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« When the heroes come back in death wagons, who do people look to? A peaceful king? A benevolent priestess?" He looked at her. "They look to the monsters. They look for someone who knows how to win. »
The Ones We Burn – Rebbeca Mix

« Lorsque les héros reviennent dans les chariots où s'empilent les cadavres, vers qui se tournent les gens ? Un roi pacifique ? Une prêtresse bienveillante ? » Il la regarda. « Ils se tournent vers les monstres. Ils se tournent vers quelqu'un qui sait comment gagner. »
The Ones We Burn – Rebbeca Mix


Chapitre 65 : Who Do People Look To ?


Sirius considéra son filleul avec irritation, les bras croisés, refusant d'être le premier à rompre le combat de regards entêtés qui les opposaient. Si tant est que l'on puisse avoir un combat de regards avec un fauve, même un faux.

« Je ne plaisante pas, Harry. » gronda-t-il, pour la forme.

Le tigre cilla lentement et il n'osa pas interpréter ce que cela voulait dire, à peu près sûr qu'il s'agissait d'une insulte.

« Ça fait trois jours. » grinça-t-il encore.

Trois jours depuis l'attaque de Privet Drive.

Trois jours qu'Harry refusait de reprendre forme humaine.

Trois jours qu'il refusait de s'alimenter.

Au bout du deuxième jour, ils avaient à nouveau essayé de le forcer à se retransformer. Il avait jeté la formule. McGonagall avait jeté la formule. Même Dumbledore avait jeté la formule. Le sort ne semblait plus fonctionner. Harry demeurait un tigre et se mettait de plus en plus en colère à chaque nouvelle tentative – encore que Sirius le préférait en colère à cette apathie qu'il affichait le reste du temps : il restait roulé en boule dans un coin de la chambre de Severus lorsqu'il n'escaladait pas le lit pour se recroqueviller près de son père, si tant est que ce fut possible pour un tigre de se faire petit, et refusait d'interagir avec eux.

Sirius avait fini, de guerre lasse, par renoncer à l'obliger à redevenir humain, préférant suivre les conseils d'Andromeda qui avait suggéré qu'ils devraient plutôt le convaincre.

Mais il refusait d'accepter que le garçon se laisse mourir de faim.

« Tu veux qu'on ressorte le livre ? » le menaça-t-il, avant de se racler la gorge et de réciter de mémoire. « Un tigre a, en moyenne, besoin de chasser une grosse proie tous les sept a dix jours et peut ingurgiter de quatorze à quarante kilos de viande en une seule fois. »

Grâce à Hermione, qu'il avait envoyée faire des recherches, il était devenu un expert en tigres, ces derniers jours. Or la forme Animagus de Harry n'était ni plus ni moins qu'une machine de guerre. Le tigre, comme il en était venu à l'apprendre, n'avait aucun prédateur naturel et était extrêmement difficile à tuer.

Étant donné l'état d'esprit du gamin, c'était d'une ironie mordante.

« On est loin des quatorze kilos, Harry. » insista-t-il. « On même loin des un kilo. »

La viande, il pouvait le comprendre. Si Patmol avait avalé un bout de quelqu'un par inadvertance, même en l'ayant recraché juste après, il aurait peut-être eu tendance à éviter les steaks saignants pendant un moment. Seulement un tigre était un carnivore et lui faire manger de la verdure était exclu.

C'était l'elfe qui avait eu l'idée d'étendre leurs horizons.

Kreattur, qui s'était tenu tranquille jusque là, plaça les poings sur les hanches. « Jeune Maître, Kreattur va se fâcher. »

Il manqua lui faire remarquer que ce n'était pas exactement terrifiant comme perspective mais Harry sembla perdre un peu de sa superbe, même si sa queue continuait à s'agiter avec un agacement manifeste.

L'elfe ne se laissa pas intimider et pointa un index impérieux vers le gigantesque plat de poissons vapeurs qu'il venait d'apporter. Entre l'odeur de poisson et celle du fauve, la chambre de Severus commençait vraiment à sentir mauvais, même avec des sortilèges désodorisants. Les Médicomages n'étaient pas très heureux mais lorsque Pomfresh avait menacé de bannir le tigre…

Disons que les canines d'Harry était impressionnantes sous cette forme.

« Kreattur s'est donné du mal pour trouver tous ces poissons, Maître Harry. » le gronda l'elfe. « Kreattur les a cuisinés spécialement pour le jeune maître. Kreattur sait que Maître Harry n'insulterait pas Kreattur en refusant de goûter sa nourriture parce que le jeune maître est un bon garçon et ne ferait pas de la peine à son serviteur. »

Ce vieil elfe était retord.

Très, très retord.

Parce qu'Harry, après des heures de négociations et de multiples tentatives pour lui faire avaler quoi que ce soit, finit par tirer un bout de poisson à lui en y plantant une griffe. Il sembla réfléchir à comment procéder pendant quelques minutes, avant de regarder Sirius, un peu perdu.

« Je n'en sais rien. » avoua-t-il, en haussant les épaules. « Mais si tu redeviens humain je te trouve une assiette et des couverts. Je te trouve même une salade à la place, si tu veux. »

Le tigre lui jeta un regard qui signifiait clairement bien essayé puis se débrouilla pour manger, bien que cela manquait d'élégance.

« Gentil maître. » approuva Kreattur, avant de lever vers Sirius un sourcil hautain.

L'ancien fugitif leva les yeux au ciel. « Oui, d'accord. Tu es plus doué que moi. »

Kreattur s'inclina mais cela lui sembla très ironique.

« Mademoiselle Hermione voulait que je rappelle à Maître Sirius sa promesse. » déclara ensuite l'elfe.

Sirius soupira, vaguement amusé que Draco ait eu gain de cause – parvenir à convaincre Kreattur d'appeler Hermione par son prénom au lieu d'un sous-entendu peu aimable relatif à sa naissance avait été compliqué mais le vieil elfe avait finalement fait un effort lorsque l'elfe principale des Malfoy y était parvenue du premier coup. Question de fierté, sans doute. Tant que mademoiselle Hermione gardait pour elle ses opinions sur les elfes de maison, Kreattur la traitait avec tout l'égard qu'il aurait témoigné envers une future membre de la famille – ce que, lui, personnellement trouvait terrifiant mais qui semblait ravir Draco.

Cela faisait trois jours qu'Hermione le taraudait pour qu'il laisse les autres voir Harry et…

Il n'avait rien contre mais le gamin refusait de quitter Severus or la chambre du Maître des Potions était hors limite, ce qui compliquait les choses.

Cependant…

Peut-être que ses amis parviendraient à le convaincre plus vite que lui ?

Il s'inquiétait vraiment.

Il s'inquiétait au point qu'il avait demandé conseil à ce qui semblait être tout le château de Remus à McGonagall en passant par Dumbledore et Molly Weasley – et demander quoi que ce soit à Dumbledore lui avait coûté parce qu'il aurait volontiers laissé Kreattur le faire à nouveau tourner dans les airs comme une toupie.

Personne ne semblait savoir quoi faire.

Harry avait tué quelqu'un et, comme le répétait fréquemment Tonks, il n'allait pas s'en remettre comme ça.

°O°O°O°O°

« Je ne sais plus quoi faire. » soupira Andromeda, en s'affaissant légèrement dans le fauteuil.

Draco leva un œil du livre qu'il lisait dans le coin – un livre dont la couverture avait été ensorcelée pour paraître beaucoup plus innocente que ce qu'elle était en réalité parce qu'il y avait fort à parier que même sa mère aurait tiqué si elle avait su qu'il avait emprunté un exemplaire de Au-Delà De La Mort : Les Multiples Facettes De La Nécromancie de la bibliothèque secrète du manoir. Si tôt après le décès de Lucius, cela pourrait l'amener à se poser des questions gênantes alors qu'il cherchait juste à rendre service à Granger, en vérifiant s'il y était question d'horcruxes ou d'autres choses qui pourraient leur servir à aider Potter.

Encore que pourquoi il essayait d'aider Potter, ça…

Narcissa claqua légèrement la langue dans un bruit à la fois désapprobateur et réconfortant, puis resservit une tasse de thé à sa sœur. « J'ai pourtant cru comprendre que personne ne la blâmait. Des échos que j'en ai eus, elle a sauvé sa compagnie d'Aurors. »

Ce qui faisait une belle jambe aux Moldus qui étaient morts dans l'attaque, songea Draco, en gardant un silence religieux. Il avait eu le malheur de s'immiscer dans la conversation une fois et s'était vu fermement rebuté.

Granger avait été horrifiée en apprenant ce qui était arrivé à Privet Drive mais ce n'était que plus tard, lorsque le bilan des victimes avait été annoncé, que, lui, avait pris la mesure de l'ampleur du désastre. Tonks avait peut-être sauvé ses Aurors – et les membres de l'Ordre qui les accompagnaient – mais, ce faisant, elle avait dû abandonner ces personnes sans défense derrière. Et ça… Draco comprenait sans mal qu'elle ait du mal à le digérer.

Il ne voyait pas ce qui étonnait tant Andromeda.

Mais peut-être était-ce parce que sa tante et sa mère semblaient si loin de la réalité de la guerre… En périphérie, presque. La Médicomage avait soigné les blessés mais elle ne s'était pas retrouvée au milieu de l'horreur. Et Narcissa… Narcissa n'avait probablement jamais vu un champ de bataille de sa vie.

Lui, par contre…

Toutes les nuits, il rêvait du tunnel ou de Blaise et de Daphné.

Pas que la nuit, d'ailleurs.

Parfois, le souvenir l'emportait alors qu'il faisait autre chose et…

« Kingsley aussi s'inquiète. » insista Andromeda. « Elle… Elle est distante. Je ne sais même pas elle vit. Si elle repasse dans sa chambre, c'est juste en coup de vent pour se changer, et encore ce n'est pas tous les jours… »

« Ne m'as-tu pas dit qu'elle s'était plus ou moins installée chez Severus ? » contra Narcissa, sourcils froncés.

Ce que Snape allait adorer, se dit Draco, en tournant plusieurs pages, pas très enclin à découvrir les subtilités de l'art de créer des Inféris. On parlait trop d'Inféris en ce moment. Il y avait des rumeurs qui lui donnaient des frissons…

« Quand Harry y était. » soupira sa tante. « Mais maintenant… »

Ah, oui, se moqua-t-il silencieusement, maintenant Potter avait eu la brillante idée de rester coincé sous sa forme Animagus – parce que, bien sûr, Potter était secrètement un Animagus et, bien sûr, sa forme Animagus était une des meilleures qu'il soit. Potter n'aurait pas pu être un ragondin, non… Ou, un raton-laveur, tiens. Un raton-laveur lui serait allé parfaitement. Il pouvait tout à fait imaginer…

Les rumeurs, Draco, les rumeurs, plaisanta la voix imaginaire de Blaise.

Et, d'un coup, il se sentit très triste.

« Je crois qu'elle dort dans la chambre de Severus toutes les nuits. » continua sa tante. « Merlin sait ce qu'elle mange ou quand. Vraiment, elle n'est pas en meilleur état qu'Harry… Et quand je croise son regard, il est si… froid. »

Narcissa remua pensivement son thé. « Sa maîtrise de l'Occlumencie est excellente. Peut-être ressent-elle le besoin de… gérer ses sentiments à son rythme. »

« Ou pas du tout, tu veux dire ? » rétorqua Andromeda, avec une pointe d'accusation à laquelle Lady Malfoy ne goûta visiblement pas.

L'Occlumencie.

Un autre point sur lequel Draco tentait de se pencher. Sa mère avait offert de l'aider lorsqu'elle avait remarqué la nature de ses recherches mais il avait refusé, sachant que ça impliquait de la laisser se promener dans sa tête pour tester ses défenses. Le fait était que, outre l'existence de l'horcruxe qu'il n'était pas censé connaître, il y avait deux ou trois développements dans sa relation avec Hermione qu'il ne voulait pas qu'elle voit sous aucun prétexte.

Elle n'aurait très certainement pas approuvé et l'aurait soumis à une conversation gênante de ce qu'il était acceptable ou non de faire avec des jeunes filles bien élevées.

« Je veux dire… » rétorqua Narcissa, peut-être un peu sèchement. « … que ta fille est une adulte. »

« Oh, oui… Une adulte qui va risquer sa vie, là dehors, tous les jours, alors qu'elle n'a pas la tête à ce qu'elle fait. » cracha Andromeda, perdant son calme. « Bien sûr qu'elle a fait la seule chose qu'elle pouvait faire mais il n'empêche qu'elle a donné l'ordre. Elle a laissé ces gens mourir. Tu crois que ça ne la travaille pas ? »

Draco cessa de faire semblant de lire pour les observer plus ouvertement.

« Je crois que si elle voulait en parler, elle en parlerait. » répondit sa mère. « Et je crois aussi que Nymphadora est une Auror extrêmement compétente et que tu ne lui fais pas assez confiance. »

« Et moi je crois que je connais mieux ma fille que toi et que je sais quand elle ne va pas bien. » siffla sa tante.

« Personne ne va bien. » intervint-t-il, avant d'avoir pu s'en empêcher, attirant sur lui les regards scrutateurs des deux sorcières qui semblèrent oublier sur le champ qu'elles étaient en train de se disputer, à présent unies dans leur inquiétude pour lui. Il regretta un peu d'avoir ouvert la bouche, hésita, puis se força à poursuivre. « Nous nous sommes débarrassés des corps, nous avons réparé le château, alors nous faisons comme si tout était normal mais rien n'est normal. Il n'y a pas que Nymphadora ou Potter qui ne vont pas bien. Il n'y a pas un seul de mes amis qui aille bien. Nymphadora fait semblant ? N'est-ce pas hypocrite de lui reprocher de faire ce qu'elle peut pour continuer à fonctionner alors que nous faisons tous semblant de notre côté ? Personne ne va bien. »

Il se leva, calant son livre sous son bras pour ne pas que Narcissa ait l'idée de jeter un regard plus perçant à la couverture et ne sente son sortilège. Il n'avait plus la tête aux recherches de toute manière.

Il voulait prendre l'air mais savait d'expérience que le parc serait pris d'assaut. Il était habitué à voir Poudlard plein d'élèves mais bourré à craquer de familles, d'enfants en bas âges, c'était totalement différent. L'impression d'étroitesse qui en résultait était intense. L'impression d'être dépossédé d'un certain sentiment de sécurité aussi.

« Veillez m'excuser. »

Il s'inclina juste ce qu'il fallait et battit en retraite dans la chambre minuscule qu'il occupait chez Sirius, tout en fantasmant, pas pour la première fois, à l'idée de retourner s'installer au Manoir.

C'était un rêve en l'air qu'il ne mentionnerait pas.

Il avait décidé de s'impliquer et il ne reviendrait pas dessus.

Mais il aimait prétendre, de temps en temps, qu'il était toujours lâche, toujours aveugle, et qu'il aurait pu s'enfuir sans se retourner comme les Parkinson l'avaient fait.

Il ne blâmait pas Nymphadora de faire semblant d'aller bien.

Il faisait exactement la même chose.

Et le numéro d'équilibriste commençait à devenir compliqué.

°O°O°O°O°

Le Langue-de-Plomb l'attendait en bas de son bureau, dans une robe blanche dernier cri, ornée de complexes broderies framboise, qui fit lever un sourcil légèrement jaloux à Albus. Ses propres robes prune paraissaient moins élégantes en comparaison.

Aidan Abbot échangea un hochement de tête poli avec l'Auror qui le suivait depuis ce matin là – parce que Tonks prenait à cœur de le punir pour s'être rendu sur un lieu de bataille contre l'avis de Kingsley, ce que le Directeur autorisait parce qu'il savait parfois être beau joueur – puis salua Albus un peu plus profondément, comme l'aurait fait un Sang-Pur attaché aux vieilles étiquettes.

Le vieux sorcier n'était toutefois pas certain qu'il s'agisse d'un réel soucis de convenances. Kingsley l'avait averti que le jeune homme aimait déstabiliser ses interlocuteurs or Albus l'avait aperçu plusieurs fois avec sa cousine et il ne semblait pas accorder beaucoup d'importance aux apparences dans ces cas là. À sa décharge, il semblait véritablement se soucier de la jeune fille.

