Bonsoir !

J'ai failli poster à temps, mais j'ai 46 minutes de retard. Néanmoins, le chapitre est là ! J'espère qu'il vous plaira (l'angst arrive haha)

Bonne lecture !


Mika contemple une mer calme. Une traînée argentée habille l'eau morte sous la lueur de la lune. Il n'y a pas d'étoile ; le ciel vide. Un vent violent fait voler ses cheveux.

Elle se détourne du ponton où elle se tient. Une porte rouge lui fait face. Elle s'ouvre d'elle-même, Mika s'engouffre à l'intérieur. Elle dévale un escalier en colimaçon pendant longtemps, s'égare dans le phare. Parfois, elle croise une issue minuscule qui laisse passer quelques rayons de la lune. Les marches sont glissantes, elle ne tombe pas.

Les cartes des Arcanes recouvrent les murs. L'Impératrice agite ses lèvres, mais Mika n'entend rien. Elle continue de descendre avec la sensation de monter de plus en plus haut. Lorsqu'elle arrive en bas, elle fait face à une autre porte, bleue cette fois-ci. Elle tend son bras, avant de suspendre son geste à l'instant où ses doigts s'apprêtent à effleurer la poignée.

— L'heure n'est pas encore venue.

Mika veut parler, mais seul un gémissement étouffé traverse ses lèvres.

— Il faut que les étoiles s'ouvrent à toi. Tu dois continuer d'observer le ciel. Il te fera signe.

La voix est morne. Elle ne provient de nulle part et partout à la fois. Elle naît dans les poumons de Mika, résonne à l'intérieur de sa chair. Un chat vient se frotter à ses mollets en miaulant. Elle se baisse pour le toucher. Il s'évapore lorsque sa paume caresse le poil soyeux.

— Ne te précipite pas. Les enfants veulent toujours grandir, mais il est bon de sentir la clémence de l'innocence.

Une carte se décolle du mur et vient se poser aux creux de ses mains. Elle l'observe un long moment. La Grande Prêtresse lui sourit. Elle cligne des yeux et la voilà de nouveau tout en haut du phare. L'astre a disparu. Une solitude terne envahit Mika.

Le deuxième Arcane se tient à ses côtés. Sans un mot, il enserre ses deux mains. Mika est surprise par la chaleur qu'il lui apporte. Il se détourne et tend le bras vers le ciel. La lune se dessine doucement. Bien ronde, elle se met à grandir, grandir, grandir… Elle ne s'arrête plus et voilà qu'elle tombe dans la mer. Des vagues de plus en plus hautes naissent alors que l'astre devient incandescent.

— Les marées seront tumultueuses pour toi, Mika. Méfie-toi de la houle.

La Grande Prêtresse ne la regarde plus. Sa longue robe bleue se perd dans les marches, dévorée par la pénombre. Elle caresse du pouce un livre à la couverture usée qu'elle tient contre sa poitrine. D'un seul coup, elle ferme brutalement le poing de sa main libre. La lune explose en mille morceaux, si minuscules qu'ils viennent mourir dans les cils de Mika.

La Grande Prêtresse lui attrape alors le poignet, le serre très fort. Elle grimace.

— Le phare est un refuge pour les enfants de la lune.

Elle pousse Mika dans les escaliers. La chute est si longue, qu'elle ne s'en souvient plus. Les éclats de l'astre brisés luisent sur sa peau.


Pas un son ne traverse la cellule. L'endroit est blanc, tapissé de coussins sur les murs et le plafond. Une lumière éclatante donne des maux de tête à Oikawa. Il est recroquevillé dans un coin, les genoux contre sa poitrine. Il se sent sale, transpire. Ses cheveux sont emmêlés, ils collent sur son front. Il alterne entre chaleur étouffante et frissons, peut-être a-t-il de la fièvre. Il est épuisé.

Ce dont il se souvient est confus. Il y a des objets lourds qui le clouent au sol, il se relève difficilement, étourdi. La douleur ricoche sur son corps, le sonne. Sa tête est molle. Il y a eu des hurlements, le cliquetis des armes braquées sur eux. Il pense s'être débattu — il n'en est plus certain à présent. Il a essayé de protéger Akaashi. Il s'est placé entre lui et cet homme trapu. Il l'a balayé d'un simple coup à la mâchoire avec la crosse de son arme. Depuis, le bas de son visage n'a cessé de le lancer.

Ils n'ont rien pu faire, frappés jusqu'à ce qu'ils s'écroulent. Son dernier souvenir cohérent lui provient d'une vision trouble : il supplie des inconnus de laisser Akaashi tranquille.

Des os qui se brisent. Le métal qui craque. La peur qui suinte, la terreur qui paralyse. Une colère sourde impuissante. Des rires et des cris. Des fleurs mortes au coin des yeux.

Il s'est réveillé, une respiration hachée à ses côtés, un soulagement de courte durée. Son ami ne dit rien. Oikawa ne sait pas depuis combien de temps ils sont ici. Des heures ? Des jours ? Il a l'impression d'être enfermé depuis une éternité. Chaque seconde qui passe est une blessure irréversible.

La sensation de mourir et d'être étouffé, voilà ce qui demeure.

— Akaashi, l'appelle doucement Oikawa.

Il ne répond pas. Oikawa se lève. Une douleur vive le fait tituber. Il ignore la souffrance et avance vers son ami. Il s'assoit à côté de lui, sans parvenir à retenir un gémissement. Akaashi ne daigne pas tourner la tête vers lui.

Il n'entend pas le bruit de sa propre respiration. La pièce aspire tout. A-t-elle avalé l'esprit d'Akaashi ? Il n'est plus qu'une coquille vide, Akaashi est mort là-bas, ils l'ont tué bien avant cela, le jeune homme n'est qu'un outil dans le destin macabre du monde. Oikawa ferme et rouvre sa main pour ne pas perdre pied.

— Comment te sens-tu ?

Son mutisme fait office de réponse. La silhouette d'Akaashi est d'un bleu très clair, presque blanc. Oikawa le dévisage. Soudainement, il fait un bond en arrière. Son vis à vis réagit à peine. Le jeune homme croit rêver : il a aperçu des yeux. En amande, l'un est légèrement plus haut que l'autre ; ils expriment un chagrin immense. Aussi vite qu'elle est arrivée, la vision disparaît. Un instant volé où il est rentré dans son intimité par inadvertance. Oikawa a l'impression d'être un imposteur, de voir ce qu'il ne devrait pas.

Un nuage de confusion naît au creux de ses cils. Ses paupières se ferment, mais chaque fois qu'il les rouvre, des éclairs brefs de lumière dansent autour de lui. Des parcelles du corps de son ami apparaissent. Les mots lui manquent — Mika lui aurait transmis sa curieuse faculté ? Toutefois, il réalise que cette hypothèse est fausse : l'étrangeté était là bien avant son arrivée, il n'a fait qu'ignorer les signaux.

Une peau pâle qu'il effleure, des côtes saillantes et des lèvres douces. Des mots absents. Le besoin dévorant de prononcer quelque chose, sans trouver l'intonation juste, les phrases qui sonneront de la bonne manière. Oikawa veut parler, mais seuls des picotements au bout de ses doigts demeurent.

— Akaashi, dis-moi quelque chose, l'implore-t-il.

Ce qui est arrivé n'est pas si grave. En revanche, ce qui l'est, c'est le tabou qu'ils en ont fait. Des regrets bourgeonnent au fond de son estomac.

