Hello! Juste un mot pour vous dire que j'ai profité des vacances cette semaine et du coup beaucoup moins écrit. Je n'ai pas fini le 59 donc pas sûre qu'il y ait une update la semaine pro. Ce sera à voir ;)

Enjoy & Review!


« You have these lines you won't cross. But then you cross them. And suddenly you possess the very dangerous information that you can break the rule and the world won't instantly come to an end.

You've taken a big, black, bold line and you've made it a little bit gray. And now every time you cross it again, it just gets grayer and grayer until one day you look around and you think, There was a line here once, I think. »
Daisy Jones & the Six - Taylor Jenkins Reid

« Il y a ces limites qu'on ne veut pas franchir. Et puis on les franchit. Et, soudain, on a en notre possession cette information très dangereuse qu'on peut briser les règles sans que le monde ne s'arrête immédiatement de tourner.

On a pris une énorme grosse ligne noire et on l'a rendue un peu plus grise. Et, à présent, à chaque fois qu'on la traverse, elle devient de plus en plus grise jusqu'à ce qu'un jour, on regarde autour de nous et on se dise : il y avait une limite, là, à un moment, je crois. »
Daisy Jones & The Six – Taylor Jenkins Reid


Chapitre 58 : There Was A Line Here Once


« Vous n'avez plus de fils. »

La déclaration résonna dans le salon trop grand et à la décoration trop clinquante. Tout dans le mobilier exsudait la richesse. Était-ce si étonnant que Draco soit devenu un petit con arrogant en ayant grandi dans ce décor de dorures, de porcelaines et de pièces gigantesques ? Il y avait tellement à voir mais Harry n'osait pas détourner les yeux du Sang-Pur qui lui faisait face, pourparlers ou non. Il ne lui faisait aucune confiance et sa parole n'avait que la valeur que Lucius y accordait.

Lord Malfoy était trop habitué des jeux de pouvoir pour laisser paraître quoi que ce soit. Son visage demeura lisse, son langage corporel ne trahit rien du tout, mais son regard…

Oui, songea Harry, bien à l'abri derrière ses propres boucliers, oui, il était plus affecté qu'il n'était prêt à l'admettre. Il y avait deux côtés à Lucius Malfoy, comme les deux faces d'une pièce. Le Sang-Pur arrogant qui se rêvait en leader de la communauté magique et le jeune homme effondré dans un vestiaire du stade de Quidditch qui proclamait son amour à Narcissa Black. C'était sur ce dernier que banquait Harry.

« Il ne peut pas être mort. » lâcha Lucius, sans aucune intonation particulière si ce n'était un léger ennui. « Comment auriez-vous su pour la broche ? »

Le sceau des Malfoy, l'homme l'avait glissé à son doigt mais la broche… D'un geste distrait du pouce, il en retraçait le serpent en or sans sembler s'en rendre compte.

« Je n'ai pas dit qu'il était mort. » rétorqua-t-il, tout aussi calmement. Tout était dans l'équilibre entre trop et pas assez. Les Sang-Purs étaient tous si dramatiques… Presque un an à Serpentard… Il savait quoi faire, quoi dire… « J'ai dit que vous n'aviez plus de fils. »

« Expliquez-vous. » cracha le sorcier avec un brin d'impatience. Et d'inquiétude.

Harry resta silencieux un long moment, plus qu'il n'était approprié, simplement pour tacitement indiquer qu'il n'était pas disposé à recevoir des ordres et, aussi, pour laisser à Lucius le temps d'imaginer les pires horreurs. Les Détraqueurs, les loups-garous, une exposition trop prolongée au Doloris… Il y avait des milliers de manières de perdre quelqu'un sans qu'il soit mort – comme le voir être capturé juste sous ses yeux sans aucune chance de secours, par exemple.

C'était cruel, peut-être, mais Harry était loin au-delà de ces considérations.

« Potter. » l'avertit Lucius, lorsqu'il n'y tint plus.

« Vous n'avez plus de fils… » répéta lentement Harry. « Parce qu'il a honte de vous. Vous n'avez plus de fils parce qu'il renonce à son nom et à votre Maison. Vous n'avez plus de fils parce qu'il préfère voir s'éteindre la famille Malfoy plutôt que d'avoir un Mangemort pour père. Vous n'avez plus de fils parce que vous étiez dans le groupe des lâches qui s'en sont pris à des enfants alors que Draco, lui, était le héro qui cherchait à les sauver. »

Peut-être un peu trop grandiloquent, hésita-t-il, mais… Non. Cela eut l'effet escompté. L'expression de Lucius passa de lisse à orageuse avant d'être à nouveau gommée par une maîtrise somme toute exemplaire de l'Occlumencie.

Harry se demanda lequel d'eux deux était le meilleur Occlumens.

Parce que Lucius avait beau garder l'apparence du calme, pleins de petits détails trahissaient sa nervosité, sa colère… Peut-être même sa tristesse.

« Vous n'êtes pas venu ici jouer les hiboux pour mon fils. » rétorqua le Sang-Pur. Il y avait juste assez de possessivité, de défi dans ces deux derniers mots pour laisser entendre qu'il se moquait éperdument de ce que souhaitait Draco : renoncer à son héritage n'était pas une option. « Vous êtes venu ici pour me soutirer quelque chose. »

Il y avait deux options possibles à cet instant.

Harry pouvait soit faire appel à sa cupidité, à sa soif de pouvoir…

Ou…

Il pouvait parier sur le jeune homme qui avait aimé Narcissa à la folie, qui aimait son fils suffisamment pour refuser de le déshériter, pour refuser d'accepter son rejet.

« Je suis venu vous donner l'opportunité de prouver à Draco que vous n'êtes pas qu'un Mangemort sans cœur. » offrit-il, prenant soin d'injecter dans sa voix la même magnanimité teintée de condescendance que Dumbledore utilisait lorsqu'il vous laissait entendre qu'il vous faisait une faveur, tout en sous-entendant clairement qu'il avait le pouvoir de vous la refuser. Oui, il avait beaucoup appris en soixante-quinze.

Lucius l'observa un moment puis émit un bruit qui n'avait rien d'amusé. « Vous voulez sauver Severus. »

« Oui. » confirma-t-il tranquillement. « Et vous allez m'y aider. »

« Non. »

Le mot claqua. Ferme. Définitif.

Un élan de panique le prit aux tripes mais il s'efforça de renforcer sa prise sur ses boucliers. Ce n'était pas le moment de flancher, de laisser la place au gamin impulsif… Il lui fallait garder la tête froide, il lui fallait agir en Chef de famille, il lui fallait continuer le numéro de Lord Potter parce que… Parce que c'était une arme comme une autre.

« Draco… » commença-t-il.

« Non, Potter. » l'interrompit Lucius Malfoy, en secouant la tête. « Quoi que vous vouliez négocier, la réponse est non. »

Il ne fronça pas les sourcils parce que sa maîtrise de lui-même était trop entière mais… « Voldemort… »

Lucius grimaça à peine à son nom et s'il esquissa un geste vers sa Marque, ce fût bref.

« Non. » le coupa-t-il, à nouveau. « Vous allez retourner à Poudlard et nous allons oublier que cette petite discussion a seulement eu lieu. » Il le foudroya du regard. « Draco peut me juger autant qu'il le souhaite, il comprendra lorsqu'il sera père. Un père protège son fils. Un père fait tout ce qui est en son pouvoir pour sauver son fils. » Lucius le foudroya du regard. « Un père préférerait mourir plutôt que de voir son fils aux mains du Seigneur des Ténèbres. »

Le sous-entendu était trop gros pour que…

« Vous n'êtes pas mon père. » cracha Harry.

« Certes. » répliqua le Sang-Pur. « Cependant, il se trouve que, en dépit de choix discutables, votre père demeure mon ami. »

Il ne parvint pas à cacher sa surprise, cette fois-ci. Ce n'était pas ce qu'il avait vu en soixante-quinze. Ce n'était pas ce qu'en disait Severus.

Lui et Lucius avaient une amitié faite de services et de dettes, pas…

Mais peut-être que, pour Lucius Malfoy, il y avait différents degrés d'affection dans ces amitiés factices.

« Je suis venu à vous en tant que Lord Potter. » siffla-t-il, laissant son pouvoir enfler comme il avait vu Dumbledore le faire, comme il avait vu Severus en jouer à l'occasion, jusqu'à ce que les bibelots s'entrechoquent sur les étagères. « Je suis venu à vous en tant que… »

« Et c'était un excellent choix. » le coupa Lucius, en agitant la main comme pour balayer l'argument. « Une preuve, s'il en fallait une, que le sang des Potter est plus fort que celui d'une Sang-de-Bourbe. » Un vase en porcelaine éclata dans un coin de la pièce. Le Sang-Pur ne tressaillit même pas. « À présent, si vous avez terminé votre petit caprice, je vous invite à retourner à Poudlard et… »

Aussi brusquement qu'il avait perdu le contrôle, Harry le retrouva, s'enfonçant encore plus profondément derrière ses boucliers, se réfugiant derrière les marécages comme un crocodile sous la vase, attendant le bon moment pour frapper.

« Je regrette profondément que vous ayez refusé la manière douce. » lâcha-t-il, en haussant les épaules. « Car vous n'allez pas aimer la manière forte. »

« Vous osez me menacer sous mon toit ? » se moqua Lucius. « Pourparler ou pas, je… »

« À votre avis, que dira Voldemort lorsqu'il saura que vous êtes tout autant un traître que Severus ? » demanda-t-il calmement, presque plaisamment.

Cela n'avait été qu'une suspicion.

Il n'avait aucune preuve, juste une déduction logique faite à la va-vite grâce à plusieurs indices que Severus avait laissé échapper – comme le fait que Dumbledore puisse avoir été au courant pour la baguette de Voldemort.

Mais la manière dont Lucius se tut brusquement valait toutes les preuves du monde.

C'était exactement ce qu'aurait fait le Directeur : jurer de protéger Draco, cacher Narcissa quelque part, et, en échange, saigner Lucius à blanc. Harry n'avait que très, très peu d'illusions au sujet de la morale flexible de son ancien mentor, surtout avec des gens qu'il n'appréciait pas particulièrement. Il avait ouvert les yeux dans le passé.

« Vous pouvez nier, bien sûr. » continua-t-il. « Mais, même s'il refuse de me croire, au fond, vous savez qu'une fois que la graine aura germé dans son esprit, il vous soupçonnera jusqu'à ce qu'il vous assassine. Quant à ce qu'il fera à votre fils et votre femme… »

« Vous bluffez. » accusa le Sang-Pur. « Vous ne risqueriez pas la vie d'innocents. »

Harry ricana, se drapant dans son numéro de Sang-Pur prétentieux. « Êtes-vous certain de me connaître aussi bien que ça, Lucius ? Êtes-vous certain que Voldemort et moi ne sommes pas faits du même bois ? Regardez-moi bien. Vous ne vous arrêterez à rien pour sauver votre fils ? Je ne m'arrêterai à rien pour sauver mon père. Vous, votre famille… Vous n'êtes rien pour moi. »

Ce n'était pas vrai, bien sûr.

Pourtant, s'ils en venaient là…

Draco était à l'abri à Poudlard et Narcissa devait bien être en sécurité là où Dumbledore l'avait planquée. Le risque était minime. Du moins, pour eux. L'arrêt de mort de Lucius serait signé. Mais, ça, c'était une décision qu'il était prête à prendre.

Le Sang-Pur le regardait, comme il le lui avait ordonné, et, visiblement, semblait légèrement effrayé par ce qu'il voyait. Harry n'était pas étonné. En lui, l'horcruxe pulsait, se délectant de cette petite démonstration de force. Il savait quelle image il renvoyait. Il savait qu'il ressemblait un peu trop à la jeune version de Tom Jedusor qui était sortie d'un journal, il y avait quelques années.

Les hommes comme Lucius ne respectaient que le pouvoir brut, cruel.

« Admettons que je vous emmène à Azkaban. » cingla le patriarche des Malfoy. « Vous n'accomplirez rien. Il vous tuera, vous et Severus, probablement en se servant de l'un pour faire souffrir l'autre d'abord. »

« Oh, nous n'allons pas à Azkaban. » rétorqua Harry. « Il va venir ici. Je lui accorde deux Mangemorts comme gardes. Il va emmener Severus et nous ferons un échange en bon et due forme. »

Lucius secoua immédiatement la tête. « Vous serez capturé avant d'avoir levé le petit doigt, Potter. Il… »

« Je suis prêt à échanger la Carte des Maraudeurs contre Severus. » l'interrompit Harry. « Qu'il interroge Pettigrow, il la voudra. Elle est actuellement en possession d'un elfe de maison qui n'attend que mon ordre. Nous échangerons la Carte contre Severus. Et, une fois que ce sera fait, je me livrerai à lui. Ce sont mes termes. »

Lucius se frotta le visage, abandonnant son acte de stoïcisme. « Le suicide ? Voilà votre plan brillant ? »

« J'ai mes raisons. » lâcha-t-il.

Il fallait bien qu'il meure jour. Cela ferait un horcruxe de moins. Il était prêt. Aussi prêt qu'il pouvait l'être. Sa vie contre celle de Severus… Au moins, il avait l'impression de mourir pour quelque chose et pas juste pour le plus grand bien d'Albus Dumbledore et de la communauté magique.

Le Sang-Pur leva les yeux au ciel. « Le Manoir n'est pas une bonne idée. »

« Vous contrôlez les protections. » contra-t-il. « Vous pouvez vous assurer qu'il n'emmène pas plus de Mangemorts que nécessaire. »

« Un endroit neutre. En plein air. » insista le sorcier. « Cela vous donnera au moins une chance de vous échapper. » Harry ouvrit la bouche mais l'homme le prit de vitesse. « Ou de récupérer Severus si les négociations tournent court. Et, croyez-moi, elles tourneront court. »

Un endroit neutre, en plein air…

Il n'en connaissait pas.

Et le seul qui lui venait à l'esprit…

Oui, décida-t-il, il y avait une certaine symétrie à cette idée.

C'était un peu masochiste mais, quitte à se torturer, autant se torturer jusqu'au bout.

Autant en finir là où il aurait dû mourir deux fois déjà.

« Little Hangleton. » lâcha-t-il.

« Le cimetière ? » releva Lucius. « Ce n'est pas ce que j'appelle un endroit neutre. »

« Ce sont mes termes. » insista-t-il. « Contactez-le et voyez s'il les accepte. Ah, et s'il essaye de me tendre un piège, l'elfe en question a pour ordre de détruire la Carte. Il peut l'attaquer, il peut essayer de le tuer, il peut refuser au dernier moment d'échanger Severus, mais nous savons tous les deux qu'un elfe de maison ira jusqu'à l'impossible pour obéir à un ordre. Faites en sorte qu'il le comprenne. »

« Êtes-vous si certain que cette Carte sera tellement précieuse à ses yeux ? » insista le Sang-Pur.

« Oh, je pense que oui. » se moqua-t-il. Un moyen d'espionner l'Ordre et Dumbledore à loisir ? L'avantage tactique… Harry avait conscience de vendre Poudlard.

Seulement, il aurait vendu tout et n'importe quoi pour la vie de Severus.

L'amour d'un Serpentard peut être une force plus terrible que celle d'un Gryffondor ou d'un Poufsouffle, avait dit Dumbledore et il n'avait pas tort. Ce qu'il n'avait jamais voulu comprendre c'était qu'Harry était tout autant Serpentard que Gryffondor, peut-être plus. Le Choixpeau n'avait même pas hésité au début de l'année.

Lucius était très mécontent mais il soupira. « Attendez ici. »

Harry croisa les mains derrière son dos et se dirigea vers une vitrine dans un coin, feignant d'être complètement à l'aise, feignant la confiance de celui qui était le plus puissant dans la pièce et qui le savait.

Encore un peu et ce serait fini, s'encouragea-t-il.

Encore un peu…

°O°O°O°O°

Albus rejoignit finalement son bureau, après avoir épuisé les excuses pour retarder ce moment. La nuit était bien avancée, il était épuisé, mais il avait tenu à faire le tour de l'infirmerie, à passer un moment dans la salle commune auprès des élèves, à parler aux parents et aux employés du Ministère rescapés qui s'étaient présentés à Poudlard… Il avait également réparé et renforcé autant de zones endommagées qu'il en avait trouvées, alimenté les protections jusqu'à ce qu'elles soient à nouveau à leur niveau le plus haut. Les dégâts sur la structure du château seraient facilement réparables au demeurant, lorsque Minerva et Pomona seraient en mesure de l'assister.

Filius manquerait, toutefois.

Son bureau était froid, aucun elfe n'ayant pris le temps d'entretenir le feu ce jour là, mais, plus que cela, il y avait une impression de vide qui…

Comme il s'était si facilement habitué à ce que quelqu'un l'attende à la maison !

D'un geste négligent, il alluma les bougies aux quatre coins de la pièce et se dirigea d'un pas lourd vers le fauteuil capitonné. Le coffret était resté ouvert, les souvenirs à moitié éparpillés sur la surface du bureau… Il ferma les yeux.

Une légère lueur attira son attention.

Le miroir qu'il avait laissé échapper et que Gellert avait réparé avant la bataille.

Lucius.

Lucius qui voulait s'expliquer ou demander des nouvelles de son fils, sans doute.

Il lui fallait répondre, bien sûr, et il allait le faire.

Il allait le faire…

Mais il avait besoin de quelques minutes.

Le fauteuil craqua lorsqu'il s'installa dedans et replaça méthodiquement, religieusement, chaque lettre et souvenir dans le coffret. Il caressa la mèche de cheveux attachée par un ruban bleu qui avait appartenu à Gellert, il y avait tant d'années, puis, à court d'excuses, sortit la baguette de sa poche. Il s'en servit pour appeler à lui d'un accio la bouteille de scotch et un verre. La baguette répondait à sa volonté avec à peine une légère résistance pour la forme. Il en avait toujours été ainsi. Sa propre baguette, bien avant qu'ils mettent la main sur une Relique de la Mort, avait obéi à Gellert avec la même docilité. Les baguettes avaient une allégeance particulière à leur sorcier mais Albus avait toujours observé qu'elles avaient également généralement une affinité pour ceux que ce sorcier aimait.

Après s'être servi un verre, il reposa lentement la baguette dans le coffret et en referma le couvercle.

Cela avait une impression de définitif, comme s'il n'aurait jamais plus la force de revisiter cette partie de sa vie.

Il se laissa aller davantage dans le fauteuil, le verre qu'il n'avait pas touché en main et…

Devait-il porter un toast à Abelforth ? C'était le genre de chose que son frère aurait fait, avec une insulte ou deux pour faire bonne mesure.

Abel…

Quel gâchis.

Tout était un tel gâchis que…

Le miroir se remit à luire et Albus s'autorisa un soupir. Que pouvait-il y avoir de si urgent ? Il doutait que Tom soit sur le point de réattaquer. Pas si tôt. S'il avait voulu Poudlard, il aurait pressé l'avantage plus tôt. Que voulait Luicus ? Lui dire qu'ils avaient fait Rufus ou Amelia prisonniers ? Lui dire que Severus était mort ? Dans un cas comme dans l'autre, il n'était pas certain de vouloir l'entendre. S'ils avaient le Ministre de la Magie entre leurs griffes, que ce soit l'un ou l'autre, la cause était perdue d'avance. Si Severus n'était plus, Albus n'était pas tout à fait prêt à l'entendre.

Il allait lui répondre, le contacter…

Il allait le faire.

Il voulait simplement…

Quelques minutes.

