Ma reconversion pro se passe très bien, je ne vois pas pourquoi vous devriez vous en inquiéter (╯°□°)╯︵ ┻━┻
Sinon, deux semaines de retard, mais tout va bien~ Mais bon, vous vous en serez sans doute rendu compte que plus les thèmes passent et moins je parviens à tenir le rythme que je m'étais imposée au début. Au moins le nombre minimum est atteint à chaque fois ! (1 667 mots, là vous en avez 6 612 mots, selon Scribbook)
Alors, côté infos : En Europe, la transhumance est de fin mai à mi octobre (wikipédia), Elke : sœur de Link et Colin (17 et 7) (pur hasard, mais ça fait que le prénom de l'enfant suivant finit comme commence celui d'avant. Elcolink), ils sont une famille de sang, inspiré par "The history of us" de saiyuri_dahlia (ff et AO3).
Bonne lecture !
Ding !
Le micro-ondes fut ouvert pratiquement à la seconde où le minuteur arriva à la fin du décompte, le saladier de pop-corn en étant extrait avec avidité.
Link s'empressa d'enfoncer une poignée de la sucrerie dans sa bouche grande ouverte, des larmes coulant de ses yeux alors qu'il se brûlait l'intérieur de la bouche, mais même ça, ça ne le ralentit pas.
Il continua d'engloutir par poignées, la tête rejetée en arrière, sous le regard mi amusé et mi résigné d'Ute qui l'observa faire alors qu'elle s'affairait déjà aux préparatifs du dîner. Attends, non, il était beaucoup trop tôt !
— Qu'est-ce que tu fais, m'man ? articula-t-il en postillonnant du sucre.
Tardivement, il couvrit sa bouche de sa main, mais le mal était déjà fait et il tendit, penaud, un torchon à sa mère qui s'essuya.
— Colin est avec son professeur particulier, je leur prépare un goûter. Tu voudras bien le leur apporter ?
Après lui avoir crachoté des bouts de maïs soufflé, il aurait fait n'importe quoi pour se faire pardonner, alors il n'y réfléchit pas à deux fois avant d'accepter et s'empara du plateau qu'elle lui tendit, équilibrant son saladier comme il le pouvait.
Colin était plutôt bon élève, surtout comparé à son frère, mais tenait à suivre des cours supplémentaires pour se perfectionner. C'était un élève minutieux et appliqué avec de bons résultats scolaires, sans être pour autant parmi les tous premiers. S'il continuait dans cette voie, un bel avenir lui était promis et il était encouragé dans ce sens.
Link, lui, après avoir obtenu son bac de justesse – merci les rattrapages – avait préféré arrêter les dégâts et était entré dans le monde du travail sans beaucoup plus d'idées, enchaînant les petits boulots à la recherche d'une vocation.
Il était revenu quelques jours plus tôt après avoir passé quasiment cinq mois dans les montagnes avec le troupeau de chèvres de son actuel employeur et avait l'impression d'être étranger à sa maison d'enfance, ayant pris l'habitude d'un quotidien avec des animaux comme unique compagnie.
Grimpant les escaliers le menant à l'étage où se trouvaient les chambres, Link s'arrêta un bref instant pour une nouvelle poignée de pop-corns puis alla frapper à la porte de Colin, patientant jusqu'à l'invitation d'entrer.
— C'est l'heure du ravitaillement ! déclara-t-il en entrant.
Son petit frère lui présenta un sourire fatigué et les cernes sous ses yeux lui serrèrent le cœur. Il se fit la promesse de profiter de ses jours de congé pour le forcer à lever le pied et aller s'amuser ensemble, au moins quelques heures. C'est aussi à ça que servaient les grands frères !
— Oh, c'est très gentil.
Tellement concentré sur son cadet, il en avait exclu son professeur et fut donc surpris par son intervention, manquant de peu de sursauter.
Heureusement, après avoir passé tant de temps en contact avec les chèvres, il avait appris à se contrôler et à réagir rapidement.
D'ailleurs, il était assez curieux du bonhomme, en ayant eu quelques échos de la part de leurs parents, une éloge détaillée auprès de la benjamine et quelques réponses esquivées du principal intéressé.
— C'est de la part de notre mère.
— Je ne manquerais pas de la remercier, je suis toujours merveilleusement accueilli ici !
Déposant le plateau sur l'espace difficilement dégagé par les deux travailleurs, Link reluqua le plus discrètement possible le professeur particulier de son frère.
Et pour être particulier… il l'était.
Se mordant profondément la langue pour éviter la prononciation du moindre commentaire malvenu, il esquissa un sourire de travers.
— Du pop-corn ? Tu es sûr de ne pas t'être trompé ?
— Ah non, ça c'est à moi !
Il récupéra son bien avant de se le faire ravir et quitta leur compagnie après quelques civilités maladroites.
C'était évidemment ni le moment ni l'endroit pour s'intéresser plus en détail sur leurs leçons ou sur l'énergumène. Il se sentait aussi à l'aise qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine !
Dire que Colin avait fait son entrée à l'université pendant son absence… Que le temps passait vite !
De retour dans le couloir, seul avec son saladier, il haussa les épaules et alla s'enfermer dans sa chambre. Il s'allongea sur son lit, cala ses friandises contre son flanc et reprit sa lecture de tantôt, piochant de temps à autre dans le saladier.
