"Now though, I understood the glue that held us together, and it wasn't stupidity. It was the bond shared by people who faced death together. It was a sense of belonging, of being a piece of something bigger, something important, though I still wasn't convinced everything about it was good. I'd never felt that I needed a military to tell me my place in the world before, and I still didn't.
But there was something about knowing that without me my friends would be worse off that kept me flying even when it terrified me."

Sunreach – Brandon Sanderson, Jancie Patterson

À présent, cependant, je comprenais ce que qui nous unissait les uns aux autres, et ce n'était pas de la stupidité. C'était le lien partagé par des gens qui avaient affronté la mort ensemble. C'était une impression d'appartenance, l'impression de faire partie de quelque chose de plus grand, de quelque chose d'important, même si je n'étais toujours pas convaincue que tout y soit parfait. Je n'avais jamais eu la sensation d'avoir besoin de l'armée pour me dire quelle était ma place en ce monde, avant, et je n'en avais toujours pas besoin.
Mais savoir que, sans moi, mes amis seraient plus en difficulté me poussait à continuer à voler même lorsque cela me terrifiait.

Sunreach – Brandon Sanderson, Jancie Patterson


Chapitre 67 : The Glue That Held Us Together


Sa chambre d'hôpital s'était transformée en conseil de guerre et Severus sentait à nouveau poindre la migraine.

Harry avait ramené Andromeda de force, sa robe de Médicomage emprisonnée entre ses crocs, et la sorcière, après que Severus lui ait expliqué la situation, avait convoqué Poppy et Albus dans la seconde. Nymphadora était revenue sur ces entrefaites, les cheveux encore humides de sa douche retenus en un chignon au dessus de sa tête, ses robes bleues jetées sur son bras, et avait immédiatement perdu sa bonne humeur. Sirius s'était glissé dans la pièce à un moment, visiblement alarmé par les discussions qui allaient bon train…

Severus, pour sa part, tentait au mieux de ne pas paniquer.

Les trois démonstrations qui avaient été exigées de lui n'avait fait que confirmer que sa maîtrise de sa magie était ténue. Le flux quand il jetait un sort était quasiment impossible à contrôler. C'était très différent de ce qu'il avait éprouvé lorsqu'il s'était réveillé après son dernier séjour en tant que prisonnier du Seigneur des Ténèbres et qu'il avait dû réapprendre à manier sa baguette avec des mains qui tremblaient. Là… Quelque chose avait changé en profondeur dans sa magie. Il le sentait.

Le reparo qu'il avait jeté sur la chaise brisée avait relativement trop bien marché : au lieu de redevenir une chaise, elle s'était transformé en bloc de bois. Albus lui avait demandé de jeter un patronus et, au lieu du faon argenté, une vague de magie s'était échappée de sa baguette, suffisamment forte pour secouer les vitres et faire trébucher toutes les personnes présentes dans la pièce.

« Est-il possible qu'il s'agisse d'un problème de baguette ? » suggéra soudain Albus, par-dessus la cacophonie de toutes les voix qui parlaient en même temps.

Andromeda et Poppy insistaient pour dire que leurs sortilèges ne donnaient rien et que sur un plan médical, il allait aussi bien que l'on pouvait attendre d'un homme qui sortait du coma. Sirius parlait pour ne rien dire. Nymphadora lui disait régulièrement de se taire. Severus, lui-même, théorisait à voix haute et avec une panique grandissante qu'il s'efforçait de ne pas trahir. Harry ne disait rien mais s'était assis aux pieds de la jeune femme et attendait, appuyé contre ses jambes – ce qui l'avait obligée à se camper plus fermement sur ses appuis.

« Voldemort vous a-t-il désarmé ? » insista le Directeur, dans le silence qui suivit sa question.

C'était tellement étrange de ne pas ressentir la morsure de la douleur lorsque quelqu'un prononçait ce nom devant lui…

« Techniquement, non. » répondit-il, après un instant de réflexion. « J'ai lâché ma baguette lorsque son maléfice m'a coupé la respiration… » Il secoua la tête, et bien que cela lui fasse mal de l'admettre… « Je n'avais plus grand-chose à donner lorsque je me suis retrouvé face à Lui. Servir de clef de voûte avait épuisé la quasi-totalité de mes réserves. La bataille a eu raison du reste. »

« Donc vous étiez magiquement à bout lorsqu'il vous a retiré la Marque ? » releva Poppy.

Figurativement, du moins. Un sorcier ne perdait jamais sa magie sauf cas exceptionnel, mais c'était comme tout, lorsque vos forces étaient épuisées…

« J'aurais à peine été capable de jeter un bouclier basique. » avoua-t-il. « Et je ne suis pas certain que j'aurais pu le maintenir longtemps. »

L'infirmière croisa les bras avec une expression pensive. « Le retrait de la Marque… La magie noire aurait pu vous laisser aussi puissant qu'un Cracmol. »

« Certes, mais, visiblement, nous avons là l'effet inverse. » contra Andromeda. « Ses sortilèges les plus basiques sont trop puissants. »

« Il y a pire comme conséquence. » remarqua Sirius, avant de se laisser tomber sur le bloc de bois brut qui avait un jour été une chaise.

Albus balaya ces considérations d'un geste. « Sa puissance magique est égale à ce qu'elle a toujours été. Je le sentirais, autrement. »

« Votre ressenti n'est pas science exacte, Albus. » le gronda Poppy.

Cela valut un regard agacé à la sorcière. « Severus est puissant. Il l'a toujours été. Il n'est pas plus puissant à l'instant qu'il ne l'était avant sa capture, ce qui me laisse à penser que le problème ne vient pas à proprement parler de sa magie. L'allégeance d'une baguette… »

« Mais sa baguette fonctionne correctement avec moi depuis la bataille. » intervint Nymphadora, s'attirant tous les regards. Elle rougit légèrement mais haussa les épaules. « Je m'en suis servie une ou deux fois. J'ai senti la même légère résistance que d'habitude mais rien de notable. » Severus leva un sourcil interrogateur auquel elle répondit d'une grimace d'excuse. « Tu me manquais. »

Ce fut son tour d'être embarrassé, peu à l'aise de voir cette partie de sa vie jetée en pâture au sourire taquin de Sirius, à l'affection amusée de Poppy, au regard pétillant d'Albus ou à l'expression pas tout à fait heureuse d'Andromeda.

« Que sa baguette réponde toujours pour vous ne signifie pas que son allégeance est toujours acquise à Severus. » remarqua Albus, après s'être raclé la gorge. « Vous pourriez avoir une affinité pour ses composants, indépendamment de votre lien. »

« Il est pourtant prouvé qu'il est plus facile de se servir de la baguette d'un membre de sa famille que de quelqu'un d'autre, affinité avec les composants ou pas. » commenta Andromeda.