Il avait juste besoin de quelques minutes pour reprendre sa respiration.

Gellert, Abelforth, Filius, Severus, tous ces enfants couchés sous le plafond étoilé de la Grande Salle…

La lueur qui envahit le bureau dans la seconde qui suivit ne venait pas du miroir mais d'un Patronus inconnu. Un cheval ailé, un abraxan s'il ne se trompait pas…

Et la voix de Lucius Malfoy envahit son espace.

« Allez-vous, oui ou non, répondre à votre miroir ? Vous semblez avoir perdu quelque chose qui se trouve actuellement en ma possession et que je suis impatient de vous rendre. »

Oubliant sa surprise que Lucius Malfoy, entre tous, maîtrise le sortilège du Patronus alors que les Mangemorts étaient connus pour ne pas s'en embarrasser, Albus tendit la main vers le miroir, un espoir fou naissant dans sa poitrine.

Severus.

Si, par miracle, Lucius avait réussi à…

« Lucius ? » appela-t-il, à la seconde où le reflet lui renvoya l'image du patricien au lieu du sien.

Le Sang-Pur paraissait extrêmement contrarié. « Comment se fait-il qu'un de vos élèves soit parvenu à vous échapper sans que vous ne vous en soyez aperçu ? »

Albus cilla. « De quoi parlez-vous ? »

Oh, mais il le soupçonnait. Il y avait une chance pour que cela soit Draco qui ait voulu retourner chez lui mais… Non, bien sûr. Il avait pensé que Sirius serait capable de le maîtriser, de le garder sous contrôle, mais Harry était Harry et Harry avait un don certain pour aller se fourrer dans la gueule du loup, particulièrement si quelqu'un était en danger. En temps normal, il en aurait ressenti de la fierté mais là…

C'était la dernière chose dont il avait besoin ce jour là.

« Lord Potter est dans mon salon. » railla Lucius, en se frottant le visage. « Très franchement, je tenterais bien de le désarmer et de l'assommer mais, outre le fait que j'ai accepté un pourparler dont les termes m'en empêchent, je ne suis pas certain d'y parvenir. Le gamin… Vous n'avez jamais dit qu'il était… » Le Sang-Pur hésita puis se racla la gorge. « S'il se décidait à se déclarer, vous et le Seigneur des Ténèbres perdriez des partisans. Il a quelque chose de spécial. »

Oui, il avait quelque chose de spécial. À savoir un horcruxe.

Albus se pinça l'arrête du nez. « Harry est un brillant duelliste mais il reste un adolescent dans votre demeure ancestrale, ne pouvez vous le maîtriser ? »

Le Manoir lui-même aurait dû pouvoir le contenir si Lucius n'en avait pas été capable.

Lucius le dévisagea non sans ironie. « Je préfèrerais que vous vous en chargiez vous-même. Présentement, il pense que je suis en train de présenter les conditions de sa reddition au Seigneur des Ténèbres. »

« Et quelles sont-elles, ces conditions ? » demanda le Directeur, se sentant fatigué jusqu'aux os.

Son espion lui exposa le plan d'Harry.

Ce n'était pas un mauvais plan du tout.

Albus en était presque impressionné.

Il avait pensé à tout, semblait-il.

« Votre Maître accepterait-il un tel échange ? » s'enquit-il, pianotant distraitement sur l'accoudoir de son fauteuil, faisant mentalement la liste des membres de l'Ordre encore en état de combattre. S'il y avait une chance de récupérer Severus, une seule…

Après ce qui s'était passé aujourd'hui, après les lourdes pertes…

« Vu l'état proche de la mort dans lequel doit être Severus, il est possible qu'Il consente à l'échanger. » soupira Lucius. « Mais avez-vous bien saisi la partie où votre précieux Survivant est prêt à se suicider ? »

Ce n'était pas du tout ce qu'il avait prévu.

Harry aurait dû avoir les trois Reliques en sa possession.

Mais les Reliques n'étaient qu'un plan fou dont il n'était pas certain qu'il fonctionnerait.

Sacrifier Harry avait malheureusement toujours été gravé dans le marbre, bien qu'il avait espéré pouvoir en maîtriser les conditions, mettre toutes les chances du côté de l'adolescent.

Pas si tôt.

Pas après aujourd'hui.

Il se frotta le visage.

Récupérer Severus serait bon pour le moral de tout le monde et s'avérerait un atout tactique sur le long terme, l'homme était brillant et Albus l'avait toujours destiné à diriger l'Ordre voire prendre sa suite si nécessaire. Personne n'aurait pu le remplacer à cette tâche, pas même Remus. La Carte… Il pouvait s'arranger pour que la Carte disparaisse. Lucius pouvait la détruire plus tard. Ou il pouvait protéger Poudlard contre ses pouvoirs. Avec l'aide de Sirius et Remus… S'il rendait l'école entière aussi incartable que la Salle sur Demande ou… Il y avait des solutions.

Perdre Harry Potter, même dans un grand geste héroïque, juste après la destruction du Ministère, en revanche…

Toutefois, Harry devrait mourir un jour, c'était inévitable. Rien ne disait que cela devait être aujourd'hui mais s'ils devaient sacrifier Harry pour sauver Severus… Il pouvait tourner la chose à leur avantage. Un grand sacrifice, un geste héroïque, de quoi galvaniser les troupes…

Mais ils avaient encore le temps avant que sa mort devienne irrémédiable. Harry avait encore des semaines, des mois devant lui…

« Dumbledore, vous n'êtes pas sérieusement en train d'envisager la chose ? » s'énerva Lucius, face à son silence pensif.

Albus soupira, laissant son regard s'égarer vers la bague qu'il portait désormais à son doigt.

°O°O°O°O°

Harry faisait de son mieux pour ne pas s'impatienter.

Il avait déjà refusé deux fois l'offre d'un elfe de maison nerveux de s'asseoir ou de boire quelque chose et se contraignait à rester immobile devant la cheminée, les yeux rivés sur une pendule en or posée sur un meuble imposant dans le coin, comptant chacune des secondes qu'elle égrenait, imaginant Severus convulsant sous les coups d'un Doloris.

Lorsque Lucius pénétra à nouveau dans la pièce, il s'était changé et portait les robes noires des Mangemorts.

Quelque chose se dénoua en Harry.

Il aurait dû être nerveux d'aller à sa mort mais, au fond, c'était presque un soulagement que tout ça se termine enfin.

« Le Seigneur des Ténèbres a accepté vos termes. » déclara Lucius. « En échange de la Carte, votre elfe sera autorisé à emmener Severus. Vous avez Sa promesse solennelle qu'Il ne l'en empêchera pas. Lorsqu'il sera parti, vous déposerez votre baguette et vous vous laisserez capturer. »

Harry sourit. Un sourire froid, calculateur, qui n'avait pour seul but que de mettre le Sang-Pur davantage mal à l'aise.

Parce que, qu'il en soit conscient ou non, Lucius avait contribué à lui rendre la vie difficile en soixante-quinze et la vengeance était douce.

« Et Dumbledore ? » se moqua-t-il. « A-t-il accepté mes termes ? »

L'éclat de surprise dans le regard du Sang-Pur était presque vexant.

Le prenait-il vraiment pour un idiot ?

Il savait ce que Severus aurait fait à sa place. Il aurait consulté Dumbledore avant d'en référer à Voldemort, juste au cas où le Directeur aurait souhaité stopper ce projet dans l'œuf. C'était un risque, bien sûr, mais un risque calculé.

Dumbledore savait qu'Harry devait mourir…

Il espérait juste que le vieux sorcier le laisserait choisir la manière dont il voulait partir.

« Oui. » cracha Lucius, avec un dégoût palpable. « Je dois dire que pour des gens qui se drapent de nobles idéaux, l'Ordre du Phoenix n'est pas plus chevaleresque que des Mangemorts. »

Harry doutait fortement que la proposition ait été soumise au Conseil de l'Ordre – ou, plutôt, à ce qu'il en restait.

Il haussa les épaules. « Vous n'avez pas encore compris qu'il n'y a pas de bon ou de mauvais côté ? Il y a juste des gens. Des gens et des décisions plus ou moins bonnes. »

« Celles d'Albus Dumbledore ont toujours été discutables. » rétorqua le sorcier.

« Ah ça… » Le sourire du garçon se fit un peu plus honnête, un peu moins forcé. « Ce n'est pas moi qui vais vous contredire. »

Le Sang-Pur l'observa un long moment sans rien dire.

« S'il survit, si je survis… Severus exigera ma vie en réparation de ce que je m'apprête à faire. » déclara Lucius, son regard bleu passant sur la tenue élégante qu'Harry portait. « Ces robes vous vont bien. Je suppose que j'ai bien fait de forcer Severus a les acheter. »

Harry n'avait pas besoin du subtil rappel que Lucius considérait le Maître des Potions comme un ami.

« Il survivra. » lâcha-t-il. « On survit à tout. »

Du moins, il l'espérait.

Il avait toujours escompté que Tonk serait là pour le ramasser à la petite cuillère lorsqu'il mourrait… Les perdre tous les deux en même temps serait peut-être trop pour le Professeur.

Mais Sirius était têtu et il ne laisserait pas tomber Severus.

Dumbledore non plus d'ailleurs. Peut-être parce qu'il tenait sincèrement le Maître des Potions, peut-être parce que le sorcier avait son utilité et qu'il ne voudrait pas trop bouleverser ses plans… Dans tous les cas, le Directeur veillerait sur lui.

Et McGonagall avait l'amitié trop féroce pour l'abandonner, elle aussi.

Severus ne manquerait pas de gens qui refuseraient de se laisser repousser.

« Pas à la perte d'un enfant. » rétorqua pourtant Lucius. « Si vous êtes vraiment décidé à faire ceci, faites le en connaissance de cause. Faites le en sachant que vous le condamnez à une vie de douleur. »

« Mieux vaut une vie de douleur que pas de vie du tout. » s'entêta-t-il.

Severus survivrait.

Il devait le croire.

°O°O°O°O°

Remus se réveilla en sursaut, baguette déjà levée et un sort du bouclier brillant autour de lui, avant même d'avoir déterminé ce qui l'avait tiré du sommeil. En lui, Lunard était aux aguets, prêt à répondre au danger…

Puis il aperçut le phœnix argenté qui patientait à côté de son lit. La chambre que lui avait attribué un elfe était autrement vide, il n'y avait aucune ombre ou bruit suspect… Il était en sécurité.

« Allez vérifier que Sirius va bien puis rejoignez moi dans mon bureau. » ordonna la voix d'Albus. « La situation a évolué. Il n'est pas impossible que nous récupérions Severus ce soir. »

Les mots mirent plusieurs secondes à avoir du sens.

Puis, alors que le Patronus s'effaçait, il sentit la chaleur douce dans sa poche. Intrigué, il en sortit le carnet qu'il avait ramassé plus tôt… C'était bien lui qui chauffait. Il tourna les pages gondolées à la va-vite jusqu'à trouver…

Reviens-moi.

L'espace d'une seconde, il se perdit dans un fantasme où Dora savait qu'elle lui écrivait à lui. C'était peut-être un signe du destin, après tout. Une preuve qu'il devrait…

Mais non.

C'était Severus qu'elle suppliait de revenir.

C'était Severus qu'elle aimait.

Il n'est pas impossible que nous récupérions Severus ce soir.

Elle n'était tout de même pas assez folle pour se lancer à sa poursuite dans l'état dans lequel elle était ? Lunard hurla à la lune à mesure que la panique le gagnait. Bien sûr qu'elle l'était. Elle…

Allez vérifier que Sirius va bien…

Et merde.

Et merde.

Harry.

Sans plus réfléchir, il se précipita vers la cheminée.

°O°O°O°O°

Draco grogna et enfonça le visage dans l'oreiller, tentant vainement de repousser la main qui le secouait impitoyablement.

Ce qui ne l'empêcha pas de bondir comme un chat agressé lorsque un aguamenti le trempa des pieds à la tête.

Il s'assit brusquement, sa baguette à moitié levée, la tête lourde, le cœur battant, le corps…

Pourquoi avait-il mal partout ?

Pourquoi…

« Désolé ! Je suis désolé ! » s'exclama Remus Lupin, en le séchant lui et le lit d'un coup de baguette. « Je n'arrivais pas à te réveiller. »

Confus, sans tout à fait baisser sa baguette, Draco se frotta le visage. Le décor n'était pas familier, la pièce… Et puis il siffla lorsqu'il tenta d'utiliser sa main gauche, sur laquelle un hématome violacé s'étalait, et…

Le reste lui revint en mémoire.

Le tunnel.

Blaise.

« Où est Harry ? » demanda Lupin.

« Harry… » répéta Draco, d'une voix pâteuse que le léger somnus que lui avait jeté le Gryffondor n'expliquait pas tout à fait.

« Draco, je n'arrive pas à réveiller Sirius. Kreattur ne veut rien me dire et ne semble pas disposé à quitter son nid de couvertures. » insista Lupin. « Est-ce que tu sais où… »

« Il a mis une potion de Sommeil-sans-rêves dans son whiskey. » soupira-t-il. « Il m'a jeté un sort pour m'endormir. Il a peut-être drogué Kreattur aussi. » Combien de temps s'était passé ? Potter avait-il réussi à fuir Poudlard ? Le regard du loup-garou était plus qu'accusateur et Draco n'avait aucune intention de servir de bouc émissaire. « Il a pris mon sceau. Il voulait contacter mon… » Il s'interrompit avant de pouvoir terminer sa phrase, le mot lui laissant un arrière-goût en bouche. « Lucius. Il voulait contacter Lucius. »

Lupin cracha un juron et se passa nerveusement une main dans les cheveux. Son regard fit le tour de la pièce avant de retomber sur lui. « Est-ce que tu es en état d'emmener Sirius à l'infirmerie ? »

En d'autres circonstances, il se serait peut-être vexé d'une question aussi stupide mais, à l'instant… Sa tête était toujours lourde, il n'y avait pas un centimètre carré de son corps qui ne lui faisait pas mal, et il avait beau savoir qu'il était dans la chambre que Sirius lui avait assignée… Les images ne cessaient de rejouer devant ses yeux en séquences morcelées : le tunnel qui explosait, Blaise qui levait la tête, la main de Daphné qui pendait entre deux rochers…

Il déglutit difficilement. « Oui, je crois. Qu'allez-vous faire ? »

« Informer Dumbledore et me lancer à sa poursuite. Quoi d'autre ? » répondit Lupin, comme si c'était l'évidence.

Draco ne tenta pas de l'en empêcher. Espérait-il que Potter ait assez d'avance ou bien espérait-il qu'il se ferait rattraper avant de parvenir à accomplir son plan suicidaire ? Il ne le savait pas vraiment.

Une fois Lupin parti, il transforma son pyjama en un pantalon et une chemise simple, puis se traîna jusqu'au salon. Sirius n'avait pas l'air trop mal en point si ce n'était qu'il ne semblait pas pouvoir ouvrir les yeux. Avec un soupir, il fit apparaître une civière puis fit léviter son cousin jusqu'à l'infirmerie.

L'endroit s'était fortement calmé depuis qu'ils en étaient partis. La plupart des blessés semblaient dormir et plus personne ne courrait partout avec panique… Les lumières avaient été baissées dans la partie principale, de sorte que la pièce avait presque l'air paisible. Presque.

Pomfresh se précipita vers eux à la seconde où elle l'aperçut, la bouche plissée de mécontentement mais également clairement éreintée.

« Il n'est jamais revenu chercher sa potion contre le Doloris. » grinça-t-elle, en agitant sa baguette. « Décrivez-moi précisément ce qu'il s'est passé, Malfoy. A-t-il convulsé ou… »

« Il est drogué. » l'interrompit-il, avant de résumer une nouvelle fois la situation.

Si l'infirmière se servit de sa baguette avec moins d'urgence, elle ne semblait pas moins contrariée.

« Je vais avoir une sérieuse conversation avec Mr Potter dès qu'ils l'auront ramené. » marmonna-t-elle, en guidant la civière jusqu'à un lit vide, dans une des petites annexes qui ne servaient habituellement jamais et qui était pourtant bondée à l'instant. Lorsqu'elle eut installé son cousin, elle tourna vers lui un regard critique. « Vous êtes dans un piètre état, Mr Malfoy. »

Il haussa les épaules, le simple mouvement lui arrachant une légère grimace. Son épaule gauche, comme Potter l'avait prédit plus tôt, était probablement le pire.

Il se soumit à l'examen rapide de la Médicomage sans sourciller, trop fatigué pour protester.

« Du repos. » décréta la Médicomage.

Oui, du repos, songea-t-il, il n'aurait rien eu contre.

« Sirius ? Il va bien ? » botta-t-il en touche.

Elle leva les yeux au ciel. « Il ira mieux dès que j'aurais vidé son estomac. Il en sera quitte pour une violente migraine mais il ne réveillera probablement pas avant une heure ou deux. »

Il allait être de très bonne humeur au réveil…

Draco soupira et regarda autour de lui, espérant trouver une chaise…

« Il reste quelques lits d'appoint dans la troisième annexe. » lui dit l'infirmière, devinant visiblement ce qu'il cherchait. « Je vous conseille fortement d'aller vous allonger. »

« Ça ira, merci. » refusa-t-il.

Il avait renié sa famille, Nymphadora était morte… Sirius était le dernier adulte qui lui restait. Et, certes, il n'avait pas l'impression d'avoir encore besoin de supervision, mais… Sirius était le dernier adulte qui lui restait.

Il y avait bien Andromeda mais il ne la connaissait pas aussi bien et…

Pomfresh semblait trop fatiguée pour ergoter. Elle se mit au travail en silence, le laissant s'appuyer contre le mur… Ses paupières se mirent à tomber bien avant qu'elle ait terminé et ait décrété Sirius hors de tout danger potentiel. Il s'aperçut à peine que l'infirmière s'en allait ou qu'il glissait de plus en plus contre le mur.

Il se réveilla en sursaut avant de tomber comme une masse et se frotta la nuque avec un grognement agacé.

« Hé. » appela une voix fatiguée d'un lit, un peu plus loin.

Draco observa Ron s'arracher à l'étreinte de Lavande avec une pointe d'envie.

Un lit, Granger dedans, la possibilité de fermer les yeux… Cela ressemblait fort au paradis.

Sauf que Granger ne serait probablement pas très disposée à ce genre de choses, étant donné ce qu'il lui avait craché au visage plus tôt. Ravalant un soupir, il voulut à nouveau se frotter le visage, siffla une nouvelle fois de douleur lorsqu'il chercha à utiliser sa main douloureuse… Il ne cessait d'oublier. Il ne cessait de…

« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? » demanda Ron, avec une pointe de prudence, lorsqu'il l'eut rejoint à côté du lit de Sirius.

Parce qu'il n'avait pas été plus aimable avec lui qu'avec la jeune fille, plus tôt.

Et, s'il devait être honnête, il le regrettait.

« Potter est passé. » expliqua-t-il.

Weasley ne semblait pas avoir la force de s'horrifier ou de s'inquiéter lorsqu'il lui dit que son meilleur ami était parti affronter sa mort. Il se contenta de fermer les yeux et de souffler lentement.

« Percy est mort. » lâcha le Gryffondor lorsqu'il eut terminé.

Percy était le préfet pompeux qui avait trouvé un emploi au Ministère comme secrétaire du Ministre, se souvint Draco avec un temps de retard. Si tôt après la mort d'Arthur Weasley…

Il attrapa son épaule et la serra sans un mot, incertain de quoi dire.

Dans sa tête, les images passaient en boucle. Il levait sa baguette et le tunnel explosait. Blaise levait la tête et le mur volait en éclat.

