A whisper in the darkness
In the quiet it'll grow
you can try to hide it in the farthest place
But everybody knows
Something in the Shadows
Cuts you like an arrow
Something In The Shadows – Amy Stroup
Un murmure dans l'obscurité
Qui grandit dans le silence
Tu peux essayer de te cacher le plus loin possible
Mais tout le monde sait
Que quelque chose dans l'ombre
Te transperce comme une flèche.
Something In The Shadows – Amy Stroup
Chapitre 29 : A Whisper In The Darkness
Tonks observa son reflet d'un œil critique, ignorant les remarques désobligeantes du miroir sur les cernes sous ses yeux. Avec un soupir, elle ébouriffa ses cheveux blond platine et quitta la salle de bain, peu surprise de trouver la chambre vide, le lit déjà fait et ses chaussures alignées près de la porte alors qu'elle était à peu près sûre qu'elles avaient terminé à deux bouts opposés de la pièce la nuit précédente.
Elle était toujours en train de lacer sa deuxième botte lorsqu'elle sautilla dans le salon du Maître des Potions, sans grâce aucune, à temps pour le voir rageusement balayer la surface de la table de travail d'un revers de bras. Il fusillait du regard la plume qu'il venait d'échouer à utiliser et Tonks soupira. Ce n'était pas la première fois qu'elle assistait à une scène de ce genre. Severus avait quitté l'infirmerie depuis un peu plus d'une semaine à peine et il semblait prendre comme un affront personnel le fait de ne pas être encore complètement remis.
« Tu es convalescent. » lui rappela-t-elle, non sans amusement. « Pourquoi te lever à six heures du matin ? »
« Parce que tu es aussi discrète qu'un hippogriffe enragé lorsque tu utilises la salle de bain. » grommela-t-il sans cesser de jeter un regard noir aux recherches éparpillées au sol.
Livres, parchemins, notes raturées et à peine lisibles… Il continuait à plancher sur le problème des loups-garous à partir des observations préliminaires qu'il avait réalisées des semaines plus tôt mais ne parvenait pas réellement à écrire – ou, du moins, pas à sa convenance.
« Pomfresh a dit que tu devais travailler sur… » lui rappela-t-elle gentiment, en attrapant le blouson en cuir rouge qu'elle avait balancé sur le dossier du canapé la vieille.
« Sur quoi ? » grinça-t-il, son regard noir se déplaçant jusqu'à elle. Et, soudain, les recherches n'étaient plus l'objet principal de son irritation. « Sur ma magie ? Devrais-je perdre encore un jour entier à échouer à jeter des sorts qu'un premier année maîtrise dès novembre ? »
Elle secoua la tête, ayant déjà exprimé son opinion à ce sujet à de multiples reprises. « Tu parviens parfaitement à lancer des sorts quand tu ne réfléchis pas. Tu fais un blocage, Severus, et… »
« Ne projette pas tes propres insécurités sur moi. » l'interrompit-il froidement.
Elle serra les dents, zippa son blouson et se dirigea vers la porte après avoir vérifié que sa baguette était bien accessible. Severus attrapa son poignet lorsqu'elle passa près de sa chaise, son expression impénétrable. Il leva les yeux vers elle et expira lentement. Elle pouvait presque voir les boucliers mentaux s'abaisser, le laissant avec un air contrit.
« Mon caractère est exécrable. » offrit-il en guise d'excuse.
« C'est le cas de dire. » confirma-t-elle, avec un sourire amusé. Elle glissa une main sur sa joue et le força à relever un peu plus le menton d'un léger coup de pouce. « L'auto-apitoiement, ce n'est pas très sexy, Severus. »
Il laissa échapper un bruit amusé, probablement parce que personne n'aurait jamais pu l'accuser d'être sexy quoi qu'il en soit, mais répondit tout de même au baiser rapide qu'elle colla sur ses lèvres.
« Je ne reviendrai pas ce soir. » l'avertit-elle alors que ses doigts desserraient leur prise tremblante et glissaient le long de sa main dans ce qui n'était pas tout à fait une caresse. « Tous ces allers-retours… Je suis crevée et je dois passer au Q.G dans la journée… J'essayerai de questionner Nyssa… »
« Nous sommes vendredi… Harry passera probablement le week-end ici, de toute manière. » répondit-il, son regard se portant sur les mèches blondes qui encadraient son visage avec un léger froncement de sourcils. « Downing Street ? »
« C'est l'idée. » soupira-t-elle, ignorant pour l'instant la question Harry. Elle n'était pas tout à fait certaine de comprendre le nouveau statu quo. Severus avait été vague dans les explications qu'il lui avait fournies mais il en était ressorti qu'il avait plus ou moins adopté l'adolescent durant leur séjour dans le passé. Ce qui, étant donné qu'Harry avait passé tout le temps que le Professeur avait été inconscient à l'appeler son père était, au moins, logique – et plus rassurante que la perspective du Gryffondor étant le fils naturel caché du Maître des Potions, il fallait l'avouer. Elle était beaucoup trop jeune pour servir de belle-mère à qui que ce soit. Avoir un adolescent à charge, aussi indépendant que Malfoy soit, lui suffisait amplement pour l'instant. « Je dois repasser au Ministère, d'abord. »
« Sois prudente. » exigea-t-il.
« Ne suis-je pas toujours prudente ? » rétorqua-t-elle, en s'éloignant pour de bon cette fois-ci. Bien sûr, cela aurait été plus convainquant si elle n'avait pas trébuché sur la canne en bois sombre dont Severus refusait de se servir et n'avait pas manqué s'étaler par terre.
« Je préfère ne pas commenter. » ironisa-t-il.
Tonks était devenu un peu trop experte dans l'art de quitter discrètement le château. Entrer en catimini était impossible, il lui fallait patienter au portail jusqu'à ce que McGonagall, Dumbledore ou l'un des professeurs ne répondent à son appel – et elle préférait lorsque c'était la sous-directrice parce que, au moins, elle n'avait pas besoin d'inventer d'excuses – mais partir…
Elle quitta le château par le passage secret qui donnait sur les cachots et remonta le col de son blouson, frissonnant dans l'air bien trop froid. Elle regretta de ne pas avoir pris le temps d'avaler un café chaud et se promit de se faire une tasse de thé au Ministère avant d'aller où que ce soit. Cela faisait déjà des semaines qu'elle déléguait la tâche de protéger le premier ministre moldu à l'équipe d'Aurors qu'elle avait elle-même triés sur le volet, ils pouvaient se passer d'elle un petit peu plus longtemps.
« Tonks ! » appela la voix familière de Charlie alors qu'elle atteignait presque la Forêt Interdite.
Elle marmonna un juron mais se retourna tout de même pour faire face à son meilleur ami qui était occupé à nourrir un groupe de sombrals. Elle chercha Anthony du regard, consciente que bien qu'ils soient tous les deux en grande partie remis des conséquences de l'attaque du Chemin de Traverse, le sortilège leur interdisait toujours de s'éloigner trop l'un de l'autre. Elle ne tarda pas à repérer l'autre jeune homme à l'autre bout de l'enclot, occupé à examiner l'intérieur du sabot d'un bébé sombral.
« Vous commencez tôt. » observa-t-elle, de ce qu'elle espérait être un ton innocent.
« Toi aussi. » se moqua ouvertement Charlie, en agitant les sourcils. « Qu'es-ce qui t'amène ? Un rapport urgent, je suppose ? »
Elle leva les yeux au ciel et lui asséna une bourrade amicale. « Je suis en retard. »
« Tu serais moins en retard si tu passais moins de temps avec Snape. » remarqua Charlie à voix basse, en lui emboîtant le pas. Il jeta un coup d'œil par-dessus son épaule, probablement pour juger de la distance qui le séparait d'Anthony. « Je n'ai rien dit à personne, tu sais. »
« J'espère bien. » s'exclama-t-elle, en lui jetant un coup d'œil agacé.
« Je n'ai rien dit mais certaines personnes commencent à se poser des questions. » insista-t-il. « Remus… »
« Remus peut aller se faire foutre. » cracha-t-elle, avant d'avoir pu y penser à deux fois. Elle dut faire un effort pour contrôler ses pouvoirs et empêcher ses cheveux de virer au rouge. Il ne fallait pas croire, elle n'était pas dupe des sous-entendus et des questions à peine voilées du loup-garou. « Ce que je fais et avec qui ne regarde que moi, que je sache. Je ne vois pas pourquoi il faudrait que j'étale ça devant l'Ordre. »
Charlie leva les mains devant lui dans un geste défensif. « Pas la peine de t'en prendre à moi. C'est vrai que je ne vois pas trop ce que tu lui trouves... »
« Ça aussi ça me regarde. » cingla-t-elle, peu encline à écouter son meilleur ami dénigrer son… Elle n'était pas certaine du terme approprié. « Écoute… Je veux rester discrète pour plusieurs raisons… »
« Tu sors avec Snape. Je comprends que tu veuilles rester discrète. » remarqua son ami avec un petit rire moqueur. « Il doit être sacrément bon au… »
« Je n'ai pas honte. » l'interrompit-elle avant qu'il ait put terminer sa phrase. « Ce n'est pas pour ça. C'est juste… plus simple comme ça pour le moment. »
Principalement, à cause d'Harry, elle l'avait bien compris. Et accessoirement parce que Severus n'était pas encore suffisamment remis pour avoir à affronter les racontars et les commentaires que les autres membres de l'Ordre ne manqueraient pas de répandre et de faire. Pour être honnête, cela ne la dérangeait pas de garder leur relation secrète un peu plus longtemps. C'était illusoire, bien entendu, Voldemort et les Mangemorts étaient déjà tous au courant grâce à Lucius Malfoy… Dumbledore devait savoir ou, tout du moins, s'en douter. McGonagall n'avait même pas prétendu être dupe une seule seconde… Elle l'avait elle-même avoué à Charlie…
Beaucoup trop de personnes étaient au courant pour que cela demeure entièrement secret.
Toutefois étant donné ce qui se passait à l'extérieur, ses relations amoureuses étaient-elles si importantes ?
Et le principal, dans tout ça, était que Severus ait le temps de l'annoncer à Harry lui-même. Elle s'entendait bien avec le garçon, comme elle le lui avait fait remarquer, mais il avait marmonné que c'était plus compliqué que ça et elle lui faisait suffisamment confiance pour lui laisser l'espace qu'il désirait.
Ils n'étaient pas officiellement ensemble depuis assez longtemps pour qu'elle s'estime en droit de faire ce genre de demandes et elle supposait qu'il avait ses raisons. Il semblait craindre que le Survivant ne réagisse pas forcément bien et, bien qu'il n'ait rien trahi en ce sens, elle soupçonnait qu'il y avait là-dessous un rapport avec les Dursley. Lorsqu'elle était allée chercher Harry avec le reste de l'avant-garde l'été précédent, elle avait eu un très mauvais pressentiment tout du long. Cette maison était trop propre et Harry n'apparaissait sur aucune des photos de famille accrochées au mur. Quelque chose ne tournait pas rond là-dessous.
« Hey… » Charlie fronça les sourcils, arrêtant sa progression d'une main posée sur son bras. « Je plaisante, c'est tout. Tu sais que tu peux toujours compter sur moi. »
Il avait l'air suffisamment sérieux pour qu'elle soit certaine de sa sincérité et, bêtement, elle sentit les larmes lui monter aux yeux. Les dernières semaines n'avaient pas été faciles. Il y avait Severus et l'incertitude qui avait plané sur sa survie pendant des jours, puis son lent rétablissement… Il y avait Fol'Œil à qui elle évitait de penser autant que possible pour ne pas sombrer dans un chagrin dont elle ne se relèverait pas… Et puis l'atmosphère électrique qui étouffait le pays tout entier, l'insupportable attente…
« Je sais. » sourit-elle. « Merci. »
Les lèvres de Charlie s'étirèrent mais le sourire n'était plus aussi franc et il baissa le regard. « Cela étant dit… Je ne suis pas sûre que toute cette histoire avec Snape soit une bonne idée. Je ne lui fais pas confiance, ma nymphe. »
Cela lui fit l'effet d'une douche froide.
Elle dégagea le bras qu'il tenait toujours d'un geste rageur. « Il a failli mourir pour l'Ordre et tu ne lui fais toujours pas confiance ? C'est… »
« C'est ce qu'il dit. » coupa Charlie. « Et tout le monde est d'accord pour dire qu'il y a un espion. Peut-être qu'il ne faut pas aller chercher plus loin ce qui… »
Le dragonnier s'interrompit brusquement lorsqu'il se retrouva face au bout de sa baguette.