« Ces passionnantes considérations mises à part, c'est une théorie facile à tester. » rétorqua Severus, non sans sarcasme – et sans relever le fait qu'elle venait de sous-entendre que Nymphadora et lui formaient une unité familiale. « Harry, où est ta baguette ? »

« Là. » répondit Sirius, en la sortant de sa poche. « Pourquoi… »

« Parce qu'il nous ait arrivé d'échanger nos baguettes, en combat ou à la maison, et que je sais que sa baguette me répond correctement. » le coupa Severus, en se penchant pour la lui arracher des doigts. « Tu permets ? »

Le tigre hocha immédiatement la tête.

Mal à l'aise devant tous leurs regards, Severus tenta à nouveau de remplir le verre d'eau…

... et provoqua un déluge.

Il ne retint pas son soupir frustré.

« Fantastique. » lâcha-t-il, en posant la baguette d'Harry à côté de la sienne sur la table de nuit, laissant à Albus le soin de faire disparaitre l'inondation. « Je ne peux plus préparer de potions, je ne peux plus jeter de sorts… Mon utilité ne cesse décidément d'augmenter. »

« Severus. » le gronda Nymphadora, en posant sa main sur la sienne.

Il lui fallut faire un effort pour contrôler son mouvement d'humeur. Pour ne pas la blesser.

« La magie sans baguette. » glissa soudain Sirius, en s'asseyant un peu plus droit. « Tu n'as pas essayé. »

Il fronça les sourcils. « Je ne suis pas… »

« Tu l'utilises beaucoup plus souvent depuis que… » L'Animagus laissa sa phrase en suspens avec un tact surprenant. Pour ne pas dire que ses mains tremblaient parfois trop pour tenir correctement sa baguette, supposait-il. « Tu la maîtrises plutôt bien. »

« Pour des sorts du quotidien. » nuança Severus. « Et à plus faible puissance. »

« C'est pas justement le problème, la puissance de tes sorts ? » releva Sirius, dans un haussement d'épaules.

Le Maître des Potions quêta le regard d'Albus, puis celui de Poppy. Les deux lui firent signe d'essayer.

Avec un nouveau soupir, il plaça la main au-dessus du verre d'eau. « Aguamenti. »

Le verre se remplit lentement, sans déclencher de cascade.

Il fronça les sourcils et agita la main en direction de Sirius. « Reparo. »

Le bloc de bois laissa place à la chaise originelle.

« Fascinant. » décréta Albus, en se lissant la barbe. « Pouvez-vous tenter un sort plus complexe ? Un Patronus, peut-être ? »

« Sans baguette ? » grinça Severus.

« Je vous ai vu donner une correction carabinée aux Maraudeurs sans baguette, dans ce passé alternatif. » remarqua calmement le Directeur. « Ne présumez pas de me dire que vous n'en êtes pas capable. »

« Hein ? » tiqua Sirius.

Severus, pour sa part, fusilla le vieux sorcier du regard. « Je préférerais que vous fassiez au moins semblant de ne pas avoir fouillé dans ma tête. »

« Quoi qu'il en soit, un sort du Patronus ne devrait pas demander beaucoup plus d'efforts que de rosser magiquement quatre jeunes hommes dans la force de l'âge. » rétorqua Albus.

Harry laissa échapper un grondement d'avertissement.

Préférant couper court à la conversation et aux questions, Severus leva à nouveau sa main tremblante. « Spero Patronum. »

Son bras retomba immédiatement sur le matelas et il s'enfonça un peu dans les coussins qui le rehaussaient, soudain pris d'un léger vertige. La magie sans baguette demandait davantage d'énergie, de puissance, et ce sort-ci lui en avait demandé peut-être plus que ce que son corps convalescent avait à donner.

« Ça suffit. » déclara sur le champ Andromeda, en lui jetant un sort de diagnostic. « Assez d'expériences. Il n'est pas en état. »

Severus l'ignora.

Parce qu'un faon transparent et intangible gambadait dans la pièce.

« Sentez-vous une différence lorsque vous jetez des sorts avec ou sans votre baguette ? » demanda Albus.

Il ouvrit la bouche pour répondre que non, puis se ravisa. « Ma magie est moins puissante sans baguette, je peux plus facilement la contrôler. Avec ma baguette… Le flux est imprévisible. C'est presque… »

Il s'interrompit alors qu'il lui venait un soupçon.

Un soupçon atroce.

« Severus ? » s'inquiéta Nymphadora.

Ses yeux noirs tombèrent sur son avant-bras gauche. Il ne releva pas la manche de son pyjama, ne fit aucun geste pour toucher la peau trop pâle, mais…

« La magie se stabilise avec le temps, avec la discipline et l'habitude… Et elle est propre à chaque sorcier. » raisonna-t-il, à voix haute. « C'est la raison pour laquelle certains ont plus de facilités dans certaines écoles de magie que dans d'autres… La raison pour laquelle il faut davantage de temps à certains pour appréhender un sort plutôt qu'un autre… La puissance est un facteur, oui, mais il y a aussi… »

« La jeunesse. » termina Sirius, saisissant visiblement son raisonnement. « Un ado a plus de contrôle qu'un enfant mais moins qu'un adulte. Et même un adulte peut perdre le contrôle de sa magie, parfois. On apprend juste à la réguler machinalement en grandissant. » Son ami fronça les sourcils. « Mais qu'est-ce que ça a à voir avec toi ? Tu n'es pas exactement un gamin qui ne peut pas se contrôler, Severus. »

« Mais je l'étais encore quand j'ai pris la Marque. » murmura-t-il, en levant les yeux vers Albus.

Ses boucliers étaient en place et le Directeur ne tenta pas d'utiliser la Legilimencie mais il lui suffit de soutenir son regard quelques minutes pour faire ses propres déductions. Et un éclat de colère passa dans ses yeux bleus.

« Êtes-vous certain ? » demanda le vieux sorcier.

« Certain, non. » répondit-il. « Mais cela serait… logique. Et pas si surprenant, à la réflexion. »

« Et pour ceux d'entre nous qui ne sont pas des génies ? Vous pouvez décoder ? » intervint Nymphadora, un brin frondeuse. Harry émit un bruit approbateur.

« La Marque est un contrat magique, un dérivé d'un sortilège d'esclavage… » expliqua-t-il, après un instant d'hésitation. « Je savais que c'était une laisse dont il pouvait serrer le licol à loisir… Je savais qu'il pouvait infliger une punition à travers elle, voire tuer ses Mangemorts… La connexion avec lui a toujours été évidente. Elle brûle lorsqu'il est furieux, brûle lorsqu'il est heureux… Il ne m'était jamais venu à l'esprit qu'il pouvait utiliser la Marque pour consolider ses propres pouvoirs. »

« Attends, attends… » s'horrifia Sirius. « Tu veux dire… »

« Vous pensez qu'il vous volait votre magie ? » s'exclama Poppy, en se couvrant la bouche.

« Voler, je ne sais pas. » nuança Albus. « La puissance de Severus n'a pas changé, je le répète. Toutefois, il est possible que la Marque ait… bridé sa magie et, oui, qu'une minuscule partie des pouvoirs de Severus ait été siphonnée pour aller gonfler les siens. S'il fait cela avec tous ses Mangemorts… »

« Cela expliquerait comment il a survécu toutes ces années… » murmura Andromeda. « Comment il a survécu à Harry. Mais si ce sont les Marques des Ténèbres qui le maintiennent en vie… »

C'était une théorie beaucoup trop proche de la vérité.

