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« You think that tragedy means that the world is over but you realize the world is never over. It's just never over. Nothing will end it. »
Daisy Jones & The Six - Taylor Jenkins Reid

« On se dit qu'un drame signifie que le monde va s'arrêter mais on se rend compte que le monde ne s'arrête jamais. Il ne s'arrête juste jamais. Rien ne l'arrêtera jamais. »
Daisy Jones & The Six – Taylor Jenkins Reid


Chapitre 64 : It's Just Never Over


Nymphadora pivota rapidement sur elle-même pour esquiver le sort qui fusait vers elle à toute vitesse, dressant un bouclier pour mieux parer…

Le trait passa loin à sa droite.

Elle ricana au juron étouffé de son adversaire mais, sans pitié, riposta d'un expelliarmus qui manqua faire mouche.

Si les assauts de son opposant laissaient pour l'instant à désirer, sa défense, elle, tenait.

Elle pressa tout de même l'avantage, enchainant une bardée de sorts offensifs qui le forcèrent à se replier sur ses boucliers, à dépenser son énergie à éviter ou parer ses attaques… Et, lorsqu'il se méfia le moins, elle visa bas avec un sortilège de brise-roc qui, si elle l'avait lancé à pleine puissance, lui aurait fracturé les os de la jambe. Parce qu'elle avait retenu son coup, il ploya simplement, posant un genou à terre avec un nouveau juron.

« Gagné ! » triompha-t-elle, en parcourant la distance qui les séparait pour lui offrir une main secourable.

Kingsley la laissa le remettre debout avec une grimace. « Fol'Œil ne t'a pas appris à avoir le triomphe modeste ? »

Elle leva un sourcil sarcastique. « Non. »

La Salle Sur Demande ressemblait pierre pour pierre à la salle d'entrainement du programme des Aurors et elle comptait bien forcer les recrues à reprendre l'entraînement aussi vite que possible, ainsi qu'adjoindre une formation obligatoire pour tous ceux qui voulaient se battre. C'était bien beau de recruter tous ceux qui voulaient rejoindre l'armée que Dumbledore essayait de créer mais encore fallait-il qu'ils sachent utiliser leur baguette en combat.

Kingsley émit un bruit amusé. « Tu es de meilleure humeur, aujourd'hui. »

Elle se renfrogna immédiatement. « Pas vraiment, non. »

Elle lui tourna le dos pour se diriger dans le coin de la pièce où il y avait un petit meuble avec des gobelets propres et des pichets d'eau. Elle se servit un verre en silence.

Ça avait été son idée de trainer Kingsley ici au petit matin, avant d'attaquer la journée de travail qui se révélerait forcément frustrante, et, si se sentir à nouveau capable d'utiliser pleinement ses pouvoirs l'avait enchantée, l'allusion à son humeur n'avait pas manqué de l'agacer. Cela faisait désormais trois jours que Harry était chez les Dursley.

Deux nuits qu'elle avait passées à l'imaginer malheureux comme les pierres.

Kreattur lui affirmait que sa famille l'ignorait la majorité du temps et qu'il passait ses journées à lire ou à trainer dans le jardin.

Elle fulminait toujours de s'être vue forcée la main par Dumbledore et cela ne s'améliorait pas.

« Tu n'es pas prêt à retourner sur le terrain. » décréta-t-elle, après avoir bu plusieurs gorgées d'eau. Elle tâcha de garder un ton neutre mais sa voix sonnait sèche à ses propres oreilles.

Ce n'était pas juste d'en vouloir à Kingsley, elle en était consciente.

« Je n'avais pas saisi que c'était une évaluation. » remarqua son partenaire, pince-sans-rire, en approchant pour se servir lui-même un verre d'eau. Comme elle, il était en nage, et légèrement essoufflé. « Je pensais que c'était ma prérogative d'évaluer mes Aurors, mais je peux me tromper. »

Il était tout ce qui était de plus aimable, amical même, mais Tonks perçut bien l'avertissement tacite. Elle était son second et sa partenaire mais il restait le Chef du Département et elle flirtait avec les limites de ce qui était acceptable depuis quelques jours.

« Tu n'es pas prêt et tu le sais. » insista-t-elle, pourtant. « Et l'un de nous va bien devoir retourner là-dehors. »

Il avait délégué jusque là, envoyant des petits groupes d'Aurors sous le commandement des plus expérimentés pour aller à la rencontre ou, le cas échéant, à la recherche des familles qui ne s'étaient pas présentées à Poudlard ou n'avaient pas averti leurs amis qu'ils quittaient le pays. Il y avait fort à faire à l'extérieur or Tonks et Kingsley n'avaient pas été en état de le faire eux-mêmes.

« Certes. Et ce sera toi. » contra son chef. « Ce que j'aurais pu te dire si tu me l'avais demandé. Pas besoin de traquenard. »

« Ce n'était pas un traquenard. » se défendit-elle. « Je voulais me tester aussi. »

Elle termina son verre d'eau, feignant de ne pas voir qu'il s'était tourné vers elle et l'observait. Elle garda son regard rivé sur le mur en face d'elle, sur lequel était accroché un poster vantant les mérites du Département… La prochaine fois, elle s'assurerait que la salle lui donne un endroit plus neutre. Ce ne serait pas bon pour les anciens Aurors ou les recrues de revenir ici. Cela leur donnerait l'illusion que le Ministère était toujours debout or oublier pourquoi ils se battaient était dangereux.

« Tonks. » lâcha finalement Kingsley, en posant calmement son verre. « Si tu as quelque chose à me reprocher, dis-le. »

« Je ne sais pas de quoi tu parles. » mentit-elle, en posant son verre un peu plus brutalement que lui. « Tu vas être en retard pour ton rendez-vous hebdomadaire avec le Ministre. »

Elle se détourna pour aller faire face à un des mannequins d'entrainement au fond de la pièce et prit une position de combat, enchainant des combinaisons de mouvements que Fol'Œil l'avait obligée à répéter des milliers de fois jusqu'à ce qu'elle cesse de trébucher en s'emmêlant les pieds.

Elle sentit la présence de Kingsley dans son dos mais ne se retourna pas.

« Nous ne pouvons pas nous permettre d'être divisés, Tonks. Toi et moi… » Il poussa un soupir. « Au risque de paraître prétentieux, sans nous, le Département n'est plus qu'un groupe de combattants sans aucune direction ou hiérarchie. »

Elle ne répondit pas, préférant tourner sur elle-même et substituer un Sectumsempra au sort de découpe que Fol'Œil préférait en fin de combinaison. Le mannequin explosa avant de se reformer.

« Très bien. » reprit Kingsley, avec une pointe d'agacement. « Dis-moi ce que tu aurais fait différemment. Tu penses que j'aurais dû laisser davantage d'Aurors avec Scrimgeour ? Il ne le souhaitait pas. Il m'a ordonné de prendre autant d'Aurors que j'en avais. J'ai dû batailler pour qu'il accepte d'en garder une dizaine au Ministère. Tu sais comment il était. »

La gorge serrée, elle baissa sa baguette. « Têtu. »

« Têtu, oui. » renchérit-il. « Tu crois que je ne m'en veux pas de ne pas avoir anticipé ? De ne pas avoir compris ? »

Elle soupira. « Ce n'est pas ça, Kingsley. »

« Alors de quoi est-il question ? » pressa-t-il. « Ta blessure ? Je sais que c'est ta seconde expérience de mort imminente en quelques mois. Il est difficile de se remettre de ce genre de choses et j'ai conscience qu'on t'en demande beaucoup, que tu n'as pas eu le temps d'assimiler ce qu'il t'est arrivée. Si tu veux en parler… »

C'était loin d'être sa seconde expérience de mort imminente en quelques mois. Elle avait perdu le compte du nombre de fois où elle avait failli mourir cette année.

« Je gère. » cingla-t-elle.

Elle ne gérait peut-être pas si bien que ça, à vrai dire.

À présent qu'elle n'était plus aussi épuisée d'avoir utilisé ses dons de Métamorphomage pour se soigner, son sommeil était anarchique. La nuit dernière, comme la précédente, elle avait fait les lits musicaux. Incapable de s'endormir dans les appartements de ses parents, elle s'était réfugiée chez Severus où elle avait fini par sombrer uniquement pour se réveiller hantée par des cauchemars dont elle ne gardait qu'un souvenir flou mais où elle savait qu'elle était morte. Elle avait terminé la nuit dans la chambre d'hôpital de Severus mais n'avait pas réussi à faire beaucoup plus que somnoler.

« Tonks. » hésita-t-il, en effleurant son épaule. « Il n'y a aucune honte à… »

« Ce n'est pas le problème. » l'interrompit-elle.

« Alors quel est le problème ? » rétorqua-t-il, en fouillant son regard. « Snape ? » Il semblait avoir lancé la chose un peu à l'aveuglette. « J'avais compris que le pronostic était bon… »

« Je sais encore faire la part des choses. » s'énerva-t-elle. « Ça n'a rien à voir avec ma vie privée. »

Kingsley était un homme extrêmement patient mais elle savait qu'il atteignait ses limites. Cela faisait trois jours qu'elle lui parlait peu et mal, qu'elle était froide et distante… S'il aurait pu le tolérer de son amie et partenaire, il ne pouvait pas le permettre de la part de sa subordonnée.

« Tonks, soit tu m'expliques, soit on va vraiment avoir un problème. » lâcha-t-il. « Mieux vaut mettre les choses à plat. »

Elle s'en voulut.

Elle s'en voulut parce que Kingsley avait toujours été un excellent ami et, une fois que Maugrey avait pris sa retraite, un très bon partenaire.

Elle s'en voulut parce que, objectivement, elle savait qu'elle projetait sur lui ses propres frustrations.

Mais son ressentiment ne datait pas d'hier. Ça avait commencé lorsqu'il était devenu clair qu'il avait su que Dumbledore comptait faire venir Grindelwald à Poudlard et n'avait pas cru bon de les prévenir, elle ou Scrimgeour.

« Est-ce que ça te tuerait de ne pas opiner du chef à chaque fois qu'il ouvre la bouche ? » cracha-t-elle finalement, ses cheveux qui tiraient déjà vers le noir s'assombrissant encore.

L'œil de Kingsley s'attarda sur sa queue de cheval.

Ce n'était pas un secret parmi ses amis que sa couleur de cheveux reflétait généralement son humeur. Or, il aurait été difficile de rater que, depuis quelques jours, ils étaient généralement noirs ou d'un brun très sombre bien loin de sa couleur naturelle ou des teintes colorées qu'elle préférait habituellement.

Il croisa lentement les bras, les larges manches de sa robe de sorcier parme remontant sur ses avant-bras, dévoilant muscles et cicatrices.

« Dumbledore. » devina-t-il.

« Oui. » confirma-t-elle sèchement. « Dumbledore. »

Elle ne s'habituait pas au bandeau qui lui ceignait le visage et fut incapable de soutenir son regard.

« Tu étais d'accord pour lui donner le poste de Ministre. » remarqua son ami, calmement. « Tu savais ce que cela impliquait, Tonks. Tu savais que nous allions en passer par une loi martiale à un moment où à un autre. »

« Peut-être. » rétorqua-t-elle. « Mais je ne savais pas que ça allait lui monter à la tête aussi vite. Harry… »

« T'est-il venu à l'idée qu'il avait de bonnes raisons de renvoyer Potter dans sa famille ? » la coupa-t-il.

« Je connais ses raisons. » s'énerva-t-elle. « Crois-moi, ça ne vaut pas l'enfer qu'il est en train de vivre. Si… »

« L'enfer est relatif. » l'interrompit-il encore. « J'ai parlé à Dumbledore, moi aussi. Parce que je t'écoute quand tu parles, Tonks, et je n'approuve pas toutes ses décisions aveuglément, ne t'en déplaise. Je préfère simplement garder ces conversations là privées. Il est parfaitement conscient que Potter n'est pas heureux là-bas et que les Moldus peuvent avoir un comportement inacceptable. Mais le gamin est en un seul morceau, nourri, en sécurité. L'enfer c'est de voir des gens mourir autour de toi et de ne rien pouvoir y faire. Pas de passer deux semaines à l'abri dans un endroit que l'on n'aime pas. Relativise. »

« Relativise ? » répéta-t-elle. « Tu n'as pas idée de… »

« Tu viens de me dire que tu pouvais faire la part des choses entre ton travail et ta vie privée. » lui rappela-t-il, sans la laisser terminer. « Je suis conscient que, sur ce sujet, la frontière est floue mais… Tu es trop proche du gamin pour être objective. »

« Je suis objective. » insista-t-elle. « Je… »

« Dumbledore est notre meilleur espoir. » contra-t-il, en parlant à nouveau par-dessus elle. « J'en suis persuadé ou je n'aurais pas renoncé au poste de Ministre. Tonks, je comprends ta position. » Elle ouvrit la bouche mais il leva la main, la faisant taire. « Je comprends. Mais Albus Dumbledore est à la tête des opérations, c'est une chose de ne pas être d'accord avec lui et de le lui dire. Ça en est une autre de bouder parce qu'il ne t'a pas écoutée. »

Il l'étudia un long moment puis grimaça.

