Bonne année à tous!

Enjoy & Review!


"… the bullet we're running from is almost never the one that hits us."

Toby Barlow, Sharp Teeth

"…la balle que l'on fuit n'est pratiquement jamais la même que celle qui nous abat."

Toby Barlow, Sharp Teeth

Chapitre 20 : The Bullet We're Running From

Remus remporta son duel contre le Mangemort d'un revers de baguette presque violent. Sirius vit l'homme s'écrouler du coin de l'œil, son attention partagée entre la brûlure de Nyssa qu'il s'efforçait de soigner, le duel dans lequel son meilleur ami s'était lancé et le toit où Tonks se trouvait, sur lequel il devinait à peine les deux silhouettes dans la nuit noire. Celle, plus menue, de la jeune femme était trop près du bord à son goût.

« Va l'aider. » siffla Nyssa, en suivant son regard. « Je m'en sortirai. Va l'aider. »

Trop tard, pourtant. À peine avait-il ligoté son adversaire d'un sort que Remus avait disparu dans un craquement sonore.

L'Animagus eut à peine le temps de se lever.

Tonks bascula dans le vide.

Il était trop loin. Une dizaine de sorts lui traversèrent l'esprit mais il s'arrêta sur le seul qui avait une chance de la sauver.

« Arresto Momentum ! » hurla-t-il, sa baguette fouettant l'air avec désespoir.

Ce sort demandait une puissance magique hors du commun. Une puissance que Sirius ne possédait pas. À sa connaissance, seul Dumbledore et quelques rares autres sorciers parvenait à le lancer en Grande-Bretagne.

Le temps ne s'arrêta pas.

Mais il ralentit suffisamment pour que Remus ait le temps de se pencher et de beugler à son tour la formule. Ils parvinrent à contrôler la chute de la jeune femme suffisamment pour qu'elle ne s'écrase pas aussi violemment qu'elle ne l'aurait dû.

Elle heurta tout de même le pavé avec une certaine brutalité et y resta prostrée.

Sirius se plia en deux, le souffle court et le visage trempé de sueur. Nyssa s'élançait déjà en direction de leur amie et, après quelques secondes passées à avaler goulument l'air froid, il se força à l'imiter, ignorant ses jambes en coton. Au loin, pas si loin à vrai dire, il entendait déjà le bruit des sirènes des voitures de police Moldu.

Il rejoignit les jeunes femmes au moment où Remus transplannait près d'elles. Lui non plus n'avait pas l'air de bien tenir sur ses jambes.

Tonks s'était assise et faisait jouer l'articulation de son épaule en grimaçant.

« Tu vas bien ? » s'inquiéta immédiatement le loup-garou, en s'agenouillant près d'elle. Il tendit la main vers son visage mais elle esquiva, les sourcils froncés.

« Je n'ai rien. » répondit-elle, plutôt froidement. « Merci. »

« Il faut dégager. » décréta Sirius alors que le bruit des sirènes augmentait. « Je vais aller à Poudlard. Quelqu'un doit prévenir Dumbledore. Et il faudrait s'occuper de nos prisonniers… »

« Je t'accompagne. » déclara aussitôt l'Auror, en se remettant prudemment debout. Elle chancela et sans l'aide de Nyssa qui la stabilisa, elle se serait probablement retrouvée à nouveau par terre.

« Tu viens de tomber d'un immeuble. Tu as besoin de repos et que quelqu'un t'examine. » contra Remus, sur le champ. « Tu... »

« Je ne t'ai pas demandé ton avis. » rétorqua-t-elle, en se tournant vers son cousin. « Je t'attends à Pré-au-Lard. Vers Les Trois Balais ? »

Sirius approuva d'un hochement de tête, partageant l'avis de son meilleur ami mais peu enclin à se faire sermonner. Elle disparut avant que quiconque n'ait pu dire quoi que ce soit. Avec une grimace d'excuse pour le loup-garou, il haussa les épaules.

« Soigne ce bras. » ordonna-t-il à la vampire.

Il transplanna avant qu'elle n'ait pu, elle aussi, lui intimer de s'occuper de ses affaires.

Transplanner si tôt après avoir utilisé un sortilège aussi puissant n'était pas une excellente idée. Pour ne pas dire qu'elle était très mauvaise. Il eut à peine le temps de distinguer les murs familiers de la ruelle derrière Les Trois Balais qu'il se pliait en deux et rendait le contenu de son estomac.

« Ça va ? » s'inquiéta Tonks.

Elle ne paraissait pas très en forme elle-même mais, au moins, tenait-elle debout.

Il inspira et expira longuement plusieurs fois, attendant que les crampes qui lui retournaient l'estomac s'espacent suffisamment avant de se redresser. Il combattit vaillamment la sensation de vertige et lui adressa un sourire crispé.

« Jamais été mieux. » lâcha-t-il. « S'il te plait, évite de retomber d'un toit à l'avenir parce que ce sortilège n'est vraiment pas agréable. »

Son visage se tordit en une grimace contrite.

« Désolée. » offrit-elle. « Et merci. Vraiment. » Elle passa son bras autour de sa taille d'autorité, le soutenant à moitié malgré ses propres jambes flageolantes. « Il te faut du sucre. » décréta-t-elle. « Et peut-être un verre de whiskey, je ne cracherai pas sur un verre non plus, à vrai dire. Je suis sûre que Dumbledore a ça en stock. »

Sirius préféra garder le silence, principalement parce qu'il n'était pas certain de ne pas être à nouveau malade s'il ouvrait la bouche.

Encore fallait-il qu'ils parviennent jusqu'à Poudlard.

°°O°°O°°O°°O°°

La Marque lui faisait l'effet d'un acide lui rongeant la chair – ce n'était jamais bon signe.

Lorsque Severus tranplanna, sa main gauche était crispée, les doigts presque engourdis par l'effort que ne pas serrer le poing pour combattre la douleur lui coûtait. Il était tard pour une réunion classique, trop tard. Et le fait que la Marque se soit soudain mise à brûler au milieu de la nuit alors qu'il était penché sur un tas de copies qu'il avait négligé trop longtemps était de mauvais augure.

Le champ dans lequel il atterrit était immense, l'emplacement de la réunion était délimité par des torches plantées dans le sol, léchées d'un feu vert sombre aussi profond que celui d'un sort de mort, et qui, non contentes d'éclairer la scène d'ombres inquiétantes, servaient également à empêcher quiconque de les localiser.

De nombreux Mangemorts étaient déjà rassemblés, chuchotant à voix basse, tournés en direction du trône sombre que Severus distinguait à peine au loin. Les rangs de l'armée du Seigneur des Ténèbres s'étaient agrandis en son absence. Il aurait été incapable de dire qui se dissimulait derrière la moitié des masques blancs qui l'entouraient.

Les discussions se turent lorsqu'il rejoignit la masse de sorciers, la foule s'écarta, laissant un chemin large et net jusqu'au trône sur lequel Lord Voldemort était assis.

