Enjoy & Review!
"I am not weak because I loved you," she whispered to Ongrum. "I am strong because I survived you. I am strong because after all the hurt, still I love. Still I trust. My strength is not owed to the wounds you gave me, but my willingness to let them scar."
The Ones We Burn – Rebecca Mix
« Je ne suis pas faible parce que je t'ai aimée. » murmura-t-elle à Ongrum. « Je suis forte parce que je t'ai survécu. Je suis forte parce qu'après toutes ces douleurs, j'aime encore. Je fais encore confiance. Je ne dois pas ma force aux blessures que tu m'as infligées mais à ma volonté de les laisser cicatriser. »
The Ones We Burn – Rebecca Mix
Chapitre 63 : I Survived You
Harry fixait le tigre en porcelaine dans le blanc des yeux.
De toute éternité, ce tigre avait été posté là, sur le manteau de la cheminée, proéminent parmi les divers cadres photos qui ne contenaient que les membres de la famille Dursley et aucun garçon aux cheveux noirs et aux yeux verts.
Deux jours qu'Harry était là, à raser les murs et à éviter autant que possible de croiser le chemin de son cousin, de son oncle ou de sa tante… Il avait l'impression de vivre dans les murs. Il avait l'impression d'être invisible.
Dumbledore avait dû être efficace, finalement, parce que mis à part quelques marmonnements ou grognements en sa direction, les Dursley n'interagissaient pas avec lui. Vernon n'avait même pas tenté de l'enfermer une fois dans sa chambre, ce qui n'empêchait pas Harry de rester aux aguets jusqu'à ce qu'il soit certain que son oncle soit parti se coucher. Heureusement, ses sorts de silence lui permettaient de cauchemarder en paix.
Et, des cauchemars, il en faisait à foison.
Il n'avait pas beaucoup dormi ces deux dernières nuits, préférant lire jusque tard plutôt que de risquer les visions d'horreur qui l'attendaient dans son sommeil. Même pas Voldemort. Sa propre imagination lui suffisait amplement.
Son père lui aurait hurlé dessus pour être retombé dans les sorts de silence la nuit. C'était une des règles gravées dans le marbre, à la maison, qu'Harry n'avait pas le droit de faire ça. Parce que Severus voulait pouvoir l'entendre s'il était en détresse ou malade. Parce qu'il voulait pouvoir venir et le réconforter.
Il n'y avait rien de tout ça ici.
Et si possible, cela ne faisait que renforcer la certitude qu'il était davantage chez lui dans les appartements du Maître des Potions qu'il ne l'avait jamais été dans cette maison.
« Si tu ne sais pas quoi faire, le jardin a besoin d'un coup de tondeuse. » cracha sa tante, derrière lui, comme si elle n'y tenait plus.
Le temps qu'Harry se retourne, elle avait déjà disparu en direction de la cuisine.
Comme un vieux réflexe, une part de lui voulait obéir. Une part de lui voulait aller chercher la vieille tondeuse dans l'abri de jardin, tirer la corde, travailler sous le soleil jusqu'à ce que la pelouse soit impeccable, en espérant récolter si ce n'était des accolades – il n'était pas si idiot – au moins un mot de contentement.
Mais c'était le petit garçon en lui qui parlait.
Celui qui ne comprenait toujours pas pourquoi il n'avait pas le doit aux mêmes égards que Dudley.
Harry n'était pas aussi naïf.
Harry savait.
Alors Harry, non sans un dernier regard au tigre en porcelaine sur la cheminée qui semblait le regarder en retour, quitta le salon et se glissa dans la cuisine où Pétunia était occupée à ranger la vaisselle. Ça aurait dû être son travail mais personne n'avait encore évoqué les corvées domestiques qu'il était censé faire – l'influence de Dumbledore, sans doute.
Il resta sur le seuil, s'attirant un coup d'œil agacé de sa tante.
« Si tu pouvais être n'importe quel animal, lequel tu choisirais ? » demanda-t-il, un peu par pure perversité de la torturer de la sorte, un peu par curiosité.
L'assiette que Pétunia était en train de replacer dans le placard fut posée avec tellement de brutalité qu'il n'aurait pas été étonnée qu'elle se soit fendue.
« Ne sois pas ridicule. » cingla-t-elle. « Et ne me parle pas de tes choses contre-nature. »
« Je choisirais un tigre. » s'entendit-il répondre. Dans sa tête, il était loin. Les cuisines de Poudlard. L'odeur de la nourriture qui se mêlait à celle du vélin du carnet à dessin, du fusain qui colorait les mains de sa mère. L'esquisse qui naissait sous ses coups de crayons. « Si on était des tigres, on pourrait partir explorer le reste du monde. On ne risquerait rien parce que le tigre est le fauve le plus dangereux de la terre. Mieux encore qu'un lion. »
Un silence lourd suivit ses mots.
Sa tante s'était tournée et le dévisageait, blême.
« Je l'ai rencontrée, cette année. » murmura-t-il.
« C'est impossible. » cracha Pétunia. « Elle est morte. »
Le mot faisait toujours si mal.
On aurait pu croire qu'il s'y habituerait un jour mais… C'était peut-être pire à présent qu'il l'avait connue en chair et en os, qu'il l'avait touchée, prise dans ses bras, entendue rire…
« Il y a un tigre sur la cheminée. » lâcha-t-il. « Je parie que je peux en trouver au moins trois autres dans la maison. Si tu la détestes tant que ça, pourquoi… »
« C'est juste un stupide animal en porcelaine. Ne vas pas y lire n'importe quoi. » l'interrompit-elle, en se détournant pour attraper un torchon et astiquer un comptoir qui n'en avait pas besoin. « Retourne dans ta chambre. »
Le ton était suffisamment menaçant pour que, à une autre époque, il se soit exécuté. L'été passé, peut-être même, aurait-il détalé sans demander son reste, déjà soufflé d'avoir osé autant.
Mais les choses étaient différentes, à présent.
Il se sentait détaché du présent, déconnecté de son environnement.
Il ne pouvait pas retourner dans sa chambre parce que ce n'était pas sa chambre.
Ce n'était pas chez lui ici.
Alors, au lieu de faire ce qu'elle exigeait, il marcha jusqu'à la table de la cuisine et s'assit avec une lenteur délibérée.
Sa tante lui jeta un regard exaspéré mais, quoi qu'elle fut sur le point de dire, elle le ravala lorsque ses yeux croisèrent les siens. Elle se détourna à nouveau.
« Les lunettes t'allaient mieux. » lâcha-t-elle.
« Tu l'as déjà dit. » remarqua-t-il.