Quand il émergea de sa lecture, les doigts collants et des débris de maïs entre les dents, il décida d'aller faire un tour.
Il avait toujours été du genre à ne pas tenir en place, l'une des raisons pour lesquelles il avait eu tant de mal à boucler sa scolarité, possédant trop d'énergie à dépenser pour parvenir à se concentrer sur ses leçons, s'agitant sur sa chaise et tapant sur les nerfs des enseignants.
Le travail au grand air, que ce soit celui de berger comme actuellement ou la plupart de tous ceux le précédant, lui permettait au moins de se canaliser et de pouvoir se concentrer sur l'essentiel.
Il était tombé sur nombre de patrons compréhensifs ou au moins satisfaits de son besoin d'action en extérieur. Mais il ne tenait jamais longtemps les postes, finissant par s'en désintéresser.
Il espérait que cette fois était la bonne !
Heureusement que Colin et Elke étaient là pour rassurer leurs parents sur leurs avenirs respectifs ! Un échec était bien suffisant sous ce toit.
L'humeur assombrie suite à ce chemin de pensée, Link balança son livre sur sa couverture et attrapa le saladier, se dirigeant vers la cuisine, essayant de salir le moins de choses possibles sur son chemin.
Il frottait ses mains et le fond collant, les sourcils froncés, quand une toux timide le sortit de ses réflexions et se redresser en direction de l'encadrement de la porte de la cuisine. Le percepteur de Colin s'y trouvait, tenant le plateau monté plus tôt.
— Je vais y aller, où puis-je le poser ?
— Donne, donne, je peux faire un peu de vaisselles.
Il vint se planter à côté de lui mais n'eut pas l'air d'oser poser sa charge.
— Je m'appelle Jehd, se présenta-t-il.
— Link. Comme le héros des légendes, je sais, ajouta-t-il rapidement.
— C'est un prénom fort, convint-il.
— On me le dit tout le temps.
Un silence inconfortable prit place pendant que le jeune berger s'escrimait sur du sucre caramélisé.
Parfois, il se demandait ce qui était passé par la tête d'Ute et Moï pour l'avoir baptisé de ce patronyme. S'ils avaient des grands projets pour lui, ils avaient dû être bien déçus par ce qu'il en avait fait…
Son voisin poussa une nouvelle toux de gène et se dandina en se frottant la nuque.
— Je vais y aller, merci pour la conversation et bonne soirée ?
Le temps que Link se rince les mains et n'attrape un torchon pour s'essuyer, il avait pratiquement atteint la porte d'entrée, enfilant ses chaussures.
— T'habites loin ? lança-t-il tout à trac.
Jehd leva sur lui un regard un peu perdu avant de se reprendre, se redressant :
— Vers l'université.
Link n'en avait pas besoin mais il jeta tout de même un œil par les fenêtres, apercevant l'obscurité caractéristique d'un début de soirée en novembre.
— T'es en voiture ?
— À pieds.
En réaction, Link secoua la tête en soupirant.
— Donne-moi deux minutes, je reviens.
Il grimpa les marches deux par deux, surgissant dans la chambre de Colin sans frapper, le faisant sursauter et piailler.
— Je vais déposer ton prof, tu préviens les parents ? J'aurai du retard pour le dîner.
Il repartit aussi sec sans attendre de réponse, ignorant la main tendue de son frère.
— Mais tu n'y es jamais allé, Link, balbutia celui-ci.
Il manqua de s'étaler dans l'escalier mais se rattrapa, attrapant les baskets en voie de décomposition qu'il avait trainé partout cet été et qu'il sortait régulièrement de la poubelle dans laquelle sa mère les jetait, dans son dos, les enfilant, attrapant de son autre main les clés de sa voiture.
— C'est gentil, mais ça ne me dérange pas de marcher, ça me permet d'effectuer un peu d'exercice, je passe trop de temps assis, tenta de le convaincre Jehd.
Mais il connaissait mal la bête. Même les chèvres n'étaient pas aussi têtues que le jeune homme ! Il décrocha une veste au hasard et ouvrit la porte, l'invitant à sortir le premier.
— Je vais pas laisser le prof particulier de mon frère se geler le cul dehors ou manquer de se faire faucher, alors que j'peux très bien le déposer !
La lumière de la maison sourdait de quelques fenêtres, leur permettant de deviner le chemin jusqu'à la voiture de Link, mais empêchant celui-ci de remarquer la grimace inconfortable que Jehd tira suite à ses propos.
— Elle est plus toute jeune mais elle tient bien la route, lui prévint-il une fois tous deux installés.
Colin et lui se la partageaient depuis qu'il avait décroché son permis cet été, profitant de l'absence de son aîné pour l'entretenir mais aussi pour servir de taxi à ses amis. Mais comme Link l'avait récupéré dans un état convenable, il s'état contenté de lui frotter le crâne suite à cette confidence, malgré leur différence de taille – la proverbiale poussée de croissance avait été plus généreuse auprès du cadet que de l'aîné, une honte – et ses récriminations.
Peu importe s'il devait se décrocher l'épaule pour continuer de faire ça, il n'avait pas l'intention faire ses adieux à ses privilèges de grand frère !
