Crowley était étendu sur le sofa, les mains s'agitant au rythme de ses explications, et les jambes pendant de l'autre coté de l'accoudoir dans une position confortable. « La feuille est là, si tu veux la lire pour nous deux. » Il la tira de sa poche et tourna la tête sur les genoux d'Aziraphale afin de voir son visage.
Aziraphale la prit d'entre ses doigts pour la parcourir, les lèvres plissées d'une colère grandissante, puis lui en fit un rapide résumé : « Deux étudiants essaient de forcer les autres à s'engager à n'utiliser que les escaliers. Je pense sincèrement que nous allons devoir intervenir ensemble sur ce coup-là.
— Ce n'est pas ce qu'on fait tout le temps ?
— Et concernant les ajustements de cours, la plupart peuvent être faits discrètement. » Il soupira et son expression s'assombrit. « Mais pas la totalité. »
Crowley grimaça et opta pour un sujet susceptible de l'égayer à nouveau : « Et ils parient encore sur nous. Enfin, sur toi et l'identité de ton mari. Devine qui est favori ?
— Toi, mon cher ?
— Ton favori, uniquement. » Il attendit qu'Aziraphale sirote son thé pour éclairer sa lanterne : « Non, la tendance penche vers Gabriel. »
Aziraphale s'étouffa sur sa gorgée de thé. Les spasmes qui en résultèrent firent tomber Crowley au sol. Quand il eut retrouvé son souffle, Aziraphale bafouilla « Quoi ? Pourquoi ? » avant de remarquer qu'il devait regarder bien plus bas qu'auparavant pour trouver Crowley. « Mon cher, que t'ai-je déjà dis au sujet de la malice qui contient les germes de sa propre défaite ?
— Ngk. » Crowley se redressa et retrouva sa place sur le canapé avant d'ignorer la dernière question en faveur de la première : « Il parait que Gabriel passe trop souvent pour te porter des messages.
— Ô misère ! » La bouche d'Aziraphale tressaillit. Puis, il regarda à coté de lui, vit celle de Crowley en faire de même, et ils se perdirent tous les deux dans un fou rire.
Les étudiants montèrent d'un cran dans leur enquête en demandant au Dr Fell ce qu'il pensait des autres professeurs. Celui-ci objecta : « Oh, je ne peux vous répondre. Ce ne serait pas professionnel de ma part, mon garçon. »
Ils étaient trop occupés à tenter d'associer les indices donnés par le Dr Fell sur son époux Anthony pour être déçus bien longtemps. Hélas, l'unique élément physique qu'il leur donna était qu'Anthony était plus grand que lui et agréable à regarder. Le Dr Fell n'étant pas particulièrement grand, cela n'aidait pas beaucoup.
A l'inverse, il était intarissable sur sa personnalité. Un grand cœur, plein de bonté. Attentif à ceux ayant besoin de protection. Un sens de l'humour espiègle (mais bienveillant). Une attirance pour les vieilles voitures et la vitesse (« une bête de course », murmura le Dr Fell avec un sourire attendri, quand on le questionna sur le style de conduite de ce Cher Anthony.)
Pour quelqu'un d'aussi verbeux, le Dr Fell révélait étonnamment peu d'éléments personnels en dehors de leur amour profond et mutuel. Il évoquait, par exemple, leur dégustation de crêpes à Paris et, avant que vous ayez le temps de le réaliser, digressait sur la Révolution Française et la manière dont divers livres la dépeignent.
Même si aucun autre enseignant ne semblait correspondre à cette description, ils restaient certains que ce Cher Anthony fréquentait le campus car il ramenait souvent le Dr Fell en voiture. Ils avaient établi par consensus un portrait général du Cher Anthony. Il devait ressembler au Dr Fell, plein de bonté et agréable, avec peut-être un sens de l'humour un peu plus acéré. Grand et très beau, peut-être ténébreux (ça va souvent ensemble, non ? suggéra quelqu'un, et tous tombèrent d'accord.) Un homme bien, grand, beau et ténébreux avec le sens de l'humour, et le professeur Gabriel ne disait-il pas des choses bien étranges parfois ? Un hochement de tête suivit cette question et la cote de Gabriel explosa, tandis que celle du Dr Crowley (qui n'était, après tout, inclus que pour qu'il y ait tout le monde) demeurait abyssale, car personne n'imaginait que ces deux-là puissent se ressembler, ou être ensemble.
