Derek se savait dans une impasse et le pire, c'est qu'il ne s'y attendait absolument pas. Sans doute avait-il été naïf de croire que les choses se passeraient simplement, qu'elles s'emboiteraient parfaitement. Il ancra ses yeux dans ceux de Stiles, dont le silence était assourdissant. Et c'était d'autant plus violent que ce fait ne faisait pas partie de ses habitudes.
Néanmoins, Derek n'était pas si surpris que cela, pour la simple et bonne raison qu'il savait Stiles complexe. Le jeune homme, parfois un peu agaçant, lui semblait adapter son comportement en fonction des situations et de ses interlocuteurs. Avec lui, il choisissait toujours la voie de la provocation parce qu'il adorait ça. L'embêter, lui, restait son petit péché mignon. Qu'est-ce qui avait changé ? Qu'est-ce qui le poussait à garder le silence à ce point-là, à préférer s'en sortir seul plutôt qu'à accepter le fait qu'on lui propose implicitement de l'aide ? Derek trouva instantanément la réponse… Parce que l'attitude de Stiles parlait d'elle-même.
- Tu n'es pas de ce genre-là, répéta-t-il malgré tout.
Peut-être qu'à force de l'entendre, ça rentrerait. Néanmoins, ça restait quelque chose de clair et de certain : Stiles n'était pas comme ça. Il aimait la vie et penser qu'il aurait pu vouloir se l'ôter ne lui rendait pas justice… Puis ça effacerait la valeur de toutes ces fois où il s'était donné pour se sortir de situations toutes plus dangereuses les unes que les autres. Certes, Derek avait eu un doute. Mais il avait suffi que Stiles lui réponde une seule et unique fois lorsqu'il lui avait demandé, à l'hôpital, s'il avait déjà songé à mettre fin à ses jours. Il se souvenait fort bien de sa réponse spontanée, naturelle.
« Bah non. »
Stiles n'avait jamais eu un phrasé très subtil ou élégant, mais c'était ce qui marquait sa franchise, ce qui faisait qu'il ne pouvait la feindre. Lorsqu'il avait quelque chose à dire, il le disait. C'était lorsqu'il commençait à se noyer dans une marée de périphrases qu'il fallait s'inquiéter. Stiles faisait court, lorsqu'il était honnête. Il ne butait pas sur ses mots.
- Et je suis de quel genre ? S'enquit l'hyperactif malgré son air fatigué.
Sa désillusion était visible. Derek le savait persuadé qu'il se fichait de lui, qu'il ne le croyait pas vraiment : comment lui faire comprendre que c'était pourtant le cas ? Au fond, le loup-garou comprenait sa méfiance, cette espèce d'abandon qu'il lisait dans ses yeux. Maintenant, restait à savoir d'où elle venait précisément… Et il sentait qu'il n'allait pas tarder à le savoir, que la réponse était juste là, sous son nez.
- Du genre à assommer de paroles ton agresseur au point qu'il n'a pas réussi à te tuer, finit-il par lâcher avec aplomb.
Stiles souffla du nez malgré lui – celle-là, il ne l'avait pas vue venir. Et pourtant, la plaisanterie à moitié dissimulée le dérida très légèrement. Pas assez pour qu'il ait envie de rétorquer quelque chose, mais suffisamment pour que Derek sente un changement subtil dans son odeur.
- Je suis certain que tu lui as tellement parlé qu'il s'est trompé dans la dose qu'il voulait te donner au départ. Ta tendance au bavardage l'a perturbé.
Cette fois, Stiles s'autorisa un rictus clairement amusé, mais rien de plus. Si l'ombre dans son regard ne partait pas, elle semblait à Derek un peu moins opaque. Lui qui arborait un air fermé pour la forme était sincèrement préoccupé par le jeune homme face à lui, un jeune homme à qui il voulait juste montrer qu'il n'était pas seul. Que malgré les évidences, malgré le tableau parfaitement dessiné… C'était lui qui avait raison depuis le départ : sa presque-mort n'était pas un suicide, mais bel et bien autre chose.
Une tentative de meurtre.
- T'es nul en blagues Sourwolf, mais c'est pour ça qu'elles sont réussies, finit par lâcher Stiles, les bras croisés sur son torse.
Son ton ne s'était pas radouci à proprement parler. Cependant, il fallait avouer qu'il avait quelque chose de différent. Il restait ferme, mais légèrement moins… Acéré. Comme si la tentative un peu étrange de Derek de lui répondre autrement que de façon sérieuse avait fonctionné. La preuve en était qu'il avait ressortir ce surnom plus que ridicule qu'il utilisait régulièrement pour l'embêter. Pour une fois, Derek se sentait quelque peu soulagé de l'entendre.
- Je ne fais qu'énoncer des faits, se défendit-il malgré tout.
Si Derek voulait continuer de rendre ce genre de miracles possibles, il lui fallait renfiler ce costume de loup-garou partiellement insensible au malheur des autres. Stiles ne devait pas s'habituer… A cette sorte d'humour qui n'en était qu'à moitié. Disons que ce n'était pas quelque chose qu'il maîtrisait ou qui l'intéressait outre mesure. Pourtant, c'était ce qui avait l'air de marcher avec l'humain face à lui. D'une manière ou d'une autre, sa tentative étrange l'avait suffisamment détendu pour qu'il baisse très légèrement sa garde – pour l'instant. Disons que Stiles était plus sensible à l'humour qu'à de simples conseils ou paroles qui pouvaient se noyer parmi tant d'autres.
