'est moi qui aie vendu les photos à la presse. »
D'Jok faillit lui lancer que son numéro de charme ne marcherait pas sur eux, mais Mei posa une main sur l'épaule du Cyclope et son accusation mourut dans sa gorge.
« Ne vous inquiétez pas Sharky. On ne croira pas ça. Ni nous, ni les enfants. »
Le journaliste lui retourna une expression de reconnaissance pure.
« Vous savez depuis quand il a disparu ? Il est peut-être juste resté à l'Académie ? »
D'Jok hocha la tête en signe de dénégation face aux trois regards pleins d'espoirs. Tout était allé si vite quand les disparus s'étaient matérialisés au milieu de la salle d'entraînement. D'abord il n'avait vu que les silhouettes inanimées au sol puis, bien vite, il n'avait vu que le sang qui s'échappait du moignon de Micro-Ice. Sur le moment, il n'était pas en état de repérer un appareil photo. Une fois leurs « retrouvés » pris en charge, il avait vite confirmé que la seule chose qui restaient d'eux dans l'Académie étaient les traces de sang séchés.
« Tant pis, on y peut rien, conclut Mei en haussant les épaules. Avec un peu de chance, il est resté là-bas et on vous en offrira un autre. Dans le cas contraire, ajouta-t-elle d'une voix lugubre, on détruira l'enfant de salauds qui vous l'a volé alors que vous étiez en urgence médicale. »
D'Jok avala sa salive en l'entendant faire cette menace. Il ne fut pas le seul.
Il quitta l'hôpital peu après, soulagé d'avoir sauté le pas, mais mitigé quant au résultat obtenu.
Il retourna à l'hôtel avec un nouveau taxi, s'isola à nouveau dans sa chambre et appela son père. Sonny ne répondit pas. Il était sans doute encore dans une zone trop risquée pour les communications. D'Jok repensa à ce que Micro-Ice lui avait dit. Il avait sûrement raison. Le docteur Darin n'était pas un moins bon père qu'un chef des pirates injoignable la moitié du temps. Il n'était pas un meilleur père non plus. Il était ce qu'il était. Comme Sonny.
À la place, il appela Maya. Il parla longtemps avec elle. De son jugement, de Micro-Ice, de l'avenir de l'Académie. Il ne parla pas de Mei. Il n'était pas prêt pour ça.
Il ressortit de sa chambre dans la soirée pour rejoindre celle des jumeaux. Sinedd était avec ses parents, Mark avec Nina, Tia et Rocket toujours portés disparus. Ils mangèrent donc tous les trois. Des burgers gras à souhait devant une saga de films sans intérêt, à critiquer les acteurs et à rire du scénario. D'Jok passa une bonne soirée. La première depuis bien longtemps. Elle aurait été parfaite si Micro-Ice avait été présent pour rire avec eux. Ce serait pour une prochaine fois. D'Jok pouvait l'espérer sans avoir à se bercer d'illusions, désormais.
Les jours suivants se déroulèrent sans heurt. Il confirma à Yuki et Zoelin, mal à l'aise, que Micro-Ice allait à peu près bien et qu'elles pourraient sûrement aller le voir si elles le souhaitaient. Il passa une bonne soirée au bar de l'hôtel – il ne se sentait pas encore le courage de flâner dans un lieu public – à boire un verre avec Mark, Sinedd et Ahito, qui excusa son jumeau sans donner d'explication quant à son absence. Il accompagna un Rocket particulièremet éteint pour rendre visite à Aarch et faire semblant de s'éveiller devant son nouveau-né. Il accueillit avec surprise l'annonce que lui fit Tia en privé, quant à sa décision de retourner sur Akillian pour aider les opérations de secours, et promit d'en informer les autres sans oser demander pourquoi elle ne s'en chargeait pas elle-même. Il renouvela ses visites à Micro-Ice et Mei.
Le vendredi soir arriva sans qu'il l'ait vu approcher. Lorsque la porte du Bar du Bout du Monde s'ouvrit sous sa poussée, il se demandait encore à quel moment il avait décidé de le rejoindre. Il avait prévenu Nikki qu'il ne viendrait pas, aucune chance qu'elle soit en train de l'attendre.
Sauf qu'elle l'attendait bel et bien.
Il la repéra, assise à une petite table près d'une fenêtre. Un verre rempli à ras bord d'un liquide ambré était posé devant elle. Le menton appuyé sur sa main, elle était tournée vers l'extérieur, le regard perdu sur le paysage artificiel du Genèse.
Elle avait parlé de sa gueule d'ange, dans sa lettre. Ce n'était pas une exagération. Quoi qu'on pense d'elle, Nikki était une belle femme. Elle avait plus de formes que Mei. Une poitrine plus généreuse et des hanches plus larges. Elle était plus petite que Mei, aussi, même si ce n'était pas visible pour le moment. Son profil altier se découpait sur le mur sombre derrière elle. Elle dégageait la même forme de fierté que Mei, qui donnait l'impression qu'elle prenait les autres de haut quand on ne la connaissait pas encore. Ses boucles opulentes cascadaient sur ses épaules, leur couleur blonde rehaussée par la boucle d'oreille violette qu'il distinguait à son oreille.
Boucle qui dansa quand elle tourna la tête vers l'entrée du bar, d'où il la dévisageait depuis une bonne minute.
Elle se tendit en le remarquant. D'Jok le remarqua à la façon dont elle se redressa sur son siège. Un sourire fleurit sur ses lèvres roses, comme une invitation à s'approcher. Le rouquin s'avança d'une démarche mal-assurée.