« Mr Abbot, merci de m'accorder quelques minutes. » offrit-il.

Le Langue-de-Plomb ne se départit pas de son sourire au demeurant un peu charmeur. « Je sers au plaisir du Ministre. »

Albus avait trop d'expérience pour laisser percer son amusement à ce sous-entendu douteux. « Vous vous apercevrez, Mr Abbot, que la flatterie ne fonctionne pas très bien sur moi. »

« Donnez-moi un peu de temps. » répondit plaisamment le jeune homme. « Je n'ai pas encore rencontré de Ministre sur lequel elle ne finit pas par fonctionner. »

Cette fois-ci, Albus lui accorda un demi-sourire amusé et désigna d'un geste le couloir. « Marchez avec moi, voulez-vous ? Je n'ai que quelques minutes mais je voulais savoir comment vos recherches avançaient. »

Abbot lui emboîta le pas, les mains négligemment jointes dans le dos dans une attitude qui aurait pu paraître nonchalante à quiconque n'aurait pas repéré l'étui à baguette qui dépassait légèrement de sa manche et demeurait à portée. Il aurait pu tirer sa baguette en une seconde et aurait probablement été prêt à combattre la suivante.

« Grace à la coopération de Mr Weasley, j'ai énormément avancé. » annonça-t-il. « Vous avez lu mon rapport… »

Ce n'était pas tout à fait une affirmation mais pas tout à fait une question non plus.

« Je l'ai parcouru. » confirma-t-il. « Une idée brillante, je dois dire. »

Ce que le sorcier proposait reposait sur une utilisation créative de runes. Mais cela présupposait également énormément de préparation. Chaque rune devait être gravée manuellement sur une pierre et, ensuite, chaque pierre devrait être enterrée à distance précise les unes des autres autour du périmètre que l'on souhaitait couvrir.

Ce serait bien moins efficace que la sphère de Troie en cas d'attaque mais cela assurerait au château et au village une protection supplémentaire et leur ferait gagner du temps, le cas échéant.

Le mauvais côté, en revanche, était le temps et l'effort qu'un tel plan exigeait.

« Merci. » répondit le Langue-de-Plomb modestement. « Bill et moi avons presque fini de graver les pierres… La partie la plus longue sera la mise en place. J'estime que nous pourrions avoir terminé d'ici deux ou trois jours. »

« Excellent. » approuva-t-il.

Il aurait préféré des délais plus courts mais il était conscient que la somme de travail était énorme et il rechignait à affecter plus de gens à cette tâche par soucis de minimiser au maximum le nombre de personnes au courant.

Ils avançaient d'un pas tranquille, Albus souhaitant avoir le temps d'aborder la véritable raison de cette entrevue. S'il avait simplement désiré un briefing sur l'avancée de son projet, il aurait pu envoyer Kingsley ou même demander un rapport écrit et, supposait-il, ils le savaient tous les deux.

Abbot était patient, cependant, et affichait l'air serein de quelqu'un qui n'a aucun tracas.

Paradoxalement, c'était cette volonté affichée de montrer un visage de façade qui convainquit Albus que Kingsley avait probablement raison de lui faire confiance. Il ne s'était pas hasardé à tenter la Legilimencie – sur un Langue-de-Plomb, cela aurait été stupide, pratiquement une insulte – et il rechignait à devoir se reposer sur des gens qu'il ne connaissait pas. Toutefois, comme il en venait à le découvrir, être Ministre était différent d'être Directeur ou même d'être à la tête de l'Ordre du Phoenix. Il était impossible de toujours se reposer sur les quelques personnes de son cercle intime, pas sans les épuiser. C'était, supposait-il, les limites de la bureaucratie.

Ils avaient traversé la moitié du château sans un mot lorsqu'Albus se décida enfin à rompre le premier le silence. Il aurait pu gagner le jeu de patience, s'il l'avait désiré, mais il n'avait pas de temps à perdre avec ce genre de petits affrontements de dominance, pas alors qu'il avait devant lui un agenda chargé de plusieurs réunions de sécurité, d'une délégation de commerçants qui voulaient savoir ce qu'il allait advenir du Chemin de Traverse et de la dizaine d'urgences qui étaient devenues son quotidien.

« Je suis étonné que vous soyez le seul Langue-de-Plomb a avoir regagné Poudlard. » déclara-t-il, prenant volontairement un ton badin puisque c'était ainsi que le sorcier voulait jouer cette partie.

Ils savaient tous les deux qu'Albus le soupçonnait ou, du moins, doutait de ses véritables allégeances.

Seul un idiot ne se serait pas méfié or il avait été suffisamment aveugle avec Anthony.

« La plupart de mes collègues étaient basés au Ministère. » répondit tranquillement Abbot.

« Certes. » admit-il. « Mais pas tous. »

Les Langues-de-Plomb étaient une branche très particulière du Ministère et il doutait sincèrement qu'ils aient tous été présents là-bas le jour de l'attaque. Abbot n'avait certainement pas été le seul à avoir été en mission, à l'étranger ou dans le pays. Et c'était sans compter ceux qui avaient été de repos ou à la retraite.

Il avait fait un recensement discret parmi les réfugiés.

Pas un seul ancien Langue-de-Plomb.

« Je ne sais quoi vous dire. » offrit Abbot.

Ce n'était pas un mensonge, songea Albus, tout en concluant également que l'homme avait l'habitude de jouer avec des demi-vérités.

« Quel est le protocole au cas où le Ministère serait compromis ? » s'enquit-il, alors qu'ils approchaient dangereusement de l'infirmerie où leurs chemins se sépareraient. Albus fit un détour par un couloir qui rallongerait le trajet de quelques minutes.

« L'Auror Shacklebolt pourrait sans doute mieux vous renseigner que moi sur le sujet. » commenta le Langue-de-Plomb.

Albus avait ses suspicions et ses suspicions étaient rarement fausses.

Il évita consciencieusement de ressasser le désastre qu'avait été sa décision de renvoyer Harry chez les Dursley ou les difficultés qui résulteraient sans doute de ce dit désastre.

Que ses suspicions soient rarement fausses ne signifiait pas qu'il avait toujours raison.

« Voulez-vous savoir ce que je pense, Mr Abbot ? » demanda-t-il, son ton se faisant légèrement plus sec.

Le sorcier, en revanche, ne se départit pas de son sourire ou de son faux air serein. « Volontiers. »

« Je pense que les Langues-de-Plombs ont toujours été un Département à part, avec ses règles, ses codes et ses protocoles. » déclara-t-il. « Parce que je ne crois pas aux coïncidences, je pense aussi que les Langues-de-Plomb qui ont survécu à l'attaque se sont regroupés quelque part. Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi ils n'ont pas établi le contact avec nous. Et, en présupposant que mon hypothèse soit la bonne, cela pose également la question de votre présence ici car, si un lieu où se regrouper en cas d'attaque a été préétabli, pourquoi auriez-vous rejoint Poudlard ? »

« J'ai entendu votre appel, Monsieur le Ministre. » répondit Abbot, avec un léger brin d'ironie. « Qui aurait pu ignorer un tel souffle patriotique sur la nation… Et puis, vous oubliez ma cousine. Hannah n'a plus que moi, je n'allais pas l'abandonner seule ici sans même m'assurer qu'elle y était en sécurité. »

Il sentit la vérité dans ces dernières paroles.

Et pourtant…

« Il n'y aura aucun pardon pour les traîtres. » l'avertit-il.

Pour la première fois depuis le début de cette conversation, le sorcier se tendit, perdant sa posture décontractée pour enfouir les mains dans ses poches.

« Vous craignez que les Langues-de-Plomb n'aient rejoint Vous-savez-qui et que je ne sois ici que pour leur servir d'espion. » traduisit le jeune homme. « Laissez-moi vous tranquilliser sur le premier point : les Langues-de-Plomb ne rejoindront jamais un mage noir. Ils sont fidèles au Ministère et, au-delà, à la communauté magique. »

Albus lui jeta un regard lourd de sens. « Ils brillent pourtant par leur absence. »

Abbot ne daigna pas le regarder en face, préférant visiblement garder les yeux vrillés droit devant lui. « Puis-je être franc ? »

« Je vous en prie. » l'invita-t-il, presque amusé de se voir poser la question.

« Vous êtes une légende. » lâcha le Langue-de-Plomb. Albus allait protester mais le jeune homme l'interrompit d'un geste négligent. « Pas de fausse modestie, Professeur, vous l'êtes et vous le savez pertinemment. Les Langues-de-Plombs se spécialisent dans l'étude de certaines légendes, le saviez-vous ? Et le plus souvent nous découvrons que sous chaque mythe il y a une graine de vérité et beaucoup de mensonges ou d'exagérations. » Le sorcier s'interrompit quelques secondes, comme pour mieux peser ses mots. « Vous êtes une légende et vous voilà Ministre, encore que la légalité de la chose pourrait être contestée. Je réitère : les Langues-de-Plomb sont fidèles au Ministère et à la communauté magique. »

« Dans ce cas… Où sont-ils ? » insista-t-il, alors qu'ils débouchaient dans le couloir qui menait à la chambre de Severus.

Abbot hésita. « Votre Ministère est une école. Vous ne semblez pas pouvoir choisir entre le poste de Ministre et celui de Directeur. Vous n'avez, à proprement parlé, aucun gouvernement mis à part deux Aurors. Le chef de votre milice privée est dans le coma. Le Survivant a été la cible d'une attaque qui a fait de nombreuses victimes chez les Moldus et n'est pas réapparu en public depuis. Selon la rumeur, il serait coincé sous sa forme Animagus, entre parenthèses illégale. Et tout ceci sans mentionner les attaques répétées de Mangemorts ces derniers jours aux quatre coins du pays que nous semblons peiner à repousser, voire à simplement affronter. » Dit comme ça, évidemment… « Monsieur, si je devais hasarder une hypothèse, je dirais qu'ils attendent de voir comment la situation va évoluer. » Le jeune homme croisa finalement son regard, l'expression moins insouciante. « Je peux jurer qu'ils ne rejoindront pas Vous-savez-qui mais je ne peux pas jurer qu'ils vous rejoindront non plus. Les Langues-de-Plomb sont beaucoup de choses mais pas suicidaires et leur priorité ira toujours à la survie de la communauté magique, dussent-ils s'en assurer eux-mêmes. »

Ils étaient arrivés devant la chambre de Severus et ils s'arrêtèrent automatiquement. Albus n'était pas très surpris qu'il semble savoir quelle était sa destination ou qui se cachait derrière la porte.

« Et pourtant vous voilà ici. » remarqua le vieux sorcier. « En dépit de toutes ces objections que vous venez de lister. »

Ce sourire charmeur, un brin frondeur, revint jouer sur les lèvres du Langue-de-Plomb. « Ma cousine, Monsieur le Ministre. Vous oubliez ma cousine. »

« Je n'oublie généralement pas grand-chose. » l'avertit-il aimablement.

Abbot rit comme si c'était une plaisanterie mais sa bonne humeur s'effaça légèrement alors qu'il s'inclinait pour le saluer. « Soyez rassuré. Je ne suis pas ici pour le compte de Vous-savez-qui. Ma baguette est vôtre. »

Jusqu'à ce que ses ordres changent, devinait-il.

Il était évident qu'Aidan Abbot était là pour l'évaluer, lui, pour le compte des autres Langues-de-Plomb… Et lui ordonner d'intimer au groupe renégat de rejoindre Poudlard n'y changerait rien. S'il voulait les Langues-de-Plomb, il allait devoir les convaincre qu'il était capable d'assurer le poste de Ministre, de gagner cette guerre.

Albus soutint son regard un moment, à la limite de la Legilimencie. Il effleura des boucliers discrets, presque invisibles, mais solides.

Son instinct lui disait de le croire, cependant, alors il le congédia d'un hochement de tête entendu.

Le Langue-de-Plomb échangea un mot avec l'Auror qui s'était tenu à bonne distance tout ce temps puis s'en alla en sifflotant, les mains dans les poches, comme s'il s'agissait d'une belle journée d'été et qu'il n'avait aucune préoccupation.

Albus ne put s'empêcher de secouer la tête avec un léger sourire. Cet Abbot lui était passé sous le nez pendant sa scolarité et c'était bien dommage. S'il l'avait repéré, il aurait pu s'en faire un allié, le modeler, peut-être, en un jeune homme qui lui aurait été fidèle…

Ce qui était fait était fait, toutefois, et, s'il était déçu de ne pas pouvoir récupérer immédiatement les Langues-de-Plomb, il était tout de même soulagé de ne pas avoir à composer avec un espion de plus à la solde de Lord Voldemort.

Il prit une seconde pour se recomposer une expression plus sereine et cadenasser derrière d'épais boucliers les tracas qui le taraudaient puis poussa la porte de la chambre, peu surpris mais tout de même déçu de trouver Harry prostré à côté de la forme immobile de Severus, sur le lit magiquement élargi, toujours sous sa forme de tigre.

Le Gryffondor refusait d'écouter la voie de la raison et de redevenir humain. La grande majorité du temps, il refusait d'interagir tout court.

Sirius était assis sur une chaise, l'air un peu hagard de celui qui n'avait pas assez dormi, l'ombre d'une barbe qui n'avait plus rien d'étudiée commençant à lui manger la mâchoire. L'ancien fugitif ne semblait même plus capable de se mettre en colère envers lui tant sa fatigue était importante. Et pourtant, Albus savait qu'il lui en voulait énormément.

À raison, il fallait l'admettre.

Tout était de sa faute.

Harry avait tué quelqu'un parce qu'il n'avait pas pensé à tout.

Il n'osait pas imaginer les conséquences sur l'horcruxe que portait le garçon, sur son âme et la connexion entre les deux. Qu'il se soit s'agit de légitime défense n'était qu'une maigre consolation qui n'aiderait probablement pas Harry à accepter les faits.

« Aucun changement ? » demanda-t-il.

Le tigre ne daigna pas bouger une oreille.

« Il a mangé quelques poissons, contraint et forcé. » répondit Sirius, d'un ton où la frustration commençait à percer sous l'inquiétude et l'affection. « Sinon… Il refuse toujours de redevenir humain. Ou d'interagir. »

Albus fit de son mieux pour ravaler un soupir.

°O°O°O°O°

Narcissa était toujours en train de reconsidérer l'intelligence de son idée lorsqu'elle trouva finalement la vieille salle d'étude reconvertie que lui avait indiquée sa sœur. Il était un peu tard pour changer d'avis, bien sûr, Andromeda était déjà partie faire sa part, et puis…

Eh bien…

Il lui fallait penser à Draco avant tout.

Les choses qu'on était obligées de faire par amour maternel…

Ravalant un léger soupir et se composant sa meilleure expression polie, elle frappa à la porte et patienta les quelques minutes nécessaires avant qu'elle ne s'ouvre sur une Molly Weasley à l'air harassé. La sorcière n'avait jamais réellement pris soin d'elle mais, comparée à Narcissa qui mettait un point d'honneur à ne jamais sortir sans être tirée à quatre épingles, même coincée dans un château avec d'autres réfugiés, la matriarche des Weasley faisait vraiment négligée.

Elle avait perdu du poids et ses vêtements baillaient un peu par endroits, d'énormes cernes violacées s'étiraient sous ses yeux, ses cheveux n'avaient pas dû voir une brosse depuis un moment et elle avait l'air tout simplement… éreinté.

Malgré tout, et malgré une désapprobation instinctive pour son manque de dignité, Narcissa éprouva une pointe de sympathie. Perdre un fils et en avoir un autre à l'infirmerie ne devait pas être facile.

« Mrs Weasley. » la salua-t-elle, comme s'il n'était pas impensable qu'elle vienne frapper à sa porte.

La sorcière la dévisagea ouvertement, surprise et méfiance s'affichant sur son visage. « Mrs Malfoy. »

Narcissa ne corrigea pas le titre. Les Weasley n'accordaient aucune valeur à ce genre de choses et elle n'allait pas épuiser son souffle à tenter de les convertir.

Elle ouvrit la bouche pour expliquer ce qui l'emmenait, décidant de passer outre les convenances parce qu'elle pensait que Molly Weasley apprécierait davantage qu'elle soit directe, mais tout ce qui échappa à ses lèvres fut un léger grognement surpris lorsque le bébé donna un grand coup de pied qui manqua la plier en deux.