— Pourquoi m'as-tu suivi ?

Il voit brièvement des larmes rouler sur les joues de son ami. Il ne fait aucune remarque, décide de continuer dans les secrets — c'est bien plus confortable que d'allumer la lumière, d'admettre le désastre.

— Je ne pouvais pas te laisser.

C'est une réponse simple pour une question idiote.

— Je te déteste, crache-t-il.

Oikawa sait qu'il ne le pense pas, mais ça le griffe un peu ; une légère entaille.

— Ce n'est pas vrai.

— Non, ça ne l'est pas, capitule-t-il en soupirant.

Akaashi finit par se blottir dans ses bras. Ça lui paraît si naturel — le choc le secouera plus tard. Il arrive à passer une main dans ses cheveux. La sensation est indescriptible : c'est un peu comme caresser des épis de blé très doux.

— Yachi doit être morte d'inquiétude, déclare Akaashi après un moment.

— Mika est avec elle, ça devrait aller.

— Tu l'aimes bien, pas vrai ?

— J'aime la manière dont Yachi en parle. J'aime la joie qui peint ses traits lorsqu'elle discute avec elle.

Laisser le quotidien envahir la pièce les apaise. Un recul ou une illusion qui réconforte.

— Elle va mieux depuis qu'elle l'a rencontrée, admet Oikawa.

— Ce n'était pas notre meilleure idée de se faire enlever, plaisante Akaashi.

— C'est certain que ça ne va pas l'aider à renouer avec le bonheur, surenchérit-il.

Le contact avec Akaashi s'estompe peu à peu. Ill parvient encore à sentir très légèrement des mèches de cheveux lui chatouiller le menton.

— Que va-t-il nous arriver ?

— Des gens très gentils vont venir nous chercher et ils nous libéreront après nous avoir offert de très bonnes pâtisseries, je suppose.

— Oh, ça va alors.

Oikawa ne peut s'empêcher de rire. Akaashi se redresse et se place juste en face de lui. Leurs visages sont si proches qu'il peut sentir son souffle sur ses lèvres. Son ami inspire, s'apprête à dire quelque chose. Dans l'attente, Oikawa enlace les bouts de lui qu'il aperçoit. Il grave le corps d'Akaashi tout au fond de lui.

Seulement, il ne saura jamais ce qu'il allait lui confier. La porte en face d'eux s'ouvre brutalement, elle rebondit contre le mur.

Des ombres s'engouffrent dans la pièce. Elles se dirigent vers eux d'un pas pressé. Tout s'accélère. Akaashi s'effondre, assommé par ce qui ressemble à une matraque. Oikawa se lève, tend les bras vers lui, mais il remarque trop tard une personne qui se tient à sa droite. Il sent une seringue s'enfoncer dans son cou. Sa vue se brouille. Il crie le nom du garçon si fort que ses cordes vocales le brûlent. La dernière chose qu'il entend est celle de la lourde porte qui se referme. Les effluves de l'odeur d'Akaashi embaument la pièce. Il finit par perdre connaissance, recroquevillé au sol, seul.


Il gratte ses ongles contre le mur, l'esprit rempli d'images sans ni queue ni tête. Des ombres sont entrées, se sont tenues debout devant lui, statiques. Ils n'ont pas échangé une seule parole. Il a demandé du papier et un crayon. Le silence a sonné comme un refus.

Il récite des poèmes sans cesse. Sa silhouette se fond dans la pièce. Son corps est aussi mou que les coussins qui peuplent l'endroit où il se trouve — il ne sait plus ce qu'il fait là. Il se souvient d'Akaashi, de ses cris. Il se demande s'il n'a pas rêvé.

Il dit qu'il voit au travers du plafond. Il aperçoit les nuages filer à toute vitesse. Il dit qu'il y a du vent et une pluie torrentielle. Oikawa pleure beaucoup.

Il perd la notion du temps. Ses cheveux lui semblent plus longs. Dès qu'une mèche caresse sa peau, il devient fou. Le contact l'irrite. Il marche de long en large dans sa cellule. Plus personne ne vient. Il se met à fredonner des mélodies qui se sont coincées dans sa tête.

Peut-être qu'il se trompe. Peut-être qu'il est là depuis quelques heures, ou bien des années. Peut-être que dehors, le monde est mort. Il entend des ballons rouler sur le bitume, puis des éclats de rire. Il voit Iwaizumi enfant lui tendre un bouquet de fleurs. Il s'amuse à en arracher chaque pétale.

— Je t'aime un peu, pas beaucoup, à la folie !

Oikawa perd pied. Ses bras s'enfoncent dans le sol, il se fait aspirer. Parfois, il est la pièce. Il est cette lumière immonde qui lui dégouline dessus. Akaashi lui parle, le rassure.

— Tout va bien, murmure-t-il.

Il dort beaucoup ou pas du tout.

Des nœuds dans la tête, les poumons troués. L'esprit brumeux, puis de longs soliloques. Toc, toc, on toque sur ses os. Ça craque à l'intérieur et ça ricoche sur le plafond. Il s'imagine avoir une balle dans les mains. Il la lance contre le mur, mais elle ne rebondit pas. Quelques fois, son ami lui pose des questions :

— Pourquoi m'as-tu laissé tout seul ?

Oikawa ne proteste pas. Il sait qu'il a raison. Il continue de s'enfoncer dans le sol. Il discute avec l'ennui. L'air dans la pièce est si étouffant qui le sent passer dans sa gorge. Lorsqu'il l'expulse, un nuage de fumée bleu flotte devant son visage.

— Il faut revenir à la maison.

Il ne connaît plus le chemin. Il a perdu sa carte. Une foule d'enfants se moque de lui. Il leur tourne le dos.

— Je veux rentrer, gémit Oikawa.

Il ne se rappelle plus à quoi ressemble la maison. Il sait qu'Akaashi l'attend là-bas. Il a fait du thé et il patiente en écoutant une musique presque inaudible.

Il est seul. Personne ne le regarde. La porte reste close. Il essaie de l'ouvrir, mais il n'y a pas de poignée. Il donne des coups dedans. Ça ne marche pas.

Il est cassé en six morceaux tranchants. La faim lui troue le ventre. Il mange des petits bouts de pain sec. Il boit un grand verre d'eau.

Il doit partir en vacances avec Yachi et Akaashi à la mer. Le son des vagues lui frôle les oreilles et il est aspiré tout au fond de l'océan.

Il croit sentir les rayons du soleil sur sa peau. Il est frigorifié. Sa joue est éraflée : il saigne. Il a la tête appuyée contre l'asphalte mouillé d'une route déserte. La pluie trempe ses vêtements. Il ferme les yeux. Lorsqu'il les ouvre à nouveau, le décor n'a pas disparu. Il se relève légèrement, s'assoit au milieu de ce chemin esseulé. Un courant d'air passe sur sa peau : ses habits sont déchirés.

Il regarde autour de lui, ahuri. Une forêt s'étend sur le bord de la route. En face, un grand complexe rectangulaire dont il ne voit pas la fin. Peu à peu, ses pensées s'éclaircissent. Il ne rêve plus. À un moment, il était en train de pourrir dans cette cellule et l'instant d'après une bourrasque lui balaie le visage.

Il se pince, mais le paysage reste intact. Il n'y a plus de voix. Seulement le bruit des feuilles et de la pluie qui s'écrase sur la terre. Son corps est endolori. Il baisse la tête et remarque des éraflures qui parcourent sa peau.