Et il était inutile d'expliciter pourquoi. Les lunettes cachaient en partie ses yeux. Les yeux de sa mère. Severus aussi avait eu du mal à s'habituer au début.
Elle pinça les lèvres. « Qu'est-ce que tu veux, Harry ? »
Il était très rare qu'elle utilise son prénom. À vrai dire, il ne se souvenait pas le lui avoir entendu, ces dernières années. Il était toujours le garçon quand ils parlaient de lui comme s'il n'était pas là et lorsqu'ils s'adressaient directement à lui, ils prononçaient rarement son prénom. Il fallait exister pour avoir un prénom. Compter.
Harry n'avait jamais ni existé, ni compté dans cette maison.
« Est-ce que Dumbledore t'a dit pour la tempête ? » s'enquit-il.
Pétunia se remit à astiquer son comptoir. « Nous avons reçu une lettre disant que tu étais porté disparu, présumé mort. Puis une autre disant que, finalement, tu étais vivant. »
Et ça n'avait pas eu l'air de les émouvoir plus que ça.
« On a été pris dans une tempête magique. » commença-t-il à expliquer. « On… »
« Ne prononce pas ce mot sous mon toit. » siffla-t-elle, en s'acharnant avec son torchon. « Et ça ne m'intéresse pas. »
« C'était une artiste. » insista-t-il. « Personne ne m'avait jamais dit que c'était une artiste. »
Sa tante émit un bruit hostile. « Ce n'était pas une artiste. Elle gribouillait. »
« Des tigres principalement. » contra-t-il. « Parce que tu lui manquais. »
Le torchon fut jeté dans un coin avec violence et Pétunia se tourna vers la bouilloire, la mettant à chauffer, sans un regard pour lui. Elle sortit une tasse sur sa soucoupe du placard – une. Mais sa main tremblait…
« Ce n'est qu'un tigre en porcelaine. » répéta-t-elle. « Il est là parce qu'on me l'a offert et que je le trouve joli. C'est tout. »
C'était loin d'être tout.
Il prit une profonde inspiration, garda une main sur la table, l'autre pressée en un poing contre sa cuisse.
Il voulait fuir.
Il voulait cesser de pousser sa chance.
C'était un miracle qu'elle ne lui ait pas déjà hurlé dessus.
Dans le silence qui s'installa, ils purent écouter le bruit de zombies se faisant exploser grâce à Dudley qui ne savait pas jouer à un jeu vidéo sans en faire profiter toute la maison.
La bouilloire siffla, Pétunia prépara sa tasse de thé, coupant une rondelle de citron d'un geste sec avant de la jeter dans le liquide avec un peu trop de force. Des gouttes retombèrent dans la soucoupe.
« Pourquoi est-ce que tu ne m'as jamais aimé ? »
L'espace d'un instant, il crut que quelqu'un d'autre avait posé la question.
L'espace d'un instant, il ne se rendit pas compte que c'était lui qui avait ouvert la bouche.
Et il détestait le fait que sa voix avait eu tout de l'enfant qu'il n'était plus.
« Qu'y avait-il à aimer ? » rétorqua-t-elle.
C'était si cruel qu'il tressauta.
Pas inattendu mais cruel.
Moi aussi je t'aime.
Cela va sans dire.
La voix de Severus, assurée bien qu'un peu nerveuse, retentit dans sa tête.
Tu es tout ce que j'ai. Tu es mon fils.
Il isola le souvenir, s'en drapa comme d'une couverture au coin du feu, laissa la chaleur de ces mots chasser le froid piquant de ceux de sa tante.
Lorsqu'il leva les yeux vers elle, son expression était neutre, son esprit retranché derrière ses flammes et ses marécages, bien à l'abri sous une couverture d'amour.
« J'étais un bébé, Tante Pétunia. »
Les mains de sa tante tremblaient tandis qu'elle remuait son thé et refusait de le regarder en face.
« Tu étais son bébé. Un bébé à cause de qui elle venait de mourir. » riposta-t-elle. « Non pas que qui que ce soit ait eu la décence de me le dire en face. Non… Pourquoi avoir ce respect ? Je n'étais que la femme qui était censée te garder en sécurité jusqu'à ce que tu puisses leur servir, trop normale, trop insignifiante pour qu'on lui dise en personne que sa sœur… Personne ne s'est tracassé de savoir si nous voulions nous mettre en danger. Personne ne s'est tracassé de savoir si nous voulions seulement un second enfant. As-tu une seule idée de l'impact financier qu'implique d'avoir deux enfants en bas-âge sur un foyer ? Vernon n'était pas encore cadre, à ce moment-là. » Elle secoua la tête. « Que nous as-tu apporté mis à part des tracas ? »
Il savait ou avait deviné une bonne partie de tout ça.
« Dumbledore… » tenta-t-il.
« Dumbledore est le pire d'entre eux et si tu ne l'as pas encore compris, je ne peux rien pour toi. » le coupa-t-elle. « Il exige, il menace… Il ne lui est jamais venu à l'idée de demander. »
Il pouvait sans mal imaginer ça.
S'il s'était attendu à un refus pur et simple, le Directeur serait passé directement à la phase supérieure.
« Mais ça n'avait rien à voir avec moi. » insista-t-il. « Tante Pétunia, tu… »
« Nous t'avons donné un toit. Nous t'avons protégé en t'accueillant. Nous t'avons nourri, habillé… » s'énerva-t-elle. « Que voulais-tu de plus ? »
La question claqua et il peinait à comprendre qu'elle était sincère.
« Un centième de ce que tu as donné à Dudley. » finit-il par répondre. « Je me serais contenté d'une miette. »
Le regard de Pétunia était accusateur. « Pour que tu lui voles l'attention ? Pour qu'il se sente moindre uniquement parce que tu savais faire trois tours de magie ? Mes parents se sont toujours extasiés sur elle. Oh, Lily était spéciale… Lily était si douée… Ils ne l'ont jamais vue pour ce qu'elle était vraiment : un monstre. »
Il se mordit la langue pour ne pas la corriger.
L'Occlumencie lui donnait la réserve nécessaire pour continuer cette conversation pourtant pénible.
« Elle t'aimait. » contra-t-il.
Sa tante leva les yeux au ciel et porta sa tasse à ses lèvres. « Et personne n'a jamais cessé de me le rappeler. » Elle avait beau avoir l'air irritée, son regard était devenu triste. « Dès que cet affreux garçon est entré dans nos vies, c'était terminé. »
L'affreux garçon en question, il pouvait sans mal en deviner l'identité.
« Le Professeur Snape était avec moi lorsque nous avons été pris dans la tempête. » offrit-il, prenant garde à ne pas trop en révéler d'un coup. Il ne savait pas encore s'il voulait dire à Pétunia que Sev l'avait adopté, souhaitait l'adopter.