« Si tu doutes de lui, tu doutes de moi. » siffla-t-elle en guise d'avertissement.
Elle ne lui laissa pas le temps de répondre. Elle s'éloigna en direction de la lisière de la Forêt et s'enfonça jusqu'à sentir les protections anti-transplannage s'effacer.
Elle était furieuse lorsqu'elle réapparut dans une petite allée de Londres et la courte marche jusqu'au Ministère ne la calma pas. La première chose qu'elle fit en arrivant dans son bureau fut de jeter son blouson sur le dossier de sa chaise et de se diriger vers le capharnaüm dans le coin où elle conservait une bouilloire et des tasses à la propreté douteuse.
Elle était à peine en train de conjurer de l'eau pour la remplir lorsque la porte de son bureau s'ouvrit à la volée sur Kingsley.
« Ah, parfait, tu es là… » soupira l'Auror d'un air soulagé. « La Marque est apparue au-dessus d'un petit village dans le nord… »
Sans un mot, Tonks reposa la bouilloire, attrapa son blouson et suivit son partenaire dans la partie commune du Bureau des Aurors. D'autres sorciers étaient déjà en train de se préparer en urgence pour une possible bataille.
« Tu connais ces journées de merde qui commencent mal et se terminent mal ? » plaisanta-t-elle.
« Tâche de la terminer en vie, c'est tout ce que je te demande. » rétorqua son supérieur, avant d'élever la voix pour rassembler ses troupes.
Ils transplannèrent tous simultanément et l'odeur prit la jeune femme à la gorge bien avant qu'elle ne sente l'humidité et le froid trop mordant pour un matin de printemps qui tirait vers l'été. La fumée était acre, des cendres volaient dans l'air glacial… Le village moldu était en ruine, c'était un charnier. Et au dessus des carcasses éventrée des maisons, verdâtre dans le ciel gris, brillait la Marque des Ténèbres.
Elle la contempla quelques secondes avant de reporter son attention sur les ruines encore fumantes. À aucun moment elle ne baissa sa baguette.
« Tonks, prends un groupe et établis un périmètre de sécurité. » ordonna Shacklebolt, ses yeux sombres fouillant les rues calcinées. Des poches de flammes subsistaient encore ça et là mais à première vue, elle ne pensait pas qu'il s'agissait d'un feu magique et les sorciers ne devraient avoir aucun mal à l'éteindre. « Les autres, avec moi. Cherchez des survivants. »
Elle sélectionna son groupe avec soin. Les Aurors les plus expérimentés, ceux qui ne seraient pas un poids s'il devait y avoir affrontement, et pour la centième fois ces derniers mois, elle s'effraya d'à quel point le Ministère était peu prêt à faire face à cette guerre. La vérité nue était qu'ils n'avaient plus de combattants. La grande majorité des Aurors avaient été assassinés lors de l'attaque du Chemin de Traverse, tous ceux qui les avaient remplacés… Scrimgeour avait mis ses suggestions en place et avait rappelé les Aurors à la retraite, les réservistes ainsi que toutes les personnes ayant obtenu un O à leur Aspics de Défense, pourtant, cela ne suffirait pas. Les personnes qui l'entouraient n'avaient pratiquement aucune expérience et, quelque fois, il lui arrivait de se dire qu'il ne restait plus qu'elle, Kingsley et Scrimgeour comme Aurors compétents.
La mort de Fol'Œil avait porté un coup sévère à la fois à l'Ordre et au Département des Aurors…
Penser à son mentor fut comme un coup de poignard au creux de l'estomac et elle chassa ses pensées de sa tête avant que la tristesse ait put l'emporter sur la prudence. L'Occlumencie avait cet avantage là de rendre la concentration légèrement plus facile.
Sur son ordre, ses hommes se déployèrent derrière elle et ils ratissèrent le village, jetant des sorts de détection dans toutes les directions.
Il n'y avait pas âme qui vive dans le petit bourg.
Ce n'était pas un gros village mais cela la rendait malade. Combien de Moldus étaient morts au petit matin, probablement encore dans leurs lits ? Ceux qui avaient eu de la chance du moins. Ils trouvèrent un tas de cadavres plus loin sur la route qui tendait à prouver que les Mangemorts s'étaient distrait avec ceux qui avaient tenté de s'échapper.
« Rien à signaler. » rapporta-t-elle finalement à Kingsley après une vingtaine de minutes. Il secoua tristement la tête, preuve s'il en fallait qu'il n'y avait pas de survivants.
Combien d'hommes ? Combien de femmes ? Combien d'enfants ?
Autant de questions dont les réponses étaient au demeurant inutiles. Trop, la voilà la réponse. Trop.
« Renvoie le groupe au Ministère mais garde Albert et Leo. » ordonna Shacklebolt. « Peut-être cherchaient-ils quelque chose… »
« Ou quelqu'un. » suggéra-t-elle, les mâchoires contractées de colère.
Toutes ces vies perdues… Tout ce gâchis…
« Peut-être. » acquiesça-t-il.
Elle se détourna pour relayer ses ordres, lui laissant le soin de faire disparaitre la marque verdâtre du ciel grisonnant. Puis, lorsque le gros de la troupe eut regagné le Ministère, ils se remirent à fouiller le village, plus attentivement.
Tonks pénétra dans chaque maison calcinée qui lui avait été attribuée avec prudence, éteignant les flammèches qui subsistaient encore ça et là, avec la sensation désagréable qu'ils étaient en train de chercher une aiguille dans une botte de foin.
Les maison moldues étaient classiques. Des petites maisons en briques typiquement anglaise, remplies du bric-à-brac que l'on pouvait s'attendre à trouver chez tout un chacun… Et, bien sûr, au détour d'un couloir, le corps brûlé d'un Moldu qui n'avait rien demandé.
À chaque fois qu'elle tombait sur un cadavre, elle pensait à ses tantes et ses cousins du côté de son père. Andromeda lui avait dit que son père avait insisté pour que sa famille quitte le pays quelque temps. En théorie, ils étaient en sécurité. En théorie. Était-on en sécurité nulle part de nos jours ?
La tâche était ingrate et elle était couverte de suie lorsqu'elle rejoignit les autres au milieu de la rue principale. Aucun des autres Aurors n'avaient trouvé quoi que ce soit. Toussant à cause de la fumée âcre qui attaquait leurs poumons et leur piquait le nez, ils avouèrent leur défaite et s'apprêtaient à retourner à Londres d'où ils pourraient prévenir les autorités Moldues lorsque Leo fronça les sourcils.
« Est-ce que les Hawthornes ne vivent pas par ici ? » demanda-t-il avec hésitation.
Probablement parce qu'il n'était qu'une jeune recrue et que les jeunes recrues n'avaient pas souvent droit au chapitre. Néanmoins, en cette période de troubles, les jeunes recrues étaient tout ce qui leur restait.
« Les Hawthornes ? » répéta Kingsley, en fronçant lui aussi les sourcils. « Ils ont quitté le pays, il me semble. »
« Mais ils ont un manoir dans les environs. » insista Leo. « J'y suis venu une fois… Peut-être… »
« Peut-être que ce village n'était pas la cible. » termina Tonks. « Ça vaut le coup de vérifier. »
Il leur fallut plusieurs minutes pour déterminer avec exactitude où était située la propriété des Hawthorne, minutes que Tonks passa à se demander ce que les Mangemorts auraient bien pu vouloir à une famille qui, certes avait des racines sang-pures, mais était également bien modeste.
Un quart d'heure de marche plus tard, ils atteignaient les limites du manoir situé en rase campagne et, immédiatement, Tonks eut la chair de poule.
« Les protections sont tombées. » murmura-t-elle, en levant sa baguette devant elle, prête à se défendre si le besoin s'en faisait sentir.
Kingsley lui jeta un coup d'œil surpris, probablement parce qu'elle n'avait jamais manifesté de réels dons pour détecter les protections qui entouraient les domaines ou les objets auparavant. Ce genre de magie était subtil et difficile à manier, elle n'y avait jamais accordé qu'un intérêt limité. Cependant, Severus lui avait montré plus d'un sort utile et la nécessité de protéger son appartement contre une quelconque intrusion extérieure l'avait forcée à reconsidérer sa position. Elle était maintenant bien plus au fait des sorts de protections qu'elle aurait voulu être.
« Prends Albert et fais le tour par derrière. » ordonna-t-il.
Elle hocha la tête et se glissa à l'arrière du manoir.
Rien ne bougeait à l'intérieur. Elle repéra deux vitres brisées mais la bâtisse n'avait pas été incendiée et tout semblait calme. Ils se glissèrent dans ce qui semblait être une bibliothèque par une fenêtre qu'elle ouvrit à l'aide de sa baguette sans rencontrer la moindre résistance.
Tout avait été saccagé.
« Sois prudent. » murmura-t-elle à l'attention d'Albert.
Elle aurait préféré que les deux jeunes Aurors attendent à l'extérieur. Ils étaient tous deux nerveux, terrifiés peut-être, et cela n'augurait rien de bon dans une situation où seule une maîtrise de soi pouvait vous sauver la vie.
Ils progressèrent lentement et méthodiquement, comme ils l'avaient fait dans le village moldu. Chaque pièce qu'ils traversaient avait été fouillée. Les tableaux étaient décrochés, les meubles renversés, les coussins éventrés…
Il semblait que l'intuition de Leo était la bonne, ils cherchaient quelque chose. Ou quelqu'un.
Ce fut elle qui trouva le passage secret. Le mur sous le grand escalier qui menait à l'étage était ouvert et semblait s'enfoncer sous la maison. Elle jeta un coup d'œil à Albert, lui intimant d'un geste de rester où il était et d'assurer ses arrières, avant de descendre prudemment les marches de pierres glissantes.
L'obscurité était totale et, contre toute prudence, elle jeta un lumos. Elle ne vit rien d'autre, à la lumière tremblotante de sa baguette, que des murs de pierre lisse suintant d'humidité et un long tunnel qui s'étendait devant elle. Elle le suivit, trébuchant parfois sur le sol inégal, et fut plus que soulagée de finalement rencontrer un escalier qui remontait vers la surface. Elle émergea sans grande surprise à l'extrême limite de la propriété.
Elle examina les environs, les arbres et la clôture en bois qui donnait sur un champ mais ne trouva aucune trace de lutte. De guerre lasse, elle referma le passage secret et rebroussa chemin vers le manoir.
« Il n'y a pas de traces de sorts d'attaque ou défensif. » Kingsley lui apprit dès qu'il l'aperçut. « Mais quelqu'un campait dans une des chambres du premier. Ils sont définitivement à la poursuite de quelqu'un. »
Ils décidèrent de fouiller la campagne environnante par mesure de prudence, au cas où la personne que les Mangemorts recherchaient soit encore là et ait besoin d'aide, mais ni l'un ni l'autre n'était très optimiste.
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Sirius observa les cinquième année ranger leurs affaires, incapable de ne pas remarquer qu'une fois de plus Harry semblait désespéré de s'enfuir le plus vite possible. Son filleul enfournait son manuel et ses parchemins dans son sac avec une colère à peine contenue. Hermione lui souffla un mot à l'oreille et le Survivant secoua la tête en réponse, son expression s'adoucissant légèrement.
Sirius s'approcha du bureau avec une nonchalance feinte et s'appuya contre la table, les bras croisés.
« Tu as une seconde, Harry ? » demanda-t-il. C'était plus un ordre qu'une question. À croire que presque un mois à remplacer Snape avait suffi à lui donner le ton d'un enseignant potentiel.
Hermione lui sourit, pressa le bras d'Harry en grimaçant et s'enfuit sans demander son reste rejoindre Ron, Malfoy, Zabini et Greengrass qui trainaient sur le seuil de la salle de classe. Un mot de sa part fut suffisant pour que le groupe se mette en route vers leur cours suivant.
Harry les regarda partir sans envie ou regret. Il se laissa tomber sur la chaise qu'il avait occupé toute la leçon et se frotta les yeux. Sirius avait finalement réussi à s'habituer à l'absence de lunettes bien qu'il en venait encore quelque fois à les regretter, ne serait-ce que pour la ressemblance à James. Il se demanda brièvement s'il aurait remarqué à quel point l'adolescent avait l'air épuisé si les lunettes épaisses avaient partiellement dissimulé ses traits.