« Harry va revenir. » ajouta fermement Ron. « Il revient toujours. »

« J'espère. » murmura Draco et il se surprit à véritablement le penser.

« Tu devrais parler à Hermione. » conseilla son ami, avec un regard qui aurait sans doute été sévère s'il n'avait pas été aussi fatigué. « Tu l'as faite pleurer. Je devrais te casser la gueule, tu sais ? »

Il savait.

Et ça aurait probablement été mérité.

Encore qu'il ne pensait pas avoir eu tout à fait tort sur le fond à défaut de sur la forme.

« Blaise est mort. » répondit-il faiblement.

Ce fût le tour de Ron de lui serrer le bras avec force en guise de réconfort. « Va parler à Hermione. Je vais rester avec Sirius jusqu'à ce que tu reviennes. »

Le lion le poussa gentiment dans la bonne direction et Draco se mit à marcher comme un automate, passant devant les lits aux visages familiers.

Il aurait donné n'importe quoi pour que Blaise et Daphné aient été parmi eux.

Ce n'était pas juste.

Ce n'était pas…

Le clan Weasley était facile à trouver. Ils étaient rassemblés au fond de l'infirmerie, entassés sur différents lits ou fauteuils métamorphosés à la va-vite… Granger était recroquevillée par terre, à même le sol, et une part de lui s'agaça parce qu'elle n'était pas un animal, elle n'était pas… Elle était la future Lady Malfoy et…

Excepté qu'elle ne serait jamais Lady Malfoy parce qu'il avait renoncé à son nom.

Il était fatigué. Si fatigué…

La mère de ses amis avait le sommeil agité.

Il repéra la couverture qui avait glissé au pied du fauteuil et la ramassa par réflexe, la replaçant sur son giron comme il aurait pu le faire pour Narcissa ou…

« Ron ? » appela la sorcière, en se réveillant en sursaut.

« Non. » grimaça Draco. « Je m'excuse, je ne voulais pas vous déranger. Votre couverture était tombée. »

Il fallut plusieurs secondes avant que le regard de Mrs Weasley ne s'arrête sur son visage, avant qu'elle l'identifie et se détente légèrement. « Draco Malfoy. »

« Ron est avec Sirius dans l'annexe. Il va bien. » offrit-il, parce qu'il était évident que c'était lui qu'elle cherchait par-dessus son épaule.

« Sirius ? » La sorcière fronça les sourcils mais elle semblait si fatiguée dans la demi-pénombre qui régnait dans cette partie de l'infirmerie qu'il ne trouva pas intelligent d'en rajouter avec le récit des aventures de Saint Potter.

« Rien de grave. » promit-il, avant de se racler la gorge. « Toutes mes condoléances pour Percy. »

C'était maladroit et gênant parce qu'il ne la connaissait pas. Mais il était ami avec Ron, avec Fred et George, avec Ginny…

La tristesse envahit les traits de la sorcière et ses yeux se remplirent de larmes qu'elle fit de son mieux pour repousser. « Merci, tu es gentil. »

Personne ne l'avait jamais accusé d'une telle chose.

Il se força pourtant à sourire. « Hermione ne peut pas dormir par terre. Il y a des lits libres dans le fond. »

Le regard de Mrs Weasley dériva jusqu'à la jeune fille et sembla s'horrifier en la découvrant recroquevillée au sol. « Oui. Oui, bien sûr… »

Avec un dernier sourire forcé, il se détourna de la sorcière et s'accroupit auprès de sa petite amie. Il n'en fallut pas beaucoup pour la réveiller. À peine avait-il posé la main sur son épaule qu'elle sursautait, son regard plongeant immédiatement dans le sien… Un sourire s'épanouit spontanément sur ses lèvres avant de brusquement y mourir alors que ses yeux se mettaient à briller de larmes contenues.

« Draco… »

Son nom était presque une supplique.

Une supplique qui le frappa en plein cœur.

Il était toujours en colère, tellement en colère, mais, Merlin, il aurait fait n'importe quoi pour ôter cette expression de son visage. Tendrement, il repoussa les mèches qui lui tombaient sur la joue.

« Viens. » murmura-t-il. « Il y a des endroits plus confortables pour dormir que le sol. »

Elle le laissa la tirer sur ses pieds, le regardant avec une méfiance teintée de désespoir. « Draco, je suis vraiment… »

« Je sais. » soupira-t-il. « Viens. »

Il ne voulait pas avoir cette conversation devant Mrs Weasley. Il lui prit la main et la guida à travers l'infirmerie vers l'annexe, là où l'infirmière avait dit qu'il y avait des lits…

Elle pila avant qu'il ait pu l'y attirer et, lorsqu'il se tourna vers elle, secoua la tête. « J'ai besoin d'air. »

Il aurait préféré s'allonger un moment mais il n'avait rien contre l'idée de prendre l'air.

Le tunnel explosait. Le mur éclatait.

Soudain, sa suggestion devint une évidence et il fit demi-tour vers les grandes portes. Personne ne chercha à les arrêter ou à leur demander où ils allaient. Ils marchèrent en silence, traversant les couloirs jusqu'à atteindre un escalier extérieur qui donnait sur le parc. C'était un raccourci vers les serres mais, très clairement, c'était un raccourci qui ne menait plus nulle part. Deux étages plus bas, la pierre était brisée et les marches se terminaient dans un plongeon mortel au lieu de bifurquer vers la petite cours intérieure…

À leur étage, cependant, la structure semblait tenir et, après un moment d'hésitation, ils s'assirent sur la première marche. Granger, après quelques secondes, se blottit contre son flanc et parut soulagée lorsqu'il passa son bras autour de ses épaules pour l'attirer plus près.

La nuit était fraiche mais il ne faisait pas suffisamment froid pour qu'ils en souffrent. Il appuya la joue sur le haut de sa tête et perdit son regard dans la voute céleste où des étoiles brillaient derrière d'occasionnels épais nuages.

« Je suis fâché. » déclara-t-il, tout de go. « Mais je n'aurais pas dû te parler comme je l'ai fait. »

« Est-ce qu'on est obligés de se disputer ? » demanda-t-elle, d'une toute petite voix.

Il prit une profonde inspiration. « Non, nous ne sommes pas obligés de nous disputer mais il faut que nous parlions de ce qui s'est passé. »

Attendre aurait peut-être été plus judicieux. Attendre que cette journée affreuse soit enfin terminée… Attendre qu'il ait la tête à l'endroit parce que les souvenir se bousculaient toujours dans son esprit… Attendre que la colère disproportionnée qu'il éprouvait lui soit passée…

Elle poussa un long soupir dont il sentit le souffle rouler dans son cou. « Je suis désolée, Draco. Pas d'être partie… Tu savais très bien… J'ai toujours été claire sur mes intentions. Mais je suis désolée si je t'ai blessé. Je voulais juste… Je voulais que tu saches, au cas où… »

« Oui. » grinça-t-il, en tournant la tête pour presser un baiser sur ses cheveux. « C'est le au cas où qui me pose problème. »

Elle enroula un bras autour de sa taille. « J'ai toujours dit que je voulais m'impliquer dans la guerre. Et tu m'as toujours dit que tu voulais rester neutre, que… » Elle s'interrompit et recula juste assez pour croiser son regard. « La dernière fois, tu m'as suivie et tu es mort. » Sa voix se brisa légèrement sur le mot et ses yeux s'embrumèrent. « Je ne t'aurais jamais demandé de… »

« Ne pleure pas. » la gronda-t-il, essuyant les larmes qui coulaient sur ses joues de sa main valide. « Je déteste quand tu pleures. Comment puis-je rester fâché si tu pleures ? »

Elle laissa échapper un bruit mi-amusé, mi-triste. « C'est censé m'encourager à arrêter ? Je déteste quand on se dispute comme ça. »

Il pressa doucement son front contre le sien. « Ce n'est pas tant que tu sois partie. C'est que tu ne m'ais pas laissé le temps de… » De quoi ? Qu'aurait-il fait ? Il était si fatigué. La veille au soir, ce qui semblait s'être passé mille ans auparavant, il s'était fait kidnapper par des apprentis Mangemorts et ce matin là… « Tu ne peux pas me dire que tu m'aimes et ensuite m'abandonner. C'est juste… Ce n'est pas comme ça que ça fonctionne, Granger. »

« Et comment ça fonctionne alors ? » s'agaça-t-elle. « Parce que je respecte le fait que tu veuilles rester neutre mais… »

« Oh, il n'y a plus de place pour la neutralité. » cingla-t-il avec lassitude, en se détournant légèrement, préférant perdre son regard dans le parc. « En bas, c'était… » Il frissonna. Il n'était pas sûr de pouvoir en parler, de pouvoir lui décrire l'horreur… Sans parler de la certitude qu'il avait condamné des élèves avec son confringo. Il s'humecta les lèvres. « Il n'y a plus de neutralité, Hermione. Excepté si tu as changé d'avis et que tu veux aller rejoindre ta famille, considère ma baguette au service de Saint Potter et de sa cause perdue. Tu vois… Inutile de m'abandonner à nouveau. Je t'interdis de m'abandonner à nouveau. »

Il regardait résolument de l'autre côté mais il était impossible de ne pas la sentir se glisser à nouveau contre lui.

« Je suis désolée que tu ais été tout seul dans les cachots. » murmura-t-elle.

« Je n'étais pas seul. » répondit-il. « Il y avait Pansy. » Elle marmonna quelque chose de peu aimable qui, malgré tout, lui arracha un sourire qui ne dura pas. « J'étais content qu'elle soit là et qu'elle n'ait rien. C'était vraiment… C'était une boucherie. Et ensuite… Blaise et Daphné… »

« Je sais. » commenta-t-elle tristement.

« Non, tu ne sais pas. Tu n'étais pas là. » cracha-t-il méchamment, avant d'avoir pu s'en empêcher. Il tourna des yeux horrifiés vers elle. « Pardon. Je ne sais pas… Je ne sais pas ce que j'ai… Je n'arrête pas… C'est comme si les images étaient gravées derrière mes rétines… Je n'arrête pas de revoir le tunnel exploser et puis Blaise et le mur… » Il secoua la tête. « Je deviens fou, Hermione. »

Elle passa les bras autour de lui et le serra si fort que les hématomes se rappelèrent à son mauvais souvenir. Il ne protesta pas, pourtant. Il lui rendit son étreinte, respirant son odeur à pleins poumons.

« Tu n'es pas fou, du tout. » promit-elle. « Tu as juste vécu des choses horribles et tu as besoin de les digérer. »

« Ça ne pouvait pas être plus plaisant pour toi… » remarqua-t-il.

Elle haussa les épaules. « J'ai eu de la chance. Ron et moi, nous nous sommes fait repousser vers les étages et… On a beaucoup couru mais on ne s'est pas vraiment retrouvés en danger avant qu'on tombe sur Charlie qui se battait avec une des recrues… Ron s'est figé et j'ai voulu m'interposer mais… Je ne suis pas arrivée à la sauver. »

« Charlie… » répéta-t-il. « Le frère de Ron ? »

Elle lui résuma rapidement la situation du dragonnier.

Lorsqu'elle expliqua qu'il avait poignardé Nymphadora sous Imperium, il ressentit un élan de profond chagrin.

« C'est donc ainsi qu'elle est morte… » murmura-t-il.

Assassinée par son meilleur ami… C'était atroce. Elle méritait mieux. Elle méritait…

« Morte ? » répéta Granger, en fronçant les sourcils. « Elle n'est pas morte. »

Ce fût son tour de la regarder avec confusion. « Potter m'a dit qu'elle était morte. »

« Quoi ? » La jeune fille secoua la tête. « Non, non… Pourquoi est-ce qu'il croit… Non, elle n'est pas morte. Sa mère nous a dit que c'était grave mais qu'elle allait s'en sortir. »

Le soulagement fût si violent

Cela le chagrinait de devoir admettre qu'il s'était attaché à sa cousine et pourtant…

« Il faut le lui dire tout de suite ! » continua la lionne. « On ne peut pas le laisser penser que… Le pauvre, il doit être dévasté ! Déjà que Snape… »

Ah, oui…

Ce petit détail qu'il aurait sans doute dû partager plus tôt.

Elle était déjà à moitié debout lorsqu'il attrapa son poignet et tira pour la forcer à se rasseoir.

« Draco, il faut qu'on le dise à Harry. » insista-t-elle. « Ce n'est pas… »

« Granger. » l'interrompit-il fermement, sérieusement. « Je t'aime. » Elle le regarda, les yeux légèrement écarquillés, la bouche entrouverte sous le coup de la surprise. Il grimaça légèrement. « Note comme je ne t'ai pas immédiatement abandonnée pour aller au devant du danger bien que j'aurais pu car Potter est parti chercher le Professeur Snape et j'ai failli aller avec lui. »

Il lâcha la dernière partie d'un coup, comme s'il y avait une chance qu'elle ne la saisisse pas tout à fait.

Granger était Granger, toutefois, et elle se remit très vite. « Quoi ? » Dans un soupir, ce fût son tour de résumer ce qui s'était passé plus tôt – encore. La jeune fille secouait la tête bien longtemps avant qu'il ait terminé. « Il faut le rattraper ! Il n'est peut-être pas trop tard ! On peut aller chez toi et convaincre ton père de… »

Il laissa tomber la tête contre la balustrade de pierre, sans cacher son agitation.

« Ne le prends pas mal mais… De une, je ne serais pas bon à grand-chose avant un bon moment. De deux, Lupin et Dumbledore sont probablement déjà partis à sa rescousse. Et de trois… » Il hésita. « C'est probablement une bonne chose que tu ne te sois jamais intéressée à moi pour ma fortune parce que je suis probablement à peine plus riche que toi à présent. »

Il y avait un coffre à Gringotts à son nom, indépendant de la fortune des Malfoy, qui lui venait tout droit de sa grand-mère maternelle et qui n'entrerait en sa possession qu'à sa majorité. Il ignorait combien il y avait dedans, Narcissa et Bellatrix avaient hérité à parts égales de leur mère mais il y avait eu des provisions pour d'éventuels petits-enfants. À moins que sa mère ou son père ne lui conteste l'héritage, ce coffre là, au moins, devrait toujours rester lui accessible lorsqu'il aurait dix-sept ans…

« Je… Quoi ? » demanda Granger, visiblement confuse.

Il ne pouvait guère lui reprocher de ne rien comprendre, il ne s'expliquait pas très clairement.

« J'ai dit à Potter de rendre le sceau des Malfoy à mon… à Lucius. » lâcha-t-il. « J'ai renoncé à ma Maison et à mon héritage. »

Elle le dévisagea, interdite. « Draco… »

« Je sais, je sais… » soupira-t-il, balayant l'air de la main. « Tu trouves que c'est extrême, que j'aurais dû prendre la décision à tête reposée… » Il haussa les épaules, grimaçant lorsque la gauche lança un éclair de douleur dans le reste de son dos. « Ce n'était pas une décision si compliquée au final. » Il lui prit la main, entrelaça leurs doigts. « Un jour, nous aurons des enfants et j'aimerais autant pouvoir les regarder dans les yeux, sans avoir honte de quoi que ce soit. »

À nouveau, la jeune fille le dévisagea avec une surprise mâtinée de choc. « Des enfants ? »

« Au moins deux. » décréta-t-il, ayant beaucoup réfléchi à la question. « Rapprochés de préférence. Être un enfant unique n'est pas si drôle. »

Elle ne semblait plus savoir quoi dire mais elle finit par se reprendre. « On est en cinquième année. »

Ses lèvres s'étirèrent en un rictus taquin. « Je n'étais pas en train de suggérer de commencer tout de suite. Encore que si tu le désires vraiment, je suis prêt à faire un effort et… »

Elle le poussa sans y mettre trop de force, son rire se brisant brusquement, son amusement virant à l'angoisse. « Harry. Il faut… »

« Lupin et Dumbledore sont au courant, je te l'ai dit. » la coupa-t-il, en serrant sa main.

Cela ne la calma pas. « Dumbledore… Si Harry est parti affronter Volde… »

« Hermione. » siffla-t-il, avant qu'elle ait pu terminer de prononcer ce nom que les Gryffondors utilisaient avec beaucoup trop d'enthousiasme.

Elle le supplia du regard de comprendre. « Dumbledore ne partira peut-être pas à son secours. Il y a… C'est compliqué mais… »

« Compliqué comme… Il y a un horcruxe dans l'équation ? » hésita-t-il, en baissant la voix.

Granger le dévisagea quelques secondes puis jeta un sortilège pour s'assurer que leur conversation demeurerait secrète. « Qu'est-ce que tu sais des horcruxes ? »

« J'ai espionné une conversation entre Potter et Sirius. » avoua-t-il. « J'ai déduit le reste. Enfin… Un bout du reste. Un horcruxe… Je me souviens d'avoir surpris une discussion entre mon père et un de nos cousins quand j'étais plus jeune mais… Il s'agit d'un rituel en rapport avec l'âme ? Une séparation de l'âme ? » Il secoua la tête. « Je ne me souviens plus très bien. Lorsque le Seigneur des Ténèbres a jeté le sort de mort sur Potter quand il était un bébé… C'est ce qu'il essayait de faire ? Séparer son âme ? Ou était-ce un accident ? »

Il était évident que la jeune fille était divisée. Sans doute avait-elle été jurée au secret.

« Un horcruxe… » déclara-t-elle lentement. « Un horcruxe est un fragment d'âme arraché à l'original et placé en lieu sûr dans un réceptacle. En théorie, cela permettrait à quelqu'un de vivre éternellement ou, du moins, jusqu'à ce que l'horcruxe soit détruit. »

« Et Potter est un horcruxe. » commenta-t-il. « C'est la raison pour laquelle il a perpétuellement ces migraines et pourquoi sa cicatrice saigne… C'est la raison pour laquelle il parle Fourchelang. »

Pas étonnant que le Survivant soit si désespéré de prendre un train dans les limbes.

Pas étonnant, non plus, qu'il ait eu l'air si déprimé, ces derniers temps.

Pour que le Seigneur des Ténèbres soit tué il fallait donc que…

« Ron n'est pas au courant. Personne n'est au courant que je sais à part Harry. » murmura la lionne. « Tu dois garder le secret. Et tu vas devoir apprendre l'Occlumencie. » Elle secoua la tête. « Mais rien de tout ça n'aura d'importance si Harry se fait tuer. On doit… »

« On ne peut rien faire. » l'interrompit-il, levant la main lorsqu'elle voulut le convaincre du contraire. « Granger, sans le sceau, je n'ai aucun moyen de passer directement les protections du manoir sans que mon père le sache, encore moins de te faire entrer, toi. Et je suis… Je suis désolé, tu sais que je te donnerais la lune si tu me la demandais, mais je suis vraiment vidé. Je ne peux pas me battre dans cet état. »

Lentement, les épaules de la jeune fille s'affaissèrent.

« Si Remus est au courant… Remus ne le laisserait jamais tomber. »

Il ne savait pas qui elle essayait de convaincre, si c'était lui ou elle-même.

« Lupin semblait très déterminé à le ramener par la peau des fesses. » approuva-t-il, pour la consoler. « Et puis… Combien de fois Potter a-t-il frôlé la mort depuis que tu le connais ? »

« Trop de fois. » murmura-t-elle. « Beaucoup trop de fois… »

Il écarta tendrement les boucles folles de son visage, laissa sa main trainer sur sa joue. « Je t'aime. »

Cela pouvait paraître hors sujet mais il ne savait pas comment la réconforter autrement et… Il ressentait le besoin de le redire avec un peu plus de sérieux que précédemment.

