"Love and loss," he said, "are like a ship and the sea. They rise together. The more we love, the more we have to lose. But the only way to avoid loss is to avoid love. And what a sad world that would be."
V.E. Schwab – A Conjuring Of Light
« Aimer et perdre," dit-il "c'est comme un bateau et la mer. Ils s'élèvent ensemble. Plus on aime, plus on a à perdre. Mais la seule façon de ne pas perdre quelqu'un, c'est d'éviter d'aimer. Et quel triste monde cela serait. »
V.E. Schwab – A Conjuring Of Light
Chapitre 32 : Love And Loss
Ce que Harry avait omis de prendre en compte, c'était le choc que se retrouver une nouvelle fois en pyjama au milieu de la nuit dans la cuisine du Square Grimmaurd lui provoquerait. Il n'était pas couvert de sang, ce coup-ci, et Severus n'était pas en train de mourir à l'autre bout du pays, mais la pièce semblait avoir été la victime d'un ouragan et, peut-être pire, il y avait un loup-garou au pelage argenté trop familier emprisonné dans une cage à l'aspect bien trop fragile.
Harry eut un mouvement de recul lorsqu'il pénétra dans la pièce et Severus se figea immédiatement, s'adossant au chambranle de la porte pour mieux l'observer, un air coupable sur le visage.
« Es-tu certain que tu veuilles rester ? » s'enquit le Professeur. « J'avais oublié que… »
Il avait oublié que, il n'y avait pas si longtemps que ça, du moins pour eux, Remus avait manqué le dévorer dans la Cabane Hurlante. Harry, lui, n'avait pas oublié. Il en faisait encore régulièrement des cauchemars.
Le chien noir roulé en boule près de la cage se transforma soudain en homme accroupi et Sirius se redressa, ignorant les grondements sourds qui émanaient du loup.
« Pourquoi l'as-tu ramené ici ? » protesta Sirius. « Ce n'est pas… »
« C'est moi qui ait insisté. » intervint Harry, s'efforçant de retrouver contenance. Il s'humecta nerveusement les lèvres et fit un autre pas dans la pièce. Si Severus pouvait faire face au loup-garou, il le pouvait aussi. Il doutait franchement que cela soit plus simple pour le professeur de devoir se tenir si près de Lunard que ça l'était pour lui. « Ça va. »
Les deux hommes le fixaient du regard avec un doute évident alors il se força à s'approcher de la cage. Suffisamment pour mieux voir, pas assez près pour que Remus puisse le happer d'un coup de patte si l'envie lui en prenait.
Le loup était beau. La lumière tremblotante des bougies vissées au chandelier de fonte qui pendait au plafond de la cuisine faisait danser des ombres sur son pelage, lui donnant l'aspect changeant de souvenirs tourbillonnant lentement dans une pensine. Harry l'aurait probablement davantage admiré s'il n'avait pas su de source sûre que ses mâchoires puissantes auraient pu lui arracher la gorge en moins d'une seconde. Oui, le loup était beau… Mais il était aussi dangereux.
« Une idée pour le retransformer ? » demanda Sirius, dépassant l'adolescent et s'éloignant davantage encore de la cage.
Le loup-garou ne parut pas apprécier sa désertion.
Son parrain était, comme lui, en pyjama, ayant sans aucun doute quitté ses appartements en urgence. Contrairement à lui, toutefois, personne ne l'avait forcé à enfiler une robe de chambre ou des chaussons et étant donné la température glaciale qui régnait en toute saison dans la cuisine du Square Grimmaurd, il ne pouvait pas avoir bien chaud. L'adolescent était sur le point de lui proposer d'aller lui chercher une cape ou des chaussettes lorsque le loup gronda son mécontentement.
Les yeux verts se posèrent immédiatement sur l'animal, oubliant tout ce qui n'était pas le danger potentiel que représentait le loup-garou.
Le loup lui rendit son regard et ses grondements se turent.
Pour la première fois depuis qu'il avait pénétré dans la pièce, Harry se détendit légèrement. Il n'y avait rien d'humain dans le regard ambre posé sur lui, aucune étincelle prouvant que l'animal reconnaissait le garçon, aucune trace de Remus. Et pourtant, le regard du loup n'était pas dénué d'intelligence, bien au contraire, c'était peut-être ce qui était le plus effrayant.
Vaguement conscient que, derrière lui, Sirius s'employait à redresser l'imposante table et les chaises par magie, Harry s'efforça de ne pas ciller. Il n'était pas certain que traiter un loup-garou comme il aurait traité un hippogriffe soit la bonne attitude à adopter – et il était presque certain de s'être déjà posé la question quelques mois plus tôt lorsqu'il s'était retrouvé dans la Cabane Hurlante – mais son instinct lui dictait que battre nerveusement des cils n'aurait fait que le désigner comme une proie facile.
Remus avait incliné la tête sur le côté et l'observait avec la même attention qu'Harry lui portait, calme et curieux, l'oreille gauche s'agitant de temps en temps dans un tic nerveux. Il n'y avait rien d'hostile chez le loup et cela le surprit.
« Je te l'ai dit. » s'agaça Severus, légèrement essoufflé. Il s'appuya plus franchement contre l'encadrement de la porte. « Sans de plus amples informations, il serait hasardeux de se risquer à quoi que ce soit. »
Au son de la voix du Maître des Potions, l'animal se remit à gronder. Ses oreilles se couchèrent vers l'arrière et il découvrit des crocs jaunâtres desquels pendaient quelques filets de bave.
Harry fit plusieurs pas en arrière, incapable de ne pas se remémorer la dernière fois qu'il avait vu ces dents d'aussi près. Soudain, c'était comme s'il était à nouveau dans la Cabane Hurlante, la silhouette sombre de Remus se dessinant à la lumière de son Lumos. La masse hirsute de poils hérissés, les crocs et les griffes prêts à le transformer en charpie, les grondements sourds dont les vibrations semblaient se répercuter dans son propre sternum…
Le loup qui bondissait…
Lui qui tombait en arrière…
Et Cornedrue.
Cornedrue qui s'interposait.
Cornedrue qui lui sauvait la vie.
James qui se tenait près de lui, l'exhortant à se dépêcher, crachant juron après juron…
Une main enserra son épaule, le faisant sursauter mais le ramenant aussi à la réalité.
Le souffle court, cillant contre ces souvenirs trop pressants, il croisa le regard trop compréhensif du Maître des Potions. L'homme ne dit rien, n'offrit aucune platitude, se contentant de le laisser ajuster sa respiration sur la sienne, de lui donner le temps de se maîtriser avant de faire une énième crise de panique…
« Pose le nécessaire à potions sur la table et sors mes recherches, s'il te plait. » demanda Severus, lorsqu'il fut certain qu'Harry s'était repris. Il serra une dernière fois son épaule avant de la lâcher. « Ensuite, si tu souhaites te reposer, Black te trouveras une chambre. »
Le ton ne souffrait aucune contradiction et Sirius n'en opposa, de toute manière, aucune. Il paraissait mal à l'aise, conscient peut-être de ce qui venait de se jouer. Harry évita de regarder dans sa direction. Sa relation avec son parrain lui paraissait toujours fragile, le souvenir de ces mois en soixante-quinze encore trop présent pour qu'il ne lui pardonne pleinement tout ce qui s'était passé… Faire la différence entre l'adolescent qu'il avait connu et l'homme qui se tenait devant lui demandait des efforts permanents et avec le loup-garou juste là…
Harry n'avait aucune envie de rester enfermé dans une pièce avec Remus sous sa forme de loup. Il avait encore moins envie de se tourner et de se retourner dans un lit en attendant un sommeil qui ne viendrait pas ou, pire, qui le replongerait dans des cauchemars atroces.
« Je reste. Je vais bien. » insista-t-il.
Ce n'était visiblement pas le cas de Severus.
Le professeur était pâle, légèrement en sueur, et les tremblements de ses mains étaient de plus en plus prononcés. Même Sirius l'observait avec une appréhension grandissante, comme s'il craignait qu'il ne s'effondre.
Au lieu de protester comme le garçon s'y attendait, l'ancien espion hocha la tête et claudiqua jusqu'à une chaise sur laquelle il s'assit avec moins d'élégance qu'à l'ordinaire. Harry suivit plus lentement, plaçant le nécessaire à potions qu'il avait coincé sous son bras sans plus y penser sur la table. Il sortit les liasses de parchemins comme Severus le lui avait demandé et prit place à côté de lui, à peine rassuré par le fait que la large table en chêne faisait barrage entre eux et la cage. Il doutait que le bois massif résiste longtemps si Remus s'échappait.