Par réflexe, il se mit à jouer avec le sceau des Prince, le faisant tourner autour de son doigt.
« Le Professeur Snape ? » s'étouffa-t-elle presque, sans sembler savoir si elle était indignée ou hilare. « Il ne doit pas y avoir beaucoup de standards dans cette école si ce garçon est devenu Professeur. »
« Ce garçon a trente-six ans, tu sais. » remarqua-t-il.
Elle l'étudia un moment. « Il haïssait ton père. »
« Mais il aimait Maman. » contra-t-il, sans inflexion particulière.
« Oh, oui… » ricana Pétunia. « Il l'aimait tellement qu'elle a passé l'été de ses seize ans à pleurer parce qu'il l'avait appelée d'un nom horrible. » Un rictus cruel se dessina sur les lèvres de sa tante. « J'avais raison en fin de compte. Je lui ai toujours dit qu'il finirait par la faire souffrir. J'étais soulagée qu'elle s'en tienne à sa décision de ne plus le fréquenter, pour tout te dire. J'avais peur qu'elle finisse par l'épouser un jour et les Snape étaient de la vermine. Le père était saoul en permanence, la mère n'avait aucunes manières… »
« Sa mère aurait pu être une Lady. » l'interrompit-il, en grinçant des dents.
Pétunia leva un sourcil moqueur. « Qu'est-ce que tu pourrais savoir de… »
« Parce que je suis un Lord. » lâcha-t-il, en s'appuyant plus profondément contre le dossier, laissant un sourire fleurir sur ses lèvres. C'était un masque rendu possible par l'Occlumencie. Le même numéro qu'il avait joué à Lucius lorsque… « Avec la fortune qui va avec. Maman n'a jamais mentionné qu'elle était Lady Potter? »
Il eut le plaisir de voir Pétunia s'étouffer sur sa rondelle de citron.
« Tu mens. » cracha-t-elle. « Ou… Ou tu n'es pas un vrai… »
« Est-ce que c'est important ? » la coupa-t-il, à nouveau. « J'ai le titre. J'ai l'argent. À ma majorité, j'aurais le domaine. J'ai… le pédigrée. » Il se rendait bien compte qu'il sonnait comme Draco. « Tu regrettes de ne pas mieux t'être occupée de moi, maintenant ? Tu regrettes que je ne te considère pas comme une mère ? »
La question était sérieuse.
Il voulait savoir si l'argent ou le prestige, même s'il était inhérent au monde magique, auraient pu changer les choses.
Pétunia le fixa longtemps du regard, ressentiment et amertume se battant sur son visage.
« Non. » lâcha-t-elle finalement.
Il n'était pas véritablement surpris.
Et le rire qui s'échappa de sa gorge était plus triste qu'autre chose. « Wow, tu me détestes vraiment. Je veux dire, je le savais, mais… »
« Je ne te déteste pas. » riposta-t-elle, en fronçant légèrement les sourcils. « Je n'ai peut-être pas beaucoup d'affection pour toi mais si je n'en avais aucune, l'abracadabra de Dumbledore n'aurait pas fonctionné tout ce temps et il n'y aurait eu aucune raison de te garder ici. » Elle soupira. « Si tu tiens à ce que je sois franche, la plupart du temps, tu m'es indifférent. »
Je hais James Potter. Vous, vous m'êtes indifférent, à un détail près.
« C'est drôle. » commenta-t-il. « Quelqu'un m'a déjà dit ça, cette année. » Il croisa son regard. « C'était Severus. »
Elle encaissa le coup mais se reprit vite.
Elle aurait fait une excellente Serpentard.
Peut-être qu'Harry était le fruit de son éducation, après tout.
« S'il est ton enseignant, tu ne devrais pas plutôt l'appeler Professeur ? » aboya-t-elle.
« Quoi ? Tu t'inquiètes de mes manières maintenant ? » se moqua-t-il, avant d'hausser les épaules, jouissant d'avance de la peur qui allait s'allumer dans son regard. L'horcruxe, en lui, se délectait mais, pour une fois, Harry était entièrement d'accord avec lui. « Si tu tiens à ce que je sois franc, la plupart du temps, je l'appelle papa. »
La mâchoire de Pétunia se décrocha.
Son choc était total.
Mais cela ne dura pas. Très vite, un sourire mordant se dessina sur sa bouche alors qu'elle se redressait comme si elle se drapait d'une dignité supérieure. « J'ai toujours su que ta mère… »
« Il m'a adopté. » l'interrompit-il, avant qu'elle ait pu accuser Lily d'adultère. « Veut m'adopter. Ça a été une longue année, Tante Pétunia. Une très, très longue année. » Il déglutit. « Et il sait tout. Le placard, la manière dont vous m' avez traité… Il sait tout. Son caractère n'a pas beaucoup changé, par contre. Et il n'est pas vraiment… impressionné par tes talents de tutrice. Mon parrain non plus, d'ailleurs. Tu te souviens de mon parrain ? Le tueur en série ? »
Il savoura plus qu'il ne l'aurait dû l'étincelle de terreur dans ses yeux.
Il savoura sa peur comme un nectar.
L'horcruxe pulsait au même rythme que les battements de son cœur.
« Dum… Dumbledore… » balbutia-t-elle.
« Dumbledore ne peut pas être partout, tout le temps. » railla-t-il.
« Menteur. » l'accusa-t-elle. « Tu as toujours été un petit menteur. Quoi que tu leur aies raconté… »
« Ce que je leur ai raconté est en dessous de la vérité ! » cria-t-il, perdant patience.
Ses boucliers, sans voler en éclat, lui échappèrent et il se retrouva soudain brusquement projeté dans la scène, sans aucun recul, sans aucun masque derrière lequel se cacher. Sans…
L'horcruxe se repaissait du spectacle, de ses émotions, de sa cruauté.
La panique le prit aux tripes.
Halloween.
Il ne voulait jamais revivre Halloween.
C'était bien pour ça qu'il était là.
Et se mettre Pétunia à dos n'était pas une bonne façon de s'assurer que ça ne se reproduirait pas. Il avait besoin de la protection de sa mère. Il avait besoin de…
Il jeta toutes les flammes, tous ses marécages entre lui et l'horcruxe.
Ce n'était pas lui.
Ce n'était pas lui.
Il n'était pas comme ça. Il ne voulait pas être comme ça.
Vidé de toute indignation, vidé de toute colère, vidé de tout, il laissa tomber sa tête dans ses bras sur la table.