« On ne peut pas avoir de dissension dans les rangs. Si tu as un problème avec lui, prends-le à part mais arrête de faire ressentir tes doutes à nos hommes. » reprit-il, avant de marquer une pause. « Agis en soldat. À ce stade, tout excès de sensiblerie te coûtera la vie ou pire. C'est regrettable, mais c'est ainsi, et tu le sais très bien. Scrimgeour croyait en toi. Je crois en toi. Tu es parfaitement capable de prendre des décisions difficiles. Agis en soldat, Auror Tonks. »

Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas été remise à sa place par un supérieur et elle avait oublié à quel point c'était désagréable. Elle baissa la tête, juste pour ne plus avoir à le voir.

« Je suis désolé. » offrit-il, après quelques secondes. « Ce n'était pas plus agréable à dire qu'à entendre. On ne peut plus se permettre ce genre de choses. Et tu sais ce que Maugrey aurait dit. »

Il effleura à nouveau son épaule dans une offre de paix puis quitta la pièce, la laissant plantée là, à se demander si les paroles tout à fait raisonnables de Kingsley pesaient plus lourd que ce que sa conscience lui disait.

Il n'avait pas tort et elle le savait.

Elle savait aussi ce que Fol'Œil aurait dit.

C'est l'heure de serrer les fesses et d'obéir aux ordres, gamine, même si on les trouve stupides.

°O°O°O°O°

Les pieds posés sur le bord du lit, les jambes croisées aux chevilles, Sirius se balançait sur sa chaise, gardant un équilibre précaire sur les deux pieds arrières. Malgré sa posture nonchalante, il était prêt à bouger à la moindre alerte – si Pomfresh ou Andy le trouvaient ainsi, il en serait quitte pour un long sermon.

Mais ce n'était pas si comme Severus pouvait protester le fait qu'il se servait de son lit d'hôpital comme d'un repose-pieds, de toute manière.

Il gisait toujours sur le dos, les yeux fermés, les traits lisses, le teint cireux…

« J'ai merdé avec Harry. » lâcha-t-il, simplement parce qu'il n'en pouvait plus du silence. Et peut-être pour se rappeler que Severus, malgré les apparences, n'était pas mort. Son torse se soulevait régulièrement bien qu'un peu trop lentement à son goût. « Ça fait trois jours, aujourd'hui. Plus que douze. » Il laissa tomber la tête en arrière, au mépris de la gravité. « Kreattur le tient à l'œil mais, même lui, il voit bien que ça ne va pas. J'ai un peu peur qu'il fasse une connerie. Une autre connerie. »

À ce stade, Sirius n'aurait pas été surpris de le retrouver à essayer de se planter un crochet de basilic dans le cœur.

Il n'était pas entièrement certain qu'il soit toujours question du fait qu'il n'accordait que peu d'importance à sa propre survie. Il avait peur que ça aille plus loin que ça, qu'il essaye de se faire du mal juste parce que…

Harry était terrifié par l'horcruxe.

Et Sirius pouvait le comprendre.

Mais s'il patientait juste encore un peu, s'il les laissait perfectionner le rituel…

Il détestait l'idée de ne pas l'avoir sous les yeux, même en sachant que Kreattur le surveillait.

« Ce ne serait jamais arrivé si tu étais là. » lâcha-t-il, en fixant le plafond. « Il faut toujours que tu joues les héros. Des fois, je me dis que tu es pire que lui. »

Il n'aurait jamais dû retourner auprès de Voldemort après l'embuscade, tous ces mois auparavant.

Il n'aurait jamais dû, non plus, se retrouver à se battre contre le mage noir alors qu'il savait pertinemment que sa baguette était surpuissante et qu'il n'avait aucune chance.

Mais c'était plus fort que lui. Il fallait qu'il aille se jeter dans la gueule du loup, tout ça au nom de Lily ou d'Harry.

Et voilà où ils en étaient.

« Remus et moi… C'est pas vraiment ça. Ce n'est plus comme avant. » soupira-t-il. « Et j'ai déjà perdu James. Et je sais que tu détestes quand je dis que je suis ton meilleur ami mais peut-être que… » Il s'interrompit. Allait-il vraiment avouer ça à voix haute ? Il leva les yeux au ciel. Et pourquoi pas ? Ils avaient dit que Severus n'entendait rien de toute manière, qu'il était coupé du monde extérieur. « Peut-être que, dernièrement, c'est toi qui est mon meilleur ami. Je sais, c'est tordu. Mais tu me manques, d'accord ? Je me retrouve à vivre avec une femme enceinte et un ado, et, crois-moi, ce n'est pas drôle. Je dois jouer les Lord Black alors que j'ai toujours juré de voir ce titre mourir avec moi. J'ai peur que Nyssa me largue parce qu'on a beau avoir décidé qu'on voulait un futur commun, elle a l'air triste dès qu'elle pense que je ne la vois pas… »

Il poussa un autre profond soupir.

« Encore que, niveau cœur, tu es plus à plaindre que moi. » continua-t-il. « Tonks est sur le point de craquer, tu sais ? Elle fait la femme forte… Elle est forte. Mais je vois bien qu'elle va craquer. Et on ne parle même pas de Dumbledore, là. Non, parce que… »

Sa nuque commençait à lui faire mal alors il redressa la tête et…

Ce qu'il vit le choqua tellement qu'il perdit l'équilibre et se cassa la figure. Il ne prit pas le temps de faire l'inventaire de ce qui faisait mal. Une fois remis du choc de la chute, il se dépêcha de se relever et…

Le Maître des Potions était toujours immobile.

« Severus ? » appela-t-il, en posant une main sur son épaule. « Severus, tu m'entends ? » Il n'y eut pas de réponse. « Severus ? »

Il se retint de justesse de le secouer et préféra faire la chose sensée : à savoir courir prévenir sa cousine.

Andromeda n'eut pas l'air aussi extatique que ce à quoi il s'attendait mais il mit ça sur le compte du gendre potentiel et ne s'y attarda pas. D'autant plus qu'elle le suivit sans rechigner et jeta plusieurs sorts de diagnostic dès qu'ils furent de retour dans la chambre.

Son expression n'était pas encourageante.

« Aucun changement. » déclara-t-elle, au bout de plusieurs minutes.

« Je te dis que j'ai vu ses paupières bouger. » insista-t-il, pour la troisième fois.

Sa cousine haussa les épaules, secouant la tête avec compassion. « Un tic nerveux, sans doute. Ça arrive. »

« Ou il est en train de se réveiller. » contra-t-il. « Vous comprenez à peine ce qu'il a. Peut-être que… »

« C'est très improbable. Peut-être pas impossible mais très improbable. » le coupa-t-elle. « N'en parle pas à Dora, s'il te plait. Je ne veux pas lui faire de faux espoirs. »

Il n'aimait pas l'idée de garder ce genre de secrets mais… Il était possible qu'Andromeda ait raison. Il n'était pas Médicomage et il avait une tendance à vouloir se convaincre de l'impossible lorsque ses amis étaient concernés.

Avec regret, il capitula. « D'accord. Mais tu es sûre que… »

Il laissa sa phrase en suspens.

« Tu l'as dit, on comprend à peine ce qu'il a. » le consola-t-elle. « Mais je ne vois aucun changement qui me fasse penser qu'il soit en train d'émerger. » Elle garda le silence quelques secondes puis soupira. « Je préfèrerais, tu sais. Ça me tue de la voir comme ça. Et pour le petit aussi. »

Il esquissa un vague sourire, s'amusant de la réaction qu'aurait eu Harry à se voir appeler le petit, mais ce fut de courte durée.

Parce qu'Harry n'était pas là et que Severus était le seul qui pouvait le ramener sur le droit chemin.

Et Tonks…

Il fit quelques pas vers le lit et lui serra le bras.

« Il faut que tu réveilles, Servilus. » le gronda-t-il. « Tu t'es assez reposé maintenant, ça suffit. »

Merlin savait qu'il était le premier surpris mais cet abruti lui manquait vraiment.

°O°O°O°O°

Bill faisait de son mieux pour ne pas laisser sa frustration l'emporter.

Andromeda ne cessait de lui répéter qu'il devait être patient, qu'il allait falloir du temps, que c'était normal, que…

La vérité, songea-t-il, en s'affaissant davantage sur la chaise inconfortable à côté du lit de son frère, c'était qu'après avoir passé des mois à regarder sa mère sombrer dans ce qui semblait être de la démence, après avoir passé des mois à le cacher à tout le monde, il n'était pas capable de recommencer avec Charlie.

C'était lâche et il s'en voulait de sa propre faiblesse.

Mais regarder son petit frère s'enfoncer davantage chaque jour dans ses propres délires…

Il attendait impatiemment que les jumeaux, Ron, Ginny ou leur mère viennent prendre le relais.

Cela n'aidait pas qu'ils l'aient transféré dans la chambre privée où Malfoy était mort. C'était comme un mauvais présage. Comme…

« Charlie. » tenta-t-il, une nouvelle fois.

Les yeux bleus de son frère étaient ouverts mais fixaient le vide. Recroquevillé sur le côté, il s'accrochait aux draps qui le recouvraient comme un enfant.

« Charlie. » répéta-t-il, un peu plus fermement.

« Ne le laisse pas m'obliger. » marmonna soudain son frère. « Ne le laisse pas m'obliger. S'il te plait. S'il te plait. S'il te plait. S'il te plait. »

La litanie de s'il te plait ne s'éteignit pas.

« Il ne t'obligera plus à rien. » offrit-il, par-dessus lui. « Tu es en sécurité maintenant. Tu… »

Des coups frappés à la porte l'interrompirent et, alors que Charlie continuait de se répandre en suppliques, Bill grogna un « Entrez » peu aimable, espérant que ce soit un des Médicomages ou quelqu'un à qui il aurait pu confier son frère quelques minutes, comme Fleur, Tonks ou Sirius. De tous les membres de l'Ordre, c'étaient les seuls qui lui rendaient visite régulièrement.

Il n'avait jamais vu l'homme qui poussa la porte, pourtant, et il se releva immédiatement, baguette en main avant d'avoir pu seulement s'étonner de trouver un étranger sur le seuil.

L'inconnu leva les deux mains, paumes vers lui, doigts bien écartés pour signifier qu'il ne lui voulait aucun mal. Il avait la trentaine, peut-être un peu moins, des cheveux d'un blond cendré qui lui retombaient dans les yeux qu'il avait noisette, et il portait des robes bleue marine impeccables sur un pantalon blanc.

Mis à part Narcissa Malfoy et Augusta Londubat, c'était le seul que Bill avait vu avec une tenue sans un pli, un accroc ou un tache dernièrement.

« Pardonnez mon intrusion, Mr Weasley. » offrit l'homme, en baissant lentement les mains. Il avait la voix grave et l'élocution précise que le Briseur de Sorts associait aux Sang-Purs typiques ou, du moins, aux branches dérivées des familles Sang-Pures qui accordaient encore de l'importance à ce genre de choses. « Je n'avais pas conscience que… » Ses yeux dérivèrent vers Charlie. « Excusez-moi, j'avais mal compris. Je pensais que c'était vous qui étiez alité. »

Bill abaissa légèrement sa baguette mais ne la rangea pas. « Qui êtes-vous ? »

Ça sonna comme un aboiement méfiant et agressif mais si l'inconnu en prit ombrage, il n'en laissa rien paraître.

« Aidan Abbot. » se présenta-t-il, en lui tendant la main. « L'Auror Shacklebolt m'a demandé de me mettre en contact avec vous ? C'est lui qui m'a dit que je vous trouverai ici. »

« Vous êtes le Langue-de-Plomb. » réalisa-t-il soudain, un peu honteux de sa réaction disproportionnée. Il rangea sa baguette et s'empressa d'aller lui serrer la main, en grimaçant un peu. « Désolé. On est tous un peu tendu. »

« J'imagine. » répondit le sorcier, sans sembler lui en vouloir. « J'étais en mission en France, je n'aurais certainement jamais pu imaginer que la situation basculerait si vite. L'avoir vécu… On peut difficilement vous reprocher une certaine méfiance. »

« Abbot… » releva-t-il, finalement.

« Oui, ces Abbot, mais pas la branche principale. » confirma-t-il, dans un haussement d'épaules. Quelque chose comme de la tristesse passa dans son regard. « Encore qu'il ne reste plus beaucoup de membres dans la famille… Mes parents et mes cousins ont péri au Ministère, me voilà en charge de ma petite cousine. » Il agita la main. « Ce dont vous vous fichez comme d'une demiguise, au demeurant. Fameuse première rencontre, me voilà en train de vous raconter ma vie alors que vous n'avez rien demandé. »

Il n'avait rien demandé mais les malheurs rapprochaient.