« Salut Nikki. »
Elle leva son verre à son intention.
« D'Jok. Je suis surprise de te voir. Tu avais dit que tu ne viendrais pas. Ôte-moi tout de suite d'un horrible doute : tu ne m'as demandé de ne pas t'attendre parce que tu avais déjà prévu un rendez-vous avec une autre fille dans ce même bar ? »
Sa supposition pince-sans-rire lui arracha un sourire.
« Nope, pas de rendez-vous pour moi. Ni avec une fille, ni avec un garçon.
- Tu m'en vois ravie. Tu veux t'asseoir ? »
D'jok contempla la chaise qu'elle lui désignait. Il ne savait pas de quoi il avait envie. Quitte à être venu jusque-là, il songea qu'il ferait aussi bien d'aller au bout de l'expérience et accepta le siège.
« Qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ? » l'interrogea Nikki avant de prendre une gorgée de son verre.
Le Snowkids regretta de ne pas avoir commandé quelque chose avant de venir s'installer. Il ressentait le besoin désespéré de s'occuper les mains.
« Je ne sais pas trop, avoua-t-il. Je n'ai pas vraiment réfléchi. Je ne pensais pas que tu serais là, à vrai dire. Vu que je t'avais dit de ne pas venir. »
Nikki souffla du nez au-dessus de sa boisson.
« Je te dirais bien que j'ai pas vraiment réfléchi non plus, mais ce n'est pas vrai. J'espérais que tu viendrais. Je suis une incorrigible optimiste. »
D'Jok se surprit à sourire.
« Je ne sais pas comment tu fais. Je t'ai pas donné beaucoup de matière pour voir les choses du bon côté.
- Ne dis pas ça. Depuis que je te connais, expliqua-t-elle en comptant sur ses doigts, tu as accepté de rejoindre mon équipe, tu m'as laissé t'embrasser et tu es venu à ce rendez-vous. Je t'accorde que tu as aussi quitté mon équipe, qu'on s'est balancé des accusations salées à la figure et que tu as dit que tu ne viendrais pas à ce rendez-vous, mais ça n'est jamais qu'un bilan neutre.
- Tu triches, on s'est pris la tête deux fois. Mais bon, c'est mon truc, ça. Mes histoires commencent toujours en drama. J'espère juste qu'elles ne vont pas toujours finir en drama aussi… »
Cette remarque s'adressait à son histoire avec Mei. À la façon dont elle l'avait d'abord manipulé pour l'éloigner de Micro-Ice et prendre un poste d'attaquante au sein des Snowkids. D'Jok ne regardait pas Nikki en la prononçant. Quand il releva enfin la tête, confus de s'être laissé emporté par les souvenirs, il croisa le regard de la paradisienne et réalisa ce qu'il venait de dire.
« Pardon ! Je voulais pas dire que… Je pensais pas à toi et moi, je… bafouilla-t-il en se sentant rougir.
- Tu pensais à Mei, c'est ça ? »
Il se mordit la lèvre et détourna les yeux.
« Je suis touché que tu t'intéresses à moi même après tout ce qui s'est passé. Et je te trouve intéressante aussi. Mais j'ai pas encore tourné la page, avoua-t-il à mi-voix. Ce serait injuste envers toi de te laisser croire le contraire.
- N'insulte pas mon intelligence, s'il te plaît. Je sais très bien que tu penses encore à Mei. Et ce que je sais aussi, c'est que si tu me laisses ma chance, je te la ferai oublier bien assez vite. »
Elle planta un ongle manucuré dans son torse, conquérante. D'Jok étudia son visage.
« Ça te gênerait vraiment pas ? demanda-t-il avec gravité. D'être une relation pansemant ?
- Je suis une opportuniste, D'Jok. Je prends ce qu'on me donne et j'en tire le meilleur. Et je ne suis pas du genre à regretter mes choix dans les rares cas où le résultat n'est pas à la hauteur de ce que j'espérais. »
Ses yeux bleus brillaient d'une détermination brûlante. Le Snowkids ne parvint pas à s'en détacher.
« Si j'essaie à nouveau de t'embrasser, tu me laisseras faire ? »
D'Jok sentit une onde de chaleur se répandre dans sa poitrine, depuis le point où elle l'avait touché. Au bout de plusieurs longues secondes, il hocha la tête, son regard toujours rivé au sien.
La chaise de Nikki glissa sur le sol pour se rapprocher de la sienne. D'Jok crut que le temps ralentissait quand elle pencha son visage vers le sien. Une mèche de cheveux cendrés glissa et s'accrocha dans les motifs de sa boucle d'oreille. Le Snowkids avala sa salive, saisit d'une nervosité qu'il n'avait plus ressentie depuis son premier baiser avec Mei.
Les lèvres de Nikki se posèrent sur les siennes. Douces. Chaudes. Empreintes d'un arrière-goût d'alcool fruité. D'Jok tressaillit lorsque sa main se posa sur sa nuque. Ne chercha pas à se dérober. Savoura la sensation de ses doigts dans ses cheveux courts.
Emporté par l'instant, il lui rendit son baiser. Il pressa sa bouche un peu plus fort contre la sienne. Répondit à la caresse de sa langue. La laissa mordiller sa lèvre inférieure.
Quand Nikki s'écarta, une expression composée sur le visage mais les pommettes d'un rose trop soutenu pour masquer ses sentiments, D'Jok réalisa qu'il n'avait pas pensé une seule fois à Mei durant leur baiser.