Severus ne laissa rien paraître.

Albus non plus.

Mais Sirius tiqua.

Et Albus ne le manqua pas.

« C'est une possibilité mais c'est une conjecture un peu fantasque. » démentit calmement le Directeur, feignant de ne rien avoir remarqué. « La Marque est, avant tout, un outil de contrôle. À la réflexion, qu'elle affecte la magie de ceux qui la porte ne m'étonne pas tant que ça. »

« D'accord, mais du coup… Concrètement, qu'est-ce que ça veut dire pour Severus ? » demanda Nymphadora.

« Cela veut dire que je dois réapprendre à contrôler la puissance de mes sorts. » soupira-t-il. « Car sans la Marque, ma magie est… différente. D'une certaine manière, elle modulait ma puissance. Imagine que tu ais toujours utilisé une béquille et n'ais jamais appris à marcher sur tes deux pieds. Sans elle… »

Sans elle, sa magie était déchaînée.

« Une chance que tu sois un maître du contrôle, dans ce cas. » se moqua Sirius.

« Et, en attendant, vous pouvez toujours vous rabattre sur la magie sans baguette. » renchérit Albus. « Vous n'êtes pas sans défense. »

Il fallait le dire vite.

À présent qu'il avait cerné le problème, ce n'était plus une énorme source d'angoisse, mais ce n'était certes pas réjouissant.

Sur un coup de tête, il attrapa sa baguette, occluda toute distraction, mit un point d'honneur à focaliser sa magie et à en contrôler la puissance et traça une élégante courbe dans les airs. « Avis. »

Il vit le regard alarmé de Dumbledore qui eut à peine le temps de conjurer un bouclier avant qu'une horde de canaris enragés se précipitent sur lui, becs dehors. La majorité s'écrasa sur son bouclier et s'évanouit dans des nuages de plumes.

Nymphadora fit disparaitre les autres d'un coup de baguette amusé. « Tu sais que je suis responsable de sa sécurité, maintenant ? »

« Ce n'est pas ma faute si je contrôle mal mes pouvoirs… » se défendit-il, plaisamment. « Je ne voulais en créer que deux, pas douze. »

Personne ne goba ce mensonge éhonté.

Albus avait l'air passablement vexé mais pas outrageusement irrité. « Eh bien, nous vous laissons à votre entraînement. »

C'était sans doute un nous de majesté parce que personne d'autre ne lui emboîta le pas hors de la pièce. Andromeda et Pomfresh ne cessèrent de l'examiner comme si elles craignaient qu'il ne se soit épuisé avec ces quelques malheureux sorts. Et bien que celui du Patronus l'ait laissé chancelant…

« Je suis encore capable d'utiliser la salle de bain seul ! » s'énerva-t-il, lorsque sa requête lui fut refusée pour la troisième fois.

Il lui fallut négocier quinze minutes supplémentaires en plus des interventions répétées de Sirius pour que les Médicomages acceptent enfin de l'autoriser à tenter de se lever.

Ses jambes étaient plus que flageolantes et il était indéniable qu'il ne serait allé nulle part sans la poigne ferme de son ancien rival qui le maintenait debout, surtout avec sa hanche douloureuse qui le faisait boiter. Il ne desserra pas les dents et refusa de changer d'avis, cependant, ravalant son humiliation lorsque l'Animagus fut forcé de lui tenir compagnie tout le temps que dura sa petite excursion. S'il avait envisagé de saisir l'opportunité pour prendre une véritable douche, il se ravisa rapidement, décrétant que les sorts de nettoyage feraient encore l'affaire un jour ou deux en attendant qu'il soit plus assuré sur ses jambes.

Il retrouva son lit avec un soulagement amplifié par le fait que les deux Médicomages ne tardèrent pas à le laisser enfin tranquille. Sirius ne s'attarda que le temps de prévenir Harry que Kreattur allait arriver avec son poisson et de lui proposer un petit-déjeuner plus civilisé en sa compagnie dans ses appartements.

Le tigre fit la sourde oreille, préférant se vautrer sur Nymphadora et se faire gratter derrière les oreilles.

Severus comprenait absolument que l'attrait de la jeune femme surpasse celui de son parrain, toutefois…

« Tu n'es pas un animal. » gronda-t-il.

Pour toute réponse, il obtint un claquement de queue agitée.

Nymphadora dissimula un sourire qui lui fit lever les yeux au ciel.

« Tu ne fais que l'encourager. » l'accusa-t-il.

« Mais il est tellement mignon ! Regarde-le, c'est une peluche. » protesta-t-elle, s'attirant les foudres de l'adolescent qui, s'il ne voyait visiblement pas le mal à se faire caresser sous toutes les coutures, s'offensait très clairement d'être qualifié de mignon ou de peluche. Crachotant et grondant, le tigre sauta loin d'elle mais n'alla pas bien loin car Kreattur apparut avec leur petit-déjeuner.

L'odeur du poisson bouilli était suffisamment forte pour lui tourner le cœur.

« Je sais. » grimaça Nymphadora. « J'aimerais te dire qu'on s'y fait mais… Non. »

Son repas n'était pas aussi alléchant, de toute manière, que les toasts encore chauds et déjà beurrés que l'elfe de maison avait apporté à l'Auror. Severus n'avait pas encore droit aux solides et dut se contenter d'un peu de thé, de compote, d'un yaourt ainsi que d'une potion visant à calmer son estomac.

Pas l'une des siennes mais une de Slughorn, déduisit-il à la première gorgée.

À son insistance, Nymphadora lui fit un résumé plus précis et plus ciblé de ce qu'il avait manqué au niveau de la guerre. Le visage fermé, le regard dur, elle n'avait plus grand-chose à voir avec la jeune femme qui s'était blottie contre lui, cette nuit-là. C'était un général qu'il avait devant lui et pas la femme qu'il aimait. Il n'était pas tout à fait certain de si c'était une bonne ou une mauvaise chose.

« De quoi as-tu besoin ? » demanda-t-il, lorsqu'elle eut terminé.

« Que cette guerre se termine ? » ironisa-t-elle.

Il inclina la tête, le reproche léger mais présent. « Nymphadora. »

« De troupes. D'une meilleur organisation des effectifs. » répondit-elle, sans hésiter. « Je perds des Aurors compétents à former des gens qui ont des niveaux trop différents. Kingsley et moi voulons des unités de réponse pour les urgences mais, au-delà de ça… On pourrait aussi s'en servir de bataillons en cas d'attaque. Seulement… Les civils qui savent se battre ne savent pas se battre en formation et, ce, quand ils acceptent d'obéir aux ordres. L'Ordre aussi mériterait d'être repensé. Soit on l'intègre aux Aurors, soit on en fait un groupe séparé mais… Il faut quelque chose de plus structuré. »

« J'aurais une solution pour toi d'ici la fin de la journée. » promit-il.