« Pardon. » murmura-t-il. « Pardon. »
Pétunia ne dit rien pendant un très long moment.
Honnêtement, il pensait qu'elle était partie.
Il fut donc surpris lorsqu'il entendit la chaise racler contre le sol alors qu'elle prenait place à la table de la cuisine avec un magazine, aussi sereine que si cette discussion déplaisante n'avait jamais eu lieu.
Comme si elle n'en avait véritablement rien à faire de lui ou de ses états d'âme.
Pourquoi était-il surpris ?
Il la regarda tourner les pages sur papier glacé qui relataient les scandales des célébrités, admira presque sa capacité à l'ignorer, à prétendre qu'il n'était plus dans la pièce.
« Je vais mourir. »
À nouveau, les mots lui échappèrent.
Il s'attendait honnêtement à ce qu'elle continue à tourner les pages, en faisant semblant de ne rien avoir entendu, mais elle releva brutalement la tête, croisant son regard.
Et, dans son regard, il vit un soupçon d'inquiétude.
Un soupçon.
« Ne sois pas ridicule. » cracha-t-elle. « Et ne dis pas ce genre de choses. Ça porte malheur. »
« C'est moi qui porte malheur. » répondit-il. « Et tu penses pareil. Tu me l'as déjà dit. » Elle ne pouvait rien répondre à ça. Il déglutit. « Est-ce que tu seras un peu triste ? Quand je serai mort ? »
Elle le détailla de la tête au pied, d'un œil critique. « Tu n'es pas malade. »
L'horcruxe était une sorte de maladie, décida-t-il. Un poison qui rongeait l'âme.
« Rien qui se voit. » répondit-il, à voix basse.
Elle leva les yeux au ciel. « C'est encore une de tes pathétiques tentatives pour attirer mon attention. »
« Non. » soupira-t-il, en se frottant le visage. « Je préfèrerai. »
« Tu ne vas pas mourir. » rétorqua-t-elle. « On ne meurt pas à seize ans. »
Beaucoup de gens de seize ans mourraient tous les jours, aurait-il voulu répliquer. Il pouvait en nommer au moins deux rien que dans la dernière semaine et c'était sans mentionner ceux de quinze, quatorze, treize, douze ou onze. C'était sans mentionner ceux de dix-sept, dix-huit, dix-neuf, vingt ou vingt-un ou…
« C'est dommage que vous n'ayez jamais fait votre voyage. » déclara-t-il. C'était ce qu'avait dit Lily, qu'elles avaient toujours prévu de faire un grand voyage autour du monde lorsqu'elles seraient suffisamment grandes.
« On ne peut pas toujours fuir la réalité. » rétorqua Pétunia, en soupirant. « File, maintenant. Tu me donnes mal à la tête. »
Restait-il autre chose à dire ? Beaucoup, probablement. Mais la conversation l'avait laissé épuisé.
« Je te déteste souvent. » lâcha pourtant Harry. « Mais je t'aime un peu quand même. Pendant longtemps, tu étais le seul lien que j'avais avec elle. »
Il fuit la cuisine avant qu'elle n'ait pu lui lancer le magazine à la figure. Pourtant, lorsqu'il se hasarda à jeter un coup d'œil par-dessus son épaule, elle ne l'avait pas roulé. Il était toujours à plat sur la table. Mais elle avait enfoui son visage dans ses mains et ses épaules se secouaient lentement.
Cela lui fit bizarre de se dire qu'elle était humaine, en fin de compte.
Il traîna les pieds dans l'escalier, hésitant entre se rouler en boule sur son lit pour se morfondre ou ouvrir un des livres sur la magie médicale qu'il avait emportés avec lui. Il n'avait pas la tête à étudier mais il avait peur des pensées qui lui venaient à l'esprit.
Tout était toujours plus noir chez les Dursley.
Et la culpabilité qu'il traînait à ses basques était impossible à ignorer. Cédric, Lucius, tous les autres qui le hantaient dans ses cauchemars… Même Severus commençait à y faire des apparitions, à l'accuser d'avoir ruiné sa vie par sa simple existence…
Ce ne fut qu'une fois sur le palier qu'il réalisa que le bruit des zombies se faisant dégommer avait cessé depuis un moment, depuis que la conversation avec Pétunia était devenue plus hostile, peut-être. La maison était complètement silencieuse, désormais.
Il lui fut impossible de ne pas entendre lorsqu'il passa rapidement devant la porte de la chambre de son cousin, l'habitude lui enjoignant de ne pas s'attarder et de ne pas baisser la garde au risque de se retrouver poussé contre un mur ou la tête enfoncée dans la cuvette des toilettes.
« Harry ? »
Il hésita à poursuivre son chemin, à faire comme s'il n'avait rien entendu.
Mais il n'en était plus à une confrontation près, décida-t-il, en tournant discrètement le poignet pour s'assurer que le fourreau était bien en place. Il avait opté pour un tee-shirt à manches longues juste pour pouvoir cacher l'étui à baguette sanglé à son avant-bras. Il refusait de s'en séparer, quitte à avoir trop chaud.
Il n'était plus le gamin sans défense que Dudley pouvait martyriser à loisir.
S'il devait user de magie, il le ferait.
Il revint donc sur ses pas et se posta au seuil de la chambre de son cousin, une expression méfiante sur le visage. « Quoi ? »
Dudley était assis sur un énorme coussin à billes dont Harry voyait mal comment il allait s'extraire sans difficultés, et tournait nerveusement la manette de sa playstation entre ses mains. Avec hésitation, le garçon lui tendit la deuxième manette qui n'était pas encore branchée.
« Tu veux jouer ? » proposa son cousin.
L'espace d'une seconde, il revécu toutes les fois où Dudley lui avait tendu ce piège, que ce soit pour mieux lui taper dessus ou pour aller ensuite se plaindre à ses parents qu'il avait touché à ses affaires.
Sans aucun scrupule ou remords, il effleura la surface de l'esprit de Dudley d'un Legilimens informulé. Il n'y avait aucune défense et aucune résistance. Il ne fit qu'inspecter les pensées superficielles, immédiates, mais n'y lut aucune malice de la part de son cousin.
L'invitation paraissait sincère.
Et quel était le pire qui pouvait arriver, après tout ? Dudley l'évitait depuis qu'il avait débarqué, visiblement terrifié par son expérience avec le Détraqueur.
Il haussa les épaules et vint s'asseoir par terre à côté de son cousin.
