J'espère que vous aimerez ce chapitre!
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I'm home again, I won the war, and now I am behind your door. I tried so hard to obey the law, and see the meaning of this all. Remember me? Before the war. I'm the man who lived next door. Long ago...
Replica – Sonata Artica
Je suis rentré à la maison, j'ai gagné la guerre, et à présent me voici devant ta porte. J'ai vraiment essayé d'obéir à la loi et de comprendre pourquoi tout ceci était important. Est-ce que tu te souviens de moi ? Avant la guerre. Je suis l'homme qui vivait derrière la porte d'à côté. Il y a si longtemps...
Replica – Sonata Artica
Chapitre 62 : Home Again
Harry émergea de la cheminée du bureau du Directeur à l'heure dite, le sac à dos dont il s'était servi pour ramener ses affaires de soixante-quinze sur les épaules. Il en ajusta les bretelles bien que le poids soit relatif. Pour quinze jours, il n'avait pas voulu déplacer sa malle ou Hedwige et n'avait emporté que le strict minimum : des vêtements, deux livres et un stock de nourriture non périssable sous sort de stase juste au cas où le régime de Dudley perdurerait, sa cape d'invisibilité et son stock de potions d'urgence qu'il avait réapprovisionné en se servant dans la réserve bien amoindrie de Severus.
C'était un peu surréaliste de se dire qu'il retournait chez les Dursley après tout ce qui s'était passé cette année, ces derniers jours.
Derrières les fenêtres de la tour, le ciel rosissait à peine.
« Ah, Harry. Pile à l'heure. » commenta Dumbledore, en se levant de derrière son bureau. Avait-il déjà été occupé à travailler ? Avait-il seulement dormi ? « Je présume que tu n'as pas eu de problèmes ? »
« Non. » répondit-il.
Il s'était glissé hors de sa chambre et jusqu'à la cheminée sans que Tonks ne se réveille. Il fallait dire qu'elle avait eu l'air particulièrement épuisé lorsqu'elle l'avait convaincu de retourner dans les cachots, la veille. Elle avait tenté de le consoler de sa morosité mais elle-même était si visiblement déçue que…
« Nous transiterons par le Square Grimmaurd pour plus de discrétion. » lui rappela le Directeur, avec délicatesse. « Quinze jours et pas un de plus. » La promesse visait visiblement à le rassurer mais Harry ne put que forcer un sourire tendu. Dumbledore se racla la gorge. « Il n'y a plus de Ministère pour réguler ce genre de choses. Tu pourras utiliser ta magie mais je suppose que je n'ai pas besoin de préciser qu'il serait bien de le faire avec parcimonie et à l'abri des regards indiscrets. »
« Je ne vais pas m'amuser à faire de la magie devant les Dursley. » répliqua-t-il, pince-sans-rire.
Il n'avait pas envie d'être enfermé dans sa chambre pendant quinze jours consécutifs. Ses réserves de nourriture ne tiendraient pas jusque là.
« Si tu as le moindre problème, envoie-moi un Patronus. » insista le vieux sorcier.
Comme si c'était si simple. Se souciait-il de savoir si Harry était encore capable de lancer un Patronus ? Non, il se dirigeait déjà vers la cheminée comme si la chose était entendue et lui offrit le bol de poudre de cheminette.
Le garçon contemplait toujours les chances que son Patronus veuille bien apparaître – et soit suffisamment corporel pour porter un message – lorsqu'il jeta la poudre dans les flammes et énonça l'adresse du Q.G.
Il sut, au moment où son pied émergea de la cheminée, avant même de pouvoir étudier son environnement, que quelque chose n'allait pas.
Il n'était pas seul dans la pièce.
Il fit glisser sa baguette dans sa main d'un coup vif du poignet et pivota vers la gauche où, hors de vue de la cheminée, se tenaient…
Ils fronça les sourcils. « Qu'est-ce que… »
Il n'eut pas le temps de terminer sa question. Dumbledore sortit de la cheminée, se tourna également en direction de ce qu'il avait dû percevoir comme étant un danger, hésita…
Cela lui fut fatal.
Il y eut le bruit distinctif d'un claquement de doigts et le vieux sorcier s'envola dans les airs où il tourna rapidement sur lui-même comme une toupie. Il eut beau se débattre dans un embarrassant méli-mélo de lourdes robes de velours pourpre, de barbe et de cheveux, il ne parvint pas à briser le sort qui le retenait prisonnier.
La bouche ouverte, Harry regarda l'elfe de maison sortir de l'ombre derrière le canapé.
« Le grand loufoque voulait faire du mal à Maître Harry. » grinça Kreattur, les yeux brillants d'un plaisir cruel. « Le grand loufoque va payer pour avoir essayé de trahir le Maître de Kreattur. »
Le Gryffondor pivota vers Sirius et Tonks mais ni l'un ni l'autre ne semblaient pressés d'intervenir. Son parrain se tenait là, les bras croisés et l'expression dure, et l'Auror avait l'air tout aussi fatigué qu'en colère.
« Non ! » s'écria Harry, inquiet de l'air vorace sur le visage de l'elfe. Il ne doutait pas que Kreattur voulait faire du mal à Dumbledore. Et il ne doutait pas qu'il s'en délecterait. « Kreattur, laisse-le. »
L'elfe tourna de grands yeux déçus vers lui, sans cesser de faire tourner Dumbledore sur lui-même. Le vieux sorcier avait réussi à sortir sa baguette mais peinait à viser.
« Mais Kreattur n'a pas encore fait couiner le grand loufoque comme un porc à qui on coupe la tête… » remarqua l'elfe, très sérieusement.
« Kreattur, je t'ordonne de le poser. » insista-t-il, en se tournant vers les adultes. Il ne chercha même pas à interpeller Sirius. Son parrain avait l'air fermé des jours où il ne valait mieux ne pas essayer de lui parler. « Tonks ! »
La jeune femme qui, la veille, s'était inquiétée de perdre leur nouveau Ministre de la Magie ne semblait plus penser que ce serait une si mauvaise chose. Elle avait les lèvres pincées, le regard sombre et ses cheveux étaient plus foncés que le brun naturel qu'elle avait arboré depuis sa blessure. Elle ne portait pas non plus ses robes d'Auror mais un jean et un teeshirt. À cet instant, elle ressemblait davantage à Andromeda et à Bellatrix qu'à elle-même. Le lien de parenté entre les différents Black était indéniable et ça passait par quelque chose de dur dans le regard.
« Laisse-le, Kreattur. » ordonna-t-elle pourtant, après quelques secondes.
L'elfe tira brutalement sur son oreille sans s'exécuter, quêtant Sirius du regard. Ce dernier finit par hocher la tête.
« Oui, Maîtresse Nymphadora. » bougonna Kreattur, en claquant à nouveau des doigts.
Dumbledore cessa de tourner dans les airs mais au lieu de flotter jusqu'au sol, la gravité reprit ses droits et il s'effondra comme une masse, dans un bruit sourd.
Tonks esquiva un geste vers lui puis sembla changer d'avis à la dernière seconde, le laissant se dépatouiller de ses robes et de sa barbe. Ce fut Harry qui l'aida à se remettre debout, un peu choqué par la force avec laquelle le Directeur s'appuya sur lui pour se relever, ayant apparemment souffert de sa chute. C'était facile d'oublier l'âge du sorcier, facile d'oublier qu'il n'était peut-être pas aussi solide qu'il le paraissait…
« Harry… Je crains que notre plan brillant n'ait été découvert. » plaisanta Dumbledore, un peu essoufflé, alors que le garçon fusillait Kreattur du regard.
Kreattur n'en semblait pas particulièrement ému.
« Votre plan brillant qui consistait à ramener Harry chez les Moldus dans mon dos, vous voulez-dire ? » demanda Sirius, sur le ton de la conversation. Son détachement trop étudié cachait mal sa fureur. « Pensiez-vous vraiment que j'aurais laissé mon filleul sans surveillance après son dernier coup d'éclat ? »
« Kreattur. » lâcha Harry, comprenant immédiatement ce qu'il s'était passé. Sirius avait demandé à son elfe de l'espionner !
« Évidemment, Kreattur ! » gronda son parrain, sa voix enflant avec colère. « Je ne vais même pas te demander ce à quoi tu pensais parce que ce n'est pas ta faute, tu n'es pas capable de comprendre que tu n'es pas obligé de jouer ses petits jeux. Vous, par contre… »
Dumbledore soupira. « Sirius, il s'agit précisément du genre de scènes que nous souhaitions éviter, Harry et moi. »
« Il ne va pas y avoir de scènes parce que la situation est très claire. » déclara Tonks, d'un ton froid. « Harry n'ira nulle part avec vous et certainement pas chez ces Moldus. »
« La situation est très claire, en effet. » commenta le vieux sorcier. « Et vous ne savez pas tout, Miss Tonks. De plus, j'irai jusqu'à dire que vous n'avez aucune raison d'être impliquée dans cette conversation, donc… »
« J'ai toutes les raisons d'être impliquée dans cette conversation. » l'interrompit-elle. « Parce que si Severus était là, Kreattur serait sans doute déjà en train de vous enterrer dans le jardin. Soyez heureux que je sois plus diplomate que lui mais ne pensez pas une seconde que je vais vous laisser faire du mal à son fils alors qu'il est sous ma garde. »
« Kreattur n'enterre pas les ennemis dans le jardin, Maîtresse Nymphadora. » rétorqua l'elfe, comme si, vraiment, c'était sur ce point là qu'il fallait s'indigner. « Kreattur les coupe d'abord en morceaux puis… »
« Merci, Kreattur. » intervint l'Animagus. « Inutile d'avouer le recel de cadavres à une Auror, même si elle fait partie de la famille. » Il inclina toutefois la tête et observa Dumbledore comme s'il considérait la chose. « Cela dit… »
« Oh, il suffit, Sirius. » souffla le Directeur. « Nous savons tous les deux que vous ne vous en prendrez pas à moi. Nous savons aussi que, quoi que vous disiez ou combien vous tempêtiez, Harry ira chez les Dursley. Il en comprend la nécessité. Peut-être pourriez-vous faire preuve de la même maturité et… »
« Il en comprend la nécessité. » répéta Sirius, en faisant un pas menaçant en avant. Instinctivement, Harry en fit un en arrière. Cela sembla sortir son parrain de sa brume de violence. Il se reprit mais s'il avait désormais son mauvais caractère sous contrôle, il n'en semblait pas moins furieux. « Dites-moi… Qu'est-ce qui justifie de se voir enfermé des jours entiers ? De se voir rabaissé ou ignorer ? De se voir nourri par une chatière comme un putain de prisonnier ? »
Harry baissa les yeux, incapable de regarder Tonks ou Dumbledore, les joues brûlantes de honte.
« Tu es obligé d'en parler à tout le monde ? » cingla-t-il, plus en colère après Sirius qu'il ne l'avait été depuis longtemps. Peut-être depuis qu'il était revenu de soixante-quinze.
Son parrain n'eut même pas la décence d'avoir l'air désolé. « Je veux être certain qu'il sache dans quel merdier, précisément, il essaye de te renvoyer. »
« Et je savais déjà. » intervint Tonks, en grimaçant. « Au moins, en partie. C'est moi qui ai parlé à Severus des verrous et de la chatière. »
Une main se posa sur son épaule mais Harry s'en dégagea sans même y réfléchir, trop humilié pour accepter un geste de réconfort. Le vieux sorcier ne chercha pas à réitérer l'intention.
« J'aurai une conversation avec Pétunia à ce sujet et je serai très clair sur les conséquences de telles actions. » promit Dumbledore.
Harry secoua immédiatement la tête. « Non. Ce sera pire. Je peux très bien… »
« Vous pouvez avoir toutes les conversations avec Pétunia que vous voulez mais Harry reste avec moi. » cracha Sirius.
« Il est capital que les protections de Lily soient renouvelées. » grinça le Directeur. « Or cela passe par un séjour chez les Dursley. Je le regrette mais c'est nécessaire. »
Le Gryffondor se tourna vers l'Animagus avant qu'il ait pu refuser encore une fois. « C'est important. »
Il ne pouvait pas mentionner l'horcruxe devant Dumbledore même s'il semblait évident que le vieux sorcier était au courant. Sirius et Severus tenaient à leur charade.
Il croisa le regard de son parrain et y mit toute l'intensité qu'il put sans tenter de s'adonner à la Legilimencie. « Tu sais qu'il y a un lien entre Voldemort et moi, par la cicatrice… Ça pourrait l'empêcher de l'exploiter, de me posséder. »
Tonks fronçait les sourcils, visiblement perplexe, mais Sirius, lui, avait compris. Et ça ne lui plaisait pas. « Ça, c'est ce qu'il t'a dit et tu sais très bien qu'il dirait n'importe quoi pour que tu fasses ce qu'il veut. »
« Je ne veux pas le risquer. » insista-t-il. « Je préfère passer deux semaines chez les Dursley. Pendant ce temps, il va chercher comment réveiller Severus et… »
« Et il nous tuera tous les deux, ton parrain et moi, à la seconde où il se rendra compte qu'on t'a laissé retourner chez les Moldus. » termina Tonks pour lui, en croisant les bras d'un air sévère. « Il ne m'a pas dit grand-chose mais il a sous-entendu suffisamment. Il est hors de question que tu te retrouves dans une situation où tu ne serais pas en sécurité. Surtout vu le contexte actuel. »
« Une nouvelle fois, Miss Tonks. » contra Dumbledore. « Bien que je suis heureux pour vous et Severus, vous n'avez aucun droit légal sur Harry. Déjà parce que, n'en déplaise à ce que vous avez affirmé à ce Médicomage, il ne me semble pas que vous soyez tous les deux officiellement engagés l'un envers l'autre, mais, surtout, parce que, si nous voulons être technique, Severus n'a légalement aucun lien avec le garçon, non plus, il vous ait donc vain de prétendre un quelconque pouvoir sur lui par ce biais. »
L'Auror semblait déchirée entre l'embarras et la fureur.
« Mais j'en ai, moi. » le coupa Sirius. « Je suis son tuteur légal. Et si vous… »
« Votre demande de tutelle n'a jamais aboutie. » l'interrompit le Directeur à son tour.
C'était une dispute qui couvait depuis si longtemps qu'Harry n'osa pas s'y immiscer, préférant les regarder échanger des passes d'armes comme un match de ping-pong.
« La faute à qui ? » rétorqua l'Animagus, dans un rictus agacé. S'il avait été sous sa forme animale, le chien aurait probablement montré les dents. « C'est un détail de toute manière. Il n'y a plus de Ministère… »
« Le Ministère, présentement, c'est moi. » contra Dumbledore avec panache. « Et je ne reconnais pas votre autorité sur le garçon. »
Sirius fit un nouveau pas en avant et pointa un doigt accusateur vers le vieux sorcier.
Mieux valait un doigt que sa baguette même si Kreattur, lui, semblait se tenir aux aguets, prêt à aider son Maître si jamais il se décidait à attaquer. L'elfe paraissait très enthousiaste à l'idée d'en découdre avec le grand loufoque.
Harry ne savait pas si ça lui faisait chaud au cœur ou si ça le terrifiait.
« Vous savez très bien ce que le testament de Lily et James disaient. » gronda-t-il. « Vous savez très bien qui aurait dû élever Harry en cas de malheur. »
« Ce que je sais, Sirius, c'est que vous avez décliné cette responsabilité le soir où vous avez préféré vous lancer à la poursuite de Peter Pettigrow plutôt que de vous occuper de votre filleul comme l'adulte responsable que vous étiez censé être. » rétorqua Dumbledore. « Il vous aurait suffi de patienter. Il vous aurait suffi de me contacter, de m'expliquer… Au lieu de cela, vous avez préféré faire justice vous-même et voilà où nous en sommes. J'ai toujours fait ce qu'il y avait de mieux dans l'intérêt d'Harry et je continuerai tant qu'il me sera donné de le faire. »
Le Gryffondor se garda bien de faire un quelconque commentaire, même s'il se hasarda à croiser le regard de Tonks pour voir ce qu'elle en pensait. Elle non plus ne semblait pas savoir comment réagir. Peut-être parce qu'il y avait du vrai dans ce que disait le Directeur mais que ce n'était pas quelque chose dont ils avaient jamais vraiment discuté aussi ouvertement. Et que s'il s'était aventuré à le penser une fois ou deux, il ne l'avait certainement jamais énoncé à haute voix.
« Le jeter chez ces pourritures qui le traitent comme de la merde, ce n'est pas ce qu'il y a de mieux pour lui ! » s'époumona Sirius, perdant le peu de calme qui lui restait. Il tira sa baguette mais n'eut pas le temps d'achever son geste qu'elle s'envolait déjà pour atterrir dans la main de Dumbledore sans que l'homme ait prononcé un mot ou même sorti la sienne.
Il n'en avait pas besoin.
Une vague de pouvoir très désagréable enfla dans la pièce, un avertissement clair et net.
Un frisson parcourut l'échine du garçon.
Les yeux bleus étaient froids lorsqu'ils se posèrent sur Tonks. « Souhaitez-vous tenter votre chance, Nymphadora ? »
Parce qu'elle savait qu'elle n'avait aucune chance ou parce qu'elle n'avait toujours pas récupéré la pleine possession de ses pouvoirs, Dora leva les deux mains en signe de reddition. Mais ça ne lui plaisait visiblement pas.
Kreattur, lui, n'hésita pas. Rapide comme l'éclair, il leva la main pour claquer des doigts…
Mais Dumbledore était aux aguets.