« Est-ce que ça va ? » s'enquit-il de but en blanc. « Tu sais que si tu as un problème, tu peux m'en parler, Harry, hein ? »
Cela faisait presque une semaine qu'Harry avait recommencé à l'éviter et cela le peinait plus qu'il n'aurait su le dire. Il avait pensé qu'ils avaient finalement renoué le lien et laissé derrière eux les conneries que son lui adolescent avait fait subir à Harry dans le passé. Il avait pensé que…
À une autre époque, il aurait immédiatement accusé Snape d'être responsable de cette nouvelle mise à distance – après tout elle avait coïncidé avec sa sortie de l'infirmerie – mais l'ancien Mangemort semblait encore plus déterminé que lui à ce que Sirius obtienne la garde officielle de son filleul donc… Non. Non, cela ne venait pas de Snape. Aussi ridicule et improbable que cela soit, il faisait confiance au Maître des Potions lorsqu'il était question d'Harry.
« Désolé. » soupira Harry. « Le cours était intéressant. Vraiment. J'ai juste mal dormi. »
Sirius fronça les sourcils et se percha sur le coin du bureau, observant son filleul avec davantage d'attention encore. Ce n'était pas du manque d'intérêt flagrant que le garçon avait manifesté pour son cours que l'Animagus avait voulu parler. Ce n'était jamais qu'une leçon et le niveau d'Harry était, de toute manière, bien supérieur à ses camarades en Défense.
« Depuis combien de temps est-ce que tu dors mal ? » insista-t-il.
Ses yeux gris se posèrent sur la cicatrice en forme d'éclair et, comme pour confirmer ses craintes, Harry se mit à la frotter avec acharnement.
« C'est rien. » déclara le garçon, en secouant la tête. « Il est juste… excité à propos de quelque chose. »
« Tu as eu une vision ? » s'inquiéta immédiatement Sirius.
« Non, ça n'arrive plus. » contra Harry. « L'Occlumencie… Je contrôle. C'est juste plus dur de l'ignorer quand il est vraiment heureux ou très en colère. »
Sirius inclina pensivement la tête sur le côté, faisant involontairement écho à sa forme canine.
« Tu penses que tu pourrais contrôler la connexion ? » hésita-t-il. « Glaner quelques infos ? »
« Non. » cingla immédiatement le garçon, en se levant brusquement. La chaise se renversa et tomba au sol avec un bruit sec.
La panique sur le visage d'Harry était réelle et sa respiration trop hachée au gout de Sirius.
« Ok. OK. » s'empressa-t-il de le rassurer en levant les mains.
Mais Harry le fixait désormais sans le voir, clairement plongé dans un quelconque souvenir douloureux. Il se leva lentement, sans geste brusque, et posa les mains sur les épaules du garçon, presque surpris de ne pas sentir les os saillant sous ses paumes. Il avait mis des muscles et prit du poids en soixante-quinze, ce qui était bien. Il n'avait plus l'air famélique de l'enfant de treize ans qu'il avait rencontré pour la première fois deux ans plus tôt.
« Hey… » murmura-t-il doucement, massant gentiment ses épaules. « Harry. Respire. Tout va bien. »
Les yeux verts vinrent se planter dans les siens avec une telle force que Sirius dressa immédiatement ses boucliers mentaux, heureux que Snape ait insisté pour qu'il s'entraîne jusqu'à ce que cela devienne un réflexe parce qu'il était évident à cet instant qu'Harry n'était pas en pleine possession de ses moyens et que son esprit, volontairement ou pas, était à la limite de la Legilimencie.
« Je ne veux pas me retrouver coincé avec lui. Pas encore. » marmonna l'adolescent, en attrapant le bras de Sirius. « Je ne peux pas. Je… »
Sirius avait toujours eu tendance à traiter Harry comme un adulte, comme une mini-version de James peut-être, comme l'en accusait parfois Remus, et il ne comprit qu'à cet instant pourquoi Snape insistait autant sur le fait qu'il était encore un enfant qu'il fallait protéger. Pas uniquement de Voldemort mais…
Harry avait l'air si perdu, si vulnérable, que Sirius fit la première chose qui lui vint à l'esprit : il le prit dans ses bras.
Il avait toujours été quelqu'un de tactile. Du moins avant Azkaban. C'était une réponse naturelle pour lui.
Visiblement, il n'en allait pas de même pour Harry.
L'adolescent se tendit et il fallut de longues et gênantes secondes avant qu'il ne se détende un peu. Sirius finit par le lâcher avec embarras et un léger sentiment de rejet. Une part de lui était certaine que son filleul n'aurait pas refusé ce genre de réconfort s'il était venu de Snape.
Au moins, ça eut le mérite de calmer un peu le Gryffondor. Il ne semblait plus sur le point d'avoir une crise de panique.
« Tu en as parlé à quelqu'un ? » demanda-t-il, après s'être raclé la gorge.
Harry secoua la tête, les yeux rivés sur ses chaussures, les joues légèrement rougies.
« Pas même Snape ? » s'étonna-t-il. Le garçon grimaça légèrement et Sirius fronça les sourcils. « Il y a un problème avec Snape ? »
Cela aurait été beaucoup plus simple si Harry avait bien voulu lui confier ce qui n'allait pas directement au lieu d'avoir à lui arracher les mots de la bouche mais il savait d'expérience que le garçon pouvait être extrêmement réservé et avait une tendance marquée à vouloir gérer ses problèmes par lui-même. Il pouvait respecter ça. À tort ou à raison. Cela ne signifiait pas qu'il n'allait pas proposer son aide.
« Il est… déprimé. » lâcha finalement Harry, visiblement à contrecœur. « Il ne se remet pas aussi vite qu'il voudrait. Il n'a rien dit mais je sais qu'il a peur de… » L'adolescent s'interrompit et son expression se durcit. Sirius devina qu'il occludait – et de manière plutôt impressionnante parce que son visage ne reflétait plus rien. « Je ne veux pas en rajouter. »
« Harry… » déclara-t-il lentement, prudemment. « Snape ne te remerciera pas de lui cacher des choses même si tu penses que c'est pour le protéger. Au contraire. »
« Je sais. » admit le cinquième année, en levant les yeux au ciel. « Il va m'arracher la tête. C'est juste que… »
« Tu t'inquiètes pour lui. » termina Sirius lorsque l'adolescent laissa sa phrase en suspens.
Harry l'étudiait à présent avec une attention trop soutenue par-dessous sa frange et, une nouvelle fois, Sirius ressentit le besoin de dresser des boucliers autour de son esprit. C'était stupide, bien sûr, son filleul n'aurait jamais violé son intimité en fouillant dans sa tête mais il était évident pour lui qu'Harry cherchait… quelque chose. Et peut-être touchaient-ils enfin du doigt la véritable raison pour laquelle le garçon l'avait si soigneusement évité ces derniers jours.
« C'est mon père. » rétorqua l'adolescent, avec une pointe de défi.
Cela lui faisait toujours l'effet d'un coup à l'estomac, même après des semaines passées à écouter Harry clamer ce titre à tort et à travers à l'infirmerie, mais il n'en laissa rien paraître. Il avait accepté le nouveau statu quo des semaines plus tôt en voyant Snape si visiblement désespéré de se tuer à la tâche pour protéger le Gryffondor.
Il tenait à Harry. Il tenait à Harry plus qu'il ne tenait à préserver la sacro-sainte relation qu'il avait tissé dans sa tête entre son filleul et James.
« Passons un marché. » proposa Sirius avec un sourire encourageant. « Je vais tenir compagnie à Snape dès que j'ai fini mon prochain cours et je vais m'assurer qu'il ne déprime pas trop et, toi, tu lui dis pour tes visions dès que possible. »
Harry hésita un instant et releva le menton en une incompréhensible attitude de défi. « Je lui dirais ce soir. Je vais redescendre passer le week-end dans ma chambre. »
L'adolescent insista suffisamment sur ces deux derniers mots pour que Sirius comprenne qu'ils étaient importants.
« Ta chambre. » répéta-t-il.
« Ma chambre. » confirma Harry et ça sonna presque comme un avertissement. « Chez mon père. »
« Oh !» s'exclama-t-il, comprenant finalement ce que le garçon essayait de lui dire. « Tu as une chambre dans les appartements de Snape, d'accord. » Mais pourquoi le lui annoncer sur un tel ton ? Sirius grimaça. Avait-il encore loupé le coche ? Il ne lui était pas venu à l'esprit que c'était quelque chose qu'Harry aurait pu vouloir… Il avait été parfaitement heureux dans les dortoirs à son âge et… « Est-ce que tu en voulais une dans les miens aussi ? J'aurais dû y penser mais… Ce ne sont que des appartements temporaires. Lorsque Snape reprendra son poste, je retournerai au QG… Mais tu sais que tu seras toujours chez toi au Square Grimmaurd… Enfin… Je ne compte pas finir ma vie là-bas mais tu auras toujours une place chez moi. Où que ce soit… »
Il se frotta nerveusement la nuque. Il n'était vraiment pas doué pour prendre soin d'un enfant.
Harry l'observait toujours avec une attention trop soutenue.
« Tu n'es pas… fâché, alors ? » demanda le Gryffondor.
« Fâché ? » s'étonna-t-il. « Pourquoi est-ce que je serais fâché ? »
« Parce que j'ai une chambre dans les cachots ? » clarifia le garçon avec une hésitation palpable.
« Pourquoi est-ce que je serais fâché ? » répéta-t-il, en haussant les épaules et non sans une certaine hésitation lui aussi.
Était-il censé protester ? Tempêter pour prouver qu'il tenait à Harry ? Tout ça était trop compliqué pour lui et…
Un large sourire étira les lèvres du Gryffondor et, avant qu'il ait pu comprendre ce qu'il se passait, Harry lui avait donné la plus courte étreinte de l'histoire et détalait vers la porte de la salle de classe, en lançant par-dessus son épaule qu'il allait être en retard en Sortilèges et qu'ils se verraient le lendemain pour leur entraînement habituel.
Sirius se demanda brièvement si cela venait plus naturellement à Snape et si c'était terrible de sa part d'être soulagé de ne pas avoir à occuper une place plus proéminente que celle de parrain dans la vie du garçon.
Élever un enfant était bien trop difficile. Il préférait être le parrain à qui on venait demander conseil et avec qui on faisait les quatre-cents coups.
°O°O°O°O°O°
Severus gardait les yeux rivés sur les plats que Molly Weasley lui avait envoyés et qui étaient désormais entassés sur le comptoir de la minuscule cuisine. Tout plutôt que de poser le regard sur la chair rougie et bouffie qui entourait la Marque des Ténèbres.
La manche retroussée jusqu'au coude, le bandage défait, il était assis à la table de la cuisine, l'avant-bras posé sur la surface en bois, et attendait que Bill Weasley ait terminé son inspection. Cela faisait deux fois déjà que l'homme se présentait cette semaine là.
Comment Molly Weasley pouvait-elle connaître ses plats préférés ? La question le taraudait. C'était, là aussi, le deuxième colis de nourriture que la sorcière lui faisait parvenir et, bien qu'il ait forcé Harry à tester tous les plats avec tous les anti-poisons possibles et imaginables par mesure de prudence, il devait admettre que sa cuisine rivalisait sans mal avec celle de Poudlard. Il n'avait que faire de la reconnaissance mal placée de Molly dont la convalescence semblait mieux se dérouler que la sienne mais, supposait-il, Harry était toujours si content d'avoir de ses nouvelles qu'il était probablement pour le mieux qu'elle ait plus ou moins récupéré ses pleines facultés mentales. Il avait reçu un hibou, plus tôt dans la semaine, porteur d'une missive où elle le remerciait pour son aide avec tellement de ferveur qu'il en avait grimacé.
Son regard se déplaça jusqu'à la théière qui patientait tristement un peu plus loin. Il mourrait d'envie d'une tasse de thé. Il en mourrait d'envie depuis deux jours. Mais il ne parvenait pas à jeter d'aguamenti et il se refusait à demander l'aide de qui que ce soit.
Le bout de la baguette de Bill toucha le bord de la Marque et Severus ne retint qu'à grand peine un sifflement. Ses muscles se contractèrent, cependant, trahissant sa douleur.
« Désolé. » murmura le briseur-de-sort.