Il ne vint pas à l'idée de l'autre adolescent de proposer de partager le coussin ou de lui trouver un siège plus confortable. Harry l'observa changer le disque de jeu, brancher la deuxième manette… Le logo s'afficha, Tekken s'écrivit en gros sur l'écran… Un jeu de combat… Il n'était pas particulièrement surpris. Il laissa Dudley lui expliquer quel bouton faisait quoi…
Quand ils passèrent à la pratique, il appuya surtout sur tous les boutons sans trop savoir ce qu'il faisait pourvu que les coups fusent.
Dudley gagna sans trop de mal.
Ils firent trois manches avant que son cousin ne se décide à rouvrir la bouche, les yeux rivés sur la télé. « Pourquoi tu te disputais avec maman ? »
Par où commencer, franchement ?
Il n'avait pas de réponse, alors il garda le silence, se calant plus confortablement contre le bas du lit dans son dos et étirant ses jambes devant lui.
Dudley n'insista pas, il se contenta de lancer une autre partie.
Pour la première fois, Harry le battit et sans trop de difficultés.
« Tu me laisses gagner, maintenant ? » se moqua-t-il. « Je fais tant pitié que ça ? »
Visiblement gêné de s'être fait prendre dans un délit inédit de gentillesse, le garçon Moldu haussa les épaules et lança une autre manche.
Harry en avait un peu marre et ne comprenait pas comment il pouvait passer sa journée à s'abrutir là-dessus mais comme il n'avait pas de meilleur alternative à l'activité, il tint sa langue. Et puis, c'était la première fois depuis très longtemps qu'il passait un moment relativement plaisant avec lui.
« Il y a eu tout un foin cette année, dans mon école. » lâcha Dudley, sans jamais le regarder en face. « L'infirmière, elle trouvait que j'étais… Maman et Papa ne voulaient pas vraiment mais l'école m'a obligé à voir une dame. »
« Une dame ? » répéta Harry, sans bien comprendre.
« Oui, parce que… » Son cousin soupira puis s'empourpra. « À cause de ce que tu m'as fait l'été dernier. »
« Ce que je… » Il leva les yeux au ciel lorsqu'il comprit finalement et appuya sur la touche qui mettait en pause. « Dudley, je ne t'ai rien fait. Il y avait des… »
« Des détrafleurs. » coupa Dudley. « Oui, je sais. Je ne voulais pas dire ça comme ça. » Son cousin remit le jeu en marche sans l'avertir et en profita pour pistonner son personnage de coups de pied. « Tu avais oublié des vieux livres dans ta chambre. J'ai regardé. »
Harry leva les sourcils si haut qu'ils frôlèrent sa frange. « Tu as regardé mes livres de magie ? »
Il s'attendait à ce que Dudley glapisse et coure rapporter à sa mère l'utilisation de ce mot interdit dans la maison mais son cousin ne bougea pas. Il était tendu, son regard rivé sur l'écran, les mains crispées sur la manette…
« La dame dit que c'est important de comprendre ce qui m'est arrivé. » expliqua son cousin. « Je ne pouvais pas lui dire ce que tu m'as fait exactement. Elle posait beaucoup de questions sur toi. »
Ce qui tira immédiatement la sonnette d'alarme. « C'est qui cette dame ? »
Il s'imaginait déjà un Mangemort déguisé, tout un complot, lorsque Dudley s'empourpra à nouveau. « Ce n'est pas vraiment une dame. C'est un docteur. Pour la tête. Tu sais. Parce que j'étais… J'étais mal tout le temps. »
« Oh. » lâcha Harry. « Oh, d'accord. » Il se racla la gorge, trouvant soudain l'écran fascinant, lui aussi. Severus avait parlé plusieurs fois de lui faire voir un thérapeute mais Harry n'était pas certain d'aimer l'idée et, de toute manière, Dumbledore ne l'aurait jamais permis. Et puis ça semblait hypocrite de la part de l'ancien Mangemort de vouloir l'envoyer consulter alors que lui… « Et c'est… Euh… Comment ? »
Il était un peu curieux, il devait l'avouer.
Dudley haussa les épaules. « Gênant. Maman et papa avaient honte. »
« Ton père et ta mère n'ont pas honte de toi. » répondit-il, avec un bruit amusé. « Crois-moi, je sais ce que ça fait quand ils ont honte de toi et ce n'est pas du tout la manière dont ils te traitent. »
Son cousin gigota, clairement mal à l'aise. « Comme je ne voulais pas expliquer à la dame l'histoire de Détrafleurs… »
« Détraqueurs. » corrigea-t-il, machinalement.
Dudley lui jeta un coup d'œil légèrement agacé. « C'est ce que j'ai dit. »
Harry ouvrit la bouche pour le contredire puis décida qu'il fallait savoir choisir ses batailles et garda le silence. L'autre garçon en fit de même pendant quelques secondes puis reprit la parole.
« Je pouvais pas lui dire qu'il y avait des monstres invisibles sans passer pour un fou. » continua Dudley. « Alors je lui ai dit que tu m'avais fait quelque chose. Et du coup elle a commencé à poser des questions sur toi. » Évidemment qu'il avait fallu faire de lui le méchant de l'histoire. Évidemment. « Et à me demander pourquoi est-ce que tu m'aurais fait du mal. Et… Elle posait vraiment… beaucoup de questions. »
À nouveau, il sentit un mauvais pressentiment l'envahir. Il était en train d'imaginer Rita Skeeter sous couverture lorsque Dudley soupira.
« Tu comprends… Je n'avais jamais trouvé ça bizarre que tu dormes dans le placard avant qu'elle ne me le demande. »
Harry tourna la tête vers son cousin et le dévisagea avec incrédulité, sans plus prêter attention au jeu que Dudley, lui, ne lâchait toujours pas des yeux. Mais son visage porcin était rouge écrevisse.
« Tu ne t'étais jamais dit que c'était bizarre que je sois le seul garçon à l'école à dormir dans un placard alors que, toi, tu avais une deuxième chambre pour tes jouets et qu'il y a une chambre d'amis pour quand Tante Marge vient nous voir ? » clarifia-t-il, presque choqué.
Pourtant, il n'était pas sûr de ce qui le surprenait tant, au fond. À l'époque, lui-même avait su que ce n'était pas normal. Instinctivement, il avait su qu'il ne fallait pas le mentionner à un adulte sous peine d'être traité de menteur. Mais cela lui avait également paru tout à fait normal dans son anormalité. Même aujourd'hui, même après avoir vu l'indignation de Severus, cela lui paraissait toujours un peu normal sur certains plans.
Parce qu'il était Harry et que personne ne voulait de lui.
Parce qu'il n'avait pas de parents et que sa tante et son oncle ne l'avaient jamais accepté comme un second fils.
Où rangeait-on les choses que l'on ne voulait pas voir si ce n'était dans le placard sous l'escalier?