Elle secoua la tête. « Tu es censé te reposer. Tu… »

« J'aurais une solution pour toi d'ici la fin de la journée. » répéta-t-il.

Elle sembla partagée entre l'inquiétude et le soulagement. Au final, elle soupira. « Tu vas n'en faire qu'à ta tête quoi que je dise, hein ? »

Il s'autorisa un demi-sourire.

Elle secoua la tête, luttant contre son propre amusement, et se pencha pour lui voler un baiser qui entraîna chez leur tigre un grondement de protestation. Lorsqu'ils regardèrent vers lui, ce fut pour trouver Harry avec une patte théâtralement posée sur ses yeux.

« C'est un comédien. » commenta-t-il.

« Ça doit être de famille. » rétorqua-t-elle. « Parce que je sais pertinemment que tu as fait exprès de lancer ces oiseaux sur Dumbledore. »

« J'ignore totalement de quoi tu parles. » mentit-il.

« C'est ça. » Elle jeta un coup d'œil à la pendule puis soupira. « Il faut que j'y aille. » Elle enfila les sur-robes bleues qu'elle avait jetées sur un meuble dans un coin par-dessus ses vêtements puis lui arracha un dernier baiser. « Repose-toi, je suis sérieuse. Et, plus généralement, évite de te faire capturer ou à moitié-tué pendant que j'ai le dos tourné, tu veux ? Je reviens ce soir, s'il n'y a pas d'urgences. »

« Sois prudente. » exigea-t-il, mortellement sérieux à présent.

Parce que la situation extérieure n'avait rien de drôle et elle ne lui avait pas caché devoir aller se battre parfois plusieurs fois par jour. Ce serait sa priorité, décida-t-il, de s'assurer qu'ils étaient en mesure de pallier efficacement aux urgences sans épuiser leurs troupes.

« Je ferai de mon mieux. » promit-elle.

« Fais davantage que ton mieux. » insista-t-il. « Je ne veux plus revivre ce moment-là. »

Une certaine tension s'installa dans la pièce. Ils n'avaient pas vraiment parlé de ça, du fait qu'il l'avait crue morte… Mais ce n'était pas le moment, pas avec Harry qui avait cessé son cinéma pour les observer avec davantage de sérieux lui aussi.

Elle partit pourtant sans faire de promesses qu'elle n'était pas certaine de pouvoir tenir.

Severus soupira puis reporta son attention sur le fauve qui n'avait pas terminé son plat gigantesque de poisson.

« Je vais avoir besoin d'un assistant humain. » remarqua-t-il. « Et comme tu as besoin de discuter de ce qui t'est arrivé, la solution logique semble tout trouvée, qu'en dis-tu ? »

Il n'aurait jamais pensé que les tigres puissent soupirer.

°O°O°O°O°

Remus s'arrêta à quelques mètres de la chambre, le nez plissé contre l'odeur qui le prit à la gorge.

Sous l'odeur de potions antiseptiques qui couvrait toute cette partie du château, il détectait celle, bien plus pugnace, de fauve. Et c'était sans mentionner la puanteur de poisson bouilli. Trop habitué à ignorer les odeurs incommodantes depuis que le château était plein à craquer, toutefois, il poursuivit sa route, tentant de se répéter que la guerre exigeait qu'il fasse des choses qu'il ne voulait pas faire mais que c'était pour le bien commun.

Lunard tournait en rond, en lui, grognant et sortant les griffes à l'idée de se voir sifflé comme un chien, de se voir donné des ordres…

Il frappa à la porte, tentant aussi de se convaincre qu'il n'était pas nerveux.

Il ne savait pas ce qui l'attendait, voilà la vérité, si l'entretien serait professionnel ou…

« Entrez. » vint l'invitation sèche, presque agacée.

Rien que le son de sa voix donna à Lunard envie de montrer les crocs. Remus prit une profonde inspiration qui empestait le poisson et le tigre puis poussa la porte, s'exhortant au calme.

« J'ai eu ton message. » déclara-t-il, avant même d'avoir un pied dans la pièce.

Il eut le temps d'apercevoir Severus assis dans son lit, une table de travail d'appoint installée à côté de lui avec un tas de parchemins et une dictaplume qui s'immobilisa dans les airs à son entrée… Il trônait dans son lit d'hôpital avec aplomb, une robe de chambre d'un vert sombre nouée par-dessus le pyjama standard de l'infirmerie, et semblait tellement certain de son pouvoir que Lunard se rebella d'autant plus.

Remus n'eut pas le temps de faire un pas dans la pièce qu'un tigre surgissait devant lui, s'interposant entre lui et le lit, rugissant sa colère.

Le loup-garou ne recula pas, ne marqua pas le moindre signe de faiblesse, croisant instinctivement son regard pour une bataille de dominance qu'il savait entièrement déplacée… Mais c'était plus fort que lui. Le prédateur face à lui le défiait et…

« Harry ? » appela Severus, sourcils froncés, visiblement confus.

Ce qui répondait à une des questions de Remus et contribua à le faire se détendre considérablement.

Nymphadora ne lui avait rien dit.

Dans le cas contraire, il y avait fort à parier qu'il aurait dû esquiver un maléfice dès son entrée dans la pièce.

Il ne chercha pas à s'attarder sur les raisons qui avaient poussé la jeune femme à garder l'incident pour elle, simplement reconnaissant de ne pas avoir à gérer les conséquences d'une erreur particulièrement stupide.

Lentement, sans geste brusque, il s'accroupit jusqu'à être au même niveau qu'Harry.

« Je regrette la manière dont je t'ai parlé. » offrit-il sincèrement. « Je n'aurais pas dû perdre mon calme. »

Au lieu d'accepter poliment ses excuses, le tigre poussa un nouveau rugissement colérique qui avait tout de l'avertissement.

« Perdre ton calme ? » répéta Severus dans un sifflement. « De quoi es-tu en train de parler, Lupin ? »

Remus se redressa, non sans noter que l'ancien Mangemort avait désormais sa baguette à la main.

« Un malentendu. » répondit-il, laconique.

« Ta spécialité, en somme. » cracha l'autre sorcier.

Calme, se répéta Remus, professionnel.

« Puis-je entrer ou bien m'as-tu fait venir pour le simple plaisir de regarder Harry me grogner dessus ? » rétorqua-t-il.

Severus l'étudia longtemps, un air indéchiffrable sur le visage.

Pour quelqu'un qui venait de sortir du coma, il n'avait pas l'air trop mal en point mais Remus avait depuis longtemps accepté qu'il n'y avait aucune justice dans la vie. Severus se tenait là, le teint un peu cireux, l'air fatigué mais autrement en forme, tandis que trop de jeunes vies innocentes avaient été perdues. Certaines personnes survivraient à tout. Comme des cafards.

« Harry, cesse donc de terrifier notre invité, je te prie. » demanda poliment Severus, non sans ironie.

Terrifier.

Remus laissa passer l'insulte comme il laissa glisser le dernier rugissement d'avertissement du tigre qui fit demi-tour, queue battant sauvagement l'air, pour aller se poster à droite du lit de Snape, impérial et sur le qui-vive.