Son expression, à défaut de se départir de son angoisse, s'adoucit. « Moi aussi, je t'aime. »

Les mots vinrent se loger dans sa poitrine, comme une douce chaleur.

Il l'attira contre lui, laissant sa main courir inlassablement le long de son bras dans une caresse apaisante.

Il ne se laissa pas penser à Blaise ou à ce qui s'était passé dans le tunnel ou au fait que Potter avait eu une raison valable de chercher à aller se faire tuer…

C'était trop difficile à appréhender.

Au lieu de ça, il se concentra sur le corps chaud pelotonné contre le sien, sur la certitude que pour tous leurs problèmes lui et Granger s'aimaient, sur l'espoir que l'aube se lèveraient dans quelques heures sur un meilleur jour.

Et attendant… Cet escalier n'était pas un mauvais endroit où patienter. Ils avaient vue sur le parc, si Potter et Dumbledore revenaient au château en transplannant devant les grilles, ils devraient passer par ici.

°O°O°O°O°

Le village de Little Hangleton dormait au loin, exactement comme les deux dernières fois qu'Harry s'était retrouvé dans ce cimetière. À croire que ses habitants étaient soit sourds et aveugles, soit superstitieux des éclats de lumières et autres bruits étranges. Avec la maison des Gaunt toute proche, cette dernière explication était sans doute la bonne.

La maison des Gaunt… Il espérait que Voldemort n'aurait pas l'idée saugrenue d'aller y faire un tour.

Harry se plaça juste devant la tombe des Jedusor, simplement pour l'effet que cela rendrait, simplement pour voler au mage noir ce petit élément dramatique. Il se demanda si Voldemort passait autant de temps à préparer ses effets ou si c'était devenu inné à force. La statue dans son dos, le rayon de lune qui l'éclairait juste comme il fallait pour faire luire les liserés argentés sur ses robes…

Lucius l'observait avec un amusement certain malgré sa nervosité évidente.

Le garçon n'osait pas lui dire que c'était se concentrer sur ce petit côté théâtral ou laisser libre cours à la panique qui voulait le prendre à la gorge. Le cimetière avait peut-être pris le mage noir de court mais lui… Lui il ne voyait que l'endroit où Cédric était mort, l'endroit où Bellatrix s'était tenue lorsqu'elle avait lancé l'Avada Kedrava, l'endroit où le Feudeymon de Dumbledore avait avalé le mage noir et sa bague-horcruxe…

Severus qui sortait le revolver et appuyait sur la gâchette.

Sirius agenouillé auprès de Bellatrix.

James qui tenait son bras cassé.

Lily qui pleurait.

Remus qui…

Il repoussa fermement ces souvenirs derrière sa première couche de boucliers.

Son contrôle de l'Occlumencie faiblissait de minute en minute.

Il s'en était servi trop longtemps et à trop haut niveau. Il ne savait pas comment Severus avait pu le faire constamment pendant des années. Il sentait les souvenirs, les émotions qui poussaient contre ses flammes, qui remontaient lentement à la surface des marécages… Il avait beau battre en retraite davantage à l'intérieur de son esprit pour garder une distance, pour pouvoir réfléchir sans se laisser influencer par quoi que ce soit, bientôt, il serait acculé contre son coffre et n'aurait d'autre choix que de relâcher la pression. Et alors…

Quelques minutes de plus, se dit-il. Juste quelques minutes.

Une fois que Severus serait en sécurité, cela n'aurait plus d'importance. Il n'aurait plus besoin de jouer cette comédie ou de rester calme.

Cela ne l'empêcha pas de tourner distraitement le sceau des Prince autour de son doigt, trahissant ainsi que son contrôle n'était plus aussi exemplaire.

« Il n'est plus temps d'hésiter, Lord Potter. » glissa Lucius calmement, un brin moqueur sur le titre.

Il releva le menton, se forçant à cesser de jouer avec la lourde bague. « Vous savez… Je n'ai jamais compris ces histoires de Lord. Lord de quoi ? »

Le Sang-Pur n'aurait pas pu être plus blasé si Harry avait directement cherché à le contrarier.

« Poudlard devrait revoir son éducation. » grommela le sorcier. « La plupart des anciennes Maisons se passent le titre de Lord ou Lady de Chef de famille à héritier depuis bien avant le temps des Fondateurs. À l'origine, elles avaient quasiment toutes un domaine similaire au mien mais avec le temps beaucoup ont dû vendre ou réduire leurs patrimoines au point que, pour beaucoup, le titre n'est plus qu'une courtoisie tombée en désuétude. Dans le temps, les terres couvraient des villages, des exploitations… Nous ne sommes plus qu'une poignée à encore avoir des métayers et plus personne ne peut se vanter de posséder de hameaux. Encore une vingtaine d'années et la plupart des anciennes Maisons seront probablement aussi mal loties que les Weasley. Les Potter n'ont plus qu'un manoir et un lopin de terre, à ma connaissance. Le patrimoine se compte davantage en gallions qu'en profits. »

Il leva les sourcils, plus que surpris. « J'ai un manoir ? »

« Ne vous est-il jamais venu à l'idée de vous renseigner à Gringotts ? » railla Lucius.

À vrai dire… « Non. »

Le Sang-Pur secoua la tête et soupira. « Eh bien, je ne peux en être certain mais, typiquement, dans des cas comme le vôtre, le domaine se serait… endormi, à défaut d'un autre terme, jusqu'à ce qu'un héritier en prenne possession. Je m'y suis rendu une fois ou deux, du temps de votre grand-père… Excellente orientation pour des vergers, si vous chercher quoi en faire. Je suppose qu'il est censé vous revenir, ainsi que le reste de votre fortune, à votre majorité. »

« Le reste de ma fortune ? » releva-t-il.

L'homme eut un geste d'ignorance. « Je ne connais pas les détails mais, votre père n'étant pas un sauvage, je suppose qu'il a prévu qu'un coffre vous soit accessible vous assurant un train de vie confortable jusqu'à vos dix-sept ans. »

Harry le dévisagea. « Ce coffre est plein. »

Lucius ne sembla ni surpris, ni particulièrement concerné. « Et, si mes estimations sont correctes, il y en a au moins deux autres. Si vous survivez, ce soir, je vois conseille fortement de demander à Severus ou à votre parrain de vous mettre en relation avec les gobelins. James n'avait que peu de respect pour les traditions et ne s'est sans doute pas préoccupé de faire fructifier le patrimoine mais vos grands-parents étaient redoutables en affaires, je ne peux pas croire que tout soit tombé en désuétude. Encore que, présentement… Merlin sait si Gringotts continuera de fonctionner correctement. Ah, le titre de Lord va également de paire avec un siège au Magenmagot pour peu que vous le réclamiez. »

Cela faisait… beaucoup d'informations.

Des informations qu'il aurait probablement dû déjà avoir en sa possession.

Les Dursley ne savaient rien de son coffre, ce n'était donc pas eux qui avaient géré tout ça. Ce qui laissait…

Dumbledore, bien sûr.

Dumbledore qui n'avait pas dû trouver judicieux de lui dire qu'il était encore plus riche qu'il ne le pensait déjà où qu'il avait des responsabilités autres que la guerre. Non, bien sûr. Il était plus facile de contrôler un enfant qui n'avait rien et à qui on donnait un peu qu'un enfant qui apprenait soudain qu'il avait un pouvoir indépendant de celui de son bienfaiteur.

S'il mourrait, Severus hériterait de tout.

Il n'apprécierait probablement pas de se voir devenir Lord Potter. Il y avait une certaine ironie à ce qu'il hérite du titre de l'homme qu'il avait tellement haï, une à laquelle il aurait probablement dû penser avant, mais il ne parvenait pas à regretter ses dernières volontés griffonnées à la hâte. Le Maître des Potions lui avait tout donné. Il voulait le lui rendre, même un peu.

« C'est un honneur de perpétuer une lignée qui remonte à si loin, Potter. » ajouta Lucius, comme à son corps défendant. « Je n'ignore pas que Sirius Black a des vues… particulières sur la question cependant, même en mettant de côté les politiques puristes ou progressistes, être Chef de famille reste un… »

Les craquements de plusieurs transplannages successifs l'interrompirent.

Harry reprit immédiatement le contrôle de ses boucliers qui avait légèrement glissé pendant leur discussion. Le visage lisse, l'attitude nonchalante de celui qui savait qu'il avait l'avantage, mais la baguette fermement serrée dans sa main et le corps prêt à réagir à la première attaque.

Voldemort le dévisageait.

S'il était contrarié que l'adolescent lui ait volé l'endroit le plus impressionnant du cimetière, il n'en laissa rien paraître.

Bellatrix se tenait à sa droite. MacNair à sa gauche.

« Tom. » le salua-t-il presque joyeusement, se fendant d'un sourire de façade.

Il sentait l'amusement sadique du mage noir à travers l'horcruxe.

« Harry. » répondit Voldemort du même ton. « Je dois dire que je suis impressionné. Je ne pensais pas que tu aurais le courage d'échapper à ton Maître. Je suppose que ton traître de fils a ses utilités, au final, Lucius. »

Lucius s'inclina profondément mais demeura non loin d'Harry plutôt que d'aller rejoindre les autres Mangemorts.

« Dumbledore n'est pas mon Maître. » rétorqua-t-il, avec une pointe d'irritation. « Je n'ai pas de Maître. Je n'en ai pas besoin. »

À nouveau, il laissa enfler son pouvoir comme il avait vu Dumbledore ou Severus le faire, s'assurant qu'ils puissent tous le sentir. Si Bellatrix fronça les sourcils et MacNair se trémoussa légèrement mal à l'aise, Voldemort ne tressaillit même pas.

Au contraire, il ricana. « Harry, tu m'intrigues de plus en plus. Je devrais peut-être te convaincre de nous rejoindre au lieu de te tuer tout de suite. »

« Vous pouvez essayer mais je ne m'attendrais pas à ce que cela fonctionne. » le défia-t-il, en haussant les épaules. « Pour commencer, par contre, vous pourriez jurer de respecter notre accord : la Carte des Maraudeurs contre Severus Snape, sans aucune interférence de votre part. »

« Tu ne me fais pas confiance ? » se moqua le mage noir. « C'est insultant. Lord Voldemort n'a qu'une seule parole. »

« Une seule parole qui change souvent. » remarqua-t-il. « Je veux que vous juriez pour que tout le monde sache, si vous mentez, que le descendant de Salazar Serpentard n'est qu'un parjure. »

Un peu de flatterie ne ferait pas mal, décida-t-il. Voldemort aimait toujours se targuer de ses origines, après tout.

« Je jure de te donner Severus en échange de la Carte, sans intervenir. » promit le mage noir, ses yeux rouges pétillant d'amusement.

Lucius émit un bruit qui aurait pu passer pour un raclement de gorge.

Harry n'avait pas besoin de ses conseils. « Vous ou aucun autre de vos Mangemorts. »

« Ton père t'a repris en main, je vois. » se moqua Voldemort. « Un parfait petit Serpentard. » Harry leva un sourcil, laissant un rictus arrogant jouer sur ses lèvres jusqu'à ce que le mage noir incline la tête en signe de reddition amusée. « Très bien. Personne n'interviendra, tu as ma parole. Procédons, veux-tu ? »

Il ne se passa rien de visible, le mage noir ne lança aucun message évident, mais, dans la seconde qui suivit, Pettigrow apparut, tenant le bras de Severus qui flottait dans les airs sur le dos, les yeux clos. Il ne portait plus qu'un pantalon et des plaies s'ouvraient sur son torse, saignant abondamment. Il était si immobile, avait l'air si…

Harry ne pouvait pas voir si sa poitrine se soulevait.

« Il est vivant ? » demanda-t-il, faisant un pas en avant.

« Tu n'as jamais précisé que c'était une de tes conditions. » s'amusa Voldemort.

Le Survivant leva vers lui un regard noir, alors que sa magie enflait à nouveau – sans son approbation cette fois.

Le mage noir vit-il la promesse de mort dans son regard ?

« Il est vivant, à défaut d'être en bon état. » lâcha Voldemort. « Considère que c'est une faveur de ma part. »

Il devait le croire sur parole.

« Dobby. » appela-t-il doucement. Pas suffisamment doucement pour que Lucius ne se retourne pas brusquement avec un agacement évident.

L'elfe apparut dans un craquement, l'expression méfiante, la main en l'air, prêt à claquer des doigts… Il jeta un coup d'œil suppliant à Harry dont les traits ne varièrent pas d'un iota. Comme Voldemort, il avait endossé une expression vaguement ennuyée. Contrairement à lui, ce n'était qu'une façade au travers de laquelle tout le monde voyait clair.

La Carte des Maraudeurs flottait dans les airs derrière Dobby qui s'avança lentement.

Pettigrow l'imitait pas à pas.

Finalement, ils se rencontrèrent à mi-chemin des deux camps.

L'ancien Maraudeur tendit la main vers la Carte alors que Dobby se jeta sur Severus et disparut dans un craquement.

Harry s'autorisa finalement à respirer.

C'était terminé.

« Tom ? » s'enquit-il tranquillement. « Je n'ai rien juré, moi. »

S'il y avait un seul sort qu'il maîtrisait de façon non verbale, c'était incendio.

La Carte s'enflamma brusquement entre les mains de Pettigrow, si fort et si brusquement qu'il ne put que la lâcher avec un cri.

Voldemort soupira, apparemment plus déçu que surpris. « Je suppose que c'est une bonne chose que Severus n'ait plus rien à envier à un légume, dans ce cas. Je me sentais un peu coupable de ne te rendre qu'une coquille vide. »

Harry pivota de manière à avoir les quatre Mangemorts et Voldemort dans son champ de vision.

Il n'avait aucune chance d'en réchapper et il le savait mais ça ne voulait pas dire qu'il comptait se laisser tuer sans résister. James et Lily s'étaient battus jusqu'au bout, il ferait de même.

Et Severus…

Voldemort mentait.

Severus s'en sortirait.

Pomfresh faisait des miracles.

Severus s'en sortirait pour le maudire de s'être sacrifié à sa place.

« Un duel. » cracha-t-il. « Vous et moi. »

Voldemort laissa échapper un bruit amusé. « Parce que tu as prouvé que tu honorais tes engagements ? Crois-tu que tu mérites mon attention ? »

La prophétie disait qu'il devait mourir de sa main mais comment l'horcruxe serait-il détruit sans venin de basilic ou Feudeymon ? Cela suffirait-il qu'il meure vu qu'il était un vaisseau vivant ?

« Bellatrix. » ordonna froidement le mage noir.

Harry n'eut que le temps de se tourner vers elle, une batterie de sorts de bouclier déjà en place. Son maléfice explosa la première couche et vint s'écraser sur la seconde. Déjà, un sort de découpe fusait de la baguette de MacNair, il dût rouler au sol pour l'esquiver. Celui de Pettigrow passa si loin de lui que ça en était risible. Si Lucius se donna la peine de lever sa baguette, le sortilège dût être stoppé par ses boucliers…

Il riposta sans réfléchir avec un sort d'entrave en direction de MacNair que l'homme évita d'une torsion des épaules avant de répliquer d'un Doloris qui passa à travers ses boucliers comme dans du beurre.

L'adolescent se retrouva sur le dos, à hurler face à la douleur qui brûlait chaque centimètre carré de ses nerfs…

Lorsque le maléfice s'interrompit, il avala l'air à grandes inspirations, les membres toujours tremblants. Ses doigts cherchant déjà à tâtons la hampe de sa baguette. Le soulagement lorsqu'ils se refermèrent sur le bois familier n'était pas aussi intense qu'il l'aurait souhaité. Son corps lui donnait l'effet d'être en feu.

« Voilà qui n'était guère impressionnant. » se moqua Voldemort. « Veux-tu réessayer, Harry, ou bien préfères-tu te rendre ? »

Harry aurait préféré lui jeter un sort de mort en plein dans sa face de serpent, à vrai dire, mais sa bouche avait le goût métallique du sang et il pressentait qu'il valait mieux garder ses forces pour quelque chose d'important plutôt que pour des insultes.

« Obscuro Totalum. » lança-t-il, roulant sur le côté, chacun de ses muscles hurlant leurs protestations, et repassant sur ses pieds.

Les Mangemorts lâchèrent des bruits surpris, voire alarmés, alors qu'une obscurité si complète qu'elle en était pesante s'abattait sur le cimetière.

Il n'avait pas choisi de se positionner près de l'énorme tombe des Jedusor uniquement pour l'effet qu'elle produisait. Sa transformation animagus était toujours incomplète mais, boostée par l'adrénaline, elle fût beaucoup plus fluide que d'ordinaire et ses yeux de félin percèrent l'obscurité avec facilité. Ses oreilles de tigre plaquées contre son crâne, son bras gauche un poids mort malgré les muscles et les griffes, il se traina derrière le haut socle alors même que les autres tâchaient encore de comprendre ce qu'il s'était passé.

Quitte à être aveugle, il redevint entièrement humain au moment où il fût à l'abri, se souvenant trop bien de l'entraînement avec Severus où il avait tenté de se servir de sa forme animale incomplète.

« Oh, Harry, tu me déçois vraiment… » se lamenta le mage noir. « Je pensais avoir un jeune homme devant moi et te revoilà en train de te cacher comme un enfant. »

L'adolescent ne commit pas l'erreur de répondre et de trahir sa position.

S'il parvenait à…

Ses boucliers mentaux glissèrent de sa prise trop ferme et volèrent en éclat.

Non, non, non, pas maintenant…

Il tenta de les redresser avant que…

L'avalanche d'émotions le laissa plus tremblant et désespéré que l'endoloris. La panique était intense, supplantant tout le reste, et tout ce qu'il pouvait faire était haleter la bouche ouverte pour faire le moins de bruit possible.

À l'aveugle, il fouilla dans sa poche intérieure pour trouver le nécessaire à potions d'urgence que Severus lui avait donné en soixante-quinze. Il pouvait à peine réfléchir, était vaguement conscient que les Mangemorts tentaient de conjurer le sort à coups de lumos et d'autres variantes… Il ne faudrait pas longtemps avant que…

Ses doigts retracèrent la forme des fioles, cherchant d'abord celle arrondie de la potion calmante qu'il descendit sans attendre. L'effet ne fût pas aussi immédiat ou efficace qu'il l'aurait souhaité mais son rythme cardiaque ralentit quelque peu.

Cela n'empêcha pas la terreur, le désespoir, le chagrin, la cascade d'émotions négatives qui se fracassait contre son esprit…

Il trouva la seconde fiole, plus petite, avec le bouchon ciselé…

Il avala le philtre de force sans se préoccuper du fait que c'était mal avisé de le coupler à une potion calmante.

S'il pouvait juste cesser de paniquer et réfléchir pendant quelques secondes…

Il y eut une série très audible de craquements par-dessus les tentatives des Mangemorts. De nouveaux sorciers venaient de transplanner.

Harry n'avait pas pu compter.

Deux ou trois ?

Davantage de Mangemorts qui…

Le feulement n'avait rien d'humain et Bellatrix hurla de douleur dans la seconde qui suivit.

« Harry ?! » appela la voix familière de Remus Lupin.

Celle de Dumbledore lança un sort qui aurait éclairé le plus sombre des cachots, en temps normal, sauf que… Rien ne pouvait percer le sort qu'Harry avait inventé.

« Lumière ! » hurla la voix de Lucius par-dessus la cohue.

Pour lui, déduisit Harry, le cœur battant.

« Vide Totalum. » murmura-t-il.