« Mes condoléances. » offrit-il. « J'ai… perdu un frère au Ministère. »

« De même. » Le sourire du Langue-de-Plomb était sincère mais un petit peu triste. « Drôle de période, n'est-ce pas ? »

« Oui. » soupira Bill. « Écoutez, je suis désolé, le Professeur Dumbledore m'a demandé de voir si je pouvais vous aider mais je ne peux pas laisser Charlie… »

Le Langue-de-Plomb avait apparemment une idée à base de runes qui pourrait potentiellement être utilisées pour protéger le château et ses environs. Bill avait jeté un œil à la proposition rédigée à la hâte sur un bout de parchemin et cela lui avait semblé prometteur.

Abbot n'insista pas. « Je suis rattaché au Département des Aurors. Je suis le seul Langue-de-Plomb à être revenu au bercail pour le moment. Vous me trouverez sans mal à leur poste d'urgence sauf s'ils décident de me déployer, venez lorsque vous le pourrez. L'avis d'un Briseur de Sorts ne me serait pas superflu. »

Bill accepta d'un hochement de tête et le regarda se détourner pour quitter la pièce avant de s'immobiliser à moitié chemin et de se retourner pour jeter un dernier regard à Charlie qui avait enfin cesser de parler tout seul. Il sembla délibérer un instant puis lui fit à nouveau face.

« Mr Weasley, veuillez pardonner mon indiscrétion, mais… » hésita-t-il.

« Bill. » le corrigea-t-il, en grimaçant. Quand on l'appelait Mr Weasley dernièrement, il avait l'impression que l'on s'adressait à son père et…

« Bill. » se reprit le sorcier. « N'hésitez pas à me dire que ce ne sont pas mes affaires, mais c'est juste que je me souviens bien de votre frère à l'école… Il était quelques années en-dessous de moi. Excellent joueur de Quidditch. »

« Le meilleur que Poudlard ait vu depuis longtemps. » confirma-t-il avec fierté.

Le Langue-de-Plomb lui sourit avec indulgence. « J'étais à Poufsouffle alors je me souviens avoir surtout été agacé de perdre la Coupe en faveur de Gryffondor d'aussi nombreuses fois mais… C'était impossible de lui en vouloir. Il avait un certain charme. »

Bill se demanda s'il lisait dans cette phrase anodine davantage qu'il n'y avait en réalité.

L'expression d'Abbot était trop lisse, trop impossible à déchiffrer. « Que lui est-il arrivé ? »

Il était sans doute évident que Charlie ne souffrait pas d'une blessure typique – déjà parce que son frère n'avait pas semblé remarquer l'intrusion et continuait à fixer le vide.

« Trop de choses. » soupira-t-il, en se frottant le visage.

Et Andromeda avait beau dire que le temps aiderait, il n'était pas convaincu…

« Puis-je vous être utile ? » proposa le Langue-de-Plomb.

Son premier réflexe fut de refuser parce qu'il ne le connaissait pas et qu'il était bien curieux, mais… La vérité, c'était que Bill commençait à flancher. Et si cet Abbot était là, c'était parce que Kingsley et Tonks étaient certains de ses allégeances. Certes, cela n'avait pas empêché Anthony de…

« Vous devez me trouver très impertinent. » grimaça le Langue-de-Plomb. « Je suis désolé. J'ai l'habitude de travailler sur plusieurs sujets de recherche à la fois, cela m'aide à réfléchir d'avoir différents mystères sous la main. Or, mis à part la protection de Poudlard, mon rôle va se borner à servir avec les Aurors, alors… »

Bill hésita. Le sortilège qui liait Anthony et Charlie dépassait son expertise.

« Avez-vous déjà entendu parler d'empreintes magiques qui seraient liées ? » demanda-t-il, en désespoir de cause.

Une lueur intéressée s'alluma dans le regard du jeune homme. « Dites m'en plus. »

Et, sans autre forme de procès, il fit apparaître une chaise et s'installa, envoyant voler le bas de ses robes pour mieux pouvoir croiser les jambes sans les froisser.

°O°O°O°O°

Albus avait mal à la tête, une conséquence malheureuse de sa tentative matinale pour réveiller Severus sans plus de succès que ces derniers jours. Quitte à s'attirer le courroux de son ancien espion, il s'était décidé à foncer telle une flèche vers là où il pensait se situer le coffre mais il n'y avait récolté qu'une migraine et la vision de souvenirs sans aucune suite logique entre eux qui allaient d'une altercation virulente avec les Maraudeurs en cours de Défense, dans ce passé alternatif, à une soirée estivale passée à écouter une musique Moldue fort tonitruante, dans la cuisine de Spinner's End.

Plancher sur ses recherches n'améliorait ni l'état de sa tête, ni son niveau de frustration.

Il était grand temps que Severus revienne parmi eux pour le seconder. Il était tiraillé dans beaucoup trop de directions différentes, n'avait toujours pas fait une nuit de plus de quelques heures depuis la bataille et avait la sensation vivace que tout lui échappait.

Cela faisait déjà une demi-heure qu'il profitait de ce qui s'apparentait à une pause déjeuner pour tenter d'avancer la question des horcruxes. Il était convaincu que la coupe d'Helga Poufsouffle en était un, quant à la retrouver c'était autre chose. Peut-être était-ce elle qui était cachée dans la caverne qu'il se devait de visiter au plus vite. Les dates auraient collé.

Non, la question était… Tom avait-il réussi à retrouver le diadème perdu de Rowena Serdaigle alors que tous les chercheurs qui s'étaient penchés sur ce mystère s'y étaient brûlés les doigts – littéralement dans le cas de certains. Le diadème avait été volé par la fille de Rowena, Helena, présument car elle était jalouse de sa mère… Le problème étant qu'on perdait la trace d'Helena et du diadème quelque part dans une forêt en Albanie.

Or, il avait à peine le temps d'utiliser les cabinets d'aisance, dernièrement, alors un déplacement diplomatique en Albanie était exclu.

Et pourtant… Ce pays revenait décidément beaucoup. C'était là que Voldemort était allé tuer le basilic dont il avait utilisé la corne pour sa nouvelle baguette. Là encore qu'il avait très certainement convaincu Quirrell de travailler pour lui. Là que Tom Jedusor s'était rendu peu après la fin de sa scolarité…

S'il devait envoyer quelqu'un sur place… Nyssa y était déjà allée. Il ne pouvait pas se passer de Severus mais la vampire et Sirius faisaient une bonne équipe. Peut-être…

Les coups discrets frappés à la porte de son bureau furent presque une bénédiction et il ne fut que trop heureux de fermer le lourd volume de l'Histoire de Poudlard, emprisonnant le parchemin avec la somme de ses recherches à l'intérieur.

Le battant bascula sur Kingsley dont les robes bleues avaient vu des jours meilleurs. Madame Guipure, qui s'était présentée au château deux jours plus tôt avec son assistante et des caisses pleines de fournitures, avait promis à Dumbledore autant d'uniformes magiquement renforcés qu'elles pouvaient raisonnablement en coudre. De ce qu'il avait compris, elle avait fait un appel aux volontaires parmi les réfugiés non-combattants…

Sans surprise, ni Kingsley ni Tonks ne s'étaient servis les premiers.

« Une tasse de thé ? » proposa-t-il, en désignant le fauteuil que le sorcier occupait si régulièrement, ces temps-ci, qu'Albus le considérait presque comme le sien.

Il s'était déjà entretenu avec son Chef des Aurors, ce matin là, et avait également été briefé sur la surveillance discrète qu'il avait demandé autour d'Azkaban une heure plus tôt. Lui et Kingsley ne se quittaient plus, dernièrement.

Kingsley refusa d'une secousse de tête qu'il sembla regretter immédiatement. Son œil le faisait souffrir. Il lui avait promis d'être prêt à se battre au bout d'une semaine mais ça avait été un diagnostic optimiste.

Albus n'avait pas osé demander ce qu'il en était réellement mais l'Auror lui avait épargné de devoir trouver les mots en l'informant, ce matin-là, que Tonks allait reprendre du service sur le terrain et qu'elle commanderait pour l'instant toute opération d'envergure à l'extérieur, ce qui revenait à admettre qu'il n'était pas en état de le faire lui-même.

Si Kingsley avait été Ministre et avait géré les contraintes du poste, Albus aurait été libre de faire ce qu'il souhaitait en toute discrétion. Il aurait dû insister. Il aurait dû…

Il n'écouta que d'une oreille le rapport, certes préoccupant, d'une attaque de Mangemorts avortée dans le nord du pays. Les Aurors avaient à peine eu le temps de se déployer que les Mangemorts avaient battu en retraite, ce qui paraissait pour le moins étrange…

« Des nouvelles d'Azkaban ? » demanda-t-il, sourcils froncés.

« Rien d'alarmant. » répondit Kingsley. « Toutefois, nos hommes sont loin et la protection autour de la prison rend la surveillance difficile. »

Albus délibéra quelques secondes puis claqua la langue. « Voyez avec Minerva pour la logistique mais je veux que vous renforciez la sécurité du domaine et de Pré-au-Lard. Où en est Abbot ? »

« Il a pris contact avec Bill. » répondit l'Auror.

« Dites-lui de faire de la protection du château sa priorité. » ordonna-t-il. « Je n'ignore pas que vous manquez de baguettes compétentes mais c'est plus urgent. Aucun autre des Langues-de-Plomb n'a pris contact ? Je m'attendais à ce que nous en ayons récupéré au moins deux ou trois de plus, à ce stade. »

Kingsley eut un geste d'ignorance. « Abbot est le seul à s'être présenté au rapport. »

Et il leur apportait un début de piste pour protéger Poudlard.

Il pianota pensivement sur l'accoudoir de son fauteuil. « Je ne peux pas dire qu'il m'a frappé durant sa scolarité. Répondez-vous de lui ? »

« J'étais là lorsque Scrimgeour lui a confié sa mission, ce qui me fait dire que ce n'était pas une excuse pour éviter le massacre au Ministère. » répondit le Chef du Département. « J'ai déjà travaillé avec lui plusieurs fois pour des missions… délicates. C'est le genre de Langues-de-Plomb que l'ont déploie lorsqu'on a besoin d'un gant de velours et qu'un Auror n'y suffirait pas, si vous me comprenez. »

Le même genre de missions pour lesquelles il utiliserait Severus, donc.

« Il ne reste guère de Abbot. » remarqua-t-il. « L'attaque du Ministère a décimé la lignée. Le voilà en charge de sa cousine et à la tête de la famille jusqu'à ce qu'elle soit en âge de reprendre les rênes… »

« Il n'y a pas grand intérêt à être à la tête de cette famille, Albus. » contra Kingsley. « Leur fortune est épuisée depuis longtemps. C'étaient des gens sympathiques mais sans histoire et, pour lui avoir parlé… Il est très affecté par leur perte. C'est un fanfaron. À première vue, il est vaniteux et beaucoup trop curieux. En réalité, il se donne des airs pour mieux déstabiliser ses interlocuteurs et est extrêmement perspicace. C'est un excellent Langue-de-Plomb. Je n'ai jamais eu à m'en plaindre. »

« Vous avez conscience de me décrire le parfait agent double ? » soupira-t-il.

« Très honnêtement, je ne le pense pas. » insista Kingsley. « Et, bien que cela soit possible, c'est également le cas de tous les réfugiés dans le château. » Le sorcier marqua une longue pause. « Les Langues-de-Plomb exercent avec une certaine autonomie et, pour beaucoup, à la discrétion du Ministre, mais ils sont aussi le Département le plus scruté pour dénicher d'éventuels traîtres. Ils ont un code qui leur est propre. Parler, pour un Langue-de-Plomb, serait plus que du déshonneur… J'aurais tendance à lui faire confiance, Albus. »

« Bien. » décréta-t-il, avec un autre soupir. « Si vous avez confiance, je me repose sur vous. Autre chose ? »

Contrairement à ce qu'il avait escompté, l'Auror ne se leva pas immédiatement. Il détourna légèrement la tête, de manière à ne plus être obligé de le regarder en face.

« Êtes-vous absolument certain que renvoyer Harry Potter chez les Moldus était la chose à faire ? » demanda le sorcier, avec une certaine gêne. Probablement parce que ce n'était pas la première fois qu'ils avaient cette conversation. « Je n'aime pas l'idée qu'il n'ait pas au moins un garde avec lui. »

« Harry est parfaitement en sécurité dans sa famille. » répondit-il, une nouvelle fois. « Tant que la protection liée au sacrifice de sa mère est active, il y est plus en sécurité que n'importe où ailleurs, ici inclus. » Il dévisagea Kingsley par-dessus ses lunettes en demi-lune. « Je vois que Tonks n'est toujours pas convaincue. »

Immédiatement, l'Auror se mit un peu sur la défensive. « Tonks a un excellent instinct. »

« Je n'ignore aucune des qualités de notre jeune amie. » commenta-t-il. « Comme je n'ignore pas que vous lui destinez votre poste lorsque vous prendrez le mien. » Kingsley lui jeta un regard en coin qui le fit sourire. « Il n'est pas honteux d'avoir des aspirations politiques et c'est tout à votre honneur de les avoir mises de côté pour servir cette guerre. »

« Ce n'est pas ainsi que je souhaite devenir Ministre. » offrit l'Auror. « Quant à Tonks... »

« Tonks est douée et il est irréfutable qu'elle ira loin. » le coupa-t-il. « Alastor a toujours eu le don pour dénicher les talents prometteurs. Il a été votre mentor avant d'être le sien, je crois ? » Il attendit le hochement de tête de Kingsley pour poursuivre. « Nous ne pouvons pas nous permettre trop de dissension mais tant que cela reste raisonnable… Ce n'est pas une mauvaise chose qu'il y ait un minimum d'opposition. Je ne suis pas un tyran. »

Du moins, il tentait de ne pas le devenir.