Severus accepta les excuses d'un hochement raide de la tête et s'appliqua à Occluder la douleur aussi efficacement que possible. C'était un exercice journalier, à présent, bien qu'il peinât toujours à maîtriser totalement ses nouveaux boucliers. Pour lui qui avait toujours été – qui était – un naturel, avoir des difficultés avec l'Occlumencie était, peut-être, la goutte d'eau qui faisait déborder le vase. Il ne pouvait s'empêcher de repenser à ce moment, quelques mois plus tôt, où il avait montré à Harry comment il dressait ses défenses mentales et l'air horrifié du garçon dès qu'il avait rompu le contact.
'Ce n'est pas bon, Snape' s'était exclamé le Gryffondor et, il fallait bien admettre, que l'histoire lui avait donné raison. S'occuper d'Harry, s'attacher à Harry, avait fait voler ses boucliers en éclats et maintenant… Maintenant il ne parvenait pas à retrouver le détachement nécessaire pour les reformer. Les nouveaux étaient sans conteste moins subtils et plus volatiles mais, il l'espérait, se révéleraient tout aussi efficaces au demeurant. Son coffre, cet ultime recours de l'Occlumens, était lui intact, niché tout au fond de sa tête et c'était, au moins, un réconfort.
Un nouveau petit coup de baguette, plus prudent cette fois, de l'autre côté de la Marque et Severus s'enfonça plus profondément derrière ses boucliers, laissant la colère et la frustration qui constituaient sa première base de défense pour plonger dans la douceur hésitante des souvenirs qui concernaient Nymphadora. Plus loin, plus près du coffre, il y avait l'amour paternel que lui insufflait Harry et les souvenirs tendres de Lily. Sa dernière base de défense, peut-être la plus puissance également.
Se servir de ses émotions comme boucliers au lieu de jeter des souvenirs en pâture était similaire et totalement différent à la fois. Par de nombreux aspects, c'était une méthode plus instable. Il tentait toujours d'en maîtriser tous les aspects.
Finalement, Bill soupira et se redressa, la bouche pincée.
Severus n'eut qu'à croiser son regard une poignée de secondes seulement pour percevoir l'inquiétude et un pointe d'excitation dans les yeux bleus. Trouver une manière de contenir la Marque était un défi que le briseur-de-sort avait embrassé à bras le corps.
« Le maléfice est de plus en plus corrosif et, sans vous mentir, je ne sais pas comment vous êtes toujours vivant, Professeur. » commenta Bill, d'un ton professionnel que Severus apprécia.
Il avait fait extrêmement attention à ce que ni Harry, ni Nymphadora n'aperçoivent la Marque jusque là, certain qu'il lui aurait fallu apaiser leurs inquiétudes – mentir, au besoin – et qu'ils auraient refusé de le laisser seul une minute. Dumbledore et Pomfresh étaient les seuls qu'il avait autorisés à inspecter régulièrement son bras.
« Albus pense que les protections du domaine y contribuent. » acquiesça-t-il, du même ton détaché que Bill. « Je dois dire que je suis d'accord avec lui. J'ai vu d'autres Mangemorts en mourir. »
Une mort lente, atroce et douloureuse.
« En terme de douleur… » hésita Bill.
Severus balaya l'air de sa main libre, baissant finalement les yeux sur la chair boursoufflée qui entourait le crâne et le serpent noir qui barrait son avant-bras. On aurait dit que la Marque sombrait progressivement dans son corps.
Sa main gauche, par extension, récupérait beaucoup moins vite que sa main droite des conséquences du Doloris. Il parvenait à peine à saisir des objets légers, la moindre utilisation de son bras gauche le faisait terriblement souffrir.
« La douleur est une vieille compagne. » grinça-t-il, dans un rictus. « Je m'en accommode. »
À vrai dire, la douleur aurait été plus supportable s'il avait pu se concentrer sur autre chose. Une potion, une expérience, un livre… Il parvenait à tenir un livre, maintenant – ou, du moins, il parvenait à coincer un livre ouvert devant lui et à tourner lentement les pages – mais utiliser une plume était hors de question. Il occluda rapidement le souvenir de ce matin là quand il avait tenté et échoué une fois encore à griffonner ne serait-ce qu'une piètre note. Albus lui avait fourni des dictaplumes qu'il rechignait à utiliser.
Ses recherches étaient, de toute manière, au point mort.
« Rompre le sort qui lie la Marque à Vous-savez-qui est impossible. » annonça Bill. « Ou, du moins, trop dangereux pour vous. Si vous étiez en meilleure santé… Mais je ne suis pas sûr que je le tenterai même dans ce cas là. Les risques d'une attaque cardiaque sont trop élevés. »
Severus ne marqua aucun signe de surprise. C'était une avenue de questionnements que Dumbledore et lui avaient explorée bien longtemps auparavant, avant même que le Seigneur des Ténèbres ne se manifeste à nouveau.
« Le mieux que je puisse faire, c'est tenter de contenir la magie noire… » continua Bill. « C'est une solution temporaire et il faudra relancer le sort toutes les deux ou trois semaines suivant la façon dont la Marque réagit. Ça devrait vous permettre de quitter Poudlard sans risque de tomber raide et réduire considérablement la douleur. »
Severus leva un sourcil à cette formulation plus ou moins heureuse.
« Et comment comptez-vous procéder ? » s'enquit-il.
« C'est technique, peut-être un peu trop à expliquer à quelqu'un qui n'est pas expert dans le domaine. » répondit Bill. « Mais si vous préférez… Disons que la Marque est comme un abcès dont il faudrait drainer le pus avant que l'infection passe dans le sang. Ce que je vais essayer de faire c'est d'aspirer le surplus de magie noire qui suinte de la Marque et essaye de vous tuer et jeter un sort qui devrait l'isoler. Le sort ne tiendra pas beaucoup plus de deux semaines, cependant. La magie qui a créé cette Marque est trop puissante. »
« La Marque est dérivée d'un sortilège qui servait à marquer les esclaves. » offrit-il. « Fut un temps. »
Et l'aurait-il découvert plus tôt, il n'y aurait sans doute jamais consenti. Il avait vu le tatouage comme un honneur, à l'époque, le symbole d'une nouvelle vie. Il n'avait pas compris qu'il ne s'agissait que d'un licol.
« Ça ne m'étonne pas. » déclara le briseur-de-sort. « J'ai rarement vu un truc aussi noir. C'est presque vivant. »
Presque mais pas tout à fait.
La Marque n'était que l'extension de la magie du Seigneur des Ténèbres, elle n'avait pas de vie propre. Pas comme…
Il ferma brièvement les yeux à la pointe de terreur qui lui mordit le ventre. Ses recherches sur les horcruxes étaient tout autant au point mort que celles sur la potion permettant à un loup-garou de se transformer en dehors de la pleine lune. Black n'avait pas plus avancé que lui.
« Professeur ? Que voulez-vous faire ? » demanda sérieusement Bill. « Vous voulez tenter de drainer la magie noire ? Je dois vous prévenir que ce sera douloureux. Elle ne va pas se laisser faire. »
« Faites-le. » ordonna-t-il, presque froidement, s'enfonçant davantage derrière ses boucliers.
Il observa discrètement Bill Weasley pendant qu'il travaillait. La Marque résistait et sa morsure était presque insupportable. Elle lui arracha un grognement plus d'une fois mais il garda les yeux rivés sur le briseur-de-sorts qui était tout entier à sa tâche, se demandant si…
La vision d'un Briseur-de-sort sur la question serait probablement bienvenue mais pouvait-il faire suffisamment confiance à Bill Weasley ?
Drainer la magie noire, cela dit… Cela lui donnait une idée. S'il parvenait à drainer l'Horcruxe hors de l'âme d'Harry…
Bill avait fait apparaitre un flacon barré en tout sens de runes et plus il psalmodiait le sortilège, plus le flacon se remplissait d'une brume d'un noir d'encre. L'horcruxe ne tiendrait jamais dans un flacon, bien entendu, un autre objet ? Et ni lui ni Black n'avait considéré d'utiliser des runes…
Il était tout entier à la question et remarqua à peine lorsque le jeune homme déclara qu'il avait retiré autant de magie qu'il le pouvait sans que cela présente un risque pour ses propres pouvoirs. Severus en aurait presque ricané. Ses propres pouvoirs… A croire qu'il n'en avait plus. Sa magie refusait de répondre à ses exigences, le laissant aussi vulnérable qu'inutile.
Ses pensées dérivèrent à nouveau alors que Bill posait le sort qui contiendrait la magie noire dans la Marque et l'empêcherait, en théorie du moins, de tenter de le tuer : à quoi servirait-il à présent ? Il était un poids mort, un boulet qu'Harry trainerait au pied en cas de bataille…
Il remarqua à peine que la douleur avait diminué lorsque Bill rempocha sa baguette, pâle mais avec un sourire confiant. Il aurait probablement dû l'inviter à s'asseoir pour récupérer, peut-être lui offrir quelque chose de sucré… Il parvint à peine à marmonner un remerciement lorsque le briseur-de-sorts prit congé.
Soudain, ses appartements l'étouffaient.
Il fit deux pas vers la porte et s'immobilisa. Que ferait-il si un Mangemort en devenir ou dissimulé parmi les élèves – et il était certain qu'il y en avait – l'attaquait au détour d'un couloir ? Il agoniserait seul dans les cachots, incapable de se défendre ?
Il aurait, bien sûr, pu utiliser la poudre de cheminette pour rejoindre le bureau de Minerva mais comment lui expliquer ? Elle le maternait déjà suffisamment comme ça. L'humiliation serait totale.
Son regard accrocha la porte qui menait à son laboratoire et il souffla presque de soulagement. Voilà un refuge familier qui serait suffisamment sûr pour qu'il n'ait pas à s'inquiéter de rencontrer qui que ce soit.
Le long couloir de pierres glissantes avec ses marches et son humidité fut plus éprouvant que ce à quoi il s'attendait. Les muscles de ses jambes protestèrent bien avant qu'il n'atteigne le laboratoire et il dut s'appuyer au mur pour parvenir jusqu'à la porte.
La pièce était telle qu'il l'avait laissée ou presque. Un chaudron plein de la potion contre les effets du Doloris reposait sur une des stations, un parchemin couvert de l'écriture nette de Granger et de celle, plus pointue, de Malfoy avait été abandonné juste à côté. Il avait longtemps débattu avec lui-même avant de leur autoriser l'accès à son laboratoire personnel mais cela lui semblait mieux que de risquer que la potion soit fabriquée dans une salle de classe où elle serait laissée sans supervision durant le temps nécessaire à ce qu'elle repose.
Au moins avaient-ils rangés tous les ingrédients qu'ils avaient utilisés et n'avaient-ils touché à rien d'autre – ou, plus vraisemblablement, au moins Malfoy avait-il eu suffisamment de présence d'esprit pour remettre à sa place exacte tout ce qu'il avait examiné. Granger n'aurait pas fouillé dans ses affaires et recherches en cours mais Draco n'aurait pas eu ce scrupule. Il était heureux que toutes ses recherches sur les Horcruxes soient cachées et protégées dans son bureau. Celles sur les loups-garous étaient dans ses appartements, bien que l'échantillon de la potion volé par Lupin soit sous clef dans un des placards du laboratoire. Il était certain qu'aucun élève, mis à part peut-être Harry qui était si familier de ses protections à présent, n'aurait pu l'ouvrir, cependant.
Il fut tenté de la sortir pour l'examiner à nouveau mais décida finalement de se baser sur ses propres recherches pour essayer d'aboutir à un résultat similaire. Albus avait raison, cette potion ressemblait par certains côtés à sa potion Révèle-Loup et peut-être que s'il s'en servait de base…
Malgré ses jambes tremblantes, il traina un chaudron en cuivre de la réserve jusqu'à une des stations de travail et sélectionna les ingrédients soigneusement organisés sur les étagères. Il y avait une sorte d'urgence dans ses gestes et il refusait de s'arrêter une seconde pour penser à ce qu'il était en train de faire.
Sa magie ne répondait plus. Il était à peine plus qu'un Cracmol… Sa seule utilité reposait désormais dans son expertise des potions. Les potions ne requéraient pas de baguette… Les potions avaient toujours été ce pour quoi il était le plus doué…
Il déposa les racines de valériane et sélectionna un couteau fin et recourbé, aiguisé à l'extrême. Hachées en fines lanières, voilà ce qu'il lui fallait. Un exercice de précision. Une forme d'art.