Terrifier.

Comme si Lunard aurait pu avoir peur d'un chat.

« J'ai besoin d'un briefing complet sur les membres de l'Ordre qui nous ont rejoints, ce que tu as fait jusque ici pour intégrer l'Ordre au Département des Aurors et tout ce que tu pourras me dire sur les réfugiés volontaires. » exigea le Maître des Potions, en agitant la main vers la dictaplume qui alla se poster en tête d'un parchemin vierge, prête à prendre des notes.

Il détestait se voir donné des ordres.

Il détestait que Snape se sente autorisé à questionner ce qu'il avait fait jusque là.

Et l'ex-Mangemort ne se priva pas de le faire.

« Pourquoi est-ce l'Ordre qui se charge de la protection du Ministre et pas les Aurors ? » demanda Severus, au bout d'un long moment, lorsque Remus eut terminé d'exposer leurs avancées.

Ça avait pris longtemps et il était ridicule que Snape reprenne les rennes alors qu'il le dirigeait, lui, au nom d'Albus depuis des mois. Il connaissait les membres qui ne siégeaient pas au Conseil, il avait un système en place, il…

« C'est ce que voulait Nymphadora. » répondit Remus.

Le nom jeta un froid dans la pièce.

Ils avaient tenu jusque là sans la mentionner.

Harry laissa échapper un grondement sourd qui lui valut un coup d'œil curieux de la part du Professeur.

« J'en parlerai avec elle. » décréta Snape. « Il est stupide de se priver de gens compétents uniquement pour protéger Albus. Il est parfaitement capable de se protéger seul, surtout dans le château. Bill, Sirius et toi, au moins, serez mieux employés ailleurs. »

« Je suis heureux que tu reconnaisses mes compétences. » railla-t-il.

Le Maître des Potions resta impassible, examinant les notes que la plume avait prises. « Ce ne sont pas tes compétences que je remets en cause mais ta capacité à garder la tête froide. »

Son premier instinct fut de lui dire d'aller se faire voir mais cela n'aurait fait qu'apporter de l'eau à son moulin.

« Que veux-tu ? » cracha-t-il. « Tout le monde ne peut pas avoir un cœur de pierre. »

Harry gronda à nouveau mais Snape les ignora tous les deux. Remus le regarda attraper un stylo Moldu ainsi qu'un parchemin vierge et griffonner quelques lignes à la hâte. Il dut rester planté là, sans savoir s'il était congédié ou pas, avec l'impression tenace qu'il était un élève désobéissant qui attendait de recevoir sa punition.

« Je veux que Sirius et toi repreniez l'entraînement des civils en main. » déclara l'ancien Mangemort, après une longue minute de silence.

Ce qui était logique, songea Remus. Ils avaient deux Professeurs de Défense sous la main, autant s'en servir. Il en aurait suggéré autant à Dora si elle ne l'avait pas évité avec assez d'application, ces derniers jours, pour que même son loup ait du mal à la pister.

« Je peux être utile en première ligne. » contra-t-il pourtant, simplement parce qu'il refusait d'être relégué à un rôle de soutien.

« Je réfléchis toujours à l'organisation de cette partie là. » répliqua Snape. « Je t'en ferai part en temps utiles. Pour l'instant, porte ceci au poste des Aurors et, si cela leur convient, mets-toi au travail. »

Il lui tendit le parchemin qu'il avait plié en quatre et cacheté dans la foulée.

« Je ne suis pas un hibou. » gronda Remus.

« Non, mais tu es sous mes ordres. » remarqua l'ancien Mangemort, avec une satisfaction à peine dissimulée. « À moins que cela ne te pose problème, bien sûr, auquel cas tu peux aller te plaindre à notre Ministre et voir ce qu'il en dit. »

« Ça te fait plaisir, hein… » l'accusa-t-il. « Tu crois que parce qu'Albus t'a nommé à la tête de l'Ordre, tu m'es supérieur. »

« Oh, ce n'est pas pour ça que je te suis supérieur… » se moqua Snape, avec un sourcil levé. « Et sur tous les plans. D'ailleurs, à ce sujet… » Sa voix devint glaciale. « Je te rappelle à toute fin utile que Nymphadora est également ta supérieure hiérarchique. Remettre en cause ses décisions ou sa moralité parce qu'elle est forcée de faire des choix difficiles serait petit, Lupin. Et me mettrait fortement en colère. »

« Penses-tu sincèrement que j'ai peur de toi ? » gronda Lunard.

Un grondement auquel Harry fit écho, crocs dénudés.

« Tu n'as pas suffisamment de bon sens pour ça. » cingla le Maître des Potions. « Tu n'as pas suffisamment de bon sens, non plus, pour te rendre compte que si tu respires encore c'est simplement par sa pure bonté. »

Remus hésita, faisant un effort surhumain pour maîtriser sa colère et sa frustration. Parce que ce qu'il s'était passé l'autre jour… « Je ne sais pas ce qu'elle t'a dit… »

« Ce qu'elle m'a dit ou non ne te regarde pas. » l'interrompit Snape. « Ce que je te dis, moi, c'est que j'ai déjà fait preuve de beaucoup de pédagogie et qu'il n'y aura plus d'avertissements. Laisse-la tranquille ou il y aura des conséquences et je ne retiendrai pas mes coups. »

Y avait-il un sous-entendu là-dessous ? Faisait-il référence au baiser ?

Non…

Non, décida Remus, après réflexion. Snape était peut-être un salopard sociopathe sur les bords mais il perdait tout contrôle lorsqu'il était question de la sécurité de Dora. Lorsqu'elle avait été grièvement blessée et qu'il l'avait instinctivement installée dans sa chambre… Il avait agi dans la précipitation, à ce moment là, et avait commis la même erreur lorsqu'il avait tenté d'embrasser la jeune femme.

C'était sa faute.

Il savait que c'était sa faute.

C'était un malentendu mais c'était sa faute.

Il avait été déterminé à la laisser partir, à respecter les sentiments qui la liaient à Severus, mais… La voir devenir une autre personne lui brisait le cœur et… Il y avait eu tellement de détresse dans sa voix sur le moment que Lunard avait réagi sans attendre et…

Il n'aurait pas dû, il le savait.

Il aurait encore moins dû s'énerver contre Harry.

Si Severus avait su pour l'un ou pour l'autre, Remus serait déjà en train de défendre chèrement sa vie.

Et une part de lui n'était pas sûre qu'il ne l'aurait pas mérité.

Il était venu ici en se disant qu'il resterait calme et professionnel, qu'il aurait le bien de la communauté magique à l'esprit et pas ses griefs personnels…

Et par ailleurs…

« La pleine lune est pour bientôt. » annonça-t-il.

Si Severus fut déstabilisé par son changement brutal de sujet, il ne le montra pas. Au lieu de ça, il émit un ricanement entre amertume et moquerie. « Vraiment ? Vite, Harry, cours me chercher un chaudron ! »

Remus détestait la complicité entre eux mais fit un effort pour ne pas le laisser paraître et attendit qu'ils aient fini d'échanger leurs regards amusés.