De surprise et méfiante, l'expression de l'autre femme devint inquiète. « Avez-vous besoin d'aide ? »

Car cela aurait très certainement expliqué pourquoi elle se tenait là. Si elle s'était retrouvée seule et en difficulté dans un couloir, elle aurait pu frapper à la première porte venue à la recherche de secours.

Cela était certainement plus logique que Narcissa Malfoy frappant délibérément à la porte de Molly Weasley.

« Non, non… » s'empressa-t-elle de se reprendre, frottant l'endroit douloureux dans l'espoir d'apaiser le bébé et se maudissant intérieurement d'en avoir trahi autant. « Ce n'était qu'un coup de pied particulièrement vicieux. »

Du moins, elle l'espérait.

Andromeda venait de l'examiner et avait décrété que tout allait bien, même si elle aurait préféré que Narcissa se repose davantage parce que sa tension était trop élevée. Sa sœur la surveillait comme le lait sur le feu, de toute manière. Elle passait s'assurer que tout se déroulait normalement tous les jours, parfois deux fois dans la journée.

« Je vois… » murmura Molly Weasley, son regard s'adoucissant alors qu'il venait se poser sur son ventre rond. « Mes condoléances pour votre mari. »

« Pour votre fils, également. » offrit-elle, en retour, se surprenant à le penser. Elle n'imaginait pas la douleur de perdre un enfant. Elle ne voulait même pas l'imaginer. Le temps passé à s'inquiéter de Draco l'avait laissée suffisamment bouleversée. Et lorsque Lucius lui avait narré ce qu'il s'était passé au Ministère en cours d'année, lorsqu'elle avait appris qu'un sort de mort avait touché le fruit de ses entrailles… Non, mieux valait ne pas y penser.

Molly Weasley ne se força pas à sourire mais elle accepta dignement ses condoléances. « Bill m'a dit que Lucius a tenté d'avertir Percy, ce jour là. De le sauver. J'aurais voulu avoir l'occasion de le remercier. »

Narcissa fronça légèrement les sourcils.

Sauver un Weasley ? Se sacrifier pour un Potter ?

Elle n'était pas certaine de ce qui avait guidé Lucius les derniers jours de sa vie mais…

Elle mit tout ça de côté dans un coin de sa tête. Elle ne pouvait pas se permettre de se mettre en colère ou de laisser libre court à ce chagrin qui la rongeait. Ce n'était pas bon pour le bébé tous ces bouleversements. Elle refusait de le mettre en danger par faiblesse de caractère.

« Si vous cherchez Draco, il n'est pas là. » reprit la sorcière, après s'être raclé la gorge. « Ron et Hermione sont partis à la bibliothèque, je crois. Il ne reste que ma cadette. »

« Non, j'espérais vous parler… » contra Narcissa, laissant sa phrase légèrement en suspens, comptant sur la politesse pour faire le reste.

Et, de fait, Molly Weasley se redressa légèrement puis, après un moment d'hésitation, s'écarta pour lui ouvrir le passage. « Voulez-vous entrer prendre une tasse de thé ? »

Elle avait suffisamment bu de thé pour la journée et, si elle n'avait pas été enceinte, elle serait probablement passée au Whiskey depuis longtemps, mais, en l'état, elle se contenta d'incliner la tête avec une reconnaissance de façade. « Volontiers, merci. »

La plus jeune des Weasley était avachie dans un fauteuil et leva la tête à son entré. Son air morne vira suspicieux en un éclair mais elle ne dit rien lorsque Molly Weasley entraina Narcissa vers la cuisine sans faire les présentations – ce n'était pas un oubli ou un manque de savoir-vivre, jugea-t-elle, c'était volontaire.

« Vous vouliez me parler ? » demanda Molly, une fois que les tasses de thé fumantes furent disposées entre elles, comme un pare-feu illusoire.

« Oui. » confirma Narcissa, un peu plus sérieusement. « Je voulais vous parler des enfants et de ce que nous devrions faire pour eux. »

Molly fronça les sourcils mais ne l'interrompit pas alors qu'elle commençait à lui expliquer ce à quoi Andromeda et elle avaient pensé et pourquoi elles avaient besoin d'elle.

°O°O°O°O°

La Salle sur Demande résonnait des ordres tonitruants et du brouhaha inhérent à trop de personnes enfermées dans un même lieu.

Tonks avait pris soin de leur dire de former des groupes mais la mise en place était laborieuse et ils peinaient à trouver une routine. Le sacrifice de ses Aurors les plus compétents lui coûtait mais comment, autrement, s'assurer que les membres de l'Ordre et les volontaires sauraient se battre comme une unité organisée ?

« Comment ça se passe ? » s'enquit Kingsley, en venant s'adosser de l'autre côté du chambranle de la porte depuis laquelle elle surveillait les choses.

« Ça se passe. » soupira-t-elle.

Elle avait passé un après-midi entier à tenter de mettre tout ça en place mais avait, au final, dû déléguer à Bertha la supervision finale. Voldemort, visiblement passablement agacé qu'ils lui aient subtilisé Harry ou peut-être vexé qu'elle l'ait blessé, multipliait les attaques éclairs aux quatre coins du pays, prenant pour cible des communautés rurales Moldues isolées où habitaient généralement un ou deux sorciers.

Pour l'instant, il n'y avait eu aucune victime parmi les sorciers, ces derniers ayant préalablement évacués ou ayant été secourus à temps. Chez les Moldus par contre…

C'était à croire que Voldemort savait pertinemment ce que cela lui faisait de devoir hurler la retraite, en laissant des gens derrière.

C'était à croire qu'il ordonnait à ses Mangemorts de la pousser à bout.

Elle ne savait pas si elle était paranoïaque ou juste perspicace. S'il l'avait voulue morte, il aurait sans doute envoyé Bellatrix ou Lestrange ou même Greyback… Au lieu de ça, les attaques étaient toujours menées par des sous-fifres qui compensaient l'inexpérience par le nombre.

À moins de faire le choix délibéré de sacrifier les quelques soldats qu'il leur restait, Tonks n'avait pas le choix que d'abandonner la partie en cours de route.

Et c'était très mauvais pour le moral de tout le monde de perdre en permanence, pire de se retirer en sachant qu'on abandonnait des êtres humains à la mort.

Sans compter la fatigue.

Elle était épuisée et ne tenait que grâce à un savant mélange d'Occlumencie, de philtres de force et de détermination.

« Fleur, Bill, Sirius… » énuméra-t-elle distraitement. « Une fois qu'ils auront assimilé le jargon et les codes, on pourra les greffer rapidement à des escouades d'Aurors. J'ai repéré quelques autres membres de l'Ordre qui pourraient également s'adapter vite. »

Des gens qu'elle ne connaissait que de réputation ou de vue, voire pas du tout pour certains, mais qui faisaient visiblement partie d'un réseau que Dumbledore avait patiemment construit ces dernières années. Les ramifications de son influence faisaient presque peur lorsqu'elle s'aventurait à y penser.

« Pas Remus ? » demanda Kingsley, d'un ton neutre.

Elle s'exhorta au calme, obligea sa respiration à demeurer régulière, s'appuya plus fort sur ses boucliers mentaux.

« Remus est incapable de suivre les ordres. » décréta-t-elle. « Si on veut l'utiliser, il faudra lui donner une escouade et accepter que cela signifie des pertes potentielles. Il n'est pas le seul qui aura du mal à accepter le concept de hiérarchie. L'Ordre a du mal à comprendre que les idéaux, c'est bien beau, mais que, pendant une guerre, ça tue. »

Elle ne dit pas tout haut ce qu'ils savaient tous les deux : Remus et elle ne pouvaient pas travailler ensemble. Dans les bureaux, c'était une chose et encore cela présentait ses propres difficultés. Sur le terrain, c'était absolument impossible, cela finirait mal.

Il ne respectait pas son autorité et rien de ce qu'elle ne pourrait dire ou faire ne changerait jamais ça, il passerait toujours par dessus elle ou chercherait à la contester devant tout le monde, ce qui n'était pas bon pour sa position à la tête du groupe.

Elle l'évitait avec application depuis leur retour de Privet Drive.

« Si les Mangemorts continuent leur petit numéro, nous allons devoir former des unités fixes, de toute manière. » remarqua Kingsley. « Nous ne pouvons pas, tous les deux, mener toutes les batailles sans nous épuiser. Il va falloir au moins une escouade d'astreinte en permanence pour répondre aux urgences extérieures, s'assurer que les gens prennent assez de repos… »

Kingsley avait tenu à prendre la tête d'un des groupes, la veille, lorsqu'il était apparu évident que Tonks était lessivée, s'estimant prêt à reprendre du service. Ça n'aurait jamais été que la quatrième escarmouche de la jeune femme pour la journée…

Cela l'avait à peine rassérénée que, lui aussi, ait dû faire le choix de battre en retraite, au final, en abandonnant des Moldus derrière. Il avait beau eu lui répéter plusieurs fois qu'il était d'accord avec ses décisions, ce n'était que lorsqu'il lui avait fait un rapport succin de sa propre bataille qu'elle avait accepté que ses combats perdus n'étaient pas dus à sa propre incompétence.

« Bertha ferait un bon leader. » commenta-t-elle. « Elle devrait avoir mon poste. »

« Ne recommence pas. » soupira Kingsley.

« Mais c'est vrai. » insista-t-elle. « Elle a plus d'expérience. Il y a une dizaine d'Aurors dans cette pièce qui ont plus d'expérience. » Et, certes, ils étaient trop âgés pour être agiles sur un champ de bataille, mais… « Kingsley, je ne suis arrivée à ce poste que par un concours de circonstances, et… »

« Tu es à ce poste parce que tu le mérites. » la coupa-t-il fermement. « Parce que Scrimgeour croyait en toi. Parce que je crois en toi. Et, très franchement, parce que l'expérience ne vaut pas toujours l'instinct. » Il se détourna de la pièce pour lui faire pleinement face. « Tu es consciente que chacun et chacune des hommes et des femmes qui portent ces robes seraient prêts à mourir pour toi ? Tu as fait tes preuves, Tonks. Arrête de douter. » Son regard se fit plus perçant. « Tu veux parler de Privet Drive ? »

« Non. » cingla-t-elle.

C'était la dernière chose dont elle voulait parler et elle aurait apprécié que tout le monde cesse de la harceler avec ça, de Sirius à sa mère, en passant par son chef.

« Je te dois des excuses. » insista pourtant Kingsley. « Parlant d'instinct… »

« Ce n'est pas toi qui me doit des excuses. » le coupa-t-elle. « Et les excuses ne ramèneront pas ces gens, de toute manière. » Elle secoua la tête. « Je ne veux pas en parler. »

De Privet Drive ou de toutes les escarmouches perdues depuis.

Son partenaire la connaissait trop bien, cependant.

« Tonks… » hésita-t-il.

« Kingsley. » siffla-t-elle, en levant les sourcils pour mieux indiquer que la discussion était close.

« Ce n'était pas ta faute. » lâcha-t-il pourtant, avec fermeté. « Ce sang n'est pas sur tes mains. Par contre, si tu avais laissé nos troupes se faire massacrer alors que c'était perdu d'avance… »

« Je sais. » gronda-t-elle, agacée, en croisant les bras.

« Je sais que tu sais. » soupira Kingsley. « Je sais aussi que ça ne t'aide probablement pas à dormir. » Elle lui jeta un regard surpris qui lui fit lever un sourcil ironique. « Tu penses que je n'ai jamais eu à prendre de décisions qui m'ont torturé dans ma carrière ? »

Pas à ce niveau.

Pas comme ça.

« Il faut que tu en parles à quelqu'un avant que ça ne te détruise. » exigea-t-il. « On a besoin de toi, Tonks. Entière. Les yeux sur la ligne d'arrivée. »

Elle se mordit la langue pour ne pas rétorquer que c'était ce à quoi elle s'échinait.

Elle tenait comme elle pouvait.

Elle essayait.

Elle savait exactement quel était son rôle, quelle était sa mission… Elle connaissait parfaitement les enjeux…

Mais en parler… À qui ?

Charlie était catatonique.

Sirius n'avait pas dormi de deux jours parce qu'il s'inquiétait pour Harry.

Sa mère l'étouffait de ses questions et de ses inquiétudes.

Son père… Elle évitait son père parce qu'elle ne pouvait pas le regarder en face en sachant qu'elle abandonnait des gens à leur mort tous les jours.

Kingsley était son ami mais, avant tout, c'était son supérieur.

Il n'y avait personne à qui parler.

La seule personne qui aurait pu comprendre était…

« Madame ! Monsieur ! » s'écria une des recrues, en trottant jusqu'à eux, visiblement à bout de souffle, un bout de parchemin à la main. « Attaque au nord de Glasgow ! Inféris confirmés ! »

Elle soupira. « Au moins, ils varient les plaisirs. »

« Je peux y aller. » proposa immédiatement Kingsley mais elle refusa d'un geste.

C'était un cycle infernal d'escarmouches impossibles à gagner.

Mais elle refusait de renoncer à essayer.

°O°O°O°O°

Draco se glissa entre les portes de la Grande Salle au milieu d'un autre groupe d'élèves qui paraissaient tous aussi curieux, voire étonnés, les uns que les autres. Tous, par ailleurs, avaient quitté l'uniforme, beaucoup pour des tenues Moldues ou, du moins, inspirées par eux. Pour provoquer Narcissa ou par soucis de confort, il n'était pas très sûr, lui-même avait ressorti du fond de sa malle les jeans qu'il avait achetés à Noël, lorsqu'il était chez les Granger et les couplait avec des chemises dont il oubliait de fermer le col, sans s'embarrasser de cravates.

Il repéra une tête blonde dans la masse d'élèves et se fraya un chemin jusqu'à Luna qui affichait son air serein des meilleurs jours.

« Tu sais ce qu'il se passe ? » demanda-t-il.

La quatrième année secoua la tête. « Pas encore. Mais nous n'allons pas tarder à le savoir. »

L'annonce était venue par sonorus quelques minutes plus tôt : la voix de la sous-directrice ordonnait aux élèves de bien vouloir se regrouper dans la Grande Salle.

Entre les morts et ceux qui étaient partis, il ne restait qu'un nombre dérisoire d'adolescents comparé à l'effectif complet. Pourtant, cela suffit à remplir une des grandes tables et un quart d'une autre. Draco et Luna rejoignirent leurs amis qui agitaient la main pour attirer leur attention et se glissèrent à côté d'eux. Ron et Granger arrivèrent les derniers de leur petite bande.

« Je faisais des recherches sur les Animagus. » expliqua-t-elle, en plantant un baiser sur sa joue, avant de se percher sur le bout de banc libre entre Draco et Luna.

« Et je faisais semblant de lire. » ajouta Ron, caustique, en ayant plus de mal à se faire une place.

Malgré les tables libres, les élèves gravitaient les uns autour des autres comme s'ils craignaient de trop s'éloigner.

Draco évitait délibérément les regards des premières années qui le dévisageaient avec beaucoup trop d'admiration à son goût. Ça le mettait mal à l'aise. Et, surtout, tous ces visages tournés vers lui…

Il levait sa baguette et le tunnel s'écroulait

Il ferma les paupières un peu trop longtemps pour un simple cillement.

Une main se posa sur sa cuisse, suffisamment haut pour être possessive et réconfortante à la fois.

« Ça va ? » demanda Hermione, trop bas pour que cela porte dans le brouhaha que seul un groupe d'adolescents curieux pouvait provoquer.

« Je me demande juste ce qu'ils nous veulent. » mentit-il. « Et ce que ma mère et ma tante font là. Cela sent le traquenard, si tu veux mon avis. »

Des adultes avaient fait leur apparition dans la Grande Salle, par la porte habituellement réservée aux Professeurs, par petits groupes de deux ou trois. Narcissa était parmi eux, ainsi qu'Andromeda, Pomfresh, Mrs Weasley, Hagrid, Chourave, Slughorn, Sinistra, Lupin, Madame Bibine, quelques personnes qu'il ne connaissait pas et son oncle. McGonagall fut la dernière à entrer et se dirigea droit vers le pupitre du Directeur.

Elle n'eut même pas besoin de se racler la gorge ou de demander le silence. À la seconde où elle attrapa les ailes étendues du hibou sculpté, les élèves se turent tous automatiquement, trop habitués à sa salle de classe.