Les premières minutes de trajet se firent dans le silence. Ils ne se connaissaient pas, Link tentait de se repérer dans le paysage nocturne et Jehd n'avait pas pour habitude d'amorcer les conversations.
— Ça fait longtemps que t'enseignes à Colin ?
Le tutoiement faisait visiblement grincer des dents à Jehd mais soit Link l'ignorait sciemment, soit il était un doux ignorant et d'un naturel confondant.
— Courant octobre. Je propose mes services de tuteurs depuis quelques années, maintenant, si vous vous en inquiétez. Je suis rôdé et j'ai plusieurs diplômes à mon actif, dont deux doctorats…
Un mouvement approximatif le coupa dans son monologue nerveux.
— T'inquiète, je doute que m'man et p'pa t'auraient laissé venir à la maison si t'étais pas impeccable. Le p'tit a un bel avenir devant lui, personne dans la famille ne compte laisser qui que ce soit le lui saboter.
Malgré la semi obscurité de l'habitacle, l'universitaire n'eut aucun mal à sentir le regard lourd pesant sur lui, telle une menace. Il déglutit nerveusement.
— Vous… vous êtes frères ? finit-il par relever.
— Oui, et selon l'ordre établi, je suis l'aîné, raison pour laquelle je suis plus petit que lui !
Son soupir contrefait apporta un sourire discret à son passager.
Il arrêta de maltraiter la ceinture de ses doigts quelques instants, pensif, avant de recommencer.
— J'ignorais que Colin avait un frère…
C'était un peu douloureux comme commentaire, mais Link se força à rester détendu, un sourire crispant ses traits.
— Ouais, j'étais dans les montagnes, les Pics Blancs, cet été. Je suis revenu il y a quelques semaines. J'ai raté la rentrée de Colin et Elke, je suis vert. Mais je doute que mon patron aurait apprécié que je plante les chèvres et que je dévale tous ces kilomètres juste pour assister à leurs cérémonies respectives. Fahd est le premier à me garder aussi longtemps, et il est vraiment cool. Il va me manquer quand je passerai à autre chose.
Il pianota distraitement du bout des doigts sur le revêtement en simili cuir du volant au rythme de la chanson en sourdine de l'autoradio.
— Oh, vous êtes, euh…
— Berger. Berger transhumant depuis l'année dernière, même ! Les chèvres de Toal sont les meilleures au monde !
Le coup de foudre avec le troupeau avait été mutuel et bien souvent obéissait-il mieux à Link qu'à Fahd, au désespoir croissant de celui-ci. Il n'avait jamais été bon avec les animaux, à se demander ce qui l'avait convaincu de se lancer dans l'élevage… Mais bon, c'était une idée d'Iria et il accomplirait le moindre désir de son épouse !
Jehd dut le guider sur la fin du trajet où ils auraient tourné en rond un bon moment, et ils se quittèrent d'une manière maladroite, étant clairement toujours deux étrangers l'un pour l'autre.
— Je suis encore en congé pour quelques jours, ça me dérange pas de venir te ramasser si tu veux, offrit Link.
— C'est très gentil mais je vais devoir décliner, Colin et moi faisons souvent le chemin ensemble.
— C'est toi qui vois. Bonne soirée !
Le doctorant observa les feux disparaître dans un virage, hésitant sur son opinion.
Link avait clairement l'air d'être un bon gars mais avec des manières limitées et un franc-parler auquel il n'était plus habitué, le mettant mal à l'aise à plusieurs reprises. Colin ne l'avait jamais mentionné jusque-là – ou quelques "mon frère" de-ci de-là qu'il n'avait jamais relevé – et il n'avait pas non plus croisé de photos de lui. Après, les murs n'en étaient pas non plus recouverts, mais Colin était le seul à montrer son bac, souriant de toutes ses dents, entourés de ses parents et de sa petite sœur.
Après, si le berger avait effectivement passé l'été loin de sa famille, il avait sans doute raté la bonne nouvelle et n'avait donc pu être présent pour la photo.
Rejoignant son petit appartement, Jehd conclut qu'il ne savait pas trop quoi penser de cette nouvelle rencontre, mais qu'après tout ils n'avaient pas énormément échangé, ce qui jouait.
— Hé, frangin, ça te dit qu'on aille pêcher ?! s'exclama Link en passant la tête par la porte ouverte.
— Par ce froid ? dramatisa Colin. Mais on va finir en glaçon !
— Sache, jeune ignorant, que ces températures sont considérées comme vivifiantes ! expliqua son frère d'un faux air docte.
Il le perdit bien vite quand un coussin percuta son visage, le renvoyant aussi sec.
— Allez, sors ton cul de ta chambre, t'y passes toute la journée, tu vas finir par prendre la forme des meubles !
Pourvu de personnalités différentes, il avait beaucoup de mal à comprendre l'amour des études de son cadet, mais surtout sa capacité à rester assis des heures durant à lire ou à apprendre en général. Même les repas mettaient à mal ses efforts !
Du bout du couloir, Ute conseilla à son fils de surveiller son langage, le faisant baisser la tête, intimidé.
Toujours à son bureau, Colin arqua un sourcil à l'encontre de son frère, curieux mais désintéressé.