« J'ai besoin de la potion Révèle-Loup. » insista-t-il.

« Et moi j'ai besoin de m'assurer qu'Albus ait les soutiens nécessaires afin qu'il ne détruise pas le pays avant que le Seigneur des Ténèbres ne le fasse. » rétorqua le Maître des Potions. « Accessoirement, j'ai également besoin que cette guerre se termine sans que ma famille n'en souffre. Et, plus prosaïquement, j'ai besoin d'une tasse de thé. Tu vois, Lupin, je sais que c'est un concept qui t'est étranger, mais nous voulons tous des choses que nous ne pouvons pas avoir. »

Le loup-garou grinça des dents. « J'ai des enfants avec moi. Ce sera leur première transformation. Ce sera suffisamment douloureux comme ça… S'ils n'ont pas besoin d'apprendre à craindre leurs loups… »

L'expression moqueuse disparut du visage de l'autre sorcier comme la flamme d'une bougie que l'on aurait soufflée. Soudain, Remus avait sa pleine attention. « Comment ça, des enfants ? »

« On ne t'a pas fait un résumé complet de la bataille, je vois. » lâcha-t-il. « J'ai trois gamins qui ont été mordus. L'un d'eux est à toi, d'ailleurs. Graham Pritchard. »

À la mention de son Serpentard, Severus s'assombrit. « Qui d'autre ? »

« Lavande Brown et Bowen Donovan. Il y en a d'autres qui ont disparu et qu'on présume mordus mais Greyback les a trouvés avant moi. » répondit-il, son regard dérivant vers le tigre. « Il va sans dire que… »

« Harry ne dira rien. » le coupa le Professeur. « Je dois parler à Slughorn, de toute manière. Tu auras ta potion. »

Pas pour lui, pas même pour Laura qui était innocente dans leur petite vendetta personnelle, mais pour les enfants.

Lunard s'apaisa légèrement, respectant le fait que son rival sache mettre des limites à leur querelle.

« Merci. » offrit-il, même si ça lui arrachait la bouche.

« Je ne le fais pas pour toi. » rétorqua-t-il. « Je te recontacterais si j'ai d'autres ordres pour toi. Tu peux disposer. »

Et, juste comme ça, sa bonne volonté disparut d'un coup.

Il ravala de justesse la réplique qui lui monta aux lèvres comme quoi il n'était pas son élève.

La potion était tout ce qui comptait.

Pour ses louveteaux, il avalerait cette petite humiliation.

Toutefois, avant de partir, il se tourna une dernière fois vers Harry. « J'aimerais qu'on discute toi et moi, si tu veux bien. »

Le grondement lui imposa une fin de non recevoir et, comme pour mieux souligner dans quel camp il était, le tigre sauta souplement sur le lit et se roula en boule à côté de Snape.

L'insolence de la chose le mit hors de lui mais il s'exhorta au calme.

Harry faisait partie de sa meute mais c'était sa propre faute s'il refusait de l'accepter.

Il l'avait brusqué lorsqu'il avait perdu son calme et franchit les limites de l'acceptable et leur relation en avait pâti. La bataille avait semblé remettre les compteurs à zéro mais…

Patience, se répéta-t-il, patience.

Harry finirait par comprendre qu'il ne voulait que son bien.

°O°O°O°O°

Bien qu'il ait mal aux bras et aux épaules, Bill accepta la pelle que lui tendit Aidan et, sans un mot, ils échangèrent à nouveau leurs places. Cela faisait bien deux heures qu'ils se relayaient ainsi, avançant à une lenteur d'escargot autour de l'énorme zone que Dumbledore souhaitait couvrir, enterrant chacune des pierres runiques dans un ordre précis et à une distance les unes des autres calculée au millimètre près.

Désormais en charge de la carte et du sort qui leur permettait de savoir où creuser précisément, Aidan lui indiqua le bon endroit, avant de faire rouler son épaule gauche avec une grimace.

Bill baissa la tête pour cacher son sourire amusé. Le Langue-de-Plomb avait perdu l'attitude fringante avec laquelle il l'avait salué ce matin-là, ainsi, semblait-il, que son élégance pourtant quasiment inaltérable. Le Briseur-de-Sorts avait appris à plutôt bien le connaître au cours des derniers jours passés à graver des pierres à la chaîne. La répétitivité de l'action encourageait à la conversation et si Aidan pouvait paraître un peu prétentieux au premier abord avec ses vêtements toujours impeccables et sans un pli, Bill avait découvert un esprit vif, curieux et intelligent.

Ce qui ne voulait pas dire qu'il ne s'était pas moqué de lui lorsqu'il l'avait vu débarquer ce matin-là avec une élégante chemise à froufrous blanche et un pantalon bleu marine qui aurait été plus approprié pour une garden party. Aidan, pourtant, avait fait sa part et ne paraissait pas se soucier du fait que ses vêtements se salissaient autant que son propre jean et tee-shirt.

Le soleil commençait à taper, en plus, et s'ils n'avaient pas été dans une école et s'ils n'avaient pas croisé autant de gens qui se baladaient dans le parc, Bill aurait tombé le haut depuis longtemps.

« Combien… » commença-t-il, en posant un pied sur la pelle pour y mettre plus de poids.

« Croyez-moi, vous ne voulez pas le savoir. » grommela Aidan, en consultant la carte.

Bill n'insista pas, devinant qu'ils n'avaient probablement pas couvert un quart de la distance nécessaire. Le procédé était minutieux, ce qui n'aidait pas à la rapidité, et il leur fallait régulièrement vérifier que les runes étaient bien interconnectées. Cela serait allé plus vite avec davantage d'effectifs mais Dumbledore tenait à garder le secret autant que possible sur leur nouvelle ligne de défense.

Vérifiant d'un coup de baguette que le trou était assez profond, Bill sortit une pierre de la bourse à sa ceinture et la plaça bien à plat au fond. Elle brilla d'une lueur bleutée qui signifiait qu'elle s'était connectée aux autres. Avec une énergie qui s'effritait, il entreprit de reboucher le trou.

« Je dois revoir mes estimations à la haute. » soupira le Langue-de-Plomb. « Il nous faudra sans doute plus de deux jours pour terminer le tout. »

« Voire plus de trois. » estima-t-il. « Ce n'est pas le genre de tâche qu'on veut bâcler. »

« Non. » confirma Aidan, en mesurant soigneusement la distance jusqu'au prochain emplacement. Bill entreprit de creuser à nouveau. « Comment va votre frère ? »

Il ne répondit pas tout de suite, mettant un peu plus de brutalité que nécessaire dans ses coups de pelle. Penser à Charlie le mettait en colère. Pas contre son frère, bien évidemment, mais… Il était difficile de penser que la cause de tous les malheurs de sa famille était enfermée dans une des tourelles, si proche et pourtant intouchable. Bill ne se considérait pas forcément comme quelqu'un de violent mais Anthony, il l'aurait volontiers tué – et lentement, avec ça.