« Ben… » hésita Dudley. « Non. Je ne trouvais pas le reste bizarre non plus. Tu sais, que tu n'aies jamais de cadeaux ou que… Enfin… Le reste, quoi. C'était… C'était juste comme ça. »
Pouvait-il vraiment en vouloir à son cousin ?
La réponse était oui. Oui, il en voulait à Dudley de l'avoir torturé des années durant. Oui, il lui en voulait d'avoir tout eu lorsque lui n'avait rien. Oui, il lui en voulait d'avoir empiré la situation autant qu'il l'avait pu. Oui.
Mais s'il se repliait un peu plus derrière ses boucliers, s'il dépassait l'émotion immédiate pour y réfléchir objectivement…
Dudley avait le même âge que lui.
Harry avait débarqué chez les Dursley quand il avait un an. Ils avaient grandi comme ça. Pour eux, oui, c'était normal. Peut-être qu'ils avaient su que toutes les familles n'avaient pas un cousin dont personne ne voulait caché sous l'escalier, mais pour les Dursley, c'était la normalité.
« Laisse-moi deviner… » soupira-t-il. « Ton docteur, elle, a trouvé ça très bizarre. »
Dudley fit la grimace et cessa de fixer la télé pour lui jeter un regard embêté. « Elle en a parlé à maman et papa. »
« Oula. » grimaça-t-il à son tour.
« Ouais. » Le garçon fit tourner nerveusement la manette entre ses mains. « Ils lui ont dit que je ne savais pas ce que je disais, que tu m'avais drogué et que c'était pour ça que j'étais devenu… Ils ont dit que tu avais toujours été jaloux et que tu étais un détraqué et que c'était pour ça que tu allais à Saint Brutus… »
Il n'était pas vraiment étonné mais cela le surprenait un peu que les Dursley aient fait passer Dudley pour un menteur – même confus – pour mieux sauver leur réputation. Jeter leur fils en pâture pour mieux se dédouaner ? Ça avait dû être un choc pour Dudley. Et peut-être que cette petite revanche sur son cousin lui faisait plaisir.
« Je crois pas qu'elle les ait crus. » reprit Dudley, en gigotant un peu. « Parce qu'elle ne leur en a pas reparlé mais elle a continué à me poser des questions sur toi, sur ce que je pensais. »
« Et ? » le défia-t-il, un peu lassé par cette conversation qui tournait en rond.
Il était un peu désolé que son cousin se soit retrouvé victime du Détraqueur l'été précédent parce qu'il ne souhaitait les Détraqueurs à personne, mais en même temps… En même temps, une part de lui se réjouissait toujours de voir les Dursley souffrir.
« Et… » répéta Dudley avec incertitude, fixant la manette comme si elle contenait toutes les réponses de l'univers. « Et… Je crois pas que c'était normal ou… ou très juste. Et… J'aurais pas aimé si j'avais été à ta place. Et le docteur a dit… Enfin… Je suis désolé, quoi. »
Il avait l'impression que ses oreilles tintaient tellement il était choqué.
« Quoi ? » demanda-t-il, certain d'avoir mal entendu.
Son cousin lui jeta un regard mi-embarrassé, mi-irrité de devoir se répéter.
« Je suis désolé. » répéta Dudley.
Il ne savait pas quoi dire.
Dudley était sincère. Il n'avait pas vraiment de talent d'acteur autre que pour tromper ses parents et un simple balayage de surface en Légilimencie le confirma.
« Je… » hésita-t-il. « Je ne crois pas que ce soit à toi de t'excuser. »
Le garçon parut d'autant plus gêné. « C'est juste que… On est quand même une famille. »
Ce fut le tour d'Harry de se détourner pour inspecter la manette qu'il avait entre les mains. Son regard tomba sur la lourde bague à son doigt et, bien qu'il aurait été plus simple d'acquiescer et de mentir pour lui faire plaisir, il n'en trouva pas la force.
« Pas vraiment. » murmura-t-il. « Ce n'est pas ça une famille. »
Et il ne le comprenait que maintenant.
À une époque, il aurait tout donné pour avoir celle des Weasley : grande, bruyante, chaleureuse… Mais, maintenant, il préférait la sienne.
Une famille, c'était la promesse que quelqu'un serait toujours là pour vous quoi qu'il arrive, quoi que cela requière. C'était quelqu'un qui vous aimait assez pour ne pas vous laisser faire n'importe quoi et insister pour que vous ayez de meilleures notes en Botanique. C'était quelqu'un qui croyait en vous quand vous ne croyiez pas en vous-même.
C'était Severus qui se relevait la nuit, même épuisé, parce qu'il faisait un cauchemar et qui lui promettait de toujours se battre pour lui.
C'était Sirius qui faisait le choix d'accepter que son plus vieux rival puisse être son père et qui risquait tout pour être dans sa vie.
C'était aussi, peut-être, Tonks qui l'appelait mon chat et discutait Quidditch avec lui au petit-déjeuner jusqu'à ce que Severus les supplie de changer de sujet.
Et c'était aussi un vieil elfe de maison bourru qui avait un cœur en or extrêmement bien caché sous des tendances psychotiques et meurtrières.
Jamais de sa vie il n'avait confié de secrets à Dudley. Jamais de sa vie il ne lui avait fait de confidences.
Pourtant son cousin avait l'air si peiné que…
« Un des amis de ma mère… » hésita-t-il. « Il veut m'adopter. Enfin… Il m'a adopté. » Inutile de compliquer les choses ou de se perdre dans l'aspect technique. « C'est lui ma famille. Enfin… C'est mon père, tu vois. »
Dudley fronça les sourcils, comme s'il peinait à comprendre cette information. « Mais on est quand même cousins, non ? Même si tu as un nouveau père ? »
Il ouvrit la bouche, la referma, puis, avec l'impression de s'adresser à quelqu'un de beaucoup plus jeune que lui, il se força à sourire. « Oui. »
Le garçon eut l'air un peu soulagé. « Il est cool ton nouveau père ? »
Harry ricana sans pouvoir s'en empêcher. « C'est le professeur le plus sévère de mon école alors… » Il haussa les épaules. « Mais c'est aussi le meilleur duelliste que je connaisse et il est brillant. »
« Duelliste ? » répéta son cousin avec curiosité.
Il jeta un coup d'œil en direction du couloir et, puisque Dudley semblait soudain vouloir en entendre plus sur son monde, commença à lui expliquer la situation.
C'était étrange de passer un bon moment avec son cousin, un peu comme un reflet bizarre de ce qui aurait pu être. Dans une dimension parallèle, songea Harry, peut-être qu'ils auraient pu être amis. Ou même de vrais frères. Mais il était content d'avoir pu avoir cet échange.