L'impression qu'il était le dernier arrivé s'accrue.

La certitude que la mise en scène était à dessin également.

« Avance, Severus. » ordonna la voix froide et cruelle du mage noir. Ce n'était qu'un murmure et pourtant il raisonna dans le champ comme un coup de tonnerre.

Severus s'avança.

Quel autre choix avait-il ?

Les cultures mortes craquaient sous ses pieds, pourtant il garda son pas assuré, ne s'autorisant pas la moindre hésitation. Où que ses yeux se posent, il ne trouvait aucune silhouette familière. Les masques lui étaient inconnus, certains étaient ouvragés, d'autres simples. Il avait des difficultés à respirer derrière son propre masque et il s'exhorta au calme, ignorant la sueur qui perlait à son front.

Il avait un mauvais pressentiment.

« Maître. » offrit-il avec autant de déférence que possible, en s'agenouillant au pied du trône.

Le serpent lové non loin de là leva la tête et le fixa de son regard froid, semblant n'attendre qu'un ordre pour faire de lui son prochain repas. Sur la droite, sans masque, Bellatrix le dévisageait avec tout autant d'impatience. Sur la gauche, à l'abri derrière les arabesques ouvragées de l'ivoire polie, Lucius se tenait droit, impassible. Et sur le trône, face à lui… Severus n'osa pas lever la tête sans y être invité. Quoi qu'il se passe, la marge de manœuvre serait fine, la partie serrée.

« Severus… » lâcha le mage noir, presque aimablement. « Sais-tu que j'avais confié une mission à Lucius ? Une mission à laquelle il a lamentablement échoué ? »

Les s sifflants lui faisaient l'effet de coups de fouets dans l'air : secs et cruels, impardonnables. Il jeta un coup d'œil au Sang-Pur mais Lucius Malfoy ne tressaillit pas, acceptant l'accusation avec fatalisme et dignité.

« Non, Maître. » répondit-il. « Je l'ignorais. »

« Étrange. » rétorqua le Seigneur des Ténèbres, dans un silence de plomb. « L'Ordre du Phoenix paraissait au courant, lui. »

À l'abri derrière son masque, Severus ferma brièvement les yeux.

« J'ai mentionné que Vous vous intéressiez aux pierres précieuses, comme nous l'avons discuté, Maître. » répondit-il prudemment. « Vous… »

« Silence. » exigea le mage noir, sans élever la voix. Il n'en avait pas besoin. « T'ai-je ordonné de rapporter à Dumbledore que nous cherchions l'Œil de Salem? »

Comment aurait-il pu rapporter une information qu'il ne possédait pas ? Il n'avait rien dit à Albus, il ne connaissait rien de la mission de Lucius et il n'avait qu'une très vague idée de ce qu'était l'Œil de Salem.

Un choix s'offrait à lui. Un choix qu'il aurait préféré ne pas avoir à faire. Un choix qui reposait sur un simple pari, une hypothèse. L'espion par lequel Dumbledore l'avait remplacé, celui dont Severus soupçonnait l'existence, était-il le même que celui qui informait le Seigneur des Ténèbres ? Était-il question d'un double jeu ou bien la situation était-elle plus complexe ?

Severus tendait à penser qu'il s'agissait de deux personnes différentes. Les informations qui filtraient d'un côté et de l'autre étaient trop précises pour qu'il en soit autrement et, dans les deux cas, il était le parfait bouc émissaire.

Il pouvait soit hurler à l'espion ou taire ce qu'il devinait et protéger la source secrète de Dumbledore.

« Non, Maître. » confirma-t-il avec prudence. « Vous ne me l'avez pas ordonné. »

Il vit, du coin de l'œil, Bellatrix tapoter impatiemment sa baguette contre sa cuisse et, pourtant, il n'osa toujours pas lever les yeux. La terre était froide et gelée, dure sous ses genoux.

« Dans ce cas, Severus… » siffla le Seigneur des Ténèbres. « La question se pose… Pourquoi est-il au courant ? »

Pourquoi et non comment, nota-t-il.

Il garda le silence trop longtemps, cherchant désespérément une réponse qui ne serait pas un arrêt de mort. Il avait vu trop d'hommes se faire froidement assassiner pour avoir émis une parole qui avait déplut au mage noir. Il avait promis à Harry de se battre si une telle situation se présentait, de tenter de s'échapper par n'importe quel moyen… Alors, bien sûr, l'idée de bondir sur ses pieds et de sortir sa baguette lui traversa l'esprit. Elle était tellement risible, toutefois, qu'il l'écarta immédiatement. Seul face à une armée, quelles étaient ses chances ? Il n'était pas un Gryffondor, il n'était pas désespéré de mourir l'arme à la main. Avec dignité, oui, peut-être, mais pas dans un dernier souffle de gloire.

« Peut-être tes priorités ont-elles changées… » reprit le Seigneur des Ténèbres. « Peut-être as-tu désormais des loyautés plus pressantes que celles qui t'unissent à moi… »

« Maître, non ! » s'exclama-t-il immédiatement, alarmé. Être alarmé était la meilleure attitude à avoir et il n'eut pas besoin de feindre la note de terreur dans sa voix. Harry, fut la première chose qui lui vint à l'esprit, Il sait pour Harry. « Je Vous jure… » balbutia-t-il, projetant toute la terreur qu'il pouvait ressentir à l'avant et enfouissant au plus profond de son esprit tous les souvenirs positifs et tous les sentiments qu'il pouvait éprouver pour le garçon. Si le mage noir découvrait qu'il aimait le Survivant comme un fils, la partie était finie.

« Un parjure qui jure… » l'interrompit le Seigneur des Ténèbres, avec un amusement méprisant. Une parodie étrange de celui, plus bienveillant, qu'aurait exprimé Dumbledore. Il s'était toujours fait la réflexion que ses deux Maîtres étaient comme les deux faces d'une même pièce, deux reflets de miroirs jumeaux.

La plaisanterie du mage noir déclencha quelques rires gras et forcés dans son dos.

« Maitre. » supplia Severus. « Ma loyauté Vous est acquise. Je n'aspire qu'à Vous servir. »

Il leva finalement la tête, sans oser croiser immédiatement le regard du sorcier qui présidait sur son trône. Docilité, ferveur, reconnaissance, les vieille rancœurs qu'il nourrissait envers Dumbledore, sa haine pour James Potter – quelque peu érodée désormais – et sa soif affaiblie de pouvoir… Il garda tout cela à l'avant de son esprit, prêt à les utiliser comme autant d'écrans de fumée pour mieux dissimuler la place qu'occupait Harry dans sa vie.

« Vraiment ? » s'enquit le Seigneur des Ténèbres, avec cette douceur cruelle qu'il mettait toujours avant la frappe. « Il semble pourtant que tu te sois trouvé une distraction dernièrement. Une distraction qui te lie davantage encore à l'Ordre que tu ne l'es déjà. Dis-moi, Severus… Comment puis-je te faire confiance lorsque tu me mens ? »

« Je ne Vous mens pas, Maître. » déclara-t-il, prenant garde de prendre un air presque offensé. « Quoi qu'on ait pu Vous rapporter… »

« Ainsi tu n'as pas formé d'attachements plus… intimes avec un membre de l'Ordre ? » le mage noir insista-t-il, déclenchant une nouvelle salve de ricanements.