Tonks n'avait pas sa vision globale de l'échiquier. Elle n'en voyait qu'une petite partie. Et, conséquemment, elle ne pouvait pas comprendre.

« Elle est, de toute manière, un atout trop précieux pour que nous la remplacions. » conclut-il. « J'ai besoin d'elle exactement là où elle est : à la tête de nos troupes. »

Il espérait qu'avec le temps et, peut-être, l'influence de Severus, elle en viendrait à se ranger à son opinion sans le questionner sans arrêt.

°O°O°O°O°

Tonks attrapa un des rares croissants qui restaient dans le plat poussé en bout de l'énorme table qui occupait la pièce centrale du poste d'urgence du Bureau des Aurors, avant de se pencher sur une des cartes étalées sur la surface en bois. D'un coup de dents, elle déchiqueta un bout de la pâtisserie et la mâchonna sans y penser. Un coin de son esprit analysait les interactions des quelques Aurors qui s'attardaient dans la pièce – trop tendus, frustrés du peu qu'ils pouvaient faire – mais la quasi-totalité de son attention allait à Remus et ce qu'il tentait de lui expliquer.

Le loup-garou désigna la zone qui s'étendait un peu derrière la Forêt Interdite.

« La zone d'anti-transplannage finit ici. » déclara-t-il, retraçant une ligne imaginaire du doigt. « On peut couvrir la lisière avec des patrouilles mais la Forêt, c'est autre chose. C'est trop grand pour nos effectifs. »

Elle avala une autre bouchée de croissant, songeant qu'il était bientôt l'heure de diner et que ce serait peut-être une bonne idée qu'elle se force à avaler autre chose qu'une pâtisserie ou un sandwich.

« Les centaures ? » demanda-t-elle.

« Ils ne veulent toujours pas s'en mêler. » soupira-t-il. « Ils protégeront leur territoire mais il y a des chemins qui les évitent. Une escouade de Mangemorts déterminée pourrait très bien passer par là. »

« Les protections les empêcheraient d'entrer sur le domaine. » répondit-elle. Il ouvrit la bouche mais elle leva la main pour l'interrompre. « Je suis d'accord, c'est un risque potentiel. Et même s'ils ne peuvent pas passer, ils pourraient espionner. »

Encore qu'il était vain de penser qu'ils ne les surveillaient pas déjà.

C'était la base de ce genre de rapports de force.

À moins de dissimuler le château à leurs yeux… Et c'était en supposant qu'il n'y avait personne à l'intérieur pour les renseigner. Ils avaient cloisonné au maximum les informations, mais…

« Demande à Hagrid de patrouiller en journée. » exigea-t-elle. « C'est encore lui qui connait le mieux la Forêt. Et dis-lui qu'il a toute liberté d'utiliser son parapluie. Et la nuit… Nyssa me semble toute indiquée pour ce genre de choses. »

Remus approuva d'un bref hochement de tête.

Avec un soupir, heureuse d'avoir réglé au moins un des problèmes qui s'étaient présentés à elle, ce jour là, elle termina son croissant et s'étira, levant les bras haut au-dessus de sa tête. Le regard de Remus s'attarda sur elle, sa gorge et plus bas, ce qui la mit un peu mal à l'aise.

Ne pouvait-elle plus s'étirer en paix sans que quelqu'un lui prête des arrière-pensées ?

« Il y a autre chose ? » demanda-t-elle, peut-être un peu trop froidement.

« Oui, à vrai dire. » répondit-il, lui aussi un peu trop sec. « Je sais qu'il n'y a plus de Conseil et que l'Ordre n'est plus une démocratie… Mais est-ce possible de savoir ce que vous comptez faire des volontaires ? Parce que les gens sont perdus. Dumbledore a fait un appel aux troupes mais, pour l'instant… »

« Je sais. » soupira-t-elle. « Mais je ne peux pas juste intégrer des volontaires que je ne connais pas à mes Aurors ou aux membres de l'Ordre comme ça. Je dois d'abord m'assurer qu'ils savent ce qu'ils font, qu'ils savent se battre en groupe… » Elle se frotta le visage. « Ça fait partie de la centaine de choses prioritaires à mettre en place. »

« Si tu veux mon avis, ça devrait être en tête de liste. » commenta-t-il.

« En tête de liste, j'ai la sécurité du… » riposta-t-elle, uniquement pour être interrompue par un craquement soudain et l'apparition d'un elfe aux yeux exorbités.

« Attaque à Privet Drive ! » s'écria Kreattur, en refermant la main sur son poignet. « Maître Harry est en danger ! »

Avant qu'elle ait pu tenter de jeter un ordre en direction des autres Aurors dans la pièce que l'apparition avait alertés, le monde disparut autour d'elle pour se reformer presque immédiatement.

Désorientée, elle se retrouva face à Bellatrix Lestrange.

Il ne lui fallut qu'une seule seconde pour se rendre compte qu'elle était terriblement dans la merde. Devant elle, il y avait sa tante et, par la porte ouverte, elle voyait davantage de Mangemorts, des flammes… Il y avait les cris désormais familiers de gens se faisant torturer ou simplement terrifiés dans l'air. Dans l'escalier à sa gauche, se tenait Harry, baguette à la main, qui cherchait à couvrir la fuite d'une femme et d'un autre adolescent. Derrière elle… MacNair et Lestrange.

Elle fléchit les jambes, fit basculer sa baguette dans sa main…

« Kreattur, Harry puis renfort ! » hurla-t-elle, avant de parer de justesse un sortilège de découpe en provenance de sa tante.

Elle pivota pour esquiver celui qui arrivait dans son dos et pour pouvoir garder les trois Mangemorts dans son champ de vision.

La moindre erreur serait fatale.

Elle devait…

Harry esquiva Kreattur et se précipita en haut, l'elfe disparut…

Et puis elle n'eut plus véritablement le temps de réfléchir à comment évacuer Harry parce que toute son attention était focalisée sur une seule chose : survivre.

Elle ne chercha même pas à tenter l'offensive, se bornant à accumuler tous les sorts de boucliers possibles et imaginables. Bellatrix, bien heureusement, était trop occupée à caqueter et se réjouir de sa chance. Lestrange, en revanche, paraissait déterminé à lui faire payer la mort de son frère. Et MacNair…

Deux autres Mangemorts déboulèrent dans la maison, masqués, ceux-là.

« Il arrive ! » lança l'un d'eux à Bella, un brin de vénération dérangeante dans la voix.

Nymphadora sentit son estomac se contracter.

Voldemort n'était quand même pas…

Kreattur réapparut, ramenant Remus et Sirius avec lui. Contrairement à elle, les deux hommes paraissaient savoir où ils mettaient les pieds. Le loup-garou s'interposa immédiatement entre elle et Bella, ce qui l'agaça mais elle n'eut pas l'occasion de protester car affronter Lestrange lui demandait toute son attention.

Sirius semblait, à lui seul, contenir les trois autres.

Du moins, jusqu'à ce que MacNair lui échappe et ne s'engouffre dans l'escalier.

Elle voulut tenter une percée mais Lestrange la bombardait de sorts qu'elle était forcée d'esquiver et dans un endroit aussi confiné que le couloir de l'entrée… Il n'y avait tout simplement pas la place pour autant de combats menés de front.

Elle ne fut donc pas surprise lorsque Bella repoussa finalement Remus dans la rue et prit le temps de leur adresser un clin d'œil avant de le suivre à l'extérieur. « Je reviens élaguer les branches pourries. »

Sirius cracha un juron mais l'un des Mangemorts masqués s'écroula sous un stupefix.

Seulement, il y eut un hurlement de douleur à l'étage.

Harry.

« Harry ! » paniqua Sirius, repoussant le deuxième Mangemort.

Avisant cela, Lestrange cessa de l'attaquer pour barrer le passage à son cousin…

« Non ! » entendit-elle une femme crier. « Prends Dudley et va-t-en ! Va-t-en ! »

Ça dérapait.

Tout dérapait.

Tentant le tout pour le tout, elle leva sa baguette et l'abaissa avec toute la puissance qu'elle avait en stock.

Lestrange s'envola pour heurter le mur et retomba au sol comme une poupée de chiffon. Sirius ne s'embarrassa pas de l'achever, il lui marcha dessus pour se jeter dans la cage d'escalier.

Tonks aurait peut-être pris le temps de le ligoter si…

Le rugissement fit trembler la maison.

Qu'est-ce que…

Elle monta les marches quatre à quatre, arrivant sur le palier quelques secondes après Sirius.

La scène était surréaliste.

Elle vit le sang d'abord parce qu'il y en avait une quantité inquiétante.

Puis MacNair, les yeux grands ouverts, la gorge déchirée.

Et, bien sûr, le fauve aux yeux verts exorbités qui semblait… vomir davantage de sang et de viande – non pas de la viande mais… Elle mit un stop à cette pensée dès qu'elle eut réalisé ce qui s'était passé. Elle n'avait pas le temps pour l'écœurement qui lui serra la gorge.

Derrière le tigre, il y avait une femme recroquevillée au sol qui fixait la scène avec un choc et une terreur évidents. Et, par la porte entrebâillée d'une chambre, une canne fermement tenue entre deux mains puissantes, l'autre adolescent paraissait nauséeux.

« C'est Harry. » lâcha inutilement Sirius, en tendant un bras comme pour empêcher Tonks d'attaquer.

« Oui, merci. » répondit-elle, non sans ironie, en le repoussant.

Elle fit un pas en avant et se retrouva la cible de deux yeux verts un peu trop sauvages et qui n'avaient vraiment rien d'humain. Mue par un instinct primaire, le même instinct qui l'avait saisie lorsqu'elle s'était retrouvée à la merci des crocs d'un loup-garou, elle se figea.

Le tigre était magnifique, même haletant et pris de haut-le-cœur.

Large mais peut-être pas encore adulte, un pelage rouille strié de bandes noires dont une en forme d'éclair sur le front qui trahissait son identité à peu près autant que la couleur de ses yeux… La puissance qui se dégageait de lui poussait à l'humilité.

En l'état, Harry aurait probablement pu la tuer d'un coup de patte.

Sans mentionner la mâchoire.

Visiblement, MacNair en avait fait les frais.

« Harry ? » appela doucement Sirius. Il n'y eut aucune réelle réaction de la part de l'animal. « Si c'est sa première transformation, il est peut-être désorienté. Sans compter… »

Sans compter le fait qu'il venait de tuer quelqu'un avec ses dents et en avait apparemment avalé des bouts avant de les régurgiter. Ça aurait désorienté plus d'un combattant aguerri.

Malheureusement, le monde ne cessait pas de tourner parce que vous veniez de tuer quelqu'un pour la première fois et elle pouvait toujours entendre les bruits de destruction à l'extérieur. Remus était seul dehors et…

Elle s'accroupit lentement, sans lâcher sa baguette, prête à jeter un stupefix si nécessaire, et tendit sa main libre.

« Mon chat… » murmura-t-elle, avant de se reprendre. « Mon gros chat. »

Le tigre émit ce qui s'apparentait à un gémissement et se laissa finalement tomber sur le ventre avant de ramper jusqu'à elle, étalant davantage de sang sur son pelage… Elle n'hésita pas avant de passer les bras autour de son cou. Il tremblait comme une feuille.

« Tout va bien. » promit-elle. « Tout est fini. On va rentrer à la maison. »

Sirius s'était aussi accroupi pour poser une main sur la nuque du fauve mais gardait un œil sur l'escalier.

« Kreattur. » appela-t-elle.

L'elfe apparut, toujours un peu paniqué. « Kreattur a prévenu le grand loufoque. Kreattur a emmené des renforts. Mais le Seigneur des Ténèbres est dehors, Maîtresse. »

Si Dumbledore se risquait à venir lui-même…

« Emmène Harry à Poudlard. » ordonna-t-elle. « Sirius, va avec lui. » Son cousin voulut protester mais elle lui jeta un regard noir. « Il n'est pas en état de rester seul. Prends aussi les Moldus. »

Elle se détourna sans attendre de savoir si l'elfe suivrait ses ordres et dévala les marches. Lestrange avait disparu, nota-t-elle, mais, lorsqu'elle avisa ce qui se passait à l'extérieur, elle n'en fut pas surprise.

C'était le chaos.

Elle ne savait pas pourquoi elle était toujours aussi surprise que les batailles soient si chaotiques.