L'elfe fut soulevé dans les airs par une main invisible autour de la gorge, les jambes battant l'air, peinant visiblement à respirer, émettant des bruits étouffés…
« Non ! » s'interposa Harry, alors même que Sirius se précipitait pour l'attraper par la taille et l'arracher de force au sortilège.
« Muselez votre petite terreur, Sirius, ou je le ferai pour vous. » conseilla sèchement le Directeur.
« Vous ne touchez pas Kreattur ! » hurla le garçon, en jetant un bouclier autour de l'elfe de maison. Un de ceux de Severus qui serait difficile à briser. « Ce n'est pas sa faute ! Il veut juste me protéger ! »
« Un chien trop agressif aussi peut vouloir protéger son maître. » remarqua le vieil homme. « Il n'empêche que s'il est un danger pour la société, on l'abat. »
« Touchez à mon elfe et c'est la dernière chose que vous ferez. » le menaça Sirius.
« Kreattur, viens ici. » ordonna Dora précipitamment. « Reste derrière moi et n'attaque plus personne. »
L'elfe n'obéit pas immédiatement, peinant à reprendre sa respiration, toujours dans les bras de Sirius, et visiblement déterminé à rendre la pareille au Directeur.
« Je t'interdis de l'attaquer sauf pour te défendre. » renchérit rapidement Harry.
Kreattur ronchonna, marmonna des insultes dans sa barbe mais disparut dans un craquement pour réapparaître près de Tonks.
L'absence de baguette n'allait pas stopper Sirius longtemps. Il avait les poings fermés et paraissait hésiter à en balancer un dans le visage du Directeur qui lui rendait bien son hostilité.
« Ça suffit ! Arrêtez tous les deux ! » s'énerva Harry.
Dumbledore avait l'air contrarié mais croisa les mains derrière son dos comme pour mieux signaler qu'il ne comptait plus se servir de sa magie. Sirius, avec une lenteur insupportable, comme si cela lui coûtait, enfouit les poings dans ses poches. Tonks baissa les mains mais avait l'air furieuse. Une fois certain que personne n'attaquerait plus personne, il jeta un coup d'œil réprobateur au Directeur puis se tourna vers Sirius.
« Je sais que tu ne veux pas. Je sais que Severus ne veut pas. » soupira-t-il. « Et je sais que tu ne comprends pas mais… Je veux y retourner. Je ne veux pas prendre le risque que Voldemort puisse me posséder. C'est quinze jours, j'ai survécu quinze ans, ce n'est pas si… »
« Ne dis pas que ce n'est pas si grave. » le supplia son parrain, oubliant la colère au profit de la lassitude. « Harry, c'est grave. »
« Je ne veux pas prendre le risque. » insista-t-il.
Ils s'affrontèrent du regard un long moment puis l'Animagus soupira. « D'accord. Mais tu n'y vas pas seul. Je viens avec toi. »
Le sorcier défia Dumbledore de le lui interdire mais, à la grande surprise d'Harry, le Directeur considéra la chose pendant quelques secondes puis hocha la tête. « Je n'ai rien contre. »
« Euh, moi si. » protesta Harry, en levant la main comme s'ils étaient en classe. « Je ne peux pas emmener un sorcier chez les Dursley. »
« Et pourquoi pas ? Au moins, on sera sûr qu'ils se tiendront tranquilles. » rétorqua son parrain.
Le garçon secoua la tête. « Non, Sirius, ça va être horrible. C'est… Non. Tu vas perdre ton calme au bout de deux minutes et… Et, franchement, non. Emmener un sorcier chez eux, c'est la pire idée. Ils détestent tout ce qui est magique. »
« Je peux me faire passer pour une Moldue. » proposa Tonks. « Je le fais tout le temps dans la famille de mon père. »
« J'ai besoin de vous au château. » intervint Dumbledore. « Je regrette mais c'est la vérité. Nous pouvons nous passer de Sirius quelques jours, vous, en revanche, m'êtes indispensable. »
« Et je préfères que tu restes avec Severus. » renchérit Harry qui ne voulait pas de témoins pour ce qui allait être deux semaines de misère pure.
« D'accord, tu ne veux pas emmener de sorcier… » grommela Sirius. « Dans ce cas, emmène Patmol. »
Il lui jeta un regard agacé. « Tu sais combien de temps j'ai dû négocier pour pouvoir garder Hedwige ? Si je ramène un chien, au mieux tu passeras deux semaines dans le jardin au pire, tu devras aller vivre au parc. Ou chez Mrs Figg, je suppose… »
« Tu ne pars pas seul. » insista l'Animagus. « Je me fous de devoir passer quinze jours planqué dans des buissons, je veux être certain que tu peux sortir de ta chambre comme tu veux, qu'ils ne te feront rien et que tu mangeras à ta faim. »
« Et on ne parle même pas de ta sécurité ! » s'énerva Tonks. « Que se passera-t-il si les Mangemorts te trouvent et que tu es seul sans moyen de t'échapper ? »
« Les Mangemorts ne peuvent pas le toucher à Privet Drive. » contra le Directeur. « C'est tout l'intérêt de cette protection. »
Kreattur sauta soudain sur la table basse et bomba le torse, s'attirant tous les regards. « Kreattur peut accompagner Maître Harry. Kreattur peut protéger Maître Harry sans que les sous-êtres le voient. »
« Les sous-êtres. » releva Dumbledore, avec une petite quinte de toux désapprobatrice qui aurait rendu Ombrage très fière.
L'elfe se donna un coup sur le nez puis se le frotta avec agacement. « Les non-sorciers. »
« Autrement appelés Moldus. » rétorqua le Directeur.
« Laissez-le tranquille. » grommela Sirius. « Il fait ce qu'il peut. On ne change pas du jour au lendemain. Il fait des efforts. »
« Kreattur est un bon elfe. » s'enorgueillit Kreattur.
Harry y réfléchit quelques secondes mais, de toutes les propositions, c'était encore la moins pire. « Je prends Kreattur. »
« Excellent. » décréta Dumbledore, en sortant une montre à gousset de sa poche pour la consulter. Il ne fit aucun commentaire sur le temps perdu mais il était évident que c'était le sous-entendu. « Si tu es prêt, Harry… »
« Une seconde. » intervint Tonks, avec un agacement évident. Elle attrapa le bras d'Harry et l'attira un peu à l'écart mais ne protesta pas lorsque Sirius les rejoignit, il supposa donc qu'elle voulait juste s'assurer que Dumbledore ne pouvait pas entendre – ou, du moins, intervenir. « Tu es sûr que tu veux y aller ? »
« Vouloir, c'est un grand mot. » soupira-t-il. « Tu garderas un œil sur papa ? »
« Bien sûr. » promit-elle. « Mais, mon chat, je n'aime pas ça… Et Severus sera furieux. »
« Tu peux lui faire entendre raison ? » suggéra-t-il.
« Là, tu lui en demande trop. » grommela Sirius. « Il va m'arracher la tête. Harry, je déteste cette idée. »
« De perdre ta tête ? » se força-t-il à plaisanter. « Oui, ça n'a pas l'air drôle. » Son parrain ne goûtait visiblement pas à son humour. À nouveau, il laissa échapper un soupir. « C'est quinze jours. J'aurais Kreattur avec moi et j'ai ma baguette. Le pire qu'il va m'arriver c'est que je vais m'ennuyer à mourir. »
Il laissa Tonks l'étreindre, à moitié embarrassé, à moitié reconnaissant pour son affection. Sirius l'attira également contre lui sans lui laisser le choix et si Harry se raidit un peu, il ne le repoussa pas non plus. Finalement, il se tourna vers Dumbledore qui dissimulait bien son impatience.
« Allons-y. »
Il ne regarda pas en arrière lorsque le vieux sorcier lui tendit le bras pour qu'ils transplannent.
Regarder en arrière, c'était trop dur.
°O°O°O°O°
Revenir ici, c'était trop dur.
La pièce était tellement l'antre de son père que Draco pouvait à peine respirer. Le fauteuil derrière l'imposante table de travail en acajou semblait l'avaler et il se sentait petit, comme un enfant qui aurait joué à être le maître du domaine. Les tableaux aux murs, les hautes étagères remplies de dossiers divers et variés reliés de cuir, les petits sofas dans le coin autour d'une table basse en bois brut, les tons verts foncés des rideaux que l'on retrouvaient tout autour de la pièce, les bibelots imposants et hors de prix exposés comme des babioles… Tout criait Lucius.
Jusqu'à la carafe de cristal ouvragée et ses verres assortis posés sur un plateau en argent sur un coin du bureau. Le bouchon était resté sur le plateau, la carafe débouchée, le parfum de l'hydromel comme un léger fumet dans l'air, un des verres encore à moitié plein…
Il aurait probablement dû sermonner un elfe de maison à ce propos. Ils se relâchaient.
Mais c'était un oubli pour lequel Draco était légèrement reconnaissant. Une dernière trace de son père.
Il n'avait pas anticipé qu'il serait si difficile de retourner au Manoir. Il lui avait fallu plusieurs minutes, et l'aide de Sirius, avant de comprendre comment manipuler les protections pour accorder les pleins droits à sa mère – et Granger – ainsi qu'une permission temporaire pour des visiteurs.
Il ne gardait qu'un très bref souvenir des funérailles, bien qu'elles aient eu lieu une heure plus tôt à peine. Un brouillard étrange semblait s'être emparé de son esprit. Il se mouvait, parlait, faisait ce qu'il devait faire mais il avait l'impression d'être sous Impero. Il ne se souvenait de la matinée que par flashs : Narcissa, droite et digne, dans ses robes de satin noires Sirius qui avait fait l'effort de se coiffer correctement et de porter des vêtements sombres qui lui parlait d'il ne savait quoi Granger qui levait la tête pour mieux voir la totalité de la façade du Manoir et paraissait écrasée par sa magnificence Ron dans ses robes usées qui ne paraissait pas à sa place au milieu de ces dorures Andromeda qui observait sa sœur avec tristesse le corps drapé de d'un linceul qui disparaissait dans la pierre du caveau familial pour aller reposer avec les dépouilles de leurs ancêtres…
Il ferma les yeux et se laissa aller dans le fauteuil, souhaitant un peu que le haut dossier l'avale réellement. Cela aurait été plus simple. Cela aurait été…
La porte du bureau était restée ouverte et le coup frappé au cadre de bois semblait plus une formalité qu'autre chose. Il releva la tête et croisa le regard de Ron qui paraissait toujours mal à l'aise.
Draco aurait probablement dû faire davantage d'efforts pour s'assurer qu'il se sente bien au Manoir. Après tout, rien n'avait obligé le Gryffondor à proposer de les accompagner, ce matin là, et, de ce qu'il avait compris, Mrs Weasley n'avait accepté que parce que Sirius venait. Ron avait offert d'être présent pour le soutenir et il aurait probablement dû refuser mais, au lieu de ça, en avait ressenti une telle gratitude qu'il avait accepté sur le champ.
« Hermione a trouvé la bibliothèque. » annonça le roux.
Malgré lui, malgré la fatigue, il émit un bruit amusé. « Il va falloir lancer une mission de secours pour l'en sortir. »
Il ressentit un petit pincement au cœur. Il aurait voulu la lui montrer lui-même, lui faire découvrir le Manoir qui pouvait paraître austère si on ne le voyait pas sous son meilleur jour, il aurait voulu… Il avait conscience d'avoir abandonné leurs invités à sa mère dès la fin de l'inhumation, prétextant devoir régler quelques détails…
Il invita d'un geste Ron à prendre place sur un des fauteuils de l'autre côté de la table de travail, ce que le Gryffondor fit avec une légère hésitation et un regard appuyé pour la carafe d'alcool.
« Je n'ai pas bu. » se défendit-il. « Elle était restée ainsi. »
Son ami haussa les épaules, jetant un coup d'œil discret aux papiers étalés sur la surface du bureau. « Tu as réglé ce que tu voulais ? »
« Pas tout à fait. » soupira-t-il. « Je dois parler au responsable d'écurie avant que nous jetions les Fidelitas. » Il consulta la pendule. « Il ne devrait plus tarder. » Ils avaient finalement décidé de jeter deux Fidelitas, un sur le Manoir et un sur les terres qui l'entouraient afin de pouvoir gérer l'élevage indépendamment. Draco se rendrait aux écuries plus tard, il tenait à vérifier que les chevaux allaient bien. « Je cherchais le testament. »
Ron fronça les sourcils. « Pourquoi ? Il n'y a pas vraiment de doutes que tu hérites, non ? »
« Il y a des clauses que je voulais vérifier. » répondit Draco.
Comme le fait que, bien qu'il ait hérité de tout avant sa majorité et qu'il restait décisionnaire, Narcissa demeurait maîtresse du Manoir jusqu'à ses dix-sept ans et disposait de la demeure jusqu'à son propre mariage, moment auquel elle pourrait disposer d'une demeure confortable sur le domaine qui servait généralement à parquer les anciennes Lady pour qu'elles ne fassent pas d'ombre à la nouvelle. Il ne comptait pas forcer sa mère à déménager dans tous les cas. Narcissa était également nommée comme légataire d'une confortable somme indépendante de la fortune familiale et était habilitée à gérer le domaine et le patrimoine en son absence, ce qui serait probablement le mieux le temps qu'il termine sa scolarité.
En revanche, Lucius n'avait pas été au courant pour le bébé et il n'y avait aucune provision concernant un hypothétique second enfant. Draco allait devoir contacter Gringotts, ouvrir un coffre en son nom, déplacer des actifs… En théorie, il savait comment on faisait tout ça mais, en pratique, il n'avait jamais eu à le faire lui-même.
Il se frotta le visage.
« S'habitue-t-on, Ron ? » demanda-t-il avec lassitude.
« À être Lord du Manoir ? » rétorqua le lion. « Aucune idée. Le plus riche que j'ai jamais été c'est quinze mornilles et vingt-quatre noises et encore Fred et George m'on piqué trois noises avant que j'ai pu les dépenser. »
C'était une plaisanterie, peut-être un peu amère, mais Draco n'avait pas le cœur à rire ou même aux sarcasmes.
« Tu sais. » insista-t-il.
L'expression de Ron se fit plus sombre, plus perdue. Parce que, oui, il savait. Il savait ce que cela faisait de se lever le matin et de se dire qu'on devait écrire à son père pour demander conseil et de se rappeler, avec un instant de retard, qu'il n'y aurait jamais plus de réponse.
« Non, mon pote. » lâcha-t-il. « On ne s'habitue pas. »
Il aurait préféré qu'il lui mente.
Il aurait préféré…
Il hocha lentement la tête, la gorge serrée. « Merci d'être venu, aujourd'hui. »
Le ton était un peu trop guindé parce qu'il ne savait pas bien comment exprimer combien il avait apprécié le geste.
« Quoi, et rater l'opportunité de visiter le célèbre Manoir Maléfique ? » rétorqua le garçon, avec un amusement un peu trop enthousiaste pour être franc.
Aucun d'eux ne voulait dire ce qu'il savait tous les deux : que c'était Blaise qui aurait dû se trouver dans ce fauteuil. Que Blaise…
Blaise levait la tête.
Le tunnel…
Il ferma brièvement les yeux avec force mais les images refusaient de disparaître.
Sa détresse ne devait pas être aussi discrète qu'il l'aurait voulu parce que Ron poussa un long soupir.
« On ne s'habitue pas. » déclara soudain le Gryffondor, un peu abruptement. « Mais on s'endurcit. »
S'endurcir…
Tu es beaucoup trop émotif, Draco, lui avait reproché son père sur son lit de mort.
Il n'aurait pas dû l'être. Il ne l'avait jamais véritablement été avant cette année de l'horreur. Colérique, peut-être. Émotif…
Lord Malfoy devait savoir se maîtriser.
Lord Malfoy…
« Comment va ton frère ? » demanda-t-il, simplement pour changer le sujet.
Ce n'était probablement pas une discussion plus agréable, cependant. Ron secoua la tête puis finit par hausser les épaules. « Tant qu'il y aura ce lien entre lui et Anthony… Bill réfléchit à comment on pourrait le libérer mais… » Il soupira. « Et puis il est juste… Il n'est pas vraiment… là, tu vois ? Il a les yeux ouverts, il parle, mais il est dans sa tête. »
Ça, Draco pouvait le comprendre. Il ne cessait d'avoir des flashs de souvenirs intrusifs aux pires moment. Il comptait se pencher sur l'Occlumencie aussi vite qu'il lui serait possible de le faire. Lucius avait prévu de l'y initier pleinement l'été suivant, jusque là ils n'avaient fait que lui apprendre à vider son esprit… Encore une autre chose qu'il allait devoir faire seul.
« Si vous avez besoin de… » hésita-t-il, sachant que Ron était susceptible sur le sujet financier. « Les recherches magiques peuvent être onéreuses. Si je peux vous aider, tu n'as qu'un mot à dire. »
L'offre était maladroite et le Gryffondor ne semblait pas savoir s'il devait s'en offenser mais, au final, il hocha la tête. « Non, merci, on se débrouillera. Par contre, Bill a mentionné que votre bibliothèque… »
« Oui, bien sûr. » accepta-t-il immédiatement. « Je peux lui arranger un accès via elfe de maison, une fois que le Fidelitas sera posé. »
D'un côté, cela le rassurait de pouvoir rendre un peu de ce qui lui avait été donné – après tout, Bill avait essayé de sauver Lucius et, lorsque Draco avait tenté de parler paiement, ce matin même, le Briseur de Sort l'avait gentiment éconduit. D'un autre, bien que les Weasley ne respectent pas les anciennes coutumes, une alliance, même tacite, entre leurs Maisons arrangeait Draco.