L'amusement sembla quitter lentement Stiles.
- J'espère que tu as raison, j'espère… Que ça s'est passé comme ça.
Dans sa voix, pas vraiment de la tristesse, plutôt… Une sorte de mélancolie un peu étrange. Parce qu'il ne se souvenait de rien et ça, ça le minait – ce que Derek n'eut aucun mal à le comprendre.
- J'en suis persuadé.
Si Stiles lui jeta à nouveau un regard des plus méfiants, il se faisait bien moins froid que le précédent : à croire que l'humour de Derek l'avait véritablement bien détendu.
Ou que ses mots, détachés de l'intention, signifiaient quelque chose pour lui. Se pouvait-il qu'ils l'aient finalement atteint ? Derek vit tout autant qu'il entendit Stiles soupirer. Cette fois, il ne lui donnait plus l'air véhément : fatigué lui conviendrait mieux en cet instant.
- Je n'ai pas envie de me battre contre toi, avoua Stiles d'un air embêté, comme si dire cela lui coûtait.
Pourtant, il l'avait fait et dans un sens, il continuait. Epuisé de devoir sans arrêt se justifier ou tout faire pour faire entendre son point de vue… Il peinait à se relâcher, à croire qu'il pouvait avoir quelqu'un de son côté sans effort.
- Qu'est-ce qui pourrait me prouver que tu ne te fiches pas de moi ?
Parce que d'un autre côté, il voulait croire Derek. Tant qu'à se le coltiner, autant que sa présence lui soit un tantinet utile – et constructive. Ça, c'était sa raison qui parlait. Du reste, il fallait avouer que l'appui éventuel que pourrait lui apporter l'ancien alpha lui ferait du bien. Derek était de ces gens dont la confiance se méritait : l'acquérir était un cadeau.
Mais Stiles avait si peu l'habitude d'être considéré – par le loup-garou, c'était encore plus rare – qu'il peinait à imaginer que cela puisse être le cas. Puis il avait l'image d'un Derek le prenant sans arrêt pour un idiot, un jeune homme agaçant.
- Je n'ai ni l'envie, ni la force d'être déçu, expliqua-t-il sans le lâcher du regard.
C'était quelque chose qu'il se devait de dire, qu'il ne pouvait garder plus longtemps pour lui. Il avait toujours ce besoin de parler, de verbaliser ce qu'il ressentait. Souvent, ça usait, ça irritait, ça agaçait. On prenait ça pour des blagues, ou un moyen de se plaindre de tout et n'importe quoi. En somme, on ne le prenait que rarement au sérieux.
Ainsi, Stiles se mettait à nu. Ses aveux, il les savait pathétiques, mais honnêtes. Et même s'il n'en avait pas besoin, il désirait réellement que Derek prenne conscience de son épuisement mental. Disons qu'il n'avait pas l'énergie d'être pris pour le pitre de service ou bien pour celui qui avait l'habitude de se plaindre. Ces mots-là étaient un cri du cœur. Stiles n'avait pas envie de se battre, ne voulait pas se rajouter un problème sur les bras.
Mais il fallait avouer, à la réflexion, qu'une aide pragmatique et silencieuse ne serait pas de refus.
Derek ne garda pas le silence longtemps.
- Tu sais pourquoi tu n'es plus à l'hôpital à l'heure actuelle ? S'enquit-il en croisant les bras sur son torse.
Il n'y avait pas la moindre animosité dans son ton, juste cette fermeté que Stiles lui connaissait depuis toujours. L'humain, qui s'attendait à une réponse et non à une question, se retrouva déstabilisé un instant. Néanmoins, il ne lui demanda pas la raison de son interrogation. L'air de rien, quelle que soit l'issue de cette conversation, il voulait toujours autant qu'elle se termine… Pour retourner se reposer, tiens. Il y verrait mieux l'esprit et le corps un peu plus frais.
- Parce que mon père voulait m'avoir à l'œil ? Proposa-t-il.
Derek le fixait toujours, sans discontinuer et Stiles n'avait pas la moindre idée de la façon dont il pourrait décrypter son regard à l'heure actuelle.
- Tu es ici pour la simple et bonne raison que j'étais persuadé qu'à l'hôpital, celui qui a tenté de te tuer serait venu terminer le travail.
Stiles haussa un sourcil et regarda le loup-garou avec un étonnement non feint. Il ne s'y attendait pas, à celle-là. Il chercha dans le regard de Derek un petit quelque chose, de la malice, de la moquerie : un semblant de sentiment ou d'émotion qui pourrait lui laisser penser qu'il plaisantait – auquel cas son humour pas si mauvais serait relégué au rang d'exécrable. Stiles appréciait l'humour noir, pas le mépris sur fond de blague.
Mais Derek insista, une lueur nouvelle perçant au travers de ses yeux clairs :
- Maintenant, j'en suis convaincu.