Ses mains tremblaient et plus il tentait d'être précis plus le tremblement augmentait. Les racines étaient inégales, le résultat si mauvais qu'il le balaya d'un revers de bras. Il écrasa les racines sous ses semelles sans même s'en soucier lorsqu'il attrapa les salamandres séchées. Il fallait les émincer. Il massacra la moitié d'une avant de l'envoyer voler dans un cri de rage.
Ses mains ne répondaient pas.
Il l'avait su.
Bien sûr qu'il l'avait su.
Jamais plus il ne pourrait préparer quoi que ce soit par lui-même.
Non seulement, il était sans-défense mais ce pour quoi il était né, son plus grand talent, la seule chose qu'il avait aimé et qui le lui avait rendu toute sa vie durant lui était désormais inaccessible.
Il ne se rendit compte qu'il hurlait que parce que sa gorge le brûlait. La rage le prit aux tripes, brûlante et impossible à ignorer ou réprimer, il jeta le chaudron contre le mur, renversa des bocaux entiers, écrasa les morceaux de verre… Sa magie se souleva en bourrasques, envoyant voler tout ce qui échappait à ses doigts gourds…
Il était une tornade et le laboratoire ne résista pas à son passage.
Il s'effondra après de longues minutes passée à détruire sauvagement tout ce qui lui passait sous la main.
Il s'effondra contre une table et resta prostré au sol, le dos contre le mur, les jambes repliées contre son torse, la tête pressée contre ses genoux… Sa gorge était obstruée par une boule brûlante qu'il ne parvenait pas à avaler, des larmes d'impuissance coulaient sur ses joues.
Quand la porte du laboratoire qui donnait sur les couloirs de l'école s'ouvrit, il ne releva pas la tête. À peine reconnut-il la voix de Granger lorsqu'elle laissa échapper un hoquet de surprise.
« Dehors ! » beugla-t-il.
La porte claqua, enfermant la cinquième année à l'extérieur.
Un rire amer lui échappa. Magie accidentelle. Comme un enfant. Fantastique.
Le rire se transforma en un sanglot qu'il se força à ravaler.
Rien.
Severus Snape n'était plus rien.
Professeur, Maître des Potions, Mangemort, espion, duelliste hors pair…
Autant de titres qui s'étaient éparpillés aux quatre vents lorsque Nox avait traversé le plafond d'Azkaban.
°O°O°O°O°O
« Que lui veut-il ? » demanda Albus, laissant son regard dériver du miroir au parc qui s'étendait sous la fenêtre de son bureau.
Le ciel était perpétuellement gris ces temps-ci et il passait une bonne partie de ses journées sur le qui-vive, alarmé par le froid glacial caractéristique. Aucun Détraqueurs ne passerait les protections de Poudlard mais les protections ne s'étendaient pas jusqu'à Pré-au-lard et Albus était bien persuadé que Voldemort n'aurait pas rechigné à faire du village un exemple juste pour la forme.
Un message en quelque sorte : Dumbledore ne peut pas protéger ce qu'il a sous son nez.
Il ignorait où les créatures se cachaient, il était simplement certain d'une seule chose : elles rôdaient.
« Je vous l'ai dit, je l'ignore. » répondit Lucius, d'un ton agacé.
Le vieux sorcier lui accorda un coup d'œil, à peine le temps de noter les cernes qui grandissaient chaque jour un peu plus et le catogan légèrement échevelé. Personne n'aurait pu accuser Lucius Malfoy d'avoir une apparence négligée mais il semblait qu'Azkaban n'était pas aussi confortable que le manoir. La prison avait été aménagée mais cela restait spartiate et plus d'un Mangemort grommelait dès que Voldemort avait le dos tourné, semblait-il.
« A-t-il mentionné vouloir une nouvelle baguette ? » insista-t-il.
En pure perte, apparemment.
Lucius n'avait aucune idée de ce que Voldemort pouvait vouloir à Ollivanders.
Albus, lui, avait un méchant soupçon. Par réflexe, il fit tomber sa baguette dans sa main d'un coup sec du poignet et observa les motifs gravés dans le bois sombre. Son pouce passa sur la plus large des sphères qui ornaient son manche comme il en avait pris l'habitude au cours des dernières décennies. Était-ce possible ?
« C'est une possibilité. » répondit Lucius, faisant inconsciemment écho à ses pensées. « Aucun d'entre nous ne comprend pourquoi nous n'attaquons pas maintenant que la situation nous est favorable. »
« Et que répond Tom à ces inquiétudes ? » s'enquit Albus, presque avec désintérêt.
Son regard était rivé sur sa baguette, les battements de son cœur plus anarchiques qu'il ne l'aurait souhaité. Severus aurait probablement trouvé à redire à sa consommation abusive de philtres de force ces dernières semaines.
« Qu'Il sait ce qu'Il fait et qu'Il n'attaquera pas avant d'être certain de gagner. » soupira son espion. « Si cela vous intéresse, je pense qu'il veut s'assurer d'être en mesure de tuer Potter. Or l'an dernier… »
« Leurs baguettes sont jumelles et cela lui sera difficile tant qu'Harry est armé, oui. » confirma Albus, en se lissant la barbe. Quelque part derrière lui, Fumseck laissa échapper quelques notes tristes.
« Que pourrait-il bien vouloir d'autre d'Ollivanders ? » insista Lucius. « Le vieillard a de la ressource, cela dit, il faut le lui accorder. Cela fait deux fois qu'il nous échappe. Se réfugier chez sa filleule n'était pas bien malin mais il a réussi à semer Dolohov et McNair… La prochaine fois, Il compte envoyer Greyback et sa meute, je vous conseille donc d'agir vite si vous souhaitez le récupérer en seul morceau. »
La prochaine fois, y aurait-il davantage encore de victimes qu'un village entier de Moldus ? Albus porta la main à son visage et se frotta pensivement les lèvres.
« Autre chose à signaler ? » s'enquit-il poliment, coupant court à la conversation.
« Non. » offrit le patricien. « Si ce n'est qu'Il est furieux de savoir Severus toujours en vie. »
« C'est ainsi que je préfère mes espions. » plaisanta-t-il, sans grand amusement.
« Vraiment ? » se moqua ouvertement Lucius. « Vous ne me ferez pas croire que ma survie vous préoccupe, Dumbledore. Comment va Narcissa ? »
« Aussi bien que possible. » promit-il. « Elle est naturellement inquiète pour vous. »
Imagina-t-il la lueur peinée dans le regard clair ? La manière dont les traits du sorcier s'adoucirent à la mention de son épouse ?
« Et Draco ? » insista Lucius. « Je n'aime guère ce que j'entends autour de moi. Vous avez promis de protéger ma famille, pourtant j'entends des père se vanter que leur fils ont donné une correction au mien… »
« Draco est autant en sécurité qu'il peut l'être. » le tranquillisa-t-il. « Il lui a bien été spécifié qu'il pouvait quitter les dortoirs des Serpentards et s'installer dans une des autres Maisons s'il le souhaitait. »
« Parce que Serpentard est la seule Maison qui abrite des apprentis Mangemorts… » ricana amèrement Lucius. « Êtes-vous fou ou aveugle ? »
« Ni l'un, ni l'autre. » répondit-il calmement. « Le choix appartient quoi qu'il en soit à votre fils et il a choisi de demeurer dans les cachots. Ne vous inquiétez pas trop, pour autant. Il est bien entouré. »
Lucius tint sa langue mais le regard noir qu'il lui jeta était clair : le sorcier n'était ni convaincu, ni heureux mais il n'avait pas non plus le choix.
« Tâchez de déterminer ce que Voldemort veut à Ollivanders. » insista-t-il avant de le congédier sans autre forme de procès.
La surface du miroir redevint lisse et Albus observa son reflet l'espace de quelques secondes avant de reposer l'objet sur une pile de parchemins qui attendaient sa signature depuis des semaines. La surface de son bureau était recouverte de lettres, formulaires et autre paperasse qui requéraient son attention urgente. Minerva venait chaque soir parer au plus urgent afin que l'école continue de fonctionner mais les formalités s'accumulaient pourtant toujours.
À contrecœur – ou, du moins, il aurait aimé prétendre que c'était à contrecœur même si ce fameux cœur le trahit à lui-même en s'emballant à nouveau – il se dirigea vers une des nombreuses étagères et posa la main sur le bord de la pensine.
Des souvenirs flottaient à la surface… Un sombral à moitié mort qui venait de s'écraser au sommet d'une tour… Une confrontation récente plus ou moins plaisante avec Alberforth… La dévastation de l'Allée des Embrumes…
Il tendit la main et effleura du bout des doigts le coffret en bois sombre dissimulé dans l'ombre derrière la pensine. Tout ce qui lui restait de Gellert…
Si Tom était véritablement en quête de ce qu'Albus soupçonnait… S'il parvenait à capturer Ollivanders… Que savait Ollivanders ? Des légendes. Des rumeurs.
Gregorovitch.
Combien de temps avant que ce nom là ne soit prononcé ? Combien de temps avant que Lord Voldemort remonte la piste qui le mènerait à Nuremberg ?
Gellert vendrait-il leur secret ou bien l'emporterait-il dans la tombe ?
Gellert.
Gellert ne survivrait pas à une confrontation avec Voldemort. Il était affaibli, diminué, cela Albus le savait de source sûre. N'attendait-il pas depuis des années ce hibou fatidique qui lui annoncerait sa mort ? Il attendait et le hibou ne venait jamais. Et Albus continuait à respirer un peu plus facilement.
Sa main libre serra un peu plus fort le manche de la baguette de sureau dans un élan possessif. La baguette était à lui et personne ne la lui prendrait, certainement pas un mage noir avec un égo surdimensionné. Un autre que lui, bien plus fort, avait déjà essayé.
Tom Jedusor savait-il seulement ce dont il s'agissait ou bien ne voyait-il en la baguette qu'une arme comme une autre ? Il avait transformé la pierre en horcruxe sans ciller ce qui tendait à prouver qu'il n'avait aucune idée de ce qui lui était passé entre les mains. Si c'était les reliques qu'il cherchait…
Maître de la mort…
La quête d'immortalité de Voldemort n'avait pas de limites mais cela étonnait Albus qu'il ne qualifie pas cette histoire de fable comme la plupart des sorciers tendait à le faire. Peut-être s'inquiétait-il pour rien. Peut-être Voldemort ne voulait-il simplement qu'une baguette plus puissante, une baguette qui lui permettrait d'affronter Harry sans risquer de reproduire leur dernier duel, une baguette suffisamment puissante pour le vaincre lui, et Ollivanders était la meilleure personne pour lui en fournir une.
Oui…
Oui, cela était plus probable.
Personne ne croyait plus à l'existence des reliques mis à part une poignée de fanatiques.
Tom n'avait aucune raison de se lancer à la recherche de la baguette de sureau.
Il retira lentement ses doigts du coffret pour caresser Fumseck qui venait de se percher sur son épaule. Le phœnix frotta sa tête contre son cou et Albus laissa échapper un léger soupir.
Néanmoins, il ne pouvait courir le risque qu'Ollivanders mentionne le bâton de mort puisque son existence était avérée. Voldemort ne saurait jamais résister à l'attrait d'une baguette imbattable. Il avait été bien décidé à secourir le vieil homme dans tous les cas mais cela venait de devenir une priorité.
C'était trop risqué, songea-t-il, en portant sa baguette à sa tempe. Il déposa le fil argenté dans la pensine et referma la porte du meuble sans s'autoriser à jeter un coup d'œil à la surface lisse du bassin de pierre.
Il savait ce qu'il y apercevrait.
Le visage de Gellert Grindelwald.
°O°O°O°O°O°
Harry serra les dents tout le long du trajet jusqu'à la bibliothèque, ne répondant à Ron que par monosyllabes.
« Tu es sûr que ça va ? » insista son meilleur ami pour ce qui semblait être la quinzième fois.
« Oui. J'ai juste mal à la tête. » répondit-il, également pour ce qui semblait être la quinzième fois.
Les yeux bleus se posèrent sur la cicatrice en forme d'éclair et Harry se força à ne pas aplatir sa frange sur son front. Il aurait aimé que les gens arrêtent de faire ça. Fixer sa cicatrice dès qu'il avait la migraine. Il regrettait soixante-quinze où personne n'y avait jamais prêté grande attention.
« Tu devrais peut-être aller voir Dumbledore… » suggéra Ron, en poussant les lourdes portes de la bibliothèque.