Les ténèbres s'estompèrent lentement. Prenant son courage à deux mains, faisant un effort pour maîtriser sa panique, conscient que des larmes de fatigue et d'un trop plein d'émotions coulaient sur ses joues, il passa la tête par-dessus le socle juste pour s'assurer que…

Dumbledore avait engagé le combat avec Voldemort.

Remus se battait contre MacNair et Pettigrow.

Nyssandra avait laissé une plaie béante à la gorge de Bellatrix qui pressait une main ensanglantée contre son cou mais ne paraissait pas moins déterminée à toucher la vampire d'un incendio que cette dernière évitait avec agilité sans pourtant parvenir à briser la garde de la sorcière. Lucius était venu prêter main forte à sa belle sœur mais sans grande conviction apparente.

Le petit contingent de l'Ordre n'aurait pas dû être là.

Dumbledore n'aurait pas dû être là.

Harry était censé mourir.

Dumbledore le savait.

Pourquoi…

Il vit le sort de Pettigrow fuser bas, comprit en une demi-seconde que Remus ne parviendrait pas à le bloquer à temps et bondit de sa cachette, arrêtant le maléfice d'un bouclier et venant automatiquement se ranger à côté de son ancien Professeur.

Le soulagement sur le visage du loup-garou était impossible à manquer.

« Tu n'as rien ? » parvint à demander Remus, entre deux sortilèges.

Un peu effrayé que ses cordes vocales ne le trahissent s'il essayait de les utiliser pour autre chose qu'une formule, Harry se contenta de secouer la tête.

Pettigrow et MacNair se déplacèrent pour les prendre en tenailles.

Remus marmonna un juron. « Dos à dos. Je défends, tu attaques. »

Avec une terrible sensation de déjà-vu, l'adolescent s'exécuta.

Un coup d'œil confirma que Nyssa, malgré toute sa détermination, peinait.

Quant à Dumbledore, Harry n'avait jamais vu autant de haine sur son visage, il avait l'air déterminé à blesser le mage noir à défaut de le tuer. Même Voldemort paraissait alarmé.

Ils devaient sortir d'ici.

Harry ne le supporterait pas si quelqu'un d'autre mourrait à cause de lui.

°O°O°O°O°

Sirius poussa un grognement de douleur au moment précis où il se réveilla.

Son estomac le brûlait, ses muscles étaient crispés et sa tête lui donnait l'impression d'avoir été piétinée par un hippogriffe furieux. Et c'était sans mentionner sa cheville ou les blessures récemment refermées sur son torse.

« Sirius ? »

Il papillonna plusieurs fois des paupières avant de parvenir à apercevoir le visage de Ron penché au-dessus de lui.

Ron.

Pourquoi Ron était-il là ? La dernière chose dont il se souvenait était d'avoir parlé avec Draco dans ses appartements, puis Nyssa était passée, et ensuite…

Oh, ce petit serpent…

S'il n'était pas trop occupé à le maudire, lui, il espérait que James était fier de son fils, là où il était. Harry avait réussi à duper un Maraudeur.

Et s'il survivait, Sirius allait le tuer.

Sans plus hésiter ou tergiverser, il attrapa l'épaule du cinquième année et, sans se préoccuper de la douleur, s'en servit pour se hisser en position assise. « Harry… »

« On sait. » l'interrompit rapidement le gamin, en posant une main sur son dos comme pour l'empêcher de retomber sur le lit – humiliant mais pas si inutile.

« Ils sont partis à sa poursuite ? » demanda-t-il, balançant ses jambes hors du lit. « Il y a combien de temps ? Où ? »

« Je ne sais pas. » admit Ron. « Draco a dit que Remus avait les choses en mains. »

Remus.

Il respira un peu plus facilement.

Il ne faisait aucune confiance à Dumbledore pour aller chercher Harry mais Remus ne laisserait jamais le fils de James en danger. Surtout pas étant donné qu'il considérait le gamin comme un membre de sa meute.

Sirius se mit debout.

Ron raffermit la prise qu'il avait sur lui alors qu'il chancelait. « Ouh là, tu es sûr que… »

« Sûr que je veux retrouver mon crétin de filleul et lui mettre un bon coup de pied au cul ? Oh oui, je suis sûr. » siffla-t-il.

Après quelques pas, il parvint à se tenir debout sans l'aide de l'adolescent qui demeura pourtant sur ses talons avec un air inquiet.

S'ils étaient déjà partis, ils ne savaient pas par où commencer à les chercher mais…

Draco.

Draco en savait apparemment davantage.

Il avait à peine atteint la partie centrale de l'infirmerie lorsque Pomfresh lui tomba dessus. Son mécontentement visible ne cachait pas son épuisement.

« Et où pensez-vous aller comme ça ? » l'interpella-t-elle, son regard dérivant jusqu'à Ron. « Je pensais pouvoir vous faire confiance pour le surveiller, Mr Weasley. » Elle agita la main en direction de l'annexe. « Au lit, Professeur Black. Je suis sérieuse. »

« Moi aussi, je suis sérieux. » rétorqua-t-il. « Harry est en danger et… »

Avant qu'il ait pu terminer sa phrase, il y eut un craquement et, au centre de l'infirmerie, attirant tous les regards de ceux qui n'étaient pas encore endormis, apparurent l'elfe à chaussettes et Severus.

« Putain de merde ! » cracha-t-il, avant de se précipiter en direction de son ami.

Il l'avait fait.

Harry l'avait fait.

Severus était inconscient, à moitié nu, saignait de partout mais son torse se soulevait régulièrement. Sirius se tourna donc vers l'elfe. « Où est Harry ? »

« Harry Potter a ordonné à Dobby de ne pas le dire. » marmonna l'elfe, ses gros yeux se remplissant de larmes. « Harry Potter a dit que Dobby serait un mauvais elfe s'il le disait au Professeur Black… »

« Écoute-moi bien. » gronda-t-il. « Je me fous parfaitement que tu ais à te couper une oreille ou deux pour avoir désobéi, tu vas m'emmener là où est Harry. Tout de suite ! »

« Sirius ! » protesta Ron, en s'agenouillant à côté de Dobby. « Ne l'écoute pas. Je t'interdis de te faire du mal. Harry ne voudrait pas ça. Et Harry n'est pas ton maître de toute manière. »

L'elfe tremblait, indécis, et…

« Sirius ! » appela l'infirmière, le distrayant momentanément.

Elle avait fait apparaître un lit près du mur et y avait posé Severus mais elle s'accrochait à présent à la pierre, sa baguette coincée entre sa paume et les briques, sa main libre posée sur sa propre poitrine.

Avec un nouveau juron, il se précipita à ses côtés, l'atteignant juste à temps pour la rattraper.

« Madame Pomfresh ? » s'inquiéta-t-il. Ses paupières papillonnaient et elle ne semblait pas capable de répondre. Il avisa les robes vertes d'un Médicomage un peu plus loin et éleva la voix. « J'ai besoin d'aide ! »

L'homme n'était autre que celui qui avait examiné Draco. Pas son premier choix, vu le piètre travail qu'il avait fait sur le garçon, mais lorsqu'on n'avait pas d'autres options…

Le Médicomage ne semblait pas savoir sur qui se pencher en premier : Severus qui continuait à saigner partout, Pomfresh qui paraissait sur le point de perdre connaissance, ou lui qui avait probablement l'air d'un revenant. Au final, il agita sa baguette autour de l'infirmière avec une moue agacée.

« Je lui ai pourtant dit qu'elle avait besoin de repos. » grommela l'homme. « Elle est épuisée mais elle n'a rien de grave. Portez-la jusqu'à son bureau, voulez-vous ? »

C'était plus vite dit que fait mais il laissa le Médicomage se tourner vers le Maître des Potions et soutint la sorcière jusqu'à son bureau, comptant mentalement chaque seconde loin d'Harry. Il l'installa sur son fauteuil, le transforma en lit, s'assura qu'elle était à l'aise puis revint en courant là où il avait laissé Dobby et Ron.

« Dobby va nous emmener. » déclara l'adolescent.

Sirius refusa tout net. « Reste ici et veille sur Severus. »

Il ne serait pas la raison pour laquelle Molly Weasley allait perdre un autre enfant.

Certainement pas.

°O°O°O°O°

Lucius avait la sensation dérangeante que la situation était en train de leur échapper.

Le plan avait été très simple, pourtant.

À la seconde où Dumbledore sentirait Severus passer les protections de Poudlard, lui et le reste de l'Ordre débouleraient à la rescousse. Certes, le Directeur n'avait jamais précisé que le reste de l'Ordre consistait simplement d'un loup-garou et d'une vampire mais il s'était simplement s'agit d'attraper le gosse et de transplanner pas d'engager le combat.

Si Potter n'avait pas jeté ce sort…

La vampire n'avait aucune chance d'atteindre Bella. Elle l'avait prise par surprise une fois, certainement parce que l'obscurité ne la gênait pas, mais elle ne réitèrerait pas l'exploit. Dumbledore paraissait déterminé à faire payer Voldemort pour quelque affront qu'il n'avait pas jugé bon de lui révéler auparavant – les sortilèges que le vieux sorciers lançaient sans discontinuer n'étaient peut-être pas des Impardonnables mais ils n'étaient certainement pas légaux et encore moins bénins. Il identifia au moins une invention de Grindelwald dans le tas ironique comme le grand Directeur s'abaissait à utiliser la magie noire de son plus célèbre ennemi lorsque cela lui était utile. Quant au loup… Lui et Potter affrontaient MacNair et Pettigrow et parvenaient à les maintenir à distance sans difficultés apparentes mais pour combien de temps ?

Lucius dansait en périphérie du combat, en faisant juste assez pour qu'on ne lui reproche pas plus tard de ne pas avoir participé.

Il accrocha le regard légèrement paniqué de Potter, lança sur lui un diffindo que le garçon dévia sans difficulté vers le rat qui glapit de douleur…

Oups, songea Lucius avec jubilation.

« Impero ! » hurla MacNair.

Lupin fût agité d'un sursaut lorsque le sort le cueillit à l'épaule et, s'il combattit le sort pendant quelques secondes, il ne tarda pas à se tourner vers Potter, le regard vide.

Le gamin eut la présence d'esprit de s'écarter, les yeux verts lançant des éclairs au Mangemort par-dessus l'épaule du loup-garou, mais sans baisser sa garde ou oublier Pettigrow qui avait momentanément cessé ses attaques pour panser ses plaies.

Dans un moment de sentimentalisme, Lucius se dit qu'en d'autres temps et circonstances, il aurait pu apprécier l'adolescent. Il aurait même pu, peut-être, se laisser persuader de lui apprendre comment gérer un domaine ou les responsabilités qui allaient de pair avec la charge de Chef de famille. Par certains côtés, le garçon lui rappelait Draco : la soif de se prouver, sa dévotion à sa famille, la détermination farouche qui l'animait, l'assurance…

Puis un craquement retentit et son ancien elfe de maison, ridicule avec ses chaussettes bariolées, revint avec Sirius Black qui ne perdit pas une seconde avant de se lancer dans le combat.

« Remus est sous Imperium ! » l'avertit immédiatement Potter, esquivant un des sortilèges du loup-garou.

Black laissa place à un chien noir qui se jeta sur son meilleur ami.

Potter ne cilla même pas avant de lancer un sectumsempra en direction de MacNair qui plongea pour éviter le pire. Le maléfice le heurta à la jambe et le laissa au sol, hurlant de douleur, tentant d'endiguer l'hémorragie des deux mains…

L'Imperium fût brisé dans la seconde mais Lupin n'eut pas le temps de se relever, à peine celui de crier un avertissement.

Pettigrow s'était remis et venait de lancer un sortilège violacé qui n'augurait rien de bon.

La scène semblait se dérouler comme au ralenti.

Le rat avait visé Black mais Potter se jeta sur le chemin pour faire barrage de son corps.

Dobby hurla d'horreur et apparut juste devant lui…

Il aurait probablement pris le sort à sa place.

Probablement.

Ce qui fit rager Lucius.

Parce que dans un réflexe idiot qu'il ne s'expliquait qu'à peine et qui avait davantage à voir avec le fait que Draco ne veuille pas d'un lâche pour père qu'avec un quelconque accès de sensiblerie, Lucius avait déjà bougé, avait déjà poussé le Survivant – et l'elfe accroché à lui – hors de la trajectoire du sort.

Le maléfice le toucha au creux des reins.

Pendant une fraction de seconde, il ne se passa rien et il eut le temps de se dire que Pettigrow était un incapable, de toute manière, et que…

Puis la douleur se répandit dans tout son corps, insidieuse, latente, à peine là… avant d'éclater.

Par les couilles de Merlin !

Il serra les dents pour ne pas hurler.

Il serra les dents mais il ne pouvait plus bouger, ne pouvait plus réfléchir, ne pouvait plus…

« Prends Harry et transplanne ! » hurla Black. « Nyssa ! On bouge ! »

« Albus ! » cria Lupin en réponse.

« Non, attendez ! » intervint Potter. La seconde suivante, des mains agrippaient son épaule, lui arrachant un grognement de douleur. Il avait beau respirer entre ses dents serrées, la douleur était… « On l'emmène avec nous ! »

« Harry… » hésita Lupin.

« C'était un espion. Il m'a sauvé. On l'emmène. » rétorqua le gamin, d'un ton qui ne souffrait pas la contradiction.

C'était généreux, songea Lucius, Dumbledore l'aurait sans doute laissé pour mort.

Le loup-garou ne discuta pas davantage.

Le transplannage d'escorte lui fit l'effet de millions de couteaux plantés dans son corps.

Il aperçut la silhouette du château se dessiner au-dessus d'eux, au loin…

Puis il perdit connaissance.

°O°O°O°O°

Harry haletait, la tête à l'envers, le corps vibrant du philtre de force mais pourtant épuisé jusqu'au tout dernier de ses muscles. Hyper-vigilent, il parcourut les alentours du regard, aperçut les grilles, les hauteurs du château qui projetaient leur ombre sur eux… Il baissa les yeux vers Lucius, vit qu'il était inconscient, essaya de le secouer pour le réveiller…

« Qu'est-ce que c'était ? » paniqua-t-il. « Le sort qui l'a touché ? Qu'est-ce que c'était ? »

« Je ne sais pas. » admit Remus, en posant une main sur son épaule. « Ramenons-le au château et… »

Une série de craquements plus tard, Dobby apparut tenant la vampire d'une main et Sirius de l'autre, suivi par Dumbledore.

Harry était le point de mire de tous les regards mais ce fût celui du Directeur qu'il chercha. « Severus ? »

« À l'infirmerie. » répondit rapidement Dumbledore. « Vivant, de cela je suis certain, mais j'ignore dans quel état. »

« Je vais te tuer. » gronda Sirius, en faisant plusieurs pas menaçants vers lui, poussant Harry à ramper en arrière par réflexe jusqu'à parvenir à passer sur ses pieds, baguette tremblante levée pour se défendre. Son parrain s'immobilisa, un éclat blessé passa dans son regard mais fût bien vite remplacé par la fureur qui ne semblait pas l'avoir quitté depuis que le Gryffondor avait désobéi à ses ordres pendant la bataille. « Tu es puni. » cracha-t-il. « Tu es puni de tout. Jusqu'à, au moins, tes cinquante ans ! »

Remus leva un sourcil légèrement amusé mais fit la grimace. « Si on tient vraiment à le sauver, il vaudrait mieux que Malfoy voit un Médicomage rapidement. Je ne sais pas ce qui l'a touché mais mes sorts de diagnostics s'affolent. »

Dumbledore prit la place du loup pour jeter ses propres sorts de diagnostic, laissant à Remus le temps de jeter un regard sévère à l'adolescent. « Sirius a raison, tu sais. C'était irresponsable. J'attendais mieux de toi et je suis sûr que Severus aussi. »

Cela fit mal.

Évidemment que cela lui fit mal.

Mais il refusait de s'excuser pour quelque chose qu'il ne regrettait pas.

Qu'auraient-ils faits eux ? Rien du tout. Ils auraient laissé Severus mourir en lamentant sa perte. Hypocrites. Ils l'auraient fait pour James ou Peter, à l'époque. Ils l'auraient fait l'un pour l'autre. James l'aurait fait sans ciller pour n'importe lequel d'entre eux. Était-ce si étonnant qu'il soit le digne fils de son père, au final ? Il comprenait qu'ils soient en colère mais pourquoi lui reprocher d'avoir fait ce que eux auraient pu risquer dans un autre contexte ?

Il baissa la tête et suivit le cortège peu triomphant alors qu'ils s'engageaient sur le chemin qui menait vers le château. Il ne regardait pas où il allait, il se concentrait sur le chemin boueux juste devant ses pieds, trop conscient que si Sirius trainait derrière lui ce n'était pas tant pour échanger à voix basse avec la vampire que parce qu'il ne lui faisait pas confiance. Où son parrain pensait-il qu'il voudrait aller, à présent ? Il n'était pas si pressé de mourir. Il y avait une différence entre accepter son sort et le désirer. Mais ça, personne ne le comprenait, pas même Severus.

Il n'arrêtait pas d'essuyer d'un revers de manche les larmes qui coulaient de ses joues.

Il ne savait même pas pourquoi il pleurait et il fit un effort pour se maîtriser mais l'Occlumencie se dérobait à lui. Il y avait un trop plein. Trop plein d'émotions, trop plein de craintes, trop plein de… Ses yeux débordaient.

Il sentit plus qu'il ne vit Dumbledore ralentir pour marcher à ses côtés et ne protesta pas la main réconfortante que le vieux sorcier plaça entre ses omoplates.

« Pour ce que cela vaut, personnellement, je t'ai trouvé très courageux. » offrit le Directeur, en lui frottant le dos. « Le plan était parfait, si ce n'est pour ta détermination à ne pas en réchapper. »

« Je ne pensais pas que vous viendriez. » avoua-t-il dans un murmure. « Je pensais… »

« Il y a un temps pour tout, Harry. » le coupa gentiment Dumbledore. « Et il ne sert à rien de précipiter les choses. »

N'était-ce pas pire, cependant, en un sens, d'attendre sans savoir combien de temps alors qu'il avait été prêt à en finir ?

« Albus ! Il ne respire plus ! » s'écria soudain Remus, en immobilisant la civière qui lévitait à côté de lui.

°O°O°O°O°

Draco s'était endormi, la tête appuyée contre la pierre granuleuse de la rambarde, mais Hermione ne parvenait pas à en faire de même. Blottie contre son flanc, elle gardait le regard fixé sur le tournant du chemin en contrebas, espérant de tous ses vœux qu'Harry survivrait à cette nuit.

Elle n'avait plus de larmes à donner pour Percy ou Daphné ou aucun des autres.

Elle était épuisée, vidée, pas par l'ardeur des combats mais par le contrecoup émotionnel de la bataille.

Son cœur lui faisait mal. Pour Ron et le reste des Weasley, pour Draco, pour Harry…

Elle était consciente d'avoir été chanceuse, de s'en être sortie sans trop de casse… Mais cela la faisait aussi se sentir coupable parce que…

Son regard accrocha les silhouettes sombres qui avançaient dans l'ombre.

« Draco ! » s'exclama-t-elle, en se redressant brusquement. Il s'éveilla dans un sursaut alarmé, tirant sa baguette avant même d'avoir complètement ouvert les yeux. Elle attrapa son bras avant qu'il ait pu viser quoi que ce soit ou lancer un sort par réflexe. « Regarde ! »

Il fallut quelques secondes avant qu'il ne soit tout à fait lucide, elle le vit bien. Il la dévisagea longtemps avant de ciller plusieurs fois et de suivre la direction de son doigt pointé.