Les maisons étaient en flammes, les Mangemorts s'en donnaient à cœur joie, tirant les Moldus hors de chez eux, la rue était déjà jonchée de cadavres, la Marque brillait haut dans le ciel… Elle repéra plusieurs robes bleues qui se battaient mais en trop petit nombre pour faire une différence ou même sembler inquiéter leurs ennemis.

« Madame ! » Elle se tourna vers Bertha qui arrivait vers elle en courant, un filet de sang tachant ses cheveux grisonnant.

« Rapport ! » beugla-t-elle, ayant entièrement conscience d'utiliser le même ton que Fol'Œil.

« Nous sommes en infériorité numérique, Madame. » répondit Bertha, à bout de souffle. « Cinq contre un, au bas mot. Présence de Vous-savez-qui confirmée. Le Ministre… »

« Dumbledore est là ? » ragea-t-elle.

« Shacklebolt a essayé de l'en empêcher. » grimaça l'Auror qui était son ainée et avait probablement davantage de légitimité qu'elle pour commander.

Tonks regarda autour d'elle, avisa le désastre, secoua la tête. « En formation. Si on fait un vingt-deux, on… »

« Il y a des membres de l'Ordre, Madame. » la coupa Bertha et il était difficile de ne pas entendre le léger jugement dans sa voix. « Ils ne connaissent pas le jargon ou les procédures. »

Et c'était une erreur stupide.

C'était exactement pour ça qu'elle n'avait pas voulu inclure immédiatement de volontaires civils.

Et merde.

Et merde.

°O°O°O°O°

Pomfresh poussa un hurlement tonitruant qui alarma le reste de l'infirmerie et provoqua une levée générale de baguettes.

Sirius leva haut les mains mais ce n'était pas tant lui que les gens visaient que le tigre allongé à ses pieds, toujours secoué de haut-le-cœur.

L'infirmière le regarda avec des yeux ronds, la bouche légèrement entrouverte sous le choc.

Le sac de Harry apparut dans un léger pop et, quelques secondes plus tard, l'elfe réapparut avec les deux Moldus à moitié catatoniques.

Il leva un sourcil. « Il va falloir revoir ta liste de priorités, Kreattur. »

L'elfe ne cilla même pas. « Maître Harry tient à ses affaires. »

« Sirius ! » s'exclama finalement l'infirmière. « Qu'est-ce que… »

Ce fut le moment que choisit Pétunia Dursley pour se mettre à hurler comme une banshie.

Il lui balança un stupefix en pleine poitrine et la regarda tomber au sol sans que son fils, apparemment trop sonné, ne songe seulement à la rattraper.

Il fallait profiter des petits plaisirs que vous offrait la vie.

Merlin savait qu'il pressentait que la journée allait empirer sous peu.

°O°O°O°O°

Comment en étaient-ils arrivés là ?

La question taraudait Albus.

La banlieue Moldue était en flammes et pour chaque Mangemort qu'il repoussait trois autres semblaient arriver.

C'était…

Un patronus argenté un peu tremblotant s'arrêta devant lui, son exact reflet apparaissant quelques mètres plus loin, là où Bill Weasley, qui avait eu le malheur d'être rattaché à sa protection au moment où Kreattur était apparu dans son bureau, tâchait de couvrir ses arrières. Le même éclat argenté se refléta à divers endroits des rues saccagées.

Le singe n'était pas aussi corporel qu'à l'ordinaire mais la voix de Tonks était ferme et assurée. « Harry Potter a été évacué. Pour les Aurors, vingt-deux. Pour l'Ordre, trouvez un Auror et faites ce qu'il dit. »

Le soulagement fut immédiat.

S'il avait perdu Harry, ce soir…

« Vingt-deux ? » demanda Bill, un peu à bout de souffle.

« Une formation de bataille particulière propre aux Aurors, il me semble. » expliqua-t-il. « Le… »

« C'est gentil à toi de faire une apparition, vieillard. » se moqua la voix sifflante de Lord Voldemort.

Albus pivota calmement pour faire face au mage noir qui venait d'apparaître dans son dos.

La bouffée de haine qui l'envahit le déstabilisa un peu mais, au demeurant, ce n'était pas si étonnant. Cela n'avait jamais été personnel entre lui et Tom Jedusor, du moins pas de son côté. À présent, ça l'était.

Il avait tué Abelforth.

Il avait indirectement tué Gellert.

Et il mourrait d'envie de le lui faire payer.

Il savait que la vengeance n'apportait rien de bon mais il n'avait jamais été un saint.

Non, contrairement à la croyance populaire, il n'avait jamais été un saint…

Et c'est pourquoi il prépara la baguette de sureau pour un sort vicieux… Après tout, Voldemort ne pouvait pas mourir tant qu'il restait des horcruxes mais cela ne signifiait pas qu'il ne pouvait pas souffrir.

« Bill, allez retrouver les autres. » ordonna-t-il calmement.

Le mage noir jeta un regard méprisant au jeune homme. « Oui, ce serait une honte de perdre un autre Weasley… Il va falloir songer à faire une autre portée… Ou bien ta mère est-elle trop vieille pour ça ? »

Dans un cri de rage, Bill engagea le combat.

Tom laissa échapper un rire amusé qui résonna dans la pénombre du crépuscule tombant. Il se contenta de parer négligemment tandis que Bill enchainait les attaques…

Pressentant qu'il ne tarderait pas à se lasser de ce petit jeu, Albus repoussa le Briseur de Sorts d'un sortilège qui l'envoya rouler un peu plus loin et prit sa place.

« Pouvons-nous passer aux choses sérieuses ? » s'enquit-il, presque aimablement, un éclat dur dans le regard démentant sa nonchalance.

Voldemort cessa de rire.

« Fut un temps où tu aurais fait un petit discours bien senti sur le pouvoir de l'amour, Dumbledore. » remarqua le mage noir. « As-tu finalement compris que c'était illusoire ? Que le seul pouvoir qui comptait était le pouvoir absolu ? »

« Non. » répondit-t-il. « Néanmoins, ne t'es-tu jamais demandé ce qui me retenait d'utiliser mes propres pouvoirs, que tu m'accorderas être considérables, à grande échelle ? » Il considéra froidement son ancien élève. « Tu as fait une erreur en me prenant les personnes que j'aimais, Tom. »

Le mage noir agita la main, un sourire satisfait aux lèvres. « Parles-tu de l'amateur de chèvres à l'hygiène douteuse ou de ton Maître des Potions ? Comment va ce cher Severus ? J'ai entendu dire que Sainte Mangouste avait développé un sort pour empêcher ses patients de baver… »

« Severus te surprendra. » prédit-il.

« J'en doute. » ricana Voldemort. « Il est extrêmement prévisible et c'est une déception. Il aurait pu être mon bras droit. J'aurais pu lui donner tout ce qu'il a toujours désiré. Au lieu de cela, il a préféré tout sacrifier pour le fils d'une Sang-de-Bourbe et la bâtarde des Black. »

Soudain, sans prévenir, sans le moindre signe avant-coureur, de larges plaies s'ouvrirent sur le torse du mage noir qui baissa la tête et toucha l'une d'elles avec incompréhension.

Son visage reptilien exprimait davantage le choc et la surprise que la douleur ou la peur.

Albus lui-même eut un mouvement de recul…

Le sortilège de désillusion qui masquait la présence de Tonks s'effaça comme une cascade, de ses cheveux sombres à ses bottes en cuir.

« La bâtarde, elle t'emmerde ! » cracha la jeune femme, avec une haine féroce. « Sectumsempra ! »

°O°O°O°O°

Le détachement d'Aurors que lui avait envoyé Kingsley avait obéi à son ordre de se mettre en formation et avait, bon gré mal gré, entraîné les quelques membres de l'Ordre avec eux. En rangs serrés, deux groupes dos à dos au milieu de la rue tentaient de reprendre le contrôle du terrain… Sans surprise, le seul qui n'avait pas obéi à l'injonction était Remus qui persistait à affronter Bellatrix seul lorsqu'il aurait été plus simple de rejoindre les autres…

Encore que se mettre en formation n'était pas une solution miracle.

Tonks se baissait et répliquait avec les autres mais ils perdaient du terrain et subissaient les assauts davantage qu'ils ne les repoussaient. Ils avaient réussi, grâce à cette méthode de combat à récupérer deux ou trois Moldus qui étaient à l'abri au milieu du carré protecteur mais…

Il y avait trop de victimes, trop de Mangemorts et…

Elle analysait la situation tout en se battant et ce qu'elle voyait lui donnait envie de hurler.

Parce qu'elle savait que sa première impression était la bonne.

C'était le chaos le plus total et ils n'avaient pas les moyens de protéger les Moldus parce qu'ils n'avaient déjà pas les moyens de se protéger eux-mêmes. Il aurait fallu tous les Aurors qu'il leur restait pour pouvoir contrôler une situation pareille or Kingsley avait sagement évité de reproduire la même erreur qu'au Ministère.

Une silhouette en robe bleue s'écroula à sa droite, le membre de l'Ordre qui était dans la ligne suivante avança, comblant courageusement le vide…

Ils ne pouvaient pas gagner.

Et, s'ils restaient, ils allaient se faire tuer.

Agis en soldat, Auror Tonks.

Elle calcula la distance qui séparait le groupe de Remus qui peinait de plus en plus sous les attaques de Bellatrix…

« Préparez-vous au repli ! » beugla-t-elle.

Ses Aurors lui jetèrent des regards surpris mais résignés. Les membres de l'Ordre, qu'elle ne connaissait, pour la plupart, pas parce qu'ils ne siégeaient pas au Conseil, eux, furent choqués et protestèrent immédiatement que les Moldus…

Elle comptait sur ses Aurors pour obéir et les faire taire.

« Bertha. À vous le commandement. » lança-t-elle à la femme qui se tenait juste derrière elle. « Ramenez-les à bon port. Je m'occupe du Ministre. »

Parce que, bien évidement, la seule autre personne qui n'avait pas cru bon d'obéir à ses ordres était celle qui n'aurait jamais dû se trouver là en premier lieu.

Sans prévenir, elle quitta la formation, piquant un sprint entre deux Mangemorts dont les tirs croisés manquèrent se toucher mutuellement et arriva au niveau de Remus. Sans ralentir, elle percuta Bellatrix de plein fouet, serrant les dents lorsque son épaule heurta brutalement le sol. Parce qu'elle s'était préparée au choc, elle se remit debout plus vite que sa tante et poussa le loup-garou vers le reste des Aurors.

« On dégage ! » hurla-t-elle.

Remus la dévisagea avec incrédulité. « Tu plaisantes ? Les Moldus… »

« Obéis, putain ! » ordonna-t-elle.

Bella se relevait déjà. Avec un juron et sachant qu'il ne ferait pas ce qu'elle lui demandait, elle capta le regard de Bertha qui s'était assurée que tous les autres avaient transplanné.

Remus ne la vit pas venir ou, s'il la vit venir, il n'eut pas le temps de protester. L'Auror l'attrapa à bras le corps et transplanna avec lui.

Restée seule au milieu d'une armée qui voulait sa peau, Nymphadora jeta un sortilège de désillusion et partit en courant vers une des maisons à la porte défoncée, trop consciente qu'ils allaient tous la chercher…

Des Mangemorts torturaient un couple dans le salon.

Elle dut se faire violence pour ne pas s'arrêter, pour ne pas…

Combien de Moldus restait-il en vie ? Combien était-elle en train de condamner à mort ? Combien…

Agis en soldat.

La priorité était la continuité du gouvernement.

La priorité était le Ministre.

La priorité…

Elle se glissa silencieusement jusqu'à la cuisine, sortit par le jardin, dut escalader une palissade… Les bruits de poursuite s'était estompés mais pas ceux des hurlements.

Trouver Dumbledore ne fut pas si difficile que ça.

La magie crépitait pratiquement dans l'air là où lui et Voldemort se faisaient face.

Bill était au sol et semblait peiner à se relever. Elle se dirigea vers lui aussi discrètement qu'elle le put, modelant son corps pour qu'il soit celui d'une fillette. Plus petit, plus discret, moins de surface à couvrir pour son sortilège de désillusion… Elle passa à côté des deux sorciers qui échangeaient des piques sans se faire repérer.

Le Briseur de Sorts sursauta lorsqu'il sentit sa main sur son épaule, son souffle contre son oreille. « Repli. Poudlard. Tout de suite. »

Le murmure dut lui être suffisant parce que, après quelques secondes d'hésitation, il disparut.

« Severus te surprendra. » affirma Dumbledore, en faisant tourner sa baguette entre ses doigts.

« J'en doute. » se moqua Voldemort, avec un petit rire. « Il est extrêmement prévisible et c'est une déception. Il aurait pu être mon bras droit. J'aurais pu lui donner tout ce qu'il a toujours désiré. Au lieu de cela, il a préféré tout sacrifier pour le fils d'une Sang-de-Bourbe et la bâtarde des Black. »

Oh, mais ça la mit en rage.