Tout son esprit tourné vers Harry, Severus ouvrit la bouche pour nier et la referma au dernier moment.

Oh.

« Maître… » lâcha-t-il, en s'humectant les lèvres. La transpiration ruisselait désormais de son front à ses joues. C'était un piège. Un piège grotesque qui crevait les yeux et il était tombé droit dedans. « Ce n'est pas… »

« Oh, je crois qu'il s'agit exactement de ce que je pense. » décréta le Seigneur des Ténèbres. « Après tout… Tu as toujours eu un faible pour les Sang-de-Bourbes. »

Lily était son point faible et il eut tout le mal du monde à dissimuler la vague de haine qui s'abattit sur lui.

« C'est une Sang-Mêlée. » s'entendit-il arguer, d'un ton trop défensif. L'amusement du mage noir était perceptible. « Sa mère est une Black. »

« Sa mère est une traître à son sang. » cracha Bellatrix. « Et quand bien même. Elle… »

« Si je puis me permettre… » intervint Lucius, guettant l'approbation du Seigneur des Ténèbres avant de poursuivre, une approbation qui fut accordée d'un geste paresseux de la main. « Elle est prometteuse. Et si les goûts d'Andromeda sont douteux, Nymphadora n'en reste pas moins une Black. Certes d'une branche souillée de la lignée mais cela reste un héritage plus prestigieux que celui dont bon nombre de sorciers peuvent se targuer de nos jours. Peut-être la fille ne partage-t-elle pas les mêmes convictions que la mère… »

Severus savait ce qui suivrait et l'intervention de Lucius lui donna à peine suffisamment de temps pour enfouir au fond de son esprit ce qu'il ne voulait absolument pas que le Seigneur des Ténèbres découvre : l'espion. Cela était top intrinsèquement lié à sa relation avec Nymphadora, trop confus, trop…

Le regard du Seigneur des Ténèbres croisa le sien et Severus serra les dents contre la douleur, n'opposant aucune résistance visible à la volonté de fer qui broyait son esprit, fouillant le moindre recoin de sa tête. Il était vaguement conscient que Bellatrix et Lucius se disputaient froidement, l'une souhaitant assassiner sa nièce au plus vite, l'autre insistant sur le fait qu'une nouvelle recrue à fort potentiel ne serait pas négligeable.

Severus ne parvenait pas à respirer.

Il y avait trop de secrets dans sa tête, trop de choses qu'il devait absolument dissimuler à l'esprit avide du mage noir. Il ne fallut qu'une poignée de secondes au Seigneur des Ténèbres pour passer au travers des couches préventives d'amertume et de souvenirs insignifiants. Aux abois, Severus se jeta sur le reste : la méfiance qu'il éprouvait envers Lupin, les réactions de plus en plus exagérées du loup-garou lorsque la jeune femme était dans les parages, la morosité inhabituelle de Nymphadora et sa curiosité face à ce changement… Il projeta et projeta encore, tous les souvenirs récents et inoffensifs qui concernaient l'Auror, découvrant des choses dont il n'avait pas été conscient lui-même jusque là. Des regards qui s'attardaient sur elle lorsqu'il était certain que personne ne l'observait, une attirance qu'il peinait à s'avouer à lui-même, une fascination presque amusée pour sa pureté, sa droiture et sa loyauté…

Le reste, il ne fallut pas longtemps au Seigneur des Ténèbres pour le dénicher. S'il avait pu, il aurait fermé les yeux d'humiliation. Sa dignité, il y avait renoncé quand il avait pris la Marque, mais il y avait des choses… Le désir était peut-être une des rares émotions que le mage noir pouvait comprendre, cependant Severus aurait préféré qu'il s'en amuse un peu moins. Les souvenirs intimes, trop intimes, lui furent arrachés et examinés sans qu'il n'ait son mot à dire. Il aurait aimé protéger sa dignité à elle à défaut de la sienne, pourtant il resta là, sans chercher seulement à se défendre, attendant que l'orage passe. Mieux valait ces souvenirs là que les autres.

Lorsqu'il eut trouvé ce qu'il cherchait : la certitude que Nymphadora Tonks ne changerait jamais de camp, le Seigneur des Ténèbres se retira.

Severus bascula vers l'avant comme un pantin auquel on aurait coupé ses fils, parvenant à peine à se rattraper sur ses mains.

« Tu es conscient que Bellatrix m'a réclamé sa tête ? » s'enquit le mage noir, coupant court à la dispute entre ses deux lieutenants.

« Oui, Maître. » souffla-t-il, le cœur au bord des lèvres.

« Le moment venu, quel choix feras-tu ? » s'enquit le Seigneur des Ténèbres.

Il n'y avait pas de bonne réponse à cette question.

« Celui que Vous m'ordonnerez, Maître. » lâcha-t-il. « Elle ne représente rien. Un amusement, sans plus. »

« C'est heureux étant donné que Lucius l'a probablement tuée. » ricana le mage noir. « Il n'est certain de rien, bien entendu, l'échec semble être son mot d'ordre cette nuit… Toutefois, peu de personnes réchappent d'une chute pareille, n'est-il pas, Lucius ? »

« J'ignorais que Severus y était attachée ou j'y aurais mis les formes, Maître. » répondit Lucius, en s'inclinant, ne laissant rien percer de l'agacement qu'il devait ressentir.

Y mettre les formes… Il l'aurait capturée et ramenée à la réunion afin que le spectacle de son humiliation à lui soit plus grandiose. Au mieux, elle aurait été forcée de prendre la Marque. Au pire, Bellatrix l'aurait achevée.

Le titre de roi des idiots ne convenait plus. Qu'avait-il eu dans la tête ?

Non pas que cela avait une quelconque importance si elle était effectivement morte.

La douleur le prit au dépourvu – ou, tout du moins, il prétendit très fort être pris au dépourvu – mais il l'occluda.

Rien ne disait qu'il verrait lui-même une nouvelle aube se lever…

« Il demeure que quelqu'un doit payer pour le calamiteux échec de la mission de Lucius… » reprit le Seigneur des Ténèbres. « Et il me semble que la responsabilité t'incombe, Severus. Tu aurais dû nous avertir que Dumbledore se doutait de mes plans… »

« Je n'en savais rien, Maître. » se défendit-il.

« Il aurait peut-être été préférable que tu sois plus attentif à Dumbledore et un peu moins aux Sang-de-Bourbes, dans ce cas, ne crois-tu pas ? » répliqua-t-il, déclenchant une salve de rires. « Bellatrix, à toi l'honneur. »

Severus serra les dents.

Il serra les dents jusqu'à ce que la douleur soit trop forte et que le hurlement ne lui arrache la gorge.