— Ma peau, réalise alors Oikawa.

Cette fois-ci, il s'observe vraiment. Par endroit, il y a des éclats beiges et rouges. À d'autres, ce n'est qu'un vague croquis d'une silhouette grise. Il se frotte les yeux, mais sa chair est toujours apparente. Ses genoux, ses mains, un bout de son haut abîmé.

Il se lève, ne pense plus à rien. Lorsqu'il se met à marcher, il a la tête vide. Il se demande si Akaashi va bien — s'il est encore vivant. Il respire un peu mieux.


Un origami en papier est posé sur une étagère. Des pages d'un livre que l'on tourne se froissent. Iwaizumi est interrompu dans sa lecture. Il bougonne, ne se lève pas. On sonne à nouveau. Il ne bouge toujours pas.

À la troisième sonnerie, ou la quatrième, il ne sait plus, il se décide à ouvrir. Ce qu'il voit le choque profondément, mais il reste impassible.

— Hey.

Il reconnaît immédiatement la voix. Il se décale pour le laisser entrer.

— Salut.

Il ne pose pas de question à Oikawa. Son ami s'affale sur le canapé.

— On est quel jour ? lui demande ce dernier comme si de rien était.

— Le 12 décembre.

Oikawa sursaute.

— Cette connerie a duré deux semaines, marmonne-t-il.

Iwaizumi ne commente pas. Il se contente de lui servir un café qu'il lui tend tout en prenant en place en face de lui. Il est habitué à le voir débarquer à l'improviste de temps à autre. Oikawa prend rarement de ses nouvelles, mais il pense toujours à lui apporter un gâteau pour son anniversaire. Iwaizumi n'est pas très doué pour ce genre de choses. Il l'appelle une fois dans l'année. Son ami passe chez lui tard dans la nuit, parfois. Des habitudes demeurent. Il les aime bien, même s'il prétend le contraire.

— Tu es frigorifié, fait remarquer Iwaizumi. Je vais te chercher un pull.

— Merci.

Oikawa prend une gorgée de sa boisson. Il fixe le liquide, perdu dans ses pensées.

— Tu comptes m'en parler ou on fait comme d'habitude et on prétend que tout est normal ? l'interroge-t-il en revenant avec un vêtement trois fois trop grand pour le jeune homme.

Ils ont seize ans et Iwaizumi jette des coups d'œil discrets en direction d'Oikawa. Il fixe un ballon de volley. Il ne dit rien pour les sanglots. Ils sont assis sur ce banc, à l'écart. Il essaie de percer la vérité à jour et son ami l'ignore. Lorsqu'il se tourne vers lui, il parle d'un ton enjoué. Iwaizumi n'est pas dupe : il lui offre un pain au lait, la vie reprend son cours.

— Akaashi a été emmené. Il est tout seul là-bas.

Il sanglote. Iwaizumi est mal à l'aise — son ami déborde d'émotions dont il ne sait pas se dépêtrer. Il voit bien qu'il est inutile de se précipiter. Une blessure que l'on ne guérit pas avec de simples pansements.

— On était chez lui, reprend-il, confus. Yachi était là, d'autres personnes aussi. J'ai pas pu le laisser tout seul, je pouvais pas l'abandonner, tu comprends ? Alors je suis resté. Mais-, mais ils l'ont emmené. On a été séparé sous une pluie de coups et maintenant il doit survivre sans personne pour l'aider.

Un chant d'oiseaux emplit la pièce. La mélodie transperce la fenêtre grande ouverte.

C'est étrange, réalise Iwaizumi. Les animaux se sont toujours tenus loin des villes.

— Je ne sais pas comment je suis arrivé ici. J'ai marché longtemps sur une route déserte. Quelqu'un m'a pris en stop, je crois. Je me suis effondré de fatigue dans la voiture. Quand je me suis réveillé, j'étais en bas de ton immeuble.

Iwaizumi fait mine d'écouter, mais il est perturbé par autre chose. Il ne peut pas garder cela plus longtemps pour lui.

— Oikawa, je te vois.

Ce qu'il lâche fait l'effet d'une bombe. Les yeux de son ami s'écarquillent.

— Oh.

Son souffle est erratique. Iwaizumi croise les jambes.

— Je ne vais pas te dénoncer, le rassure-t-il.

— J'aurais été franchement vexé si tu l'avais fait.

Il a un rictus moqueur.

— Tu ne changeras jamais, pas vrai ?

— Pourquoi le ferais-je ? Cette situation est absurde, autant suivre l'humeur du monde.

— Plus le temps file, plus les problèmes dans lesquels tu te fourres grandissent. C'est quoi la prochaine étape ? L'explosion de la Terre ?

— On n'en est pas si loin, souffle-t-il.

Un moment passe.

— Je suis beau gosse alors ?

— Regarde par toi-même, rétorque Iwaizumi en lui désignant le meuble en face du sofa. J'ai un miroir là-dedans.

Son ami se lève, attrape l'objet avant de se retourner vers lui.

— Où est-ce que tu as trouvé ce truc ? Et à quoi ça te sert de toute façon ?

— Pose pas de question. Regarde-toi plutôt.

Il hésite, mais finit par se décider. Il monte le miroir au niveau de son visage. Ses yeux sont clos. Il met du temps à les ouvrir. L'expression qu'il arbore en se découvrant fait éclater de rire Iwaizumi. Le jeune homme passe une main dans ses cheveux en grimaçant.

— Il va falloir que je fasse quelque chose à cette tignasse. C'est un désastre.

— Tu viens de vivre des événements traumatisants et c'est ça qui te préoccupe ? Mon pauvre Oikawa, ce n'est pas d'une nouvelle coupe de cheveux dont tu as besoin, mais d'une thérapie.

— Laisse-moi tranquille ! geint-il. Je gère ça comme je peux.

Un sourire enfantin fissure ses lèvres. L'inquiétude pèse un peu moins sur les épaules d'Iwaizumi. Il sait qu'Oikawa s'en sortira — il l'a toujours fait. Ce dernier s'allonge sur le canapé, le traverse sans aucune gêne. Il s'endort cinq minutes après.

— Tu ronfles, l'interpelle Iwaizumi.

Il ne lui répond pas. Le regard d'Iwaizumi remonte vers la commode en face de lui. Il se lève sans un bruit et attrape un papier sur lequel est griffonné un numéro. Il saisit son téléphone. Quand une voix résonne au bout du fil, il part s'isoler dans sa chambre. Cela va être une longue conversation, de celles qu'il déteste le plus.


L'oubli est inéluctable, dit-on. Qu'en est-il des souvenirs ? Eux aussi s'égarent, s'éparpillent dans les méandres de l'esprit, mais le chemin les ramènent toujours à la vérité.

L'homme ne peut renier sa nature, il doit retourner aux origines, creuser profondément dans la caverne pour trouver la voie. L'Ancien Monde l'appelle, il est temps pour lui de sortir de sa torpeur. S'il continue sur ce chemin délicat, il ne sera bientôt plus rien : les ombres s'évaporent.

Les rêves de l'Impératrice s'étaient faits moins nombreux. Le bois de ses doigts vieillissait, elle sentait avec plus d'acuité les changements imperceptibles du temps. L'agilité de la sève, la force tranquille de l'écorce.

Quelque chose au fond d'elle la tordit si fort que sa tête lui tomba des épaules. Ses précieux enfants étaient en danger. Les failles se dessinaient tout autour de leur cage dorée.