Elle reprit sa forme normale et lança l'informulé avant même d'en avoir conscience, courant se placer entre eux alors même que le mage noir portait la main aux larges plaies béantes que le sectumsempra venait d'ouvrir.

Elle se débarrassa de son sort de désillusion juste pour avoir la satisfaction d'être certaine qu'il sache qui venait de le blesser aussi sérieusement.

« La bâtarde, elle t'emmerde. » siffla-t-elle, avec haine. Il avait torturé Severus. Il avait… Laissant toute la fureur et l'inquiétude de ces derniers jours l'envahir, elle fouetta l'air de sa baguette. « Sectumsempra ! »

Elle n'attendit pas de voir s'il allait parer le maléfice ou répliquer avec quelque chose de pire.

Elle se jeta sur Dumbledore et transplanna dans la seconde.

Ses pieds rencontrèrent le sol meuble du chemin qui menait à Poudlard et, si le vieux sorcier ne l'avait pas stabilisée, elle aurait probablement trébuché.

« Que… » commença le Directeur, visiblement éberlué.

Elle ne s'arrêta pas pour l'écouter. Ses Aurors et les membres de l'Ordre étaient rassemblés devant les grilles, en plus ou moins bon état.

« Au rapport. » exigea-t-elle. « Les pertes ? »

« Trois des nôtres. » annonça Bertha.

« Et combien de Moldus ? » cracha Remus, en se détachant du groupe. « Qu'est-ce qui t'a pris ? C'était… »

« C'était la bonne décision. » intervint l'Auror plus âgée, en fronçant les sourcils. Elle s'adressa directement à Dumbledore. « La bataille était perdue d'avance, Monsieur. Le retrait était la seule option. »

« On a abandonné ces gens ! » insista le loup-garou. « Albus, elle… »

« Tu préférais perdre la guerre ? » le coupa-t-elle. « Parce que c'était ce qui allait arriver. On allait sacrifier une vingtaine d'Aurors et de membres de l'Ordre qui aurait été déterminants dans la prochaine bataille. »

« Tu les as laissés mourir ! » accusa Remus.

Le coup porta.

Bien évidemment que le coup porta.

Mais elle refusait de lui laisser voir.

« Ça suffit, Remus. » ordonna sèchement Dumbledore. « Tonks, avec moi. Les autres, à l'infirmerie. »

« On devrait aller à l'infirmerie nous aussi. » contra-t-elle, enfouissant tout ce qui ressemblait de près ou de loin à une émotion derrière des couches et des couches de boucliers. C'était pire que Cardiff. C'était… « Harry. »

Son message laconique dut alerter le Directeur car il lui fit signe de passer la première.

Ce fut un défilé silencieux qui remonta le chemin jusqu'au château.

Kingsley attendait sur les marches, devant les grandes portes, les bras croisés et l'air royalement contrarié. Il jeta à Dumbledore son pire regard noir mais ce fut vers Tonks que son œil valide s'arrêta. « Au rapport. »

Mécaniquement, évitant autant que possible de laisser son regard dériver vers les hommes et femmes qui la suivaient, elle s'exécuta.

°O°O°O°O°

Sirius se contraignait à la patience, ce qui n'était pas son fort.

Il n'était pas certain de comment ils avaient atterri dans la chambre d'hôpital de Severus. Pomfresh avait été légèrement contrariée du bordel qu'ils avaient mis dans son infirmerie, McGonagall avait débarquée comme mue par un sixième sens…

Il y avait eu trop de curieux pour régler quoi que ce soit dans l'artère principale de l'hôpital de fortune. Il s'était laissé convaincre d'emmener Harry ailleurs pendant qu'elles déplaçaient la sœur inconsciente de Lily et le cousin d'Harry qui ne semblait pas savoir s'il voulait pleurer ou les frapper avec sa canne. Quelqu'un avait demandé où était son père et il avait manqué s'écrouler. Quant au gémissement que le tigre avait poussé…

Il était quasiment certain que ces animaux n'étaient pas censé faire ces bruits là.

McGonagall avait promis de revenir aussi vite que possible.

Comment ils étaient passé de ça à lui assis par terre, dans un coin de la chambre d'hôpital de Severus, un tigre pratiquement adulte couché en travers des jambes, ça…

Harry était un Animagus.

Combien de trucs est-ce qu'il avait raté exactement ? Combien de secrets ?

Et il était idiot. Complètement idiot. Évidemment que l'envie de devenir Animagus n'avait pas pris Severus comme ça, un beau matin. Évidemment que l'idée était venue d'ailleurs et lui avait été soufflée. Une activité père-fils en somme.

Mais ça le vexait.

Parce que, lui, en connaissait un rayon en Métamorphose, certainement plus que Severus, et qu'aucun d'eux n'ait songé à le mettre au parfum…

Et puis, maintenant qu'il y pensait, McGonagall n'avait pas eu l'air si surprise que ça. Il n'y avait pas eu autant d'exclamations choquées que ce à quoi on se serait légitimement attendu. Elle avait à peine cillé en découvrant la bête, n'avait même pas demandé pourquoi ils avaient ramené un tigre à Poudlard, elle avait directement déduit que c'était Harry et…

La porte de la chambre s'ouvrit sur Andromeda qui, après avoir parcouru la pièce du regard, finit par les repérer. Elle se dirigea droit sur eux, baguette sortie.

Harry chercha immédiatement à se recroqueviller, sans sembler savoir s'il voulait grogner ou gémir ou… Sirius passa automatiquement la main dans la fourrure plus dense au niveau de son cou.

« Dis-moi ce qu'il s'est passé. » exigea Andy, en lançant déjà plusieurs sorts de diagnostic. « Calme-toi, Harry. »

Elle plaça une main apaisante sur le haut de sa tête tandis que Sirius résumait ce qu'il savait et réalisait que c'était peu. Harry était apparemment un Animagus, lui était une nouvelle fois le dernier informé, et son filleul avait tué MacNair. Il tenta au maximum d'éviter les détails tout en sous-entendant ce qu'il s'était passé pour que sa cousine ait tous les éléments.

« Il en a… Euh… avalé ? » hésita-t-elle, en grimaçant.

Le tigre fut à nouveau secoué de spasmes ce qui n'était agréable ni pour Harry, ni pour lui.

C'était très lourd un tigre.

Suffisamment pour qu'il ait l'impression qu'il lui broyait les jambes.

« Il a tout vomi. » répondit Sirius, en tentant de le caresser comme il l'aurait fait avec un chat ou un chien pour le réconforter. « Il n'a pas arrêté de vomir. »

Et il essayait encore mais, malgré les spasmes, il semblait évident que l'estomac du fauve était vide.

L'expression d'Andromeda était irritée. Elle lui frotta gentillement le haut de la tête, entre les deux oreilles noires aux bouts arrondies. « On aurait dû aller le chercher. »

Sirius ferma les yeux et appuya la tête contre le mur. « C'est probablement une bonne chose qu'il pèse aussi lourd parce que je pourrais être tenté d'aller assassiner notre nouveau Ministre de la Magie. »

Andy laissa échapper un bruit amusé mais son regard était toujours légèrement inquiet. « Il est blessé. Il y a quelques coupures mais une bonne partie de la patte avant droite est brûlée. Je préfèrerais le soigner sous forme humaine. »

« Je ne suis pas sûr qu'il soit en état de se retransformer tout seul. » admit-t-il.

Harry ne paraissait pas tout à fait lucide. Mis à part imiter un gros chat, il n'avait, pour l'instant, pas tenter de communiquer ou fait mine de redevenir humain.

« C'est toi qui lui a appris ? » s'enquit-elle.

« Non. » lâcha-t-il, sans parvenir à masquer son amertume.

La porte se rouvrit avant qu'elle ait pu insister, laissant entrer McGonagall. Le regard de la sous-directrice s'attarda sur le lit où Severus était toujours inconscient et échappait par conséquence à cette nouvelle catastrophe. Puis elle s'avança vers eux, l'air inquiet. « Comment va-t-il ? Son cousin m'a fait un récit pour le moins… rocambolesque de l'attaque. A-t-il véritablement… »

« Oui. » coupa Sirius, avant qu'elle ait pu mentionner MacNair et pousser Harry à vouloir se purger à nouveau. Il continua à le caresser parce que cela semblait atténuer légèrement les tremblements. « Vous n'avez pas l'air bien surprise, Professeur. »

La vieille sorcière poussa un soupir de lassitude, l'observant comme elle le faisait jadis, quand il était encore son élève. « Je l'entraîne depuis des mois. »

McGonagall.

Harry avait préféré aller voir McGonagall plutôt que lui.

« Pourriez-vous l'aider à redevenir humain ? » intervint Andromeda, en s'écartant pour lui laisser la place. « Je voudrais le soigner. »

« Avez-vous tenté de le guider ? » demanda la sous-directrice. « Il n'est parvenu qu'à des transformations partielles jusque ici. Nous étions proches du but, je le sentais, mais s'il s'est transformé dans l'urgence, il est possible qu'il ne sache pas comment inverser le processus. » Elle se racla la gorge. « Mr Potter ? Mr Potter, je sais que vous avez eu une journée difficile mais j'ai passé l'âge de me mettre par terre. »

La semi-plaisanterie tomba à plat. Harry lui tourna le dos, se roulant davantage en boule sur ses jambes et lui tirant une grimace de douleur qui n'échappa pas à sa cousine.

« Harry, tu es trop lourd. Tu lui fais mal. » dit-elle, doucement.

Avec un de ces bruits bizarres qui ressemblaient à un gémissement, le tigre se déplaça jusqu'à ne plus avoir que la tête posée sur sa cuisse.

Au moins, il les comprenait.

Mais il n'était visiblement pas prêt à interagir avec eux.

La porte s'ouvrit à nouveau sur Tonks, Dumbledore et Kingsley. Ce dernier ne resta pas.

« Je vais augmenter le nombre d'Aurors en patrouille et prévenir Pré-au-Lard. » annonça-t-il. « Tonks… C'était du bon travail et c'était la bonne décision. »

Tonks ne lui répondit pas. Elle passa dans le dos de McGonagall et vint directement s'agenouiller derrière Harry, sans trahir la moindre émotion.

« Comment ça va, mon chat ? » murmura-t-elle, en posant une main sur son flanc. « Vous auriez pu le nettoyer. Tergeo. »

Le sang qui imprégnait sa fourrure disparut et Harry consentit à ouvrir les yeux pour lui jeter un regard reconnaissant.

« Tu savais ? » accusa à moitié Sirius. Après tout, elle l'appelait souvent mon chat dernièrement et…

« Est-ce que je savais qu'Harry Potter était un Animagus non déclaré ? » rétorqua-t-elle. « Non, je ne savais pas mais, qu'est-ce que tu veux, Severus a une interprétation très personnelle de la loi. Je suppose que lui savait. »

« Il savait. » confirma Dumbledore, après s'être raclé la gorge. « Je savais simplement que Minerva lui donnait des cours particuliers et j'ai déduit le reste. Je ne connaissais pas les détails. »

Comme si ça le dédouanait de quoi que ce soit.

Sirius faisait de son mieux pour éviter de tourner les yeux vers lui depuis qu'ils étaient arrivés. La mâchoire contractée, il préféra garder son attention sur sa petite cousine. « Comment ça a fini ? »

Étant donné la manière dont elle passait et repassait les mains dans la fourrure du tigre, il ne savait pas lequel d'eux deux elle cherchait à réconforter.

« On a dû évacuer. » lâcha-t-elle, laconique.

Il ouvrit la bouche pour demander des précisions puis la referma lorsqu'il comprit ce qu'elle ne se décidait pas à dire. Ils avaient dû évacuer en laissant les victimes des Mangemorts derrière.

Et tout ça parce que…

Il tendit une main vers elle mais elle secoua brièvement la tête alors il la posa sur la tête d'Harry à la place.

Puis, il leva les yeux vers Dumbledore.

« Le plan était infaillible. » railla-t-il. « Renvoyer Harry chez les Moldus était nécessaire. Il y serait en parfaite sécurité. »

Le vieux sorcier avait l'air grave et peiné. « Je suis conscient que… »

« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? » cingla Tonks, sans daigner se lever ou le regarder. Comme Harry, elle tournait le dos aux autres. Sirius était le seul à voir son visage et à noter combien elle luttait pour garder le contrôle d'elle-même. Ses mains tremblaient.

« Je ne peux qu'offrir des conjectures. » hésita Dumbledore.

McGonagall avait croisé les bras et se tenait en retrait, sans sembler savoir si elle voulait s'en mêler. Andromeda, de même, s'était légèrement écartée…

« Des conjectures. » répéta la jeune femme, crachant chaque mot comme s'ils l'avaient personnellement insultée.

« Miss Tonks… » souffla le vieux sorcier. « Je… »

« À cause de vous, il a dû tuer quelqu'un. » l'interrompit-elle froidement. Le tigre tressaillit sous ses doigts qui se firent plus doux. Sirius lui-même s'appliqua à le caresser, à le rassurer.

« Je mesure… » commença Dumbledore.