McGonagall les observa un long moment, un air attristé sur le visage.

L'espace d'une seconde, Draco se tendit, attendant avec stoïcisme et résignation l'annonce de la dernière catastrophe en date…

« Nous avons tous été touchés par ce qu'il s'est passé la semaine dernière, que ce soit à Poudlard ou au Ministère. » déclara-t-elle. « Et je sais que beaucoup trop d'entre vous ont perdu quelqu'un ou on vu ou vécu des choses terribles que vous avez peut-être des difficultés à mettre en mots. Ou bien peut-être vous sentez vous seul dans votre expérience alors que je peux vous l'assurer : vous ne l'êtes pas. »

« Oh. » souffla Granger, visiblement surprise.

Draco fronçait les sourcils, quêtant le regard de sa mère qui semblait faire un effort surhumain pour ne pas regarder dans sa direction. Sa tante, en revanche, avait les yeux rivés sur lui.

Il n'aurait jamais dû exploser comme il l'avait fait un peu plus tôt.

Il aurait dû se maîtriser.

Tout ça parce qu'il avait voulu défendre Nymphadora…

« Chacune des personnes ici présentes s'est portée volontaire pour animer un petit groupe de parole… » expliqua la sous-directrice, en désignant d'un geste les adultes qui attendaient, plus ou moins à l'aise. « Ce ne sont pas des Médicomages, évidemment, à quelques exceptions près, mais… Ce que vous direz dans ces groupes restera entre vous. Il n'y aura pas de jugement. »

Une fois n'était pas coutume, ce fut la main de Parvati Patil et pas d'Hermione qui se leva la première.

« Oui, Miss Patil ? » soupira McGonagall, comme si elle savait déjà ce qu'elle comptait demander.

« Est-ce que c'est obligatoire ? » s'enquit la Gryffondor, provoquant une marée de murmures.

« Non. » répondit la Directrice des lions, en pinçant la bouche avec désapprobation. « Mais cela est néanmoins fortement conseillé, particulièrement si vous avez des difficultés à accepter ce qui vous est arrivé durant la bataille. » Elle frappa une fois dans ses mains, exactement comme quand elle voulait lancer les activités pratiques dans sa classe. « Vous pouvez vous regrouper. »

Au lieu de bouger immédiatement, les élèves s'entre-regardèrent avec hésitation. Personne ne semblait oser faire le premier pas.

« Tu veux y aller ? » proposa Granger, avec incertitude.

Étant donné qu'il sentait désormais l'attention soutenue de sa mère, il était tenté de se lever et de simplement partir. Juste pour la contrarier et lui montrer ce qu'il pensait de son ingérence.

Excepté qu'il ne voulait pas vraiment la contrarier parce que c'était mauvais pour le bébé.

Il croisa le regard de Granger et grimaça. « Je crois. Mais… »

« Pas ensemble. » termina-t-elle, presque trop vite et avec un peu trop de soulagement.

Il se demanda si elle comptait se plaindre de lui pendant son temps de parole.

Il leva un sourcil, ses lèvres s'étirant en un sourire un peu moqueur qu'elle effaça d'un baiser plein de tendresse. Il l'aurait volontiers approfondi mais, autour d'eux, les discussions allaient bon train et personne ne se décidait à bouger.

« Tu sais que si nous ne montrons pas l'exemple, personne ne fera quoi que ce soit. » soupira-t-il. « C'est épuisant d'être le berger d'un troupeau de moutons… »

Elle lui jeta un regard qui se voulait courroucé mais était plus amusé qu'autre chose et s'extirpa du banc, il la suivit dans la seconde, ce qui sembla décider les autres. Une bonne partie, menée par Parvati et sa sœur, quittèrent la pièce.

Les adultes faisaient de leur mieux pour ne pas avoir l'air de les attendre et paraître plus confiants qu'ils ne l'étaient en réalité. Draco aurait parié que la moitié d'entre eux n'avait pas la moindre idée de ce qu'ils étaient supposés faire. Cela sentait la débâcle à plein nez.

La plupart des élèves gravitèrent vers les Professeurs plutôt que les adultes qu'ils ne connaissaient pas. Hagrid, particulièrement, fut pris d'assaut. Il vit Ron se diriger vers une femme qu'il n'avait jamais vue auparavant alors que Lavande fonçait droit vers Lupin…

Granger parut hésiter puis lâcha sa main pour rejoindre McGonagall…

Draco s'éloigna autant que possible de sa mère et de sa tante, étudiant ses options, peu enclin à parler à un Professeur même si Slughorn semblait lui faire des appels du pied… Au final, il se rapprocha de Ted Tonks. Il l'avait rencontré brièvement le jour de la mort de son père mais toute cette journée demeurait un peu floue et ils n'avaient guère eu l'occasion d'échanger depuis.

« Draco. » le salua joyeusement l'homme comme s'ils étaient de vieux amis, ce qui le déstabilisa légèrement.

Il se reprit vite, cependant. « Mon oncle. »

« Tu peux m'appeler Ted. » suggéra le sorcier avec une gentillesse qui paraissait sincère. « Ou mon oncle, comme tu veux, mais c'est un peu guindé pour moi. »

Guindé était tout son mode de vie.

Nymphadora ressemblait davantage à sa mère physiquement mais il se rendit compte que ses expressions venaient tout droit de l'homme qui se tenait devant lui.

« Oncle Ted. » trancha-t-il, optant pour un compromis.

« Tu veux venir avec moi ? » proposa son oncle. « Je pensais vous emmener aux serres. Le jardinage, je trouve ça apaisant. Une bonne chose que je sois devenu Botaniste. »

Draco n'aimait pas particulièrement la Botanique mais, de deux maux, autant choisir le moins pire et il doutait que Granger passe un bon moment avec McGonagall. De plus, la décision lui fut ôtée des mains par deux des premières années que Pansy et lui avaient récupérées dans les cachots et qui le rejoignirent, en le regardant toujours comme s'il était un héros. Ginny approcha, l'air hésitant.

« Ça t'embête si je viens ? » demanda-t-elle.

Il secoua la tête. Il ne savait même pas s'il allait dire quoi que ce soit. Il aurait dû imiter les Patil et partir. Le groupe enfla un petit peu plus. Hannah Abbot et Susan Bones les rejoignirent, ainsi que deux troisièmes années.

Ted décréta qu'ils étaient assez nombreux et les guida hors du château, vers les serres.

Lui et Ginny restèrent à la traine du groupe, les mains dans les poches, et l'air sombre. Il ne chercha pas à lui demander ce qui n'allait pas, pas plus qu'elle ne l'interrogea.

C'était reposant de ne pas se voir harcelé de questions.

Et il fut plaisamment surpris que cela perdure.

Ted les mena dans la serre numéro trois, celle qui ne contenait que des plantes inoffensives qui n'essaieraient pas de les tuer dès qu'ils auraient le dos tourné, et leur donna à chacun de quoi replanter les plans de dictame qui étaient devenus trop grands pour leurs pots. Ce n'était pas obligatoire, il fut bien clair là-dessus, comme il fut également clair sur le fait que rien de ce qui se dirait dans la serre n'en sortirait. Il leur demanda de se le promettre entre eux, ce qu'ils firent, et puis ce fut le silence.

Le silence et beaucoup de regards furtifs.

L'un dans l'autre, c'était probablement une bonne chose que la porte de la serre s'ouvre tout d'un coup, sans avertissement, parce que, quoi que cette activité était censée accomplir, ce n'était pas une réussite.

Il fallait toujours que Potter se fasse remarquer.

Quoi que se faire trainer dans le château par la peau du cou à la force d'un sort de lévitation comme un chaton récalcitrant… C'était une première, même pour lui.

Sirius fit entrer le tigre qui se débattait dans les airs, montrant les crocs et rugissant sa colère, puis mit fin à son sortilège de lévitation. Le fauve retomba sur ses pattes et se retourna immédiatement vers leur Professeur de Défense pour mieux feuler comme un chat colérique.

« Oh, ça suffit. Je t'avais prévenu. » cingla l'ancien fugitif. « Ça te fera le plus grand bien, ce genre de trucs. »

« Sirius, forcer la main des enfants, ce n'est pas l'idée. » contra Ted.

« Oui, eh bien, ta fille est en mission, je dois prendre mon quart de garde auprès de notre clairvoyant et tout puissant Ministre et il est grand temps qu'il prenne l'air. La méthode douce ne marche pas, alors… » décréta Sirius, avant de tourner les talons et de l'abandonner là. « Kreattur garde un œil sur lui, tu n'es pas obligé de le ramener quand vous aurez fini. »

Même Draco trouva ça un peu dur.

Ils regardèrent tous, atterrés, le tigre tenter d'actionner le mécanisme de la porte, trop lourd et trop compliqué pour un animal. Puis Potter sembla se résigner à son destin et se tourna vers eux. Son regard s'arrêta sur Ginny, il baissa la tête, se traina jusqu'à un plant de figuiers d'Abyssinie derrière lequel il se dissimula comme s'il pensait sincèrement qu'ils allaient oublier qu'il était là. À sa décharge, son pelage se fondait incroyablement bien dans la végétation.

Draco en fut un petit peu jaloux.

Être un Animagus devait être bien pratique.

Et tentant.

Et si Potter y était arrivé…

Ted leur fit signe de continuer et se fraya un chemin jusqu'au fauve, sans abimer les plants de figuiers. La conversation – ou, plutôt, le monologue – était étouffée mais il fut clair très vite que Potter n'y était pas réceptif. Surtout parce que son oncle ressortit sans être suivi par un fauve.

Au bout de vingt longues minutes, Draco en était à se demander combien de plants de dictame il allait devoir rempoter avant d'être libéré de ce qui paraissait de plus en plus être une très mauvaise idée voire un échec flagrant. Ce fut le moment où l'un des premières années se racla la gorge.

C'était le plus de bruit qu'avait fait l'un d'eux depuis l'intervention tonitruante de Sirius.

Sous la cible des regards curieux et, peut-être un peu pleins d'espoir que quelqu'un se lance, le première année rougit jusqu'à la racine des cheveux.

« Ma fille a été gravement blessée dans l'attaque. » déclara soudain Ted, sans avertissement, presque comme sur un coup de tête. « Je n'ai jamais eu aussi peur de toute ma vie. J'étais dehors pendant les combats mais je crois que c'est ce qui m'a le plus secoué. Le moment où on m'a dit qu'elle avait été grièvement blessée et qu'elle allait peut-être mourir. »

Il n'ajouta rien d'autre, se concentra sur son pot de dictame…

Draco garda le regard rivé sur le sien.

« Je n'arrête pas de revoir le tunnel. » s'entendit-il admettre, à sa propre surprise. « Le moment où il s'est écroulé. Encore et encore. Les pierres qui tombent. Le bruit qu'elles ont fait en cognant contre le sol, contre les corps. Le grondement quant tout s'est mis à trembler. Les cris. »

Il se tut, verrouillant sa mâchoire et prenant garde à ne regarder personne.

« Moi, je n'arrête pas de penser à quand tout le monde se bousculait. » lâcha un des deux premières années. « Quand on leur marchait dessus. J'ai vu Millie par terre et puis… Et puis, elle s'est faite piétiner. Je ne la connaissais même pas si bien que ça mais je n'arrête pas d'y penser. La tête qu'elle faisait. »

Plusieurs autres partagèrent une expérience similaire. Des moments de la bataille qu'ils ne paraissaient pas pouvoir dépasser.

Curieusement, cela lui fit du bien de savoir qu'il n'était pas le seul dans ce cas là.

« Je suis mort une fois, cette année. » plaisanta-t-il, à un moment. « On pourrait croire que ce serait plus difficile à digérer que de voir son meilleur ami se faire ensevelir juste devant soi. »

Ça n'avait rien de drôle et personne ne rit malgré son ton badin.

Hannah enchaina avec la manière – franchement traumatisante – dont Slughorn lui avait appris la mort de ses parents au Ministère et qui n'était rien comparée à la façon dont Susan avait appris que sa tante était officiellement déclarée morte après des heures d'incertitude – une rapide entrevue avec Shacklebolt et Dumbledore avant leur intervention à la radio.

Ça lui fit mesurer qu'il avait eu de la chance de pouvoir faire ses adieux à son père.

Ce n'était pas une consolation et cela ne le faisait pas se sentir beaucoup mieux mais, au moins, il avait eu ça.

Ted, l'air de rien, tapota son épaule en passant derrière lui puis leur dit qu'ils étaient libres de rester encore un peu mais que c'était fini pour aujourd'hui et que, s'ils le souhaitaient, ils pouvaient renouveler l'expérience un peu plus tard dans la semaine.

Sur un coup de tête, Draco décida qu'il reviendrait sans doute.

Il s'attarda parce que Ginny était la seule qui n'avait pas ouvert la bouche, son attention focalisée sur les figuiers d'Abyssinie que les autres paraissaient avoir oubliés – comme quoi, Potter n'avait pas eu tort.

Sous couvert d'aider son oncle à ranger les quelques instruments dont ils s'étaient servis, il l'observa approcher des buissons et s'accroupir, tendant l'oreille.

« Salut. » lâcha-t-elle. « Tu ne m'avais pas dit que tu t'entraînais à devenir un Animagus. » Elle attendit un moment mais il n'y eut aucune réaction visible de la part du tigre. « Tu ne me dis pas grand-chose dernièrement, il faut avouer. » Un brin de colère dans la voix qu'elle semblait faire de son mieux pour canaliser. « Tu ne veux pas… Est-ce que tu peux redevenir humain, Harry ? Pour qu'on discute ? On a besoin de discuter. Harry, s'il te plait, j'ai besoin de toi. J'ai besoin qu'on… J'ai besoin qu'on parle. Ça ne va pas du tout et… J'ai besoin de toi. »

Oh…

Oh…

Intéressant.

Ron n'était absolument pas au courant de ce développement, décida-t-il, parce que s'il l'avait su, tout le château l'aurait entendu hurler.

La main de Ted s'abattit sur son épaule, l'entraînant sans brutalité mais avec fermeté vers la sortie.

« Je vois que c'est de famille d'écouter aux portes. » plaisanta son oncle.

« Je n'écoutais pas aux portes. » s'indigna-t-il, à voix basse, pour ne pas que Ginny l'entende. « Il n'y a même pas de porte. Ce n'est pas ma faute si nous sommes dans un endroit public et qu'elle a choisi de ne pas jeter de silencio. »

Ted lui jeta un regard entendu, légèrement moqueur, qui était identique à celui de Nymphadora, et poussa la porte de la serre.

« Harry ! » s'écria Ginny, derrière eux.

Ils se tournèrent tous les deux, alarmés, et virent un tigre lancé à toute vitesse leur passer à côté pour mieux se précipiter par la porte ouverte et s'enfuir dans le parc.

« Sirius et ses idées de génie. » grommela son oncle, avec un soupçon de véritable irritation, cette fois-ci.

Draco ne pouvait pas tout à fait lui donner tort.

°O°O°O°O°

Ron se contenta d'arracher des brins d'herbe et de les rouler entre ses doigts jusqu'à ce qu'ils se déchirent, tout le temps de la séance. Laura Flemmings avait mené son petit groupe vers la Forêt avant de sembler se raviser et de les guider vers le lac où ils s'étaient laissés tomber dans l'herbe et avait fait un rapide tour pour se présenter.

Il y avait surtout des deuxièmes et des troisièmes années. La femme, inconnue, avait attiré les enfants mais ils restaient l'un des groupes les moins importants.

Un des gamins, surtout, ne la lâchait pas, comme s'il avait peur de se perdre s'il s'éloignait trop d'elle.

Un peu comme Lavande avec Remus.

Ron en avait tiré ses propres conclusions.

Il ne savait pas bien ce qu'il faisait là parce qu'il n'avait aucune envie de se livrer face à des élèves qu'il ne connaissait pas – ni à ceux qu'il connaissait, d'ailleurs. C'était étrange comme idée.

Lorsqu'il avait besoin de parler ou de vider son sac, il écrivait à Bill ou à Charlie.