« Dumbledore a renforcé le sort de Métamorphose avant de partir. C'est aussi sûr que ça peut l'être de garder un loup-garou en cage dans sa cuisine. » déclara Sirius avec une pointe d'humour, comme lisant dans ses pensées. La plaisanterie tomba à plat. Harry ne se décidait toujours pas à le regarder en face et Severus paraissait avoir besoin de toute son énergie pour ne pas s'écrouler. L'Animagus se passa une main lasse sur le visage puis étira les bras au-dessus de sa tête jusqu'à ce que quelque chose se remette en place dans son dos avec un plop audible. « Je vais monter quelques minutes. Ça ira ? »
La question s'adressait clairement au professeur mais Severus était trop occupé à toiser le loup qui lui grondait dessus alors ce fut Harry qui répondit. « J'ai ma baguette. »
« Tu ne devrais pas en avoir besoin. » répondit son parrain, un peu trop sérieusement. Ses yeux gris voyagèrent d'Harry, au loup puis à Snape avec un déplaisir évident. « Cries si besoin. »
C'était une recommandation idiote mais Harry acquiesça néanmoins. Il pensait que Severus n'écoutait pas mais une bonne minute après que Sirius ait quitté la pièce – et après que l'écho des marches craquant sous son poids se soit éteint – il se racla la gorge.
« As-tu un philtre de force sur toi ? » s'enquit le professeur.
Il fouilla immédiatement dans la poche de sa robe de chambre, tout en fronçant les sourcils. « Combien en avez-vous déjà pris ? »
Il savait pertinemment que l'homme avait toujours pléthore de potions sur lui puisqu'il le forçait à en faire de même. Et Harry avait compris la sagesse de ce genre de précautions il y avait bien longtemps.
Pour que Severus soit à court, cela tendait à prouver qu'il avait épuisé ses réserves ce jour là.
« Lequel d'entre nous est un Maître des Potions ? » rétorqua Severus d'un ton sec et cassant qu'il n'employait plus si souvent envers lui.
Harry lui passa la potion avec une moue agacée et s'occupa à installer un encrier, une plume et un parchemin vierge devant lui. Après tout, si le professeur voulait s'empoisonner, cela ne le regardait pas. Du moins, cela ne le regardait pas tant qu'il était encore conscient. Ensuite, il pourrait tempêter autant qu'il le voudrait et probablement demander à Pomfresh de lui faire plus d'examens que nécessaire.
Après une minute tendue ponctuée par les grondements du loup-garou au pelage hérissé et à la haine palpable, Severus soupira. « Je vais bien, Harry. »
Il laissa échapper un bruit moqueur. « Ça se voit tout de suite. »
Severus pinça les lèvres avec agacement. « Je t'accorde une certaine familiarité mais je ne tolérerai pas un manque de respect. Est-ce clair ? »
La mâchoire d'Harry se contracta d'énervement. Il était fatigué, inquiet et sa tête continuait de le lancer, il n'avait pas envie de se disputer avec le professeur en plus de tout le reste. Il reconnaissait les signes. Ils étaient tous les deux épuisés et, généralement, cela donnait lieu à des disputes qui trainaient durant des semaines parce que l'un d'entre eux – Sev – n'était pas capable de contrôler son mauvais caractère et disait des choses affreuses qu'il ne pensait pas. Et peut-être, aussi, parce qu'ils étaient aussi rancunier l'un que l'autre.
« Oui, monsieur. » marmonna-t-il, davantage pour éviter une confrontation que parce qu'il le pensait réellement. Il pouvait être diplomate parfois. Il avait passé des mois à Serpentard. Il pouvait être diplomate.
Severus n'était probablement pas dupe et un tic d'irritation agita sa paupière mais il dut également se rendre compte lui aussi qu'ils étaient en passe de se disputer pour pas grand-chose parce qu'il ne releva pas.
Le quart d'heure qui suivit fut long et ennuyeux et Harry regretta de ne pas avoir emporté son livre. Le Maître des Potions partagea son temps entre la lecture de ses notes – et le garçon feignit de ne pas remarquer les difficultés qu'il avait à tenir et tourner les parchemins qu'il avait en main – et l'observation du loup-garou dans sa cage. De temps en temps, il disait à Harry de noter quelque chose et finissait invariablement par grommeler au sujet de son écriture en pattes de mouche. La critique était familière, presque affectueuse, et Harry n'en prit pas vraiment ombrage.
Il était en train de se frotter discrètement l'œil droit, certain que sa lentille avait tourné ou, du moins, qu'elle n'était plus bien en place comme cela arrivait souvent lorsqu'il s'endormait avec, lorsque le loup se redressa d'un bond souple, tous les sens aux aguets.
Severus recula légèrement sa chaise de la table, de façon à pouvoir se lever plus rapidement si nécessaire, la main posée sur la baguette en bois noir.
Harry tira immédiatement la sienne du fourreau sanglé à son poignet, cillant frénétiquement de l'œil droit et maudissant la lentille qui avait choisi ce moment précis pour le laisser borgne.
La tension quitta les épaules de Severus une seconde avant que Remus ne tente de passer le museau à travers les barreaux de la cage, uniquement pour reculer à chaque fois avec un couinement de douleur dès qu'il buttait contre l'argent massif.
Harry, lui, ne se détendit pas. Pas même lorsque Tonks trébucha sur le seuil de la cuisine et manqua s'étaler par terre, ne se rattrapant qu'in extremis au bord de la table. Il était trop occupé à s'assurer que la cage résiste aux assauts renouvelés du loup.
Cela ne l'empêcha pas, toutefois, de noter que la jeune femme ne semblait rien porter d'autre qu'un large tee-shirt noir fané par les ans et barré du logo d'un obscur groupe de rock sorcier qui était trois fois trop grand pour elle. Cela ne l'empêcha pas de le noter parce qu'une bonne partie de ses jambes était exposée et que c'étaient de fort jolies jambes.
Gêné, Harry fixa le loup-garou du regard, espérant qu'il n'était pas aussi rouge qu'il le pressentait.
Si Severus était embarrassé par la tenue de l'Auror, cela ne se vit pas. Il lui accorda à peine un regard, son expression s'assombrissant davantage encore.
« Sirius m'a dit que tu étais revenu. » commenta-t-elle, d'un ton hésitant. « Écoute… Oh, Harry. Je ne t'avais pas vu… »
Il lui jeta un coup d'œil incrédule parce qu'il aurait été compliqué de le rater dans la cuisine déserte mais reporta bien vite son attention sur le loup. Le tee-shirt n'était pas plus court qu'une robe d'été mais il lui dénudait une épaule et l'effet global était un peu trop intime pour lui, comme s'il l'avait surprise au saut du lit. Il décida qu'elle avait dû l'emprunter à Sirius.
Il décida aussi qu'il devait cesser de jeter des coup d'œil à ses jambes. Si elle ne le remarquait pas, le professeur finirait par le faire et il n'était pas prêt à subir ce genre d'humiliation. Parce que l'homme ferait forcément un commentaire, ne serait-ce que pour lui reprocher son impolitesse ou se moquer de son manque de discrétion tout Gryffondor.
« Je suis occupé et ta présence ne sert qu'à l'agiter, Nymphadora. » cingla Severus.
Levant les yeux au ciel devant cette réplique peu amène mais soulagé que son propre manège soit passé inaperçu, Harry resserra la ceinture de sa robe de chambre par précaution et se leva discrètement.
Laissant Tonks approcher imprudemment du Maître des Potions et se percher sur la table juste à côté de l'homme sans plus de cérémonie, il partit en quête d'un verre et d'un peu d'eau – trouver quelque chose de propre dans cette maison n'était jamais acquis, Kreattur avait de drôles d'idées quant à ce qui constituait un ménage adéquat.
Il s'attendait à ce que le professeur se lance dans un sermon selon lequel les meubles n'étaient pas fait pour servir de sièges, pourtant il dut manquer quelque chose à fouiller dans le placard, parce que Tonks laissa échapper un sifflement de douleur et le ton de Severus passa de cassant à inquiet en une fraction de seconde. « Quel est le problème avec tes côtes ? »
Harry jeta un regard par-dessus son épaule et écarquilla les yeux sous le coup de la surprise lorsqu'il vit que Severus avait posé la main sur le ventre de la jeune femme et palpait son abdomen sans même avoir pris la peine de demander l'autorisation – ou de se lever. La manche de ses sur-robes frottait contre la peau nue de ses cuisses sans qu'il ne paraisse même le remarquer.
Lorsqu'il se rendit compte qu'il avait la bouche ouverte, Harry la referma brusquement. Tonks croisa accidentellement son regard, s'empourpra, et attrapa le poignet du Maître des Potions, le stoppant net dans son examen.
« Ce ne sont que des contusions. » marmonna-t-elle. « J'ai mal atterri tout à l'heure et le poids de Remus n'a pas aidé. »
Harry étudia la jeune femme une poignée de secondes et estima qu'elle mentait rien qu'à la manière dont elle respirait et à la façon dont elle favorisait le côté gauche. Il s'était cassé et fendu les côtes suffisamment de fois pour le savoir.
Et Severus n'était pas davantage dupe que lui.
« Tu aurais dû le signaler plus tôt. » la gronda le professeur avec une moue agacée. L'homme se dégagea de sa prise avec une douceur surprenante pour mieux recommencer à l'ausculter. Il lui arracha plus d'un grognement de douleur lorsqu'il appuya sans ménagement sur son flan droit.