En se déclarant pour Dumbledore, les Malfoy allaient, si ce n'était déjà fait, perdre beaucoup de leurs alliances. Il s'était assuré de la continuité de celle des Greengrass, savait pouvoir compter sur celle des Potter, la principale restait les Black et il devait en toucher un mot à Londubat… Mais le poids des Weasley, dans le monde de Dumbledore, n'était pas à négliger non plus.
Sachi apparut dans un craquement discret. L'elfe de maison s'inclina bas. « Maître Draco, Mr O'Shea est là. »
Il étudia distraitement la taie d'oreiller tachée que portait l'elfe de maison et prit mentalement note de demander à Kreattur de remettre de l'ordre dans la maisonnée. Visiblement, le vieil elfe de maison savait se tenir correctement et était toujours impeccable. Leurs elfes, en revanche… Granger serait probablement moins encline à le sermonner sur le sujet s'ils ne ressemblaient plus à des vagabonds.
« Fais-le entrer. » soupira-t-il, avec un regard d'excuse pour Ron qui se leva sans avoir besoin qu'il le lui demande. « Sachi, assure-toi que Mr Weasley ait tout ce qu'il lui faut. Un encas, peut-être ? »
Les elfes ne semblaient pas trop savoir sur quel pied danser avec des visiteurs aussi étranges au Manoir. Le domaine n'avait certainement jamais vu autant de traitres-à-leur sang ou de Né-Moldus auparavant – du moins, pas ailleurs que dans les cachots sous la bâtisse…
« Je ne dirais pas non à un peu plus de cette tarte aux myrtilles servie avec le thé… » plaisanta Ron.
Sachi parut décider qu'un garçon qui aimait manger était digne d'intérêt malgré son statut sanguin et s'empressa de faire sortir le Gryffondor pour aller l'installer au petit salon et le gaver de pâtisseries.
Le responsable d'écurie entra peu après.
Et Draco se redressa légèrement, adoptant une expression légèrement méprisante et s'efforçant d'avoir l'air tout aussi impressionnant que son père l'avait été.
O'Shea, qui l'avait connu en culotte courte, n'était pas exactement dupe mais le sorcier eut le bon ton de le traiter avec tous les égards dûs à son nouveau titre.
N'en déplaise à sa mère, il avait toujours su que son palefrenier en chef saurait se montrer raisonnable. Les gallions l'emporteraient sur ses opinions politiques.
°O°O°O°O°
Narcissa n'était pas certaine de ce qu'elle faisait dans cette chambre.
Ses pas l'avaient menée là alors qu'elle avait voulu regagner la suite qu'elle occupait avec Lucius, à l'origine. Elle n'avait pas discuté avec Draco de ce sujet. Traditionnellement, le nouveau Lord s'installait dans la suite principale mais… Draco était encore si jeune... Et il préfèrerait sans doute garder sa propre chambre pour l'instant.
Au final, elle n'avait pas été capable d'affronter l'absence que Lucius avait laissé derrière lui dans leur suite. Il y aurait son odeur, ses vêtements, les boutons de manchette abandonnés sur une surface quelconque parce qu'il était incapable de les ranger correctement après usage malgré des années passées à le sermonner à ce sujet… Elle ne pouvait pas l'affronter.
Alors elle était venue là.
Une autre perte.
Différente, certes, et une à laquelle elle s'était préparée. Moins douloureuse, peut-être. Et pourtant…
« C'est la chambre de Bella. »
Elle ne sursauta pas parce qu'elle avait entendu les bruits de pas le long du couloir. C'était étrange de recevoir Andromeda au Manoir. Elle avait passé tant de temps à l'y imaginer quand elle attendait Draco et durant les mois qui avaient suivis sa naissance.
Combien de fois avait-elle pris la plume pour rédiger une lettre qu'elle avait ensuite jetée au feu ? Plus qu'à tout autre période de sa vie, c'était durant ces mois où Draco avait été si petit, si fragile, que sa sœur ainée lui avait manqué. Elle aurait voulu pouvoir se tourner vers elle, lui poser mille questions sur la maternité, le lui présenter avec fierté… Elle avait aussi regretté les années volées avec sa nièce qu'elle ne voyait pas grandir et qu'elle aurait adorée en d'autres circonstances…
C'était encore plus étrange de la voir dans cette pièce parce que la ressemblance avec leur petite sœur était toujours frappante.
Quelques mois en arrière…
« Oui. » confirma-t-elle, en allant se poster devant la fenêtre.
Andromeda entra prudemment dans la pièce, comme si elle craignait un piège tordue dont leur sœur avait l'habitude ou, peut-être, comme si cela lui paraissait surréaliste d'être confronté à la présence de Bellatrix après tout ce temps.
Elle et Lestrange ne partageaient pas la même chambre, Bella avait donc occupé entièrement la pièce et cela se ressentait. Corsets abandonnés dans un coin à même le sol, la penderie entrouverte laissant entrevoir une collection de robes noires, des grimoires de magie noire empilés sur la commode, et, bien sûr, au mur, les articles de journaux découpés et placardés. Les articles concernaient Sirius, Nymphadora, Potter… Leurs photos étaient raturés, brûlées, tellement malmenées qu'elles avaient pour la plupart cessé de bouger…
S'il y avait réellement eu des doutes sur l'état mental de Bellatrix…
« Elle tuerait chacun de nous sans sourciller. » soupira Andromeda, son regard s'attardant sur une des photos de sa fille qui avait visiblement servi de cible à une dague.
« Oh, elle y prendrait probablement plaisir. » renchérit Narcissa, avec un peu de tristesse. Elle avait été soulagée lorsqu'elle avait retrouvé sa sœur à son évasion d'Azkaban mais cela n'avait duré qu'une poignée de secondes. Lucius avait tenté de l'avertir. La magie noire l'avait déjà à moitié consumée avant sa peine de prison mais désormais…
« Tu aurais dû me laisser la tuer. » murmura Andy, en venant la rejoindre devant la fenêtre. Elle se cala dans l'angle opposé, observa l'allée de graviers bien droite en contrebas qui menait à l'entrée principale du Manoir. Un paon albinos se promenait tranquillement sur la pelouse…
Narcissa prit une profonde inspiration. Elles n'avaient jamais parlé de cette nuit-là.
Ted et Andromeda s'étaient cachés pendant des mois après leur fuite, pour éviter le courroux des Black. Lorsqu'ils avaient appris qu'elle avait accouché d'une petite fille… Bellatrix avait fondu un chaudron. Narcissa n'avait jamais su comment leur sœur cadette avait déniché l'ainée. La suivre lui avait demandé de l'ingéniosité et plusieurs sortilèges qui auraient pu lui valoir des ennuis avec le Ministère mais qu'un Black avisé pouvait facilement trouver dans la bibliothèque…
Elle était arrivée juste à temps.
Bellatrix était la meilleure duelliste des trois mais c'était au bébé qu'elle avait décidé de s'en prendre, pas à Andy. Et Andromeda n'aurait jamais permis cela. Lorsque Narcissa avait débarqué en trombe, Andromeda avait déjà les mains autour du cou de Bellatrix. Leur sœur avaient eu les yeux exorbités…
Elle avait empêché Andromeda de la tuer, lui avait juré que Bellatrix ne recommencerait jamais et avait trainé leur petite sœur jusqu'à leur père qui n'avait pas été aussi furieux que Cissy l'avait escompté ou espéré.
Les Tonks avaient déménagé peu après et s'étaient faits discrets pendant les années qui avaient suivies.
Aurait-elle réellement dû laisser Andromeda tuer Bellatrix ? Elle en aurait été incapable.
Amies ou ennemies, elles restaient sœurs. Si l'une en venait à véritablement tuer l'autre… En étaient-elles vraiment là ?
Elle savait jusqu'où irait Andy pour protéger Nymphadora tout comme elle savait jusqu'où elle était prête à aller pour protéger Draco et cet enfant à naître. Pourtant, elle savait également jusqu'où Bellatrix irait pour son Maître.
« Elle voulait un enfant. » lâcha-t-elle, suivant cette pensée. « Elle voulait Son enfant. »
Andy la dévisagea longtemps puis détourna le regard. « C'est probablement une bonne chose que les Black aient des problèmes de stérilité, dans ce cas. »
« Sans doute. » Elle caressa son ventre, sans parvenir à réprimer une pointe de tristesse. Lucius ne… Elle força cette pensée dans un coin de son esprit avec le reste de son chagrin. « Peut-être cela l'aurait-il adoucie… »
« Rien ne l'aurait adoucie. » contra Andy, en secouant la tête. « Nous avons toujours su que quelque chose clochait chez elle, non ? »
« Elle a toujours eu une affinité trop prononcée pour la magie noire. » acquiesça-t-elle. Et le Square Grimmaurd en avait toujours été saturé.
« Un enfant… » Andromeda émit un bruit dégoûté. « Le pauvre aurait sans doute été condamné d'avance. Et tu en aurais hérité à son incarcération. »
« Certes. » Narcissa soupira. « Mais elle en a souffert. »
« Cissy, elle n'a jamais voulu un enfant par désir de maternité. » répondit sèchement sa sœur. « Elle voulait simplement perpétuer la lignée. » Lady Malfoy lui jeta un regard lourd de sens mais Andy leva les yeux au ciel. « Ta situation est différente. Dis-moi que tu n'aimes pas tes enfants. » la défia-t-elle. « Dis moi qu'ils n'étaient qu'une obligation contractuelle à remplir. »
« Tu sais bien que non. » rétorqua-t-elle. « Et… Tu n'as pas tort, je suppose. » Elle observa Andromeda avec une légère hésitation. « Était-ce un choix de n'avoir qu'une seule fille ? »
Elle n'avait jamais posé la question durant tous ces mois passés ensemble.
« Non, bien sûr. » répondit Andromeda avec un petit sourire mélancolique qu'elle balaya d'un léger rire. « Mais je ne m'y serais pas remise à ton âge non plus. » Elle soupira. « C'est déjà suffisamment compliqué de me retrouver catapultée grand-mère par alliance d'un garçon de presque seize ans. »
Les yeux pétillant d'amusement, Narcissa se tourna plus franchement vers elle. « Personne ne t'oblige à t'impliquer, sais-tu ? »
Sa sœur inclina légèrement la tête sur le côté, avec un regard parfaitement déchiffrable pour elle : elle savait très bien que Cissy la taquinait.
« Même en écartant Nymphadora de l'équation, devrions-nous abandonner ce pauvre gamin à l'influence seule de Sirius ? » se moqua Andy.
« Il a beaucoup mûri. » se sentit-elle obligée de défendre leur cousin. « Et il me semble qu'il est difficile d'écarter Nymphadora de l'équation, en l'occurrence. »
Andromeda laissa échapper un grognement dépité qui était si familier qu'il en devenait presque comique. Merlin savait qu'elles avaient eue cette conversation à de nombreuses reprises depuis que la Médicomage avait flairé la chose.
« Je ne te comprends pas. » remarqua-t-elle, non pour la première fois. « Certes, il n'a pas un pédigrée impeccable mais il reste un Prince… Je pourrais sans doute lui trouver des prétendants plus respectables, si c'est véritablement le problème. »
Andy lui jeta un coup d'œil sévère. « Tu sais que ça m'est égal. »
« Dans ce cas, qu'as-tu réellement à lui reprocher ? » insista-t-elle.
« Mis à part le fait qu'il a pratiquement le même âge que toi ? » grinça sa sœur.
Narcissa leva un sourcil. « Cela devient vexant, toutes ces réflexions sur mon âge. Tu es plus vieille que moi, je te rappelle. » Elle agita la main pour balayer l'argument. « Et il est peut-être plus vieux qu'elle mais c'est courant dans notre milieu. »
« Tu parles de mariages arrangés. » grommela Andromeda.
« Qui ne sont pas tous malheureux. » rétorqua-t-elle. « Alors s'il s'agit d'un mariage d'amour… »
« Nous n'en sommes pas à parler mariage, de toute manière. » nuança la Médicomage avec une grimace. Cissy se contenta de la dévisager avec une expression entendue jusqu'à ce qu'elle lève à nouveau les yeux au ciel. « C'était son Professeur. Tu m'excuseras, j'ai du mal à passer au-dessus. Imagine si Draco t'annonçait dans quelques années qu'il comptait épouser McGonagall. »
« Excepté que Severus n'est pas un fossile. » contra-t-elle, avec amusement. « Et ce n'est pas comme si elle venait de sortir de Poudlard non plus. Severus a de nombreux défauts mais pas celui là. »
« Elle est tout de même trop jeune pour s'embarquer dans une relation aussi compliquée. » marmonna Andromeda.
Narcissa ne tenta même pas de réprimer son petit rire. « Tu es une hypocrite, Andy. Rappelle-moi quel âge tu avais lorsque tu t'es enfuie avec Ted ? Rappelle-moi quel âge tu avais lorsque Nymphadora est née ? »
Avec mauvaise fois, Andy singea une grimace puérile qui ramena Cissy à leur enfance. Puis elle soupira. « J'espérais juste… »
« Elle l'aime, Andromeda. » l'interrompit-elle, avec davantage de sérieux. « Cette nuit-là… Tu l'as bien vu, non ? Elle l'aime. Comme tu aimes Ted. Comme j'aime Lucius. Souviens-toi de ce que nous étions prêtes à faire pour eux à son âge et réfléchis bien. Préfères-tu accepter que Severus sera bientôt ton gendre ou bien préfères-tu perdre ta fille ? Parce que je te garantie que cela lui brisera peut-être le cœur mais elle le choisira lui. Elle a hérité de l'entêtement des Black et elle te ressemble. »
« Non, bien sûr. » répliqua Andy immédiatement. « J'ai bien compris que la chose était entendue et je la soutiendrai dans ses choix mais… » Elle soupira. « Severus semble avoir un don certain pour se retrouver cloué sur un lit d'hôpital ou en danger de mort. Je n'aime pas l'idée qu'elle souffre. »
« Au moins, il est toujours vivant. » lâcha-t-elle, un peu froidement.
Andromeda sembla réaliser que ses paroles étaient peut-être un peu déplacées vu les circonstances et lui attrapa la main. « Je suis désolée, Cissy. Tu es si forte, j'oublie… »
Narcissa serra ses doigts mais détourna le regard vers la fenêtre. Le ciel s'était couvert, le paon avait disparu.
« Je ne suis pas forte. » avoua-t-elle. « Mais il n'y a pas d'alternatives. » Sa vue se brouilla et elle cilla jusqu'à ce qu'elle s'éclaircisse, jusqu'à ce que les larmes disparaissent. « M'allonger et me laisser mourir de douleur n'est pas une option. »
« Mais réprimer ton chagrin n'est pas une solution non plus. » remarqua doucement Andy.
« Nous ne sommes que le produit de notre éducation. » ironisa-t-elle. « Que disait Oncle Orion, déjà ? »
« Un Black a le sang froid. » murmura sa sœur.
« Un Black a le sang froid. » répéta Narcissa amèrement.
Il y eut un grognement dégouté en provenance du seuil.
« Si vous vous êtes retranchées là pour citer mon père, je plie bagages. » déclara Sirius, en faisant pourtant quelques pas dans la pièce. Il s'immobilisa très vite en avisant la décoration particulière. « Ah. Bella ? »
« Bella. » confirmèrent-elles d'une même voix, avant d'échanger un sourire amusé à leur synchronisme.
« Et que faisons-nous dans l'antre de Bellatrix ? » demanda-t-il avec curiosité, ouvrant déjà les tiroirs de la commode pour mieux fouiller.
Narcissa manqua lui rappeler que cela ne se faisait pas puis abandonna même si elle doutait que Bellatrix ait rien laissé d'important derrière elle.
« Je tentais de convaincre Andy qu'elle pourrait avoir pire gendre. » plaisanta-t-elle. « Ou pire petit-fils par alliance. »
Sirius marqua une pause dans ses fouilles, tiquant visiblement lorsqu'il fit le lien qui reliait désormais son filleul à Andy. « On est vraiment une famille très bizarre. » Il jeta un coup d'œil à Andromeda. « Mais si ça peut te rassurer, tu n'as probablement pas besoin de t'inquiéter. Severus n'est pas près de t'appeler Belle-maman. »
La Médicomage ne goûtait visiblement pas au nom et fit la grimace.
« Et pourquoi ça ? » voulut savoir Cissy, moins encline à plaisanter tout d'un coup. « Je sais bien que la modernité est à la mode mais il est tout à fait aux faits de nos coutumes… Il serait beaucoup plus respectable d'officialiser la chose au plus vite. Surtout que tout le monde est au courant. La réputation de Nymphadora… »
« La réputation de ma fille n'est pas ton problème, Narcissa. » intervint Andy, d'un ton d'avertissement. « Elle fait ce qu'elle veut, avec qui elle veut et comme elle veut. Si quelqu'un a un problème avec ça… »
« Tu avais un problème avec cette idée, il n'y a pas dix minutes. » remarqua-t-elle. Elle se tourna vers Sirius pour le fixer avec intensité. « Que sais-tu ? Lequel des deux s'est confié à toi ? »
Son cousin semblait regretter d'avoir ouvert la bouche. « Non, c'est pas… »
« Sirius, cesse immédiatement de tripoter les sous-vêtements de Bellatrix et dis-nous tout. » ordonna-t-elle, d'un ton impérieux.