Évidement, c'était plus compliqué, en ce moment. Charlie… Il n'aimait pas beaucoup penser à Charlie. À chaque fois qu'il relayait l'un ou l'autre des membres de sa famille à son chevet, il avait des frissons. Son frère ainé était l'une des personnes qu'il admirait le plus au monde. Le voir comme ça, malheureux, perdu, incapable d'interagir avec eux… Et Bill n'avait pas véritablement de temps à lui consacrer. Charlie, naturellement, prenait précédence et, entre leur frère et son travail pour l'Ordre…

Et puis Ron n'était pas aveugle.

Il voyait bien que Bill n'allait pas mieux que le reste d'entre eux.

Les jumeaux n'étaient plus aussi synchrones qu'autrefois.

Leur mère leur jouait une comédie de tous les instants pour ne pas les inquiéter.

Ginny se renfermait sur elle-même.

L'absence de Percy était presque physique. Comme un trou visible, à la silhouette exacte de son frère, qui se baladerait autour d'eux.

Sa copine, la fameuse Audrey, était passée plusieurs fois prendre le thé avec leur mère. Elles ne finissaient jamais les yeux secs et Ron ne comprenait pas pourquoi elles se torturaient en sanglotant sur de vieux albums photos récupérés à la hâte au Terrier.

Lui ne pouvait pas regarder de photos de Percy ou de leur père. Il n'essayait même pas.

Il ne trouvait pas ça cathartique de pleurer sur de vieux souvenirs.

Il n'était même pas sûr de pourquoi Audrey revenait si régulièrement alors que cela semblait lui faire du mal et qu'elle n'était pas… Ce n'était pas comme si elle faisait vraiment partie de la famille.

Leur mère l'accueillait toujours comme s'ils la connaissaient depuis longtemps mais ça faisait partie des choses bizarres. Parce que Fleur, qui était pourtant plus souvent là avec Bill et depuis plus longtemps, n'était pas toujours aussi bien reçue.

Il sursauta lorsqu'il se rendit compte que les autres se levaient et commençaient à se disperser. Il ne les avait écoutés que d'une oreille. Pour la plupart, ils avaient répété la même histoire qu'il avait déjà entendu dix fois de ce qu'il s'était passé dans les cachots…

Une part de lui savait que ces gosses n'avaient pas l'habitude, que c'était mal de sa part de juger

Une autre part de lui aurait voulu leur dire que passer devant un chien à trois têtes à onze ans et se faire à moitié dévorer par une araignée géante à douze, c'était bien plus effrayant qu'un Mangemort.

Mais, au fond, qu'est-ce qu'il en savait ? D'un côté, il était chanceux. Il avait de l'entraînement à tout ça. Il n'y avait jamais eu une année sans catastrophe, jusque là.

Laura – elle avait insisté pour qu'ils l'appellent tous Laura – échangea quelques mots avec Bowen, le Serdaigle qui était probablement un loup-garou, qui hocha la tête puis partit avec les autres. Quant à elle, elle se rassit au pied du même arbre où elle s'était installée plus tôt, pas très loin de Ron, et sembla attendre.

Il se rendit alors compte que non seulement il n'avait pas bougé mais qu'il n'avait toujours pas desserré les dents depuis qu'ils avaient quitté la Grande Salle. Autour de lui, l'herbe était vraiment très clairsemée.

Il jeta les morceaux de brin d'herbe qu'il avait dans les mains et se frotta les paumes, un peu gêné, sans savoir pourquoi.

« Tu n'as pas dit un mot. » remarqua Laura, avec ce qui lui semblait être de la prudence.

Il la détailla sans en avoir l'air, pas tout à fait sûr de pourquoi il était encore là. Lorsqu'il s'était approché d'elle, plus tôt, c'était avec une idée en tête mais, à présent…

Elle inspirait la confiance.

Malgré la lueur un peu sauvage qui brillait parfois dans ses yeux, trahissant sa nature, elle inspirait la confiance. Elle était calme, apaisante et sympathique. Ses cheveux bruns tombaient sur ses épaules légèrement voûtées, les cicatrices sur son cou et son visage étaient suffisamment fines pour qu'on ne les remarque pas contrairement à celles de Remus… Elle aurait pu être très belle si elle avait eu un peu plus d'assurance, décida-t-il, si elle avait pris la décision de faire de son apparence une arme au lieu de quelque chose d'annexe.

« Je ne suis pas venu parler de moi. » répondit-il, un peu trop sur la défensive peut-être. « Je voulais parler de Lavande. »

Quelque chose passa dans son regard. Quelque chose qui n'était pas humain.

D'un coup, elle se tenait moins avachie, moins en retrait.

D'un coup, elle avait l'air prête à lui arracher la gorge.

Et il était impossible de rater la note protectrice dans sa voix lorsqu'elle reprit la parole. « Et pourquoi donc ? »

Il hésita.

Lavande n'avait pas encore obtenu gain de cause auprès de sa mère mais elle lui avait affirmé que ce n'était qu'une question de temps, que sa mère allait céder parce que son père était toujours seul dans le monde Moldu et avec toutes ces attaques, elles auraient toutes les deux été plus rassurées de la savoir avec lui.

Il trouvait toujours ça étrange qu'elle veuille aller vivre avec Remus et cette femme qu'ils ne connaissaient pas.

« J'aimerais… J'aimerais l'aider. » avoua-t-il. « Mais je ne sais pas comment. »

Il marchait sur des œufs.

Il ne voulait pas dire ce qu'il ne fallait pas.

Il ne voulait pas empirer le sentiment d'isolation qu'elle éprouvait…

Parvati avait parlé, évidemment. Elle l'avait dit à sa sœur qui l'avait dit à quelqu'un d'autre et c'était désormais un secret de polichinelle au sein de l'école que Lavande était un loup-garou – et qu'il y en avait d'autres. Elle ne le vivait pas très bien même si elle faisait de son mieux pour garder la tête haute.

Hermione, évidement, s'était empressée de se faire un devoir d'être vue avec elle mais elles n'étaient pas vraiment amies et, même s'il était reconnaissant à sa meilleure amie, il savait que ce n'était pas forcément ce dont Lavande avait besoin.

« Tu l'aides déjà, même si tu ne t'en rends pas compte. » répondit-elle, radoucie. « Tu aurais pu lui tourner le dos. Tu aurais pu la rejeter. »

Il fronça les sourcils. « Non. Je ne suis pas… » Ça semblait arrogant de dire qu'il n'était pas ce genre de personne. Surtout que s'il n'avait pas été avec elle, s'il… « Je l'aime. »

Un sourire étira les lèvres de Laura et elle s'appuya un peu plus franchement contre le tronc de l'arbre. « Tu serais surpris à quelle vitesse l'amour disparait chez certaines personnes quand leur petit-amie s'avère être un loup-garou. »

Il se demanda s'il y avait du vécu là-dedans.

Elle dut sentir sa curiosité parce qu'elle sembla délibérer quelques secondes puis soupira. « Je n'ai jamais pu venir à Poudlard. Mes parents n'ont même pas essayé de m'y envoyer. Un loup-garou à Poudlard, ça aurait été impensable. »

« Mais Remus… » contra-t-il, en fronçant les sourcils.

« Mes parents ne connaissaient pas Dumbledore. » l'interrompit-elle, en haussant les épaules. « J'ai été une Solitaire, toute ma vie. » À son regard troublé, elle clarifia. « Un loup sans meute, si tu préfères. Un loup seul est un loup malheureux. » Elle lui adressa un sourire. « Lavande n'aura jamais à vivre ça. Elle a une meute. De ce que j'ai vu, elle a toujours des amis qui savent dépasser leurs préjugés. Elle t'a toi. Elle n'aura plus jamais une vie normale mais ça ne veut pas dire qu'elle ne peut pas avoir une bonne vie. Tu comprends ? »

Il n'en était pas certain.

« J'aimerais juste… J'aimerais pouvoir faire quelque chose pour elle. » insista-t-il. « Pour l'aider. »

Laura l'observa quelques secondes. « Pour la sauver, tu veux dire. » Il n'y avait pas de méchanceté dans son ton mais elle semblait tout de même amère. « À moins d'être en mesure de guérir la lycanthropie, je te conseille d'oublier cette idée. Elle n'a pas besoin d'être sauvée. Elle a besoin d'être acceptée. Aimée. »

« Je l'aime. » répéta-t-il, un peu sur la défensive.

« Alors tu fais déjà ce qu'il faut. » décréta-t-elle, avec un petit haussement d'épaules. « Peut-être… Essaye juste d'aimer aussi son loup. »

Il fronça les sourcils. « À la pleine lune, vous voulez dire ? »

Laura hésita puis soupira et sembla s'installer plus confortablement. « D'accord. Que sais-tu des loups-garous ? »

Il s'avéra vite qu'il n'y connaissait pas grand-chose.

Parce que la moitié de ce qu'elle avait à lui raconter n'apparaissait nulle part dans ses manuels scolaires.

°O°O°O°O°

Hermione ne savait pas trop à quoi elle s'était attendue mais ce n'était pas à ça.

Et c'était stupide, bien sûr, parce que, au début, elle avait été déterminée à tout bien faire, à lever la main avant de parler et à adhérer à l'idée de ce qu'elle imaginait être ce genre de groupes de parole mais McGonagall avait cassé tout ça dans l'œuf. Après lui avoir rappelée qu'ils n'étaient pas en classe, elle les avait menés au terrain de Quidditch et leur avait donné des battes.

Hermione n'imaginait rien de pire que de devoir frapper des Cognards d'entraînement pendant une heure. Même le groupe mené par Madame Bibine qui flottait sur leurs balais, loin au-dessus de leurs têtes, paraissait plus attirant.

Elle aurait dû aller avec Hagrid.

Ou n'importe qui d'autre.

Ou ne pas venir du tout.

Après tout, elle l'avait surtout fait pour encourager Draco et montrer l'exemple mais, elle, n'avait pas grand-chose à dire.

Était-elle horrifiée par ce qui s'était passé ? Oui, évidemment. Était-elle triste ? Bien entendu.

Mais, de façon plus préoccupante, elle était aussi étrangement blasée.

Après le Ministère et se retrouver face à Voldemort, après avoir vu Draco mourir, après avoir perdu Harry dans une tempête magique qui avait failli l'écraser sous un rayonnage de la bibliothèque, après toutes ces années passées à déjouer les plans du mage noir d'une manière ou d'une autre, après les pierres philosophales, les basilics et les loups-garous…

Elle n'irait pas jusqu'à dire que c'était devenu la routine mais, à écouter les autres hurler leurs problèmes avant de taper de toutes leurs forces dans un Cognard, elle n'arrêtait pas de se dire qu'elle avait vécu pire, plus jeune, et qu'il n'y avait pas vraiment de quoi se plaindre.

Cela lui donnait l'impression d'être une personne affreuse.

Ses préoccupations principales, là tout de suite, n'étaient pas de surmonter un trauma inexistant, contrairement à ses camarades, mais d'aider Draco à traverser le sien, de se soucier de Ron qui paraissait mort d'inquiétude au sujet de Lavande qui, elle, avait de vrais problèmes, de convaincre Harry de redevenir humain, et, au passage, de parvenir à maîtriser l'Occlumencie et de chercher un moyen de révolutionner l'histoire de la magie noire en détruisant un horcruxe sans détruire son vaisseau – et ce sans se faire prendre par aucun adulte, particulièrement Snape qui n'aurait aucun scrupule à lui effacer la mémoire pour protéger ce secret.

Alors, oui, elle pensait que hurler ses préoccupations à un Cognard, en l'envoyant symboliquement valser, était stupide.

Et ne dut pas être aussi discrète qu'elle le pensait avec ses opinions parce que, lorsque McGonagall libéra les autres, elle lui demanda de rester avec elle pour l'aider à ranger.

« Je ne suis pas certaine que ce soit la meilleure approche pour vous, Miss Granger. » attaqua sa Directrice de Maison, tout de go. « Peut-être la prochaine fois pourriez-vous rejoindre Madame Pomfresh ? Ou peut-être plutôt le Professeur Slughorn. Je crois qu'il avait prévu de préparer des potions d'allégresse avec son groupe… » Elle baissa la voix jusqu'au marmonnement, disparaissant à moitié dans le placard où étaient conservés les balles d'entrainement. Hermione supposa qu'elle n'était pas censée entre cette partie là. « On ne peut qu'espérer qu'il leur a également demandé de parler au lieu de le leur faire boire et de considérer la chose réglée mais Circée sait que je ne me fais pas trop d'illusions. »

La jeune fille s'appliqua à faire disparaître son sourire avant que la sous-directrice n'émerge du placard. Toute envie de sourire la quitta, de toute manière, lorsque la sorcière lui jeta un regard un peu trop scrutateur.

« Vous portez trop de choses sur vos épaules, Hermione. » déclara le Professeur de Métamorphose. « Vous ne pensez pas avoir besoin de vous confier et je ne vous y forcerai pas mais… Faites attention. Lorsque le chaudron est trop plein, il déborde. »

Sur ces paroles pleines de sagesse et avec un regard appuyé, McGonagall s'éloigna en direction de Madame Bibine qui terminait de rassembler les balais de l'école.

Hermione quitta le stade de Quidditch en ressassant ces mots qu'elle savait vrais mais qu'elle persistait à penser ne pas s'appliquer à elle. Elle avait moins de problèmes personnels que les autres.

Oui, la mort de Daphné – et celle de Blaise – l'avait touchée au cœur mais ils avaient tous perdu des gens. C'était la guerre. C'était comme ça. C'était la raison précise pour laquelle elle avait choisi d'envoyer sa famille au loin et d'effacer jusqu'à son existence de leurs souvenirs.

Elle croisa Ron qui revenait du lac en chemin, les mains dans les poches et l'air préoccupé.

« Tout va bien ? » hésita-t-elle. « Ça s'est bien passé ? »

Il haussa les épaules. « Et toi ? »

« McGonagall nous a fait taper dans des Cognards pendant une heure. » soupira-t-elle. « J'ai mal aux bras et j'ai l'impression d'avoir perdu mon temps. »

Le visage de son meilleur ami s'éclaira, sa bouche s'étirant avec amusement. « On devrait peut-être échanger alors parce que Laura nous a fait parler pendant une heure. »

Ça semblait toujours plus productif que de frapper des balles déterminées à vous arracher la tête.

Avec un autre soupir, elle se cala sur son allure et ils prirent l'allée qui remontait vers le château, tentant d'ignorer le fait que le parc semblait pris d'assaut par des enfants trop jeunes pour être à Poudlard et des parents aux airs harassés qui paraissaient désespérés de les voir s'épuiser à courir.

Elle avait du mal à s'habituer à la nouvelle population du château.

Il y avait trop de monde.

Même la bibliothèque n'échappait pas à la foule et n'était plus aussi calme qu'elle l'aurait souhaité, malgré toutes les tentatives de Pince pour faire régner l'ordre.

On se marchait dessus.

Dans les couloirs, dans le parc, dans la Grande Salle, chez les Weasley…

On se marchait dessus.

Soudain, alors qu'elle se demandait si Kreattur avait bien transmis son message à Sirius, elle vit quelque chose filer à toute vitesse entre deux arbres, à la périphérie de son champ de vision. Elle se tourna par réflexe, baguette au poing, mais le temps qu'elle bouge, l'animal – vu la taille, ça devait être un animal – avait disparu.

« Tu as… » commença-t-elle, mais Ron la coupa, attrapant son bras avec excitation pour l'entrainer dans la direction qu'avait pris la chose.

« C'était un tigre ! » s'exclama-t-il, en guise d'explication.

Sans plus tergiverser, elle courut après lui.

Le problème, c'était que les tigres étaient très rapides et qu'elle ne l'était pas du tout. Ron ne tarda pas à la laisser dans son sillage et il lui fallut plusieurs minutes pour finalement le rejoindre, le cœur au bord de l'explosion, en sueur et les jambes en coton. Il s'était arrêté au pied d'un grand chêne et avait les mains sur les cuisses, visiblement lui aussi à bout de forces.

« Tu l'as perdu ? » haleta-t-elle.