Ses épaules s'affaissèrent de soulagement. « Tu vois, Potter a un don certain pour survivre aux pires situations. »

Elle fit le compte des silhouettes plus ou moins familières. Celle d'Harry, plus petite que les autres, était impossible à confondre. De même celles de Dumbledore et de Sirius se distinguaient… Il y avait une femme avec eux qu'Hermione pensait avoir rencontrée au Ministère lors de la Nuit des Ténèbres et le dernier… Remus, c'était Remus.

Elle respira plus librement.

« La civière… » remarqua-t-elle, en se levant pour mieux voir. « Tu penses que c'est Snape ? Tu crois qu'il est vivant ? »

Juste à ce moment là, il sembla y avoir un moment de panique dans le groupe qui revenait vers le château. Dumbledore et Sirius se précipitèrent vers la civière à côté de laquelle Remus s'était agenouillé, laissant la femme poser deux mains réconfortantes sur les épaules d'Harry…

Ce fût également le moment où les nuages s'écartèrent légèrement, laissant un rayon de lune frapper le parc…

… et se refléter sur les cheveux d'un blond presque blanc du sorcier couché sur la civière.

Draco passa sur ses pieds en une seconde, le teint pâle. « C'est mon père. »

Fatigue et résolutions oubliées, il détala en direction de l'intérieur du château.

Hermione ne put rien faire d'autre que de suivre.

°O°O°O°O°

Remus ne put nier un certain soulagement lorsque Dumbledore parvint, à coups de plusieurs anapneo agressifs, à faire repartir le cœur du Mangemort.

Ce n'était pas tant qu'il tenait à Lucius Malfoy qu'il avait vu assez de morts pour la journée.

Le Directeur prit le contrôle de la civière, pressa le pas vers le château, encourageant les autres à en faire de même… Harry, sans paraître contrôler les larmes qui ruisselaient sur ses joues, courut presque pour le dépasser, probablement impatient d'aller retrouver son père adoptif. Sirius l'accompagna après un baiser rapide pour Nyssa qui fila vers le parc pour faire un dernier tour de ronde avant l'aube.

Aucun d'eux ne s'aperçut que Remus était resté en arrière.

Aucun d'eux ne s'aperçut qu'il s'immobilisa dans l'ombre des grandes portes d'entrée fraichement réparées.

Une fois qu'ils eurent disparu dans les étages, l'école redevint calme, paisible dans le silence nocturne. Il aurait presque été possible de penser que c'était un soir comme un autre, d'oublier que trop de corps gisaient couchés à quelques pas de là dans la Grande Salle.

Il tourna la tête vers le ciel, laissa le croissant de lune caresser son visage.

Lunard se secoua en lui, toujours perturbé par la sensation de l'Imperium leur ayant volé pensées et volonté.

Remus s'humecta les lèvres, prit une profonde respiration, rassembla à lui les souvenirs de nuits passées enlacés, d'un parfum discret mais qui menaçait de le jeter à genoux à chaque fois qu'il le sentait, d'un rire avide qui éclatait à une plaisanterie pas si drôle, au murmure de son nom comme une caresse…

« Spero Patronum. »

°O°O°O°O°

Pour ce qui semblait être la centième fois ce jour là, la situation échappa à Sirius.

À la seconde où ils passèrent les portes de l'infirmerie, tout partit à vau l'eau.

Severus était toujours là où il l'avait laissé, le Médicomage était toujours en train de s'agiter autour de lui, et Harry, en l'apercevant, se jeta presque sur lui, à peine stoppé par le ton docte du soigneur qui lui enjoignit de ne pas le déranger dans son travail. Ron le retint en arrière, lui parlant à voix basse…

Mais Sirius fût distrait de cette scène par la présence de son cousin qui, lui, se serait jeté sur la civière qui transportait son père si Hermione ne l'avait pas agrippé et convaincu de ne pas bloquer le chemin…

« Qu'est-ce qu'il a ? » paniqua Draco. « Que s'est-il passé ? »

Sirius était dépassé.

Dumbledore appelait après Pomfresh – qui ne risquait pas de lui répondre – tout en guidant la civière vers une annexe encore pratiquement vide. Draco voulait des réponses. Hermione le regardait, à lui, avec de grands yeux comme si elle espérait qu'il allait l'aider à rassurer le Serpentard. Remus avait disparu. Harry paraissait au bord de la rupture…

Putain, il avait tellement besoin d'un cigarette.

°O°O°O°O°

Ce fût l'éclat argenté qui la tira de sa torpeur qui n'était pas tout à fait un véritable sommeil.

De guerre lasse, Nymphadora avait obéi à son père et s'était allongée sur le canapé, la tête appuyée sur sa cuisse comme quand elle était encore une petite-fille. Quelqu'un l'avait tendrement enveloppée d'une couverture. Andromeda sans doute.

Ted dormait, la tête tombée en arrière sur le dossier du canapé, à un angle qui ne manquerait pas de lui faire mal au réveil. De la cuisine, elle entendait des bruits de voix chuchotées. Narcissa avait dû se relever pour une raison ou une autre et il était évident que sa mère n'était jamais allée se coucher.

Tonks fixa le loup argenté du regard sans parvenir à ressentir autre chose que de l'appréhension et de la tristesse, devinant quel message le Patronus avait pour elle.

« Severus est à Poudlard. Vivant mais dans un état indéterminé. » offrit la voix de Remus, après un moment de silence. « Dora… Au revoir. »

Il lui fallut plusieurs secondes pour comprendre ce que les mots voulaient dire, pour admettre que la teneur du message était absolument le contraire de ce à quoi elle s'attendait.

L'espoir.

L'espoir la cueillit au cœur et elle repoussa la couverture, se remettant debout d'un coup, en oubliant que son corps avait dépassé ses limites. Le tournis la poussa à se rattraper à un fauteuil…

« Qu'est-ce qu'il se passe ? » demanda Ted, d'un ton endormi, en se réveillant dans un sursaut.

Prenant une grande inspiration, ignorant le vertige qui n'allait pas manquer d'en résulter, elle se redressa à nouveau. « Remus a envoyé un Patronus. Severus est à Poudlard. Vivant. »

Son père ne parut pas feindre son soulagement. Dans la seconde, il s'était extirpé du canapé et lui avait attrapé le coude. « Je sais que tu veux t'y précipiter mais laisse-moi, au moins, aller te chercher un pantalon. »

Elle voulut protester cette perte de temps, baissa les yeux sur le pyjama fané et trop court pour être porté ailleurs qu'en famille, et grimaça. « D'accord mais vite. »

« Aussi vite que possible. » promit Ted. « Andy ! »

Sa mère apparut dans la pièce si vite qu'elle la soupçonna d'avoir transplanné. Narcissa suivit à un pas moins pressé, une main protectrice toujours posée sur son ventre.

Avant qu'ils aient pu leur expliquer que la situation avait changé, un autre Patronus débarqua dans le salon dans une trainée argentée. Le phoenix n'était pas aussi corporel qu'à l'accoutumée mais Tonks aurait eu du mal à reprocher à Dumbledore de peiner à rassembler des souvenirs heureux, ce jour là.

« Andromeda, j'ai besoin de vous immédiatement. » ordonna le Directeur. « Lucius Malfoy est gravement blessé. »

Le bruit qui échappa à Narcissa était celui d'une bête apeurée.

La Sang-Pure se maîtrisa dans la seconde mais Nymphadora ressentit une empathie instantanée et viscérale pour elle.

« Je t'accompagne. » déclara immédiatement sa tante, d'un ton qui ne souffrait pas de discussion.

« Tu n'es pas en état de transplanner. » protesta Andromeda. « Ce n'est pas raisonnable. »

Narcissa ne voulait rien entendre. À peine consentit-elle à aller passer rapidement une tenue un peu plus adaptée que sa chemise de nuit et sa robe de chambre.

Nymphadora la comprenait très bien. Le temps gaspillé à enfiler un pantalon et un sweater par-dessus son tee-shirt lui sembla tout autant de minutes gâchées pendant lesquelles Severus aurait pu l'abandonner à nouveau.

Mais discuter aurait pris davantage de temps encore et elle n'était pas en état de transplanner jusqu'aux grilles de Poudlard seule. Elle avait besoin que quelqu'un l'emmène. Alors elle se tut, s'exécuta rapidement et les supplia mentalement, tous, d'accélérer le mouvement.

Elle ne savait peut-être pas trop quoi penser du revirement de situation impliquant sa mère et sa tante mais, durant ces longues minutes où elles attendirent toutes les deux le bon vouloir de Ted et Andromeda, quelque chose passa entre elles et Nymphadora se surprit à lui adresser un sourire réconfortant qui avait l'air un peu trop faux. Peut-être qu'elles n'avaient pas toujours été du même côté mais l'amour n'avait pas de bord politique.

Et, si elle était certaine d'une chose, c'était que Narcissa aimait Lucius au moins autant qu'elle aimait Severus.

Et c'était sans parler de Draco qui les liait déjà, que Tonks le veuille ou non.

Le temps qu'Andromeda ne la prenne dans ses bras pour amortir autant que possible les effets déplaisants du transplannage d'escorte, Nymphadora avait déjà capitulé dans son esprit.

Tante Narcissa était une réalité avec laquelle elle allait devoir composer désormais.

°O°O°O°O°

Sirius retraçait les allées et venues de son cousin des yeux, sentant le poids des regards curieux de tous ceux qu'ils avaient réveillés avec leur remue-ménage. Autour du lit de Severus, Harry avait partiellement tiré un rideau pour lui offrir autant d'intimité que possible et avait laissé Ron l'entraîner un peu à l'écart pour laisser la place au Médicomage.

Draco refusait de s'assoir ou de se calmer.

Il faisait les cents pas devant la porte close de l'annexe dont les patients avaient été rapidement relocalisés par une Chourave apparemment dépassée par les évènements. Dumbledore s'était enfermé avec Malfoy et deux Médicomages…

Ça ne sentait pas bon.

Draco était dans un état de panique silencieuse qu'il n'avait aucune idée de comment gérer. Hermione avait renoncé à le convaincre de s'assoir ou de ne pas s'imaginer le pire avant de savoir ce qui se passait. Elle se tenait contre le mur, à le suivre des yeux avec angoisse, les mains nouées devant elle comme pour s'empêcher de chercher à l'attraper…

Lorsque la porte se rouvrit, il ne s'était pas passé assez longtemps pour que ce soit une bonne nouvelle.

Vu la dégradation rapide de l'état de Malfoy, Sirius doutait que Dumbledore et les Médicomages aient pu trouver une solution en une poignée de minutes.

Draco chercha immédiatement à passer derrière le Directeur mais, cette fois-ci, Sirius lui attrapa le bras et le retint, sentant qu'il valait mieux le préparer avant de le laisser voir…

« Sois patient, Draco, s'il te plaît. » lui enjoignit Dumbledore.

L'adolescent se figea et Sirius comprit pourquoi lorsqu'il aperçut ce qu'il se passait dans la pièce, par-dessus l'épaule du vieux sorcier. Les Médicomages s'agitaient, Lucius avait été partiellement déshabillé… Des sortilèges luisaient dans les airs… Il y avait une impression évidente d'urgence.

« Sirius. » reprit le Directeur, le forçant à détacher les yeux du triste spectacle. « Les Tonks sont aux grilles et je n'ai pas pu lier Nymphadora aux nouvelles protections. J'ai besoin d'Andromeda au plus vite, allez leur ouvrir, s'il vous plaît. »

Il hocha la tête sans chercher à discuter, attendant simplement que Dumbledore ait fermé la porte pour lâcher Draco. Le garçon ne semblait plus enclin à faire les cents pas. Il semblait frappé d'horreur.

Sirius lança un regard lourd de sens à Hermione qui grimaça mais l'attira doucement vers le mur contre lequel il s'affala sans résistance. Il s'attarda juste assez pour s'assurer qu'elle avait la situation en main puis se dirigea vers la sortie, stoppé dans sa course par Molly qui semblait hésiter dans l'allée.

« Qu'est-ce que je peux faire ? » demanda-t-elle, son regard passant de là où Draco était à présent accroupi en bas du mur à là où Harry se tenait, s'essuyant toujours régulièrement le visage de sa manche.

Où avait-il trouvé ces robes habillées d'ailleurs ?

Repoussant la question sans importance, l'Animagus la poussa gentiment vers les lits où la majorité de ses enfants dormaient encore. « Te reposer. »

« Je suis triste, pas malade. » grommela Molly.

Il n'avait pas voulu la vexer.

« Je sais, c'est juste qu'on a la situation en main. » mentit-il.

« Harry… » insista-t-elle.

« Je vais m'occuper de Harry. » l'interrompit-il, s'efforçant d'y mettre du tact. « Et Tonks est aux grilles. Elle va s'occuper de Draco. Tout va bien. On gère. »

Cela tenait davantage du vœu pieu qu'autre chose mais il dût projeter suffisamment d'assurance pour qu'elle ne persiste pas.

Ce fût Patmol qui détala dans le couloir de l'infirmerie, la patte arrière tout aussi douloureuse que sa cheville l'était – et l'escarmouche dans le cimetière n'avait rien arrangé. Il était plus rapide sous cette forme et il atteignit les grilles en un temps record.

Les grilles où quatre silhouettes attendaient.

Il reprit forme humaine à quelques mètres du portail, trébuchant presque lorsqu'il identifia la quatrième personne.

Il n'avait d'yeux que pour elle.

Il remarqua à peine Ted qui soutenait sa fille ou Andromeda qui piétinait sur place.

Il ne voyait que le visage pâle de Narcissa. Des mèches blondes dépassaient du capuchon de la cape noire qui la couvrait jusqu'aux pieds. Et ses yeux gris… Ses yeux gris accrochèrent les siens et Sirius cessa de respirer.

L'instant était hors du temps.

Il avait trente-six ans.

Il en avait treize.

Il en avait huit.

Elle avait vieilli depuis la dernière fois où il l'avait vue. De minuscules rides commençaient à plisser le coin de ses yeux et de sa bouche mais cela n'enlevait en rien à sa beauté éthérée.

« Sirius ! » s'énerva Tonks avec impatience, lorsqu'il resta immobile trop longtemps.

Il cilla et l'étrange sortilège qui n'avait rien de magique se brisa. Il ouvrit les grilles, leur accordant le passage.

Tonks échappa à son père et s'agrippa à son bras, fouillant son regard. « Severus ? »

Elle paraissait si désespérée, si terrifiée…

Il l'avait crue perdue à jamais, quelques heures plus tôt, et ne résista pas à l'envie de la serrer brièvement dans ses bras juste pour s'assurer qu'elle était bel et bien vivante, qu'elle respirait…

« Je ne sais pas. » admit-il, en la relâchant. « Vivant mais amoché. »

Elle s'élança vers le château – ou voulut s'élancer, plutôt.

Elle vacilla au bout de deux mètres et sans Ted et Andromeda qui se précipitèrent pour la soutenir, il doutait qu'elle serait allée bien loin.

Les trois Tonks déjà partis, il ne restait plus qu'eux.

Narcissa n'avait pas bougé. Elle semblait aussi figée que lui, prisonnière de ce drôle d'instant qui avait semblé impossible quelques secondes plus tôt encore. Il n'avait jamais tablé sur des retrouvailles. Pas avec elle. Pas après tout ce temps. Pas après tout ce qui les divisait.

Il était dur de lire ses traits. Était-ce l'appréhension qui l'empêchait de bouger ? Le rejet ? La colère ?

Son visage était lisse, indéchiffrable.

Sirius aurait parié que ce n'était pas de l'indifférence, en tout cas, parce que…

« On peut dire ce qu'on veut… » tenta-t-il de plaisanter, forçant un sourire qui tremblait de trop d'émotions. « Andy est vraiment la meilleure d'entre nous pour garder un secret. Elle n'a rien laissé échapper. »

Le masque froid et distant sur le visage de Narcissa se fissura. L'amusement se disputait à la tendresse et à la peur dans son regard.

Il vint à l'esprit de l'Animagus qu'il n'était pas le seul qui appréhendait la réaction de l'autre.

Après tout, s'il avait ses raisons de lui en vouloir, elle avait également les siennes. Elle avait peut-être épousé Malfoy et embrassé la cause de Voldemort mais, lui, avait entièrement abandonné leur famille pour celle qu'il s'était choisie. Et si, sur le moment, ça avait semblé naturel et la seule chose à faire… Il était désormais conscient de s'être lavé les mains du sort de Regulus et de Bella, en se persuadant qu'il ne pouvait rien y changer. Et il avait rompu les ponts avec Narcissa aussi, bien avant qu'elle ne se marie, ne tombe enceinte et accouche d'un garçon qu'il n'avait rencontré que trop tard et sur lequel il avait entretenu beaucoup trop de préjugés stupides.

Alors, certes, elle avait ses torts… De gros torts… D'énormes torts…

Pourtant…

Quelques mois plus tôt encore, la tête encore embrouillée par Azkaban et l'enfermement forcé au Square Grimmaurd, il se serait peut-être détourné avec colère ou dégoût pour les choix qu'elle avait fait. Mais c'était avant qu'il retrouve Andy. Avant qu'il n'apprenne la vérité de ce qui était arrivé à Regulus. Avant que Severus ne lui prouve, à son corps défendant, que les gens pouvaient changer, lui y compris. Avant que tous ces souvenirs trop pesants soient revenus se nicher dans un coin de sa tête et qu'une seule constante en émerge : les seuls qui avaient compté pour lui avant les Maraudeurs avaient été Reg et les filles.

Il n'aurait pas plus pu lui tourner le dos, à ce moment là, que rejeter Harry parce qu'il venait de faire la plus grosse connerie qu'il puisse imaginer.

Ne l'avait-il pas affirmé à Draco, quelques heures plus tôt ? Narcissa et lui avaient été élevés comme frère et sœur. On pardonnait tout à sa sœur. S'il était encore temps, s'il avait pu revenir en arrière, il aurait tout pardonné à Regulus. Il aurait tout donné pour retrouver son frère. Il avait porté cet espoir pendant de folles heures avant que Kreattur ne lui révèle la vérité et ça avait été à la fois un temps de joie et d'angoisse. Narcissa n'était pas Reg mais c'était presque la même chose.

Alors, sachant que si elle lui riait au nez, elle rouvrirait une ancienne blessure qui n'avait jamais véritablement cicatrisé, il tendit des bras hésitants. « Cissy… »

Il n'était pas préparé à ce que Narcissa, qui était toujours si distinguée, si prompte à les rappeler tous à l'ordre lorsqu'ils se montraient trop indisciplinés, se jette pratiquement dans ses bras sans aucune retenue. Elle le serrait si fort qu'il ne put que lui rendre son étreinte avec le même abandon : l'abandon de quelqu'un qui avait cru ne jamais revoir l'autre et qui se le voyait miraculeusement rendu.

« Sirius… » murmura-t-elle, sa voix se cassant sur la deuxième syllabe avec une émotion palpable.

Il ferma les yeux, appuya son front sur son épaule et huma le parfum capiteux de fleurs exotiques qui semblait perpétuellement flotter autour d'elle. Il fût instantanément ramené à leur enfance.

« Je suis désolée. » offrit-elle immédiatement. « Je savais pour Pettigrow. Je savais et je n'ai rien dit. Je les ai laissés te… »

« Le passé est passé. » l'interrompit-il fermement. Ce n'était pas une méthode qui avait bien fonctionné avec Remus mais il ne pouvait pas se permettre de faire les comptes avec chaque personne qui l'avait trahi à l'époque. Pas sans devenir fou.