Bella avait toujours eu l'esprit très créatif, les sortilèges d'endoloris ne la distrayaient qu'un temps.

Lorsqu'elle en eut terminé avec lui, il resta prostré au sol, incapable de bouger le moindre muscle, de la terre plein la bouche, frissonnant dans l'air froid.

Ils transplannèrent tous un à un et l'abandonnèrent là, seul au milieu d'un champ, son sang abreuvant quelque peu la terre desséchée.

Il fallut longtemps avant qu'il ne trouve la force de se traîner hors du périmètre délimité par les torches, plus longtemps encore avant qu'il s'estime suffisamment concentré pour transplanner sans se démantibuler.

Il atterrit non loin de la Cabane Hurlante.

Il tenta de se relever, parvint à se hisser debout en s'appuyant sur la barrière qui marquait le début du jardin en friche… La planche probablement pourrie s'effondra sous sa main et il retomba sur le sol dur. Il roula sur le dos dans la poussière, arracha le masque de son visage et avala goulument l'air glacial de la nuit sans que cela ne fasse la moindre différence.

Aveuglé par la douleur, il se résolut à faire ce qu'il n'avait jamais fait qu'une poignée de fois jusque là.

À bout de forces, il tira sa baguette, ferma les yeux et se concentra sur Harry et les longues soirées passées au coin du feu en soixante-quinze. Les moments simples où, pour la première fois peut-être, Severus avait touché du doigt à l'effet que cela faisait d'avoir une famille.

« Spero Patronum. » murmura-t-il.

Le Patronus apparut, compact et éblouissant dans l'obscurité, pas aussi familier qu'il l'aurait aimé.

Lorsqu'il comprit pourquoi la biche lui semblait étrange, Severus poussa un juron.

°°O°°O°°O°°O°°

La tête du loup-garou disparut de l'âtre et Albus se retourna vers ses invités, notant sans grande surprise que la jeune femme ne se détendit que lorsque le visage de Remus ne fut plus visible. Tonks massait distraitement son épaule meurtrie, le verre de Whiskey-Pur-Feu qu'elle avait réclamé encore à moitié plein prisonnier de son autre main. Le vieux sorcier manqua demander une nouvelle fois si elle était certaine de ne pas vouloir voir Pomfresh mais se retint de justesse – l'Auror n'était très visiblement pas de la meilleure humeur qui soit et avait déclaré plusieurs fois qu'il ne s'agissait que d'hématomes.

Son regard se déplaça jusqu'à Sirius qui en était, lui, à son troisième verre et avait dévoré une assiette entière de sandwiches aux concombres. L'Animagus avait l'air hagard et piquait quelque peu du nez. Le sortilège qu'il avait jeté pour sauver sa cousine l'avait épuisé et on le serait à moins. Il avait eu de la chance de ne pas terminer la soirée dans un coma magique, cela était arrivé à d'autres.

« Eh bien… » déclara Albus, en claquant une fois des mains pour capturer leur attention vacillante. « Voilà une opération fort bien menée. Félicitations. »

Deux prisonniers Mangemorts étaient une aubaine pour eux. Peut-être avaient-ils des informations intéressantes… Remus les avait enfermés dans une cache de l'Ordre et attendait ses ordres. Albus s'y rendrait dès le lendemain, tâcherait de les convaincre de parler sans employer la force et userait de Legilimencie dans le cas contraire, puis il les remettrait à Scrimgeour.

Tonks et Sirius l'observaient avec des yeux brillants de fatigue.

« Il serait peut-être préférable que vous passiez la nuit au château. » poursuivit-il, avec un regard inquiet en direction de Sirius. « Vous n'êtes pas en condition de transplanner. »

« Je vais bien. » grommela Sirius, avant d'hésiter. « Mais c'est vrai que… »

Il n'eut pas le temps d'accepter sa proposition. Albus leva la main pour se protéger de l'éclat argenté qui les aveugla brièvement avant que le Patronus ne prenne forme.

Pris au dépourvu, il fixa le faon du regard, la bouche légèrement entrouverte sous le choc, soupçonnant l'identité du propriétaire de ce Patronus qu'il n'avait jamais vu, sans vouloir y croire.

Le faon resta indécis quelque secondes, les oreilles tressaillant au moindre mouvement, l'air farouche, puis, la voix grave et trainante, aux accents familiers résonna dans le bureau, haletante et ponctuée de grognements de douleur.

« La Cabane Hurlante. » lâcha le Patronus. « Un kit de premier secours serait le bienvenu. » Un silence, puis… « Ne vous avisez pas d'emmener Poppy ou Minerva ! »

Tonks était déjà sur ses pieds, l'inquiétude l'emportant sur la fatigue. Sirius fut plus lent à s'extirper de son fauteuil mais n'avait pas l'air moins déterminé que sa cousine. Ce dernier développement était plus surprenant, toutefois, Albus ne prit pas le temps de creuser la question. Severus appelait trop rarement à l'aide pour que la situation ne soit pas sérieuse.

Il agita la main et une pochette en cuir défonça les portes d'un placard, renversant quelques objets sur son chemin. Elle traversa le bureau comme un boulet de canon jusqu'à sa main tendue. D'un autre geste, il ouvrit la fenêtre et tira d'un autre placard un balai de course – ce n'était pas son mode de transport favori mais cela serait plus rapide que de courir jusqu'aux portes du domaine afin de transplanner.

« Accio balai ! » lança Tonks, en agitant sa baguette par la fenêtre. Elle avait remis son blouson, remarqua-t-il.

« Je ne suis pas certain… » tenta-t-il d'objecter, devinant que Severus n'apprécierait pas d'avoir un public dans un tel moment de faiblesse.

« Je ne vous aies pas demandé votre avis. » coupa-t-elle, attrapant au vol le balai qu'elle venait, sans aucun doute, de voler dans la réserve du stade de Quidditch. Elle l'enfourcha sans plus attendre et aurait très certainement décollé dans la seconde si l'Animagus ne l'avait pas stoppée d'une main sur l'épaule.

« Attends, laisse moi monter. Je t'accompagne. » déclara Sirius.

Ils s'élancèrent dans la nuit froide et Albus suivit, légèrement décontenancé par ce retournement de situation. Le comportement de la jeune femme était prévisible, surtout si ce qu'il soupçonnait s'avérait vrai, celui du Maraudeur en revanche…

Son balai était plus puissant que celui que Tonks avait emprunté, pourtant la jeune femme avait quelques mètres d'avance, probablement parce qu'elle volait avec une précipitation à la limite de l'imprudence. Son atterrissage fut brutal, elle trébucha et sans le réflexe de Sirius, elle se serait sans doute écrasée au sol pour la deuxième fois de la soirée.

Albus atterrit souplement, abandonna son balai et se précipita en direction de la masse sombre qu'il distinguait à peine adossée à la barrière de la Cabane Hurlante. Une nouvelle fois, Tonks fut plus rapide, l'écartant presque du chemin d'un coup de coude.