— S'il y a bien une chose que je sais, c'est qu'il est important de s'octroyer des pauses pour s'oxygéner le cerveau, reprit-il. Après, je proposais la pêche parce qu'on n'a pas fait ça depuis un bout de temps et que j'ai entendu le vieux Bohdan dire que le lac était blindé de poissons, mais on peut faire autre chose ! Y'a quoi qui t'intéresserait ?
Le soupir de Colin resta inaperçu alors qu'il se frottait les yeux, réfléchissant.
Il avait été déçu par l'absence de Link même si c'était la deuxième fois, interprétant malgré lui ça comme une fuite de sa part alors que lui-même participait aux premiers examens vraiment importants de sa vie, pouvant déterminer son futur. Qu'il ne soit pas là lorsque leur père l'avait accompagné à l'affichage des résultats ou pour la réception du diplôme, quand il s'est inscrit pour le permis ou lorsqu'il l'a décroché, pour leurs rentrées à Elke et lui, tout cela lui avait fait mal, comme lorsqu'il n'était qu'un enfant et que Link préférait aller jouer avec ses amis du même âge, voire plus vieux, qu'avec lui.
Et le voir, là, quémandant de son temps, l'air embarrassé et presque repentant, lui donnait clairement envie de refuser, juste pour le plaisir d'être celui qui choisissait pour une fois, qui pouvait refuser cette main tendue et qui avait "mieux à faire", même si jamais Link n'avait tenu ses propos.
Grandir avait fait d'eux des étrangers, presque. Les luttes de son aîné contre ses difficultés scolaires l'avaient fait se renfermer sur lui-même, passant beaucoup de temps seul et partant en crises de colère parfois, l'effrayant.
Ils avaient quasiment dix ans de différence, leurs soucis et besoins n'étant jamais les mêmes. Ils étaient plus des frères par la biologie que par une relation fusionnelle. En comparaison, il était bien plus proche d'Elke malgré leurs huit ans de différence.
Mais il avait aussi conscience que rejeter cette offrande de paix était une mauvaise idée, une réaction à chaud qu'il regretterait.
— Je dois acheter des livres pour mon cours de découverte littérature gerudo. Tu m'accompagnes ?
L'entrain de son frère lui fit pratiquement mal au cœur.
Le trajet jusqu'aux librairies spécialisés fut majoritairement en silence, à peine ponctué par des banalités, majoritairement lancées par Link qui pataugeait allégrement. Il finit par se taire à son tour quand il comprit que Colin n'était pas d'humeur bavard.
— La vache, le centre-ville a changé depuis la dernière fois, commenta-t-il.
Il se dévissait la nuque pour observer les alentours, les mains enfoncées dans les poches de son sarouel.
Il était si bruyant, si sans-gêne… L'espace de quelques secondes, Colin caressa l'idée de lui fausser compagnie ou d'au moins prétendre ne pas le connaître.
Ce n'était pas son genre de renier les liens qu'il pourrait entretenir avec quelqu'un, juste parce que son apparence ne correspondait à sa propre image, mais Link avait un petit côté provincial découvrant la capitale qu'il ne pouvait s'en empêcher. Il venait seulement de commencer l'université et son dossier parfait lui avait permis d'entrer dans la prestigieuse Académie d'Hyrule, mais aussi d'avoir pour tuteur un élève aussi important que Jehd ! Il n'aurait jamais pu rêver de mieux.
Alors, s'afficher avec son frère aîné qui jurait comme un charretier, usait rarement de mots de plus de trois syllabes et portait les mêmes vêtements depuis presque cinq ans… Enfin, au moins le tout était-il propre !
Prenant sur lui tout en soupirant, Colin indiqua à son frère par quelle enseigne commencer et poussa la porte.
Comme prévu, il y avait là d'autres étudiants comme lui, à la quête d'ouvrages en rapport avec leurs domaines, des chercheurs et même des professeurs et d'autres chargés de cours. À première vue, pas de visage familier, mais sa promo était conséquente et il n'avait pas rencontré tout le monde, le danger était toujours là.
Un sifflement admiratif dans son dos le fit se tendre et même s'empourprer quand l'attention de tous se tourna vers lui – ou plutôt à l'encontre de son frère, derrière lui.
— Eh bah, y'a du monde ! Tu veux que j'attende dehors, peut-être ?
Oh oui, par pitié, et si tu pouvais te perdre, au passage…
Il lui afficha un sourire faussement contrit avant d'accepter en le remerciant puis alla se cacher dans la première allée venue, comptant les secondes avant que les clients ne retournent à leurs affaires.
Quand il ressortit avec une partie de sa liste, ce fut pour trouver Link s'entretenant avec des femmes âgées. Il paraissait leur indiquer un chemin et elles le quittèrent peu de temps après, mais pas sans lui pincer les joues en gloussant ni lui pousser des pâtisseries faites maison dans les bras.
Link en avait déjà glissé une entre ses dents quand il se retourna pour lui faire face.
— Sers-toi, elles sont super bonnes ! mâchonna-t-il avec enthousiasme.
Colin obtempéra, par politesse.
Ils grignotèrent jusqu'à la librairie suivante, mais si Link complimentait pratiquement chaque bouchée, Colin avait l'impression de mâcher du papier.
Il était jaloux du naturel avec lequel les gens abordaient son frère et celui avec lequel il leur répondait. Petit, il l'admirait pour ça, s'embrouillant avec les héros de ses contes de fées par la faute de leurs noms semblables, rêvant d'aventures grandioses pour son chevalier de grand frère, mais la réalité avait été toute autre.