« J'ai pensé à toi tous les jours. » admit-elle pourtant.

« Tous les jours ? » la taquina-t-il. « Pauvre Lucius. »

Elle était beaucoup trop bien élevée pour lui donner une claque sur le bras mais apparemment pas pour accidentellement lui marcher sur le pied.

« Je vois que tu es toujours aussi idiot. » siffla-t-elle dans son oreille, avec un brin de ce sarcasme si familier dont elle n'usait qu'avec ses proches. Il plaignait les gens qui ne voyaient en elle que l'ombre placide d'une épouse dévouée. Il les plaignaient vraiment. Narcissa avait toujours été davantage que ce qu'elle se plaisait à montrer au monde. « Je suppose qu'il est bon de savoir que certaines choses ne changent jamais, même après douze ans à Azkaban. »

Il ne chercha pas à réprimer son éclat de rire et la serra d'autant plus fort.

Du moins jusqu'à ce qu'il sente quelque chose d'étrange contre son ventre et ne se fige.

« Euh… Cissy ? » hésita-t-il, en l'écartant gentiment par les épaules. Parce qu'elle tenait elle-même ses bras, la cape s'était ouverte et ne dissimulait pas un ventre joliment arrondi. « Dis-moi que tu as simplement forcé sur le chocolat chez Andromeda… »

Le chocolat, même celui de Honeydukes, ne frappait pas, cela dit, et c'était immanquablement un coup que Sirius avait senti lorsque ce ventre rebondi avait été pressé contre le sien. Un coup qui venait de l'intérieur. Il résista à l'envie d'y apposer la main, juste pour vérifier que ce n'était pas une créature quelconque qui aurait fait son nid là. Qui savait ce qui rampait dans le jardin de Ted, avec toutes les plantes magiques qu'il y plantait ?

Narcissa recula d'un pas et inclina la tête avec une expression tout à fait sereine qui exprimait pourtant clairement ce qu'elle pensait de ses plaisanteries stupides – rien de bien, en somme. « Je suis enceinte. À l'évidence. »

Enceinte.

N'était-elle pas trop vieille pour ça ? Il faillit poser la question mais un seul regard à sa bouche pincée et il sut que si elle était trop bien élevée pour le frapper, elle n'était pas suffisamment guindée pour ne pas sortir sa baguette et lui jeter un mauvais sort, comme quand ils étaient enfants et qu'il lui volait ses poupées juste pour l'embêter – elle maîtrisait parfaitement le maléfice visant à faire pousser les dents de sa victime et l'avait plus d'une fois transformé en caricature de castor pour le punir.

Enceinte.

Il ne pouvait détourner les yeux de son ventre, sous le choc de cette nouvelle pour le moins inattendue. Gênée, elle referma les pans de sa cape pour mieux dissimuler la chose. Pas parce qu'elle en avait honte, comprit-il instinctivement, mais parce que cela faisait d'elle une proie plus facile – et une cible. Parce que si Lucius aurait probablement fait n'importe quoi, en temps normal, pour sa femme ou son fils, si ses ennemis mettaient la main sur sa femme enceinte…

« Draco ne m'a pas dit que… » remarqua-t-il.

« Draco l'ignore. » l'interrompit-elle. « Tout le monde l'ignore. » L'inquiétude et la culpabilité déformèrent soudain son expression. « Lucius. Que s'est-il passé ? Où est-il ? Le Patronus disait qu'il était gravement blessé. »

« Honnêtement, je ne suis pas sûr. » admit-il.

Et, mis à part pour la détresse évidente de Draco, il n'en avait pas eu grand-chose à faire jusqu'à cette seconde.

La situation était absolument, irrévocablement différente s'il y avait un bébé dans l'histoire.

Il avait vu trop d'enfants grandir sans père.

Sans compter que s'il arrivait le pire à Lucius, Narcissa allait être bouleversée et il n'était peut-être pas un expert mais Sirius savait tout de même qu'on ne bouleversait pas une femme enceinte – surtout lorsqu'elle avait l'air aussi enceinte.

Se retrouver à espérer que Lucius Malfoy n'ait rien de grave…

Mais qu'était devenue sa vie ?

« Viens. » l'encouragea-t-il, en posant une main dans son dos pour l'entraîner vers le château – pour s'assurer qu'elle ne trébucherait sur rien ou qu'elle n'aurait pas besoin d'aide d'aucune sorte.

Vu le regard en coin passablement irrité qu'elle lui jeta, elle n'était pas dupe des raisons de sa prévenance. « Je ne suis enceinte que d'un peu plus de sept mois. Je ne risque pas d'accoucher au milieu du parc de Poudlard. »

« Hagrid est à deux pas. Je suis sûr qu'il pourrait te dépanner, dans le cas contraire. » rétorqua-t-il, s'attirant un autre regard noir. Il leva les yeux au ciel. « Excuse-moi de m'inquiéter pour toi. Tu as l'air prête à exploser ! »

« Toujours aussi charmeur ! » souffla-t-elle avec agacement. « Je ne suis plus si sûre d'être heureuse de te retrouver. »

Mais c'était un mensonge, il le vit à la manière dont ses lèvres tressautèrent légèrement. Et malgré toutes ses protestations, elle ne chercha pas à s'écarter de lui.

Les paroles de Draco, un peu plus tôt, lui revinrent en mémoire.

Alors change les choses. Tu es le Chef de famille, c'est ta responsabilité d'ajouter ta pierre à l'édifice. C'est ta responsabilité de laisser ta Maison en meilleur état que celui dans lequel tu l'as héritée.

Il n'avait jamais prêté d'importance à tout ça et James, qui était également l'héritier d'une vieille Maison, n'avait fait que l'encourager dans cette voie. Ils s'étaient voulu modernes, libres penseurs, libérés des enclaves des traditions… Les parents de James avaient respecté ses choix mais pas les siens évidemment, ce qui n'avait fait que le conforter dans l'idée que…

C'est ta responsabilité de laisser ta Maison en meilleur état que celui dans lequel tu l'as héritée.

Il avait peut-être eu des sentiments ambivalents pour Draco, au début, mais l'impression d'être responsable de lui avait, d'une certaine manière, toujours été là. Ça l'avait arrangé que Tonks se porte volontaire pour assumer sa garde mais, au fond, il s'était toujours un peu senti responsable, tout comme il se sentait responsable de l'Auror. Parce qu'ils étaient sa famille, peu importait combien sa famille l'avait rejeté ou combien il l'avait rejetée.

À voir Narcissa ainsi, à voir l'enfant qui grandissait dans son ventre, il lui vint cette révélation dérangeante qu'il restait un Black et que, mariage ou pas, il considérait toujours ses cousines et leurs enfants comme des Black – il n'avait pas oublié la demande de Draco de reprendre leur nom, bien qu'il se doutait que ce n'était plus d'actualité.

En conséquence, qu'il le veuille ou non, qu'il le désire ou non, parce qu'il était l'ainé du fils ainé, parce qu'il était le Chef de famille, ils étaient tous sous sa responsabilité.

Le patrimoine, la pureté de la lignée, les conneries politiques… Tout ça, il s'en foutait.

Mais protéger les siens ?

Ça, c'était une partie intégrante de sa personnalité.

Rajouter à ça un enfant à naître et…

Putain de merde, si Malfoy y restait, il allait devoir assumer ses responsabilités de Chef de famille. S'assurer que les gosses ne manqueraient de rien. S'assurer que Narcissa serait en sécurité, surtout.

Au moins, ça ferait un heureux, songea-t-il.

Kreattur allait avoir une jolie surprise en se réveillant.

°O°O°O°O°

Draco existait dans un état second.

Il était vaguement conscient qu'il était accroupi en bas d'un mur, que Granger lui frottait doucement le bras et lui parlait à voix basse, que quelqu'un avait jeté un sort pour qu'aucun son ne filtre de derrière la porte close où son père…

Son père qu'il avait renié quelques heures auparavant.

Son père qu'il…

Andromeda débarqua en trombe dans l'infirmerie, ne s'arrêta que pour demander quelque chose à un Médicomage… Il n'eut pas le temps de se relever, de la supplier de lui dire que Lucius allait s'en sortir. Elle le dépassa sans même sembler l'apercevoir et s'engouffra dans la pièce, la porte claquant derrière elle.

Il serra les mâchoires contre les larmes qui lui brûlaient les yeux.

Le tunnel avait explosé.

Les corps dans les cachots.

Blaise qui levait la tête et…

Des lèvres se posèrent sur sa joue, si légères qu'il les sentit à peine. Cillant, il tourna la tête vers Granger qui l'observait avec inquiétude. Il ne protesta pas lorsqu'elle se pencha pour l'embrasser à nouveau. Au contraire. Il cessa de retenir sa respiration.

« Tout va bien se passer. » promit-elle contre sa bouche.

« Tu n'en sais rien. » accusa-t-il, sans pourtant chercher à s'éloigner d'elle. « J'ai dit à Potter de… Si Potter lui a dit… Il pense que… »

Tout le joli discours qu'il lui avait tenu à l'extérieur était parti en fumée.

Oui, Lucius était un Mangemort. Oui, les Mangemorts étaient des gens affreux qui avaient assassiné des enfants et il se ferait un devoir de les chasser jusqu'au dernier si Granger refusait de fuir comme une personne sensée l'aurait fait. Oui, il avait honte de voir le nom des Malfoy associé à celui du Seigneur des Ténèbres.

Et pourtant…

« C'est ton père, Draco. » répondit-elle, ses doigts s'enroulant autour de son poignet. « Tu as le droit d'être inquiet. Tu l'aimes. Tu as le droit de l'aimer. »

« Même s'il défend une cause qui voudrait exterminer les gens comme toi ? Comme tes parents ? » souffla-t-il, plus perdu encore qu'il ne l'avait été plus tôt lorsqu'il avait demandé à Sirius la permission de prendre le nom de famille de sa mère.

« Oui. » lui sourit-elle, en caressant sa joue. « Même dans ce cas là. »

Malgré tout, il était chanceux.

Chanceux qu'elle ait consenti à s'allier avec lui. Chanceux qu'elle ait un jour entaillé leurs paumes en plein cours de Potions pour mieux lui faire admettre l'évidence. Chanceux qu'elle lui ait ouvert les yeux. Chanceux qu'elle lui ait sans réserve ouvert son cœur alors que lui avait hésité longtemps, tiraillé entre ses sentiments et le poids des responsabilités qui l'attendaient.

Et cette chance, il la mesurait.

« Quoi qu'il se passe… » murmura-t-il. « Quoi qu'il arrive ensuite… Riche ou pauvre. Avec ou sans famille. Avec ou sans Maison. Un jour, je t'épouserai. »

C'était d'une telle clarté, c'était une telle évidence que quelque chose s'apaisa en lui.

Elle grimaça. « Draco… »

« Je sais. » la coupa-t-il, en volant un léger baiser. « Tu n'es pas prête à l'entendre, cela t'effraye. Ce n'est pas grave. Je peux attendre. »

Il attendrait aussi longtemps qu'il le faudrait pour elle.

Il n'y aurait personne d'autre.

« Je ne dis pas non. » répondit Granger. « Je dis juste qu'on est beaucoup trop jeune pour penser à ça. »

Elle avait le luxe de ne pas devoir penser à ça parce qu'elle n'avait pas de responsabilités envers qui que ce soit d'autre qu'elle-même.

Draco avait le devoir de produire un héritier et le plus tôt était le mieux.

Mais cela il ne le lui expliqua pas parce que, de toute manière, il n'était pas certain d'avoir toujours le poids de sa Maison sur ses épaules. Potter avait-il parlé à Lucius ? Lui avait-il rapporté ces paroles qu'il regrettait déjà ? Son père était-il en colère ? Était-il déçu ? Était-il peiné ?

Qu'avait-il…

Narcissa Malfoy, drapée dans une cape noire, fit une entrée remarquée dans l'infirmerie, et pas uniquement parce que Sirius foudroyait du regard tout ceux qui osaient la regarder trop longtemps. Sa mère avait ce genre de charisme qui attirait l'attention partout où ils allaient. Elle était belle, elle avait la fierté de son nom et elle assumait pleinement la chose. Elle avait toujours été quelqu'un d'important, après tout. Lorsqu'elle rejeta le capuchon qui lui couvrait la tête, tous les yeux avides suivirent le mouvement comme si elle avait eu du sang de Vélane.

Le regard gris accrocha le sien à travers la pièce.

Draco y lut du soulagement et, par-dessus tout, de l'amour.

Il aurait dû se lever calmement, la rejoindre d'un pas mesuré, conscient des regards tout autour, et la saluer en s'inclinant légèrement, peut-être déposer un baiser respectueux sur sa joue si elle l'y invitait. Il était pratiquement un adulte, après tout.

Mais la nuit avait été aussi longue et difficile que le reste de la journée voire que le reste de l'année.

Et, en conséquence, il ne réfléchit même pas avant de détaler comme un lapin et de se jeter dans ses bras dans une démonstration de puérilité qui aurait même embarrassé un Weasley. Et, pourtant, il ne parvint pas à regretter la chose parce que, loin de le repousser ou de lui faire la morale, elle le serra dans ses bras à l'étouffer.

Il était presque aussi grand qu'elle, à présent.

« Oh, mon dragon… » murmura-t-elle, l'émotion palpable dans sa voix. « Comme tu m'as manqué. »

« Vous m'avez manqué aussi, Mère. » avoua-t-il, en la relâchant finalement, conscient qu'ils se donnaient en spectacle et que…

La cape s'était entrouverte et son regard fût attiré vers l'arrondi de la robe qu'elle portait dessous, un arrondi qui ne semblait guère naturel. Elle avait toujours été très mince. Elle…

« Tu vois. » glissa Sirius, d'un ton joyeux qui sonnait faux. « Y a pas qu'à moi que ça fait l'effet d'un Petrificus Totalus. »

Narcissa, s'arrachant à la contemplation de son fils, lança un regard agacé à leur cousin. « Il s'avère que tu ne me manquais véritablement pas tant que ça, à la réflexion. »

« Menteuse. » accusa-t-il, avant de s'éloigner retrouver son filleul.

Elle ne nia pas.

Draco ne parvint même pas à prêter attention à leurs chamailleries parce qu'il ne pouvait pas détourner les yeux de l'évidence. Gentiment, sa mère attrapa son poignet et guida sa main vers son ventre. La paume posée à plat sur la bosse, il était indéniable que quelque chose s'agitait là-dedans.

Il savait que ses parents avaient voulu un deuxième enfant pendant longtemps. Il se souvenait de moments ou Narcissa avait commencé à s'arrondir uniquement pour s'enfermer dans des périodes de longues tristesses lorsqu'il était petit. Personne n'en avait jamais parlé à voix haute. Draco n'avait jamais été assez idiot pour réclamer le frère ou la sœur qu'il aurait aimé avoir plus jeune.

Plus tard, il avait saisi au vol des bribes de conversations, avait lu à droite ou à gauche que les familles Sang-Pures avaient davantage de problèmes à concevoir que les autres et il en avait déduit que c'était ce qu'il s'était passé.

Et pourtant, là, sous sa paume…

Il lui vint bien à l'esprit que cela signifiait que Lucius pouvait très bien, à présent, se débarrasser de lui en raison de toutes les difficultés qu'il lui avait causé. Il ne parvint pas à en avoir quelque chose à faire. Déshérité ou pas…

C'était son frère ou sa sœur qui grandissait là.

C'était…

Lentement, avec difficulté, il leva les yeux vers Narcissa qui l'étudiait avec attention. Ses yeux gris étaient secs parce qu'elle n'aurait jamais trahi le moindre signe d'émotion en public mais il était impossible pour lui, qui la connaissait si bien, de ne pas voir la tendresse et la pointe de crainte dans son regard.

« Comment ? » parvint-il à demander, sans cacher son émerveillement.

Était-ce pour ça qu'elle était partie se mettre à l'abri ? Était-ce pour préserver ce petit être que plus personne n'attendait et pour lequel Draco sentait déjà un irrépressible élan protecteur ?

Il avait vu la manière dont Bill et Charlie Weasley veillaient sur Ron ou Ginny et, à cet instant, il fit le serment d'être le même genre de frère. Il voulait être le même genre de frère. Il allait être le meilleur frère de l'Histoire de la Magie parce que… Oh, il l'aimait déjà.

Après toute l'horreur de la journée, de la nuit, c'était…

« Je l'ignore. » admit Narcissa, avec un soulagement certain. Elle passa une main dans ses cheveux en désordre pour lui redonner un aspect plus convenable, dans un geste maternel qui lui fit un bien indescriptible. Elle lui avait vraiment manqué. « Un heureux accident. »

« C'est un miracle, dans ce cas. » décréta-t-il.

« Oui… » sourit-elle. « Un miracle. » Puis elle se reprit, jeta un regard aux alentours et plissa le nez en se voyant être observée avec autant d'attention. « Draco, ton père… »

« Ils ne veulent rien me dire. » la coupa-t-il, revenant brutalement sur terre. Il l'entraîna vers la porte derrière laquelle Andromeda avait disparu et à côté de laquelle Granger attendait, visiblement nerveuse.

Avant qu'il ait pu faire les présentations correctement, elle s'avança la main tendue. « Mrs Malfoy, c'est un plaisir de vous rencontrer. »

« Lady Malfoy. » corrigea-t-il, à voix basse.

La jeune fille grimaça, lui jeta un regard d'excuse, puis se racla la gorge. « Lady Malfoy, désolée. »

On ne tendait pas la main comme ça à la matriarche de l'une des anciennes Maisons, à plus forte raison lorsque la Maison en question était celle des Malfoy. Narcissa tiqua fortement mais, à son crédit, se força à sourire et à serrer la main tendue.

« Miss Granger, je présume. » lâcha-t-elle. « J'ai beaucoup entendu parler de vous. »

« Oh, euh… Vous pouvez m'appeler Hermione. » offrit la lionne, son regard dérivant vers son ventre avec une surprise manifeste. « Félicitations. »

« Mère, vous devriez vous asseoir. » s'empressa d'offrir Draco, s'inquiétant des conséquences qu'être sur ses pieds trop longtemps pourraient engendrer.

« Circé me préserve des mâles surprotecteurs. » marmonna Narcissa.

« Une chaise. » décréta-t-il, sans l'écouter. « Où… »

Il se tourna et se retourna, fouillant les environs pour un siège libre ou quelqu'un qu'il pourrait déloger sans trop de scrupules lorsque Granger en fit apparaître un d'un coup de baguette. Il se serait passé de son sourire amusé mais était trop soulagé de pouvoir guider sa mère jusqu'à la chaise pour lui en faire la remarque.

Si sa mère lui fit plaisir en acceptant de s'asseoir, son expression ne tarda pas à s'endurcir. « Dis-moi tout. »

Il s'exécuta autant que possible mais il n'avait pas les détails et Narcissa n'avait pas l'air heureuse, particulièrement lorsqu'il relata qu'il avait demandé à Potter de rendre le sceau familial à Lucius.

« Tout ce que ton père a fait, absolument tout, a toujours été fait pour ton bien. » le gronda-t-elle, une fois qu'il eut terminé. « Le lui jeter au visage ainsi… »

Il baissa la tête, honteux et coupable.

Du moins jusqu'à ce qu'une main glisse dans la sienne, lui rappelant pourquoi il avait décidé de se rebeller en premier lieu.

« Draco n'est pas obligé de penser la même chose que vous. » cingla Granger, avec son air le plus têtu.