Elle marchait dans un endroit sombre où il n'y avait pas de sentier et de ciel, aucun bruit. Elle errait dans le néant. Elle faisait du surplace alors que son pas se pressait. Un besoin irrépressible de renouer avec ses racines qu'elle avait laissées se consumer au soleil.

Elle implora les cartes. La reine des Coupes vint à sa rencontre. Sa robe corail et sa lourde couronne irradiaient dans la pénombre. À ses côtés flottait une coupe imposante. En or, deux anses détonaient de l'objet ; trônaient dessus deux anges qui priaient. Ses cheveux attachés dans une tresse noueuse accentuaient ses traits fins et son regard perçant. Elle la salua d'une simple révérence, avant de se relever. Elle planta ses yeux dans les siens. La cape qu'elle portait ressemblait à un ruisseau. L'eau semblait l'accompagner, comme une traînée de poudre éternelle.

— Cela fait longtemps, fit-elle d'un ton léger.

— J'ai besoin que tu transmettes un message.

La reine resta impassible, mais son regard suffit. Des tulipes rouges naquirent dans ses pupilles.

— Je suivrai le moindre de vos désirs. Vos passions sont si brûlantes qu'elles réchauffent le bout de mes doigts.

Elle s'inclina à nouveau. L'impératrice s'approcha, saisit son visage entre ses mains.

— Tu es magnifique.

Elle lui rappelait ses enfants. Sa voix était si naïve, si jeune.

— Les rêves doivent renaître. Il est temps.

La reine éclata de rire. Elle monta ses bras très haut au-dessus de sa tête avant de décrire un demi-cercle. Des coupes apparurent par millier, flottèrent dans ce vide infini, ce noir d'encre. Elle tendit sa main pour en attraper une, et l'offrit à l'Impératrice.

— Comme gage de fidélité, confia-t-elle.

Elle accepta son présent. Le pacte était scellé. Elle allait pouvoir serrer à nouveau les hommes contre sa poitrine. Réchauffer leurs peaux ternes et créer grâce aux cendres une douce idylle.

— Que les couleurs dégoulinent, clama-t-elle. Peins-moi un chef d'œuvre, reine des Coupes. Que le ciel soit ta toile et les hommes tes muses.

Lorsque la reine disparut, les coupes tombèrent au sol dans un fracas effroyable. L'impératrice se pencha en avant pour en ramasser une. Elle fit tourner l'objet entre ses doigts. Dehors, son corps sentait une brise et une étreinte chaude.

— J'ai planté des tulipes à vos pieds. Puissent-elles être de bon augure, annonça une voix venant de nulle part et partout à la fois.


— Tiens, j'espère que j'ai pris le bon.

Mika jette un journal sur sa table de cuisine. Elle retire sa capuche et troque son pull pour un simple débardeur. Elle part ensuite ranger quelques courses avant de se servir un café, le dixième depuis qu'elle est réveillée. Il est tôt. Dehors, la ville émerge doucement. Des éclats de voix lui parviennent depuis la route. Un groupe d'adolescents parle fort. Un couple de personnes âgées se dispute. L'angoisse gonfle dans les chaumières, mais aucun ne semble prêt à chercher le remède.

— Merci, fait Yachi en s'emparant du papier.

Elle appuie sa tête dans la paume de sa main, accoudée à la table. Elle parcourt les lignes, approche son regard de certaines images.

— Alors ?

— Écoute ça : « Après la fermeture des écoles et de nombreux lieux publics, l'épidémie continue malgré tout de se propager. Les agressions des malades sont en hausse, tandis que le gouvernement reste silencieux. Les médecins diagnostiquent plus de mille personnes contaminées par jour.»

— À ce rythme-là, le pays va se transformer en pot de peinture géant, déplore Mika.

Elle plonge trois sucres dans sa boisson. Ses yeux se perdent dans les remous du liquide. Elle a oublié d'attraper une petite cuillère, alors elle touille avec son auriculaire.

— Ils ajoutent qu'aucune des personnes disparues n'a été retrouvée pour l'instant. « La police affirme faire tout son possible pour les ramener sain et sauf. », cite-t-elle.

— Bien sûr. Et puis ils refilent les malades aux gens louches qui ont capturé Oikawa et Akaashi, c'est ça ?

Elle soupire avant de se prendre la tête entre les mains. Mika est épuisée. Elles passent leur temps à se cacher. Elles croupissent dans son appartement depuis presque deux semaines sans savoir si Oikawa et Akaashi vont bien. Cela rend Mika folle : elle tourne en rond pendant que dehors, les choses s'aggravent.

Le brouillard s'est épaissi. Des corbeaux viennent s'établir dans la ville. Le soir, ils croassent pendant des heures. Le ciel est sans cesse rempli d'oiseaux qui volent en cercle par centaine. Des rivières ont débordé dans les campagnes et les maisons ont été emportées par les eaux.

— On va finir par trouver quelque chose, je te le promets, la réconforte Yachi.

— J'en ai marre. J'ai beau lire et relire ces foutus livres (elle pointe la pile monstrueuse qui tangue dangereusement en plein milieu du salon), je ne comprends rien.

L'impératrice et sa contrée heureuse, habitée par les hommes. Les autres Arcanes bienveillants, puis le renversement. La guerre, les morts et les pleurs. L'ère de la Brume, leur apparition. Et enfin, du vide. Des pages blanches à n'en plus finir, des poèmes nébuleux qui ne veulent rien dire. Le Fou les observe, disent-ils.

— Ma mère me répétait qu'il est impossible de lire le futur clairement. On ne peut y voir que les prémices. Les signes s'interprètent, s'imaginent, ils ne se comprennent pas. C'est tellement frustrant. En plus, les cartes refusent de me parler ces derniers temps. L'énergie de mes doigts est différente, ils sont devenus hermétiques. Mes paumes sont glacées.

— Elles doivent peut-être s'habituer à ce nouveau toi ? hasarde Yachi en agitant sa main vers sa silhouette violine.

— Je n'en sais rien. Pourquoi tout est si flou ? s'agace-t-elle.

Le choc de son front qui se heurte à la table lui donne le tournis. Yachi laisse échapper une exclamation de surprise.

— Ça va ?

— Oui, oui… C'est pour avoir les idées claires.

La jeune femme n'a pas l'air convaincue. Mika finit son café trop vite et se brûle la langue. Elle part se placer au centre du salon. Elle a décalé sur la droite la table entre son canapé et la bibliothèque pour avoir plus d'espace. Elle passe un bandeau qu'elle plaque sur son front, afin que ses cheveux ne la gênent pas.

— À nous deux.

Elle tape dans ses mains, attrape son jeu de Tarot et commence à battre les cartes. Yachi vient s'installer sur le canapé derrière elle. Elle est heureuse de la regarder faire.

Des jours et des nuits à crier les mêmes prénoms. L'inquiétude de Yachi qu'elle rêverait d'effacer d'un simple geste. L'appartement d'Akaashi vide et des éclats de verre sur le sol. Celui de son amie sens dessus dessous. Abandonner ce lieu pour mieux se cacher. Des ombres qui les poursuivent dans des ruelles bordées de poubelles pleines. La fuite et un calme plat. Les vêtements de Yachi qui s'amoncellent un peu partout chez elle. Un soulagement surprenant qui enserre Mika lorsqu'elle prépare du café pour deux.

Ils n'avaient laissé aucune trace. Seule leur absence ricochait sur leurs corps.