Dans sa cage, Remus devenait fou. Il se fracassait contre les barreaux, montrait les dents, grondait et gémissait tour à tour…
Severus lui décocha un regard noir, les lèvres retroussées dans un rictus presque sauvage…
« Tout cela est ta faute, Lupin. Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même. » cingla-t-il. « Silencio. »
Harry se sentit un peu mal pour Remus lorsque le sort le réduisit au silence. Ce n'était pas tout à fait sa faute, après tout. Il n'était pas conscient de ce qu'il faisait. Quoi qu'il ait été suffisamment idiot pour avaler cette potion en premier lieu…
Était-ce idiot ou courageux ?
Il était quasiment certain qu'avant son séjour à Serpentard, il l'aurait admiré pour sa bravoure et l'aurai défendu à corps et à cri. À présent, il trouvait l'acte stupide. Il n'y avait rien de brave à avaler une potion dont on ne connaissait ni les effets précis, ni les conséquences possibles. Au contraire.
Remus avait su pertinemment que la potion déclencherait sa transformation et l'avait ingurgitée en toute connaissance de cause. Il aurait pu tuer tous les autres membres de l'Ordre qui étaient partis en mission avec lui.
Il aurait pu tuer Tonks d'après ce qu'il avait compris.
« On aurait pu penser au silencio avant. » soupira la jeune femme.
L'homme ignora complètement le commentaire, visiblement contrarié.
« Celle-ci est cassée. Fêlée, au minimum. » continua Severus, en déplaçant sa paume sur le flan de la jeune femme.
Son expression était concentrée et s'il n'y avait rien d'ambigüe à la situation – Harry savait que ses compétences en magie médicale faisait de lui le soigneur tout désigné lorsque l'Ordre n'avait pas accès à un Médicomage – l'adolescent ne put s'empêcher de se racler la gorge, comme pour rappeler sa présence. Il avait la vague sensation qu'ils l'avaient oublié.
Le professeur ne sursauta pas mais il se tendit légèrement, comme pris en faute. « Il serait sage d'y remédier rapidement. Il sera également nécessaire que tu bandes tes côtes durant quelques jours. »
Harry dénicha finalement un verre qui n'était ni poisseux ni poussiéreux au fin fond du placard. Il se dirigea vers le robinet et le remplit, feignant de ne pas prêter attention à ce qui se jouait sur sa gauche.
Le professeur était simplement en train d'aider l'Auror. Rien d'ambigu là-dedans. Rien du tout.
Même si ses mains s'attardaient sur elle bien plus longtemps que nécessaire. Était-ce plus long que nécessaire ? Pomfresh avait-elle mis autant de temps à palper son abdomen en soixante-quinze ?
Même si Tonks avait été religieusement rendu visite à Severus tous les jours lorsqu'il avait été prisonnier de l'infirmerie. Ils étaient amis, non ? C'était ce qu'elle avait prétendu de toute manière. Et McGonagall avait toujours semblé trouver sa présence normale alors Harry n'avait jamais véritablement tiqué, plus préoccupé par l'état général de Severus que par les membres de l'Ordre qui se présentaient à la porte de l'infirmerie.
Même si le loup se fracassait contre les barreaux de la cage comme s'il était possédé, sa rage réduite au silence par le sort que le Maître des Potions avait jeté. Remus n'avait-il pas eu un faible pour Tonks ? Il était quasiment certain d'avoir entendu Sirius le taquiner à ce sujet récemment…
« Je vais demander à Sirius de s'en occuper. » suggéra Tonks.
Severus claqua la langue avec irritation. « Black et les sorts de soin font deux. Si j'avais pu m'en charger tout à l'heure, tu n'auras pas eu à garder de cicatrices… »
Il y avait une touche de regret dans la voix du Maître des Potions et Harry tourna la tête pour mieux les observer, tout en portant le verre à ses lèvres…
Et il manqua s'étouffer lorsqu'il vit le professeur retracer du bout du doigt la courbe d'une balafre fraichement refermée sur l'épaule dénudée de la jeune femme.
Toussant et crachotant, Harry se détourna.
Severus avait-il complètement oublié que son fils se tenait juste là ? Il était dans le champ de vision de Tonks. Ne pouvait-elle pas relever la tête et s'en rendre compte ? Apparemment pas. Elle était trop occupée à soutenir le regard du professeur comme si le sort du monde en dépendait.
Confus, gêné et légèrement en colère, Harry préféra leur tourner le dos une fois de plus, prétendant fouiller les placards à la recherche de quelque chose à manger et claquant les portes avec violence lorsqu'il ne trouvait rien de comestible.
Les pensées se bousculaient sous son crâne et il en était à se demander s'il avait pu accidentellement tomber sur une tempête magique qui l'aurait transporté dans une autre dimension sans s'en rendre compte lorsque la chaise de Severus racla contre le sol. Harry sursauta et s'enfonça dans le placard qu'il était en train d'inspecter presque jusqu'aux épaules, un peu effrayé de ce qui pouvait bien se jouer dans son dos.
Il n'était pas idiot. Il pouvait lire entre les lignes. Il pouvait parvenir à ses propres conclusions.
Quand était-ce arrivé ? Avant leur départ pour soixante-quinze ? Severus n'en avait pas soufflé mot et Harry n'avait jamais eu le moindre soupçon qu'il ait laissé qui que ce soit d'important derrière lui. Cela s'était forcément passé après leur retour. Et il n'avait rien soupçonné. Presque rien. La présence et l'attitude de Tonks lui avaient semblé légèrement étrange lorsque le professeur avait été blessé mais il avait mis ça sur le compte de l'amitié ou, peut-être, d'une ancienne relation élève-professeur privilégiée.
Oh, Merlin… Tonks avait été son élève.
C'était bizarre.
Très, très bizarre.
Harry s'enfonça encore un peu plus dans le placard. S'il avait pu, il s'y serait glissé entièrement et aurait fermé la porte à clef. Il avait besoin de digérer l'idée sans craindre de voir quelque chose qu'il ne voulait pas voir s'il s'aventurait à se retourner.
Et Lily dans tout ça ?, hurlait une partie de lui, la partie qui était plus en colère qu'étonnée.
Lorsqu'une main lui effleura le dos, il bondit et se cogna la tête contre le dessus du placard. Le souffle coupé, il recula en se frottant le crâne. Sa main fut immédiatement repoussée tandis que Severus lui palpait le dessus de la tête à la recherche d'une bosse, avec son air désapprobateur des grands jours.
« Ne peux-tu donc faire attention, insupportable gamin ? » gronda-t-il avec une affection évidente.
Trop conscient que Tonks les observait – Tonks et ses jambes qu'il ne semblait pas parvenir à cesser de contempler même à présent qu'il soupçonnait que… – Harry rougit d'autant plus et recula pour échapper aux mains inquisitrices.
« Ça va, ça va. » grommela-t-il. « Vous m'avez fait peur, c'est tout. »
« Je t'ai appelé deux fois. » répondit platement Severus, sourcils froncés. « Es-tu sûr que tout va bien ? Si tu veux aller t'allonger… »
« Non, ça va. » répéta-t-il fermement.
Severus l'étudia quelques secondes puis soupira. « Peux-tu aller chercher Black ? Miss Tonks est blessée et quelqu'un doit garder un œil sur ce loup pendant que je la soigne… » Harry ouvrit la bouche et l'homme leva une main tremblante. « Quelqu'un de majeur de préférence. Encore que tu sois plus responsable que ton parrain… »
À peine rasséréné par cette dernière remarque et peu certain qu'il ne s'agisse pas d'une ruse pour rester seul avec 'Miss Tonks', Harry s'exécuta de mauvaise grâce, ravalant à grande peine une offre mesquine de ramener un pantalon à la jeune femme tant qu'il y était.
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Sirius fouilla dans les tiroirs mal rangés de sa commode jusqu'à trouver un tee-shirt que Tonks pourrait utiliser pour dormir, l'esprit ailleurs. Il plaisanta sur le fait qu'elle ne devrait pas déambuler dans les couloirs de la vieille maison avec une serviette pour tout vêtement, pas tant parce qu'il n'était pas amusant de regarder les portraits de leurs ancêtres communs s'offusquer que parce qu'il n'était pas certain que la cage survivrait au loup-garou s'il l'apercevait dans cette tenue, mais la plaisanterie tomba à plat.
Personne n'appréciait son humour, ce soir là.
Il prit le temps de se débarrasser de son pyjama, pressentant que les chances qu'il retrouve son lit étaient faibles. Il enfila un jean délavé, une chemise à la propreté douteuse et la vieille paire de bottes légèrement défoncées au talon droit qu'il n'avait pas emmenées à Poudlard parce qu'il projetait de les jeter depuis des mois sans trouver le temps de le faire.
Il tâcha d'ignorer le gout de bile à l'arrière de sa gorge pendant qu'il s'habillait.
La réaction d'Harry face à Lunard ne lui avait pas échappé.
Pas plus que l'éclat de terreur dans le regard de Snape plus tôt ce soir là.
Sirius n'avait jamais eu le bon sens d'avoir peur de Lunard, pas réellement, pas en profondeur… N'importe qui de sensé aurait été terrorisé face à un loup-garou, encore qu'ils en avaient tous combattu tant ces derniers mois que se tenir près d'un loup-garou devenait presque une routine. Il avait lu la frayeur dans les regards de Charlie et d'Anthony, la méfiance justifiée dans ceux de Nyssandra, la crainte dans ceux de Dumbledore…
Ce n'était rien par rapport à l'épouvante, à la terreur pure, qui exsudait de Snape et d'Harry lorsqu'ils s'étaient retrouvé nez à truffe avec le loup.