« Vous ne mesurez rien. » le coupa-t-il, à son tour. « Vous ne voyez que vos plans et vos machinations et toutes les pertes collatérales sont acceptables tant que vous arrivez à vos buts. »

Le Directeur encaissa sans démentir. « Je pense avoir sous-estimé l'impact que son attachement pour Severus a eu sur lui. Pour que la protection de Lily perdure, il doit pouvoir considérer la demeure des parents de sa mère comme la sienne, raison pour laquelle j'étais contre votre demande de tutelle. J'étais préoccupé par Pétunia, je n'ai pas songé que… Je n'avais pas compris à quel point il ne considérait plus ce foyer comme le sien, quoi qu'il en soit. »

« Ça, j'aurais pu vous le dire. » rétorqua Sirius. « N'importe qui aurait pu vous le dire. »

« Je suppose que, aujourd'hui, Harry a dû affirmer ou, peut-être, réalisé à quel point c'était vrai et cela aura brisé le sort lié au sacrifice de sa mère. » continua Dumbledore. « Voldemort l'aura senti immédiatement, liés comme ils le sont. C'était… C'était une erreur de ma part. »

« Je pense que nous n'avons plus besoin de vous ici, Monsieur le Ministre. » siffla Tonks. « Je suggère que vous passiez à l'infirmerie et preniez le temps de réconforter vos troupes. »

« J'aurais peut-être besoin de lui pour aider Harry à se retransformer. » intervint McGonagall, avec hésitation.

« Ce n'est pas un Animagus et vous êtes une Maîtresse en Métamorphose, il me semble, non ? » riposta l'Auror. « Je pense qu'on sera tous d'accord pour dire qu'à partir de maintenant, lorsqu'il est question de Harry, ce sont Sirius et Severus qui prendront les décisions. Des objections ? »

« Non. » répondit Dumbledore, sans sembler s'offusquer. « Je regrette l'innocence perdue. Pour lui comme pour vous, Nymphadora »

« Ça nous fait une belle jambe. » commenta Sirius, avant d'avoir pu s'en empêcher.

Le lourd silence qui suivit perdura bien après qu'il fut parti. McGonagall le rompit d'un soupir.

« Ne soyez pas aussi dur avec lui. » le gronda-t-elle.

« Ne le défendez pas. » l'avertit-il, en secouant la tête. « Ne le défendez pas. »

« Il aime le garçon. » insista pourtant la vieille femme.

« La priorité est Harry. » intervint Andy, avant qu'il ait pu répliquer. « Sa patte doit lui faire mal. »

Tonks s'écarta sans qu'ils aient besoin de le lui demander. Elle alla se tenir près de sa mère qui lui passa un bras autour de la taille mais la jeune femme resta raide, les bras croisés, et ne lui rendit pas son étreinte ou ne se laissa pas aller au réconfort qu'elle offrait.

Une crise à la fois, songea Sirius, en se concentrant sur Harry.

Lui et McGonagall essayèrent de le guider pendant plusieurs minutes mais il devint vite évident que le garçon ne faisait aucun effort pour redevenir humain. Il ne semblait même pas les écouter. Il restait roulé en boule, les yeux fermés, tremblant un peu…

« Il va falloir forcer la transformation. » soupira finalement McGonagall.

Sirius grimaça mais fut soulagé qu'elle soit celle à le proposer.

Être forcé par un sort d'amorcer une transformation en humain était une des expériences les plus désagréables qu'il ait vécu.

Mais à ce stade…

Elle quêta son regard pour son approbation et il hocha la tête. Avant de procéder, toutefois, elle chercha également le regard de Tonks.

« Nymphadora ? » hésita la sous-directrice.

La mâchoire toujours serrée au point qu'elle devait lui faire mal, la jeune femme cilla sa permission.

« Sirius, écartez-vous. » conseilla son ancienne Directrice de Maison. Sachant ce qui allait arriver, il s'exécuta, non sans gentiment guider la tête d'Harry jusqu'au sol.

Il y eut un éclat de lumière lorsqu'elle jeta la formule… Le tigre laissa échapper un rugissement furieux qui se mua en cri…

Et Harry se tint soudain là, accroupi, et l'air beaucoup trop hanté.

« Non. » gronda-t-il.

Et avant que l'un d'eux ait pu lui demander ce qu'il voulait dire par là, le garçon redevint un tigre, si vite que Sirius eut à peine le temps de ciller. Pour un novice, c'était impressionnant.

Sa queue fouetta l'air et il sembla les défier de retenter l'expérience. C'était effrayant un tigre, même un tigre que vous saviez humain au fond, qui vous toisait avec cet air féroce.

« Harry… » soupira Sirius.

« Tu peux le soigner comme ça ? » demanda Tonks.

« Oui… » hésita Andromeda. « Mais je ne suis pas vétérinaire. Et ce sera peut-être moins efficace. »

« Fais ce que tu peux. » commanda-t-elle, comme si elle était toujours sur un champ de bataille et qu'elle triait les urgences.

Sirius leva les sourcils, pas vraiment contrarié mais pas heureux non plus. « Tu ne viens pas de dire que c'était moi qui décidait, maintenant ? »

Son regard gris lui fit peur. Il était froid et vide.

Aussi froid et vide que lorsque Severus s'abritait derrière ses boucliers au maximum.

Ou lorsque Harry s'amusait à jouer aux Maîtres Occlumens.

L'Occlumencie, pour lui, n'était qu'un outil et cela l'inquiétait que le reste de sa famille semble en user comme s'il s'agissait d'un muscle supplémentaire. L'Occlumencie avait ses dérives. Severus en était la preuve vivante.

Et Narcissa n'était pas loin derrière parce que, à sa connaissance, elle faisait le maximum pour emprisonner son chagrin derrière ses boucliers simplement parce que c'était mauvais pour le bébé. Elle fuyait ses émotions. Tout comme Tonks fuyait les siennes, à l'instant.

« Il a besoin de souffler. » décréta-t-elle. « On a tous besoin de souffler. »

Sirius ouvrit la bouche pour protester puis…

N'avait-il pas tendance à laisser place à Patmol dès qu'il n'allait pas bien ? C'était ce qui l'avait sauvé pendant douze ans à Azkaban et, aujourd'hui encore, il devenait naturellement un chien lorsqu'il avait les idées noires.

« D'accord. » soupira-t-il. « D'accord… » Il se tourna vers Andy. « Soigne-le aussi bien que tu peux. On fignolera quand il se sentira d'attaque à redevenir humain. »

Puisqu'il était parvenu à se retransformer en tigre, et si vite après que le sort l'ait forcé à reprendre son apparence originelle alors que la plupart des gens avaient besoin de quelques minutes, il supposait que son filleul en était capable par lui-même. Ce ne serait qu'une question d'heures. Harry était perturbé et on le serait à moins. Dans quelques heures, il trouverait la force de revenir parmi eux pleinement.

Tonks se dirigea vers la porte.

« Où vas-tu ? » s'inquiéta sa mère. « Je ne t'ai pas encore examinée. Tu… »

« J'ai besoin d'air. » cingla-t-elle, avant de claquer la porte derrière elle.

Le regard de Sirius s'égara vers la forme immobile de Severus.

S'il y avait un moment parfait pour un miracle…

Mais l'ancien Mangemort n'ouvrit pas un œil.

°O°O°O°O°

Nymphadora tira sur sa cigarette, regardant les images défiler sur la petite télé portative, avec ses antennes d'insectes, installée sur le coin du comptoir. Ils n'étaient pas censé fumer à l'intérieur, de leurs jours, mais le propriétaire du bureau de tabac chez qui elle était venue s'approvisionner avait déjà eu une clope au bec quand elle était entrée et lui avait allumé, sans un mot, celle qu'elle avait immédiatement tirée du paquet après l'avoir payé.

La petite boutique était sombre, l'ampoule qui pendait du plafond pas assez puissante et donnait à la pièce minuscule une ambiance un peu glauque. Les couvertures de magasines semblaient la fixer. Lady Di, particulièrement semblait la fusiller du regard. Le marchand de journaux, lui-même, avait de quoi alarmer. Taillé comme Hagrid, avec une hygiène discutable, il avait de quoi rendre nerveux.

Mais Tonks, comme Charlie ou Sirius, avait ses habitudes ici. C'était le bureau de tabac le plus proche du Square Grimmaurd et l'endroit idéal où se réapprovisionner en cigarettes sans faire des kilomètres ou transplanner.

La petite télé portative égrenait les nouvelles. La banlieue du Surrey brûlait sous les yeux désespérés des pompiers qui peinaient à maîtriser les multiples départs de feu. Le bilan approximatif des victimes ne cessait d'augmenter.

Si tôt après Cardiff…

Les théories allaient bon train. De l'IRA à des gangs en passant par des extrémistes… Les Moldus ne savaient pas ce qu'il s'était passé et cherchait une explication là où il n'y en avait pas. Ne se serait-il s'agit que de destruction, cela aurait été une chose, mais il y avait les jouets brisés, parfois en plusieurs morceaux, que les Mangemorts avaient laissé derrière eux. Il n'y avait pas eu de Langues-de-Plomb ou d'Aurors pour faire le ménage.

Elle termina sa cigarette, l'écrasa dans le cendrier fané que l'homme poussa vers elle et le remercia d'un hochement de tête.

« Sale période. » commenta-t-il, de son ton bourru.

« Ouais. » lâcha-t-elle, en rajustant son blouson, juste pour être certaine que sa baguette était facilement accessible.

« Sois prudente en rentrant, petite. » conseilla le propriétaire, non sans inquiétude. « On ne sait jamais de nos jours. »

Elle lui fit un sourire, sans s'offenser de la manière paternaliste avec laquelle il s'était adressé à elle. Quand elle avait commencé à fréquenter sa boutique, elle avait encore eu l'air ahuri d'une gamine émerveillée de rejoindre l'Ordre du Phoenix. Avec ses tenues punk et ses cheveux colorés, il n'était pas étrange qu'il l'ait prise pour quelqu'un de plus jeune. Ou peut-être pour quelqu'un de son âge.

Elle avait l'impression d'avoir cent ans, désormais.

La première chose qu'elle fit en quittant la boutique fut de s'allumer une autre cigarette.

Ce qu'elle faisait était stupide et elle en était entièrement consciente.

Quitter Poudlard.

Se promener seule dans Londres.

Ne même pas prendre la peine de modifier ses traits pour se fondre dans le décors.

Trainer aux alentours du Q.G. en espérant qu'il était surveillé.

L'adrénaline n'était pas retombée et elle bouillait de se défouler. Préférablement sur un Mangemort.

Elle dut résister à l'idée, encore plus idiote, de s'arrêter dans un bar, d'avaler suffisamment d'alcool pour oublier jusqu'à son nom.

Lentement, elle se mit en route vers le Square Grimmaurd, étudiant automatiquement tous les visages quien passait. Des groupes de jeunes pour la plupart. Des gens qui sortaient en ville. Des visages souriants, heureux, insouciants.

Des gens qui n'avaient pas condamné à mort une cinquantaine ou plus de Moldus quelques heures auparavant.

Agis en soldat, Auror Tonks.

Elle enfouit sa main gauche dans sa poche et continua à scruter ces visages anonymes, en se demandant si elle aurait à les sacrifier, eux aussi, un jour prochain.

La décision avait été la bonne.

Elle le savait, au fond.

Rester aurait équivalu à mourir et ils n'avaient pas les ressources humaines pour se permettre de sacrifier un bataillon par idéalisme.

Elle le savait.

Mais ça n'empêchait pas qu'elle avait leur sang sur les mains.

Tu les as laissés mourir !

Elle serra la mâchoire à s'en faire mal, tira plus fort sur sa cigarette, tâcha de ne pas accidentellement brûler un passant alors qu'elle traversait avec un groupe à un passage piétons…

La décision avait été la bonne.

Bertha le lui avait répété avant d'aller se présenter à l'infirmerie.

Kingsley avait approuvé dès qu'elle avait terminé de le briefer.

Tous les Aurors sur le terrain la soutiendraient probablement. Les membre de l'Ordre, c'était autre chose.

Dumbledore lui avait dit deux fois qu'elle avait fait ce qu'il fallait.

Mais c'était les mots de Remus qui lui revenaient sans cesse.

On a abandonné ces gens !

Tu les as laissés mourir !

Si elle n'avait pas eu ses boucliers, si elle n'avait pas été si étroitement enfermée dans sa propre tête, elle se serait probablement écroulée à ce moment là.

Elle savait ce qu'elle avait fait.

Elle savait.

Elle approchait du Square Grimmaurd. Personne ne l'attaqua en chemin, ce qui la chagrina quelque peu.

Elle avait blessé Voldemort, probablement gravement, et il ne pouvait pas lui donner la satisfaction de lui mettre un ou deux Mangemorts aux trousses ?

Elle renonça à monter les marches jusqu'au perron pour emprunter la cheminée, elle alla droit vers la ruelle qu'elle utilisait généralement pour transplanner, tâcha de ne pas se remémorer les quelques fois où elle et Severus en étaient pratiquement venus aux mains avant de se rendre compte de qui attaquait l'autre…

Il aurait probablement compris ce qu'elle ressentait.