Il referma brutalement le tiroir de la commode, vexé. « Je ne tripote pas ses petites culottes, je regarde si elle a laissé quelque chose d'intéressant derrière elle. »
« Nymphadora compte se marier à un moment donné, n'est-ce pas ? » demanda Andromeda, soudain moins hostile à la ligne de questions de sa sœur, comme si elle venait de réaliser quelque chose. « Elle est tellement anticonformiste parfois… Mais tout de même… Tu me le dirais si elle t'avait parlé de quelque chose comme ça. »
« Oui, Sirius. Tu nous le dirais, n'est-ce pas ? » renchérit Cissy, avec une moue boudeuse entièrement calculée.
Leur cousin les regarda tour à tour, l'air légèrement effrayé, puis soupira. « Bordel, ça m'avait pas manqué, ça. » Il marmonna quelque chose à propos de Ted qui était un saint d'avoir dû supporter qu'elles se liguent contre lui pendant des mois puis se racla la gorge. « Je sais juste que Severus ne pense pas que Tonks soit prête pour le mariage. Et qu'il n'était pas forcément prêt non plus. Et vous n'allez dire à personne que je vous ai répété ça parce qu'il a déjà suffisamment de raisons de me tuer comme ça. »
« Mais il compte bien l'épouser. » releva Narcissa, d'un air entendu. « De toute manière, avec la guerre, mieux vaut de longues fiançailles si nous souhaitons une cérémonie correcte. »
Au lieu de rebondir, Andromeda se rapprocha de leur cousin pour poser une main sur son bras. « Dora m'a dit que Dumbledore voulait renvoyer Harry dans sa famille et elle était en colère mais je n'ai pas bien compris pourquoi… »
« Parce que ce sont les pires sortes de Moldus ! » explosa Sirius, comme s'il n'avait attendu que ça. Et il fallait reconnaître que depuis la veille au soir, il était particulièrement soupe au lait. Il avait à peine décroché un mot de la journée et, ce, bien qu'il ait fait de son mieux pour la soutenir durant l'inhumation de Lucius.
« En existe-t-il vraiment de bonnes sortes ? » ironisa-t-elle, s'attirant deux regards noirs extrêmement similaires. « N'ai-je plus le droit de faire de l'humour ? »
Sa question agacée resta sans réponse, principalement parce qu'ils savaient tous que ce n'était pas véritablement de l'humour.
« Qu'est-ce que tu veux dire ? » insista Andy, en fronçant les sourcils. Elle l'attira par le bras jusqu'à ce qu'ils soient assis au bout du lit de leur sœur.
Narcissa s'amusa un instant à imaginer l'expression de Bellatrix si elle avait pu les voir à cet instant, en train d'envahir son repaire, mais tout amusement disparut très vite lorsqu'elle vit la détresse évidente de Sirius. L'Animagus se frottait le visage, les épaules rentrées, l'expression revêche, sans s'embarrasser de cacher son angoisse…
« Sirius ? » s'inquiéta-t-elle.
« Ils ne le traitent pas bien. » lâcha finalement le sorcier, avec réticence.
« S'ils ont osé lever la main sur… » grinça-t-elle, sa main se refermant déjà sur la hampe de sa baguette. Il y avait des choses qu'elle ne tolérait plus ou très mal depuis qu'elle était mère. Toute l'affaire des Potter, à l'époque déjà, lui avait retourné l'estomac. Les enfants, a fortiori les bébés, n'auraient pas dû être jetés en pâture à la guerre.
« Non. » la coupa-t-il. « Ça ne va pas jusque là. Mais ce n'est pas beaucoup mieux. »
« Mais, ça… Dumbledore le sait ? » s'enquit Andromeda.
« Ne sois pas naïve. » soupira Cissy, au moment même où Sirius répliquait : « Il le sait et il s'en fout. ».
La Médicomage se ferma, visiblement partagée entre une loyauté incompréhensible pour le vieux sorcier et le même instinct qui régissait Narcissa : on ne touchait pas aux enfants, surtout ceux de la famille.
« Pourquoi y est-il retourné dans ce cas ? » gronda Andy.
Sirius émit un bruit agacé. « Parce que Dumbledore estime que c'est nécessaire à cause du sacrifice de sa mère. Il y a un enchantement ou… »
Cissy croisa le regard de sa sœur. Elles n'avaient pas besoin de Legilimencie pour se comprendre sans un mot.
« Non, Sirius. » l'interrompit Narcissa. « Pourquoi y est-il retourné ? »
L'Animagus leva les yeux vers elle, sourcils légèrement froncés. « Je viens de te le dire. Dumbledore… »
« Potter est sous la protection de la Maison Black et de la Maison Malfoy. » le coupa à nouveau Narcissa.
« Sans parler du fait qu'il s'agit du fils officieusement adoptif de l'homme que ma fille va probablement épouser un jour prochain. » renchérit Andromeda.
« Et son arrière grand-mère maternelle était une Malfoy. » ajouta-t-elle. « Son arrière, arrière grand-mère une Black. Et c'est en me remémorant l'arbre généalogique des Potter de tête. Il doit bien y avoir une ou deux branches Prewett ou Weasley… »
Sa sœur donna un léger coup de coude à Sirius. « Elle peut faire ça toute la journée, tu sais. »
« La question n'est pas les liens familiaux. » contra Sirius. « Le testament de Lily et James est très, très clair sur la personne avec laquelle Harry devait vivre. » Il détourna la tête. « Si j'avais été moins con à l'époque… »
« Langage. » le gronda Narcissa. « Comment pouvons-nous te trouver une Lady Black adéquate si tu jure comme un membre de la plèbe ? »
« Il n'y aura pas de Lady Black, Cissy. » rétorqua sèchement son cousin. « Et rappelle-moi de te présenter Nyssa à l'occasion. »
« La vampire ? » releva Andy, avec curiosité.
Dans quelle relation était encore allé se fourvoyer son cousin ?, se demanda Narcissa, avant de balayer la chose d'un geste de la main.
« Potter. » déclara-t-elle, pour leur rappeler le sujet de la conversation. « Pourquoi l'as-tu laissé aller chez des Moldus, s'il n'y est pas en sécurité ? »
Et avec Bellatrix et un Seigneur des Ténèbres surpuissant en liberté, il ne restait certes pas beaucoup d'endroits sûrs mais le monde Moldu était sans doute le pire choix.
« Laissé y aller… » répéta l'Animagus avec amertume.
Il sortit un paquet de cigarettes de sa poche mais ne chercha pas à en allumer une. Il joua distraitement avec le rabat à la place. Cissy prit note de lui offrir un étui à cigarettes en argent ou en or, quelque chose d'un petit peu plus convenable à quelqu'un de son rang.
« Je n'ai pas vraiment eu le choix. » cracha-t-il. « Il a convaincu Harry que c'était nécessaire pour sa propre sécurité. »
Narcissa pinça les lèvres, commençant à comprendre pourquoi ils avaient été si furieux qu'elle accepte cette dette la veille. Si Potter était si facilement manipulable… « Tu as mentionné un enchantement ? »
« En se sacrifiant pour le sauver, Lily lui a donné une protection qui se régénère par le sang. » expliqua Sirius d'un ton fatigué. « Il faut qu'ils passent du temps sous le même toit, lui et la famille de sa mère, pour qu'elle se renouvelle. »
Narcissa leva un sourcil. « Du temps sous le même toit ? Fantastique. Jetons les Fidelitas, puis kidnappons tout ce petit monde. Il y a des cellules très confortables à la cave. »
« Je crois que tu veux dire aux cachots. » marmonna Andromeda, pince-sans-rire.
« Et nous avons suffisamment de chambres d'amis pour vous loger confortablement toi et ton filleul, le temps qu'il faudra. » continua-t-elle, sans se laisser émouvoir. « Ils seront tous sous le même toit, l'enchantement pourra se renouveler, Potter sera en parfaite sécurité et Dumbledore n'a aucun moyen de briser un Fidelitas, pas sans dépenser une énergie qu'il faut que notre cher Ministre emploie ailleurs. »
Sirius la dévisagea longtemps, un air calculateur sur le visage. « Tu ferais ça ? »
« Tu m'as demandé de choisir mon camp, il me semble. » soupira-t-elle. « Je choisis ma famille. Je choisirai toujours ma famille. Et ne t'ai-je pas affirmé hier que, s'il était ton enfant, il était sous ma protection ? Pensais-tu que c'était des paroles en l'air ? Vous me vexez tous les deux, vous savez. »
Andy secoua la tête, cachant son sourire. « Même sans aller jusqu'au kidnapping, il y a d'autres moyens de faire ployer Dumbledore. Je sais que tu n'aimes pas ça, Sirius, mais tu es Lord Black. Il peut difficilement se passer du soutien de la Maison Black sans perdre en crédibilité, surtout si Dora joue le jeu. »
L'Animagus grimaça. « Je déteste la politique. C'est Severus qui s'occupe de ça d'habitude. »
« Oui, eh bien, laisse-moi me soucier de ça, pour l'instant. » intervint Cissy. « Si tu désires récupérer ton filleul, il y a plus d'une manière de peler un Flaireur. »
Andromeda lui jeta un regard agacé. « Je déteste cette expression. »
« Mais tu ne détestais pas la cape en peau de Flaireur que t'avais offerte Mère. » rétorqua-t-elle, car elle ne goûtait guère à l'hypocrisie de sa sœur sur certains sujets.
L'air calculateur de Sirius n'avait pas disparu, il semblait réfléchir. « J'ai envoyé Kreattur avec Harry. Il a ordre de me prévenir au moindre problème… Je ne dis pas non au kidnapping si besoin mais pour l'instant… Pour l'instant, c'est probablement mieux d'attendre. Harry ne se laissera pas kidnapper facilement, de toute manière. »
« Les geôles sont à ta disposition. » offrit-elle gracieusement.
Toutefois, elle devait se souvenir d'envoyer un elfe vérifier qu'il n'y restait rien de… gênant. Elle ne savait pas ce qu'avaient fait Lucius ou Bella et Rodolphus en son absence. Cela n'aurait pas vraiment était dans son intérêt que l'Ordre y découvre des prisonniers Moldus ou autre.
Le regard de Sirius s'attarda sur elle, voyagea jusqu'à Andy, finit par atterrir sur les traces de folie manifeste que Bellatrix avait placardé au mur sous forme des articles et photographies endommagés…
« Regulus est mort. » annonça-t-il soudain, avec une douleur palpable, fraiche, comme si la chose n'était pas entendue depuis plus de quinze ans.
Elle échangea un coup d'œil avec Andy, peu sûre de sur quel pied danser.
Sirius déglutit avec une difficulté visible puis haussa les épaules. « Bellatrix ne survivra pas à cette guerre-ci. »
C'était une autre vérité à laquelle elles avaient essayé de ne pas penser pendant des mois. Andromeda détestait leur sœur parce que c'était plus facile mais continuait d'en souffrir. Narcissa… Narcissa avait encore du mal à se résoudre à tirer un trait sur elle. Elle se souvenait trop bien de la fillette qui la suivait partout et voulait son approbation, voulait l'imiter en tout.
« Il ne restera plus que nous. » termina leur cousin, avec tristesse. « Je suis heureux que vous soyez avec moi. »
Andromeda attrapa la main de l'Animagus et lui tendit l'autre. Narcissa s'approcha pour la serrer sans un mot, offrant des doigts tremblants à Sirius pour compléter le cercle qui comptait deux absents.
Il y avait beaucoup de décisions prises ces derniers mois dont elle doutait mais renouer avec sa sœur et son cousin, ça… Il y avait une telle impression de justesse à se tenir à nouveau entre Sirius et Andromeda… C'était peut-être la seule chose de cette période qu'elle ne regretterait jamais.
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Hermione laissa ses doigts courir sur la tranche au cuir usé d'un grimoire, baguette fermement en main. Elle avait appris sa leçon quelques minutes plus tôt quand un des vieux livres lui avait craché de l'encre en plein visage. Elle avait déjà vu des livres volants dans la bibliothèque de Poudlard et la Réserve était remplie de grimoires qui gigotaient tout seul ou semblaient doués d'un semblant de vie et pourtant… Elle n'avait jamais rien vu de tel que la petite pièce dérobée au fin fond de celle des Malfoy. Les étagères étaient bourrées à craquer de traités de magie noire, de livres qu'elle n'avait pas osé toucher, certains avaient des yeux humains sur la tranche qui l'observaient sans en avoir l'air, d'autres semblaient être reliés dans une matière qui ressemblait à de la peau…
« Une cinquantaine de raids et le Ministère n'a jamais trouvé cette pièce. » se moqua la voix de Draco, du seuil. « Je ne suis pas étonné qu'il ne t'ait fallu que moins d'une heure. »
La pièce était bien cachée, elle devait l'admettre, mais elle avait toujours eu une affinité pour repérer les incohérences. Or les chevrons de bois n'étaient pas parfaitement alignés au sol au niveau d'une statue de dragon qui sommeillait paisiblement sur son piédestal et lui avait jeté un regard vaguement agacé d'être dérangé. Elle avait essayé plusieurs mots de passe dont Sang-de-Bourbe avant de se rabattre sur Ma Maison avant tout. Elle avait été un peu déçue que ça fonctionne, cela ne semblait pas un mot de passe très sécurité vu que la devise était écrite partout dans le Manoir. Mais c'était peut-être le génie de la chose.
Elle se tourna vers lui, abandonnant l'étude des titres obscurs. « Tu crois qu'on pourrait trouver quelque chose pour aider Harry avec… tu-sais-quoi, là-dedans ? »
Le blond haussa les épaules, enfonçant les mains dans ses poches. « Peut-être mais pas aujourd'hui. »
Il se détourna pour retourner dans la partie principale de la bibliothèque et elle lui emboîta le pas par réflexe. Le dragon revint boucher l'entrée dès qu'ils furent passés, se lovant à nouveau sur lui-même pour mieux se rendormir.
Elle ne put s'empêcher, alors qu'ils traversaient les rayonnages et débouchaient dans l'espace au centre, occupé seulement par quelques tables, une cheminée et des fauteuils confortables de tourner sur elle-même pour mieux admirer à nouveau la pièce. Ce n'était pas aussi grand ou impressionnant que celle de Poudlard mais pour une collection privée… La bibliothèque s'étalait sur deux étages, les rayonnages montaient jusqu'au plafond, les échelles se déplaçaient par magie…
« Tu aimes ? » demanda Draco, avec un léger sourire, en se laissant tomber dans un des fauteuils en cuir usé.
« J'ai l'impression d'être dans La Belle et La Bête. » avoua-t-elle. En avisant son froncement de sourcils confus, elle haussa les épaules. « Oublie ça, truc de Moldus. »
Le Serpentard avait l'air fatigué et beaucoup plus vieux qu'il ne l'avait été avant la bataille. Les cernes sous ses yeux, la manière dont il se tenait, son regard qui se faisait beaucoup trop hanté par moments…
« Mais tu aimes le Manoir ? » insista-t-il, en l'étudiant avec intensité.
Elle savait ce qu'il voulait entendre. Et il fallait être honnête, le Manoir Malfoy avait tout du château enchanté – peut-être pas comme Poudlard, mais à une échelle plus humaine. La demeure était impressionnante, il fallait l'admettre, et elle n'avait pas tout vu du domaine qui s'étendait autour ou même des jardins dont les arts topiaires de différentes formes semblaient se mouvoir, redessinant perpétuellement les jardins élégants.
Tout était élégant, ici.
Et elle ne pouvait s'empêcher de penser que dans sa robe Moldue bleue marine – la seule tenue un minimum habillée et de couleur sombre qu'elle avait dans sa malle – elle détonnait.
« C'est très beau. » répondit-elle, avant de grimacer. « Pas très accueillant mais très beau. »
Il fronça les sourcils, suivant son regard jusqu'au portrait qui trônait au-dessus de la cheminée – et qui s'époumonait en silence.
Elle n'eut pas besoin de s'expliquer, il sembla comprendre tout seul.
« Ils t'ont insultée ? » gronda-t-il, se relevant du fauteuil dans un mouvement d'humeur.
Il n'attendit pas la réponse avant d'annuler d'un coup de baguette le silencio qu'elle avait jeté. L'homme dans le portrait ne perdit pas une seconde pour leur faire part de son dégout de voir la maison des Malfoy ainsi souillée par de la vermine…
« Taisez-vous, Grand-père. » siffla Draco, avec une autorité nouvelle.
Le vieil homme dans le portrait le regarda, visiblement choqué. « Mais, enfin, Draco… Vous… »
« Je suis Lord Malfoy, à présent. Votre époque est révolue. » l'interrompit-il. « Et qu'il soit clair que je ne tolérerai aucun manque de respect envers ma future femme. »
Hermione aurait préféré qu'il cesse ses allusions répétées à un futur qui prenait des allures de carcan. Elle l'aimait. Bien sûr qu'elle l'aimait. Mais elle avait seize ans et… Elle n'avait pas prévu de penser mariage avant au moins une dizaine d'années. Seulement, cela, elle ne savait pas comment le lui dire.
Et ce n'était ni le moment, ni le lieu.
Ce n'était pas qu'elle ne désirait pas l'épouser un jour, c'était juste que…
« Votre future femme ? Une Sang-de-Bourbe ? » s'étouffa à moitié le portrait d'Abraxas Malfoy. « Vous n'y pensez pas ! Vous ne… »
Un jet de flammes échappa à la baguette de Draco, venant lécher la toile dangereusement près.