Sous forme canine, l'odeur l'avait pris à la gorge et il soupçonnait que c'était la raison pour laquelle Lunard était si agressif avec Snape. L'homme était absolument terrorisé par l'animal, seule sa haine surpassait sa peur. La panique d'Harry n'avait pas été moins forte, la haine en moins.
Et Sirius en était responsable, dans un cas comme dans l'autre.
Bien sûr, il n'avait pas attiré Harry dans la Cabane Hurlante mais il était trop facile d'imaginer un monde où il aurait pu le faire. À l'époque, cela lui avait paru comme la meilleure des farces et, peut-être, très certainement, une part de lui avait-elle espéré que Snape serait blessé parce qu'il le haïssait d'une haine noire et que si Snape était tombé raide, il n'aurait pas versé une larme. Il n'avait pas escompté que Snape pénétrerait dans la Cabane Hurlante ou se mettrait réellement en danger, il avait pensé que le Serpentard apercevrait le loup-garou, se ferait dessus de peur et repartirait en hurlant…
Sans James…
Qu'Harry ait pu vivre la même expérience lui tordait l'estomac de culpabilité et remettait les choses en perspective.
Il l'avait su, bien sûr. Il avait suivi la scène, une partie de la scène du moins, grâce aux souvenirs que Snape lui avait confié si longtemps auparavant, il s'était rendu compte que…
C'était une chose de se sentir vaguement coupable de ce qu'il avait fait subir à Snape durant leur adolescence, cela en était tout à fait une autre de se dire que son filleul avait lui aussi souffert par sa propre stupidité.
Il chercha dans les tiroirs jusqu'à trouver un vieux paquet de cigarettes tout cabossé et en alluma une avant de se glisser hors de la chambre. Il prit soin de faire tomber les cendres loin des tapis poussiéreux et autre tentures moisies bien qu'une part de lui soit tentée de mettre le feu à la bâtisse pour le simple plaisir de ne plus jamais avoir à y mettre les pieds.
Arpenter les couloirs du Square Grimmaurd la nuit lui rappelait trop de souvenirs.
Tous n'étaient pas entièrement mauvais. Enfant, se glisser le long des couloirs sinueux sans se faire repérer par un elfe de maison ou ses parents avait été un jeu. Ainsi, il s'était souvent faufilé jusqu'à la cuisine pour chaparder une pâtisserie, par simple goût d'aventure… Regulus l'avait suivi quelques fois mais sa partenaire de crime la plus fréquente avait été Bella.
Bella qui avait toujours partagé son besoin maladif de briser les règles…
Il détestait cette maison et tous les souvenirs qui lui collaient à la peau dès qu'il y mettait un pied. Ici, il était trop facile d'oublier la psychopathe que Bellatrix était devenue, trop facile de se remémorer l'enfant qui avait partagé ses jeux avant que l'adolescence ne balaye leur innocence et qu'il ne se trouve une autre famille, une famille de cœur qui l'avait aimé sans conditions…
Il avait reproché à Andy de les avoir abandonnés mais ne les avait-il pas, lui aussi, abandonnés ? S'il avait été là… Aurait-il pu empêcher Regulus de rejoindre les Mangemorts ? Aurait-il pu le sauver ? Il doutait qu'il aurait pu faire quoi que ce soit pour convaincre Bellatrix mais Regulus…
Et Narcissa ? Merlin savait où elle était à présent. En sécurité, du moins l'espérait-il. Draco ne semblait pas savoir et, bien qu'il ait un don certain pour feindre la tranquillité d'esprit, Sirius devinait que la question dévorait l'adolescent. Il avait été tout décidé à haïr son jeune cousin avant de le rencontrer mais le garçon l'avait surpris. Il peinait à admettre qu'il s'était attaché au fils de Lucius Malfoy mais le fils de Lucius était également celui de Narcissa et cela… Il ne parvenait pas à balayer la connexion comme il l'aurait fait un an plus tôt à peine.
Être un homme libre faisait toute la différence.
Les mois qu'il avait passés à déambuler dans les couloirs sombres avec leurs lambris en bois noir, assigné à résidence comme le criminel qu'il n'était pas, forcé de ruminer sa rancœur et de sombrer encore plus avant dans cette folie qui lui rongeait l'esprit… Les mois qu'il avait passés au Square Grimmaurd avaient bien failli le tuer.
La liberté…
La liberté, Sirius la savourait jour après jour.
C'était un cadeau trop précieux pour être considéré comme acquis.
Par jeu autant que par habitude, il évitait les lattes qui craquaient et enjambait les endroits où la moquette était trop lâche et décollée par les années d'abandon, songeant qu'il était temps pour lui de redescendre. Snape n'était très visiblement pas au sommet de sa forme et Lunard se tiendrait mieux si Patmol était là. La perspective de voir Harry tressaillir au moindre mouvement brusque du loup n'était pas réjouissante cependant, et il continua à tirer sur sa cigarette, s'enfonçant dans la maison un peu au hasard.
Ou peut-être n'était-ce pas tant le hasard que son subconscient qui le guidait…
La porte de la chambre que Nyssandra avait réquisitionné à son arrivée au QG était entrebâillée.
Sirius y vit une invitation explicite.
La vampire ne leva pas la tête lorsqu'il poussa le battant et pénétra dans la pièce mais un fin sourire se dessina sur ses lèvres trop pâles.
La décoration de la chambre était spartiate. Comme toutes les pièces du Square Grimmaurd, elle sentait la poussière et le renfermé. Elle semblait s'être figée dans le temps des siècles plus tôt, une impression que les tableaux, la couleur des murs et les meubles antiques ne faisaient que renforcer. Les quelques vêtements qu'elle avait apporté avec elle étaient rangés dans l'armoire, les lourdes tentures pourpre étaient tirées en permanence sur la petite fenêtre, un mug vide trainait sur la table de nuit, récent vu que le sang n'avait pas eu le temps de coaguler…
Assise sur son lit à colonnes, une trousse de secours ouverte à côté d'elle, Nyssandra était en train d'enrouler une longue bande de gaze autour de son avant-bras.
Sans un mot, Sirius s'agenouilla en face d'elle et lui prit gentiment les pansements des mains. De longues et profondes griffures zébraient ses bras.
Il ne se décida pas à demander si elle devait ses blessures à Remus ou à un autre loup. Trop occupé à vérifier que sa cousine n'était pas blessée, il n'avait pas entièrement prêté attention au rapport succinct que Charlie et Anthony avaient fait à Dumbledore.
« Tu te fais rare. » remarqua la vampire, d'un ton neutre où perçait une touche d'amusement.
Sirius ne répondit pas immédiatement, tout entier à sa tâche. Elle ne risquait pas d'infection et il savait par expérience qu'il ne resterait de ses plaies que des cicatrices le lendemain au coucher du soleil. Les panser n'était que formalité, elle avait déjà commencé à guérir.
Il n'avait pas revu Nyssandra depuis la mort de Fol'Œil, jamais en tête à tête du moins, et il aurait souhaité que la situation soit moins gênante. Il n'était pas tout à fait certain d'où se positionner ou même de comment aborder la question épineuse de ce qu'ils représentaient l'un pour l'autre.
Elle avait souffert de la mort de son ancien amant, il le savait, et il avait voulu lui donner l'espace nécessaire pour le pleurer en paix, sans qu'elle se sente obligée de cacher son chagrin parce qu'il était là à espérer plus qu'elle ne voulait donner. L'opportunité de remplacer Snape à Poudlard était tombée à point nommé, lui donnant une excuse pour s'éloigner sans avoir à s'enliser dans des explications douteuses.
« Je commençais à croire que tu ne voulais plus… chasser avec moi. » insista-t-elle.
Il releva brusquement la tête, croisant le regard vert, y lisant toute la peine qui ne perçait pas dans sa voix… Ses cheveux bruns étaient encore humides de la douche qu'elle avait sans doute prise pendant qu'il montait la garde auprès de Lunard. L'odeur fruitée de son shampoing lui remplit les narines et, dessous, plus discrète, celle davantage boisée de son propre savon.
L'avait-elle utilisé parce que cela était plus pratique ou bien lui manquait-il ?
« Je veux toujours chasser avec toi. » répondit-il, nouant distraitement le bandage en dessous de son coude avant de passer au bras gauche. « Je n'étais pas certain que tu… »
« Sirius. » l'interrompit-elle.
Elle plaça sa main sur la sienne, l'empêchant de commencer à enrouler les bandages propres autour de son autre poignet.
Il leva à nouveau les yeux, croisa son regard…
Il y lut tout ce qu'elle ne se décidait pas à dire, tout ce que lui aurait hurlé au monde entier, qu'importe l'opinion des gens bien pensants, si elle l'avait laissé faire.
Que lui importait qu'elle soit une vampire ? Que lui importait qu'elle ne vieillirait pas alors que lui se flétrirait ? Que lui importait ce que les autres avaient à en dire ?