Narcissa et elle s'affrontèrent du regard très, très longtemps, aucune d'elles apparemment prête à céder la première.

Suffisamment longtemps pour que Draco se demande s'il allait devoir, à nouveau, se voir obligé d'établir clairement qu'il ne comptait pas rentrer dans le rang puriste et…

Sa mère émit un bruit amusé, puis détailla la jeune fille de la tête aux pieds avec un soupçon d'approbation.

Un soupçon était suffisant. Il pouvait la convaincre qu'Hermione était parfaite si Narcissa était bien disposée envers elle.

La porte s'ouvrit pour laisser sortir Dumbledore qui ne parut pas particulièrement surpris de les trouver tous là. En revanche, ses sourcils se levèrent haut sur son front, d'une manière qui aurait pu être comique en d'autres circonstances, lorsqu'il aperçut ce que la Sang-Pure n'essayait plus tant de cacher.

« Voilà un rebondissement pour le moins inattendu. » commenta le vieux sorcier.

Narcissa se leva avec la grâce d'une reine et le toisa sans s'embarrasser de dissimuler ni sa froideur, ni sa fureur. « J'exige de voir mon époux. »

Dumbledore ne trahit rien mais Draco interpréta pourtant sa tension comme un mauvais signe.

Il remarqua à peine que Sirius les avait à nouveau rejoints et était allé se placer à côté de Narcissa comme si c'était absolument naturel.

« Les Médicomages sont toujours en train de s'occuper de lui. » déclara le Directeur, d'un ton radouci qui ne présageait rien de bon. « Il a été touché par un maléfice mais nous ne parvenons pas à déterminer lequel. Son état est… préoccupant, je ne vous mentirai pas. »

L'adolescent eut la sensation que le sol se dérobait sous ses pieds.

Granger serra sa main plus fort.

Narcissa demeura silencieuse pendant un moment. Elle ne protesta pas la main inquiète et réconfortante que leur cousin plaça dans son dos mais, comme si le contact avait été un choc, elle leva le menton plus haut.

« Préoccupant ou désespéré ? » demanda-t-elle, le ton dur et le visage fermé.

Quelqu'un qui ne la connaissait pas aurait pu croire à de l'indifférence. Draco, et visiblement Sirius, ne s'y laissèrent pas prendre. Le garçon lâcha la main de Granger pour mieux attraper celle de sa mère, quant à l'Animagus, il fit un pas en avant comme pour se placer entre elle et Dumbledore.

« Votre sœur fait son possible. » déclara le Directeur.

« Ce n'est pas une véritable réponse. » cracha Draco, avant d'avoir pu s'en empêcher.

Ce ne fût que lorsque le vieux sorcier, probablement trop conscient qu'ils étaient la cible de tous les regards curieux, suggéra que Sirius les escorte jusqu'à un endroit plus privé pour attendre des nouvelles, qu'il comprit que ça en était une.

Ce n'était simplement pas celle qu'ils voulaient entendre.

°O°O°O°O°

Se faire dépasser par une femme enceinte était vexant, décida Nymphadora, en prenant davantage sur elle pour accélérer l'allure. Sa mère était partie devant, Narcissa et Sirius venaient de leur passer à côté sans même offrir de les attendre…

Elle avait failli pleurer en avisant le premier escalier et en calculant toutes les marches qu'il allait lui falloir monter.

Pourtant, tant bien que mal, avec l'aide de son père, elle parvint à l'infirmerie.

Et la première chose qu'elle vit fût Harry qui pleurait en silence, essuyant régulièrement ses joues.

Derrière lui, il y avait un lit sur lequel Severus gisait, absolument inerte, torse nu, des plaies profondes lacérant son torse. La plupart avait déjà été refermées, les autres étaient en passe de l'être par le Médicomage à l'aspect peu engageant qui s'agitait autour de lui.

Ce fût l'état de l'adolescent qui l'alarma le plus.

« Harry ! » Elle échappa à la main secourable de Ted pour se précipiter vers lui, ignorant Ron qui s'excusa en grimaçant pour aller retrouver sa famille, visiblement soulagé de se voir relayé auprès de lui.

Le garçon se tourna vers elle, l'air absolument choqué. Elle n'eut pas le temps de tendre la main qu'il s'était jeté sur elle comme un boulet de canon. S'il avait pleuré en silence jusque là, c'étaient de vrai sanglots qui le secouaient maintenant et, prise de cours, elle le serra dans ses bras.

« Tout va bien. » promit-elle, en espérant qu'elle ne s'avançait pas. Parce que Severus était là mais il n'était pas conscient. Pourtant, si le Médicomage en était à refermer les blessures qui ne semblaient pas mortelles, alors ça ne pouvait pas être si grave, si ? « Tout va bien, c'est fini. »

Elle essaya de se détacher de l'adolescent pour aller parler au Médicomage, pour toucher le torse pâle et couvert de cicatrices qui se soulevait lentement, pour s'assurer que Severus était vraiment là, mais Harry la tenait bien trop fermement, avec bien trop de désespoir… Elle croisa le regard de son père par-dessus la tête du gamin. Ted regardait la scène avec étonnement mais, à sa question muette, haussa les épaules.

Renonçant à tenter de l'écarter, elle lui frotta le dos avec maladresse, peu certaine de comment on consolait un garçon de presque seize ans aussi bouleversé.

« Calme-toi. » murmura-t-elle. « C'est fini, ça va aller. Calme-toi, mon chat. » Elle ne savait pas d'où vint le surnom ridicule, elle savait à peine ce qu'elle disait. Harry ne protesta pas et parut même se détendre, alors elle continua de répéter la même chose inlassablement. « Tout va bien. C'est fini. Arrête de pleurer, mon chat, c'est fini. »

Au bout de longues minutes, l'adolescent finit par la lâcher, uniquement pour se frotter le visage avec un embarras manifeste. Il ne s'éloigna pas beaucoup, pourtant, et ne parut pas mal le prendre lorsqu'elle serra son autre bras pour continuer à le réconforter.

« Qu'est-ce qu'il s'est passé, Harry ? » demanda-t-elle.

« Ce qu'il s'est passé ? » s'exclama Sirius, en les rejoignant. « Il a mis un somnifère dans mon whiskey, voilà ce qu'il s'est passé. »

« Il va très bien s'entendre avec Narcissa, donc. » marmonna son père, en aparté.

Nymphadora l'ignora. « Quoi ? »

Elle chercha le regard du garçon mais il évitait résolument de tourner les yeux vers elle, préférant fixer ses chaussures d'un air atrocement coupable.

« Il s'est enfui, a concocté un plan absolument insensé et a failli se faire tuer. » siffla Sirius. « C'est un miracle qu'il soit toujours en vie et il est puni jusqu'à la fin des temps. »

À ça, le gamin redressa la tête avec fougue, fusillant son parrain du regard. « J'ai ramené Severus. »

« Ça aurait fait une belle jambe à Severus que tu l'ai sauvé si tu étais mort, pauvre idiot ! » s'énerva l'Animagus.

« Hey ! » protesta-t-elle, en s'interposant entre eux, jetant un regard noir à son cousin. « Déjà, je me fous que tu sois en colère, tu ne lui parles pas comme ça. Ensuite, s'il t'a faussé compagnie, tu as ta part de responsabilité là dedans. » Elle lui tourna le dos avant qu'il ait pu répliquer, posa les mains sur les épaules d'Harry et le secoua gentiment mais fermement. « Et toi… »

« Ils n'allaient rien faire ! » se défendit l'adolescent, la suppliant du regard de comprendre.

« Parce que c'était trop risqué et… » commença à protester Sirius.

Elle ne lui prêta pas attention, secouant à nouveau gentiment le gamin. « Moi, j'aurais fait quelque chose. Harry, si Severus a besoin d'aide, c'est moi que tu viens voir. Évidemment que je ne l'aurais pas laissé tomber. Si tu avais un plan… J'aurais pu prendre ton apparence… J'aurais pu… »

Elle s'interrompit parce qu'elle n'aurait pas pu.

Elle aurait rampé jusqu'à Azkaban si on l'avait laissée faire mais la vérité était qu'elle n'avait pas été en état de faire quoi que ce soit. Elle n'était toujours pas en état, d'ailleurs. Elle ne tenait debout que par les derniers ressorts de sa volonté et elle aurait été tout aussi incapable de jeter un sort que d'aller courir un marathon.

« Mais je croyais que tu étais morte ! » lâcha Harry, avec une détresse palpable. « Il m'a dit que tu étais morte ! »

Avant d'avoir compris, elle avait une nouvelle fois les bras pleins d'un gamin clairement à bout et à nouveau en larmes. « Qui a dit que… »

« Sirius ! » accusa-t-il, dans un sanglot.

Harry était visiblement épuisé autant physiquement qu'émotionnellement et elle ne put contrôler l'élan protecteur qui la poussa à fusiller son cousin des yeux.

« Je n'ai jamais dit… » contra Sirius, avant d'être brutalement interrompu par son filleul.

« Quand on était dehors, pendant la bataille, tu as dit qu'elle était morte ! » insista-t-il. « Je ne suis pas fou ! Tu as dit Tonks est morte. »

Le Médicomage, tout en continuant de refermer les plaies de Severus, leur jetait des regards agacés. Elle laissa à Ted le soin de murmurer des excuses.

Elle était beaucoup trop furieuse.

« Mais, putain, qu'est-ce qu'il t'a pris de lui dire un truc pareil ? » grinça-t-elle, en resserrant son étreinte sur l'adolescent.

La moitié de l'infirmerie, nota-t-elle, ne semblait pas savoir ce qui était le plus intéressant : leur petite scène ou les Malfoy.

« C'est ce qu'Anthony nous a dit à Severus et moi. » grinça Sirius, beaucoup plus sobrement d'un coup. « Qu'il avait ordonné à Charlie de te tuer parce que… » Il se tut lorsqu'il vit l'horreur sur son visage et grimaça. « Mais j'ai dit à Harry que c'était faux dès que Remus m'a prévenu que tu allais bien. Je lui ai dit. Je suis sûr que… » Il s'interrompit à nouveau et pâlit. « Merde. Harry… Harry, je suis désolé. Ça m'est sorti de la tête et… »

Harry ne semblait pas tout à fait disposé à lui pardonner immédiatement son étourderie.

Nymphadora, pour sa part, était plus inquiète d'autre chose. « Severus. Il croit… »

Sirius grimaça d'autant plus.

C'était toute la réponse dont elle avait besoin.

Elle porta une main à son visage, parvenant sans peine à imaginer ce qu'il avait dû ressentir. Et l'idée qu'il avait failli mourir en pensant que…

Elle prit une profonde inspiration, força Harry à s'écarter d'elle pour croiser son regard.

« Tu ne fais plus jamais un truc comme ça, d'accord ? » exigea-t-elle. « Sirius est peut-être un idiot mais il n'a pas tort sur un point : c'était dangereux et irresponsable. La prochaine fois, en espérant qu'il y ait pas de prochaine fois, tu viens me voir d'abord. Et si quelqu'un te dit que je suis morte, vérifie d'abord avec une source un peu plus fiable. »

« Oui, c'est ça. » s'agaça son cousin. « Tout est ma faute. »

« Je n'ai pas dit ça. » rétorqua-t-elle.

L'Animagus croisa les bras. « Ah bon ? Tu ne t'entends pas, je crois. »

« Ne vous disputez pas. » soupira Harry. « C'est ma faute. Mais Severus est là et je ne le regrette pas. »

« Et c'est bien le problème. » commenta Sirius. « Tu penses que tu as fait ce qu'il fallait faire. Tu penses que tu avais raison. Et je suis désolé, Harry, mais tu as tort. »

Ted se racla la gorge. « Ça a été une longue journée et les esprits sont un peu échauffés. Peut-être qu'on devrait s'en tenir là avant de dire quelque chose qu'on va regretter. »

Sirius leva les mains en signe de reddition. « Je vais voir si Narcissa et Draco ont besoin de moi. Essaye de ne pas le perdre avant que Severus ne se soit réveillé pour lui passer le savon du siècle. Et s'il te propose à boire, méfie-toi. »

Harry baissa à nouveau les yeux, sans sembler savoir s'il ressentait de la culpabilité ou de la satisfaction.

Nymphadora n'avait aucune idée de quoi lui dire.

Elle était mal placée pour lui faire la leçon, elle aurait fait la même chose et, mis à part le gronder comme un enfant, qu'était-elle censée faire ? Surtout vu qu'il ne semblait pas capable de s'éloigner de plus de quelques centimètres d'elle ou de cesser de la regarder comme si elle était un véritable miracle, et c'était sans parler des larmes qui continuaient de couler sans qu'il paraisse s'en rendre compte.

Elle n'avait pas le mode d'emploi.

Mais elle pouvait s'assurer que Severus ait les meilleurs soins et se réveille au plus vite pour gérer la situation – et pour qu'elle puisse lui dire qu'il ne l'avait pas perdue, au passage.

Alors elle se tourna vers le Médicomage qui semblait déterminer à les ignorer malgré le scandale qu'ils avaient provoqué. « Excusez-moi… »

« Vous êtes sa femme ? » demanda le soigneur, en lui accordant à peine un regard.

En une seconde, elle l'identifia comme une de ces personnes rigides qui suivaient les règles au pied de la lettre. Et, dans l'intérêt d'accélérer les choses sans avoir à attendre que Dumbledore vienne intercéder en leur faveur, elle mentit sans même sourciller. « Oui. »

Son père se tendit très visiblement mais Harry ne réagit même pas.

« Comme je l'ai déjà dit à votre fils, si vous me laissez faire mon travail, cela sera plus rapide que si vous m'interrompez toutes les deux secondes. » déclara sèchement le sorcier.

Votre fils.

Il ne lui vint même pas à l'esprit de protester.

Ce qui lui vint à l'esprit, en revanche, c'était que le Médicomage était soit aveugle, soit un crétin fini.

Certes, entre les larmes et sa tenue un peu trop grande qu'il avait dû voler dans l'armoire de Sirius ou de Severus, le garçon avait l'air plus jeune et la frange cachait la cicatrice en forme d'éclair. Certes, il y avait des milliers d'Harry sur cette terre. Certes, le Maître des Potions n'était pas si célèbre que tout le monde aurait dû le reconnaitre. Certes, son propre visage avait beau avoir régulièrement fait la Une de la Gazette, ces dernières semaines, elle n'était pas non plus une célébrité à part entière. Quant à Sirius, il accusait le coup de la journée et, elle supposait qu'on pouvait ne pas l'identifier tout de suite. Mais tout de même.

Eux tous associés ? L'homme aurait dû savoir de qui il s'occupait.

Plus du tout confiante, elle se tourna vers Harry. « Où est Pomfresh ? »

Le Survivant haussa les épaules et croisa les bras devant lui, comme s'il avait froid.

Et elle se reprocha immédiatement de ne pas avoir remarqué avant les tremblements qui l'agitaient. Elle avait pris ça pour le contrecoup de la journée, peut-être une conséquence des larmes qu'il paraissait incapable de maîtriser mais…

« Harry, quelqu'un t'a examiné, hein ? » s'inquiéta-t-elle, tout d'un coup, se tournant tout à fait vers l'adolescent. « Tu n'as rien ? »

Le garçon secoua la tête. Avec à peine une seconde d'hésitation.

« Harry. » gronda-t-elle.

Le Survivant grimaça. « J'ai peut-être reçu un petit Doloris… Mais ça va, je te promets. »

Elle eut soudain beaucoup de compassion pour sa mère.

Et pour Severus.

Et elle regrettait presque d'avoir été aussi vive avec Sirius.

Elle avisa Dumbledore qui se rapprochait et pointa un doigt accusateur vers lui. « Vous n'avez pas pensé à demander à Harry s'il était blessé ? Il a été soumis au Doloris et il ne vous ait pas venu à l'idée de… »

« Dora, je n'ai rien du tout. » l'interrompit l'adolescent. « Je te promets, je… »

« Harry ne m'a pas dit qu'il avait été touché par quoi que ce soit. » se défendit le Directeur, en tournant immédiatement un regard inquiet vers lui. « Tu aurais dû… »

« Severus est ce qui est important, là tout de suite. » s'énerva l'adolescent. « Et le Médicomage ne veut rien nous dire. »

Sa colère changea instantanément de cible, parce que ce n'était pas faux, et Nymphadora se mit à fusiller le sorcier aux robes vertes du regard. « Et je ne suis pas sûre qu'il sache ce qu'il fait. »

« Essayons de ne pas nous mettre les collègues de ta mère à dos, Dora. » intervint son père.

« Allons, allons… » temporisa Dumbledore. « Je suis certain que… »

« Très bien. » cingla le Médicomage. « Puisque on ne me laisse pas faire mon travail en paix… Voilà ce que je peux dire, madame, votre époux a reçu de nombreuses lacérations plus ou moins superficielles. Certaines étaient profondes mais facilement résorbables. »

Si Dumbledore tiqua à l'appellation, il garda le silence.

Ils gardèrent tous le silence.

Ils attendaient la suite.

Et la suite tardait à venir.

« Et ? » l'encouragea à poursuivre le vieux sorcier, au bout de quelques minutes.

« Et, c'est tout ce que je peux dire avec certitude pour l'instant. » décréta le Médicomage. « Je ne m'explique pas son état comateux. Il faut faire davantage d'examens, peut-être demander l'aide d'un collègue spécialisé dans le cerveau et… »

« Sa Marque n'est plus là. » déclara Harry, qui s'était approché du lit pendant qu'ils parlaient.

Il avait pris la main gauche du Professeur et avait légèrement tourné son bras vers la lumière des bougies qui flottaient non loin.

Nymphadora fixa la zone enflammée qui avait eu l'air si atroce la dernière fois qu'elle avait posé les yeux dessus. En comparaison, ce n'était pas si terrible. La peau était rougie, irritée, mais ne semblait plus décidée à s'enfoncer dans sa chair.

Et il n'y avait plus aucune trace du crâne ou du serpent, pas même une indentation.

« Qu'est-ce que ça veut dire ? » insista le garçon, quêtant tour à tour son regard et celui du Directeur.

« Ça veut dire qu'il nous faut un Médicomage plus compétent et qui le connait. Celui-ci n'a même pas remarqué le problème principal. » grinça-t-elle. « Pomfresh ou ma mère. Professeur… »

« Madame Pomfresh n'est pas en état. » soupira le vieux sorcier, en s'approchant du lit pour lancer une batterie de sorts de diagnostic. « Il est stable. Une fois que votre mère en aura terminé avec Lucius… »

« Andy aussi est épuisée. » remarqua Ted. « Nous sommes tous épuisés. Et tu devrais vraiment t'allonger, Dora. »

Le Médicomage, vexé, s'éloigna en marmonnant dans sa barbe. Aucun d'eux ne chercha à le retenir ou à s'excuser.

« Je croyais qu'on ne pouvait pas la retirer ? Que c'était impossible ? » s'enquit Harry, l'air perdu.

C'était censé l'être.

C'était censé…

Elle fit un pas vers le lit, voulut poser la main sur son torse juste pour s'assurer qu'il se soulevait, pour s'assurer que…

Il aurait dû être mort.

La Marque… La Marque aurait dû le tuer…

Elle ne parvint qu'à le frôler.

Ses jambes se dérobèrent sous elle.

Son corps, dont elle avait trop longtemps ignoré les avertissements, la lâcha purement et simplement.

Sans son père, qui avait semblé craindre exactement ce scénario, elle se serait écroulée au sol.

« Dora ! » s'écria Harry, effrayé.

Ce fût la dernière chose qu'elle entendit avant de sombrer.