Il secoua la tête, pointant un doigt vers le haut, les yeux brillants. « Il a grimpé à l'arbre ! Tu l'aurais vu, c'était génial ! » Il leva la tête, s'approchant du tronc pour mieux voir à travers la végétation. « Tu dois absolument m'apprendre à devenir un Animagus ! Je n'arrive pas à croire que tu m'as caché ça ! Sérieusement, mon pote, si tu avais l'air moins cool, je serais fâché ! »

« Ne plaisante pas avec ça. » grommela Hermione. « C'est très dangereux de s'essayer à ce genre de magie sans supervision. » Elle s'approcha elle aussi, fouillant les épaisses branches touffues du regard pour trouver son meilleur ami. « Harry ? Harry, tu peux descendre, s'il te plait ? »

« Là ! » le repéra Ron, en pointant à nouveau du doigt.

Et, effectivement, sur une des branches les plus élevées, cachées par le feuillage, des tâches rousses étaient visibles. Une queue battait avec irritation.

« Harry ! » appela encore Hermione.

Cette fois-ci un grondement sourd leur répondit.

Ça aurait pu être effrayant si elle n'avait pas su que le fauve était Harry et, par conséquence, inoffensif.

« Harry ! » répéta-t-elle, avec un peu plus d'autorité. « Descends de là, tout de suite. »

« Ce n'est pas un chien, Hermione. » la gronda Ron, en observant l'arbre d'un air pensif.

Puis il recula de quelques pas.

Elle ne comprit ce qu'il avait en tête que lorsqu'il s'élança sans prévenir, refermant les mains sur une des branches les plus basses et utilisant son élan pour se hisser en l'air.

Elle poussa un cri alarmé. « Ron ! »

« Ça va, j'ai l'habitude ! » répondit son ami. « Je faisais ça tout le temps avec les jumeaux, avant ! »

« Fais attention ! » insista-t-elle tout de même. « Oh, Harry ! Descends, s'il te plait ! On veut juste parler ! Tu ne veux pas… Tu ne veux pas descendre et redevenir humain ? »

En quelques minutes, Ron était parvenu grimper quasiment à la hauteur du tigre. Il se percha sur une grosse branche, testa ses appuis, puis écarta finalement les feuilles qui dissimulaient Harry à leur vue.

« Salut. » lâcha-t-il.

À nouveau, Harry gronda.

Hermione n'aimait pas du tout savoir ses amis dans une situation aussi précaire et sortit sa baguette, prête à tenter de les rattraper si jamais ils tombaient.

« Sirius nous a raconté pour les Dursley. » continua Ron, sans sembler s'apercevoir que la queue du tigre se balançait avec encore plus d'agacement qu'auparavant. « Je dirais bien désolé pour ton oncle mais on sait tous les deux que c'était un gros connard. »

Hermione grimaça. « Ron. »

Ni l'un, ni l'autre n'était prêt au rugissement.

Une nuée d'oiseaux, dont quelques hiboux, s'envolèrent des arbres voisins.

Surpris et alarmé, Ron sursauta, manqua perdre l'équilibre mais parvint à se rétablir, uniquement pour se figer lorsqu'il se retrouva face à face avec une très grosse tête.

D'en bas, Hermione ne pouvait rien faire.

Elle n'était pas experte en tigres mais Harry avait l'air très, très contrarié.

« Ce n'est pas ce qu'il voulait dire ! » s'empressa-t-elle de corriger. « Tu connais Ron, il a le tact d'un hippogriffe ! »

« Oh, ça va… » grinça Ron. « Je suis désolé qu'il soit mort mais on ne va pas prétendre que c'était quelqu'un de bien, quand même ! Franchement, c'est même un peu bien fait que.. Hey ! »

Ron eut à peine le temps de s'aplatir sur sa branche.

Hermione hurla.

Harry, sans sembler se soucier du fait qu'il était des mètres dans les airs, bondit par-dessus leur meilleur ami, atterrit sur un autre arbre. Son arrière train dérapa mais il se rattrapa avec une grâce toute féline et disparut d'arbre en arbre, avant de sauter au sol un peu plus loin, déclenchant des hurlements – ravis ou terrorisés – de la part des enfants et des gens dans le parc. Il disparut vers le château à la vitesse de l'éclair.

La jeune fille mit les mains sur les hanches et leva la tête pour fusiller Ron du regard. « Bien joué, Ronald ! »

Le Gryffondor, un peu tremblant et beaucoup trop pâle, déglutit avec difficultés.

« Tu m'aides à descendre ? »

Elle leva les yeux au ciel.

°O°O°O°O°

Minerva rejoignit la salle de réunion, en se massant le front, souhaitant qu'il soit possible de jeter un Arresto Momentum sur le domaine entier. Elle aurait pu tuer pour une demi-heure sans urgences, drames ou mélange des deux.

La pièce était pleine des adultes qui s'étaient portés volontaires pour le projet organisé par Narcissa Malfoy, Andromeda Tonks et Molly Weasley. Elle avait jugé leur idée excellente, ayant elle-même eu la sensation qu'ils n'en faisaient pas assez pour les élèves, même si elle n'avait pas été certaine de la bonne méthode à employer.

« Tout va bien, Minerva ? » s'enquit Remus, en lui tendant immédiatement une tasse de thé préparée à la perfection.

Elle la prit avec un soupir reconnaissant. « Mis à part le fait qu'un fauve est apparemment en liberté dans le parc ? »

Alarmé, le loup-garou fronça les sourcils, sautant immédiatement à la pire conclusion.

« Sirius a trouvé intelligent de forcer Harry à rejoindre mon groupe. » intervint Ted Tonks, avec une pointe de colère, ce qui était rare chez lui. « Il s'est enfui à la fin. Je l'ai cherché mais un tigre, c'est rapide. »

« Il n'est pas censé être seul. » gronda Andromeda. « À quoi pensait Sirius ? »

Sirius, si Minerva avait dû avancer une hypothèse, pensait certainement qu'après trois jours sans progrès aucun, il était temps d'employer des méthodes un peu plus corsées. Elle n'était pas loin d'être d'accord.

Elle n'avait jamais vu un Animagus résister au sortilège visant à le retransformer de force, certainement pas aussi jeune ou aussi tôt après une première transformation. Elle se serait inquiétée qu'il soit coincé sous sa forme animale si elle ne s'était pas assurée qu'il la comprenait et que c'était ce qu'il voulait.

Et lui arracher ce hochement de tête lui avait déjà pris plus d'une heure.

Potter était sérieusement déprimé. Aucun d'eux ne prenait ça à la légère, pas même Albus qui semblait enfin avoir pris conscience d'avoir beaucoup trop poussé le garçon.

Tuer quelqu'un n'était jamais anodin.

Et Potter avait, malgré tout ce qu'il avait vécu, le cœur tendre.

« Kreattur garde un œil sur lui en permanence. » commenta Narcissa, avant que les autres aient eu le temps de paniquer. « Il est en sécurité, même seul. »

Minerva devait admettre que l'elfe dérangé de Sirius semblait avoir beaucoup d'affection pour son lion.

« Il n'est peut-être pas un danger pour lui-même mais il terrifie le château. » soupira-t-elle. « Enfin… Je suppose que cela ne peut pas lui faire de mal de prendre un peu l'air. » Elle avisa les regards curieux des autres Professeurs et des quelques volontaires qui n'étaient pas affiliés à l'Ordre ou à Harry d'une quelconque matière et se racla la gorge. « Voulez-vous faire un point de vos séances ? »

Remus plaça une main sur son bras avant qu'elle ait pu aller plus loin et baissa la voix pour ne pas attirer l'attention. « Je vais aller faire le tour du parc. Je peux peut-être le dénicher plus facilement que quelqu'un d'autre. Je n'ai pas encore eu l'occasion de lui parler depuis Privet Drive, de toute manière… »

Elle accepta d'un hochement de tête reconnaissant. Elle n'empêcha pas non plus Hagrid de sortir lorsqu'il lui fit la même requête.

Quant au reste, elle s'efforça de mener la réunion de front, sans laisser son inquiétude pour Potter ou Severus empiéter sur son travail.

À la fin, lorsque la plupart des gens furent partis et qu'il ne restait plus qu'une poignée d'entre eux, elle s'approcha des deux sorcières qui discutaient avec une cordialité un peu hésitante et guindée, comme si elles n'étaient pas certaines de comment interagir sans hostilité.

« Mesdames, vous avez eu une excellente idée. » les félicita-t-elle, sans s'attarder davantage.

Narcissa Malfoy et Molly Weasley…

Voilà un duo qu'elle n'avait pas vu venir.

°O°O°O°O°

Le groupe d'Aurors qui passa les grilles de Poudlard avait triste allure : sales, empestant la fumée, les robes bleues déchirées…

Mais au moins, songea Nymphadora, en fermant la marche, ils étaient tous revenus et relativement indemne.

C'était plus que ce qu'elle pouvait en dire pour le petit village Moldu qui s'était retrouvé envahi d'Inféris. La population était principalement âgée et cela n'avait pas contribué à augmenter leurs chances de survie. Ils avaient sauvé autant de gens qu'ils avaient pu, brûlant tous les Inféris et tous les corps qu'ils avaient trouvés sur leur passage.

Il n'y avait pas eu de Mangemorts, ce coup-ci, pas de besoin de battre en retraite. Les Inféris étaient dangereux et n'étaient pas plaisants à combattre mais, au moins, ils savaient et pouvaient le faire. Ils avaient sécurisé le village et jeté des Oubliettes aux survivants…

Compte-tenu des nombreuses batailles perdues, ces derniers jours, celle-ci ressemblait presque à une victoire.

Ses Aurors étaient beaucoup plus réjouis qu'ils ne l'avaient été en partant, au moins.

Elle s'arrêta pour fouiller ses poches à la recherche de son paquet de cigarettes bien entamé, faisant signe à ses troupes de continuer à avancer lorsqu'ils firent mine de l'attendre. Elle venait de mettre la main dessus lorsqu'elle releva brusquement la tête, certaine qu'on l'observait.

Et, sans surprise, elle croisa le regard de Remus qui se tenait appuyé à un arbre, quelques mètres plus loin.

Elle enfonça prestement le paquet dans sa poche et se remit à marcher très vite, renonçant à fumer si cela pouvait lui épargner cette conversation. Elle ne voulait pas l'avoir. Pas lorsqu'elle venait juste de remporter ce qui ressemblait à une victoire, même si elle comptait des victimes.

Mais Remus n'avait jamais été très doué pour comprendre ce qu'elle voulait et encore moins pour le respecter.

« Il faut qu'on parle. » cracha-t-il, en la rattrapant sans grandes difficultés.

« Vraiment pas. » rétorqua-t-elle.

Le château se dressait haut au-dessus d'eux, encore trop éloigné, pourtant, pour qu'elle puisse y trouver refuge.

Et, de toute manière, elle n'eut pas le choix de tenter de rejoindre la bâtisse.

Remus attrapa son bras pour la forcer à s'arrêter. Ce n'était pas sa faute si elle avait un hématome précisément là où il enfonça les doigts mais, au lieu de la lâcher à son sifflement de douleur, il raffermit encore sa prise. Elle tenta de se dégager mais il refusait de la libérer.

« Tu me fais mal ! » finit-elle par s'exclamer, en tirant plus brutalement sur son bras.

Il fallut plusieurs secondes pour que ça l'atteigne et, s'il lui rendit immédiatement sa liberté, ça n'empêcha pas la jeune femme de sortir immédiatement sa baguette pour l'en menacer.

Il ne sembla même pas le remarquer.

Ses yeux ambrés étaient emplis de colère et elle n'était pas certaine qu'il s'agisse uniquement de celle du loup qu'il abritait.

« Tu fais n'importe quoi. » l'accusa Remus.

« Je fais n'importe quoi ? » s'étouffa-t-elle à moitié. « Rappelle-moi qui vient d'agresser l'autre sans raison ? »

Un coup d'œil autour d'elle lui indiqua que le parc n'était plus aussi rempli que lorsqu'elle était partie, plus tôt. Et les quelques personnes qui restaient se dépêchèrent de s'éloigner en sentant venir le grabuge.

Ce n'était pas comme si elle avait besoin d'aide pour lui botter les fesses, le cas échéant. Cependant, elle aurait préféré ne pas se retrouver seule avec lui.

Elle tenta désespérément de ne pas repenser à ces longues minutes passées coincée sous le corps du loup-garou, les crocs enfoncés dans sa gorge juste assez pour qu'elle en sente la menace. Elle tenta désespérément de ne pas se remémorer la terreur qu'elle avait ressentie en se réveillant dans un lit qui n'était pas le sien, criblée par la douleur, dans des vêtements qui n'étaient pas à elle. Elle tenta désespérément de ne pas se rappeler la manière dont elle s'était recroquevillée contre Severus lorsqu'il avait essayé de leur barrer la sortie.

« Privet Drive. » rétorqua-t-il sèchement.

Elle encaissa.

Elle encaissa comme elle encaissait depuis trois jours.

Les murmures, les regards en coin, les gens bien pensants qui disséquaient ses décisions dans son dos…

Elle encaissait.

Elle gardait la tête droite. Elle se servait de l'Occlumencie pour barricader ses émotions. Elle continuait à mettre un pied devant l'autre parce qu'elle n'avait pas le choix.

Agis en soldat.

« Il n'y a rien de plus à dire sur Privet Drive. » riposta-t-elle. « Si tu as un problème, va voir Dumbledore. »

Elle voulut se détourner mais il esquissa un nouveau geste vers son bras et elle dut esquiver. Elle lui fit face avec colère, agacée qu'il se sente toujours obligé de lui rendre la vie difficile.

Était-ce si difficile de se tenir loin d'elle ? De l'éviter ? De se contenter d'échanges distants et polis comme des exs normaux ?

« Il y a beaucoup à en dire. » gronda-t-il, l'animal perceptible dans sa voix. « C'est ta nouvelle politique de laisser mourir les gens parce que c'est plus facile ? »

Le rire amer la prit un peu par surprise. « Plus facile ? »

« Je ne sais pas ce que tu crois faire, dans les pas de qui tu crois marcher, ceux de Snape ou de Scrimgeour, mais l'Ordre du Phoenix ne fonctionne pas comme ça. » continua-t-il avec agressivité, en l'ignorant complètement. « On ne sacrifie pas les plus faibles, les gens sans défense. On… »

« Mais réveille-toi, Remus ! » s'énerva-t-elle. « On n'a plus les moyens de… »

« On trouve les moyens ! » l'interrompit-il, levant lui aussi la voix. « L'Ordre… »

« Je suis Auror ! » hurla-t-elle, suffisamment fort pour effrayer un hibou qui s'envola dans un battement d'ailes précipité. « C'est ce que tu n'as jamais compris ! » Elle se contraignit à baisser le ton. « Je suis une Auror avant d'être un membre de l'Ordre. Je suis un soldat. »

« Et cela justifie de sacrifier des gens sans défense ? » contra-t-il. « Ces Moldus, à Privet Drive, tu aurais aussi bien pu les tuer toi-même. Tu les as laissés mourir. Tu n'as même pas essayé de les sauver. Et tu nous as obligés à faire pareil alors qu'on se serait battu jusqu'au bout pour eux. J'ai leur mort sur ma conscience à cause de toi. »

La mâchoire contractée, elle se replia automatiquement plus loin derrière ses boucliers mentaux mais elle sentait sa prise sur eux faiblir dangereusement. Elle refoulait un torrent d'émotions depuis des jours.

Tu les as laissés mourir.

Ces mots la hantaient.

Ils la hantaient la nuit.

Ils la hantaient le jour.

Elle les portait autour de sa gorge comme une corde de chanvre.

« Va te faire foutre. » cingla-t-elle, mais ça manquait de force. Ce fut tout juste si elle put empêcher sa voix de se briser.

Remus ne s'en émut pas. Il la regardait avec tellement de…

« Je ne sais pas ce que tu es devenue. » accusa-t-il. « La femme que je connais, la femme que j'aime, serait incapable de faire des choses pareilles. D'être si froide. Si calculatrice. »

« Peut-être que tu te rends finalement compte que la femme que tu prétends aimer n'existe pas. » se moqua-t-elle, mais l'hostilité n'y était pas.