Elle ne prit pas le temps de ralentir, se jetant à genoux près de Severus avec une panique évidente. Le Maître des Potions avait les yeux fermés, sa tête pendait sur sa poitrine et il était bien trop immobile au goût d'Albus. La jeune femme leva vers lui un regard empli de crainte et de désespoir que le vieux sorcier ne connaissait que trop bien. Il n'avait pas les mots pour l'apaiser alors il s'agenouilla de l'autre côté de Severus, laissant à Sirius la tâche bien inutile de sortir sa baguette et de scruter les environs pour contrer un éventuel danger.

Albus sortit sa baguette et la passa par deux fois au-dessus du corps de son espion, marmonnant un sort de diagnostic.

« Severus… » souffla la jeune femme, effleurant d'un geste hésitant la joue du Professeur.

Severus sursauta et releva immédiatement la tête, tentant de reculer et de lever le bras dans le même temps pour prévenir un mauvais coup.

« Tout va bien, Severus. » intervint rapidement Albus, prenant soin de garder une voix calme. Il posa une main sur le bras de l'homme et le força gentiment à l'abaisser. « Sirius, lumière, s'il vous plaît. Vous aussi, Miss Tonks. »

Les yeux sombres du Mangemort se posèrent sur lui, quelque peu fiévreux, avant de passer sur l'Animagus et de s'arrêter sur Tonks. Ils s'adoucirent légèrement.

« Je suis heureux de constater que la nouvelle de votre mort était prématurée. » déclara-t-il, d'une voix râpeuse.

Albus fit apparaître une coupe et la remplit d'eau.

« Il en faut plus que ça pour m'achever. » se força-t-elle à plaisanter. « S'il avait vraiment voulu me tuer, Malfoy aurait dû jeter un Avada plutôt que de me pousser d'un immeuble. »

Le vieux sorcier ne fit aucun commentaire, songeant que Lucius avait fait de son mieux pour éviter tout reproche de part et d'autre, et guida la coupe d'eau jusqu'aux lèvres de son espion. Il l'aida à boire et, malgré ses protestations, le Professeur en avala goulument le contenu. Albus n'aimait pas sa respiration sifflante et il n'aimait pas davantage la conclusion du sort de diagnostic.

« Vous avez des côtes cassées. » soupira-t-il.

« Si ce n'était que des côtes cassées, je ne vous aurais pas dérangé. » répliqua faiblement Severus, sans sa verve habituelle. « Et je ne vous remercie pas d'avoir emmené un auditoire. »

« Oh, ta gueule, Snape… » lâcha Sirius, en levant les yeux au ciel. « On était là. Qu'est-ce que tu voulais qu'on fasse ? Qu'on aille se coucher en te laissant te vider de ton sang à dix kilomètres de là ? » Severus eut un rictus mauvais mais l'Animagus ne lui laissa pas le temps de répondre. « Je comprends pourquoi tu n'utilises jamais ton Patronus maintenant, au fait. C'est très mignon. Grand fan de Bambi, c'est ça ? »

Severus serra les dents et tourna la tête, les joues rougies d'humiliation.

« Ça suffit, Sirius. » gronda Tonks. Albus ne put s'empêcher de noter que sa main n'était pas très loin de celle de Severus, pressée contre la terre dure pour garder son équilibre, et que son petit doigt recouvrait celui du Maître des Potions. C'était suffisamment discret pour que l'Animagus ne l'ait pas remarqué et le Directeur fit mine de ne rien voir non plus.

« C'est un truc, chez toi, de toujours laisser des filles te défendre à ta place ? » se moqua Sirius.

La réaction fut immédiate et si Albus n'avait pas pressé une main contre son épaule – ce qui lui tira un gémissement de douleur – il était certain que Severus aurait tenté de se lever pour s'en prendre physiquement à Sirius.

« Du calme. » ordonna fermement Albus.

« Je plaisantais. » soupira Sirius, avec une exaspération évidente. « Détends-toi, Snape, je plaisantais. Je ne suis pas idiot. »

« Première nouvelle. » marmonna le Mangemort, avec une grimace de douleur.

« Je me doute bien de ce que Bambi veut dire. » insista l'Animagus.

Cela lui valut un regard noir.

« Vous avez perdu beaucoup de sang. » intervint Albus.

« Ce n'est rien. » commenta Severus. « Réparez mes côtes et donnez moi une potion de régénération sanguine. Je m'occuperai du reste moi-même. »

Albus pinça les lèvres avec hésitation. « Si les blessures sont sérieuses… »

« S'Il m'avait voulu mort, je serais déjà mort. » cingla le Maître des Potions. « Bellatrix sait ce qu'elle fait lorsqu'elle torture quelqu'un. Réparez mes côtes et donnez moi cette potion ou… »

Il laissa la menace en suspens, probablement parce qu'il n'avait aucune bonne manière de la terminer.

« Vous êtes impossible. » décréta le vieux sorcier. « Et lorsque Minerva apprendra ce qu'il s'est passé ce soir… » Il ouvrit la bouche mais Albus l'interrompit d'un geste. « Oh, elle l'apprendra, ne vous faites aucune illusion. Lorsqu'elle apprendra ce qu'il s'est passé ce soir, donc, je vous remercierai de préciser que c'est votre propre entêtement qui vous a coûté des heures de souffrance lorsque quelques minutes avec Poppy auraient été suffisantes pour tout arranger. »

« Potion. » siffla-t-il tout de même, avec détermination.

Albus secoua la tête mais tira de la trousse en cuir la potion qu'il demandait, en dévissa le bouchon et la lui tendit. Les gestes du Maître des Potions étaient approximatifs, au mieux, mais il parvint pourtant à en avaler le contenu sans se le renverser dessus.

« Philtre de force. » réclama-t-il, immédiatement derrière.

« Tu… Vous voulez mélanger les deux ? » balbutia Tonks, avec un froncement de sourcils inquiet. « C'est dangereux ! Ce n'est pas une bonne idée. Il… »

« La dernière fois que j'ai vérifié… » lâcha Severus d'un ton irrité. « Il n'y avait qu'un seul Maître des Potions ici. »

Sachant que toute discussion était inutile et qu'il avait, de toute manière, un philtre de force quelque part sur lui, Albus pêcha celui qui se trouvait dans la trousse et le lui passa. Severus en descendit le contenu d'un trait. L'effet fut pratiquement immédiat. Les couleurs lui revinrent et la tension dans ses épaules se détendit quelque peu.

« Êtes-vous prêt ? » s'enquit le vieux sorcier, d'un ton volontairement détaché.

Le Professeur prit plusieurs profondes inspirations avant de marquer son accord d'un bref hochement de tête. Albus plaça sa baguette au-dessus de son torse et commença le long travail qui consistait à réparer les os brisés. Severus ferma les yeux et appuya sa tête contre la barrière, la mâchoire contractée sous l'assaut de la douleur. Il y avait des plaies sur sa poitrine, ses bras et ses jambes mais selon le sort de diagnostic elles étaient superficielles. Albus fut tout de même prudent, prenant soin de ne pas aggraver ses blessures.