« Je vais vous confier une mission, Grand-père. » déclara-t-il. « Vous allez faire le tour du Manoir et informer tous les autres portraits de nos illustres ancêtres que si j'entends à nouveau ce mot affreux, ils finiront brûlés dans la cheminée. Nous ne sommes plus du côté du Seigneur des Ténèbres, désormais. Les temps ont changé. J'ai changé. C'est une nouvelle ère pour la Maison Malfoy. Vous pouvez tous vous mettre au diapason ou bien vous pouvez finir en cendres. Je sais ce que je choisirais à votre place mais qu'il ne soit pas dit que je suis un tyran sous mon propre toit. »
« Ton père aurait honte. » cracha Abraxas.
Draco tressaillit mais ne se démonta pas. « Mon père aurait approuvé, à vrai dire. Il n'a jamais toléré que qui que ce soit manque de respect à Lady Malfoy. Et puis… Comme je l'ai dit, c'est une nouvelle ère. »
Le portrait semblait en rage mais finit par vider son cadre.
Toute défiance sembla quitter le garçon dont les épaules s'affaissèrent comme si la confrontation l'avait épuisé. Lorsqu'il se tourna vers Hermione, ce fut avec une expression contrite.
« J'aurais dû y penser. » s'excusa-t-il. « Cela ne se reproduira plus. En ce qui me concerne, tu es ici chez toi. »
Elle fit de son mieux pour lui dissimuler la panique que ce genre de grandes déclarations faisaient naître en elle. Elle ne dut pas y parvenir tout à fait parce qu'il approcha avec un de ces sourires un peu moqueurs qui l'horripilaient d'ordinaire et repoussa une mèche rebelle derrière son oreille. Elle avait tenté de mettre de l'ordre dans sa coiffure mais sans y parvenir.
« Ne t'inquiète pas, Granger. Je ne compte pas te mettre un couteau sous la gorge pour te forcer à m'épouser. » plaisanta-t-il. « Je peux attendre que tu sois prête. »
« Même si c'est des années ? » le défia-t-elle, avec une légère angoisse.
Elle ne voulait pas le perdre.
Elle ne voulait pas le perdre mais elle ne voulait pas se perdre non plus.
« Pour toi ? » répondit-il. « J'attendrai un siècle. »
Elle se détendit légèrement parce qu'elle le sentait sincère. « Je croyais qu'il fallait se dépêcher de pondre un héritier ? »
Autre chose qu'elle ne voyait pas d'un bon œil. Elle voulait des enfants dans un futur hypothétique mais pas pour perpétuer une lignée, parce qu'ils auraient été désirés.
« Mon frère nous ôte cette épine du pied. » expliqua Draco. « Il sera mon héritier jusqu'à ce que j'ai un enfant. La continuité est assurée. Nous avons tout le temps du monde. »
Elle comprit soudain que c'était une des raisons pour lesquelles il était si heureux de devenir un grand frère. L'existence même d'un autre Malfoy allégeait la pression sur ses épaules.
La conversation était sérieuse, peut-être un peu trop.
Il lui semblait qu'ils n'avaient eu que des conversations sérieuses dernièrement.
Il devait partager cette opinion parce que, lorsqu'elle posa une main sur son torse et poussa légèrement, il se laissa faire, reculant jusqu'à ce que le fauteuil le cueille derrière les jambes et qu'il ne soit forcé de s'asseoir. Elle posa un genou de chaque côté de ses cuisses et s'installa sur lui. Loin de protester, il glissa les mains de ses jambes à ses hanches, non sans les laisser s'égarer sur ses fesses, ce qui la fit un peu sourire.
Il appuya la tête en arrière contre le dossier du fauteuil, l'observant avec des yeux pétillants, plus vivants qu'ils ne l'avaient été depuis un bon moment, attendant patiemment de voir ce qu'elle allait faire. Et, lorsqu'elle se pencha en avant pour effleurer sa bouche de la sienne plusieurs fois, reculant à chaque fois pour mieux le torturer, ses doigts se crispèrent sur ses hanches alors qu'il l'attirait plus près…
Il se lassa très vite de son petit jeu. Malgré ce qu'il prétendait, Draco n'était pas foncièrement quelqu'un de patient, surtout lorsqu'il était question de gratification immédiate. Elle ne fut donc pas surprise lorsqu'il remonta une main jusqu'à sa nuque, l'empêchant de s'échapper à nouveau alors qu'il capturait sa bouche. Il approfondit le baiser sans tarder, lui arrachant un petit bruit de plaisir qui ne sembla que l'encourager.
Elle était trop obnubilée par les baisers, par la main qui se baladait sur son corps, pour se rendre compte qu'il avait commencé à travailler à lui détacher les cheveux. Elle se recula en sentant la masse lourde des boucles retomber sur ses épaules, posant fermement les mains sur son torse pour l'empêcher de recommencer à l'embrasser.
« Draco ! » protesta-t-elle. « J'ai mis une heure à essayer d'avoir l'air présentable ! »
Parce qu'il était un peu trop évident que Mrs Malfoy trouvait qu'elle manquait singulièrement de classe. Ce n'était pas tant qu'elle voulait plaire à la Sang-Pure ou quêtait son approbation… Après tout, Hermione se considérait comme une jeune femme indépendante et moderne et… Mais il était évident que Draco allait de pair avec un certain rang et un certain attachement aux apparences or si elle ne souhaitait pas le perdre…
Son petit-ami était un peu trop perspicace. Il lui caressa la joue, laissant son pouce s'attarder sur ses lèvres.
« Granger, je n'ai pas besoin que tu sois présentable. » déclara-t-il. « Je n'ai pas besoin que tu changes pour moi ou pour qui que ce soit. Si j'avais voulu m'attacher à une Sang-Pure, je l'aurais fait. Je t'ai choisie, toi. » Il laissa échapper un soupir un peu trop prononcé pour être sincère. « Et puis, que veux-tu, tu m'as perverti… Ce nid d'oiseau me fait de l'effet désormais. »
Elle lui asséna une claque légère sur l'épaule en guise de réprimande, ce qui lui arracha un léger rire.
« Tant de violence… » se plaignit-il, en enfouissant les doigts dans ses boucles indisciplinées pour mieux l'attirer à nouveau vers lui. « Moi qui ne veux que de la tendresse… »
Son propre rire moqueur fut étouffé par son baiser mais ça ne l'empêcha pas d'écarter juste assez son visage pour lui jeter un regard goguenard, se faisant plus lourde sur ses cuisses juste pour qu'il comprenne bien de quoi elle était en train de parler. « Que de la tendresse… Bien sûr. »
Ses lèvres s'étirèrent en un sourire sarcastique qu'elle ne lui avait pas vu depuis trop longtemps et elle chérit ces quelques minutes de retour à la normale qui, elle le savait, ne dureraient pas.
« Il y a de nombreuses formes de tendresse, Granger. » contra-t-il. « Nous sommes loin d'avoir tout exploré. »
« Oh, et tu es soudain un expert ? » se moqua-t-elle.
« Je m'efforce de le devenir. » répliqua-t-il, en pressant plusieurs baisers contre sa gorge. « Mais tu as raison… C'est comme pour le Quidditch, il faut s'entraîner sérieusement… »
« Draco Malfoy, si tu me compares encore au Quidditch, tu n'auras ni tendresse, ni rien d'autre. » décréta-t-elle, riant à moitié.
Il mordit délicatement sa peau, lui arrachant un bruit surpris.
« Nous verrons, Granger… » la défia-t-il, avec amusement. « Nous verrons. »
°O°O°O°O°
Du doigt, Albus retraça une ligne du texte décidemment trop petit, avant de reposer la loupe qu'il tenait dans l'autre main et de refermer l'ouvrage avec frustration. Créer une poche dissimulée dans son esprit où garder ses souvenirs les plus précieux n'était pas une idée inédite mais Severus avait pris ce concept et l'avait poussé bien plus loin et même ses grimoires les plus développés en matière de magie de l'esprit ne lui apportaient pas de début de réponse.
Les yeux douloureux d'avoir fixé ces caractères minuscules, il se leva et marcha jusqu'à la fenêtre de son bureau, comme il le faisait souvent lorsqu'il avait besoin de réfléchir. Il tendit la main vers sa réserve de bonbons au citron mais y renonça au dernier moment. C'était un réflexe mais il n'avait pas d'envie pour les sucreries, à l'instant. Et étant donné qu'il en était à son deuxième philtre de force de la journée, il était probablement plus intelligent de limiter le sucre.
Trop de philtres de force, pas assez de sommeil, beaucoup trop de stress… Poppy lui avait jeté plusieurs regards lourds de sens lorsqu'il l'avait croisée à l'infirmerie mais le connaissait suffisamment bien pour ne pas avoir ouvertement fait de remarque.
Il avait cru, plus tôt, tenir un début de piste. Il avait replongé dans l'esprit de Severus et avait décidé, au lieu de foncer tout droit dans la masse de souvenirs, de longer la lisière de son esprit dans l'espoir de trouver une trouée. S'il avait parlé de labyrinthe, à moins que cette partie ne soit un échec, il devait bien y avoir une entrée ? Un chemin ? Mais Albus n'avait rien trouvé d'autre qu'une migraine et un corps tétanisé d'être trop longtemps resté dans la tête d'un autre.
Était-il possible que l'idée de Tonks soit la bonne ? Qu'essayer de communiquer avec lui en s'époumonant dans le vide soit encore leur meilleure option ?
Distrait, pris par sa réflexion, il se tourna en direction du fauteuil devant l'âtre pour demander à Gellert son opinion et…
Il avait oublié.
L'espace d'une poignée de secondes, il avait oublié.
S'il devait être honnête, ces deux derniers jours, il avait fait de son mieux pour oublier mais le moment où la réalité lui revenait en plein visage était pire et ne valait pas les quelques minutes de paix.
Préparer les corps pour l'incinération, la veille, avait été…
Il délaissa la fenêtre pour se diriger vers la porte dérobée qui menait à ses appartements, montant les marches d'un pas lourd, conscient qu'il n'avait pas le temps et qu'à défaut de se concentrer sur le problème de Severus, il aurait dû relancer les autres gouvernements, se rendre dans la partie désormais administrative de Poudlard pour saluer les employés survivants qui s'étaient présentés pour reprendre du service, traquer Kingsley et lui demander un rapport… Et cela n'était que les nécessités immédiates. Il devait également trouver le temps de s'éclipser suffisamment longtemps pour visiter cette caverne où il pressentait trouver le prochain horcruxe… Mais il rechignait à quitter Poudlard, surtout tant que Severus n'était pas en état de prendre la tête des opérations à sa place en cas de nouvelle attaque.
Cela ne lui avait pas échappé que son Professeur de Défense avait été, au final, celui à diriger les troupes au sol. Il n'avait pas été très délicat avec Remus mais, durant cette bataille, le loup l'avait déçu. Ce n'était peut-être pas juste mais, dans le feu de l'action, les personnalités s'étaient révélées. Les deux têtes pensantes avaient été Minerva et Severus et c'était à eux qu'ils devaient la victoire, à Severus davantage encore car c'était lui qui avait fini par organiser les troupes.
Ses appartements étaient froids. Le feu s'était depuis longtemps consumé et les elfes avaient trop à faire pour que le service soit aussi parfait que d'ordinaire. Il marcha pourtant jusqu'à la cheminée, avisa le traité de Métamorphose abandonné, ouvert, sur l'accoudoir d'un fauteuil, ne put s'empêcher d'éprouver un pincement au cœur en se remémorant leur dernière soirée passée là, au coin du feu, à débattre de théories fumeuses sur les principes de Métamorphose Élémentaire…
Il aurait dû fermer l'ouvrage et le ranger, parce qu'il savait que, tant qu'il serait là, sa vue serait un coup au cœur à chaque fois. Il ne le toucha pas néanmoins.
Ses pas le menèrent vers la chambre d'amis où Gellert n'avait pas réellement eu le temps de laisser sa marque. Et pourtant son odeur flottait dans l'air : des tons de bois de santal qu'il avait toujours préféré à toutes les autres eaux de Cologne… Albus s'immobilisa sur le seuil, ferma les yeux et inspira à pleins poumons…
Le chagrin lui serra la gorge.
La bague à son doigt n'était que d'un réconfort relatif. Trop tard. Beaucoup trop tard. La sensation de gâchis était intense.
Et tout ça pour quoi ? Par culpabilité envers son frère qui n'avait jamais daigné lui pardonner ? Qu'Abel ne puisse jamais dépasser la mort d'Arianna, il l'aurait compris. Cependant, il n'y avait pas que ça. Abelforth ne lui avait jamais pardonné d'aimer un homme, sur ce point, Gellert avait eu raison. C'était injuste et cruel.
Et ça ne l'empêchait pas de souffrir de sa mort, pourtant.
Il avait demandé à Rosmerta de jeter un œil à la Tête de Sanglier, de verrouiller la partie des appartements d'Abelforth et de se servir du reste du pub pour loger ceux des réfugiés qui se sentaient plus à l'aise à Pré-au-Lard qu'entassés au château. Il ne savait pas encore ce qu'il allait en faire. Un lieu de transit pour ses troupes semblait tout indiqué mais il n'avait pas non plus trouvé de manière adéquate de protéger le château et le village et…
Soupirant, il abandonna ces considérations pour l'instant et s'avança dans la chambre, notant la pile de livres qui s'élevaient haut sur la table de nuit, les chaussons abandonnés au pied du lit, la robe de chambre jetée en travers d'une chaise. Il s'en saisit et alla s'asseoir au bord du lit, tout en se faisant la réflexion qu'il avait eu tort finalement. Gellert avait bien laissé sa marque sur cette pièce. Il était partout. Son parfum dans l'air, sa manie d'étaler la cire de bougie fondue sur le pied du candélabre pour dessiner des formes abstraites, le désordre organisé…
Il enfouit le visage dans cette robe de chambre et respira à plein nez, ôtant ses lunettes lorsqu'elles se pressèrent contre ses yeux.
Il était conscient, dans le lointain, que la gargouille venait de laisser entrer Minerva dans son bureau, conscient aussi que, ne l'y trouvant pas, elle était en train de demander aux portraits des anciens Directeurs où il se trouvait, conscient encore qu'elle venait de pousser la porte qui menait aux hauteurs de la tour…
Il aurait pu lui en interdire l'accès.
Il aurait pu, d'une pensée, renforcer ses protections et la chasser.
Il aurait pu également reposer la robe de chambre, se composer un visage curieux et la rencontrer dans le salon, l'air de rien.
Mais, perversement, il souhaitait qu'elle le découvre ainsi : défait, perclus de chagrin, tel l'homme qu'il était plutôt que comme le chef de guerre qu'il se devait d'être là dehors.
Il voulait que ce secret sorte.
L'avouer à Severus et ne recevoir, en retour, qu'acceptation et compréhension avait été si libérateur…
Et Tonks… Tonks n'avait pas jugé non plus. Tonks avait compati.
Il était impossible de l'assumer ouvertement, pas sans ruiner tout son capital politique, mais ses amis proches, ceux qui le connaissaient depuis si longtemps, ceux qui…
C'était stupide, se morigéna une part de lui, celle qui était terrifiée et avait la voix d'Abelforth.
C'était probablement très stupide d'éventer ainsi des secrets dangereux.
Et pourtant il ne bougea pas.
Et lorsqu'il sentit la présence inquiète de Minerva dans l'encadrement de la porte, lorsqu'il sentit son regard confus sur lui, lorsqu'il entendit la légère inspiration choquée alors qu'elle déduisait finalement la vérité…
Il ne bougea pas davantage.
Le visage pressé contre la laine un peu rêche et désormais humide, il se soumettait tout entier à son jugement.
« Oh, Albus… » souffla-t-elle, avant de claquer la langue.
La seconde suivante, le matelas s'enfonçait à côté de lui et des bras étaient fermement passés autour de ses épaules. Il ne se souvenait pas l'avoir jamais vue prendre de telles libertés mais il fut incapable d'y résister et s'abandonna à l'étreinte amicale, choqué d'entendre un sanglot guttural quitter sa gorge.
« Vous auriez dû me le dire. » le gronda-t-elle. « Vous devez cesser de penser que vous devez porter seul le poids du monde. Allons, allons… Pleurez un bon coup. Ce n'est pas bon de garder ces choses là à l'intérieur. Elles ont tendance à s'envenimer. »
Encouragé par ses manières un peu brusques, il laissa rouler sa tête sur l'épaule de son ancienne élève et s'abandonna à son chagrin.
Il lui fallut de longues minutes pour parvenir à se contenir et il n'en menait pas large lorsqu'elle s'éclipsa juste assez longtemps pour revenir avec une serviette humide qu'il se passa sur le visage pour nettoyer ses larmes.
« Je… » commença-t-il.
« Ne vous avisez pas de vous excuser. » l'avertit-elle, en se tenant devant lui.
Il était obligé de lever la tête vers elle, leurs habituels rapports hiérarchiques étrangement inversés, à cet instant.
« M'en voulez-vous ? » murmura-t-il, avec plus d'appréhension qu'il ne l'aurait souhaité.
« De quoi ? » se moqua-t-elle. « D'avoir aimé et perdu quelqu'un ? À vrai dire, je suis un peu soulagée. Je ne comprenais pas pourquoi vous le traitiez avec tellement d'égards. » Elle fronça les sourcils. « Je suppose que ce n'était pas un développement récent… »
Il ferma les yeux avec défaite. « Je n'ai jamais aimé que lui de toute ma vie. »
Il y avait quelque chose de délicieusement libérateur à assumer la vérité. C'était addictif.