Mika entendait Yachi pleurer la nuit. Dans ces moments-là, elle la rejoignait dans sa chambre sans un mot. Sa silhouette orange scintillait dans la pénombre. Elles finissaient par s'évader dans les bras de Morphée en se faisant face.

Elles n'en parlent jamais. Mika parce qu'elle ne sait quoi dire et Yachi parce qu'elle préfère faire comme si tout allait bien. Un moyen pour elle de ne pas perdre pied, sans doute. Elle se raccroche à des habitudes : écouter la radio, se laver les cheveux tous les trois jours, écrire dans un carnet au réveil.

Elle étale ses cartes, l'esprit ailleurs. Le bruit d'un stylo qui gratte le papier résonne derrière elle.

— Focus, se murmure-t-elle à elle-même.

Sa tête se vide d'un coup. Les illustrations se mettent en mouvement. Tous les personnages forment une ronde et se prennent la main. Ils commencent à tourner, tandis qu'un décor tumultueux se dessine autour d'eux. Le Soleil se mêle à la Lune, les Épées deviennent des gouttes de pluie, des Deniers roulent sous les pieds des Arcanes, comme une rivière qui leur caresse les chevilles. Des enfants sont assis sur des chevaux, immobiles.

La danse s'accélère. Cela va si vite que tout se mélange. Les rires des plus jeunes se métamorphosent en cris d'horreur. Leurs expressions dégoulinent, virent du paisible à la terreur. La lune enflamme les corps.

— Merde ! peste Mika.

Elle a la sensation que le feu crépite sur un de ces bras. Elle passe une main dessus : il est brûlant.

— Ça a marché ?

— C'était encore pire que les autres fois. J'ai complètement perdu le contrôle.

— Tu devrais te reposer, suggère Yachi. Ça ne sert à rien d'insister.

— Tu as raison, mais j'ai l'impression de ne faire que ça, me reposer. Je ne supporte plus d'être enfermée.

L'orange de la silhouette de son amie s'adoucit.

— Je sais. Ça finira par passer. Et puis…

Elle hésite.

— Oui ? l'invite à continuer Mika.

— Peut-être que les réponses sont ailleurs. Que tout cela n'a rien à voir avec ce que l'on croit.

Mika fixe les cartes sans rien dire. Elle se relève, s'étire. Elle a acheté des fleurs tout à l'heure. Elle remplit un vase d'eau et y plonge le bouquet orange et jaune. Elle le dépose sur la table, à côté d'un cahier où les lettres sont écrites à l'envers.

— J'ai senti ta peau la nuit dernière, confie-t-elle tout bas.

Yachi se tourne vers elle. Elle la dévisage et Mika aperçoit de grands yeux. Si elle se concentre assez, elle peut voir un visage se dessiner derrière sa silhouette.

— Je suis devenue plus sensible, soupire-t-elle, soudainement lasse. J'ai l'impression que plus les jours passent, plus mes sens s'affinent. C'est comme si j'arrivais à avoir le contrôle, aussi mince soit-il.

— Tu devrais parler à ton frère. Il sait peut-être quelque chose si cela a un lien avec votre mère.

Elle ignore la question silencieuse de Mika. Elle n'insiste pas.

— J'ai déjà essayé de l'appeler, il ne répond pas.

Son regard se porte à nouveau vers les cartes. Il accroche au six d'Épées.

— Il faut que j'aille le voir.

— Pardon ?

Elle désigne la carte.

— Le signe de l'expédition. Un voyage sur les eaux qui peut apporter des réponses si l'on ne s'égare pas sur le chemin.

— Tu ne vas pas sortir ! s'exclame Yachi. C'est trop dangereux.

— Je n'ai pas vraiment le choix. Je suis fatiguée d'être immobile.

— On doit rester discrète, proteste la jeune femme.

— Je le serai.

— Ton ombre est incontrôlable ! Tu ne le remarques peut-être pas, Mika, mais je le vois. Elle ne cesse d'osciller entre le noir et le violet. Des fois, elle est tellement incandescente que tu es comme un phare en pleine mer !

— Je vais me débrouiller. Le quartier où il habite n'est pas très fréquenté de toute façon. Enfin, il n'y a que des personnes âgées.

Un éclat de colère passe dans les yeux de son amie. Mika ne se démonte pas.

— J'y vais seule. S'il y a un problème, tu seras en sécurité ici.

— Tu sais bien que ce n'est pas ça.

— Tout ira bien. Je reviendrai vite, je te le promets.

Sa décision est prise en un éclair. Elle fait son sac, n'emporte pas grand-chose : ses cartes, une bouteille d'eau — Yachi insiste pour qu'elle ait aussi un couteau.

— On n'est jamais trop prudente, préconise-t-elle.

Sans savoir comment, Mika pose délicatement sa main contre la joue de son amie. Elle sursaute, mais se laisse faire.

— À plus tard. Si je ne suis pas revenue demain matin, c'est que les réponses seront venues à moi.

— Du moment que ce ne sont pas les ennuis.

— Les deux vont souvent de pair, réplique Mika.


Plusieurs hypothèses s'offrent à Mika. La première : la sonnette de Takeshi est cassée. La seconde : il refuse d'ouvrir. Enfin, la dernière, qui semble la plus probable à Mika parce que son frère est du genre impulsif : il a déménagé à l'autre bout du monde sans prévenir. Elle s'agace sur le bouton, s'acharne en appuyant de plus en plus violemment, jusqu'au moment où un voisin sort pour voir la cause de ce raffut.

Elle se cache dans l'embrasure de l'entrée et patiente. Le sang pulse dans ses oreilles. Les bruits de pas s'éloignent et la porte à sa droite claque enfin. Un brouillard entoure les balcons d'en face et l'on aperçoit au travers des halos de lumière jaunâtre. Mika déglutit.

— Takeshi ! (elle frappe du plat de sa main en donnant de petits coups nerveux.) Takeshi, bordel de merde ! Tu vas m'ouvrir ? Ta sœur adorée ne te manque pas ?

Des sirènes résonnent au loin, étouffées. L'immeuble est coincé entre quatre autres, tous plus hauts que celui où elle se trouve.

Mika a l'impression d'être ridicule à s'agacer tout en chuchotant. Elle s'acharne pendant dix minutes avant d'abandonner. Elle se laisse glisser contre la porte et appuie largement son dos dessus. Soudain, elle se sent tomber à la renverse. Ses bras s'agitent dans le vide ; un moulinet ridicule. Elle réalise alors que ses yeux fixent le plafond de l'entrée, rempli de toiles d'araignées. Un sourire se dessine sur ses lèvres.

La prochaine fois, je me contenterai de rentrer comme si j'étais chez moi.

Elle se relève, époussette ses vêtements pleins de poussières. Elle fronce les sourcils. Sur ses gardes, elle s'avance sur la pointe des pieds vers la pièce à vivre de l'appartement.

Le tapis est marqué de traces de pas. Des journaux traînent sur un meuble à côté d'une télévision et une photo s'est décrochée du mur. Lorsque Mika entre franchement, elle voit de nombreux livres étalés sur le sol. Des pages ont été arrachées. Elle s'approche, en saisit un. Des passages sont soulignés et annotés, mais l'écriture est si brouillonne qu'elle est incapable de lire.

Elle fouille le salon pendant un long moment. Elle tombe sur des revues de sudoku (toutes remplies), des post-its (ils parlent tous de nourrir le chat hideux du voisin), des stylos mâchouillés, une tasse de thé à peine bue (honteux), d'anciens cours de biologie auxquels Mika ne comprend rien. Elle s'affale sur le canapé, découragée.