Ce fut un travail long et fastidieux. Il s'écoula plusieurs minutes avant que toutes les fractures ne soient réparées et Severus laissa échapper plus d'un grognement de douleur.

« Il va vous falloir bander ses côtes quelques jours. » déclara Albus, une fois la tâche terminée. « Et inutile de vous présenter en cours demain. J'avertirai Minerva et le reste du corps professoral. Si quiconque vous voit hors de vos quartiers, ils auront pour ordre de vous traîner jusqu'à l'infirmerie, est-ce clair ? »

Preuve que les blessures étaient plus graves qu'il ne voulait l'admettre, Severus hocha à nouveau la tête.

« Bien. » approuva le Directeur, en lui tapotant gentiment l'épaule. « À présent que cette question est réglée… Que s'est-il passé, très exactement ? »

« Voulez-vous un dessin ? » grinça le Mangemort.

« Ça peut peut-être attendre demain, non ? » hésita Sirius. « Il n'a pas l'air très en forme… »

« Le Seigneur des Ténèbres était quelque peu contrarié en raison d'informations que j'aurais supposément laissé filtrer. » cingla Severus, d'un ton dur. « Je suis certain que vous parviendrez à déterminer le reste par vous-même. Quant à ce qu'Il cherche réellement… Je suppose que vous êtes déjà au courant, n'est-ce pas ? »

Albus ne flancha pas sous le ton accusateur.

« Montrez-moi. » exigea-t-il, croisant le regard du Maître des Potions.

« Non. » refusa froidement le Professeur, agrippant la hampe de sa baguette sans la finesse qu'il y mettait d'ordinaire. Il n'y avait aucune subtilité aux boucliers mentaux qui s'érigèrent devant lui. Il s'agissait d'un bloc de volonté pure et la méfiance était évidente dans les yeux de l'espion.

« Severus… » soupira-t-il. « Soyez raisonnable… Il me faut savoir précisément… »

« Non. » gronda l'homme, d'un ton qui n'admettait pas de réplique. « On a suffisamment fouillé dans ma tête pour ce soir. »

« Severus. » insista-t-il, moins aimablement.

« Il a été clair. » intervint Sirius, sa baguette plus ou moins pointée dans sa direction. Albus n'eut pas besoin de regarder pour savoir que celle de la jeune femme était prête à l'emploi.

Le vieux sorcier ravala son agacement face à ces manifestations de plus en plus flagrantes de dissidence. La loyauté des membres de l'Ordre aurait dû lui être acquise sans faille or Severus paraissait décidé à contrer son autorité en rassemblant l'Ordre derrière lui, personne par personne.

« Qu'a-t-Il découvert ? » demanda-t-il. « Avez-vous laissé échapper une quelconque information ? »

« Non. » déclara-t-il pour la troisième fois.

Le regard de Severus ne quitta pas le sien, son visage resta de marbre et, pourtant, Albus devina qu'il mentait. Il accentua la pression sur l'esprit du Maître des Potions mais avant qu'il ait pu faire une quelconque percée, Tonks attrapa le menton de Severus et le força physiquement à tourner la tête, pointant plus fermement sa baguette vers le Directeur.

« Ça suffit. » siffla-t-elle. « Ou peut-être comptez-vous jeter quelques oubliette une fois que vous aurez terminé de violer son esprit ? Ce ne serait rien de bien nouveau pour vous, n'est-ce pas ? »

L'Animagus marqua un mouvement de surprise mais, Albus le remarqua bien, pas d'étonnement. Le Sang-Pur se rapprocha et prit la place de Tonks qui s'écarta, gardant sa baguette braquée sur le vieux sorcier, puis il passa le bras de Severus autour de ses épaules et le hissa sur ses pieds. Le Maître des Potions laissa échapper un grognement de douleur mais Sirius était intraitable, il le força à avancer jusqu'aux balais abandonnés un peu plus loin. Tonks s'éloigna avec eux, marchant à reculons pour mieux le garder en joue.

« Tout ceci n'est pas nécessaire. » déclara-t-il.

« Je crois que si, au contraire. » cracha-t-elle. « Vous vous estimez au-dessus des lois et de la morale. »

« Nous sommes en guerre, Miss Tonks. » lui rappela-t-il.

« C'est une justification, pas une raison. » cingla-t-elle. « Et si vous avez besoin de justifier vos actes, peut-être devriez-vous prendre le temps de vous demander si vous êtes vraiment celui que vous voulez être. »

« Tonks ! » appela Sirius. Il était parvenu à charger Severus sur un des deux balais et le maintenait droit par force.

« Vous pouvez rentrer à pieds. » lança l'Auror, en sautant sur le deuxième balai.

Albus ne fit pas un geste pour les retenir, certain que Severus lui ferait un rapport complet le lendemain quoi qu'il en soit. Contrarié ou non, l'espion ne négligeait jamais son devoir.

Il entama le long chemin qui le ramènerait à Poudlard, songeant aux mots qu'avaient employés la jeune femme.

Peut-être devriez-vous prendre le temps de vous demander si vous êtes vraiment celui que vous voulez être.

Comme il était naïf de sa part de penser qu'il avait le choix.

On ne gagnait pas une guerre sans faire des choses moralement répréhensibles. C'était bien triste, bien sûr, mais c'était hélas la vérité. La ligne qui séparait la lumière et les ténèbres n'était pas aussi fine que l'on voulait bien le croire, elle se déclinait en autant de zones de gris.

Les gens se plaisaient à le dépeindre comme l'incarnation du bien mais, en vérité, Albus avait toujours su qu'il était drapé de gris.

C'était nécessaire.

Pour le plus grand bien.

°°O°°O°°O°°O°°

« Pose-le sur le canapé. » ordonna Tonks et Sirius s'exécuta sans protester, jetant un coup d'œil curieux alentours.

« Tu es déjà venu, ici ? » s'enquit-il.

« Bien sûr que non. » mentit-elle. « Qu'est-ce que je serais venue faire dans ses appartements ? »

Allongé sur le canapé, Severus leva un sourcil moqueur dans le dos de Sirius mais l'amusement ne fut que passager. Son visage ne tarda pas à se crisper sous le coup de la douleur. Un feu ronflait déjà dans la cheminée, enchanté, sans doute, pour ne jamais s'éteindre, sans que cela n'empêche l'humidité de la faire frissonner. Il faisait toujours froid dans les cachots et, rien que pour cela, elle plaignait les Serpentards qui devaient y vivre toute l'année.

« Préviens McGonagall. » commanda-t-elle, en posant une main sur l'épaule de Sirius.

« Ce n'est absolument pas nécessaire. » protesta Severus, en tentant de se relever ou de s'asseoir.

Elle ne lui en laissa pas l'occasion.