« Voulez-vous me le raconter ? » offrit-elle, avec une légère incertitude.
Il s'avéra qu'après un temps de réflexion, il se rendit compte que, oui, il aurait aimé lui en parler. Mais…
« Plus tard, ma chère. » soupira-t-il. « C'est une conversation qui demandera plus d'alcool que nous pouvons nous permettre d'en boire à l'instant. »
Sa sous-directrice laissa échapper un soupir à son tour. « J'étais venue vous dire que les Malfoy sont revenus. Ils ont pu poser les Fidelitas sans encombre et n'ont rencontré aucune difficulté. Sirius campe à l'infirmerie et Tonks m'a priée de vous informer qu'elle s'absentait quelques heures. » Elle lui jeta un regard sévère par-dessus ses lunettes. « Ce petit monde semble penser que je suis votre secrétaire, Albus. »
Ses lèvres tressautèrent en un demi-sourire. « Eh bien, Rufus avait ce pauvre Percy… »
« Non. » refusa-t-elle, tout net. « Je m'occupe déjà de gérer tout le château, je ne peux pas organiser votre emploi du temps en prime. Surtout que nous savons tous les deux que vous me rendriez chèvre. Demandez à Remus. »
« Je n'ai pas été très délicat avec Remus. » marmonna-t-il.
« Il est heureux que vous vous en rendiez compte. » décréta-t-elle sèchement, avant de s'adoucir. « Au vu des circonstances, toutefois… Encore que, même les circonstances n'excusent pas tout. Tonks m'a informée qu'Harry Potter avait été renvoyé dans sa famille ? Ne vous est-il pas venu à l'esprit que j'étais sa Directrice de Maison et que j'avais mon mot à dire ? »
Sentant la colère enfler chez sa collègue et n'ayant pas l'énergie nécessaire pour y faire face, il se frotta les yeux et replaça ses lunettes sur son nez. « Ce n'était pas de gaité de cœur, Minerva. Et ce ne sera pas pour longtemps. »
« Oh, je ne m'inquiète pas pour ça. » rétorqua-t-elle. « Dès que Severus sera réveillé et une fois qu'il vous aura assassiné, il s'empressera d'aller récupérer son fils. Et Merlin aide ces Moldus lorsqu'il le fera. »
« Encore faudrait-il qu'il se réveille… » souffla-t-il avec frustration. « Je n'ai pas la moindre idée de comment l'aider. Ce garçon sera ma mort. Pour quelqu'un avec un tel instinct de survie, il est bien prompt à considérer sa vie comme négligeable. »
« La faute à qui ? » riposta-t-elle.
Il tressauta.
Il avait vu suffisamment de souvenirs de Severus ces deux derniers jours pour savoir qu'elle avait raison.
C'était lui qui avait poussé l'espion à devenir l'homme qu'il était.
La terreur de le décevoir ou de perdre son estime et son amitié saturait la plupart des souvenirs qui le concernait.
En tant que mentor, Albus avait été plus abusif qu'il ne s'en était rendu compte.
Et il était impossible de ne pas remarquer le schéma dans lequel Severus paraissait toujours retomber avec les figures d'autorités masculines…
Du moins, jusqu'à ce qu'Harry soit entré dans l'équation, jusqu'à ce que le Maître des Potions ne s'affranchisse de son besoin de reconnaissance pour tourner toute son énergie vers cet enfant…
« Je ne le perdrai pas. » jura-t-il, sans répondre à la question de Minerva.
Il avait perdu Abelforth et Gellert, il avait perdu Arianna… De la même manière que la perte de Minerva ou d'Harry l'aurait profondément affecté, celle de Severus était inenvisageable.
On se créait parfois sa propre famille, songea Albus.
« Si je dois, en définitive, traverser tous ses souvenirs pour aller le tirer de ce coffre, quitte à ce qu'il m'en veuille pour le reste de sa vie, je le ferai. » continua-t-il. « Ce garçon n'a aucune idée d'à quel point je… »
Il laissa sa phrase en suspens.
« Peut-être serait-il bon de le lui dire. » suggéra-t-elle.
Il lui jeta un regard hésitant, levant un sourcil. « Le lui avez-vous dit, vous ? »
« Probablement pas assez et pas assez clairement. » répondit-elle franchement. « Mais vous connaissez Severus. Il a tendance à fuir ce genre d'étalage sentimental comme la peste. » Elle renifla. « Et je n'en suis pas plus friande, j'aurais donc du mal à lui jeter la pierre. Mon opinion compte, de toute manière, beaucoup moins pour lui que la vôtre. »
« C'est faux. » contra-t-il. Elle ouvrit la bouche mais il leva la main pour l'interrompre. « J'ai vu suffisamment de ses souvenirs pour en être certain, Minerva. Il a pour vous le plus profond respect et la plus grande affection. » Un peu tristement, il lui sourit. « Et ceci n'est que mon observation personnelle mais, dernièrement, lorsqu'il a besoin de conseils ou de réconfort, c'est vers vous qu'il se tourne et plus vers moi. »
« Parce qu'il sait que j'ai le bien d'Harry à cœur. » déduisit-elle, avec un brin de regret. « Et il sait que, bien que vous ayez de l'affection pour le garçon, votre priorité sera toujours votre guerre. »
« Sans doute. » acquiesça-t-il, laissant tomber le regard sur la bague à son annulaire. Il la fit tourner autour de son doigt, retraça du pouce le symbole des reliques. « Je ne prends aucun plaisir à leur demander ces sacrifices. »
« Je le sais. » soupira-t-elle. « Et ils le savent aussi. Mais il serait difficile de leur reprocher de vous en vouloir. »
« Sans doute. » répéta-t-il tristement.
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Cela n'avait pas été une décision très intelligente de revenir ici et Nymphadora n'en avait pas mené large sur le chemin qui menait de la ruelle où elle avait ses habitudes de transplannage jusqu'à son immeuble. Elle avait gardé la main sur sa baguette, les yeux surveillant les rues Moldues grouillant de monde… À ses côtés, son père n'avait pas eu l'air beaucoup plus détendu.
C'était un risque de revenir dans son appartement, Scrimgeour avait eu raison.
Et tout ça pour quoi ? Des peccadilles au vue du reste.
Un partie de la vérité était qu'elle n'en pouvait plus et que Kingsley, après qu'elle ait rembarré un peu trop brutalement une des recrues qui avaient survécu à la bataille pour la troisième fois, lui avait ordonné de prendre le reste de sa journée et de ne revenir que lorsqu'elle serait en état de travailler. Elle était restée assisse au chevet de Severus jusqu'à ce que Sirius revienne de chez les Malfoy, l'air éreinté lui-même.
Ils n'avaient échangé que des banalités et n'avaient pas discuté de l'éléphant qui dansait dans la pièce : à savoir Harry et à quel point ils avaient merdé.
Il ne fallait pas croire qu'elle n'était pas tentée de rendre une petite visite aux Dursley.
Dumbledore, ce matin-là, lui avait fait peur. Elle n'était pas fière de l'admettre mais cela lui avait rappelé le jour où elle s'était retrouvée dans le bureau de Severus, un souvenir en moins.
Une fois que lui et Harry avaient été partis, Sirius avait explosé et avait passé sa rage sur le mobilier du salon. Leur conclusion était toutefois que leurs mains étaient liées.
En admettant qu'ils aillent chercher Harry, ils ne pouvaient pas le ramener au château sans le rendre directement au Directeur et le Square Grimmaurd n'était pas une meilleure option vu que le vieux sorcier en était le Gardien du Secret. Aucun autre endroit n'aurait été suffisamment sûr.
Sauf peut-être…
Ted poussa un sifflement admiratif lorsqu'ils parvinrent sans encombres devant la porte de son appartement. « Qui a posé ces protections ? Sirius ? C'est de la belle magie… »
« Severus. » corrigea-t-elle, en déverrouillant la porte. Ça c'était la partie facile. Il lui fallut un moment pour parvenir à modifier suffisamment les protections pour laisser entrer son père.
Ça sentait le renfermé à l'intérieur mais elle se détendit légèrement une fois qu'ils y furent à l'abri. L'endroit était sûr, Severus avait plusieurs fois affirmé que c'était un de ses meilleurs résultats.
Pouvait-elle emmener Harry ici ? L'y garder le temps que…
Mais ça impliquait de fuir avec lui, de laisser Severus à Poudlard…
À moins qu'elle ne laisse Sirius se charger de le récupérer.
« Ça fait combien de temps que tu n'es pas revenue ici ? » demanda Ted.
« Des semaines. » soupira-t-elle, en se dirigeant vers son répondeur. « Depuis Cardiff. »
Il y avait plusieurs messages. Ses cousins principalement qui venaient aux nouvelles parce que leurs parents n'arrivaient à joindre les siens… Elle échangea un regard avec son père mais ils ne commentèrent pas. C'était trop dangereux de leur répondre, de les impliquer d'une quelconque manière.
« Je n'en ai pas pour longtemps. » promit-elle.
« Prends ton temps. » contra Ted, en se dirigeant vers la cuisine. « Je vais me faire un thé. » Il ouvrit le frigo puis fit la grimace. « Oublie-ça, je vais plutôt nettoyer cette moisissure. »
Grimaçant elle-même à l'état dans lequel devait se trouver la cuisine, elle laissa son regard balayer l'appartement et… Elle le trouva petit. Trop étroit. Trop…
Elle avait passé de bonnes années ici, y avait de bons souvenirs, mais maintenant qu'elle s'y tenait à nouveau… Il lui semblait qu'il était comme un vêtement trop porté dans lequel on ne rentrait plus. Une partie de sa vie désormais révolue. Peut-être parce que c'était un endroit qu'elle avait partagé avec Remus et jamais avec Severus. Peut-être parce qu'elle l'avait pris alors qu'elle n'était encore qu'une jeune recrue et qu'il s'était passé beaucoup trop de choses depuis.
Sans un mot, elle se dirigea vers la chambre.
Voilà l'autre partie de la vérité qui l'avait poussée à prendre le risque de retourner chez elle : elle n'en pouvait plus de vivre sur cinq paires de sous-vêtements, deux soutiens-gorges, trois jeans et quelques tee-shirts. C'était sans doute ridicule mais si elle devait tenir un siège à Poudlard, elle voulait des vêtements propres et un peu de variété dans ses tenues.
À l'origine, elle n'avait compté remplir qu'un sac mais, lorsqu'elle fut face à sa penderie… Elle transforma un mouchoir en papier en un carton suffisamment grand pour contenir beaucoup de choses et y jeta toutes les fringues qui lui passaient sous la main. Elle répéta l'opération jusqu'à ce que le placard et tous les tiroirs soient vides, jeta sa boîte à bijoux, sa collection d'élastiques à cheveux et une vieille boite à chaussure où elle gardait sa correspondance par-dessus le tout. Puis, un nouveau carton à la main, elle passa dans la salle de bain.
« Ça fait beaucoup de cartons dans ta chambre, Dora. » remarqua son père, un peu moqueur, en s'appuyant au chambranle de la porte. « Je n'avais pas compris qu'on déménageait tout. »
Elle croisa son regard dans le miroir, songea à inventer un prétexte puis haussa les épaules. « Je ne crois pas que je reviendrai vivre ici. »
Et il était beaucoup trop risqué d'y trainer Harry. Il n'y aurait pas que les Mangemorts à leurs trousses et elle se pensait davantage capable d'affronter Bellatrix Lestrange qu'Albus Dumbledore, surtout en sachant que si elle pouvait à nouveau se servir de sa baguette, elle était loin d'être à sa pleine puissance.
Sans parler du fait que Voldemort et ses Mangemorts avaient maintes fois prouvé qu'ils n'avaient pas peur de détruire des quartiers Moldus entiers… Au risque d'être accusée de matérialisme, elle n'était pas prête à tout perdre si elle pouvait l'éviter.
« Tu veux tout prendre ? » demanda-t-il, un peu plus sérieusement.
Elle secoua la tête. « Juste les livres dans le salon, mes disques, les albums photos et les cadres aux murs, mon tourne-disque… »
À mesure qu'elle listait les choses qu'elle n'était pas prête à abandonner, elle réalisa que la majorité de ce qu'elle comptait laisser derrière elle n'était, au final, que les meubles ou du matériel facilement remplaçable.
Ted paraissait plus amusé qu'autre chose. « Severus va avoir une surprise en rentrant chez lui. »
« Non. » protesta-t-elle immédiatement. « Non, je… Maman a dit qu'il y avait de la place pour moi avec vous. Je stockerai tout là. » Elle détourna le regard, tâcha de garder un ton neutre. « Harry n'a plus besoin de moi, alors… Je vais m'installer avec vous. »
Elle ne voulait pas emménager chez lui sans son accord et, surtout, en son absence.
Son père l'observa longtemps mais ne commenta pas.
À eux deux, ils eurent vite fait d'emballer ce qu'elle voulait emporter. Les transporter ne fut pas aussi difficile qu'elle l'avait craint de premier abord. Ted eut l'idée de tout rapetisser et d'en charger leurs poches.
Pourtant, une fois qu'ils furent revenus à Poudlard et eurent rendu aux cartons leur taille normale, Tonks constata avec déplaisir que le volume était quand même important. Empilés contre les mur ou dans un coin pour minimiser l'espace occupé, la chambre à la décoration neutre, qui n'était déjà pas grande, semblait minuscule. Elle laissa en accès facile les cartons de vêtements qu'elle comptait utiliser le plus et se débrouilla pour qu'il reste un couloir libre de la porte au lit. Ce ne serait qu'un endroit où dormir de toute manière.
Les appartements attribués à ses parents n'étaient vraiment pas grands. Un salon, un coin cuisine minuscule, une petite sale de bain, deux chambres… Elle imaginait que c'était le standard pour tous les réfugiés. C'était plus confortable que ça n'aurait pu l'être mais par rapport aux appartements qui existaient à l'origine, comme ceux de Severus ou de Sirius, l'endroit tenait quand même un peu de la cage à lapin.
« Du thé, ma chérie ? » lança Ted, en la voyant émerger de la chambre.
La théière fumait déjà et il y avait deux tasses sur le plan de travail qui séparaient le coin cuisine minuscule du reste du salon. Elle s'assit sur un des tabourets et accepta la tasse brûlante sans un mot, la tenant au creux de ses mains pour les réchauffer. Ted traina un tabouret de l'autre côté du comptoir de sorte qu'ils puissent se faire face et l'observa avec cet air un peu trop perspicace qu'elle ne lui connaissait que trop bien.
Il ne dit rien.
Évidemment, il ne dit rien.
C'était toujours comme ça.
Andromeda la pressait de questions et Ted préférait attendre pour recueillir ses confidences.
Et, comme de juste, au bout de deux longues minutes de silence, elle lâcha un profond soupir.
« J'ai l'impression de ne faire que des conneries. » admit-elle, les yeux fixés sur le liquide parfumé qu'elle remuait sans entrain. Ted ne commenta pas mais ne cessa pas de l'observer avec attention pour autant. Avec un gros effort, elle releva le regard et croisa celui de son père. « Et si c'était une erreur d'avoir donné les pleins pouvoirs à Dumbledore ? »
Son père fronça un peu les sourcils, dubitatif. « Je sais que tu as une position importante mais, sûrement… Ce n'était pas à toi de décider de ça, si, Dora ? »
La bouche sèche, elle lui fit un sourire qui n'atteignit pas ses yeux. « J'avais mon mot à dire et j'ai voté pour. »
Pour se redonner une contenance, un peu étonné peut-être, Ted prit une gorgée de thé. Ses parents n'avaient probablement pas tout à fait pris la mesure d'à quel point elle avait grimpé les échelons rapidement, coupés du monde comme ils l'avaient été. « Est-ce qu'il y avait vraiment une autre option ? »
« Non. » répondit-elle, après quelques secondes de réflexion. Comme une capitulation, elle porta la tasse à ses lèvres. « Le truc c'est que… » Elle soupira à nouveau. « Il n'y a pas grand monde pour lui tenir tête. Sans Severus… »
Elle ferma les yeux et n'essaya pas de terminer sa phrase.
Elle sentit l'odeur familière du tabac, rouvrit les paupières pour constater que, sans surprise, Ted avait sorti sa pipe et profitait de l'absence de sa femme pour la fumer tranquillement. Aurait-elle eu une cigarette sous la main, elle l'aurait bien immité… Au lieu de ça, elle bu une nouvelle gorgée de thé.
« Le gamin… C'est si terrible qu'il soit retourné dans sa famille ? » demanda finalement son père. « Je ne comprends pas bien cette histoire, je t'avoue. S'il a vécu avec son oncle et sa tante depuis son enfance et qu'ils sont toujours en vie, pourquoi est-ce que ton Severus… Je comprends qu'il se soit attaché au garçon et qu'il le considère comme un fils mais… »
« Ce ne sont pas de bons tuteurs. » l'interrompit-elle. « Et Dumbledore ne le renvoie que pour renouveler la protection que sa mère lui a conféré en mourant, alors qu'il sait très bien que… » Elle secoua la tête. « C'est glauque. »
Soudain beaucoup plus grave, Ted lui jeta un regard peiné. « Ils le maltraitent ? »
« Ils ne l'ont jamais frappé, si c'est la question. Du moins, je ne crois pas. » lâcha-t-elle. Sirius n'avait rien dit en ce sens, en tout cas. « Mais il y a une demi-douzaine de verrous à l'extérieur de la porte de sa chambre, une chatière en bas pour faire passer de la nourriture, pas une seule putain de photo de lui dans toute la baraque alors qu'il y a des portraits de son cousin partout… » Et de toute manière… « Si Severus dit qu'il ne doit jamais y retourner, il sait très bien de quoi il parle. »
Elle se mordit la langue à ce lapsus.