Les murs crèmes sont sales. Les rideaux s'effilochent. Un oiseau gris se pose sur le rebord de la fenêtre. Il dévisage Mika de ses immenses yeux noirs.

Elle n'a aucune idée de ce qu'elle cherche.

Peut-être est-il simplement parti faire des courses ?

Elle caresse d'une main distraite les coussins. Quelque chose cloche. Cet appartement en désordre ne ressemble pas à Takeshi. C'est un grand malade — Mika le sait, elle a grandi avec lui. En plus d'avoir une passion pour les microbes, c'est un fou du rangement. Si tout n'est pas parfaitement aligné sur son bureau, Takeshi devient cinglé. Elle se souvient d'une fois où il avait carrément jeté un cadre par la fenêtre parce qu'il n'était pas droit.

— C'est parce que c'est le bazar dans ta tête, ça, avait-elle asséné à son frère à l'époque.

Il ne lui avait pas répondu.

Elle joue avec l'interrupteur d'une lampe posée sur le sofa. Clic, clic, clic. Le son lui fait oublier pourquoi elle est ici. L'odeur du tissu est familière. Pendant un bref instant, Mika a de nouveau cinq ans et sa mère l'enlace doucement. Elle lui tend un verre de jus de fruit bien frais, son corps s'éveille.

Un grand fracas de vaisselle brisée résonne dans la cuisine. Mika sursaute et les images disparaissent. Le plus discrètement possible, elle s'avance vers la source du bruit en serrant dans sa main gauche la lampe du salon. Elle se dissimule dans un angle mort de l'embrasure de la porte ouverte. Mika lève son arme de fortune au-dessus de sa tête, prête à l'écraser sur le crâne de n'importe qui.

Il n'y a plus un bruit. Alors qu'elle commence à avoir mal au bras, elle se décide à passer à l'offensive. L'idée de lâcher un cri énorme lui traverse l'esprit (les ondes suraiguës de sa voix pourraient assommer qui que ce soit ), mais elle se ravise.

Elle s'élance à l'intérieur de la cuisine toute en longueur et se stoppe net. Son bras retombe mollement contre son corps. L'abat-jour de la lampe se casse contre son genou.

Un chat se lèche la patte de manière désinvolte, hissé sur le rebord de la fenêtre tout au fond de la pièce. Sur le carrelage noir et blanc, des assiettes, ou du moins ce qu'il en reste, sont éparpillées. Mika ne peut pas poser un pied sans que ses semelles écrasent un morceau de verre. Elle foudroie le chat du regard.

— C'est toi qui as fait ça, je suppose ?

Il la dévisage comme s'il s'apprêtait à rétorquer quelque chose. À la place, il se détourne et s'en va d'un bond indifférent. Mika fait claquer sa langue, irritée.

Elle ne nettoie pas le sol, et continue son enquête. Elle ouvre quelques tiroirs, en vain. Son ventre gargouille peu de temps après. Manger quelque chose la consolera au moins de cet échec monumental. Les placards habillent tous les murs de la cuisine. Bien en hauteur, que ce soit au-dessus du plan de travail minuscule, ou de l'évier, cela donne un côté encombré à la pièce. Des couverts sales sont posés en vrac pas loin d'une bouilloire. Des fruits pourrissent dans une corbeille.

— Beurk ! s'indigne Mika lorsqu'une banane dégouline dans sa paume.

Elle attrape distraitement un paquet de céréales (celui qu'elle mangeait tous les matins avec son frère avant d'aller à l'école). Elle se rappelle du lait à la vanille et du croquant à chaque bouchée. Elle sourit tout en plongeant sa main dedans. Ses doigts viennent riper le fond : vide. Mais alors que la déception l'envahit, ils frôlent quelque chose.

Mika fronce les sourcils. Elle gratte un peu avant de réaliser que c'est un bout de papier. Avec son index et son majeur, elle pince la feuille pour l'extraire. Sa peau frotte contre le carton. Cela lui arrache des frissons désagréables.

Elle déplie la note froissée ; les plis sont bancals.

« Les doux mots ne mentent pas. Les bus roulent jusqu'au sommet de la montagne, là où les oranges flottent sur les rivières. »

Le souvenir de sa mère la heurte de plein fouet. Elle lâche le paquet vide sans y prêter attention. Il tombe lentement, comme si l'air l'emportait vers le centre du monde.

Des phrases douces qu'elle s'amusait à leur dire au crépuscule, des jours où elle n'avait pas dormi de la nuit. Son frère et Mika étaient déjà en retard et sa mère les observait tranquillement s'agiter dans le calme du matin.

Ce bout de papier n'est pas un hasard. Takeshi a joué au Petit Poucet. Elle relit le mot plusieurs fois à la recherche dé réponses. L'animal revient. Son corps s'étire et il fait un saut gracieux sur le plan de travail. Il colle son museau contre le ventre de Mika.

— Le bus et la montagne, comprend-elle alors.

Elle froisse le papier dans son poing. Elle sait ce qu'elle a à faire. Le chat miaule ; elle le caresse. Sa fourrure douce l'apaise un peu. Il la dévisage ; deux billes vertes qui cherchent à transmettre quelque chose.


Le Jardin est un lieu où l'on tourne vite en rond. Le seul but de cette terre artificielle, habitée de fleurs fanées et d'arbres immenses aux racines mortes fissurant le sol, est de vous égarer. La conscience est un endroit bien plus vaste que les cartes du monde. L'imagination est créatrice de l'infini.

Le temps file pour certains, se suspend pour d'autres. Il arrive que les jours ne soient plus qu'une idée floue, que ça se glisse en dehors de l'espace pour se confondre avec le néant. Au début, vous comptez sur vos doigts, puis vous n'en avez plus assez. Alors vous prenez un crayon, un clou, n'importe quoi, pour graver les murs dissimulés derrière une fine couche de végétation. Les traits rayés s'accumulent. Vous perdez le compte. Des fois, il n'y a simplement plus assez de place pour écrire. Il arrive que l'outil s'évapore avant les nombres et l'autour.

Bokuto parle, bien que cela soit interdit. Akaashi le sait parce qu'il a vu les coups pleuvoir sur d'autres bavards. Ils avaient la bouche ouverte. La violence cessait une fois que vos lèvres étaient scellées — un calme à vous glacer le sang.

Malgré les bleus et la douleur, Bokuto persiste. Il récite des poèmes, fredonne des chansons. Parfois, il s'adresse directement à lui. Akaashi a tenté de l'ignorer, mais il est impossible de faire le sourd face au jeune homme.

Les journées sont longues. Il a l'impression qu'elles ne sont plus qu'une nuit éternelle. Il marche dans le Jardin — il a dû en faire mille fois le tour. Il pense à Oikawa. Un peu de colère gratte dans sa poitrine. La seule distraction qu'il a, ce sont les questions. Mais même ça, ce n'est pas très intéressant. On l'interroge sur sa famille, ses amis. Sa vie d'avant lui paraît floue. Ce sont toujours des énigmes identiques qui se répètent.

Âge. Date de naissance. Nom. Prénom. Fréquentation. Que voyez-vous dans le miroir ? Âge. Date de naissance. Nom. Prénom. Fréquentations. Que voyez-vous dans le miroir ?

Que voyez-vous dans le miroir ?

Que voyez-vous ?

Voyez-vous ?

Voyez.

