hey, bienvenue par ici ! avant de commencer, je tiens à préciser quelques petites choses. pour commencer, pokémon ne m'appartient pas. ensuite, j'espère que tu as bien prêté attention au rating, parce que cette histoire contiendra de la violence, des thèmes durs et des relations intimes explicites. on y retrouve ma version du monde pokémon, plus sombre et plus mature que l'univers de base. merci de ta compréhension et bonne lecture !
C'est une journée comme je les aime. Je suis tranquille à la maison, dans ma chambre, bien au chaud sous mes couvertures. Mon ordinateur portable sur les genoux, je regarde le tout nouvel épisode de ma série télé du moment : une romance qui se déroule dans un monde fantastique où les Pokémon n'existent pas. En un mot, c'est la perfection.
Je suis une rareté dans notre univers. Je déteste les Pokémon.
Enfin, non. Détester est un bien grand mot. Disons juste que je ne les porte pas particulièrement dans mon cœur. Ils sont mignons quand ils sont petits et impressionnants quand ils sont grands, mais ils sont aussi une énorme responsabilité. Et moi, que voulez-vous, ça m'emmerde. Je ne suis pas faite pour passer des heures à crier des ordres à une bestiole dont le seul but est de tabasser l'adversaire bien comme il faut.
Les Pokémon sauvages m'agacent eux aussi. Impossible de faire une balade en nature sans devoir se munir de Repousse, et l'application de ce produit ne parvient pas à tous les tenir à l'écart. Certains sont suffisamment tenaces pour en supporter l'odeur et oser vous bloquer le chemin. Quand on possède sa propre bête, ce n'est pas un souci, mais ce n'est pas mon cas.
Et les Pokémon domestiques, dans tout ça ? Je ne les apprécie pas plus que les Pokémon sauvages, ou ceux que les gens dressent pour se taper dessus. Nous avons un Miaouss et si tous les monstres apprivoisés agissent comme lui, alors je ne comprendrai jamais les innombrables familles qui en possèdent.
Ce chat, c'est une plaie. Il se trouve justement au bout de mon lit et me fixe de ses yeux pleins de malice. Il me dévisage assurément pour m'embêter parce que sa gamelle est remplie, son bol d'eau aussi et ses jouets sont tous à portée de main. Ou de patte. Peu importe.
Il m'énerve, mais il est inutile de lui dire de dégager. Ce petit démon ne vit que pour trois choses : l'affection de ma mère, l'heure de la sieste et me faire suer autant que possible. Ce n'est pas par hasard s'il est planté là. Il essaie de me faire sortir de mes gonds. Mais cette fois, ça ne fonctionnera pas.
Je l'ignore royalement et relance mon épisode. Je me retrouve bien vite investie dans l'histoire, à gesticuler comme un brin d'herbe sous le vent lorsque les protagonistes partagent l'écran pendant plus de trois secondes. Offerte aux émotions que l'émission me procure, je gronde lorsque la rivale du personnage principal féminin apparaît et tente à nouveau de gâcher leur relation.
— Non, mais, tu te prends pour qui, toi ? Il ne t'aime pas, sale moche ! Arrête de le suivre partout !
Hum. Si. J'ai conscience qu'elle ne m'entend pas. Mais je n'y peux rien, elle me frustre et râler me fait un bien fou.
Quand les quarante minutes et des poussières de pur bonheur s'achèvent – sur une note bien prenante, évidemment – je décide enfin de quitter mon lit. Il est presque midi et je meurs de faim.
Une fois n'est pas coutume, je snobe le Miaouss qui s'est roulé en boule et endormi sur un tas de vêtements abandonnés par terre. S'il pense m'attendrir avec sa tête assoupie, il se trompe. Je le connais trop bien pour me laisser berner.
Je descends à la cuisine et sors tous les ingrédients dont j'ai besoin pour me concocter une soupe miso. Mais j'ai à peine le temps de sortir un couteau pour couper des cubes de tofu que mon père me réclame. Des nœuds se forment aussitôt dans mon estomac.
J'ignore ce qui m'attend, mais je sais que ce sera désagréable.
Avant de me rendre à son bureau, d'où provient son appel, je range tout ce que je viens de sortir. Je prends bien soin de tout remettre à sa place, tentant de repousser au maximum le moment où je serai plantée devant mon père, la tête basse, tel un Caninos avec la queue entre les jambes.
Au bout d'un moment, je me résigne à y aller et traîne des pieds jusqu'à son bureau.
C'est une belle pièce, dotée d'un plafond haut. Tous les murs sont cachés derrière d'immenses bibliothèques, à l'exception de celui du fond, vitré de haut en bas. Mon père est debout devant cette interminable fenêtre, les mains jointes dans le dos. M'entendant arriver, il se retourne et me fait signe de m'asseoir sur l'un des sièges de cuir.
Je m'exécute. Il prend place en face de moi, sur la chaise qu'il a fait faire sur mesure, et croise les mains sur son bureau. Son fidèle Roucoups vient aussitôt se percher sur son épaule, dans un froissement de plumes. Dès qu'il se pose, mon père le caresse machinalement, par habitude.
— Ta mère et moi avons pris une décision, annonce-t-il de but en blanc, sur un ton qui ne souffre pas de réplique.
Je me fais toute petite dans mon fauteuil, les yeux vissés au grand t-shirt qui me sert de pyjama.