Elle transplanna sans s'attarder, choisissant de réapparaitre aux abords de la gare de Pré-au-Lard et empruntant un chemin qui n'avait guère de logique pour remonter jusqu'au village, puis jusqu'au château. Une patrouille de plus ne pouvait pas faire de mal, songea-t-elle, saluant d'un bref hochement de tête les quelques Aurors qu'elle croisait.

Elle s'alluma une troisième cigarette au niveau de la Cabane Hurlante bien que tout le tabac soit en train de la rendre nauséeuse. Elle n'avait rien avalé depuis le croissant et, le croissant, elle l'avait vomi dès qu'elle avait quitté la chambre d'hôpital de Severus.

Elle savait que c'était dangereux de se reposer autant sur l'Occlumencie.

Elle se souvenait de ce qui s'était passé après Cardiff.

Elle savait qu'elle finirait par craquer et que ce ne serait pas beau à voir.

C'était un problème pour son futur elle, cependant. Là, tout de suite, elle était heureuse de ne plus rien ressentir.

Elle atteignit les grilles sans encombres, se glissa à l'intérieur et longea la Forêt Interdite juste pour retarder un peu plus longtemps encore le moment où elle devrait retourner à l'intérieur, faire face à ses responsabilités.

Agis en soldat.

« Tonks. »

La voix feutrée était à peine plus qu'un murmure emporté par la brise légère mais elle fit pourtant volte-face, baguette en main…

Nyssa sortit du sous-bois sans faire un bruit.

Nymphadora rangea sa baguette mais ne se détendit pas pour autant.

« Sirius m'a dit. » déclara la vampire, en l'observant attentivement.

L'Auror se rendit compte qu'elle était tendue comme si elle se préparait à encaisser un coup et se força à détendre un minimum ses muscles noués.

Elle s'alluma également une quatrième cigarette.

Elle aurait peut-être dû acheter davantage de paquets.

« Je sais que je ne suis pas Charlie. Ou Snape. » hésita Nyssa. « Mais si tu veux parler… J'ai déjà vécu tout ça une fois. Pas à cette échelle, évidemment, mais… »

Le sourire moqueur lui monta aux lèvres avant qu'elle n'ait pu l'empêcher. « Tu as déjà condamné à mort un quartier entier de Moldus ? » Nyssandra demeura silencieuse et Tonks laissa échapper un bruit amusé. « C'est bien ce que je pensais. »

Elle se détourna et reprit le chemin du château.

« Tonks. » appela à nouveau la vampire dans son dos, plus tristement. « Ne fais pas comme lui. Ne laisse pas tout ça te changer. »

Un instant, elle crut que la vampire parlait de Severus. Puis, elle réalisa…

« Fol'Œil était le meilleur Auror que j'ai jamais connu. » cracha-t-elle, sur la défensive, en se retournant pour la fusiller du regard. « C'était un héros. »

Ce n'était pas le soir où mal parler de son mentor.

Ce n'était pas le soir où…

« C'était un homme seul. » contra Nyssa, tristement. « Il a fait des choses horribles pour d'excellentes raisons mais il les a laissées le ronger jusqu'à ce qu'il ne soit plus que l'ombre de lui-même. Il ne voulait pas en parler. Il gardait tout pour lui. Ne fais pas la même erreur. »

La seule personne à qui elle voulait en parler n'était pas en état de lui répondre.

Et elle n'avait aucune intention d'en discuter avec Nyssa.

Sachant qu'elle était très impolie et probablement injuste, elle reprit son chemin sans un mot de plus.

« Je suis là si tu as besoin. » insista la vampire, sans hausser la voix.

Ce dont Nymphadora avait besoin…

Mais se perdre dans un fantasme où elle retournerait aux cachots pour se couler dans les bras de Severus, où il effacerait les dernières horribles heures par des baisers et des caresses, n'accomplirait rien. Pas plus que de souhaiter à en avoir mal qu'il soit là pour la prendre dans ses bras, pour la rattraper alors qu'elle se brisait en un million de petits morceaux.

Elle se dirigea vers la Salle sur Demande et passa une bonne heure à lacérer, faire exploser et détruire de toutes les façons possibles un mannequin d'entrainement, jusqu'à ce qu'elle soit vidée de toute colère, en nage, et trop épuisée pour réfléchir. Après quoi seulement, elle se traina jusqu'à l'infirmerie et la chambre d'hôpital de Severus.

Elle n'avait pas la force de prétendre qu'elle pouvait dormir ailleurs, ce soir-là.

Elle se glissa silencieusement à l'intérieur, pas tout à fait surprise de trouver Sirius assis sur le lit d'appoint, endormi, la tête à un angle qui serait sans doute douloureux plus tard, un tigre assoupi à moitié affalé sur ses jambes.

Sirius se réveilla dans un sursaut dès qu'elle lui effleura l'épaule. Ses yeux valsèrent dans la pièce à la recherche d'un danger avant de s'arrêter sur elle, soulagés.

« Où étais-tu passée ? » murmura-t-il. « On ne te trouvait plus. On s'inquiétait. »

Elle ne voulait pas de leur inquiétude.

Les gens qui laissaient mourir une cinquantaine de personnes dans d'atroces souffrances ne méritaient pas l'inquiétude des autres.

Sans un mot, elle tira de sa poche un paquet de cigarettes encore intact et le lui tendit. Semblant comprendre, il fronça les sourcils puis la regarda, partagé entre tristesse et compassion. « Tonks, tu ne peux pas te mettre en danger comme ça. » Lorsqu'elle ne répondit pas, il attrapa son bras et serra presque jusqu'à lui faire mal. « Tes parents ne s'en relèveraient pas. Moi, j'aurais du mal à m'en remettre. Et on ne parle pas de Severus. Ou d'Harry. »

« Je sais. » admit-elle finalement, dans un souffle. Elle secoua la tête. « J'avais juste besoin d'air. »

Son cousin n'avait pas l'air dupe mais il baissa les yeux vers l'énorme tigre endormi à moitié sur lui. « Tu sais que c'est très lourd, ces bestioles ? Il n'aurait pas pu devenir un chat comme tout le monde ? »

Malgré tout, elle laissa échapper un rire. Un peu brisé, terriblement las, extrêmement triste.

« Comment va-t-il ? » demanda-t-elle, dans un chuchotement.

L'expression de Sirius se fit dure. « Il a refusé de manger. Il a sentit la viande que lui a apporté Kreattur et il s'est remis à essayer de vomir… »

Elle fit la grimace. « Tu peux lui en vouloir ? Après un truc pareil, je crois que je virerais végétarienne. »

« Ouais… » soupira Sirius. « J'espère que ça va lui passer. »

« Il a tué quelqu'un. » répondit-t-elle, en passant la main dans la fourrure rouille striée de noir avec affection. Et tristesse. « Ça ne va pas lui passer comme ça et tu le sais. Ce serait dur pour n'importe qui mais… »

Elle ne termina pas sa phrase.

« Je sais. » confirma-t-il, avec un autre soupir las. « Je sais… » Il lui jeta un coup d'œil. « Kreattur a ses ordres mais je ne veux pas qu'il reste tout seul pour l'instant. »

« C'est probablement mieux. » approuva-t-elle, avec une dernière caresse. « Va te coucher. Je vais rester. »

« Tu as plus besoin de repos que moi. » contra-t-il, avec un regard entendu.

« Je n'arrive pas à dormir sans lui. » avoua-t-elle. Elle blâmait la fatigue. Et le trou dans sa poitrine. Et le fait que ses boucliers n'étaient clairement pas aussi performants que ceux de Severus.

« Il va se réveiller. » promit son cousin.

Elle parvint à forcer un maigre sourire mais…

Ce n'était pas qu'elle n'y croyait plus, c'était juste que…

« Nymphadora. »

Elle leva la tête, un peu choquée parce que si d'autres s'étaient mis à utiliser son prénom, Sirius ne le faisait jamais.

« Il va se réveiller. » répéta-t-il, avec un sourire tellement plein d'assurance que…

« Oui. » se força-t-elle à répondre. « Oui, je sais. »

Mais elle n'en savait rien.

Qu'en savait-elle ?

Rien n'était dû dans la vie. Très visiblement, la vie pouvait s'arrêter en plein milieu du repas du soir, alors qu'on n'avait rien demandé à personne. Rien ne garantissait que Severus allait se réveiller parce que la vie n'était pas juste et que le destin n'existait pas et, s'il y avait un destin ou une justice, elle venait de condamner à mort une banlieue entière alors, vraiment…

Elle aida Sirius à s'extraire de sous le tigre. Harry s'étala sur le lit désormais libre, sans paraître se réveiller, ce qui l'amusa un peu. Les jambes de son cousin s'étaient apparemment endormies sous le poids et il lui fallut quelques minutes avant de pouvoir rejoindre ses appartements – ou Nyssa.

Une fois que la porte se fut refermée sur lui, elle se hissa à côté de Severus, trouvant sa position habituelle.

Elle aurait peut-être relâché ses boucliers, se serait peut-être autorisée à pleurer, si, soudain, une tête n'était pas apparue dans son champ de vision. Elle sursauta si fort qu'elle manqua tomber du lit.

« Putain, Harry ! » jura-t-elle, étouffant à moitié son exclamation dans un murmure.

Elle savait, en théorie, que les tigres étaient silencieux, mais…

Deux énormes pattes se posèrent sur le bord du matelas et les yeux verts examinèrent le problème avant qu'il ne cherche à se hisser un peu plus… Craignant qu'il n'écrase Severus, elle se dépêcha de sortir sa baguette et d'élargir le lit d'hôpital, sachant d'avance qu'elle allait se faire disputer par Pomfresh ou sa mère lorsqu'elles feraient leur ronde nocturne. Apparemment satisfait, le tigre sauta souplement sur l'espace libre, faisant grogner le lit qui s'affaissa de manière alarmante.

Elle jeta plusieurs sorts pour en renforcer la structure puis, décidant qu'au point où elle en était elle pouvait aussi bien se mettre à l'aise, agrandit un peu sa propre partie du lit, de sorte que, au final, Severus était pris en sandwich. Harry se pelotonna contre lui, posant la tête sur son torse avec un grondement qu'elle interpréta comme satisfait.

Inquiète du poids de la tête d'un tigre, elle le força gentiment à la déplacer jusqu'à son épaule puis se recroquevilla à nouveau contre le Maître des Potions, tout en se disant que ce n'était pas si bizarre que ça. Ils avaient tous les deux besoin de lui.

Les narines du tigre se dilatèrent plusieurs fois avant qu'un grondement sourd n'échappe de sa gorge.

Il lui fallut plusieurs secondes pour comprendre le problème et elle leva les yeux au ciel. « Oui, eh bien, tu ne sens pas très bon, toi non plus. »

Pour ne pas dire que la pièce empestait le fauve.

On se serait cru au zoo.

La sueur et la nicotine, à côté…

Il étira lentement le cou jusqu'à pouvoir pousser délicatement du museau la main qu'elle avait posée sur le torse de l'homme. Automatiquement, elle retraça l'arrête du nez où la fourrure était moins dense…

« Ça va aller. » promit-elle, avec plus de conviction qu'elle n'en avait. « Je sais… Je sais ce que tu ressens. »

Le tigre poussa un grondement sourd qui cachait mal sa fureur. Sa douleur.

« Je sais. » insista-t-elle. « Tuer quelqu'un est la pire chose qu'on puisse faire. À l'autre ou à soi. Ça ne devient jamais plus facile à accepter. Et ça ne devrait pas. C'est normal que tu te sentes mal, Harry, mais tu ne faisais que te défendre, défendre ta tante et ton cousin… Tu les as sauvés. Je sais que tu as du mal à voir la nuance, pour le moment, mais il y en a une. »

Il devait y en avoir une.

Il ferma les yeux, semblant l'ignorer complètement.

Elle soupira mais tendit un peu plus la main pour lui caresser la tête.

« Tu sais, quand je me suis mise à t'appeler mon chat, ce n'est pas exactement ce que j'avais à l'esprit. » plaisanta-t-elle, juste pour alléger un peu l'atmosphère.

Et il avait beau se comporter comme un félin lambda, elle n'avait pas raté la taille des crocs ou des griffes. D'un côté, elle était heureuse qu'il ait un mécanisme de défense indépendant de sa baguette. Cela le rendrait plus dur à tuer.

« J'ai jeté un Sectumsempra à Voldemort. » continua-t-elle, pour Harry ou pour Severus, elle n'en était pas sûre. « J'aurais dû le tuer. J'aurais pu. »

Elle aurait dû lui jeter un Avada au lieu d'un Sectumsempra. Elle n'en avait pas eu le réflexe. Et elle n'arrivait pas à savoir si c'était une bonne ou une mauvaise chose.

Les yeux verts se rouvrirent et l'observèrent un long moment dans la pénombre.

Elle s'endormit bien avant qu'il ne les referme.