« Sûrement pas. » riposta-t-il avec un bruit amusé. Amèrement amusé, certes, mais amusé quand même.
Le temps où il avait couru dans les jupes de Dumbledore au moindre problème était révolu. Même Sirius n'avait pas proposé d'avertir le Directeur. Même Sirius semblait avoir compris que Severus était la personne à contacter en cas de problème…
« Moi ce que j'en dis, c'est pour t'aider. » lâcha Ron, avec un agacement certain.
Et Harry se rendit compte qu'il avait été plus sec qu'il ne l'avait voulu.
Il était énervé.
Il était énervé depuis qu'il s'était réveillé.
Pire, il devinait d'où ça venait et cela ne servait qu'à l'énerver davantage. Il sentait l'horcruxe qui frémissait et aucune dose de flammes ne parvenait à isoler le sentiment bien longtemps. Il avait été obligé de garder ses boucliers au maximum toute la journée, certain que s'il les abaissait ne serait-ce qu'une seconde, le chatouillis désagréable à l'arrière de son crâne l'aspirerait dans la tête du mage noir.
Cela faisait longtemps que la sensation n'avait pas été aussi forte.
Il était énervé parce que Lord Voldemort était énervé.
Et cela l'enrageait. Il était impossible d'échapper à la vérité dans ces cas là, d'ignorer l'horcruxe, de prétendre…
Aucun des deux ne peut vivre tant que l'autre survit…
« Désolé. » marmonna-t-il, sans grande conviction, avant que la sensation de claustrophobie ne le reprenne. Il étouffait dans son propre corps, dégoûté du parasite qui grignotait une partie de son âme.
Ron lui jeta un coup d'œil puis haussa les épaules mais la tension demeura réelle entre eux, au point qu'Harry fut presque soulagé lorsqu'il repéra le reste du groupe. Ron, ne put-il s'empêcher de remarquer avec une certaine dose de ressentiment, se dépêcha de prendre le siège entre Susan et Neville, à l'autre bout de la table.
Il se laissa tomber à côté de Zabini et choisit d'ignorer le sourcil levé de Malfoy en face de lui. Il appréciait Blaise, principalement parce que le garçon était calme, posé, et ne se sentait pas obligé de combler le silence.
« Où est Hermione ? » demanda-t-il, sans s'adresser à personne en particulier.
Elle avait quitté la classe de Sortilèges en même temps que Susan, il avait pensé la retrouver à la bibliothèque.
« Une mystérieuse urgence dans les cachots. » répondit Blaise, en tournant la page de son manuel d'Histoire de la magie. « Mystérieuse principalement parce que Draco est toujours là. »
Malfoy leva les yeux au ciel. « Hilarant. »
« N'est-ce pas ? » rétorqua Zabini et la conversation s'arrêta là.
L'ambiance autour de la table était plus studieuse qu'à l'accoutumée, les B.U.S.E.s approchant à grands pas.
Harry trouvait toujours l'idée d'examens un tant soit peu ridicule mais tira quand même un livre de son sac, résistant à l'envie d'ouvrir le septième tome des aventures de Garet Flinsh qu'il avait déniché au fin fond de la bibliothèque. Hermione et Ron le regardaient toujours bizarrement lorsqu'ils le surprenaient avec un roman en main.
Il tenta de se concentrer sur ses notes de Sortilèges sans grand succès. Le chatouillis à l'arrière de son crâne s'accentuait progressivement jusqu'à lui donner la sensation désagréable d'un ongle crissant sur un tableau noir. Ses boucliers étaient en place et il était certain qu'ils tiendraient mais il abandonna toute idée de réviser et croisa les bras sur la table avant d'y poser sa tête.
Il lui fallut plusieurs essais mais il parvint à faire apparaître la petite boule de lumière d'un latundo informulé. Il y eut quelques oh et ah autour de la table, ainsi qu'un frimeur marmonné de la part de Malfoy, mais Harry n'y prêta pas attention. Ses yeux verts fixaient la boule et il s'efforça de se détendre et de vider son esprit.
Lorsqu'il fut certain d'avoir atteint un état de transe suffisamment profond, il entreprit de passer en revue ses boucliers. Les murs de flammes d'abord, les puits de laves et les labyrinthes enflammés puis, plus profondément dans son esprit et moins efficaces, les marécages et les cascades.
La connexion qui le liait à l'esprit de Voldemort était béante. Il la sentait sans parvenir à déterminer son origine exacte.
Tu penses que tu pourrais contrôler la connexion ? Glaner quelques infos ?
C'était tentant, bien sûr.
Pourtant…
Le mauvais frisson qui lui parcourut l'échine lui fit perdre sa concentration et il cilla, revenant peu à peu à lui et à la bibliothèque où la vie avait continué son cours sans lui. La perspective de se retrouver coincé dans la tête du mage noir était trop effrayante. Combien d'enfants avait-il regardé Voldemort assassiner ? Pire… Lorsqu'il était dans sa tête, c'était sa main qui se levait, ses lèvres qui bougeaient, son ventre qui se contractait de plaisir à la mise à mort… Et les images n'étaient pas le pire. L'esprit de Voldemort était sale et il en ressortait toujours souillé.
Et puis Halloween…
Si ce Voldemort-ci remontait le fil, si Harry se retrouvait à nouveau prisonnier de sa propre âme…
Severus ne serait pas toujours là pour le sauver.
Il ne pouvait pas.
Il ne pouvait pas.
« Est-ce que ça va ? »
Il leva la tête et rencontra le regard inquiet de Ginny avec incompréhension. Quand était-elle arrivée ? Luna et Astoria étaient installées autour de la table elles aussi à présent. La quatrième année fronça les sourcils et s'accroupit pour qu'ils soient plus ou moins au même niveau.
« Harry, respire. » ordonna-t-elle, en attrapant sa main.
Il avala une goulée d'air sans s'être aperçu avoir retenu sa respiration. Il en prit une autre et encore une autre afin d'éviter d'attirer une fois de plus l'attention sur lui. Personne ne semblait avoir remarqué son comportement mis à part peut-être Zabini qui avait les yeux rivés sur son livre avec un peu trop de concentration pour que ce soit naturel.
Il ouvrit la bouche pour s'expliquer – ou mentir plus probablement – lorsqu'elle Hermione débarqua en trombe, Pince hurlant dans son sillage.
« Harry… » lâcha-t-elle à bout de souffle. « Le Professeur Snape… Dans son laboratoire… Je… Sirius… »
Harry détala sans même la laisser terminer.
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Sirius ravala un juron lorsqu'il poussa la porte du laboratoire personnel de Snape. Hermione l'avait averti que ce n'était pas beau à voir lorsqu'il l'avait croisée dans le couloir mais il n'avait pas pris la pleine mesure de ce qu'elle voulait dire.
Il est… déprimé, avait dit Harry.
Ce qu'il avait sous les yeux, cependant, ce n'était pas une simple déprime. La pièce avait été ravagée avec une sauvagerie méticuleuse que Sirius ne reconnaissait que trop bien. Impuissance. Désespoir. Abandon.
Il lui fallut un moment pour repérer Snape dans ce capharnaüm. L'homme était recroquevillé dans un coin, entre une table et le mur, les jambes repliées contre le torse, ses cheveux formant un rideau opaque qui lui dissimulait son visage. Au moins, songea Sirius, il n'avait pas retourné sa colère contre lui-même. C'était positif.
Le verre brisé crissa sous ses semelles lorsqu'il pénétra dans le laboratoire et il se demanda vaguement à quel point les mélanges renversés aux quatre coins de la pièce étaient dangereux. Il était certain que Snape gardait des ingrédients toxiques dans son laboratoire.
À la guerre comme à la guerre, cependant. Il avait promis à Harry qu'il s'occuperait de Snape cet après-midi là et il était déterminé à tenir sa promesse.
À aucun moment, l'ancien Mangemort ne leva la tête pour vérifier qui venait d'entrer. Il ne tressaillit même pas lorsque Sirius se laissa glisser le long du mur à côté de lui, suffisamment près pour que leurs épaules se touchent.
« Sympa, la nouvelle déco. » lança-t-il parce qu'il ne savait pas quoi dire d'autre.
Si un jour on lui avait dit qu'il se retrouverait lui à essayer de réconforter Severus Snape…
« Fous le camp. » gronda l'homme de derrière la masse de cheveux noirs et Sirius dissimula un soupir de soulagement.
« Crois-moi, j'aimerai bien mais je ne peux pas te laisser comme ça. » répondit-il, dans un haussement d'épaules. Il prit soin de cogner celle de Snape au passage.
« Et pourquoi pas ? » cingla le Maître des Potions en levant finalement la tête pour le fusiller du regard.
Les yeux rougis le choquèrent presque autant que les traces évidentes sur les joues pâles. Snape avait pleuré. Sirius n'avait jamais pensé que c'était possible. Sept ans passés à se pourrir mutuellement la vie et la seule fois où il avait vu Snape pleurer, c'était…
Il s'interdit de repenser à cette nuit là, refoula tout net le souvenir du corps sans vie de James, de celui de Lily dans les bras de Snape, d'Harry qui hurlait dans son berceau… Ils avaient pleuré tous les trois cette nuit là, chacun perdu dans sa propre douleur…
« Parce que je prends soin de mes amis. Qu'ils le veuillent ou non. » déclara-t-il avec trop de conviction pour que l'homme puisse l'accuser de mentir.
Le regard noir fouilla le sien à la limite de la legilimencie et Sirius se demanda brièvement si c'était de lui qu'Harry avait pris ce même penchant pour survoler l'esprit des gens qu'il regardait en face. Cela lui rappelait un peu trop Dumbledore mais il tint sa langue.
Au bout de plusieurs secondes, Snape reposa son front sur ses genoux, ses épaules s'affaissant davantage.
« J'aurais dû mourir là-bas. » lâcha l'homme d'un ton morne que Sirius ne connaissait que trop bien.
Il tira son paquet de cigarettes de sa poche par réflexe et en coinça une entre ses lèvres, attendant la réprimande qui ne vint pas. S'il l'allumait, il pouvait très bien provoquer une réaction en chaîne qui ferait exploser le laboratoire. Il n'avait jamais été très attentif en potions mais il se rappelait de ça, certains ingrédients étaient volatiles, d'autant plus lorsqu'ils avaient été propulsés contre un mur et piétinés pour faire bonne mesure.
Il retira la cigarette de sa bouche et la fit distraitement tourner entre ses doigts.
« Pourquoi ? » demanda-t-il calmement, comme s'il s'enquérait simplement de l'heure.
« Pourquoi vivre ? » siffla Snape en réponse. « Je ne sers plus à rien, ni à personne. »
Il n'était pas bien dur de deviner ce qui s'était passé dans le laboratoire. Ce n'était un secret pour personne dans leur petit cercle que Snape était frustré par sa convalescence, il avait sans doute voulu fabriquer une potion ou quelque chose du genre parce que, même s'il avait rationnellement su qu'il ne le pourrait plus jamais, ça n'avait pas été réel jusqu'à ce qu'il se confronte à la réalité de la chose.
Sirius se souvenait d'un temps ou sortir du Square Grimmaurd après qu'il ait été innocenté avait était plus difficile qu'y rester enfermé l'avait été lorsqu'il avait été désespéré de s'en échapper. L'humain était une créature faite de contradictions.
Il aurait pu mentionner Harry. C'était la réponse la plus logique, la manière la plus rapide de lui rappeler qu'il ne pensait pas ce qu'il disait. Si Harry avait perdu Snape… Non, Sirius ne voulait même pas y penser. Le simple souvenir de son filleul titubant à moitié dans la cuisine du QG ce soir là, s'écroulant sur le carrelage, le pyjama couvert de sang… C'était la réponse la plus logique mais Sirius n'avait jamais été très logique.
« On survivra sans tes potions, tu sais. » rétorqua-t-il. « Et puis tu as toujours un cerveau, que je sache. Prends un assistant. »
Snape releva à nouveau la tête pour lui jeter un regard noir où la haine se disputait à la fureur.
« Crois-tu que ce soit si simple ? » grinça le Mangemort.