Elle espérait un peu que son père n'allait pas relever mais, même s'il ne fit aucun commentaire, une lueur de compréhension s'alluma dans son regard. Il continua à tirer pensivement sur sa pipe, faisant des ronds de fumée qui s'élevaient dans l'air avant de se disperser…
« Il est très attachant, ce garçon. » déclara finalement Ted. « Je ne sais pas trop à quoi je m'attendais de la part du Survivant mais ce n'était pas à ça. Il a une fragilité qui est touchante. Et il est courageux, bien évidemment, mais je suppose que quelqu'un comme lui est obligé de l'être. »
Elle termina sa tasse de thé, observant le léger aggloméra au fond, y cherchant des formes sans y voir quoi que ce soit d'autre qu'un tas de feuilles détrempées. La Divination ne l'avait jamais intéressée.
Trois hommes de l'ombre entrent dans la lumière. Le premier trouvera sa vengeance. Le deuxième trouvera sa rédemption. Le troisième trouvera sa mort.
Elle avait dit à Harry de ne pas obséder sur cette prophétie ridicule et pourtant…
Elle chassa cela de son esprit, l'emprisonna dans un coin de sa tête, derrière une couche de boucliers.
« Je ne vais pas te demander si tu es certaine de vouloir t'engager avec lui parce que tu aimes son père adoptif et qu'on ne peut généralement pas séparer le parent de l'enfant, surtout si l'enfant en question n'a plus de mère. » continua Ted, après un moment. « Mais… Tu as conscience qu'il y a de fortes chances pour que cela ne se finisse pas bien ? »
Parce qu'Harry était le Survivant et que Voldemort voulait sa peau.
Et ce n'était que le sommet de l'iceberg.
L'incapacité d'Harry à se soucier de sa propre sécurité l'inquiétait à peu près autant que la résignation dans sa voix, le soulagement presque, lorsqu'il avait évoqué sa propre mort.
Et c'était sans parler de ce dont personne n'avait encore jugé bon de l'informer parce qu'elle n'était pas Maître Occlumens mais pour lequel elle était décidé à commettre ou couvrir le meurtre d'un Mangemort quelconque.
« Severus fera tout pour le sauver. » répondit-elle, en se redressant avec détermination. « Et il aura ma baguette. Scrimgeour était un bon Ministre et j'étais fière de servir le Ministère en son nom mais Dumbledore… » Elle secoua la tête. « Ma loyauté est avec Severus. Il veut gagner cette guerre pour sauver son fils et j'ai beaucoup plus confiance en lui que dans les idéaux à deux vitesses de Dumbledore. »
Son père lui sourit avec tendresse – et fierté. « Nous t'avons élevée pour avoir la conviction de tes opinions, Dora. Je ne dis pas que tu devrais t'opposer ouvertement à Dumbledore parce que ça ne serait pas très malin mais… Après tout, contrairement à ta mère et Severus, nous ne sommes pas des Serpentards et personne ne pourrait reprocher à des Poufsouffles de faire ce qu'ils pensent être justes… Harry est pratiquement un Tonks par adoption maintenant… »
Elle fronça les sourcils. « Qu'est-ce que tu essayes de dire ? »
Il posa sa pipe, croisa les doigts sur le comptoir et haussa les épaules. « Je suis en train de dire allons chercher le gamin. »
Elle resta un instant bouche ouverte, un peu surprise qu'il suggère de désobéir à Dumbledore.
« Tu crois que je n'y ai pas pensé ? » le défia-t-elle, un peu sur la défensive. « Je ne pense qu'à ça depuis ce matin. Mais où est-ce que je le cache, hein ? »
« Ah, je me demandais pourquoi c'était soudain si urgent de retourner à ton appartement. » remarqua son père.
« Oui, mais ce n'est pas viable. » soupira-t-elle. « L'appartement est une forteresse mais ça n'empêcherait pas les Mangemorts de détruire l'immeuble. Dumbledore viendrait le cherchait au Square Grimmaurd ou chez nous, on ne peut rien lui dissimuler à Poudlard… » Elle secoua la tête. « C'est le problème. Dumbledore a des yeux partout et tout le monde le suit aveuglément. Je ne peux rien faire. » Elle décocha un coup de pied rageur au comptoir qui fit trembler la théière. « Il n'y a plus qu'à espérer que Kreattur prenne son rôle de gardien au sérieux. »
« Le jour où on en est à compter sur le vieil elfe de maison décrépi des Black n'est vraiment pas un bon jour, chérie. » marmonna Ted, avec un soupir.
« Je ne te le fais pas dire. » marmonna-t-elle, en se servant une nouvelle tasse de thé, juste pour s'occuper les mains.
Son père l'observait désormais avec un petit sourire qu'elle n'était pas sûre de savoir comment interpréter.
« Qu'est-ce qu'il y a ? » demanda-t-elle, en se passant, par réflexe, une main dans les cheveux qui étaient toujours noirs depuis que Sirius était venu lui répéter ce que Kreattur avait surpris en surveillant Harry. Elle n'avait toujours pas décoléré. « J'ai quelque chose de travers ? »
« Tu es grande. » remarqua Ted, avec un mélange de fierté et de nostalgie. « Je ne suis pas sûr de savoir quand c'est arrivé, mais quand je vois l'adulte que tu es devenue je crois que ta mère et moi avons fait du bon travail. »
Elle rougit devant ce compliment inattendu mais qui venait du cœur.
Sans trop savoir comment répondre, elle lui sourit et lui resservit une tasse de thé à lui aussi.
°O°O°O°O°
La Grande Salle était encore plus bruyante que d'ordinaire et si Ron était dérangé par la cacophonie, Lavande la supportait vraiment très mal. Elle ne cessait de gigoter sur le banc à côté de lui, nerveuse et mal à l'aise.
Il avait fallu à Ron des trésors de patience pour convaincre la mère de sa petite-amie de la laisser venir diner avec lui et leurs amis. La situation était compliquée, lui avait expliqué Lavande en chemin. Son père était Moldu et était resté chez eux, sa mère voulait y ramener Lavande parce qu'elle s'inquiétait pour son mari resté sans protection, Lavande ne voulait pas quitter Poudlard… Remus avait apparemment offert d'accueillir la jeune fille, en même temps que d'autres qui avaient été mordus, Mrs Brown n'était vraiment pas vendue sur la question…
« Mais… Tu ne le connais pas vraiment… » avait remarqué Ron, s'attirant sur lui les foudres de la jeune fille car il s'agissait d'un des arguments préférés de sa mère dont la réticence lui paraissait, à lui, légitime.
Lavande avait essayé de lui expliquer qu'elle avait de drôles d'instincts et que le principal voulait qu'elle ne s'éloigne pas trop de Remus ou de Laura mais le Gryffondor trouvait ça un peu… Bizarre.
Il avait été soulagé d'arriver dans la Grande Salle même si elle était bondée de gens et d'enfants qui courraient en tous sens… La table de Serpentard étant encore la moins remplie – pour des raisons évidentes vu que les adultes semblaient graviter vers les tables de leurs anciennes Maisons – et c'était donc à celle-ci que la majorité les élèves qui restaient paraissaient s'être installés. Ils y avaient retrouvé Luna, Neville, Ginny et Draco qu'Hermione avait plus ou moins forcé à venir pour lui changer les idées. Sauf qu'Hermione avait disparu avant même de s'asseoir, hélée par Sirius.
Il y avait tellement de bruit qu'il était quasiment impossible d'avoir une conversation. Draco était morose et se servit à peine de la salade de pomme de terre, de toute manière. Neville ne paraissait pas bavard non plus. Ginny avait la tête appuyée sur la main et regardait dans le vide. Luna était la seule qui avait l'air serein et découpait sa viande comme si tout allait bien.
Lavande, pour sa part, fouillait dans le plat de viande à la recherche des bouts les plus saignants et Ron, qui s'efforçait de ne pas en avoir l'air, louchait sur son assiette en se demandant si c'était une conséquence de… son petit problème de fourrure.
Il fut distrait de la question par l'arrivée d'Hermione qui paraissait furieuse.
Elle ne s'était pas changée depuis leur retour du Manoir Malfoy et portait toujours la même robe bleue marine qui était étrangement froissée depuis qu'elle et Draco avaient disparu un certain temps dans la bibliothèque – il ne l'aurait pas remarqué si Mrs Malfoy n'avait pas fait un commentaire sur le sujet, d'un ton détaché qui masquait mal une désapprobation certaine. Elle arriva à leur niveau, posa les deux mains à plat sur la table, mais, au lieu de s'asseoir entre Luna et Draco, elle planta son regard dans le sien et il arrêta de manger, la fourchette figée à quelques centimètres de la bouche.
« Dumbledore a ramené Harry chez les Dursley, ce matin. » lâcha-t-elle, sifflant chaque syllabe.
Ron reposa la fourchette, sentant la colère enfler immédiatement en lui. « Quoi ? »
« Tu plaisantes ? » s'indigna Ginny.
« Attends… » s'étouffa à moitié Neville, en fronçant les sourcils. « Quoi ? »
Même Luna n'avait soudain plus l'air aussi flegmatique. « C'est fâcheux. »
« Fâcheux ? » répéta Lavande. « C'est stupide, oui. »
Et encore, songea Ron, Neville et Lavande n'en savaient pas la moitié. Ils savaient simplement ce dont tout le monde dans leur année de Gryffondor était au courant : Harry n'avait pas un seul vêtement à sa taille en dehors de son uniforme, détestait sa famille, passait le moins de temps possible chez eux, et ne recevait jamais de courrier. C'était suffisant pour que la plupart d'entre eux en tirent leurs propres conclusions.
« Une explication ? » intervint Draco, en effleurant le bras de sa petite-amie.
Hermione pinça les lèvres, hésita, puis soupira. « Ils sont affreux. »
« Qu'est-ce qu'on fait ? » demanda Ron.
« Quelle question ! On va tout de suite le dire à maman. » répondit Ginny.
« Sirius et Tonks ont essayé de l'en empêcher et ça ne s'est pas bien fini. » contra Hermione. « Mais je me disais… »
« Tu te disais qu'une délégation comportant principalement des familles Sang-Pures importantes dans le bureau du nouveau Ministre de la Magie serait peut-être plus efficace, vu qu'il est désormais question de politique. » termina Luna, de son ton rêveur. « Mon père a préféré rester à la maison pour continuer à publier le Chicaneur. C'est important d'avoir une presse indépendante. Mais je peux représenter les Lovegood. »
« Bill et maman. » décréta Ron, en direction de sa sœur, déjà à moitié debout. « Et Fleur, peut-être, si elle veut bien. »
« Je vais chercher Grand-mère. » répondit Neville, en glissant ses jambes de l'autre côté du banc. « Je ramène tous ceux que je trouve en route. »
Lavande jeta un regard déçu à son assiette encore pleine mais replia sa serviette. « Et moi le Professeur Lupin. »
Hermione les regarda avec soulagement. « Je vais prévenir Sirius, les Tonks et le Professeur McGonagall. »
Draco les dévisagea tour à tour puis repoussa son assiette de salade de pommes de terre.
« Foutu Potter. » marmonna-t-il. Devant leurs regards, cependant, il leva les yeux au ciel. « Oui, oui, j'ai compris, je vais chercher ma mère. »
Ron le remercia d'un hochement de tête. « Allons donner à Dumbledore un petit goût de ce qu'Ombrage a subi pendant des mois. »
Il n'y eut que des approbations.
Dumbledore allait passer un sale quart d'heure.
°O°O°O°O°
Assis sur son lit, à la lumière blafarde de l'ampoule nue qui pendait au plafond, Harry poussait du bout de la fourchette une tranche de concombre sans faire beaucoup d'efforts pour la piquer ou la porter à sa bouche.
Son retour chez les Dursley s'était fait dans l'indifférence générale, exactement comme il l'avait pensé. Dumbledore l'avait accompagné jusqu'à la porte, avait insisté pour que Pétunia lui offre une tasse de thé pour un échange auquel Harry n'avait pas été convié mais qui avait laissé sa tante avec une expression contrariée et puis s'était éclipsé. S'il avait espéré quoi que ce soit, même un bonjour, c'était raté.
À croire que les Dursley n'avaient même pas été mis au courant du fait qu'il avait été présumé mort pendant quelques mois.
Dudley semblait incapable de le regarder en face et fuyait sa présence. Vu qu'il n'avait guère envie de croiser son cousin non plus, il avait passé une bonne partie de la journée dehors dans le jardin et le reste dans sa chambre.
En rentrant du travail, Vernon avait grogné en le trouvant là mais ça avait été le summum de leurs interactions.
Pétunia, pour sa part, avait décrété qu'il ne ressemblait à rien sans lunettes et qu'il ne devait pas s'attendre à ce qu'elle paye pour ses lentilles. Et… voilà.
Dudley était allé déjeuner chez Pierce, Pétunia ne l'avait pas invité à s'asseoir à table avec elle – l'assiette unique avait été un message clair – mais avait laissé un demi croque-monsieur pour lui sur le comptoir de la cuisine. Et pour le dîner, elle lui avait tendu une triste assiette de salade qu'Harry avait choisi – ou plutôt fait semblant de choisir – d'aller manger seul dans sa chambre.
Il entendait le bruit étouffé de leurs voix au-travers de la porte close ainsi que le brouhaha de la télé. Comme souvent dans cette situation, il imagina ce que faisaient Ron et Hermione à cet instant précis puis, lorsqu'il eut réussi à se couper l'appétit pour de bon avec ses pensées moroses, il posa la fourchette dans l'assiette. Avant qu'il ait pu la mettre sur la table de nuit, en se disant qu'il la mangerait plus tard ou le lendemain, il y eut un léger craquement et Kreattur apparut, les bras croisés, et l'air désapprobateur.
« Kreattur ! » siffla-t-il, tendant instinctivement l'oreille pour vérifier que les bruits de conversation ne s'étaient pas éteints au rez-de-chaussée. « On était d'accord. Tu ne dois pas… »
« Kreattur ne doit pas se faire voir des Moldus. » l'interrompit l'elfe de maison, en claquant des doigts. L'assiette de salade disparut purement et simplement. « Kreattur n'est pas l'elfe à chaussettes. Kreattur sait être discret. »
Un nouveau claquement de doigts et un plateau en argent frappé du blason des Black apparut sur le lit, chargé d'une part de tourte encore fumante, d'un verre de jus de citrouille, et d'une assiette à dessert avec une brioche dorée à souhait qui sentait bon le chocolat.
« Maître Harry doit manger correctement. »
Harry ouvrit la bouche pour s'excuser et lui dire qu'il n'avait pas faim mais un seul regard à l'elfe de maison et il la referma bien gentiment.
« Comment ça se fait que c'est moi qui suit censé te donner des ordres mais que je finisse toujours par faire ce que tu veux ? » bougonna-t-il, en attrapant la fourchette en argent astiquée à la perfection.
« Kreattur a eu beaucoup de jeunes maîtres à sa charge. » lui rappela le vieux elfe.
Il leva les yeux au ciel mais désigna le bout du lit d'un geste distrait. « Assieds-toi, si tu veux. Sauf si tu ne restes pas… »
Ce qui aurait été logique vu qu'il avait lui-même demandé à l'elfe de rester invisible. Kreattur hésita, se balança légèrement d'avant en arrière puis finit par faire ce qu'il avait suggéré en posant le bout de ses fesses sur l'extrémité du matelas.
« Maître Harry est un gentil Maître mais c'est inconvenant de toujours demander aux elfes de s'asseoir avec lui. » lui reprocha Kreattur, d'un ton docte.
« Mais tu n'es pas qu'un elfe. Tu es aussi mon ami. » trancha-t-il, en haussant les épaules. Il coupa un bout de la tourte, soufflant dessus avant de l'avaler.
Il prit grand soin de ne pas regarder en direction du vieil elfe qui ne semblait pas savoir comment prendre cette déclaration. Il ne s'y serait pas aventuré si ça avait été Dobby parce que son vieil ami n'aurait pas su être silencieux mais Kreattur finit par hocher la tête avec toute la dignité de son âge.
« Maître Harry est un très bon Maître. » répéta l'elfe. « Et Kreattur n'aime pas voir Maître Harry malheureux. »
« Je ne suis pas malheureux. » contra-t-il instinctivement, bien que cela soit un mensonge.
Kreattur lui jeta un regard lourd de sens. « Kreattur aussi serait malheureux s'il avait dû se nourrir de cette cuisine insipide. Kreattur aurait apporté son déjeuner à Maître Harry mais Maître Harry était dehors. »
Et les consignes étaient claires, il ne devait pas se montrer.
Apparemment, il considérait qu'en privé, cela ne comptait pas.
Et vu qu'Harry était déjà assoiffé de compagnie, il n'allait pas protester trop fort.
Quelques heures et il sentait ses idées noires s'ancrer plus profondément dans sa tête. Quelques heures et il se sentait si seul…
« Je suis un fantôme ici. » murmura-t-il, en gardant les yeux rivés sur le plat qu'il mangeait mécaniquement sans même en sentir le goût.