« Il est un peu plus lucide. » expliqua-t-il finalement. « Mais il est toujours… Il va mal. Et ça ne s'arrangera pas tant qu'il y aura ce lien entre eux. »

Comment pourrait-il en être autrement ? Comment pourrait-il aller mieux alors qu'il était intrinsèquement rattaché à son bourreau ?

« Je me suis penché sur la question. » offrit prudemment le Langue-de-Plomb, en lui faisant signe d'arrêter de creuser. Bill vérifia la profondeur puis tendit la main pour attraper l'une des runes que transportait l'autre sorcier. La lueur bleutée s'activa dès qu'elle fut en place.

« Et ? » pressa-t-il, lorsque le Langue-de-Plomb mit trop de temps à terminer sa pensée, ce qui n'était jamais bon.

Ils échangèrent pelle et carte pour la prochaine pierre.

Aidan avait plus de muscles qu'il n'y paraissait sous ses vêtements dernier cri mais le travail demeurait dur.

« Et… Je crains d'être d'accord avec la conclusion initiale de mes collègues et des Médicomages de Sainte Mangouste. » admit le Langue-de-Plomb, en donnant un premier coup de pelle. « Le sortilège qui a été utilisé est ancien et complexe. »

« Ce qui ne veut pas dire qu'il ne peut pas être brisé. » contra-t-il, têtu. « J'ai vu des malédictions qui semblaient impossibles à défaire qui ont pourtant cédé avec les bonnes méthodes. »

« Certes. » grimaça Aidan, en s'épongeant le front. « Toutefois… Le fait est que je pense qu'il serait plus sage et moins risqué d'attendre que le sortilège meure de lui-même. J'ai lu vos observations et vos recherches… La distance qu'ils peuvent mettre entre eux avant d'en souffrir semble avoir augmenté avec les mois, il n'y aucune raison de penser que le processus va s'arrêter… Pour moi, cela tend à indiquer que le sortilège finira par s'estomper. »

« Dans combien d'années ? » cracha Bill, refusant de l'entendre. « Charlie n'a pas le temps d'attendre. »

Il lui passa une rune sans qu'il ait besoin de le demander et jura lorsqu'elle ne prit pas l'aspect bleuté voulu une fois déposée dans le trou. Aidan dut l'agrandir et la déplacer légèrement, pendant que Bill revoyait une nouvelle fois leurs calculs. La pose devait se faire au millimètre. Il leur fallut plusieurs minutes pour parvenir à trouver d'où venait le problème et le résoudre.

« Je comprends. » lui assura le Langue-de-Plomb, en attaquant le trou suivant. « Et je vous aiderais dans vos recherches si vous le souhaitez, mais attendre serait la solution la plus sûre. Mettons que nous trouvions un moyen de rompre le lien… Cet Anthony a sauvé votre frère par cette magie, la rompre avant qu'elle ne soit prête à se disperser pourrait faire courir un risque à Charlie. »

Bill soupira.

Au fond, il savait déjà tout ça.

La conclusion d'Aidan était celle à laquelle il serait lui-aussi parvenu s'il avait été capable d'être objectif sur la question.

« Je vais demander son avis à Severus. » décida-t-il, son humeur s'allégeant légèrement à la pensée que son ancien Professeur de Potions était enfin sorti d'affaire.

« On m'a dit qu'il était sorti du coma. » commenta le Langue-de-Plomb. « Que pensez-vous de lui ? Je dois dire que je n'ai plus eu de contacts avec lui depuis ma scolarité. J'étais suffisamment bon en Potions pour qu'il ne s'en prenne pas à moi mais sa réputation le précède. S'il compte diriger l'Ordre du Phoenix avec la même souplesse qu'il mettait dans une salle de classe… »

« Severus est brillant. » rétorqua-t-il, immédiatement sur la défensive.

Aidan lui jeta un regard inquisiteur, plaça la rune, vérifia qu'elle s'était bien reliée au réseau puis sortit du trou pour le reboucher. « Je n'ai pas dit le contraire. Toutefois, qu'un homme soit brillant ne veut pas dire qu'il devrait être en position d'autorité. »

« Je lui confierais ma vie et celle de ma famille sans hésiter et les yeux fermés. » insista Bill. « J'ai plus confiance en lui pour prendre les bonnes décisions au sommet qu'en n'importe qui d'autre. »

« Même le Professeur Dumbledore ? » demanda Aidan, l'air de rien, en lui tendant la pelle.

Le Briseur-de-Sorts la prit mais ne bougea pas pour rejoindre l'emplacement suivant, le dévisageant avec suspicion. « Qu'essayez-vous de me faire dire ? »

« Rien. » se défendit le Langue-de-Plomb, en le délestant de la carte. « Je désire simplement entendre votre opinion sur la situation. »

Bill ne se détendit pas tout à fait et s'il commença à creuser là où le lui indiqua l'autre sorcier, il se referma légèrement. « Mon opinion n'a pas beaucoup d'importance. »

Son ton était sec et un silence un peu gêné s'installa entre eux. Ils travaillèrent pendant un petit moment sans échanger un mot de plus, bien qu'Aidan semblait chercher comment rattraper sa bévue.

« Que savez-vous des Langues-de-Plomb ? » s'enquit finalement l'ancien Poufsouffle.

« Ce que tout le monde en sait, je suppose. » Il haussa les épaules, se demandant vaguement si Fleur accepterait de lui faire un massage, plus tard, pour dénouer ses muscles. « C'est-à-dire uniquement ce qu'ils veulent bien qu'on sache. »

Un sourire amusé joua sur les lèvres de l'autre sorcier. « Une définition très adéquate. Un peu plus sur la droite. » Bill ajusta ses pelletées et Aidan reprit, après quelques secondes : « Les Langues-de-Plomb sont généralement sous les ordres directs du Ministre. Nous avons, bien évidemment, un Chef de Département mais son identité est connue de nous seuls et du Ministre en place. Il y a différentes branches au sein du Département : recherches, études de cas, services plus… délicats. Certains combinent les deux. »

Bill cessa de creuser pour lever la tête vers lui, sourcils froncés. « Êtes-vous censé en révéler autant ? »

Aidan continua comme s'il ne l'avait pas interrompu. « On ne postule pas auprès des Langues-de-Plomb, les Langues-de-Plomb vous trouvent. » Il agita la carte qu'il avait à la main pour balayer le sujet. « Je me suis penché sur votre carrière, Bill, vous publiez peu… »

Il fit la grimace. « Je préfère l'aspect pratique. Je ne suis pas bon pour les synthèses et je n'aime pas vraiment le monde de la recherche. Et puis, ça ne paye pas aussi bien. »

Il se remit à creuser.

« Et pourtant vous avez des techniques qui vous sont propres et qui sont tout simplement remarquables. Votre travail sur la Marque des Ténèbres, seul… » contra le Langue-de-Plomb. « Sans parler du fait que, selon les rumeurs, vous êtes bon combattant. En conséquence, je m'étonne que personne ne vous ait approché avant. »

« Approché pour quoi ? » demanda-t-il distraitement, en évaluant la profondeur du trou.