« Bien sûr que non. Tu es un génie et le reste d'entre nous, pauvres idiots, ne pouvons rien y comprendre. » se moqua-t-il, en rangeant sa cigarette dans le paquet. « Je plains la personne que tu finiras par engager. » Snape le dévisageait avec une incrédulité mêlée de colère et Sirius décida qu'ils l'avaient tous ménagé trop longtemps. « Tu ne peux plus fabriquer de potions parce que tes mains ne fonctionnent pas très bien. Du côté positif, tu marches, tu parles et tu n'es pas un légume donc tu trouveras bien un moyen de compenser. Tout le monde n'a pas cette chance. Problème suivant ? »
Son rival ouvrit et referma la bouche plusieurs fois et, en d'autres circonstances, Sirius se serait probablement félicité de l'avoir mouché.
« T'est-il venu à l'esprit que si mes mains ne fonctionnaient plus je ne pouvais pas utiliser une baguette ? » cracha le Mangemort de cette voix lente et menaçante qui l'avait toujours horripilé.
« Elles fonctionnent mal, ça ne veut pas dire qu'elles ne fonctionnent pas. » rétorqua-t-il, en jetant un coup d'œil aux poings serrés de l'homme. « Et tu sais comme moi que la magie relève plus de l'intention que de la gestuelle. »
« Pure théorie. » cingla le sorcier.
« Snape… » soupira-t-il. « Je veux bien t'accorder que ne plus pouvoir t'amuser avec tes potions doit craindre mais tu ne vas pas me faire croire que tu ne peux plus te servir de ta magie, tremblements ou pas. Ce n'est pas la même chose. »
L'ex-espion détourna la tête, les joues rouges d'humiliation.
« Je ne peux même pas jeter un aguamenti. » marmonna l'homme, au bout d'un long moment. « Si Harry se retrouve en danger, à quoi servirais-je ? »
Sirius digéra l'information puis la refusa d'une secousse de la tête.
« Ce sont des conneries. » déclara-t-il. « J'étais là quand Andy et Pomfresh ont rendu leur diagnostic, rien ne cloche avec ta magie. C'est dans ta tête. »
« Je croirai entendre Nymphadora. » grogna l'homme. « Le problème vient de mes mains. »
« Non. Ça c'est ce que tu te dis parce que tu as peur de ne plus être aussi bon qu'avant. » réfuta Sirius, plus sûr de lui qu'il ne pouvait l'expliquer. « Et c'est facile à prouver. Tu t'es suffisamment apitoyé sur toi-même, ça suffit. »
Il se leva et tendit la main, attendant que Snape la prenne pour qu'il puisse l'aider à se remettre debout. Bien sûr, il aurait pu attendre longtemps. L'ancien Mangemort n'y jeta qu'un vague coup d'œil dégoûté.
Levant les yeux au ciel, Sirius tira sa baguette de sa manche.
« Debout. » avertit-il. « Ce dont tu as besoin, c'est d'un bon duel. Ça t'as toujours remis les idées en place lorsque je te bottais les fesses. »
« Tu n'as jamais gagné un seul de nos duels, Black. » marmonna Snape, en se recroquevillant un peu plus contre le mur.
« Curieux, ce n'est pas ce dont je me souviens. » le provoqua-t-il. « Ne m'oblige pas à te jeter un sort pour te faire lever. »
Jamais il n'aurait pensé que toiser Snape lui aurait laissé un goût si amer en bouche.
« Tout dépend si tu comptes les fois où tes amis m'attaquaient lâchement dans le dos. » riposta Snape, avant d'agiter vaguement la main. « Laisse moi. »
« Je te l'ai dit. Je ne laisse pas mes amis. » rétorqua-t-il.
« Nous ne sommes pas amis. Oublie cette notion ridicule. » gronda le sorcier.
Non, ils n'étaient pas amis. C'était pire. Ils partageaient Harry. Cela faisait d'eux une famille. En quelque sorte.
« Très bien. » accepta-t-il dans un haussement d'épaules, passablement perturbé par cette révélation soudaine. « Allez… Ne me dis pas que tu n'as pas envie de me mettre une raclée… »
« Qu'est-ce que tu ne comprends pas dans : ma magie ne fonctionne pas ? » cingla le Maître des Potions. « Est-ce le vocabulaire qui est trop compliqué pour toi ? »
« Tant pis pour toi. Je t'aurais prévenu. » soupira-t-il, en pointant sa baguette sur lui. « Levicorpus ! »
« Protego ! » jeta hâtivement Snape par pur réflexe, en levant les mains devant lui.
Le sort du bouclier scintilla à quelques centimètres à peine de ses mains, suffisamment puissant pour absorber le maléfice de Sirius – non pas qu'il y ait mis beaucoup de force, en premier lieu, mais tout de même.
« Mais, à part ça, ta magie ne fonctionne pas. » se moqua-t-il tandis que Snape fixait le bouclier du regard avec une légère incrédulité. « Tu sais que la plupart des gens ne peuvent même pas faire ça sans baguette? »
Le regard de Snape se déplaça jusqu'à lui, sa bouche était pincée.
« Ne retournes pas mes propres sortilèges contre moi. » avertit son rival.
« Essaye donc de m'en empêcher. » le défia-t-il, en levant sa baguette. « Servilus.
Il l'abaissa dans un arc de cercle destructeur – ou qui aurait été destructeur si le sort ne s'était pas écrasé sur un bouclier parfait. Sa baguette emprisonnée dans des doigts moins dextres qu'à l'ordinaire, Snape attrapa le rebord de la table de sa main libre et se hissa sur ses pieds avec un rictus mauvais. Ce fut le seul avertissement qu'eut Sirius avant de devoir faire face à une avalanche de sortilèges.
Il continua de l'insulter, devinant instinctivement que plus l'homme se mettrait en colère, plus il lui serait facile de maîtriser sa magie – et plus il évacuerait sa frustration. L'ex-fugitif commença légèrement à le regretter lorsque les sorts de plus en plus puissants devinrent difficile à contenir et qu'il se retrouva à camper sur la défensive.
Il n'était pas certain du laps de temps qui s'était écoulé depuis qu'ils avaient commencé à se battre mais lorsqu'une étagère éclata en morceaux sur sa droite, il se dit qu'avoir enragé Snape n'était peut-être pas une si bonne idée que ça finalement. Il n'était pas certain que l'ancien Mangemort n'ait pas perdu le contrôle parce que les maléfices qui fusaient de part et d'autres étaient loin d'être innocents. Un flashback était vite arrivé et ils n'avaient pas le meilleur passif.
Sirius s'en tint à des sortilèges plus ou moins bénins jusqu'à ce qu'un bruit incongru résonne dans la pièce. Il lui fallut presque une minute pour identifier le son, tout occupé qu'il était à contrer la pluie de sortilèges de plus en plus complexes qui fondait sur lui.
Snape riait.
Ça le choqua tellement qu'un diffindo passa sa garde et laissa une longue estafilade sur son bras. Avec un sifflement, il répliqua d'un jet d'eau bouillante qui alla s'écraser sur un bouclier de flammes dont le souffle le fit reculer.
« Est-ce là le mieux que tu puisses faire ? » ironisa l'ancien Mangemort. « Piètre duel. »
Et il se mit à rire lui aussi.
Le rire fou qui poussait toujours Remus à l'observer avec inquiétude.
La même note d'amusement brisé que dans celui de Snape.
Rationnellement, il savait que ce qu'ils faisaient était dangereux – plus dangereux peut-être même que s'il avait allumé cette cigarette, au final – mais il y avait quelque chose de cathartique à se battre en duel avec quelqu'un qui ne retenait pas ses coups mais qui, il en était raisonnablement certain, n'irait pas jusqu'à l'assassiner.
Bientôt, le duel était tout ce qui existait.
Ils tourbillonnaient autour de la pièce, ignoraient les blessures qui s'accumulaient progressivement, devenaient plus créatifs… Apprenaient. Sa technique était frontale alors que Snape n'était que subtilité. Ses attaques à lui étaient brutales, celles de Snape trompeuses.
Il était en train de parer un maléfice violet non identifié lorsque sa baguette glissa de ses doigts et, si Snape n'avait pas dévié le sort au dernier moment, il n'aurait pas donné cher de sa peau. La chaise que la lumière violette avait atteinte se liquéfia dans un nuage de fumé.
Il jeta un regard à Snape, sourcils levés, et l'homme leva les yeux au ciel, légèrement gêné.
« Ton bouclier l'aurait arrêté. » marmonna le Mangemort avant de se tourner vers l'adolescent qui haletait sur le seuil de la pièce, la baguette de Sirius serrée dans son poing, les yeux verts rivés sur son parrain. « Harry… »
« Qu'est-ce que tu fous ? » cracha le Gryffondor avec tellement de haine que Sirius recula, mains levées devant lui.
« Ce n'est pas du tout ce dont ça a l'air. » se dépêcha-t-il de se défendre.
« Non ? » ricana froidement l'adolescent. « Alors tu n'as pas attaqué Severus ? »
« Techniquement si mais… » grimaça-t-il.
« Harry, je n'ai pas besoin qu'on défende mon honneur. » l'interrompit le Professeur. « Et ce n'était pas… Nous ne nous disputions pas. »
« On s'amusait. » rajouta Sirius. « C'est tout. On s'amusait. »
« Certains plus que d'autres. » commenta Snape dans un rictus. « Il est regrettable que ton parrain ne connaisse qu'un seul sortilège de bouclier. Peut-être pourrais-tu lui donner des cours, à l'occasion. »
« Hey ! » protesta-t-il. « Au moins je ne vais pas à gauche à chaque fois que je feinte. »
« Non, tu laisse simplement ton flan droit découvert dès que l'occasion se présente. » lâcha le Maître des Potions.
Harry s'était affalé contre le chambranle de la porte et tentait visiblement de reprendre sa respiration, les regardant tour à tour comme s'ils étaient tous les deux devenus fous.
Sirius ne pouvait pas tout à fait le lui reprocher.
Il ne pouvait pas non plus s'empêcher de remarquer que c'était sa baguette qui était entre les mains de l'adolescent et que c'était lui qu'Harry avait accusé en premier lieu.
« Vous savez qu'il y a des endroits pour s'entraîner ? Des endroits qui sont faits pour ça ? » ironisa le Gryffondor. « Comme la Salle sur Demande. Ou le parc. Ou n'importe où qui ne soit pas un laboratoire plein de trucs fragiles ? »
« Es-tu en train de nous faire la leçon ? » s'enquit Snape d'un ton faussement tranquille. Peut-être amusé, peut-être énervé, c'était toujours dur à dire avec lui.
Harry ne cilla même pas. Il se contenta de laisser son regard dériver dans la pièce ravagée avant de regarder à nouveau Snape en face.
« Oui. » répondit-il simplement. « Et, non, je ne vais pas vous aider à ranger tout ça. »
L'écho de bruits de course empêcha Snape de répliquer et, avant que Sirius ait pu dire ouf, Ron, Hermione et Malfoy étaient eux aussi sur le pas de la porte.
« Merlin ! » s'exclama Malfoy, les yeux ronds, lorsqu'il aperçut le massacre.
Snape se racla la gorge et agita la main. « Nous nous passerons de vos commentaires. Allez tous diner. »
« Mais, Professeur, la potion… » contra Hermione, en faisant un pas vers un des chaudrons renversés.
« Sortez, Miss Granger. » coupa Snape. « En l'état, la pièce n'est pas sûre. »
« Et c'est maintenant que tu le dis ? » demanda Sirius, en traversant le laboratoire pour récupérer sa baguette. Harry la lui céda sans problème mais avec un regard toujours quelque peu suspicieux.
« Harry. » appela le Maître des Potions, son ton perdant en dureté. « Va diner avec tes amis. »
« Je reviendrais après. » avertit l'adolescent.
Snape inclina la tête avec ce qui aurait pu, chez quelqu'un d'autre, passer pour un sourire. « Bien entendu. »
Les cinquième année partirent, Ron et Harry interrogeant Hermione sur la potion qu'elle avait mentionnée et Malfoy tentant sans grand succès de noyer le poisson.
Snape s'était déjà mis à ramasser ce qui pouvait l'être, gardant une main sur le mur comme pour s'assurer de ne pas perdre l'équilibre. Amusement mis à part, le sorcier était toujours censé se ménager et Sirius espérait ne pas l'avoir trop poussé parce qu'Harry ne lui aurait jamais pardonné, cela était clair.
Avec un soupir, il entreprit de l'aider à nettoyer.
« Harry m'a dit qu'il avait une chambre chez toi… » hasarda-t-il au bout de plusieurs minutes passées à travailler en silence. Sirius n'aimait pas le silence.