Il était celui qui avait un avenir tout tracé et il enviait celui qui vivotait difficilement. Le monde à l'envers.
Cette fois, Link le suivit dans le commerce, mais il se sentait clairement comme un poisson hors de l'eau, lorgnant les titres à rallonge sur le dos des livres comme s'ils allaient le mordre.
Bien malgré lui, Colin en ressentit un plaisir vicieux.
Link avait argué pour qu'ils dégustent une glace, alors ils allèrent à la voiture pour se décharger de leurs courses puis s'assirent à un banc du parc, leurs desserts en main.
Comme toujours, Link la dévorait comme s'il n'y avait pas de lendemain, ou comme s'il n'avait pas passé les dernières heures à se remplir la panse, là où Colin était plus mesuré, savourant enfin le sucre sur sa langue.
L'ambiance avait dû donner l'impression à son frère qu'ils s'étaient rapprochés ou bien le sujet le titillait depuis quelques temps, en tout cas il finit par se lancer :
— Alors, les amours ?
Il hésita cette fois entre enfoncer son visage dans son cornet ou utiliser celui-ci pour frapper son frère, mais à la place il le finit de quelques coups de dents.
— Le calme plat. Pourquoi cette question ?
— Il n'y avait pas cette fille ? Euh… Anaïs ?
— C'était en cinquième, répondit-il froidement.
— Ah oui, tu as raison… Alors, Fénir ? Maman m'a parlé de lui…
— C'est mon meilleur ami depuis la primaire ! s'emporta-t-il.
— Alors quelqu'un de ton lycée ou parmi tes cours à l'université ? T'as dû faire un tas de nouvelle rencontre, monsieur l'étudiant !
Il esquiva de peu la tentative de lui ébouriffer les cheveux, sentant l'extrémité abimée de ses doigts frôler la peau de son cou.
— En quoi ça te regarde ? marmonna-t-il.
— Si tu ne veux pas m'en parler, en rien, concéda Link. C'était juste pour faire la conversation, mais je vois que j'y suis toujours nul. Faut dire que les chèvres ne sont pas les meilleures coach pour s'entraîner à devenir orateur.
De nouveau, il sentit un pincement de culpabilité alors qu'il jouait avec la serviette en papier.
— Je suis célibataire. Et toi ?
La réponse enthousiasma bien trop le berger pour apaiser les remords du bachelier.
— Eh bien, on était quelques bergers, là-haut, mais rien de sérieux. On s'est tous mis bien d'accord à ce sujet. Et puis, Hena est en couple avec Lise depuis presque cinq ans, quelques coucheries ne méritent pas de foutre en l'air une relation pareille !
La tendance sans détour de son frère à parler le plongeait toujours dans l'embarras mais Colin découvrait que c'était pire quand il était question de ce genre de sujet de conversations.
— Mais libre comme l'air, cela dit. Et puis, qui voudrait s'engager avec un type comme moi ? rit-il.
Son cadet afficha un vague sourire, mal à l'aise.
— Mais t'as personne en vue ? C'est pourtant pas les candidats qui doivent manquer, avec tout ce monde inscrit !
Bien malgré lui, il se vendit tout seul, détournant le regard, rosissant et se frottant le nez.
— Ah, on dirait que je frôle quelque chose ! Raconte tout à ton grand frère ! Peut-être que ma vie amoureuse atypique pourrait t'être utile !
— Pas un mot aux parents ! siffla Colin.
— J'suis pas une balance et ça m'était pas venu à l'esprit, mais okay, promis juré craché !
Il préféra ne pas suivre du regard le crachat expulsé, restant concentré sur son frère qui affichait un sourire un peu trop intéressé, les yeux brillants.
— Alors ? Pour qui ton cœur soupire ?
Levant les yeux en réaction à cette tournure stupide, il se frotta le front et malmena sa lèvre de ses dents, assemblant ses phrases.
— C'est quelqu'un de plus âgé que moi.
— Pas bien difficile, ça, quand on a son bac à dix-sept ans, renifla-t-il moqueusement.
— Tu veux que je raconte ou je laisse le reste à ton imagination ?
— Ne t'interromps surtout pas pour moi !
— Après, il n'y a pas grand-chose d'autre à rajouter, on se parle peu et toujours en rapport avec les cours. Et je suis trop timide pour l'inviter à sortir boire un verre ou juste manger ensemble…
— Franchement, tant que c'est pas un prof, tente ta chance. Se prendre un râteau, c'est jamais agréable, mais soupirer des années après un béguin, c'est encore pire. Tu peux me croire…
Link finit sa phrase en observant le ciel blanc de nuages amoncelés, l'air rêveur.
— Tu l'as vécu ?
— Ouaip, j'étais en… seconde, je crois ? Un mec trop craquant, dans la classe d'à côté. Je pouvais le voir à chaque intercours, j'ai passé des heures à baver sur lui. Je crois qu'il s'est engagé dans la garde royale ? J'ai pas trop suivi, je t'avoue, j'avais déjà bien la tête bien pleine. Ça va ?
Il avait posé la question en se rendant compte que son frère le fixait, l'air perplexe.
— T'es gay ?