Akaashi regarde et il n'y a rien. Oikawa lui a parlé d'un camaïeu de bleu. Peut-être a-t-il menti. Les personnes qui l'observent griffonnent à l'envers sur leur calepin.

Il ne sait plus s'il répond systématiquement la même chose. Cela commence à devenir confus dans sa tête, une mélasse crasseuse où tout est présent. On lui fait quelques piqûres, des gens aux effluves écœurants le scrutent. On prend sa température, on le mesure aussi. Akaashi trouve ça stupide – comme s'il allait grandir alors qu'il aura bientôt vingt-deux ans. Il doute parfois de son âge, mais se souvient des couloirs, connaît les chemins par cœur. Pas un ne se ressemble. Si les murs sont identiques, l'odeur, le nombre de pas, la lumière et la température, tout est unique. D'aucuns se raccrochent à l'espoir, Akaashi a choisi de sentir plutôt que d'imaginer.

— Comme il n'y a rien à faire, je regarde les papillons. Se perdre là-dedans (il avait tapoté sa tête du bout des doigts), c'est mauvais signe et ça fait peur.

C'étaient les premiers mots que Bokuto lui avait offerts. Il n'avait pas répondu. Le garçon était assis sur l'herbe verte, le haut du corps légèrement rejeté en arrière, s'appuyant sur ses bras avec ses jambes étendues. Pas de bruit autour. Akaashi avait aperçu pendant un bref instant des cheveux hirsutes, tirés vers le ciel, d'un blanc qui virait vers un gris cendre.

— Ne te fais pas avoir par le labyrinthe, OK ? lui avait lancé joyeusement Bokuto.

L'éclair d'un sourire qui fendait son visage en deux. Des hommes avaient rappliqué et Akaashi avait gardé le silence lorsque le corps de Bokuto convulsait juste à côté de lui.


Ils dorment à même le sol. Leurs membres se tordent, chaque mouvement est douloureux. L'herbe sent le plastique. Akaashi a envie de vomir. Il se tourne sur le dos pour faire passer la nausée. Les lumières se sont éteintes il y a quelques minutes. Il arrive qu'elles se rallument plusieurs heures après. Parfois, ils restent dans la pénombre des jours durant. Juste avant que la clarté blanche ne meure, Bokuto lui confie qu'il voit tous les hommes.

— C'est le monde qui refuse d'ouvrir les yeux, déclare-t-il. C'est comme si on avait laissé un enfant gribouiller sur nous et qu'il n'avait pas de gomme avec lui.

Akaashi secoue la tête. Bokuto est toujours à ses côtés. Dès son réveil au Jardin, il a senti son souffle chaud contre sa nuque — le garçon dort très proche de lui, même si Akaashi essaie de s'éloigner.

— On ne sait plus habiter nos corps, ajoute-t-il. Bientôt, on étouffera parce qu'on ne se souviendra plus de nos poumons.

Il rit très fort. Personne ne vient cette fois-ci. Sa personnalité exubérante a quelque chose d'agaçant. Akaashi ne comprend pas de quelle manière il a pu survivre ici — les gens disparaissaient brutalement pour moins que ça. Peut-être est-ce sa naïveté : il est convaincu de ses mots. Il croit au destin, aux messages égarés et à l'amour éternel. Un esprit libre dans un corps maladroit, ennemi juré de la gravité et de tous les objets. Bokuto a une fâcheuse tendance à casser la moindre chose qui se trouve entre ses mains. Cela fascine beaucoup Akaashi. Il se demande souvent ce qui se passerait s'il lui tendait un nourrisson. Probablement que ce dernier se volatiliserait ou qu'il le laisserait tomber par inadvertance.

Bokuto parle et Akaashi reste silencieux. C'est comme ça que les choses fonctionnent et ce n'est pas si mal. Les gestes suffisent au jeune homme pour comprendre ses réponses muettes.

Un souvenir persiste dans son esprit alors qu'il divague. Il s'endort au son de la voix de Bokuto.

Akaashi a onze ans ; Oikawa lui tient la main. Il le voit : une peau lisse, un nez légèrement retroussé, une dent cassée qu'il exhibe fièrement de son sourire innocent.

Ils sont adossés contre un tronc d'arbre. Leurs parents les surveillent au loin. Il y a beaucoup de monde. Un brouhaha étouffé les enserre. L'air est lourd, et Oikawa ne cesse de lui dire qu'un orage va éclater. Pourtant, le ciel est dégagé. Le soleil se couche. Son ami lui parle de sa sœur qui l'a obligé à sortir le chien, malgré la chaleur. Akaashi ne dit rien. La nuit tombe et la foule qui s'amasse se tait.

De petits poteaux en bois séparent les spectateurs de la scène. Une silhouette s'avance. Ses gestes sont aériens. La femme est habillée d'un pantalon bouffant. Des tissus ocre et dorés débordent de ses cheveux, sont attachés à ses chevilles, sa taille et ses poignets. On dirait que de l'or s'écoule d'elle.

Elle commence à fredonner une comptine alors qu'elle tend un flambeau au cœur d'un feu qui se trouve juste devant elle. Son bout de bois s'embrase et la danse débute. Ses pieds font voler la poussière de la terre sèche. Elle lance la flamme d'une main à l'autre sans qu'elle s'éteigne. Oikawa lâche quelques cris de surprise, enserre ses doigts très fort autour de la paume d'Akaashi.

Elle troque son objet pour une corde enflammée. Elle la monte au-dessus de sa tête, écarte les jambes avant de s'immobiliser brutalement. Le public retient son souffle. Akaashi est aspiré par les braises. D'un seul coup, une note éclate. Sa voix ne tremble pas et le son semble durer une éternité. Elle entonne une mélodie aux teintes mélancoliques, les bras toujours levés vers les étoiles. Un chant enivrant ricoche sur les corps.

— Elle veut nous ensorceler ! s'exclame Oikawa.

Akaashi l'écoute à peine.

Elle virevolte autour de la fumée. Envoûtante et mouvante, elle n'est qu'éphémère, floue comme le feu et les tissus qui se mêlent à elle.

Elle brûle et la foule l'observe, fascinée.

Elle tangue dans les braises, mais elle est l'air, elle n'est rien d'autre qu'un souffle. Ses jambes s'élancent sur la terre et ses pieds rebondissent, soyeux et légers. Ses bras ondulent avec le vent, se perdent dans les ombres.

Akaashi sursaute si fort qu'il se cogne la tête contre le sol. Il ouvre les yeux. Il fait sombre. Son ventre est brûlant ; le feu persiste. Une migraine perce ses tempes.

— Tout va bien ?

Bokuto s'est redressé sur le côté, appuyé sur son coude. Akaashi ne voit que sa position et il a l'impression d'observer un croquis saugrenu — les traits sont approximatifs, les formes distendues.

— Des rêves, murmure Akaashi, encore sonné.

— Toi aussi ?

Sa question muette flotte dans l'air.

— Il ne t'a pas parlé de… (il hésite, baisse la voix. Akaashi doit presque se coller à lui pour l'entendre) De la fuite ?

— Qui ça ?

— Le Fou va faire diversion. La musique retentira et il nous faudra courir. La mélodie guidera nos pas vers la sortie.

Bokuto fait claquer son pouce et son index juste devant ses yeux. Il sursaute.

— Il viendra bientôt à toi, annonce-t-il. Pour le moment, il faut seulement que tu me fasses confiance.

Akaashi se dit que le jeune homme débloque. Pourtant, sa voix est calme.