Même s'il se dépêcha de battre en retraite dans sa propre chambre lorsqu'il entendit la porte d'entrée se refermer sur Vernon qui rentrait du travail.
Sa cicatrice le dérangeait alors qu'il se mettait à ranger sa chambre pour s'occuper. Il la frotta sans y penser, renforçant automatiquement ses boucliers pour mieux se couper de la connexion, se demandant vaguement ce qui rendait Voldemort si excité tout à coup. Il n'allait pourtant pas se risquer à ouvrir son esprit par simple curiosité.
Il avait trop de choses à ressasser de toute manière, entre la discussion décevante avec Pétunia et les excuses inattendues de Dudley… Ses émotions faisaient les montagnes russes. Il n'arrivait pas à décider s'il était en colère, triste, apaisé, excité ou…
Un rire lui échappa soudain, rauque, un peu fou et il plaqua les deux mains contre sa bouche pour le contenir, le cœur battant à cent à l'heure.
Au rez-de-chaussée, les bruits de conversations de Pétunia et Vernon s'étaient tus.
« Qu'est-ce qu'il passe là-haut ?! » tonna son oncle. « Dudley ?! »
« J'ai rien fait ! » hurla son cousin en retour, de sa chambre.
Personne ne se hasarda à lui demander, à lui, pourquoi il s'était soudain mis à rire comme un dément.
Lentement, Harry retira les mains de devant sa bouche.
« Kreattur. »
C'était encore la journée, la porte était ouverte et il avait toutes les chances de se faire surprendre et pourtant… L'elfe apparut dans un craquement pratiquement inaudible et s'inclina bas. « Maître Harry ? »
« Qu'est-ce qu'il se passe ? » demanda-t-il, avec un vague goût de bile à l'arrière de sa gorge. Il n'arrivait pas à se calmer. Son cœur battait trop vite, son ventre était contracté par l'anticipation mais il ne savait pas vraiment ce qui le rendait si impatient. Il… « Il y a une attaque quelque part ? »
L'elfe fronça les sourcils. « Kreattur ne croit pas, Maître Harry. Kreattur ne sait pas. »
« Poudlard va bien ? Tout le monde va bien ? Severus ? » insista-t-il.
« Oui, Maître Harry. » répondit à nouveau l'elfe.
Il ferma les yeux, donna tout ce qu'il avait à donner pour renforcer ses boucliers… « Très bien. Merci, tu peux t'en aller. »
Kreattur lui jeta un dernier regard inquiet mais s'exécuta, probablement parce que des pas lourds résonnaient dans l'escalier. Il se tendit, craignant que Vernon ne vienne finalement lui demander des explications mais son oncle se contenta de se diriger vers la salle de bain sans même un regard lorsqu'il passa devant la porte ouverte.
À croire qu'il était vraiment invisible.
Était-ce par pur esprit de contradiction ou bien parce qu'il était inquiet qu'il redescendit vers la cuisine, après avoir vérifié que sa baguette était toujours bien cachée par sa manche ? Toujours est-il que Pétunia lui jeta un regard noir et lui tendit une pile d'assiettes. Quatre assiettes.
« Mets la table. » aboya-t-elle. « Et puis tu mangeras avec nous ce soir comme ça tu ne pourras pas rapporter des mensonges à Snape. »
Quel mensonges ?, aurait-il voulu rétorquer avec fureur.
Une fureur qui se répercuta directement dans sa cicatrice.
Elle pulsait.
Il s'exécuta automatiquement, déposant les assiettes sur la table de la salle à manger avant de faire un autre aller-retour pour les couverts et les verres.
Vernon et Dudley étaient arrivés entre-temps et contemplaient la quatrième assiette avec incompréhension.
Harry posa le dernier verre, une main pressée contre son front…
Les flammes et les marécages n'étouffaient pas tout et…
« Tante Pétunia ? » appela-t-il, avec une pointe d'urgence. « Tante Pétunia ! »
« N'apostrophe pas ta tante sur ce ton ! » commença à rugir Vernon, ajoutant à sa migraine. « Elle n'est pas… »
Pétunia se précipita, un bol de salade entre les mains. « Quoi ? »
« Quelque chose ne va pas. » lâcha-t-il. « Quelque chose… »
La panique le prit à la gorge.
Appelle Kreattur, ordonna la voix calme et rationnelle du combattant qu'avait formé Severus, appelle Kreattur, appelle du renfort tout de suite.
Il ouvrit la bouche pour le faire mais la douleur dans sa tête était telle qu'elle menaçait de briser ses boucliers et…
« Tu m'entends ? » s'énerva Vernon, perdant le calme qu'il s'était échiné à garder pendant trois jours. « Tu… »
La baie vitrée qui donnait sur le jardin explosa dans une cascade de bouts de verre. Pétunia et Harry étaient les plus près et ils furent tous les deux projetés contre le mur. Dudley et Vernon hurlèrent de surprise…
Un peu assommé, l'esprit pas tout à fait clair parce qu'il sentait toujours Voldemort dans un coin de sa tête à travers leur connexion, Harry tira sa baguette par réflexe et jeta trois boucliers basiques et deux plus complexes…
Kreattur apparut dans un craquement, les yeux exorbités et tendit la main vers lui…
« Non ! » l'esquiva-t-il. « Je t'interdis de m'emmener. Va chercher de l'aide. Tout de suite. » L'elfe se frappa mais continua à tenter de l'attraper. « C'est un putain d'ordre, Kreattur ! Va chercher de l'aide immédiatement ! »
L'elfe lui jeta un regard noir mais disparut.
« Sors de chez moi ! » hurla Vernon, peut-être plus alarmé par la créature que par l'explosion. « Sors de… »
L'éclat vert lui coupa la parole et il retomba au sol, les yeux et la bouche grands ouverts dans un rugissement qu'il ne terminerait jamais. Dudley et Pétunia laissèrent échapper des cris choqués. Sa tante rampa jusqu'à lui, le secoua…
Déjà, des silhouettes encapuchonnées passaient le cadre défoncé de la fenêtre…
« On bouge ! » ordonna Harry, en attrapant sa tante par le dos de la robe pour la traîner sur ses pieds et la forcer à avancer. « Courrez ! »
Il la poussa vers Dudley, espérant que son instinct de survie allait prendre le relais.
« Inutile de fuir, Potter ! » lança une voix vaguement familière. « On te tient ! Rends-toi gentiment et peut-être qu'on ne tortura pas trop tes Moldus ! »
On pouvait toujours compter sur l'instinct maternel de Pétunia.