« Bien sûr qu'elle existe. » siffla-t-il. « Je l'ai tenue dans mes bras. Je lui ai fait l'amour. Où est cette Dora là, Tonks ? Celle qui pleurait tous nos morts ? Celle qui était terrifiée à l'idée de devoir prendre la vie de quelqu'un ? Celle qui… »

« Elle a grandi. » le coupa-t-elle. « Elle a ouvert les yeux et elle s'est rendue compte qu'on ne gagne pas une guerre avec des bons sentiments. Elle a regardé ses amis mourir autour d'elle et elle s'est dit qu'elle ne voulait pas finir comme eux. Elle a changé, Remus, parce que c'est s'adapter ou mourir. »

« Quitte à se perdre ? » gronda-t-il. « Je ne te reconnais plus. Tu me… »

Il s'interrompit. Peut-être conscient qu'il allait trop loin.

Sans doute se répandrait-il en excuses le lendemain, comme d'habitude, et lui promettrait de ne plus jamais recommencer.

« Je te quoi ? » le provoqua-t-elle, laissant à nouveau échapper un rire qui sonnait atrocement creux. « Je te dégoûte ? Peut-être que c'est toi qui devrait te poser des questions, dans ce cas, parce que, pour quelqu'un que je dégoûte, tu as une manière de me regarder qui… »

Il bougea si vite qu'elle le vit à peine venir.

En une poignée de secondes, il avait envahi son espace.

Elle crut qu'il l'attaquait.

Ce n'est que lorsqu'elle sentit sa main attraper ses cheveux, son souffle rouler sur ses lèvres qu'elle comprit ce qu'il essayait de faire et…

Non.

Ses cheveux rétrécirent immédiatement et lui glissèrent entre les doigts, la laissant libre de pivoter. Elle lui balança un coup de genou qu'elle ne chercha pas à retenir, éprouvant une grande satisfaction au grognement de douleur qu'il poussa.

Les méthodes Moldues avaient parfois du bon.

« C'est toi qui me dégoûte. » jeta-t-elle, le laissant plié en deux.

Elle s'éloigna à grandes enjambées vers le château avant qu'il puisse voir les larmes dans ses yeux, avant qu'il puisse voir qu'elle tremblait.

Elle ne lui donnerait pas cette satisfaction.

Jamais.

Tu les as laissés mourir.

Kingsley l'attendait dans le hall où il discutait avec McGonagall. Les deux lui jetèrent des regards plus qu'alarmés et, supposait-elle, il devait y avoir de quoi. Elle les dépassa sans s'arrêter, levant la main pour leur intimer de ne pas poser de questions ou la suivre.

Elle parvint à atteindre les toilettes des filles les plus proches, aboya sur les deux adolescentes qui y discutaient pour qu'elles dégagent, vérifia que toutes les cabines étaient vides, verrouilla la porte…

Puis elle abandonna la partie perdue d'avance contre ses boucliers mentaux en lambeaux.

Et elle s'écroula au sol dans un sanglot.

°O°O°O°O°

L'Occlumencie ne fonctionnait pas très bien sous sa forme Animagus.

Ou peut-être qu'elle ne fonctionnait pas tout court.

Sa tête était trop pleine de pensées, il ne savait pas quoi faire de toutes les émotions qui l'assaillaient de toute part…

Remord, fureur, culpabilité, terreur, panique, tristesse, regret, colère…

Harry ne savait plus quoi faire de lui-même.

Il savait juste que c'était plus simple de rester un tigre que d'affronter ce raz-de-marée sous forme humaine. Redevenir Harry, c'était faire face à ce qu'il avait fait.

Il avait tué un homme.

Il avait tué MacNair.

Il avait tué quelqu'un avec qui il avait partagé un dortoir, une salle de bain… Quelqu'un avec qui il avait plaisanté… Quelqu'un dont il connaissait l'écriture, le plat préféré… Quelqu'un avec qui il s'était brossé les dents…

Ce n'était pas le même MacNair mais est-ce que cela comptait ?

Est-ce que cela comptait lorsqu'il lui avait littéralement arraché la gorge ?

Il n'arrêtait pas d'y penser.

À ce moment précis.

Il avait agi par instinct.

Il était devenu un tigre et le tigre avait sauté par-dessus tante Pétunia et…

Le sang dans sa bouche.

Avaler avait été un réflexe qu'il avait regretté dans la seconde.

Rien que d'y penser, il voulait vomir.

Ils pouvaient lui dire qu'il n'était pas responsable autant de fois qu'ils le voulaient, c'était un mensonge. Il l'était. Il l'avait fait. Il…

Ils ne comprenaient pas.

Il était lâche, il le savait, de fuir ce qu'il ne voulait pas affronter.

Il était lâche.

Mais il ne trouvait plus de courage en lui.

Il était vidé.

Épuisé.

Il voulait juste que tout ça s'arrête.

Le tigre se glissa silencieusement d'arbre en arbre, avec davantage d'aisance de minute en minute.

Il avait été furieux que Sirius l'arrache à Severus mais, d'un côté, c'était bon de se dégourdir les pattes. Courir, sous forme de tigre, lui avait fait du bien. Tout était si… Sa vue était bien meilleure, son ouïe était si fine… Et son endurance… Son équilibre…

Il aimait ce corps-ci.

Il aimait aussi sauter de branche en branche, si haut qu'il avait l'impression de voler.

Il voulait juste qu'on le laisse tranquille.

Il n'était pas capable de parler avec Ginny, de prétendre qu'il était le même Harry ou… Et Ron et Hermione…

Ce qu'avait dit Ron sur Vernon l'avait mis en rage.

Parce que c'était sa faute si son oncle était mort. Et il n'arrivait pas à être aussi triste qu'il l'aurait dû, qu'il aurait été approprié de l'être pour quelqu'un qui avait contribué à l'élever, avec ou sans affection.

Il ne savait pas où étaient Pétunia et Dudley. Ils n'en parlaient pas devant lui. Et il n'avait pas le courage de redevenir humain pour le demander. Sous forme de tigre, il aurait probablement pu les traquer… Mais… Comment aurait-il pu leur faire face, de toute manière ? S'ils l'avaient détesté avant, alors, à présent…

Des éclats de voix attirèrent son attention, trop lointains pour qu'il distingue les mots, suffisamment proches pour qu'il reconnaisse la voix de Tonks – et y perçoive de la détresse.

Il sauta de l'arbre et se reçut souplement dans l'herbe. Il fonça, se glissant de buisson en buisson, se fondant dans la végétation telle une ombre furtive. Lorsqu'il identifia son interlocuteur comme étant Remus, il remonta instinctivement dans un des arbres, songeant qu'il s'agissait peut-être de quelque chose qui concernait l'Ordre et qu'il n'était pas censé entendre ou…

Non…

Ils se disputaient.

Un hibou s'enfuit, d'un coup, que ce soit à cause de lui ou parce que Tonks s'était mise à hurler comme il ne l'avait jamais vue hurler.

« C'est ce que tu n'as jamais compris ! Je suis une Auror avant d'être un membre de l'Ordre. Je suis un soldat. »

Si Harry avait été humain, il aurait froncé les sourcils.

En l'état, il se contenta d'incliner légèrement la tête, se tapissant davantage sur sa branche pour mieux les observer sans être vu.

La conversation était trop personnelle et elle le mettait un peu mal à l'aise. Il serait parti si Remus n'avait pas été aussi agressif, si Dora n'avait pas eu l'air à deux doigts de craquer.

Elle le cachait bien mais il l'avait entendue pleurer, la nuit, lorsqu'elle pensait qu'il dormait. Il savait qu'elle n'allait pas bien. Il savait qu'elle souffrait des décisions qu'elle avait dû prendre. Il savait qu'elle n'était ni froide, ni calculatrice et que Remus n'avait aucune idée de ce dont il était en train de parler.

Le comportement du loup l'inquiétait. Son agressivité, son langage corporel… L'instinct du tigre, en lui, reconnaissait le prédateur sur le point de passer à l'acte. Harry se souvenait trop bien de la manière dont il s'en était pris à lui juste parce qu'il était en colère après Severus…

Lorsque Remus bougea brusquement, Harry se tendit, prêt à aider Dora si jamais elle n'arrivait pas à le repousser.

Sur le coup, il crut que son ancien professeur l'attaquait.

Ce ne fut qu'avec un temps de retard qu'il comprit qu'il avait essayé de l'embrasser.

Ce qui était pire.

Cent fois pire.

Il resta figé de choc, d'horreur.

Remus savait que Dora était avec Severus et, au-delà de ça, il était évident qu'elle ne voulait rien de lui. Elle n'aurait pas pu être plus claire.

Le temps qu'il se ressaisisse, Dora avait esquivé ses avances et l'avait laissé plié en deux, à se tenir l'entrejambe.

Bien fait.

Elle partit vite, sans se retourner. Parce qu'il était en hauteur et qu'il la suivit du regard, il vit la manière dont ses mains tremblaient avant qu'elle ne les fasse disparaître dans ses poches.

Et cela ralluma la fureur qui n'était jamais loin.

Sous sa forme Animagus, l'horcruxe n'était d'ordinaire qu'un lointain écho, ce qui était peut-être aussi la raison pour laquelle il refusait de l'abandonner.

Mais il le sentait bel et bien, à ce moment là.

Parce que l'idée que qui que ce soit puisse tenter de faire du mal à Tonks le mettait dans un état de rage qui ravivait sa noirceur.

Cela n'aida pas que, une fois qu'il eut repris sa respiration, Remus fasse un pas en avant comme pour la rattraper.

Harry sauta avant même d'avoir pris la décision de le faire.

Il tomba sur le loup-garou, griffes à moitié dehors.

L'odeur du sang envahit ses narines, le ramenant à Privet Drive. L'espace d'une seconde, il ne savait plus où il était, à qui il faisait face, et l'instinct du chasseur, prédominant, lui ordonnait d'attaquer.

Il se retrouva devant un Remus qui peinait à se remettre debout, sa baguette sortie, sa main libre tentant de jauger la gravité des griffures dans son dos… Elles n'étaient pas bien graves. Harry n'avait pas cherché à le blesser sérieusement. Mais les plaies superficielles devaient tout de même lui faire un peu mal.

Justice.

Le grondement sourd qui s'échappa de sa gorge ramena sur lui la pleine attention du loup-garou.

Sous cette forme, il n'y avait aucun moyen de nier la véritable nature du sorcier qui lui faisait face.

Remus sentait la forêt, la lune et le vent froid.

« Harry. » lâcha-t-il, sans sembler savoir s'il devait se mettre en colère ou avoir l'air gêné. « Je te cherchais, justement. »

Le grondement enfla encore.

Le loup leva les mains mais ne rangea pas sa baguette et les yeux verts restèrent braqués sur elle. Il était prêt à esquiver un sort.

Il était prêt à expliquer par la force des crocs à Remus pourquoi c'était une très mauvaise idée de tenter de s'en prendre à la femme de son père.

Une femme qui l'appelait mon chat et qui n'avait pas bronché quant un Médicomage l'avait confondu, lui, avec son fils.

Il ne savait pas exactement quelle place Dora occupait dans sa vie parce que cela semblait un peu compliqué à définir mais il était plus qu'évident que leur relation avait changé dernièrement. Il était plus qu'évident aussi qu'elle faisait maintenant partie de sa famille.

Or, sa famille, c'était bien la seule chose pour laquelle il aurait tué.

Pour laquelle il avait tué.

Il ne voulait pas aller jusque là avec Remus.

Mais il n'aurait pas beaucoup de scrupules à le blesser si le loup essayait de s'approcher d'elle, à nouveau.

« Je ne sais pas ce que tu as vu ou entendu mais ce n'est pas ce que tu crois. » se défendit-il. « Et il faut que je lui parle, alors… »

Lui parler ?

L'homme fit quelques pas en avant, comme s'il ne mesurait pas à quel point Harry était sérieux. Dangereux.

Le tigre se ramassa un peu, prêt à bondir, lui bloquant le passage de toute sa masse.

Le regard de son ancien Professeur se durcit, sa voix enflant d'une autorité qu'une part de l'Animagus comprenait. « Harry, ça suffit. Je suis toujours ton Alpha. »

Il la comprenait. Ça ne voulait pas dire qu'il la respectait.

Remus n'était certainement pas son Alpha.

De une, parce qu'il n'avait pas d'Alpha.

De deux, parce que le loup-garou avait essayé de poser ses sales pattes là où elles n'avaient rien à y faire.

De trois, parce qu'il aimait Tonks et que le loup s'échinait à lui rendre la vie compliquée.

Non…

Il n'éprouvait aucune loyauté envers Remus.

Il montra les crocs, le laissant admirer la pleine puissance de son nouveau corps, le laissant juger de ses chances par lui-même.

Tigre contre loup-garou.

L'issue n'était pas si certaine.

C'était très dur à tuer, un tigre.

« Harry. »

L'avertissement était clair et net dans la voix du sorcier.

Il n'appréciait pas de se voir défier comme ça.

Mais Harry n'allait pas céder parce qu'Harry n'avait rien à perdre.

Quel était le pire qui pouvait arriver ? Remus perdait le contrôle de son loup et le tuait ?

Ça n'était pas une perspective si angoissante que ça…

Remus leva sa baguette une fraction.

Peut-être pas pour l'attaquer.

Peut-être pour…

Kreattur apparut soudain entre eux, l'air agressif des mauvais jours.

« L'hybride en a assez fait pour aujourd'hui. » gronda l'elfe, sans s'émouvoir du fauve prêt à attaquer dans son dos ou du coup qu'il s'auto-porta au visage. « L'hybride va partir et se tenir très loin de Maître Harry et Maîtresse Nymphadora. »

En d'autres temps, Harry se serait irrité des insultes racistes de Kreattur. Là, il se contenta de gronder avec approbation.

Remus parut hésiter à s'en prendre à Kreattur, croisa à nouveau le regard d'Harry, puis rangea sa baguette dans un soupir.

« Je ne vais pas me battre avec un elfe ou un enfant. » cracha-t-il, avant de partir dans la direction opposée au château.

Il pouvait sauver la face autant qu'il le voulait, Harry savait pourquoi il était parti. Ils le savaient tous les deux.

Son tigre aurait eu le dessus sur son loup, surtout en l'absence de pleine lune.

Alpha de pacotille.

« Nous devrions le dire à Maître Sirius. » décréta Kreattur, une fois qu'il eut disparu. « L'hybride ne devrait pas poser ses sales pattes sur Maîtresse. »

Harry hésita puis refusa d'une secousse de tête.

Si Dora voulait en parler à Sirius, c'était une chose, mais ce n'était pas à eux de le faire.

Si ?

Mais… Et Severus ? Devait-il le cacher à Severus ? En admettant que Severus se réveille un jour. En admettant que…

Kreattur soupira, résigné. « Très bien mais Kreattur n'aime pas ça. »

Harry n'aimait pas ça non plus.

Mais quel autre choix avait-il ?

Et puis… En parler à quelqu'un impliquait de redevenir humain et ça…

°O°O°O°O°

Tonks s'agrippa au rebord d'un lavabo pour se hisser sur ses pieds. Elle tremblait comme une feuille, son souffle était rauque et irrégulier… Un coup d'œil au miroir et elle renonça à se recomposer une apparence correcte.

Elle s'en foutait.

Elle s'en foutait.

Elle essuya ses joues baignées de larmes d'un revers de manche, se força à affronter son reflet…

Elle avait mémorisé la liste des noms des victimes de Privet Drive. Elle pouvait les réciter par cœur. Elle pouvait…

Remus était un connard.

Un connard.

Incapable de soutenir son propre regard plus longtemps, elle enfouit son visage dans ses mains.

Peut-être qu'elle aurait dû accepter l'offre de Kingsley d'en discuter. Peut-être que…

Mais elle était si fatiguée.

Elle avait l'impression de porter Poudlard sur ses épaules. Elle avait l'impression de…

Et ce connard avait essayé de l'embrasser.

Un frisson lui parcourut l'échine et elle se força à inspirer et expirer lentement, espérant calmer les battements anarchiques de son cœur.

Elle n'en pouvait plus.

Elle n'en pouvait plus.

Les jambes toujours flageolantes, elle quitta le refuge des toilettes des filles et prit un chemin détourné jusqu'à l'infirmerie pour éviter Kingsley et McGonagall qui devaient la chercher – ou pire, Remus.

Elle ne savait pas ce qu'elle allait faire lorsqu'elle sortit des toilettes.

Elle savait juste qu'elle devait faire quelque chose.

Elle ne pouvait plus vivre comme ça.

Elle ne pouvait plus.

Le plan se forma dans son esprit quelque part au deuxième étage.