Il comprenait ses réticences, comprenait les doutes qu'elle lui prêtait, la prudence dont elle faisait preuve…
Il comprenait.
Mais si elle avait pu lire en lui comme dans un livre, elle aurait compris qu'il était sûr de sa décision, que…
« Tu m'as manqué. » murmura-t-il, parce que c'était la phrase la plus innocente qu'il pouvait lui offrir. Il n'était pas sûr qu'elle soit prête à entendre le reste. Il était presque certain du contraire.
Il n'était pas quelqu'un de particulièrement patient mais pour elle… Pour elle, il pouvait faire l'effort de l'être.
Elle sourit. La lumière douce de la lampe se refléta brièvement sur ses canines mais il n'avait jamais eu peur de ses crocs, pas même lorsqu'elle s'oubliait et le mordait parfois. Elle n'avait jamais bu son sang et elle ne le ferait jamais sans sa permission. Il lui faisait totalement confiance.
Il voulait lui faire totalement confiance.
Le fait demeurait qu'il y avait un espion quelque part dans la maison et que…
Peut-être était-ce pour cela, aussi, qu'il avait pris une légère distance. Parce qu'il avait peur de se laisser aveugler par ses sentiments, parce qu'il était vaguement conscient, bien que la chose n'ait jamais été ouvertement discutée, que Snape la soupçonnait. Probablement autant qu'elle soupçonnait Snape.
« Tu m'as manqué aussi. » répondit-elle, se penchant jusqu'à ce que leurs fronts soient pressés l'un contre l'autre. Le bruit qui échappa à sa gorge était si près d'un ronronnement que Sirius sourit malgré lui, oubliant ses réserves. « J'aurais aimé que tu sois là ce soir. La chasse était bonne. »
« Chasser te donne toujours envie de… chasser. » plaisanta-t-il.
Il plaça la main sur sa joue, repoussa doucement les mèches humides derrière son épaule… Ce genre de mission réveillait invariablement le prédateur en elle. Être la proie ne le dérangeait pas. Cela l'excitait même. Son besoin maladif de jouer avec le danger, sans doute. L'adrénaline avait toujours été sa drogue favorite.
Elle passa à l'attaque si vite qu'il ne le vit pas venir.
Ses lèvres capturèrent les siennes dans un baiser sauvage, ne s'éloignant que brièvement pour déposer un baiser plus léger sur sa carotide. Ses canines effleurèrent sa peau, provoquant un frisson de plaisir. Son rire était insouciant, gentiment moqueur, et il le fit sourire. Il attrapa sa taille, le cuir de son pantalon se réchauffant rapidement sous ses paumes, et l'attira en avant. Elle se laissa tomber du lit, écrasant ses cuisses de tout son poids sans qu'il ne songe à s'en plaindre. Il trouva à nouveau sa bouche, perdant le compte du nombre de baisers qu'ils échangèrent, s'abandonnant à leur étreinte fougueuse bien qu'attentif à ne pas accidentellement ne serait-ce que frôler les plaies fraiches de ses bras…
Il n'était pas tout à fait certain d'à quel moment il perdit sa chemise ou de quand il agrippa à pleine main la masse de cheveux brun pour mieux guider sa tête en arrière et gagner accès à sa gorge…
Il la sentit se figer brusquement mais n'eut pas la présence d'esprit de cesser de mordiller la peau douce qui s'offrait à lui.
« Sirius. »
Elle était légèrement essoufflée mais pas encore assez à son goût. Il grogna lorsque sa main trouva son épaule, tentant vainement de le repousser…
« Qu'est-ce que… » demanda-t-il, les mots se perdant contre sa gorge.
Il n'eut pas l'occasion de terminer sa question.
Le glapissement choqué sur le seuil de la chambre le coupa net dans ses ardeurs, bien plus efficacement que les doigts qui enserraient son épaule. Il se leva d'un bond, remarquant à peine qu'il venait de projeter Nyssa au sol et se retourna pour faire face à son filleul.
Il n'était pas sûr duquel d'eux deux était le plus rouge.
La peau de son visage le cuisait mais Harry était cramoisi.
Sirius aurait voulu lancer une boutade, lui dire que cela aurait pu être bien pire s'il s'était aventuré dans les étages une poignée de minutes plus tard – parce qu'il était bien certain que ni Nyssa, ni lui n'aurait été encore habillé à ce moment là – mais la plaisanterie demeura coincée dans sa gorge.
La seule pensée qui tournait dans sa tête était 'Merci Merlin, j'ai toujours mon pantalon'.
James, Sirius en était certain, se retournait dans sa tombe comme un scrutoscope à proximité de Voldemort.
« Vous vous êtes tous donné le mot ce soir ou quoi ? » grommela l'adolescent, promenant son regard partout excepté sur la vampire qui se relevait péniblement et sur lui qui se tenait là avec l'air d'un enfant pris en faute.
Soudain, il se souvint avec une précision extraordinaire d'à quel point cela avait été embarrassant lorsque McGonagall l'avait surpris en train de peloter une fille dans une alcôve. Sauf que là c'était pire. Cent fois pire.
« Hein ? » demanda-t-il, sa voix proche du couinement, plus déconcerté par la remarque qu'il ne l'aurait été s'il avait pu réfléchir de manière cohérente.
« Rien. » grinça le garçon, pince-sans-rire. « Tonks a une côte cassée. Sev veut que tu surveilles Remus pendant qu'il s'en occupe. »
Les derniers mots suintaient le sarcasme mais Sirius n'en comprit pas la raison. Il le mit sur le compte du ressentiment général qu'Harry nourrissait à son encontre. Ils faisaient des progrès mais leur relation n'était plus ce qu'elle était et, supposait-il, l'adolescent n'appréciait sans doute pas qu'il ait été là haut en train de prendre du bon temps avec sa petite-amie alors qu'il aurait dû être en bas à aider à surveiller Lunard.
« J'arrive tout de suite. » promit-il.
Nyssa fit un pas en avant et ils se tournèrent tous les deux vers elle. Il était impossible de ne pas la regarder lorsqu'elle bougeait de la sorte. Il y avait une telle fluidité dans ses gestes, une telle harmonie… Elle savait se faire oublier lorsqu'elle le désirait, se fondre dans l'ombre lorsqu'il le fallait, mais lorsqu'elle n'en prenait pas la peine, son charisme seul attirait l'attention. Vampire, songea Sirius avec un frisson qui n'avait rien à voir avec de la terreur.
« Harry, je suis désolée. » offrit-elle sincèrement. « Sirius aurait dû fermer la porte. »
« Hey ! » protesta-t-il. « Ce n'est pas moi qui ait commencé à… » Elle lui jeta un regard et il referma prestement la bouche parce qu'il était évident que s'il voulait un jour terminer ce qu'ils avaient commencé, il n'avait pas intérêt à la contredire sur ce point. « D'accord, d'accord… J'aurais dû fermer la porte. »
Harry grimaça de plus belle et se frotta l'arrière de la nuque, toujours aussi empourpré. « C'est ma faute. Sirius m'a dit de crier. J'aurais dû crier. La prochaine fois, je crierai. Fort et longtemps. »
Nyssa laissa échapper un petit rire et secoua la tête. « La prochaine fois, je me souviendrai de fermer la porte et tu n'auras qu'à frapper. À ma décharge, j'ignorai que tu étais là. »
L'adolescent haussa les épaules et lui adressa un petit sourire gêné. « Ça ne fait rien, vraiment. Je n'ai rien vu. »
Sirius se racla la gorge. « Quant bien même. Je n'aurais pas dû… Je ne pensais pas que tu monterai à l'étage. »
Et voilà pourquoi il ferait un piètre parent et Snape était le choix tout désigné. Pour commencer, Snape était pratiquement un moine et ce genre de choses ne risquait pas de se produire avec lui.
Il ramassa la chemise qu'il ne se souvenait pas avoir perdue, jeta un dernier coup d'œil à Nyssa qui avait l'air beaucoup trop amusée et guida Harry hors de la pièce par l'épaule. Ils longèrent les couloirs sombres pendant plusieurs minutes dans un silence qui trahissait une gêne palpable.
« Je suis désolé, Harry. » soupira-t-il encore.
Le garçon secoua la tête et esquissa un bref sourire. « Je l'aime bien. Elle est gentille. »
À sa connaissance, Harry n'avait rencontré Nyssa que trois fois, et encore brièvement, mais il avait mentionné l'avoir croisée dans le passé. Il ravala la question. Il était curieux d'en apprendre plus sur la Nyssandra humaine tout en sachant implicitement que la vampire n'était plus la même personne. La transformation l'avait changée. Le rejet de Fol'Œil l'avait brisée. L'immortalité l'avait endurcie.
« C'est sérieux. » s'entendit-il confesser. « Enfin, je crois. »
Harry lui jeta un coup d'œil et lui adressa un sourire plus franc. Il lui rappela tellement James à ce moment précis, les lunettes en moins, que Sirius sentit sa gorge se serrer. Ce qu'il n'aurait pas donné pour pouvoir discuter cinq minutes avec son meilleur ami… Cinq petites minutes. Juste…
La morsure de la jalousie lui tordit le ventre lorsqu'il se souvint que Snape et Harry avaient passé des mois avec eux. James, Lily… C'était injuste. Injuste que lui n'ait pas eu l'opportunité d'en faire de même. Injuste d'envier ce qui était hors de leur contrôle.