Je n'ai jamais su tenir bon devant mon père. Il n'est pas mauvais, mais il m'intimide. J'ai toujours eu l'impression qu'un fossé nous séparait. Face à lui, je me sens comme une SDF dans un manoir, comme un type Feu dans l'océan : vulnérable et décalée.
— Nous t'avons inscrite au challenge de la Ligue Pokémon de Kanto, révèle-t-il.
J'ose enfin le regarder en face. Ses traits sont sévères, ses sourcils perpétuellement tirés vers le bas. Ses cheveux poivre et sel tombent de chaque coté de ses yeux, masquant les rides qui s'y creusent au fil des années. Sa bouche forme une ligne étroite, ses lèvres pressées l'une à l'autre. Il m'observe, son visage ne trahissant aucune émotion. Il se contente d'attendre que je réagisse.
— Pourquoi ? demandé-je d'une toute petite voix, alors que je sais très bien pourquoi.
Ils sont à bout de patience.
Les enfants de notre monde quittent la maison dès l'âge de dix ans pour faire un voyage initiatique. Tous ne prennent pas le chemin des arènes, mais rares sont ceux qui ne se retrouvent pas sur les routes. Les gamins qui restent derrière ont toujours une bonne raison de le faire : des études, un handicap, une formation quelconque.
Pas moi. Je n'ai aucune raison viable de ne pas voyager, étudier ou bosser. Je n'ai que mon aversion envers les Pokémon, celle dont je me suis servie au cours des dernières années pour annuler toutes les sorties auxquelles je n'avais pas envie d'aller, pour me délester de toutes les responsabilités que je ne voulais pas endosser.
Comme une excuse douteuse. Un mauvais prétexte.
Mes parents ont dû se lasser d'attendre que mon comportement change. Ils ont sans doute compris que ça n'arriverait pas du jour au lendemain, comme par magie. Qu'il fallait allumer le feu sous la marmite et me forcer à entamer ce périple que je n'ai aucune envie de faire.
— Parce que tu dois t'accorder une chance de trouver ta voie, dit-il, accompagnant ses mots d'un long soupir. Shiori… Les Pokémon sont au cœur de notre univers. Notre culture, notre mode de vie, tout repose sur eux. Il est temps pour toi de t'adapter au monde dans lequel tu es née et d'y trouver ta place. Ta mère et moi n'en pouvons plus de te voir gaspiller ton potentiel entre quatre murs, le nez collé sur un écran.
Ses mots me donnent envie de rapetisser et de me fondre entre deux lattes du parquet. Je baisse à nouveau les yeux, contemplant mon vernis à ongles tout écaillé cette fois.
Je n'ai pas honte d'être qui je suis. Je n'aime pas spécialement les Pokémon et je l'assume. Je suis obsédée par mon téléphone et mon ordinateur, j'aime paresser au fond de mon lit et ça aussi, je le vis bien. Ce qui m'affecte le plus dans ses paroles, c'est que j'y perçois un mensonge. J'ai l'horrible sentiment qu'il me ment, que ce potentiel dont il parle n'existe pas.
Je doute du fait que mes parents voient autre chose en moi que l'enfant qu'ils aimeraient remplacer. Qu'ils veulent m'échanger contre quelqu'un qui est doté d'ambition et qui affectionne les petites bêtes que je n'apprécie pas. J'ai l'impression que ce qu'ils veulent vraiment, c'est de se débarrasser de moi. Qu'ils ont honte. Qu'ils sont frustrés.
— Le professeur Chen t'attend à son laboratoire, lundi matin à neuf heures. Il te donnera ton premier Pokémon et tout ce qui vient avec.
— Je n'en veux pas, marmotté-je.
Pas de Pokémon, pas de champions d'arène, pas de badges, pas de Ligue. Jamais. Jamais je ne deviendrai dresseuse de Pokémon. Jamais !
— Tu n'as pas le choix, répond-t-il sèchement. Ou tu participes, ou tu te trouves un appartement et un boulot pour en assumer les frais. Ta mère et moi n'attendrons pas que tu tombes sur la tête et te décides.
Il a raison. Je n'ai pas le choix. Dans un monde comme le notre, où tout prend racine dans les liens qui unissent les humains aux Pokémon, tenter de survivre sans partenaire est de la folie. Personne ne voudra m'engager. Personne ne me louera ne serait-ce qu'une pièce dans laquelle habiter. Je serai vouée à une existence rude et solitaire, et tout ça par paresse ? Parce que je n'ai pas envie de m'occuper d'une bestiole, d'en assumer la responsabilité ?
Est-ce que ma flemme en vaut vraiment la peine ?
Mon père brise à nouveau le silence. Son ton est plus doux, cette fois.
— Shiori… J'aimerais que tu essayes. Je ne te demande pas de devenir Maître Pokémon, juste de sortir de ta zone de confort. Je veux que tu disputes au moins un combat d'arène. Entendu ?
En ce moment, j'ai plus envie de me trancher la main droite que d'accepter son ultimatum. Son timbre est tendre, mais la menace est toujours présente. Si je refuse de devenir ce que je n'ai jamais voulu être, maman et lui m'abandonneront. Il n'y a pas d'autre mot pour ça.
Alors même si ça me tord les entrailles, même si je préférerais largement me crever un œil, je hoche la tête. J'accepte.
— Entendu, réponds-je dans un murmure.
Lundi matin, neuf heures.
Dans deux jours, je deviendrai officiellement dresseuse de Pokémon.