Lorsqu'elle arriva finalement au sixième, elle était déterminée.

C'était peut-être la pire idée qu'elle avait jamais eue, c'était impulsif et stupide et dangereux.

Ça ne l'empêcha pas de se glisser dans la chambre de Severus, soulagée de n'y trouver ni Sirius, ni Harry, et d'approcher du lit.

Elle n'en pouvait plus, non plus, de le voir comme ça.

Elle glissa la main sur sa joue toujours un peu trop froide dernièrement, pressa ses lèvres contre les siennes, juste parce que Remus avait voulu lui voler quelque chose qu'elle ne destinait plus qu'à lui, puis murmura le sort qu'elle avait entendu Dumbledore prononcer des dizaines de fois pour lui ouvrir les yeux.

Cela faisait plus d'une semaine que le Directeur essayait tous les matins.

Plus d'une semaine qu'ils vivaient dans cette incertitude constante.

« C'est une connerie. » avertit-elle Severus, dans un murmure. « Mais, merde, s'il faut que je vienne te chercher moi-même… Je t'ai promis de ne jamais t'abandonner mais il faut que tu y mettes du tiens. Toi non plus tu ne dois pas m'abandonner. J'ai besoin de toi. Je suis à bout, Severus. J'ai donné tout ce que j'avais. J'ai besoin de toi. »

Elle n'avait jamais fait ça, n'avait aucune idée d'à quoi s'attendre et aucune notion de ce qu'elle était censé faire à part prononcer la formule.

Ça pouvait potentiellement très mal finir.

Ses yeux noirs étaient vides, perdus…

Elle sentit sa gorge se serrer mais elle empoigna tout de même sa baguette et prit une profonde inspiration. « Legilimens. »

Elle fut aspirée dans sa tête ou, du moins, ce fut l'effet que cela lui fit. Elle n'avait aucune idée d'où elle était, de comment trouver le coffre ou l'ouvrir… Mais, contrairement à Dumbledore ou à Harry, elle n'avait aucune intention de seulement le chercher.

Elle n'en avait pas les capacités.

Ce qu'elle avait, en revanche, c'était de l'amour à en crever.

Elle projeta tout ce qu'elle ressentait pour lui, se concentra sur tous les petits moments qui auraient pu paraître insignifiants, sur ceux qui avaient été charnières… Elle le déversa dans son esprit avec autant de force que possible. Toute l'énergie qui lui restait, elle s'en servit pour renforcer sa magie, pour la façonner comme une vague brute et projeta ces deux mots en boucle : reviens-moi.

Reviens-moi. Reviens-moi. Reviens-moi.

Une fois qu'elle eut commencé, elle fut incapable de s'arrêter.

Toutes ses angoisses, sa culpabilité, son horreur, sa terreur, sa solitude…

C'était comme hurler du haut de la Tour d'Astronomie.

Étrangement libérateur.

Harry et Dumbledore avaient dit qu'ils avaient été assaillis de souvenirs dès qu'ils étaient entrés dans son esprit mais elle n'en vit aucun. Elle ne vit rien.

Elle hurlait.

Si tant est qu'on puisse hurler sur un plan psychique.

Et, l'espace d'un instant…

L'espace d'un instant, tout se figea.

Elle eut l'impression que quelque chose se refermait sur elle, l'embrassait, pas des souvenirs mais Severus, qu'elle était en sécurité, que…

Elle réintégra son corps avec un petit cri de douleur, une migraine lancinante lui vrillant les tempes.

Elle observa Severus avec espoir, attendant…

Ses paupières se refermèrent et il expira plus fort qu'il ne l'avait jamais fait jusque là avec Harry ou Dumbledore.

Soudain terrifiée d'avoir empiré les choses, elle plaça la main sur son cœur juste pour s'assurer qu'il battait encore.

Severus respirait.

Mais il n'ouvrit pas les yeux.

Il n'y avait aucun changement.

Tout ça et…

Elle se laissa tomber au sol, ramena ses jambes contre sa poitrine et pressa le visage contre ses genoux.

Elle n'en pouvait plus.

À quoi bon se battre, à quoi bon faire des sacrifices affreux, s'il n'y avait aucune lumière au bout du tunnel ? Peut-être que Remus avait raison, au fond. Peut-être qu'à force d'abandonner leurs principes, leurs grands idéaux, pour la survie pure et simple… Peut-être qu'ils ne méritaient plus rien. Peut-être que…

Elle entendit la porte s'ouvrir et sentit Harry se rapprocher plus qu'elle ne l'entendit.

Le tigre se déplaçait si souplement qu'il était quasiment silencieux.

Et Harry, qui était déjà si déprimé, n'avait pas besoin de subir ses états d'âme.

Sa tête lui faisait trop mal pour qu'elle tente seulement d'occluder mais ses pouvoirs de Métamorphomage étaient utiles pour autre chose. Elle prit soin d'effacer cernes et traces de larmes de son visage avant de relever la tête et de forcer un sourire un peu tremblant.

« Comment ça va, mon chat ? » demanda-t-elle, essayant d'adopter un ton un minimum jovial.

Ce fut un échec, bien entendu.

Son cœur était en miettes.

Et, vu le coup de tête qui se voulait probablement réconfortant qu'Harry lui asséna, il n'était pas dupe. Le tigre refusait de s'écarter alors elle passa les bras autour de lui avec un soupir – et grimaça lorsqu'il se laissa aller à moitié sur elle.

Il paraissait oublier régulièrement qu'il pesait plus que son poids habituel.

Il avait calé la tête dans son cou et elle faisait de son mieux pour ne pas penser aux crocs qui étaient tout aussi impressionnants que ceux de Lunard et beaucoup trop près de sa gorge… Elle posa la joue contre le haut de sa tête et ferma les yeux, résistant à l'envie de se remettre à pleurer.

Pas devant Harry.

Elle dut s'assoupir parce qu'elle se redressa brutalement en entendant des bruits de pas pourtant discrets. Harry n'avait pas bougé, demeurait relativement détendu… Elle ne fut pas tout à fait surprise de voir sa mère s'accroupir à côté d'eux et tendre la main pour gratter l'encolure du tigre.

« Toujours pas décidé à redevenir humain, je vois. » plaisanta Andy, avec un soupçon d'inquiétude. Son regard quitta Harry pour croiser le sien. « Tu n'es pas passée à l'infirmerie depuis des jours. Tu ne me feras pas croire que tu pars te battre trois fois par jour et que tu n'as pas une seule égratignure à soigner. »

Nymphadora soupira. « Je vais bien. »

Sa mère ne fit même pas mine de faire passer son bruit moqueur pour autre chose que ça.

« Harry se laisse soigner au moins. » remarqua sa mère, en jetant un sort de diagnostic sur le tigre qui la laissa obligeamment examiner sa patte avant, parfaitement guérie à présent. « Tu devrais suivre son exemple. »

« Crois-moi, si j'avais une forme Animagus, je me ferais un plaisir de m'en servir pour qu'on me laisse tranquille. » répliqua-t-elle. Harry émit un grondement vaguement désapprobateur. Elle leva un sourcil. « Oh, et pourquoi est-ce que tu refuses de reprendre forme humaine si ce n'est pas pour éviter les conversations difficiles ? »

Elle prit garde de ne pas prendre de ton accusateur ou irrité.

C'était la dernière chose dont il avait besoin.

Le tigre la regarda, visiblement offensé, et, une fois qu'Andromeda lui eut rendu sa patte, se ramassa sur lui-même et, d'un bon parfaitement calculé, sauta par-dessus le lit de Severus pour atterrir sur le lit d'appoint, à l'autre bout de la pièce. Il avait l'air si fier de lui…

Du moins jusqu'à ce que le lit, qui n'était que le fruit d'une métamorphose hâtive, ne craque de manière alarmante… Il n'eut pas le temps de sauter à nouveau avant qu'il ne casse et il se retrouva au milieu des débris, visiblement choqué qu'une chose pareille ait pu arriver.

« On te le dit pourtant que tu es lourd. » ne put-elle s'empêcher de le taquiner.

Andromeda, plus magnanime, répara le lit d'un coup de baguette.

« Pas assez lourd pour un animal de sa corpulence. » décréta la Médicomage. « Je me suis documenté. Et j'ai ordonné à Kreattur de ramener davantage de poissons demain matin. »

Le tigre ouvrit la bouche, langue dehors, exprimant clairement son écœurement.

Il en fallait plus pour impressionner Andromeda Black. « Eh bien, si tu n'aimes pas le poisson non plus, tu es libre de redevenir humain et je me ferais un plaisir de te cuisiner moi-même ce que tu veux. Mon petit doigt m'a dit que tu aimais la tarte à la mélasse… »

Le tigre poussa un soupir mélancolique, probablement à l'idée du dessert, mais ne se transforma pas pour autant. Il se roula en boule et leur tourna le dos, sa tolérance pour les interactions sociales apparemment atteinte pour la journée.

C'était déjà bien, se dit-elle, c'était du progrès. C'était mieux que de le voir prostré dans un coin.

Pendant que sa mère se tournait vers Severus pour les habituels sorts de diagnostic du soir, Nymphadora se frotta le visage et se força à se relever parce que, sans Harry, elle n'avait plus d'excuses pour être assise par terre.

« Tu as des potions antidouleur sur toi ? » se résigna-t-elle à demander. « J'ai mal à la tête. »

La Médicomage ne répondit pas. Elle ne semblait même pas l'avoir entendue.

Elle fronçait les sourcils.

L'Auror se figea en l'observant jeter le même sortilège pour la troisième fois.

« Maman ? » demanda-t-elle, la voix étranglée, le cœur au bord des lèvres.

Ça attira l'attention d'Harry qui se rassit dans leur direction, la queue battant l'air avec inquiétude.

« Maman ? » insista-t-elle, après quelques secondes.

Andromeda leva les yeux vers elle. « Il faut que je parle à Poppy. »

« Qu'est-ce qu'il se passe ? » s'inquiéta-t-elle.

Spontanément, elle attrapa la main de Severus et la serra.

Et elle manqua avoir une crise cardiaque lorsqu'elle sentit la pression lui être rendue.

Immédiatement, son regard alla vers son visage mais ses yeux étaient toujours clos, sa respiration était toujours régulière…

Elle n'osait pas y croire.

Elle ne se faisait pas confiance.

« Maman ? »

« Poppy. » répondit sa mère, en quittant la pièce d'un pas vif.

Le tigre émit un bruit de détresse auquel Nymphadora ne savait comment répondre. Elle fit la seule chose qu'elle pouvait pour lui : elle agrandit le lit et le laissa se coucher près de Severus. Elle s'assit, elle-même, au bord du matelas sans lâcher sa main.

Elle refusait de lâcher sa main.

Mais elle avait beau serrer, ses doigts restaient mous.

Andromeda revint après quelques minutes avec Pomfresh, Dumbledore et Sirius, ce qui était soit très bon signe, soit très mauvais. Harry dut penser la même chose parce qu'il laissa échapper un grondement sourd qui réveillait en elle des envies primaires de fuite.

« Dites-nous ce qui se passe. » exigea Nymphadora.

« Je veux l'avis de Poppy, d'abord. » répondit sa mère, en lui serrant l'épaule.

Tous les yeux rivés sur elle, Pomfresh lança plusieurs sorts de diagnostic. Puis les relança encore. À la troisième fois, elle ferma les yeux avec un soulagement évident et se tourna vers Dumbledore.

« Il est inconscient. » annonça l'infirmière.

« Et c'est un scoop, ça ? » railla Sirius, en se frottant les yeux. « Ça fait des jours qu'il est inconscient, au cas où vous auriez oublié. Le… »

« Non, Sirius. » l'interrompit Andromeda, une touche de joie dans sa voix. « Il est inconscient. »

« Son esprit est . » renchérit Pomfresh, les yeux un peu embués. « Ce n'est plus un résidu. Il n'est plus ténu. Il est . »

« Il est sorti du coffre ? » s'étonna Dumbledore, un peu éberlué. « Mais… Comment ? J'ai encore tenté pas plus tard que ce matin et… »

Nymphadora éclata en sanglots.

Non, ce n'était pas le bon terme. Elle n'éclata pas en sanglots parce qu'elle avait trop pleuré, plus tôt, et qu'elle n'avait plus de larmes à donner. Et pourtant… Et pourtant

« Oh, Tonks… » souffla Sirius, avec inquiétude. Il l'attira contre lui et elle se laissa faire comme une poupée de chiffon, s'accrochant à lui avec désespoir parce qu'il était tout ce qui l'empêchait de s'écrouler. Il passa les doigts dans ses cheveux toujours courts comme il aurait caressé la fourrure d'Harry. « Ça va aller. C'est une bonne nouvelle. Du moins, je crois… »

« Il m'a entendue. » murmura-t-elle, entre deux de ces sanglots qui n'en étaient pas. « Il m'a entendue. »

« Nymphadora ? » s'enquit prudemment Dumbledore.

« J'ai jeté un Legilimens. » expliqua-t-elle et ignora complètement les remontrances de sa mère et de l'infirmière parce que… « Il m'a entendue. Je l'ai senti. »

« Quand est-ce qu'il va se réveiller ? » demanda Sirius, alors qu'elle faisait un effort pour se reprendre, pour se maîtriser.

Elle ne rata pas le regard soudain moins heureux qu'échangèrent sa mère et Pomfresh.

« Ça, on ne peut pas le dire avec précision. » déclara doucement Andromeda. « Je ne parlerais plus de coma, maintenant, les sorts reviennent normaux, l'activité cérébrale est normale… Mais nous ne savons pas quels effets ce séjour dans son… coffre a laissé. Ou s'il y aura des séquelles au retrait de la Marque. »

« Mais il est tiré d'affaire ? » insista Nymphadora. « Il va se réveiller ? »

« S'il se réveille, ce ne sera probablement pas instantané. » nuança Pomfresh. « Nous comprenons déjà très mal la nature de ce qui lui est arrivé, alors… »

« Cela aiderait-il que j'aille voir ce qu'il en est dans son esprit ? » proposa Dumbledore.

« Non. » refusa immédiatement Andromeda. « Plus de Legilimencie. Laissons-lui le temps de se réveiller tout seul. »

« Il y a des potions, des sorts… » expliqua Pomfresh. « Nous pouvons l'assister, faciliter le processus de réveil, mais c'est à lui de faire le gros du travail. »

Il avait serré sa main.

Elle n'avait pas rêvé, il avait serré sa main.

Tout le reste, tout ce qui s'était passé ces derniers temps, fut effacé par le soulagement qu'elle éprouvait. Elle se pencha pour planter un baiser sonore entre les oreilles d'Harry qui les écoutait les yeux grands ouverts mais gardés, comme s'il n'osait pas y croire… Il s'ébroua avec indignation mais lui rendit le geste affectueux d'une bourrade de la tête.

Il fallut un moment avant que sa mère, Pomfresh et Dumbledore ne partent. Sirius refusa de quitter la pièce et s'installa sur la chaise, à côté du lit, sans faire de commentaires lorsque Nymphadora s'allongea à côté de Severus comme elle en avait pris l'habitude. Harry aussi avait développé ses habitudes et se roula en boule, calant sa tête sur la jambe de son père.

« Je t'attends. » murmura-t-elle, à l'oreille de Severus.

« On t'attend. » corrigea Sirius, à voix basse. C'était dur d'ignorer l'excitation et le soulagement dans son ton. « Tu as bien sa baguette, hein ? Rends-moi service, attends qu'on lui ait tout expliqué avant de la lui rendre. Que j'ai le temps de courir avant qu'il essaye de me tuer. »

« Il ne va pas essayer de te tuer. » riposta-t-elle.

« Harry a failli mourir deux fois sous ma garde. » lâcha-t-il. « Tu veux parier combien ? »

Dis comme ça, évidemment…

Mais elle s'en fichait.

Elle s'en fichait.

Elle voulait juste lui parler, l'entendre, se fondre dans ses bras…

Lui dire qu'elle l'aimait, surtout.

C'était une des premières choses qu'elle voulait lui dire.

Qu'elle l'aimait.

Qu'elle ne voulait plus jamais vivre sans lui.

Qu'elle voulait survivre à cette guerre uniquement pour qu'ils puissent finir leur vie ensemble.

Tout.

Elle voulait tout avec lui.