Elle poussa sur son épaule jusqu'à ce qu'il reste sagement allongé, en le foudroyant du regard. « C'est absolument nécessaire, au contraire. Si Dumbledore essaye de… »

« Il ne tentera rien. » coupa le Professeur. « Il attendra que j'aille le trouver. »

« Pourquoi irais-tu le trouver ? » demanda Sirius, avec un bruit moqueur.

« Parce que cela est nécessaire. » soupira Severus . « Puis-je avoir la paix, à présent ? »

« Je reste. » décréta Tonks, en jetant un coup d'œil à Sirius par-dessus son épaule. « Tu peux aller te coucher. »

« Tu es sûre ? » hésita son cousin, en fronçant les sourcils.

« Ma mère est Médicomage. » lui rappela-t-elle.

« Et tu n'excelles pas en sorts de soin. » se moqua Sirius, sans délicatesse.

« Je n'ai besoin ni de Black, ni de vous. » grinça Severus.

« Dans ce cas, il est regrettable que personne ne vous ai demandé votre avis. » rétorqua Tonks.

Sirius tenait à peine debout. Entre le sort qui l'avait vidé de ses forces et cette mission de secours impromptue, elle était étonnée qu'il parvienne encore à garder les yeux ouverts. Son cousin hésita puis finit par capituler d'un hochement de tête. Il déplaça le pare-feu et emprunta une poignée de poudre de cheminette avant de disparaître dans les flammes, en lui recommandant d'envoyer un Patronus si elle avait besoin d'aide. Elle replaça le pare-feu aussitôt qu'il eut disparu avant de s'agenouiller à côté du canapé sur lequel Severus tentait de s'asseoir avec entêtement.

Ses efforts furent réduits à néant lorsqu'elle poussa à nouveau sur son épaule. Il retomba sur le dos avec un grondement agacé.

« On t'a déjà dit que tu étais une tête-de-mule ? » râla-t-elle. « Tu es blessé. »

« Ce n'est ni la première fois, ni la dernière. » rétorqua-t-il. « Rentre chez toi. »

« Sûrement pas. » refusa-t-elle, faisant disparaître, d'un coup de baguette, ses épaisses robes noires.

La chemise blanche qu'il portait en dessous était poisseuse de sueur et de sang mêlés. Le coton lui collait à la peau et elle ne put réprimer une grimace avant de s'humecter nerveusement les lèvres. Elle n'avait que des connaissances très vagues en magie médicale et il était évident que cela dépassait ses compétences. Elle se fit violence, pourtant, attaquant les boutons, devinant que faire disparaître la chemise alors qu'elle était collée aux plaies ouvertes serait déconseillé. Il emprisonna ses poignets avant qu'elle ait pu aller plus loin que trois boutons.

« Non. » lâcha-t-il.

« Ne sois pas ridicule. » s'énerva-t-elle. « Tu as besoin d'aide, tu… »

« Je peux me débrouiller seul. » cingla-t-il. « Je ne saisis pas pourquoi tu insistes… »

« Excuse-moi de m'inquiéter. » l'interrompit-elle froidement, non sans sarcasme.

Ils se fusillèrent du regard quelques secondes puis les yeux sombres s'adoucirent légèrement.

« Va te coucher. » suggéra-t-il. « Je te rejoindrai. Tu pourras passer la nuit à t'assurer que je ne rende pas mon dernier souffle si cela te chante. »

La dernière phrase fut ajoutée avec incertitude et une légère touche d'incrédulité. Il y avait toujours le même étonnement mêlé de méfiance à chaque fois qu'elle initiait quelque chose entre eux.

« C'est ridicule. » déclara-t-elle, pinçant les lèvres d'agacement. « Qu'est-ce qui te dérange ? La Marque ? »

Il n'enlevait jamais sa chemise.

Elle avait tenu sa langue jusque là parce qu'ils avaient été très clair sur le fait que ce qu'il y avait entre eux n'était rien d'autre qu'une passade. Elle ne se sentait pas le droit d'avoir des exigences parce qu'il n'avait jamais rien réclamé, il prenait ce qu'elle voulait bien donner et offrait avec hésitation et parcimonie en retour. Il était réservé et peu démonstratif, elle pouvait l'accepter.

Ce n'était pas grand-chose, mais c'était suffisant.

Sa question eut l'effet d'un coup de poing. Ses doigts se crispèrent autour de ses poignets et son visage se ferma complètement.

« Severus, c'est stupide. » soupira-t-elle. « Je sais qu'elle est là. » Il garda le silence, le regard rivé quelque part au-dessus de son épaule, et elle relâcha la prise qu'elle avait sur le tissu de sa chemise. Il lui rendit immédiatement sa liberté. Elle posa une main sur le bord du canapé et l'autre sur son torse pour prévenir une énième tentative de fuite. « Ce n'est pas si terrible. On fait tous des conneries à dix-sept ans. Tu n'es pas le seul à s'être fait faire un tatouage et à le regretter. Tu crois que je ne regrette pas le mien ? »

Elle s'efforça de garder un ton léger, de plaisanter de la situation parce que la tension était suffocante.

Il la dévisagea avec incrédulité.

« Es-tu en train de comparer la Marque des Ténèbres à la piètre excuse de blaireau sur ta cheville ? » lâcha-t-il.

Elle haussa les épaules, se forçant à sourire. « L'emblème de Poufsouffle, s'il te plait. Un peu de respect. »

Ses yeux sombres l'étudièrent quelques secondes et puis il secoua la tête, jugeant clairement qu'elle était folle ou idiote.

« Quelqu'un a informé le Seigneur des Ténèbres de notre liaison. » marmonna-t-il. « Il veut ta tête. Es-tu toujours d'humeur aussi clémente ? »

Elle déglutit avec difficulté, tâchant d'ignorer le frisson instinctif que cette nouvelle déclencha.

« Un psychopathe de plus ou de moins à mes trousses… » tenta-t-elle de plaisanter, d'une voix blanche où l'amertume se disputait à la terreur.

« Nymphadora… » grinça-t-il sur un ton qui l'irrita immédiatement.

« Severus. » rétorqua-t-elle, sur le même registre. « Si tu comptes me faire la leçon et me dire que je ne prends pas les choses suffisamment au sérieux, je tiens à te prévenir que ça n'a pas réussi à Remus. »

Il pinça les lèvres d'agacement, balayant cette objection d'un geste de la main.

« Tu as une chance contre Bellatrix ou Greyback, qu'importe ce qu'en pense le loup. » décréta-t-il. « Le Seigneur des Ténèbres… »

Il laissa sa phrase en suspens, la laissant libre de l'interpréter à sa guise. Elle poussa un profond soupir.

« Merci, Lucius. » commenta-t-elle, non sans ironie.

« Comment aurait-il su ? » réfléchit-il à voix haute, dans un froncement de sourcils.

« Il a reconnu un de tes sortilèges. » répondit-elle, avec une grimace d'excuse. « Je suis désolée. »

Elle s'attendait à une réaction véhémente, pourtant il ferma simplement les yeux avec une lassitude évidente.