« Kreattur était curieux. Kreattur a visité le placard dont le jeune maître lui a parlé. » répondit l'elfe de maison, d'un ton où couvait une colère sourde. « Kreattur a observé les sous-êtres. » Il se frappa mais ne se reprit pas non plus. « Kreattur voudrait beaucoup faire mal aux mauvais maîtres de Maître Harry. Kreattur pourrait si le jeune maître l'autorisait. Maître Sirius a dit que Kreattur avait le droit si les sous-êtres… » Nouveau coup en plein visage qui ne le fit même pas tressaillir. « …levaient la main sur son jeune maître. »
« Je ne veux pas que tu leur fasses du mal. » protesta-t-il. « Je t'interdis de leur faire du mal. »
Kreattur était visiblement déçu.
Harry termina la tourte, son verre de jus de citrouille, puis joua avec la brioche en silence. La pâtisserie sentait bon et était alléchante avec son cœur au chocolat fondant mais il n'avait tout simplement pas d'appétit et il s'était déjà forcé pour le plat.
À l'étage inférieur, les bruits de voix s'étaient éloignés en direction du salon, probablement pour une soirée familiale devant la télé.
Harry tâcha d'occluder la pensée de ce à quoi une soirée à la maison aurait pu ressembler pour lui : son père qui lisait un livre ou corrigeait des copies, Harry qui traînait sur le canapé avec Masque et lui racontait sa journée…
Sa gorge se serra et, un instant, il eut peur de rendre tout le repas qu'il s'était échiné à avaler pour faire plaisir à l'elfe.
« Est-ce que tu pourrais faire un aller-retour à Poudlard et me dire comment va Severus ? » supplia-t-il presque.
« Kreattur garde déjà un œil sur Monsieur Severus pour Maître Sirius. » répondit l'elfe. « Monsieur Severus est toujours endormi. »
À quoi d'autre s'était-il attendu ?
Il soupira et repoussa le plateau, déposant l'assiette à dessert et sa brioche là où il avait originellement posé l'assiette de salade. Pour plus tard. Ou le lendemain. Ou le surlendemain. Ce n'était jamais une mauvaise idée de faire des réserves avec les Dursley.
« Je ferais mieux d'aller utiliser la salle de bain avant qu'ils montent se coucher. » déclara-t-il.
Kreattur ne le lâcha pas du regard. « Kreattur peut tenir compagnie au jeune maître. » Son regard dériva vers une étagère chargée à craquer de vieux jeux de société encore neufs, certains encore sous blister, que Dudley avait reçus en cadeaux et jamais touchés. Comme beaucoup d'autres affaires dont il ne voulait pas encombrer sa chambre, ils avaient atterri dans cette pièce. « Maître Harry a des jeux de société que Kreattur ne connait pas. Kreattur veut bien apprendre. »
Techniquement, il n'avait pas le droit de toucher aux affaires de Dudley.
Mais qui s'en rendrait compte ? Ils étaient couverts de poussière. Personne ne les avait touchés depuis des lustres.
Pourtant si ils s'en rendaient compte… Harry aurait des ennuis. De gros ennuis.
Il ne dut pas assez bien cacher son angoisse parce que Kreattur se rembrunit encore avec colère.
« Maître Harry ne doit pas avoir peur. Kreattur ne laissera pas ses vilains maîtres lui faire du mal. » promit l'elfe.
« Je n'ai pas peur. » s'agaça-t-il un peu.
Il avait affronté Voldemort combien de fois, cette année ? Ce n'était pas les Dursley qui…
Non… Non, il fallait être honnête…
Les Dursley le terrifiaient beaucoup plus que Voldemort.
Il était simplement heureux de pouvoir se servir de sa magie et doublement soulagé de pouvoir jeter un silencio lorsqu'il irait se coucher pour ne pas donner d'excuses à Oncle Vernon qui devait déjà mourir d'envie de tourner les verrous. Il n'était pas certain qu'il ne le ferait pas de toute manière, juste par pur plaisir de le torturer, parce qu'il savait qu'Harry détestait être enfermé.
Quoi que Dumbledore ait pu dire à Pétunia, il doutait que ça empêcherait Vernon de se faire ce plaisir simple.
Et c'était pourquoi il voulait avoir le loisir d'utiliser la salle de bain pendant qu'ils regardaient un film. Il ne risquerait pas une douche plus longue que quelques minutes par peur de se faire disputer mais il aurait au moins le loisir de se laver les dents et d'utiliser les toilettes.
Toutefois, avant de quitter sa chambre pour se hasarder à pas de loup sur le palier, nécessaire de toilette sous le bras, il fit quelque chose qu'il n'avait jamais fait et tira silencieusement un des jeux de la pile.
Certes, il en choisit un déjà ouvert et qui avait déjà servi, de sorte qu'on ne pourrait pas lui reprocher de l'avoir abimé, mais, alors qu'il laissait Kreattur étudier la notice, ce simple acte de rébellion lui donna un peu de baume au cœur.
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Nymphadora se tournait et se retournait sans parvenir à trouver le sommeil.
La chambre et le lit étaient trop peu familiers, les piles de cartons formaient des ombres menaçantes dans l'obscurité et, même en tentant de vider son esprit comme pour les exercices d'Occlumencie, elle ne parvenait pas à cesser de ressasser sa journée.
Encore que la prise d'assaut du bureau directorial par la bande d'adolescents de la Trêve accompagnés par leurs parents ou tuteurs avait été quelque peu jouissive. Dumbledore ne s'était clairement pas attendu à de tels débordements ou à devoir s'expliquer sur ses décisions. Or justifier à une foule de personnes mécontentes – dont la plupart pesaient leur poids dans la communauté magique – pourquoi il avait décidé d'envoyer Harry Potter au loin, chez des Moldus où il était de notoriété semi-publique qu'il n'était pas heureux de séjourner, n'avait rien eu d'amusant pour lui.
Il avait eu gain de cause au final mais il n'avait pas passé un agréable moment et seule l'arrivée de Kinsgley et de quelques Aurors avait fini par déloger le groupe qui pestait encore lorsqu'elle s'était finalement éclipsée, non sans avoir très hypocritement affirmé à son supérieur qu'elle avait été en train de gérer la situation au lieu d'invectiver le Ministre avec les autres.
Kingsley n'avait pas été dupe.
Mais se remémorer Dumbledore peinant à se justifier devant une Molly Weasley en très grande forme et une Narcissa Malfoy tout en persifflages n'était malheureusement pas suffisant pour l'aider à s'endormir.
Elle se tourna, repoussa les couvertures, puis, après un moment d'indécision, les tira à nouveau… S'obligea à fermer les yeux, les rouvrit au hululement d'une chouette dans le lointain…
Elle n'allait pas fermer l'œil de la nuit.
Rien n'allait.
Ni les draps, ni le matelas, ni les cartons, ni le fait qu'elle savait ses parents de l'autre côté du mur, ni la légère lueur qui perçait de derrière les lourds rideaux tirés, ni l'odeur trop propre…
Roulant à plat dos, elle contempla le plafond un long moment, pesant le pour et le contre…
Mais elle avait besoin de dormir.
Cédant finalement à la voix de la raison, elle écarta les couvertures d'un coup de pied et se releva discrètement, n'emportant que sa baguette avec elle. Pieds nus – un choix qu'elle regretterait sans doute sous peu – dans un pyjama constitué d'un pantalon trop large et d'un vieux tee-shirt fané à l'effigie de Dark Vador, elle se glissa jusqu'à la cheminée, attentive à ne se cogner à aucun meuble.
Elle avait su que ne pas replacer le pare-feu devant la cheminée se révélerait utile, n'en déplaise à Severus, songea-t-elle en jetant une poignée de poudre de cheminette dans l'âtre. Elle émergea dans les cachots et respira immédiatement un peu plus facilement malgré l'obscurité.
Elle connaissait les ombres dans les appartements de Severus et elles n'avaient rien d'inquiétantes, elles étaient devenues familières. Le sol était glacé et l'air était humide, comme toujours. Frissonnant, elle se dépêcha de rejoindre la chambre et se jeta pratiquement sous les couvertures.
Quelqu'un avait refait le lit, depuis qu'elle l'avait quitté ce matin là. Et changé les draps…
Kreattur.
L'elfe semblait penser que les appartements de Severus étaient une extension des possessions de Sirius, à présent. À cause d'Harry sans doute, mais…
Elle étouffa un grognement de dépit dans l'oreiller qui ne sentait que la lessive et n'hésita pas plus de quelques secondes avant de se relever pour échanger son tee-shirt contre une des chemises pendues dans l'armoire. Elle en respira le col. C'était mieux. Pas parfait mais mieux.
Elle retourna se coucher, respirant avidement l'odeur familière, se demandant s'il était inquiétant qu'elle se sente davantage chez elle dans les cachots que dans son appartement un peu plus tôt.
Elle se tortilla jusqu'à être sur le côté qui était habituellement celui de Severus, ferma les yeux et tenta d'imaginer qu'il la tenait dans ses bras... Qu'elle avait volé sa chemise au sol après l'amour… Que si le lit était froid c'était uniquement parce qu'il faisait particulièrement humide cette nuit là…
Elle serra les mâchoires quand elle sentit les larmes noyer ses paupières closes, mouiller le tissu sous sa joue... Elle n'avait jamais autant pleurer que cette année. Elle en avait assez de pleurer. Elle en avait de…
Renonçant à trouver le sommeil, elle tâta sur la table de nuit jusqu'à refermer les doigts sur la hampe d'une baguette d'aubépine familière. Elle s'en servit pour allumer la lumière. La baguette rechignait à lui obéir mais se plia tout de même à sa volonté. Elle ne la reposa pas tout de suite, savourant la connexion un peu illusoire avec un homme qui lui manquait tellement qu'elle aurait pu en hurler.
Ça l'effrayait.
Elle savait depuis un moment qu'elle était amoureuse. Elle savait depuis un moment qu'elle aurait du mal à s'en remettre si cela tournait mal. Elle savait depuis un moment que ce qu'elle avait construit avec Severus était potentiellement l'histoire de sa vie. Mais…
C'était effrayant d'aimer quelqu'un autant.
Elle n'allait pas renoncer à lui pour autant.
« Kreattur. » appela-t-elle, à voix basse, peu sûre de si cela allait fonctionner. L'elfe l'appelait maîtresse par respect pour sa lignée maternelle mais elle n'avait aucun droit sur lui et…
Il y eut un craquement et l'elfe apparut, s'inclinant bien bas. « Maîtresse Nymphadora a besoin de Kreattur ? »
« Comment ça se passe ? » demanda-t-elle. « Comment va Harry ? »
L'elfe se rembrunit immédiatement. « Kreattur n'aime pas ces gens. Kreattur serait heureux de les découper en morceaux et de… »
« Oui, je vois l'idée. » l'interrompit-elle. Elle n'avait pas vraiment besoin de ce genre d'images en tête alors qu'elle essayait de dormir. « Mais qu'est-ce qu'ils ont fait ? Qu'est-ce qu'il se passe ? »
« Rien. » répondit l'elfe, en bougonnant comme s'il aurait aimé avoir une excuse pour mettre ses menaces à exécution. « Ces… êtres font semblant que Maître Harry n'est pas là. » Kreattur croisa les bras. « Maître Harry en souffre. »
Elle pouvait aisément l'imaginer.
L'elfe sembla hésiter puis rajusta la taie d'oreiller qui lui servait de tenue.
« Kreattur a visité le placard de Maître Harry. Kreattur tient à peine dedans. » cracha-t-il. « Le placard de Kreattur dans la demeure de la noble et ancienne famille Black est plus grand et Kreattur était un mauvais elfe. Kreattur vivait dans le placard pour se punir. Maître Harry n'avait pas à être puni. Maître Harry est un gentil sorcier. » L'elfe lui glissa un regard où brillait une cruauté dépourvue de folie. « Kreattur est très, très en colère, Maîtresse. »
Elle agrippa la baguette de Severus si fort qu'une étincelle verdâtre s'en échappa. « C'est quoi cette histoire de placard ? »
À nouveau, l'elfe sembla hésiter et la dévisagea longtemps avant de finalement se décider à répondre. « Le jeune maître a confié à Kreattur qu'il vivait dans un placard. Kreattur voulait voir. Kreattur a utilisé sa magie et Kreattur pense que Maître Harry y a passé au moins dix ans. »
Elle sentit la bile lui remonter dans la gorge. « Ils l'enfermaient dans un placard pour le punir ? »
« Non, Maîtresse. » répondit-il. « Maître Harry vivait dans le placard. »
La rage était sourde et froide. D'autres étincelles s'échappèrent de la baguette de Severus, laissant des traces de brûlures sur les draps, que Kreattur répara tranquillement d'un claquement de doigts. Elle sentait sans avoir besoin de le vérifier que ses cheveux étaient d'un noir de jais.
Qui enfermaient un bébé dans un placard ?
Qui était assez cruel pour…
Pas étonnant que Severus soit aussi protecteur envers lui.
Ou qu'Harry ait parfois des réactions étranges pour un gamin de son âge.
Dumbledore savait forcément.
Il savait forcément et il l'avait tout de même renvoyé là-bas ?
« Kreattur, écoute-moi bien. » siffla-t-elle. « Si l'un de ces connards fait seulement mine de se montrer un tant soit peu agressif avec lui, tu viens me chercher immédiatement. S'il se passe quoi que ce soit, tu viens me chercher immédiatement. »
L'elfe tiqua. « Maître Sirius… »
« Moi d'abord, Kreattur. » insista-t-elle.
Il se tira les oreilles, visiblement mal à l'aise. « Kreattur ne veut pas désobéir à un membre de la noble et ancienne nouvelle génération des Black mais les ordres de Maître Sirius… »
« Tu ne désobéiras pas. » contra-t-elle. « T'a-t-il demandé de le prévenir spécifiquement en premier ? »
L'elfe se calma rapidement. « Non, Maîtresse. » Il réfléchit puis s'inclina. « Kreattur viendra chercher Maîtresse Nymphadora. »
« Retourne auprès de lui. » exigea-t-elle. « Et Kreattur ? S'ils sont une menace pour lui, tu as la permission de faire tout ce qui est nécessaire pour assurer sa sécurité. »
Kreattur s'inclina, un sourire mauvais aux lèvres, puis disparut.
Elle espérait qu'elle ne regretterait pas cette carte blanche tacite mais, en même temps… Ils l'avaient enfermé dans un placard. Si l'elfe de maison cinglé les assassinait… Eh bien, il savait apparemment comment faire disparaître un cadavre et, elle, savait comment classer une enquête sans suite.
Si Maugrey avait eu une tombe, il se serait probablement tourné et retourné dedans.
Elle n'essaya même pas de se recoucher, elle savait que cela ne servirait à rien.
Elle aurait pu s'habiller, se rendre au poste des Aurors mais elle n'avait pas envie de croiser Kingsley. Sa manière de ne jamais contredire ouvertement les décisions de Dumbledore l'irritait. Au lieu de ça, encore en pyjama, elle emprunta une nouvelle fois la cheminée et émergea dans le bureau de Pomfresh. De là, ce ne fut pas difficile de rejoindre la chambre de Severus sans se faire repérer.
Elle était vide à cette heure-ci, ce qui lui serra le cœur. Elle savait que Pomfresh et sa mère passaient régulièrement, qu'il y avait tout un tas de sorts d'alarmes qui avertiraient qui de droit si son état s'aggravait soudainement, mais qu'il soit seul, ça…
Elle prit garde à ne pas l'approcher du côté de sa mauvaise jambe au cas où elle serait toujours douloureuse mais n'hésita pas avant de se faire une petite place contre son flanc gauche. Allongée contre lui, la tête calée sur son épaule, elle se sentit enfin apaisée. La position n'était pas confortable, son bras était prisonnier entre leurs deux torses, le vide était béant derrière elle… Et pourtant elle se détendit.
Il y avait une forte odeur d'antiseptique qui couvrait celle de sa peau, l'empêchant de se perdre dans l'illusion que c'était une nuit comme une autre.
« Ils disent que tu n'entends rien dans ton coffre, que tu es coupé du monde. » murmura-t-elle. « Et peut-être que c'est vrai mais… Mais j'espère que tu m'entends. » Elle lui parlait souvent. À l'oreille la plupart du temps. « Je n'ai pas pu empêcher Dumbledore de renvoyer Harry chez ses Moldus. Il a besoin de toi. On a besoin de toi. » Elle ferma les yeux, tourna le visage davantage dans le creux de son épaule. « Reviens-moi, Severus… Je sais que tu m'entends… Reviens-moi. »
Il n'y eut ni miracle, ni changements.
Il lui sembla à un moment, sentir un doigt tressauter contre sa cuisse mais lorsque, avec espoir, elle vérifia, sa main était inerte. Il était inerte.
« Harry a besoin de toi. » répéta-t-elle encore et encore, blottie contre lui. « J'ai besoin de toi. »
Une main posée sur son torse pour sentir battre son cœur, le sommeil finit par la gagner.
Et si elle fut réveillée en sursaut par le glapissement surpris de Pomfresh qui ne s'attendait pas à la trouver là, quelques heures plus tard, elle ne parvint pas à éprouver la moindre honte ou le moindre regret. Une fois que la Médicomage fut partie, elle se réinstalla dans la même position et reprit son monologue rendu incohérent par la fatigue.
« Reviens-moi. » supplia-t-elle encore et encore.
Elle le supplierait autant de fois qu'il le faudrait.