— Je ne comprends pas, déclare-t-il platement.

Il est allongé au sol. Ses mollets nus effleurent l'herbe qui le picote. Il remue ses jambes pour faire fuir les démangeaisons. Des feuilles mortes tombent dans le Jardin.

— Les rêves sont la clé des secrets de l'avenir, Akaashi ! Le Fou m'a transmis la route à suivre pour que l'on se taille d'ici.

Il s'apprête à lancer une remarque cinglante, mais une musique stridente éclate. Il plaque ses paumes contre ses oreilles, grimace alors qu'il aperçoit du coin de l'œil Bokuto se lever. Les gens autour d'eux commencent à s'agiter. Les têtes roulent dans tous les sens.

Tout à coup, c'est le chaos qui naît. Les portes s'ouvrent et ils se précipitent tous. Akaashi n'avait pas remarqué jusqu'ici les accès dissimulés derrière la végétation. La pièce circulaire lui donne le tournis. Il a perdu Bokuto de vue. Son cœur bat à la chamade. Des peaux de toutes les couleurs dansent. Les éclats de corps sont partout, il y en a tellement qu'Akaashi a l'impression de se fondre au décor. Il se relève, titube.

Les silhouettes sont des taches de peinture. Des fruits mûrs d'un temps ancien.

— Akaashi ! l'appelle Bokuto au loin.

Il plisse les yeux, tente de parvenir à apercevoir son ami dans la masse grouillante. Les gens commencent à tomber comme des mouches. Des balles que l'on tire au hasard, les corps inertes. La voix de Bokuto, la musique qui embaume les membres d'Akaashi. Il ne se concentre plus que sur le garçon qui s'époumone. Il s'élance à travers la cohue, esquive les coups et les seringues. Il est cette fille qui dansait avec le feu. Akaashi ne court plus, il disparaît dans les angles morts.

— Je suis là, lâche-t-il tout bas, à bout de souffle, tandis qu'il s'effondre dans les bras de Bokuto.

Le jeune homme l'attrape avec nonchalance. Akaashi y prête à peine attention — Bokuto vient d'un autre monde.

— Il faut qu'on avance, le somme ce dernier. Suis-moi.

Akaashi hoche la tête. La poitrine chaude du garçon se dissipe. Il trébuche en avant, arrive à se reprendre à temps. Il croit apercevoir un sourire pendant un bref instant sur les lèvres de Bokuto, mais sa silhouette dorée dissimule à nouveau la vérité.

Ils courent presque côte à côte. Les couloirs qu'ils traversent sont étroits et Akaashi manque de se heurter à des centaines de poignées de porte. Il a du mal à respirer. Bokuto avance à une vitesse affolante, grâce à des mouvements amples et légers. Il rebondit presque sur le sol.

Akaashi a l'impression qu'il n'y a aucune sortie. Qu'ils tournent à droite ou à gauche, un nouveau corridor dont on ne voit pas le bout se déroule devant eux. Pourtant, la destination semble gravée dans les pupilles de Bokuto, elle file dans son sang.

— On y est presque. Encore un petit effort ! l'encourage-t-il.

Il ne sent plus ses pieds. La musique se fait plus lointaine. Les notes sont devenues apaisantes. La voix qui chante est joviale, un brin moqueuse.

Elle se rit du malheur des hommes, ne peut s'empêcher de penser Akaashi.

Brusquement, ses jambes s'emmêlent et il s'étale au sol. Sa tête tourne ; il entend des cris. Bokuto est complètement immobile.

— Ils ne sont pas loin. Il faut qu'on se dépêche. S'ils nous attrapent, c'est retour à la case départ.

Akaashi s'appuie un bref instant contre le mur alors que les exclamations s'approchent dangereusement. Des pas lourds frappent et ricochent dans les couloirs. Un silence. Puis des tirs et des hurlements de douleur. Quelqu'un supplie et c'est le calme plat. Akaashi se remet à courir malgré ses poumons qui s'essoufflent, ses jambes tremblantes et la chaleur.

Bokuto s'éloigne. Il perd presque sa trace, mais le garçon s'assure toujours qu'Akaashi est bien derrière lui. Il ralentit légèrement avant d'accélérer. Et il recommence. Encore et encore.

Ils s'engouffrent dans un énième couloir lorsque la température chute drastiquement. Le passage est bien plus étroit. Il n'y a qu'une petite lumière jaune pour les guider. Pendant quelques minutes, Akaashi ne distingue rien. Il ne sent plus que ses vêtements trempés de sueur.

Le lieu baigne dans une lueur qui donne l'impression que l'infini s'étend sous leurs pieds.

— La sortie est encore loin ? chuchote Akaashi.

— Non, on est tout proche, mais on doit être prudent. Le plus petit bruit, le moindre geste trop violent déclenche une alarme.

— Ce n'est pas comme si tout le monde était déjà sur le qui-vive et à notre recherche, ironise Akaashi.

— Oui, mais nous avons un avantage : ils ne savent pas où nous nous trouvons.

— Ce n'est qu'une question de temps.

— C'est amplement suffisant, rétorque Bokuto.

Le Destin n'a pas dû apprécier la confiance peut-être trop présomptueuse de Bokuto. Sans crier gare, des gardes font irruption à quelques mètres d'eux. Il y a un moment de flottement où personne n'esquisse un geste. Bokuto est le premier à bouger. Il s'élance d'un bond et disparaît à une vitesse prodigieuse dans la pénombre. Akaashi le suit avec un temps de retard. Les hommes, un groupe d'une dizaine d'individus armés de matraques part à leur poursuite.

Akaashi court. Ses bras sont souples, ses pieds rebondissent sur le sol en métal. Il glisse, mais se rattrape toujours. Les balles fusent derrière lui. Il se baisse, se décale sur le côté. Les protections que portent ses assaillants les ralentissent. Akaashi ne peut compter que sur ses os, son souffle et sa souplesse. Son corps est son seul allié. La musique a laissé place à l'adrénaline qui pulse dans ses veines.

Il croit entendre Bokuto l'appeler, et tout d'un coup, sa vue se brouille. Des points gris dansent devant ses yeux. Il tente de se remettre debout, mais un haut-le-cœur le secoue. Il vomit ses tripes, ses entrailles se retournent, se plient et se déplient. Les pas lourds s'approchent. Il recule, rampe à terre, agite ses bras pour se protéger. Ses pieds s'emmêlent. Il aperçoit alors Bokuto. Derrière lui, un rayon de soleil perce la brume. Il voit son regard triste une dernière fois.

— On se retrouve dehors, lui dit-il.

Il articule silencieusement un « désolé, », avant de disparaître dans une nature grise à la terre noire. La porte se referme lourdement. Une matraque éclate sur son crâne. Il perd connaissance. La musique n'est plus.

À son réveil, le Jardin est couvert de traces de sang. Il y a des cadavres dans certains coins parce que personne n'a pris la peine de les enlever. Une odeur nauséabonde envahit tout. Il a envie de vomir, mais son ventre est vide. Il ne pleure pas. Il n'y a qu'une colère sourde. Une rage nouvelle le pousse à ne pas perdre pied. La mélodie résonne encore en lui. Le monde n'est qu'une cage et Akaashi est la rouille qui la dévore, insatiable.


oui Akaashi est mon personnage préféré, tout comme Oikawa. Oui je passe mon temps à les faire souffrir. Je suis navré (pour vous comme pour moi)

le chapitre sera-t-il moins angst la semaine prochaine ? who knows

see u next time!