« Je suis content pour toi. » offrit l'adolescent avec sincérité.
Sirius le remercia d'un hochement de tête, se sentant soudain plus léger. Tous n'accepteraient pas sa relation avec une vampire d'un bon œil mais Harry n'était pas tout le monde et son opinion était probablement la seule qui comptait – avec celle de Remus mais Remus était la dernière personne qui lui aurait reproché d'être tombé amoureux de quelqu'un ayant subit une transformation magique.
Ils marchèrent en silence pendant plusieurs minutes. Ce ne fut que lorsque l'escalier central fut en vue qu'Harry reprit la parole. « J'ai eu une vision. »
Sirius manqua trébucher et se figea immédiatement, attrapant le bras du garçon pour l'empêcher de fuir la conversation. Les yeux verts fixèrent ses bottes éraflées plutôt que de croiser son regard.
« Je croyais que ça n'arrivait plus avec l'Occlumencie… » hasarda-t-il.
Harry secoua la tête. « Ça n'arrive plus normalement. Presque plus. » L'adolescent regarda tout autour de lui d'un air perdu, déglutit avec peine, baissa la voix… « Severus m'a dit que tu savais pour… »
« Pas ici, Harry. » l'interrompit-il rapidement, jetant un coup d'œil aux portraits qui somnolaient dans leurs cadres.
Il était certain que le mot Horcruxe en réveillerait plus d'un.
Et le Q.G. ne serait pas sûr tant qu'ils ne sauraient pas de façon certaine qui était l'espion. Il refusait de penser que Nyssandra avec son ouïe plus développée que la moyenne aurait parfaitement pu être en train de suivre la conversation de l'autre bout du couloir. Il refusait de penser qu'il aurait été facile pour Charlie ou Anthony de mettre la main sur une de ces oreilles à rallonge que les jumeaux avaient inventées. Il refusait de soupçonner ses amis.
Harry hocha la tête pour montrer qu'il avait compris mais ne changea pas de sujet pour autant.
« J'ai peur qu'il prenne le contrôle. » murmura-t-il. « Des fois je le sens. Là. » L'adolescent se frappa le torse au niveau du plexus avec une telle force que Sirius grimaça et écarta sa main avant qu'il ait pu reproduire le geste. « Je crois que je le sens. Peut-être que c'est dans ma tête. Peut-être que… »
« Harry… » appela-t-il doucement parce que la respiration du garçon devenait hachée et que cela ne pouvait rien augurer de bon. C'était la deuxième fois ce jour là que Sirius le voyait au bord d'une crise de panique. La troisième s'il comptait la scène dans la cuisine avec Remus. « Respire. » Il attendit que son filleul ait repris le contrôle de sa respiration avant de continuer. « Tu en as parlé à Snape ? »
Il avait fait toutes les recherches qu'il avait pu sur les horcruxes mais l'expert demeurait Snape. Il était davantage versé en magie noire que lui et avait une bonne longueur d'avance. Sirius s'était concentré sur la destruction possible d'un horcruxe, Snape les avait étudiés sous toutes les coutures. Si la part de Voldemort qui était en lui pouvait posséder Harry…
« Il dit que tant que les autres ne sont pas détruits ce n'est pas dangereux. » marmonna le garçon. « Que ça ne peut pas m'influencer ou me posséder ou… » Il haussa les épaules et croisa le regard de Sirius, son angoisse était palpable. « Mais s'il a tort… »
L'Animagus fit de son mieux pour avoir l'air serein. Il plaça une main réconfortante sur l'épaule d'Harry et serra.
« Ça m'arrache la bouche de l'admettre et ne va pas le lui répéter mais Severus Snape a rarement tort. » plaisanta-t-il. « Cette vision… »
« Rien que vous ne sachiez déjà apparemment. » soupira Harry, en se détournant. « Ollivanders. »
L'adolescent reprit son chemin vers l'escalier et Sirius suivit, pas tout à fait certain d'avoir réussi à le rassurer.
« Tout ira bien, Harry. » promit-il, en lui emboitant le pas.
Le garçon lui répondit d'un sourire tout aussi creux que la promesse qu'il venait de proférer.
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Severus poussa la porte du petit salon jusqu'à entendre le clic de la serrure puis se retourna lentement. Ne pas chanceler, ne pas s'écrouler lui demandait un effort certain que même le philtre de force emprunté à Harry ne parvenait pas à alléger. Sa tête était lourde et pleine de pensées parasites qui lui faisaient regretter l'absence de pensine. Occluder lui aurait demandé trop d'énergie et son seul réconfort était l'absence de douleur dans son avant-bras gauche. Il avait craint que quitter Poudlard ne réveille la Marque mais le sortilège de Bill Weasley paraissait tenir bon.
Nymphadora s'était d'ors et déjà avachie sur le canapé poussiéreux au velours déchiré, trop pale et trop apathique. Ses cheveux d'un châtain terne tombaient mollement sur ses épaules et il était impossible d'ignorer les cernes sous ses yeux gris. Les faisaient-elles habituellement disparaître grâce à son don de Métamorphomage ou bien ne lui avait-il simplement pas assez prêté attention ces dernières semaines pour les remarquer, consumé comme il l'avait été par ses propres problèmes et insécurités ?
Elle semblait tout aussi épuisée que lui.
Quel beau couple ils formaient, songea-t-il amèrement en prenant place à côté d'elle sur le sofa. Il dut presque se faire violence pour tirer sa baguette. Le duel avec Black cet après-midi là lui avait redonné confiance et énergie mais il semblait qu'affronter Slughorn et devoir faire face à un loup-garou en prime l'avaient à nouveau vidé.
« Tu n'es pas censé te surmener. » remarqua Nymphadora d'un ton las quoi que légèrement inquiet. « Depuis quand ne t'es-tu pas reposé ? »
« Depuis que tu m'as réveillé avec ta délicatesse d'hippogriffe lancé au pas de charge. » rétorqua-t-il, plus sèchement qu'il ne l'avait voulu.
« J'adore quand tu me dis des mots doux. » plaisanta-t-elle et, malgré lui, malgré la fatigue et l'agacement, il sentit ses lèvres s'étirer brièvement en un fin sourire. Elle se détendit légèrement. « Severus… Pour tout à l'heure… »
Il balaya l'air de sa main tremblante. « Occupons-nous de tes côtes. »
Il n'aimait pas l'idée de laisser Harry trop longtemps avec un loup-garou, même si le dit loup était en cage. Connaissant le Survivant, Lupin trouverait le moyen de s'échapper et Harry se jetterait entre lui et sa victime choisie…
Et, plus sérieusement, Severus se sentait coupable de l'avoir abandonné si longtemps plus tôt dans la soirée. Que le garçon ait dû gérer une vision tout seul lui déplaisait, qu'Harry se soit griffé les bras jusqu'à se faire saigner en l'attendant… Il ne voulait pas se laisser distraire davantage ce soir-là, pas lorsque son fils avait besoin de lui.
« Tu es sûr que ça ira ? » insista-t-elle. « Sirius n'est peut-être pas très doué pour les sorts de soin mais Charlie ou Anthony… »
« Nymphadora. » cingla-t-il. Il avait conscience de souffler le chaud et le froid, conscience qu'elle avait été plus patiente que beaucoup d'autres ne l'auraient été à sa place, conscience que si elle n'avait pas été si fatiguée ses cheveux auraient probablement virés au rouge depuis longtemps… Il se reprit, tenta d'adoucir légèrement sa voix… « Finissons-en. »
Avec un soupir, elle releva son tee-shirt, dévoilant un abdomen déjà couvert d'hématomes bleu-violacés tirant sur le jaunâtre. Il lui fallut plus longtemps que d'ordinaire pour réparer les fractures. Il devait se concentrer davantage, forcer davantage pour que sa magie toujours quelque peu récalcitrante lui obéisse…
Après sept longues minutes passées à fredonner une litanie latine et deux sorts de diagnostic, il s'estima satisfait et s'accorda une seconde de repos. Il ferma les yeux, s'appuya plus lourdement contre le dossier inconfortable du canapé…
« Merci. » murmura-t-elle.
Il rouvrit les yeux à temps pour la voir laisser tomber son tee-shirt – ou plutôt, s'il en jugeait par l'emblème fané d'un groupe de rock sorcier qui avait vaguement été populaire durant son adolescence, le tee-shirt de Black. Trop tard, il attrapa sa main pour la stopper. « Il faut bander tes côtes. »
Le sort pour cela était sur le bout de sa langue mais lui échappait.
« Je peux le faire toute seule. » répondit-elle gentiment. Elle tourna sa main pour que leurs paumes soient pressées l'une contre l'autre et il observa leurs doigts entrelacés sur sa cuisse, trop fatigué pour lui rappeler qu'ils avaient passé l'âge de se tenir la main. « Je ne voulais pas prendre la défense de Remus tout à l'heure. »
« Tu as le droit de défendre qui tu le désires. » rétorqua-t-il, sans parvenir à cacher un sursaut de colère.