— Pan, en fait. L'amour et le plaisir sont mes seuls critères, si je peux dire, décréta-t-il avec la même nonchalance qu'il lui donnerait l'heure.
— Les parents sont au courant ?
— D'où crois-tu que je connais ce mot ? C'est eux qui se sont informés et qui m'ont expliqué. Tu me connais, les étiquettes, moi… Mais j'avoue que c'est plus rapide que devoir tout expliquer, même si parfois les gens savent pas plus que moi.
Colin eut l'impression que l'ambiance entre eux s'était légèrement réchauffée, tous deux fixant droit devant eux, les yeux perdus dans le buisson de l'autre côté de l'allée.
Ils rejoignirent la voiture sans autre révélation. Les silences étaient moins nombreux mais on était encore loin d'une conversation fraternelle, tous deux restant assez en surface.
C'est en se glissant derrière le volant – par habitude, Colin l'avait laissé faire – que Link se souvint qu'à la base, il parlait de son frère.
— Donc, quelqu'un de plus âgé que toi et à l'université, reprit-il en tournant la clé dans le contact. Et vu ta réaction… Devrais-je parier que c'est un gars ?
Il arborait ce foutu sourire plein de dents comme à chaque fois qu'il était fier de sa blague mais qu'il savait qu'on le pardonnerait. Par bien des aspects, il restait un foutu gamin. Colin l'adorait autant qu'il le détestait.
— Qu'est-ce qui te fait penser ça ?
Link cilla à sa réponse, avant de poursuivre.
— Bah, déjà, la voix aigüe que tu viens de prendre, pour commencer. Ensuite, le fait que tu ais bien fait attention de ne pas préciser si c'était un gars ou une fille. Puis la tronche que t'as tiré en découvrant mon orientation. Tu t'es totalement vendu tout seul, mon p'tit pote.
Geignant, Colin enfonça son visage dans ses mains, se pliant presque en deux sur son siège. Loin de compatir, son frère rit de sa situation.
— T'en sais trop, je n'en dirai pas plus, gémit-il.
— Viens m'en parler quand tu le voudras.
Quand ils arrivèrent chez eux, Colin se dépêcha de se réfugier dans sa chambre avec ses achats, sans doute pour se cacher dans son lit et peut-être même d'hurler dans son oreiller. Link ne pouvait que supposer, planquant ses baskets usées pour que leur mère tombe dessus le plus tard possible.
Il aimait bien ces chaussures, elles étaient confortables et pouvaient encore faire leur job un petit moment !
Se faufilant dans la cuisine, attiré par les bonnes odeurs qui s'en dégageaient, Link salua sa mère qui se penchaient déjà sur le dîner, reniflant exagérément.
— Tu attendras tout à l'heure, comme tout le monde, le menaça-t-elle gentiment. Je t'ai à l'œil, petit garnement !
Affichant son air le plus innocent, il scanna tout de même les comptoirs à la recherche du moindre larcin, son estomac déjà creux malgré la glace et les pâtisseries de tantôt, d'où la mise en garde d'Ute qui connaissait son fils par cœur, tout comme son appétit sans limite. Quand il tendit la main vers un morceau de carotte, une spatule fendit l'air et fouetta sa main qu'il rabattit rapidement contre lui, sifflant de douleur.
— Mais maman…!
— Tu as été prévenu !
Il lui fit ses plus beaux yeux de chiot mouillé mais elle tint bon, lui offrant son meilleur regard sérieux, les bras croisés, jusqu'à ce qu'il cède en soupirant.
— Besoin d'aide ?
— J'ai presque fini, mais c'est gentil de proposer. Vous avez passé un bon moment tous les deux ?
S'accoudant au comptoir, Link résuma leur après-midi en ville. Il ne s'était pas particulièrement amusé et l'affection entre eux était loin d'être aussi intense que durant leurs plus jeunes années, mais il y avait eu un soupçon de complicité.
— Colin vous parle des gens qu'il côtoie à l'université ? Quelqu'un qu'il aurait nommé ?
— Oh, tu sais mon chéri, il y a beaucoup de monde… Hormis ses professeurs et ses quelques amis… Et il ne fait pratiquement qu'étudier. Il n'y a bien que Jehd que nous avons pu rencontrer. Excepté les amis qu'il avait déjà au lycée…
La viande rissolait dans la poêle, attirant son attention.
— Jehd ?
— Oui, tu sais, le tuteur que l'Académie lui a assigné afin de le guider à travers sa première année. Tu l'as rencontré, je crois ?
— Oui, je l'ai raccompagné, répondit-il distraitement.
— C'est très gentil à toi, mon chéri.
Elle lui pinça la joue à son tour, lui souriant doucement. Voir son aîné quitter la maison, dix ans plus tôt, avait été douloureux, même s'il revenait de temps à autre, revenant parfois loger entre deux emplois ou quand il avait du mal à trouver un appartement, mais ce n'était plus pareil. Elle pouvait fermer aussi fort les yeux que possible et le prendre dans ses bras, c'était un adulte grandi qu'elle tenait contre elle, plus le petit bébé que l'infirmière avait posé contre elle après de longues heures épuisantes de travail.
Embarrassé, il la laissa faire, ressemblant plus que jamais à l'enfant blagueur qu'il était. Jusqu'à ce qu'il se redresse subitement, ayant joint les points.