« C'est un problème ? » cracha immédiatement Snape avec la même pointe de défi qu'Harry avait mis dans la même question un peu plus tôt.
« Non. » répondit-il, dans un froncement de sourcils. « Pourquoi ça devrait en être un ? »
« Tu es son parrain. » rétorqua le Professeur.
« Et tu es son… » Il s'interrompit, incapable de terminer cette phrase là. C'était une chose de l'avoir accepté, une autre de le dire à voix haute. Il changea de sujet, sautant sur l'idée qui lui trottait en tête. « Je veux acheter une maison. Une vraie maison, je veux dire. Dumbledore peut faire ce qu'il veut de cette ruine mais je ne veux plus vivre au Square Grimmaurd. »
Il y eut un long silence puis un soupir irrité. « Me confondrais-tu avec le loup ? Qu'attends-tu de moi ? Des conseils immobiliers ? »
Il leva les yeux au ciel. « Hilarant. Non, je me demandais juste… Quand tout ça se sera un peu calmé et une fois que j'aurais trouvé quelque chose de bien… Tu crois que je pourrais emmener Harry visiter avant d'acheter ? Pour être sûr qu'il aime. »
À nouveau, un long silence.
« Es-tu en train de me demander la permission ? » demanda le Maître des Potions, d'un ton gardé.
Sirius sentait son regard rivé sur lui mais il continua d'éponger la flaque de potion renversée dans le coin. « C'est ce qu'on fait en général quand on veut emmener le fils de quelqu'un quelque part, non ? Je demanderais à Harry mais il va te demander à toi donc… Je gagne du temps. »
L'Animagus détestait vraiment les longs silences et il détestait encore plus éponger des fichues potions. Il jeta la serpillère dans la flaque et se redressa, appuyant les deux mains dans le creux de son dos pour faire disparaitre les courbatures. Il n'était plus aussi jeune qu'il l'aurait voulu et Azkaban ne lui avait fait aucun bien.
« Black, lorsque Harry aura signé les papiers, tu seras son tuteur. » lâcha Snape.
« Encore faut-il qu'il les signe. » ronchonna-t-il. Entre Dumbledore qui bloquait la procédure autant qu'il le pouvait, Harry qui ne s'était toujours pas décidé et Voldemort qui menaçait le Ministère…
« Ce n'est pas la question. » cingla l'ex-espion. « Une fois que les Dursley seront éliminés de l'équation… Tu… Je n'ai aucun droit sur Harry. Je n'ai pas l'intention de disparaître de sa vie mais… Il serait peut-être nécessaire de commencer à… Il faut… Une transition est nécessaire… Une figure parentale… »
Abandonnant toute idée de faire semblant de travailler, Sirius se retourna pour lui faire face et ouvrit les bras avant de les laisser retomber dans un geste fatidique.
« Tu es la figure parentale, ça me semble très clair. » lâcha-t-il, évitant toutefois son regard. « Et… Ça me va. Je veux qu'il vienne chez moi au moins deux semaines pendant les vacances d'été et je veux pouvoir le voir quand je veux – et quand il veut. Et j'aimerai être consulté s'il y a des décisions vraiment importantes à prendre et qu'il n'est pas en état de donner son avis. Pour le reste… »
« Black. » l'interrompit Snape d'un ton presque suppliant.
« Harry a choisi. » déclara-t-il avec un petit rire creux. « Et, franchement, c'est probablement pour le mieux. J'ai toujours été censé être le parrain dans cette histoire, moi. Je n'ai jamais… Je ne ferais pas un très bon… » Il se tut suffisamment longtemps pour prendre une profonde inspiration. « Écoute, c'est ce qu'Harry veutet, ça, c'est ce qu'il y a de plus important pour moi alors… Une fois qu'on l'aura sorti de chez les Dursley… »
« Black, si c'est une de tes plaisanteries douteuses, je vais te tuer. » l'avertit – charitablement – Snape.
Sirius croisa finalement son regard, sans s'embarrasser de boucliers mentaux. « Je ne dis pas que ça m'enchante mais j'ai promis à James et Lily que je m'occuperai d'Harry s'il leur arrivait quelque chose et… J'ai merdé. Si j'avais réfléchi deux minutes… Si j'avais pris le temps de revoir mes priorités… Je me serais occupé d'Harry au lieu de partir à la recherche de Peter. J'aurais tout expliqué à Dumbledore et… Je ne suis pas fait pour ce genre de responsabilités, Snape. C'est Remus qu'ils auraient dû choisir. » Il haussa les épaules et détourna les yeux, conscient que l'homme l'observait toujours. « J'ai cru qu'en le traitant comme un égal… »
« C'est un adolescent, pas un adulte. » l'interrompit Snape. « Et ce n'est pas la réincarnation de James Potter. »
« Je sais. » répliqua-t-il avec agacement, fouillant dans sa poche par réflexe. Ses doigts se refermèrent sur le paquet de cigarettes mais il ne le sortit pas. « C'est juste que… Une minute, on a l'impression qu'il a cent ans et, la suivante, il peut agir comme un enfant de dix ans… »
Snape eut un mouvement d'irritation et fit disparaitre un tas de verre d'un coup de baguette plus qu'agressif.
« Les Moldus. » cracha l'homme avec une haine palpable. « Il ne sait pas comment se comporter dans un schéma familial plus… classique. Il ne sait pas comment se comporter tout court. Ils lui ont mis en tête que sa vie n'avait aucune valeur et les petites machinations initiatiques d'Albus n'aident en rien. Il cherche un parent et craint d'être rejeté tout à la fois. Il se méfie des adultes. Je pense que tu étais exempt de ce traitement jusque là parce que tu agis principalement comme un gamin. Cependant… il faut admettre que tu es légèrement plus responsable qu'avant. Ce sont des insécurités qui prendront du temps à disparaître. Du temps et une certaine stabilité. C'est pourquoi si tu n'es pas certain de ce que tu proposes… »
« Je suis certain que je ne suis pas ce qu'il lui faut au quotidien. » contra-t-il. « Et je suis aussi certain qu'il a déjà trouvé ce qu'il cherche. » Et peut-être Harry n'était-il pas le seul à avoir peur d'être rejeté. « Je ne vais pas changer d'avis, Snape. Sauf si tu ne veux pas… »
« Bien sûr que je le veux. » le coupa sèchement le sorcier. « C'est mon fils. Le sang et les papiers n'ont rien à voir là-dedans. »
« Dans ce cas, c'est réglé. » déclara-t-il.
Snape soupira avant de se pincer l'arrête du nez. « Rien ne sera réglé tant que le Seigneur des Ténèbres ne sera pas vaincu et pour ça… »
Pour ça, ils devaient trouver comment débarrasser Harry de l'Horcruxe.
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Le grimoire gisait oublié sur ses genoux, tout autant parce qu'il était pénible de le tenir avec ses doigts tremblants que par désintérêt.
L'heure était déjà avancée et Severus gardait un œil sur la pendule de cuivre, sachant qu'il aurait dû envoyer Harry se coucher mais réticent à mettre un point final à une soirée si agréable. Si normale.
Il avait toujours aimé ses appartements. Pendant longtemps, ils avaient été la seule chose qu'il avait apprécié à propos de son nouveau poste d'enseignant. Pourtant, il ne les avait jamais autant aimés que maintenant que les manuels de cinquième année se mélangeaient à ses livres et que le gamin laissait trainer la moitié de ses affaires partout. Il râlait et pestait pour qu'Harry range ses affaires, bien sûr, mais… Cela lui avait manqué de partager son quotidien avec l'adolescent.
Ses yeux noirs se déplacèrent de la pendule au canapé sur lequel Harry était allongé, entortillé dans le plaid comme lui seul en avait le don. Le roman qu'il avait lu une bonne partie de la soirée était abandonné sur l'accoudoir, ouvert à la page à laquelle il s'était arrêté, et il fixait désormais les flammes qui dansaient dans l'âtre avec un regard vide.
Il occludait.
Severus l'observa plus franchement, notant les cernes et les traits tirés. Le garçon avait promis qu'il parvenait sans mal à bloquer la connexion et il avait lui-même vérifié ses boucliers après le diner sans noter quoi que ce soit d'alarmant. Mis à part le fait que le Seigneur des Ténèbres ait été suffisamment agité toute la journée pour que cela titille l'Horcruxe…
Il exécrait l'idée de cette chose nichée dans l'âme d'Harry.
Il exécrait le fait qu'Harry se sente si mal parce qu'il abritait un bout de l'assassin de ses parents.
Le Maître des Potions pianota distraitement sur l'accoudoir de son fauteuil avant de renoncer parce que cela lui demandait trop d'effort. Il jeta un coup d'œil à ses mains, incapable de réprimer la vague de colère que leur vue lui infligeait désormais. La peur qui lui tenaillait le ventre depuis qu'il s'était réveillé ne vint pas, cependant.
La Marque ne le brûlait plus et le répit était non négligeable. Sans la douleur, il pouvait réfléchir de manière plus cohérente.
Et au-delà de ça…
Il n'aurait jamais cru pouvoir un jour éprouver de la gratitude pour Black mais force était de constater que le sentiment était bel et bien là.
D'un léger coup de baguette, il raviva le feu. Il ne se laissa pas douter et sa magie répondit dans la seconde. Savoir qu'il était encore capable de se battre… Savoir qu'il était encore capable de gagner si nécessaire… Cela faisait toute la différence.
Harry regarda brièvement dans sa direction avec un léger sourire avant de remonter davantage la couverture sur sa tête et de fermer les yeux. Il aurait dû lui dire d'aller dans sa chambre, il ne le fit pas.
Il n'avait pas encore informé le garçon de ce dont il avait discuté avec son parrain. Entre les accusations à peine voilées sur le duel qu'il avait interrompu et les révélations sur les visions que le Gryffondor avait passé la journée à repousser, il n'y avait pas eu de bon moment. Et puis, Severus aurait préféré que les choses soient réglées pour de bon avant de lui en parler. Lorsque Black aurait finalement les papiers appropriés en sa possession – des papiers qui, apparemment, ne cessaient de mystérieusement se perdre au Ministère – et lorsque Harry serait prêt à les signer… Il ne voulait pas donner à l'adolescent de faux espoirs et, pour l'instant, le statu quo fonctionnait bien comme ça.
Ce n'était pas ce qui tracassait Severus.
Ce qui tracassait Severus, c'était ce lien entre Harry et le Seigneur des Ténèbres. Ce lien qui pousserait inévitablement Dumbledore à sacrifier Harry à un moment donné. Pour le plus grand bien ou qu'importe ce que le vieillard se murmurait la nuit pour parvenir à dormir…
Combien de temps avant qu'Albus ne commence à chasser et à détruire les Horcruxes les uns après les autres ? Le directeur n'attendait qu'une seule chose : qu'Harry confirme le nombre total. Et tant qu'Albus n'aurait pas commencé sa chasse, Severus n'aurait aucun moyen de tenter de s'en procurer un… Il devait les étudier de plus près et pour ça…
Il se leva dans un claquement de robes involontaire qui fit sursauter Harry.
« Sev ? » demanda le garçon, à moitié endormi, en se frottant le visage.
« Dors. » murmura-t-il en dépassant le canapé, serrant brièvement son épaule au passage.
Il aurait aimé être plus assuré sur ses jambes mais la session de duel de l'après-midi et la destruction de son laboratoire l'avaient physiquement vidé. Il claudiquait mais personne n'était là pour le voir. Les couloirs étaient déserts après le couvre-feu et s'il prit plus de temps que d'ordinaire pour monter les escaliers, il serait le seul à le savoir.
Les appartements de Slughorn ne furent pas bien difficiles à trouver. Ils se situaient dans les hauteurs et Severus prit le temps de reprendre son souffle avant de frapper à la porte.
Ils n'avaient pas le temps d'attendre qu'Harry parvienne à convaincre Slughorn de livrer ses souvenirs sur un plateau d'argent.
Ils n'avaient pas le temps non plus d'attendre qu'Albus cesse de s'embarrasser de scrupules lorsque ça lui agréait.
Pas quand la vie de son fils était en jeu.
Le portrait bascula, révélant le vieux professeur de potions engoncé dans une robe de chambre d'un vert sombre.
« Severus ? » s'étonna le Maître des Potions.
« Bonsoir, Horace. » répondit-il, avec un sourire froid.
Ce fut le seul avertissement qu'il consentit à donner.