« C'est terminé. » insista-t-elle. « Avec Remus. Je sais que… »
« Je ne suis pas jaloux, Nymphadora. » grinça-t-il. S'il ne s'était s'agit que de ça… Il serra les dents et préféra fermer les yeux, occludant le souvenir de la scène que lui, Dumbledore et Black avaient interrompu avant que l'angoisse ait pu le paralyser à nouveau. Il prit une profonde inspiration et rouvrit les paupières, croisant finalement son regard. « Il aurait pu t'arracher la gorge. »
Parce qu'il occludait, il parvint à ne donner aucune intonation particulière à cette dernière phrase.
Parce que ses boucliers n'étaient plus ce qu'ils étaient, il était presque certain qu'elle lut dans ses yeux toutes les émotions qui tambourinaient sous la surface.
Elle ne prit ni la peine d'occluder, ni la peine de cacher ses propres sentiments. Ses yeux se remplirent de larmes et il n'aurait su dire laquelle de leur main tremblait le plus.
« J'ai cru que j'allais mourir… » avoua-t-elle. « J'ai cru… » Elle prit une inspiration tremblante puis s'humecta les lèvres, tentant de se contrôler, de… « Je sais qu'il ne voulait pas me faire de mal. » Il ouvrit la bouche pour protester ce qui, selon lui, était d'une stupidité sans nom mais elle leva la main pour lui faire signe de ne pas l'interrompre et continua rapidement comme pour ne pas lui en laisser l'occasion – sans doute parce qu'elle le connaissait trop bien. « Il ne voulait pas me faire de mal, Severus, c'est Remus. C'est toujours Remus, même sous cette forme. Ça ne veut pas dire que j'excuse ce qui s'est passé. Ou que ça ne me fait pas mourir de trouille. Ou que je ne suis pas furieuse… » Elle secoua la tête, apparemment à cours d'énergie. « J'ai eu une journée de merde. J'ai vraiment eu une journée de merde. Je ne veux pas me disputer avec toi par-dessus le marché. »
Il était à deux doigts de rétorquer que ce n'était pas lui qui avait commencé à défendre le loup-garou qui avait manqué la tuer ou pire. Encore à présent la marque des crocs était visible sur sa peau. Black avait refermé les plaies, certes, mais il pouvait toujours deviner leurs contours à la légère rougeur qui formait un ovale plus ou moins marqué sur sa gorge…
Il était à deux doigts.
Mais elle laissa tomber sa tête sur son épaule avec un soupir et toute la colère et la rancœur qu'il avait soigneusement cultivées jusque là s'évaporèrent parce que…
Sa vie avait été nettement plus simple avant qu'Harry ne la chamboule, songea-t-il en appuyant lentement sa tête sur la sienne, avant qu'il ne se permette la folie de s'attacher à des gens.
« L'idée de te perdre… » marmonna-t-il à contrecœur. « L'idée de te perdre était… déplaisante. »
Avouer ne serait-ce que cela lui demandait un effort surhumain. Il n'était guère doué pour les déclarations et une part de lui demeurait méfiante, attendait le jour où elle lui éclaterait de rire au visage et déclarerait sans regret qu'il avait été fou d'espérer plus que…
Elle rit, en effet.
Elle rit mais c'était nerveux, éreinté et peut-être légèrement hystérique. « Maintenant que tu sais ce que ça fait, peut-être que tu y penseras à deux fois avant de te jeter dans les bras de Tu-sais-qui et de rester des jours entiers dans le coma. »
Il leva les yeux au ciel avec un soupçon d'agacement et lui aurait volontiers rappelé qu'elle n'était guère en mesure de lui donner des leçons de prudence si elle n'avait pas relevé la tête à ce moment là et capturé ses lèvres sans lui donner l'occasion de répondre.
Le baiser était quelque peu désespéré et il l'aurait très certainement approfondi si un cri n'avait pas retentit, réveillant au passage le portrait de la mère de Black qui se mit à hurler des injures.
« Papa ! »
Severus avait bondi du canapé, traversé la pièce et rejoint la cuisine avant même d'avoir véritablement saisi ce qui se passait. Harry se tenait dans un coin de la pièce, sa baguette était sortie mais pendait le long de son bras, Black se tenait légèrement devant le garçon mais n'avait pas pris la peine de sortir sa propre baguette. Tous les deux avaient le regard rivé sur la cage et ce qui s'y jouait.
Le loup-garou s'était effondré sur son flanc et semblait pris de convulsions.
Nymphadora le rattrapa une seconde plus tard et laissa échapper un glapissement alarmé lorsqu'elle aperçut le loup. Il attrapa son bras pour la retenir avant qu'elle ait pu avoir l'idée saugrenue de s'approcher.
« Qu'est-ce qui se passe ? Il faut l'aider ! » s'exclama-t-elle.
En dépit de tout ce qu'il venait de déclarer, Severus sentit la mâchoire familière de la jalousie se refermer sur son ventre.
« C'est normal. » expliqua Black, d'un ton calme ou perçait à peine une pointe d'angoisse. « Il est en train de se retransformer. »
« Oh… » laissa-t-elle échapper, son inquiétude semblant fondre comme neige au soleil. Elle croisa les bras devant sa poitrine, trahissant une certaine vulnérabilité et jeta un regard hésitant à Severus. « Vous n'avez pas besoin de moi, n'est-ce pas ? Je crois que je vais aller me coucher. Je n'ai pas très envie de… »
Elle laissa sa phrase en suspens pourtant Severus supposa qu'ils en avaient tous deviné la fin.
Elle ne voulait pas avoir à faire face au loup-garou, forme animale ou non, et personne n'aurait pu le lui reprocher.
« Vas-y. Je reste en renfort si besoin. » invita la vampire, en se glissant dans la pièce.
Severus ne sursauta pas mais il s'en voulut de ne pas avoir perçu son arrivée. Il n'aimait guère la manière qu'elle avait de se faufiler partout sans un bruit. Il était habitué à être le seul à se glisser furtivement d'ombre en ombre. Comme si elle savait parfaitement ce qu'il en pensait, Nyssandra lui adressa un sourire où brillaient deux canines. Pas ouvertement menaçant mais certainement pas bienveillant non plus.
Nymphadora ne se fit pas prier et disparut dans les étages aussi rapidement qu'elle le put sans donner l'impression de fuir.
« Harry. » ordonna-t-il pour se redonner contenance, en reprenant place derrière la longue table. « Prends des notes. »
Il n'avait jamais assisté à une transformation de première main, même durant les années qu'il avait passées à perfectionner la potion Tue-Loup. La possibilité de se retrouver face à un autre loup-garou l'avait terrifié des années durant.
Il dicta ses observations à Harry tandis que le loup se tordait de douleur, gardant un œil clinique sur la situation. Les autres n'étaient pas aussi détachés. Black se mordait l'ongle du pouce, exsudant une inquiétude sourde, l'adolescent semblait au bord de la nausée, et la vampire regardait le loup avec un éclat affamé dans les yeux.
Au bout de dix minutes, les couinements de douleur devinrent insupportables à entendre, même pour lui. Aurait-ce été un véritable animal, Severus l'aurait achevé par pure pitié.
Lupin perdait peu à peu forme lupine sans toutefois paraître devenir plus humain.
D'après tout ce qu'il avait lu, une transformation ne dépassait généralement guère les quinze minutes, la moyenne se situant entre cinq et dix minutes.
Il finit par se tourner vers Black qui, nul doute, avait assisté à plus de transformations qu'il n'aurait pu le compter. « Est-ce toujours aussi long ? »
L'Animagus secoua la tête en signe de dénégation, les mâchoires contractées.
« On ne peut rien faire pour le soulager ? » demanda Harry, grimaçant de compassion lorsqu'un nouveau couinement retentit.
« Tenter quoi que ce soit sans en savoir davantage sur cette potion serait trop risqué. » répéta-t-il pour ce qui lui semblait être la centième fois ce soir là.
Il continua à dicter ses observations, tâchant de garder son attention rivée sur le loup malgré la fatigue, sachant déjà qu'il devrait utiliser une pensine pour analyser la transformation plus en détails.
Lupin avait été stupide d'avaler cette potion mais Severus en tirait des informations utiles. Le fait que la transformation soit plus lente que d'ordinaire était un indice et il était déjà en train de mentalement faire une liste d'ingrédients potentiels.
Lorsque les couinements se transformèrent en hurlements de douleur, il proposa à Harry de sortir.
Le garçon refusa avec un entêtement tout Gryffondor mais la chose était éprouvante à regarder. Severus, qui avait pourtant l'habitude des spectacles peu ragoutants, avait le cœur au bord des lèvres.
Finalement, après vingt-trois minutes de supplice, les cris cessèrent et un homme nu était prostré dans la cage.
Black se précipita vers les barreaux tout en sortant sa baguette, un Finite Incantatem déjà sur les lèvres…
« Attends. » gronda Lupin d'une voix plus rauque que d'ordinaire.