Un gars ? Plus âgé que lui ? À l'université ? Tout cela prenait une direction…
Pensif, il tendit de nouveau la main pour la plonger dans la casserole bouillante, la retirant en hurlant sous la brûlure, sous le regard circonspect de sa mère qui devait encore se demander comment son fils avait pu survivre jusque-là.
— Fais couler de l'eau, soupira-t-elle en allant chercher la trousse à pharmacie.
Déesses, ce qu'elle pouvait aimer ses enfants. Si seulement ils pouvaient être plus dégourdis…
— Oh, salut ! T'es sur le départ ?
Ayant fini sa journée de travail, Link était rentré chez ses parents. Il était sur le point d'ôter ses chaussures quand Jehd arriva, pour l'action inverse.
— Bonsoir. Oui, la session d'études vient de s'achever.
— Cool ! Tu veux que je te déposes ?
Le sourire poli qu'il reçut en réponse le dépassa et il se contenta de le fixer, les yeux ronds, attendant une réponse verbale. Puis il se redressa violemment, piquant un fard. Il retira tout aussi sec sa chemise sans prendre la peine de la déboutonner, la glissant par-dessus sa tête.
— Désolé, j'oublie toujours que je sens la chèvre ! J'imagine que l'odeur n'est pas à ton goût, elle ne l'est pas pour grand-monde, soit dit en passant. Je me change et je te conduis, ça te va ?
Il se redressa pour scruter son visage, toujours dans l'attente d'une réponse, mais Jehd était cette fois figé, presque aussi rouge que ses cheveux.
— Mec ? Ça va ? Tu devrais peut-être t'asseoir ?
Il le conduisit à la chaise toute proche et lui tapota la joue avant de foncer à la cuisine où fouilla les placards pour en extirper qu'il remplit d'eau.
— Link ? Qu'est-ce que tu fais torse nu ?
— M'man ! Y'a l'prof de Colin qui se sent pas bien, je crois qu'il fait un malaise !
Il retourna à ses côtés, lui tendant le verre, mais si celui-ci fut saisi, il n'y eut aucune tentative de le boire ou d'au moins le porter à ses lèvres.
Restée en arrière, Ute les observa. Curieuse et inquiète au début, elle s'amusa rapidement en remarquant ce à quoi son fils semblait être aveugle.
Jehd était un charmant garçon, très poli et respectueux, toujours tiré à quatre épingles malgré le long trajet de l'université jusqu'à chez eux, traitant correctement son cadet sans jamais démontrer la moindre supériorité malgré leur écart d'âge (douze ans, si sa mémoire était bonne ?) ou leur différence de niveau scolaire.
Il affichait toujours un air sérieux, concentré. C'était bien la première fois qu'elle l'apercevait avec une pareille expression !
Soit son fils était niais sans le moindre espoir, soit il était parfaitement conscient du regard insistant que portait le chargé de cours sur ses muscles et en faisait fi.
Hélas, elle le connaissait assez bien pour savoir que c'était la première option…
— Chéri ? Je m'en occupe, tu devrais aller te changer avant de prendre froid.
Elle haussa les sourcils à la fin pour prévenir que sa suggestion était bien un ordre qu'il n'avait pas intérêt à contredire. Elle se doutait bien que ce n'était pas après une journée dehors à prendre soin des chèvres qu'il allait s'enrhumer à l'intérieur de leurs murs, mais c'était le meilleur prétexte pour l'éloigner.
Quand ils furent seuls, Jehd parut se reprendre et se râcla la gorge, embarrassé, et but enfin son verre, fuyant le regard de la mère de famille.
— Vous avez ma bénédiction. Et sans doute celle de mon mari, je ne pense pas trop m'avancer en parlant à sa place.
Heureusement qu'il avait fini de boire, il aurait pu s'étouffer. Il darda sur elle des yeux si ronds qu'elle aurait pu s'attendre à les voir tomber de ses orbites.
— … Pour faire quoi ?
— Pour sortir avec Link, bien sûr ! Pour le reste, on avisera en temps et en heure, mais je n'ai aucun doute que vous pourrez aller loin, tous les deux. Tout dépend d'à quel point vous pouvez parvenir à ouvrir les yeux de mon fils. Si vous attendez qu'il fasse le premier pas, vous risquez d'attendre longtemps.
Entendant le retour peu discret de l'intéressé, elle afficha un sourire de connivence additionné d'un clin d'œil, puis retourna dans la cuisine, les laissant tous les deux.
Link apparut peu après, bataillant avec les boutons d'une chemise propre. Il s'était changé, comme demandé plus tôt, mais des brins d'herbe et de paille parsemaient toujours sa chevelure folle, donc il n'avait pas pris de douche. Ni coiffé.
Irrécupérable. Son fils était irrécupérable.
— Désolé, je ne voulais pas t'agresser, j'ai tellement l'odeur dans l'nez que j'oublie souvent que tout le monde n'est pas dans ce cas. Parfois, la famille me jette même des seaux d'eau pour me faire réaliser plus vite.
Le rire qui le secoua fut communicatif et Jehd se découvrit l'accompagner, bien qu'il en était un peu surpris.
— Bref, on y va ?
Ils sortirent rejoindre la voiture, l'étudiant toujours pensif.