Tandis qu'Harry pivotait pour faire face aux deux Mangemorts, elle entraîna Dudley vers le couloir et la porte d'entrée.
Les assaillants avaient beau porter leur tenue de Mangemorts, ils n'avaient pas de masques. Il identifia Rodolphus Lestrange et MacNair, ce qui n'était pas une bonne nouvelle pour lui. Ils étaient tous les deux excellents combattants et il était seul…
Où était Kreattur ?
Il eut à peine le temps de renforcer ses boucliers et de tenter un stupefix qu'une nouvelle explosion et de nouveaux cris vinrent du couloir. Abandonnant l'idée de se battre et inquiet pour sa tante et son cousin, il fit volte face et partit en courant.
Pétunia et Dudley avaient tenté de rejoindre la porte d'entrée mais une femme au regard cruel se dressait là, tournant et retournant sa baguette, caquetant comme une folle… Et derrière elle… Il vit l'éclat des flammes de la maison d'à côté, entendit les cris terrifiés, entraperçut plusieurs autres silhouettes vêtues de noir dans la rue…
« A l'étage ! » hurla Harry, se jetant entre Bellatrix Lestrange et sa tante qui protégeait déjà Dudley de son corps. « Allez ! »
Il n'avait aucune chance contre elle et c'était sans compter MacNair et Lestrange qui arrivaient tranquillement dans son dos comme si le combat était gagné d'avance.
« Tu peux fuir, bébé Potter. » se moqua Bella. « Mais le Maître arrive et il est très, très fâché après toi. »
Ne pas paniquer.
Ne pas paniquer.
Il prit une profonde inspiration, se remémora que Severus l'avait entraîné pour ce genre de situations, et…
Dans un craquement, Kreattur apparut avec Tonks qui se retrouva au milieu du couloir, entre deux Mangemorts qui voulaient la voir morte.
Elle prit la mesure de la situation en un seul coup d'œil, adopta immédiatement une position de duel.
« Kreattur, Harry puis renfort ! » ordonna-t-elle, avant de parer in-extremis un sortilège de découpe de Bellatrix.
Dudley et Pétunia avaient atteint le palier, Harry hésita puis se précipita à leur suite, esquivant à nouveau l'elfe. « Je t'ordonne de me laisser et d'aller chercher du renfort ! »
« Nous allons avoir des mots, jeune maître. » grinça Kreattur avant de disparaître à nouveau, contraint de lui obéir par l'ordre direct.
Il aurait préféré fuir avec l'elfe mais il ne voulait pas laisser Dudley et Pétunia…
Les bruits de combats dans son dos étaient intenses et, lorsqu'il jeta un coup d'œil par-dessus la rambarde de l'escalier, il vit que Sirius et Remus venaient de rejoindre la bataille… Mais davantage de Mangemorts étaient arrivés et Dora peinait et…
Et MacNair profita de la cohue pour se jeter dans l'escalier.
Harry poussa Pétunia et Dudley. « Allez, allez ! »
Sa tante poussa Dudley vers sa chambre. « Sors par la fenêtre ! »
« Non ! » contra-t-il immédiatement. « Ils sont dehors aussi ! »
« Ça ne sert à rien de courir, Potter ! » lança MacNair dans son dos.
Il eut à peine le temps de se tourner et de parer le maléfice. Ils échangèrent quelques passes, plusieurs sorts… Il essayait de laisser à sa tante et son cousin le temps de se cacher mais Pétunia poussa Dudley dans sa chambre et en claqua la porte, barrant le passage de son corps.
Sa tête était en feu.
La petite banlieue Moldue était en flammes.
C'était ce qu'il préférait.
Lorsque le feu léchait les bâtiments et que ces animaux criaient et pleuraient et suppliaient…
Il goûtait déjà la victoire.
Bientôt il aurait Potter et il le briserait avant de le rendre à Dumbledore en tout petits morceaux qu'il s'amuserait à disperser aux quatre coins du pays comme une chasse au trésor. C'était délicieux de regarder le vieux fou courir partout comme un poulet sans tête pour tenter de le contrer. C'était délicieux qu'il ne comprenne pas qu'il avait perdu.
Lord Voldemort aurait pu admirer son acharnement s'il n'avait pas été si déterminé à tout lui arracher.
Il voulait une victoire totale.
Et cela passait par l'annihilation pure et simple d'Albus Dumbledore.
Il voulait le voir échouer.
Il voulait voir le pays lui tourner le dos, sorcier par sorcier.
Il voulait briser le mythe du héros tout puissant.
Et il commencerait par détruire sa pièce maîtresse : son Survivant.
La vision lui coupa la respiration. Il revint dans sa tête comme un élastique trop tendu qui retrouve soudain sa forme originelle. Et l'instant de distraction lui coûta.
L'eau bouillante lui brûla le bras droit, lui arrachant un hurlement en même temps que sa baguette.
« Harry ! » cria quelqu'un en bas de l'escalier, luttant visiblement pour le rejoindre.
Sirius, eut-il le temps de penser, ramenant son bras blessé contre son torse.
« Finissons-en, Potter. » cracha MacNair, en levant sa baguette.
« Non ! » s'écria soudain Pétunia. Avant qu'il n'ait compris ce qui se passait, il se vit poussé derrière le corps tremblant de sa tante et jeté vers la porte de la chambre de Dudley. « Prends Dudley et va-t-en ! Va-t-en ! »
Puis elle se tourna et ouvrit grand les bras comme pour faire d'elle-même la plus grosse cible.
Lily, prends Harry et va-t-en !
Pas Harry !
Si Harry était choqué, MacNair lui n'hésita même pas…
Alors que le monde d'Harry s'écroulait autour de lui, parce qu'il n'avait jamais pensé que Pétunia, malgré la maigre affection qu'elle avait affirmé avoir pour lui, puisse jamais faire quelque chose comme ça pour lui, MacNair levait sa baguette et…
« Avada… »
Soudain, le temps sembla se suspendre.
Harry était perdu.
Et Pétunia restait là, à le protéger avec entêtement alors qu'il lui aurait été plus simple de…
Et puis, dans un sursaut, les pièces de son monde détruit s'assemblèrent pour en former un nouveau.
Différent.
Un monde où l'amour pour une sœur perdurait malgré tout.
Un tigre en porcelaine sur une cheminée.
Le fauve le plus dangereux de la terre.
Mieux encore qu'un lion.
Harry plongea en lui-même et y croisa le reflet de son âme qui le contemplait, attendant son heure.
Le temps reprit son cours.
Et la mort ouvrit ses mâchoires.
Un tigre en porcelaine sur une cheminée.
Et Harry le fixait dans le blanc des yeux.