Cela aurait pu être dû aux hurlements, bien entendu, mais un frisson parcourut lentement l'échine de Severus. Son instinct de survie lui hurlait de s'enfuir en courant et il repoussa lentement sa chaise, se redressant aussi souplement que possible.
Il regrettait de ne pas avoir emporté sa cane.
Certes il détestait l'idée de trahir le moindre signe de faiblesse mais non seulement il en aurait eu bien besoin à l'instant mais il aurait pu s'en servir comme d'une arme contondante.
« Remus ? » demanda Black avec incertitude et puis, après une longue inspiration… « Lunard ? »
« Lunard. » confirma le loup, en s'appuyant sur ses mains pour se redresser. Il secoua la tête dans un geste plus animal qu'humain. Une fois. Deux fois. « Fais le sortir. »
« Harry ? » hésita l'Animagus.
Il n'en fallut pas plus pour que l'adolescent bondisse sur ses pieds. Severus le poussa légèrement derrière lui, notant tout de même le discret déplacement de la vampire qui se plaça sans en avoir l'air entre la cage et le garçon.
« Snape. » cracha le loup avec un nouveau grondement. « Il empeste son odeur. »
« Son odeur ? » répéta Black. « De quoi tu parles ? »
Lupin prit de grandes inspirations, éternua une fois, secoua la tête avant de la redresser brusquement…
Des yeux ambre à la pupille fendue se braquèrent dans les siens et Severus y lut une promesse de mort.
Il fut soudain heureux que Nymphadora soit montée à l'étage. Sa présence dans la pièce l'aurait sans doute rendu fou.
« Es-tu maître de toi-même ou non ? » s'enquit-il d'un ton tranquille, ignorant la main qui agrippait l'arrière de ses robes. Il ne savait pas exactement pourquoi Harry avait choisi de s'accrocher à lui de sa main libre, sans doute avait-il concocté un plan digne d'un lion et projetait-il de le pousser hors de portée si le loup se jetait sur eux.
Lupin gronda à nouveau. « Tu n'aides pas. »
« Tu m'en vois navré. » siffla-t-il. « Te rappelles-tu ce qui s'est passé ? Ce que tu as failli faire ? »
Ils se fusillèrent du regard un moment dans un silence de plomb. Même Black semblait retenir sa respiration.
Puis, finalement, au prix de ce qui sembla être un effort surhumain, Lupin laissa brièvement retomber la tête. Elle pendit mollement au bout de son cou pendant plusieurs secondes. Lorsqu'il la redressa, ses yeux étaient redevenu normaux et il avait l'air à la fois meurtri et coupable.
« Dora ? » demanda immédiatement le loup-garou.
« Elle va bien. Elle n'a rien. » le rassura Black, en se détendant légèrement. « Putain mais qu'est-ce qui t'es passé par la tête, Remus ?! »
Le ton dur de l'Animagus fit tressaillir l'homme toujours prostré au sol.
« Je ne lui aurais pas fait de mal. » marmonna le loup-garou. « Je voulais juste… »
Ce qu'il avait juste voulu demeurerait à jamais un mystère car il s'interrompit et, selon Severus, c'était pour le mieux. Le fait que ses paroles fassent écho à celles de Nymphadora ne l'aidèrent pas à garder son amertume pour lui.
« Bien sûr que non… » asséna-t-il, sans s'embarrasser de cacher ses sarcasmes. « Tu l'aurais simplement transformée en louve pour mieux pouvoir la posséder. Certes, elle n'aurait plus pu exercer son métier mais cela aurait été un moindre mal à payer pour le plaisir de ta compagnie, j'en suis certain. »
« Je ne l'aurais jamais… » répliqua Lupin.
« Tu peux à peine te contrôler sous forme humaine. » cracha Severus. « Épargne-moi tes serments inutiles sur ce que le monstre qui rôde dans ta tête aurait fait ou non. »
« Sev. » murmura Harry. C'était à peine audible pour lui qui se tenait à côté mais les trois autres adultes dans la pièce avaient une ouïe supérieure à la moyenne.
Il détestait quand le garçon utilisait ce surnom. Cela lui rappelait Lily. Et Lily l'incitait toujours à contrôler son mauvais caractère.
« Comment te sens-tu ? » lança-t-il sans la moindre trace d'intérêt. « Nausées ? Vertiges ? Envie irrépressible d'arracher la gorge de quelqu'un ? »
Le regard que Lupin lui jeta était plus que clair sur ce dernier point, pourtant l'homme pinça les lèvres sans mordre à l'hameçon. Il s'assit lentement et accepta la couverture que Black glissa entre les barreaux de la cage. Une fois qu'il fut décent, il se racla la gorge. « Rien de différent d'une transformation normale. C'était plus douloureux. Je ne me rappelle pas de grand-chose après avoir pris la potion. Juste… Des flashs. Je me souviens avoir… Je me souviens que j'étais sur Tonks à un moment donné… Je ne sais plus… Je ne sais plus pourquoi. Est-ce que je l'ai attaquée ou… »
« On pense que tu cherchais à la marquer comme un membre de la meute. » répondit Black, sans grande compassion. Il sembla s'en vouloir et adoucit sa réponse initiale. « Tu l'as sauvée dans la forêt. »
Lupin cilla et accepta l'information d'un hochement de tête puis il chercha à nouveau le regard de Severus. « Ce n'était pas comme la potion Révèle-Loup, c'était comme une pleine lune normale. Le loup était totalement aux commandes. »
Pourquoi aurait-ce été différent ? La potion Révèle-Loup était un prototype. Une prototype qu'il avait créé. Il n'y avait aucune raison pour que la potion permettant la transformation ait les mêmes effets.
Severus avait jeté silencieusement plusieurs sorts de diagnostics pendant qu'ils parlaient et n'avait rien relevé de bien alarmant ou de particulièrement intéressant.
« Es-tu certain de pouvoir te contrôler à présent ou doit-on te museler ? » se moqua-t-il. « Et avant de répondre, je te prie de te souvenir de qui est présent dans cette pièce. »
Pas seulement lui qui donnait visiblement des pulsions de meurtre au loup mais Harry.
Une lueur sauvage passa furtivement dans les yeux ambrés. Lupin détourna rapidement le regard, honteux.
« On se passera de tes remarques. » grommela Black, en le fusillant des yeux.
Il refusa d'admettre que l'opinion de l'Animagus avait une quelconque importance. D'une main tremblante, il poussa gentiment Harry vers la table.
« Rassemble le matériel, s'il te plait. » exigea-t-il, avant de se tourner vers Lupin. « Je m'assurerai que Pomfresh te rende visite à la première heure. Je suggère que tu te tiennes aussi loin de Nymphadora que le quartier général le permet. »
« C'est une menace ? » rétorqua Lupin.
Le loup affleurait encore à la surface, Severus le voyait.
« Un avertissement, tout au plus. » lâcha-t-il d'un ton faussement doucereux. « Elle peut être si… passionnée. Il serait dommage qu'elle te tue dans un accès de fureur. »
Il regretta de l'avoir provoqué au moment où les mots quittèrent sa bouche et pas seulement à cause de l'éclat sauvage qui brilla à nouveau dans son regard. Lupin avait très clairement saisi le sous-entendu, cela ne rendait pas la boutade moins indigne de lui ou insultante pour la jeune femme.
Vérifiant d'un coup d'œil qu'Harry était prêt, il se tourna vers Black avant que qui que ce soit ait pu répliquer ou lui demander des informations. « Attends une heure ou deux avant de le libérer. Assure-toi qu'il soit calme et redevenu complètement lui-même. » Anticipant une objection, il leva la main. « Il est préférable qu'il passe la nuit dans une cage plutôt qu'il blesse quelqu'un par accident, je suis certain qu'il en conviendra lui-même. »
« Je suis juste là et j'en conviens volontiers. » lâcha Lupin.
« Harry. » grinça Severus, guidant l'adolescent d'une main impatiente vers la porte de la cuisine. Le garçon se retourna à moitié pour adresser aux autres un geste d'au revoir mais paraissait heureux de pouvoir échapper à la pièce qui empestait le fauve.
Ils étaient presque arrivés à la cheminée du salon lorsque le garçon se risqua à un commentaire sur un ton espiègle où l'amusement se disputait à une légère irritation. « Vous aviez l'air très préoccupé par les côtes de Tonks tout à l'heure… »
La main qu'il avait tendue en direction de la poudre de cheminette se figea brièvement, suffisamment brièvement pour qu'Harry ne s'en soit pas rendu compte. Avec un peu de chance.
« Je suis surpris que tu ais remarqué étant donné la fascination avec laquelle tu regardais ses jambes. » répliqua-t-il. Mouché, Harry resta un instant la bouche ouverte avant de laisser échapper un bruit amusé. Severus jeta une poignée de poudre dans les flammes et porta l'estocade. « Il est peut-être temps que nous ayons une conversation au sujet des filles… »
« Quoi ? » s'alarma Harry, horrifié. « Vous plaisantez, hein ? »
Severus lança l'adresse de ses appartements et traversa sans prendre la peine de répondre.
Seule la perspective d'avaler accidentellement de la cendre le convainquit de ravaler un petit rire.