« Je t'ai enseigné ces sortilèges pour que tu t'en serves. Tu as survécu, inutile de tergiverser. » décréta-t-il, sans que sa voix ne trahisse la moindre émotion. Il rouvrit les paupières et l'étudia plus attentivement. « Es-tu blessée ? »

Elle leva les yeux au ciel. « Demande l'homme en train de se vider de son sang. Ce sera dur de ravoir les taches sur le canapé, tu sais ? »

« Comme il est aimable à toi de te soucier de mon mobilier. » se moqua-t-il.

« C'est la seule chose dont tu m'autorises à me soucier pour le moment. » riposta-t-elle, sans amusement. « Laisse-moi voir. »

« Es-tu blessée ? » insista-t-il.

Comprenant qu'elle n'arriverait à rien tant qu'elle n'aurait pas capitulé, elle retira son blouson et tira légèrement sur son pull pour qu'il puisse inspecter son épaule meurtrie. Les bleus avaient commencé à se former dans le bureau de Dumbledore et la douleur descendait le long de son omoplate

« Ce ne sont que des hématomes. » offrit-elle.

Il effleura sa peau bariolée de jaune, bleu et violet du bout des doigts.

« Il y a des baumes dans mon bureau. » répondit-il.

« Et je me ferais un plaisir d'aller les chercher dès que tu m'auras laissée soigner tes blessures. » asséna-t-elle.

« Je n'apprécie pas le chantage. » cingla-t-il. « Qui dit que je me soucie de ton confort ? Souffre, pour tout ce qu'il m'importe. Tant que tu souffres en silence. »

« Je vais me faire un plaisir de gémir aussi fort que possible. » menaça-t-elle. Un sourire amusé naquit sur ses lèvres et, ses yeux gris pétillants d'amusement, elle baissa légèrement la voix. « Évidemment, ça serait bien plus incommodant si tu n'adorais pas ça… »

« Nymphadora. » la rabroua-t-il, ses joues s'empourprant légèrement. Il était sans doute positif qu'il ait suffisamment de sang dans le corps pour rougir. La potion de régénération sanguine avait fait son travail.

« C'est presque trop facile de te provoquer, tu sais. » se moqua-t-elle gentiment, avant de se pencher pour déposer un baiser sur ses lèvres. Elle attendit qu'il y réponde avec hésitation pour s'attaquer à nouveau aux boutons de sa chemise. Elle avait espéré le distraire mais il emprisonna à nouveau ses poignets, le souffle court et avec un agacement perceptible. Un agacement qu'elle partageait. « Je me moque de la Marque ! »

« Pas moi. » cracha-t-il. « Je refuse que tu la touches. »

« Très bien. » lâcha-t-elle. « Compromis. Je vais bander ton poignet, d'accord ? Je ne la toucherai pas. »

Il fouilla son regard et elle dressa instinctivement des boucliers face à l'intensité qu'elle lisait dans ses yeux. À mi-chemin entre la panique et l'appréhension, il semblait hésiter.

« Severus, fais-moi confiance. » réclama-t-elle doucement.

Il s'humecta les lèvres, le masque froid et insensible qu'il arborait en permanence se fissurant quelque peu.

« La Marque n'est pas le seul problème. » avoua-t-il finalement.

Elle fronça les sourcils. « Qu'est-ce que tu veux dire ? »

L'intensité avec laquelle il la fixait lui faisait presque peur. Au bout de longues minutes passées à l'observer en silence, il parut arriver à une conclusion parce qu'il défit lui-même le reste des boutons. Sans un mot, elle l'aida à retirer la chemise, ses yeux gris cherchant immédiatement les plaies qui saignaient toujours, cataloguant les blessures et fouillant sa mémoire à la recherche de sorts qui pourraient faire l'affaire. Toute entière à l'urgence, elle mit plusieurs secondes à remarquer le reste.

Son torse se soulevait et retombait avec une irrégularité que la douleur seule n'expliquait pas. Il était tendu, prêt à bondir loin d'elle au moindre geste brusque, la mâchoire contractée et le regard dur, la défiant presque d'exprimer le moindre signe de pitié.

Elle était Auror depuis peu, certes, mais elle avait déjà vu des cas comme celui-là. Et sa mère était Médicomage, sans s'être jamais intéressée à cette branche de la magie, il y avait des choses qu'il était impossible d'ignorer lorsque la discussion se déroulait à table et que sa mère avait le visage fermé et le regard mauvais.

Les cicatrices quelque peu effacées par le temps qui bardaient son torse étaient caractéristiques.

Cela expliquait beaucoup.

Et cela lui brisait le cœur.

Les yeux noirs étaient rivés sur son visage et elle prit bien garde à conserver une expression de neutralité absolue, à ne rien trahir de la peine, du dégoût et de la colère qui bouillaient à l'intérieur. Il ne l'aurait pas apprécié.

« Donne moi ton poignet. » exigea-t-elle.

Il le lui tendit avec une hésitation à peine perceptible, détournant la tête lorsque son regard gris se posa finalement sur la Marque. Il était difficile de dire ce dont il avait le plus honte. Le serpent lové autour du crâne qui irradiait de noirceur ou les balafres blanchâtres qui lui barraient le torse et, supposait-elle, une bonne partie du dos.

Elle utilisa baguette pour faire disparaître la Marque derrière une épaisse bande de gaze avant de se pencher sur ses blessures. Elle travailla en silence, suivant parfois ses instructions lorsqu'il décidait qu'un sort valait mieux qu'un autre pour refermer telle ou telle plaie. Il était impossible d'ignorer les cicatrices, il y en avait trop. Certaines étaient pâles et presque indiscernables, d'autres étaient boursoufflées, signe certain que la blessure s'était infectée à l'époque, larges et rugueuses sous ses mains.

« Tes cheveux sont noirs. » remarqua-t-il, alors qu'elle s'occupait de la dernière blessure que sa chère tante Bellatrix avait cru bon de lui infliger. Plus de cicatrices à ajouter à sa collection, songea-t-elle avec amertume.

Elle fit un énorme effort pour enfouir la fureur pernicieuse qui n'avait fait que grandir en elle et secoua la tête. Les mèches roses lui tombèrent immédiatement dans les yeux et il les repoussa, sans faire de commentaire.

Il était trop intelligent pour ne pas avoir compris que sa couleur de cheveux dépendait grandement de son humeur, principalement parce qu'ils viraient au rose à chaque fois qu'il la touchait.

« Cela ne sort pas d'ici. » siffla-t-il, lorsqu'elle s'estima finalement certaine qu'il n'allait pas se vider de son sang.

Elle ne lui fit pas l'affront de prétendre ne pas savoir ce dont il parlait.

Elle acquiesça simplement d'un bref hochement de tête.

Elle ne tenta pas d'offrir un pathétique 'je suis désolée' ou de le pousser à la confidence.

Il en parut soulagé.

Cela ne l'empêcha pas de se demander combien de personnes exactement connaissaient ce secret. Pas beaucoup, imaginait-elle. Elle lui avait demandé sa confiance…

Il venait de la lui accorder, pleine et entière.