Le trajet fut plus fluide que le précédent, Link s'étant familiarisé de nouveau avec la ville, et surtout avec l'itinéraire, leur permettant de deviser paisiblement.
— Dis, j'ai une question, au sujet de Colin…
Accoudé à sa portière, Link conduisait, l'extrémité des doigts crochetés au volant à l'effroi de son passager qui tentait de s'agripper discrètement au siège.
— Quelle est-elle ?
Lâchant le volant pour changer de vitesse, Link quitta la route du regard pour scruter son voisin, l'air impénétrable.
— Tu savais que le p'tit frère est intéressé par quelqu'un de plus vieux que lui ?
Ne s'attendant pas à cette interrogation, Jehd cilla en silence avant de se tourner vers lui, croisant ses yeux des siens, l'invitant à poursuivre.
— Euh, non. Les vies personnelles de mes tutorés ne font partie de mes prérogatives. À moins que celles-ci n'aient un impact sur leurs études ou qu'ils m'en parlent d'eux-mêmes. Je ne suis pas du genre intrusif ou commère.
Remettant les yeux sur la route, Link la fixa quelques instants, réfléchissant.
— Connaissant Colin, je doute qu'il en ait parlé à qui que ce soit avant que je ne lui tire les vers du nez. T'as pas une idée, quelqu'un sur lequel il t'a posé des questions ou que tu vois vouent avec lui ?
Comme il n'y avait personne, il garda le silence, fronçant le nez alors qu'il tentait de deviner quelle direction prenait cette conversation, en supplément des événements récents.
— Je n'vais pas y aller par quatre chemins, tourner autour du pot c'est pas mon truc. Est-ce que tu te tapes mon frère ou as-tu l'intention de le faire ?
Ils s'étaient arrêtés à un feu rouge et Jehd envisagea d'en profiter pour quitter la voiture et de s'enfuir en courant. C'était l'une des pires situations qu'il avait pu vivre, et il en avait quelques-uns à son actif, tout de même !
— Non, couina-t-il d'une voix étranglée.
La lueur rouge baignait leurs visages, amplifiant l'impression menaçante du frère aîné qui paraissait avoir oublié de ciller depuis qu'ils s'étaient arrêtés.
— Vraiment ? Car tu ressembles trait pour trait à la description qu'il m'a donné.
Tout un tas de pensées se bousculait dans le crâne du chargé de cours, lui donnant le tournis, mais il tint bon. Il était important de clarifier la situation. Surtout si la chaleur qu'il avait ressentie plus tôt était en accord avec la déclaration de la mère de son tutoré.
— C'est vert, articula-t-il, la gorge sèche. Et je doute que Colin ressente la moindre inclinaison en mon encontre, bien que la solution la plus simple serait de le questionner lui. De mon côté, je peux vous assurer sur ma vie ne pas avoir eu le moindre intérêt pour votre frère. C'est un jeune homme brillant avec qui j'ai grand plaisir à discuter ou enseigner, mais notre relation est strictement celle attendue par l'université. À la limite, peut-être frôlons-nous le concept d'amitié, mais jamais plus. Et dans le cas où, effectivement, il a des sentiments pour moi, merci de m'en faire part le plus tôt possible afin que j'alerte la direction et demande à lui trouver un nouveau tuteur. Hors de question de mettre son avenir en péril pour une… amourette de passage !
Il s'était emporté vers la fin, ne se rendant pas compte qu'ils étaient arrivés et même que Link s'était garé, cette fois, l'observant dans sa diatribe, penché sur le volant. Par contre, lorsqu'il se tourna vers lui et que leurs yeux se croisèrent une fois de plus à la lueur des réverbères, Jehd sentit un frisson lui parcourir l'échine, se sentant plus en danger que jamais, et pire que lorsque Link l'avait interrogé, au feu de circulation. Et pourtant…
Et pourtant, il ne voulait pas non plus que ce frisson s'arrête. Il ne voulait pas sortir cette fois, alors que rien ne l'en empêchait.
Il était en bas de l'immeuble où se trouvait son appartement, son sac était à ses pieds et maintenant que le moteur était coupé, les portières n'étaient plus verrouillées.
Attraper son sac et partir avant d'être rattrapé devait être faisable. Il n'en donnait pas l'impression, mais Jehd avait remporte quelques médailles à la course à pied. En comptant sur l'effet de surprise et la porte de l'immeuble nécessitant une clé, il devrait pouvoir se mettre à l'abri avant même que le berger ne se relève.
Mais non.
Il se sentait précieux dans ces yeux. En sécurité. Unique. Beau.
Il n'y avait plus que leur respiration pour troubler le silence de l'habitacle, chacun dévorant l'autre de son regard.
L'un des deux esquissa le premier mouvement, mais même dix ans plus tard ils étaient incapables de s'accorder sur qui c'était, leurs mains se joignant au-dessus du levier de vitesse, se tenant juste.
— Eh bien, si mon frère ne t'intéresse pas, que dirais-tu d'essayer le modèle original ?
Jehd ne put s'empêcher de rouler les yeux dans ses orbites mais ne s'écarta pas pour autant.
— Par pitié, utilise cette bouche pour n'importe quoi de plus intelligent que parler.
Plus amusé qu'offensé, il obtempéra et se pencha pour l'embrasser, manquant de se cogner contre le plafond bas de la voiture.
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