« Lorsque le pays aura retrouvé un semblant de normalité et le Ministère un fonctionnement décent, que penseriez-vous d'intégrer les Langues-de-Plomb, Bill ? » s'enquit Aidan, d'un ton plaisant, comme s'il lui offrait simplement un verre d'eau.

Bill releva brusquement la tête pour le dévisager. « Quoi ? »

« Le salaire est plus que correct. » déclara l'autre sorcier. « Les avantages aussi. Et il y a des possibilités d'évolution. Vous aimez la partie pratique, vous ne serez pas déçu. Il y a bon nombre de mystères en ce monde que nous cherchons à résoudre depuis longtemps et nous ne crachons jamais sur les bons combattants. »

Le Briseur-de-Sorts le dévisagea, un peu choqué. « Vous êtes en train de me proposer de devenir Langue-de-Plomb ? »

« Si cela vous intéresse et si nous survivons à cette guerre, oui. » répondit Aidan. « Réfléchissez-y. »

C'était…

Il ne savait pas quoi en penser.

°O°O°O°O°

« Harry… » soupira-t-il, à court d'arguments.

Le tigre faisait la sourde oreille.

Couché sur le lit d'appoint, son fils lui tournait le dos et semblait l'ignorer résolument.

Severus commençait à comprendre pourquoi Sirius avait l'air si épuisé. Il avait déjà dû affaire à l'entêtement d'Harry mais rarement à ce niveau d'obstination. L'adolescent ne voulait rien entendre sur MacNair ou les Dursley ou sur le fait de redevenir humain. À chaque fois qu'il ramenait la conversation sur le tapis depuis qu'ils avaient été interrompus par sa magie erratique ce matin-là, Harry se détournait ou feignait de devenir sourd avant même qu'il ait pu rentrer dans le vif du sujet.

Les coups à la porte arrivèrent un peu comme une bénédiction parce qu'il était en passe de perdre son calme par frustration pure et que cela n'aiderait pas le garçon à reprendre confiance.

« Entrez. »

La porte s'ouvrit sans attendre sur une Minerva au sourire ravi et aux yeux un peu trop brillants.

Severus se redressa immédiatement, resserrant par réflexe les pans de sa robe de chambre. S'il avait eu le plein contrôle de sa magie, il aurait déjà transformé son pyjama en robe noire…

« Minerva. » la salua-t-il, l'inspectant sans en avoir l'air à la recherche d'une quelconque blessure qu'on aurait oublié de lui signaler.

« Je deviens beaucoup trop vieille pour ce genre de chocs, vous savez. » le gronda-t-elle, en pénétrant dans la pièce. « Vous devez vraiment cesser de me jouer des tours pareils. »

Il leva les yeux au ciel. « Votre capacité, à tous, à penser que je me jette dans les bras du Seigneur des Ténèbres par plaisir me laisse cois. »

« Vous n'êtes jamais cois. » contra-t-elle, non sans amusement, en approchant du lit. « Puis-je faire quelque chose que vous allez détester ? »

Avec un soupir résigné et un mécontentement plus feint qu'autre chose, il ouvrit un bras et accepta l'étreinte un peu raide de sa collègue. Minerva, toutefois, avait ça de bon qu'elle n'appréciait pas plus les démonstrations d'affection larmoyantes que lui et le relâcha rapidement – mais non sans attraper son menton et le forcer à lever la tête pour croiser son regard.

« Je suis sérieuse. Soyez plus prudent à l'avenir. » ordonna-t-elle. « Il y a des gens que je supporterais très mal de perdre et, que vous le vouliez ou non, vous êtes en tête de ma liste. »

Plus touché qu'il ne souhaitait l'admettre, il effleura son poignet pour qu'elle le lâche et se racla la gorge. « J'étais heureux d'apprendre que vous n'aviez rien non plus. Vous avez été décisive durant la bataille. »

« Comme quoi, je suis encore bonne à autre chose qu'à jouer les intendantes. » grinça-t-elle, en s'appropriant la chaise qui traînait à côté du lit. Elle glissa également un regard vers le tigre qui feignait toujours d'être sourd et muet. « Bonjour, Mr Potter. Toujours pas décidé à rejoindre le monde des humains, je vois. »

Harry n'eut aucune réaction.

« Ne sois pas impoli. » exigea Severus.

On ne pouvait pas tout lui passer sous prétexte qu'il avait vécu un événement traumatisant. Dans le cas contraire, à l'allure où il les collectionnait, on ne pourrait bientôt plus rien lui dire du tout.

Le tigre poussa ce qui s'apparentait à un soupir, se tourna juste assez pour saluer sa Directrice de Maison d'un hochement de tête puis se recoucha, en les ignorant à nouveau.

Eh bien, puisqu'il ne voulait pas écouter…

Severus sortit sa baguette par pur réflexe, avant de faire la grimace. Il hésita à la re-ranger puis décida qu'il fallait bien commencer à réapprendre à contrôler la puissance de ses sorts à un moment donné. « Assurdiato. »

Il fit de son mieux pour endiguer l'afflux de pouvoir que ce simple sort déclencha mais Harry rugit soudain, les oreilles aplaties sur le crâne…

« Finite. » lança-t-il, un peu dans la panique.

Au lieu de mettre un terme uniquement à l'Assurdiato, le sort fit disparaître le lit d'appoint sur lequel Harry était couché, l'envoyant rouler au sol, et annula probablement tous les sorts d'alarmes que Pomfresh et Andromeda utilisaient pour surveiller ses constantes à distance.

Le tigre se remit sur ses pattes, s'ébroua et lui jeta un regard qui en disait long.

Severus résista de justesse à l'envie de lui dire qu'il n'avait qu'à redevenir humain s'il souhaitait se plaindre.

« Poppy a mentionné ce petit problème… » déclara Minerva, comme si le problème en question était mineur.

De quelques coups de baguette, elle avait fait réapparaître le lit sur lequel Harry se réinstalla après un court moment d'hésitation, et apposa une bulle de silence autour d'eux qui leur permettrait de discuter sans que le tigre ne les écoute.

« Petit. » répéta le Maître des Potions, dépité. « Je ne contrôle rien. En combat, je serais tout autant un danger pour les nôtres que pour l'ennemi. »

Minerva pinça les lèvres et lui jeta un regard sévère. « Vous êtes sorti du coma, il y a moins de vingt-quatre heures. Serait-il envisageable de vous laisser quelques jours pour vous habituer à l'absence de la Marque avant de commencer à paniquer ? »

Ravalant la remarque acerbe qui lui montait aux lèvres, l'ancien Mangemort soupira. « Je déteste quand vous êtes plus raisonnable que moi. »

« Tout le monde est plus raisonnable que vous lorsqu'il est question de ce que vous exigez de vous-même, Severus. » se moqua-t-elle. Son expression se radoucit, pourtant. « Poppy m'a dit que vous parveniez à mieux vous contrôler sans baguette ? »

« Les sorts simples me viennent plus facilement qu'avant. » admit-il. « Cependant, cela ne sera pas suffisant en combat. J'ai besoin de ma baguette et j'ai besoin de maîtriser ma magie. »

La sous-directrice secoua la tête avec un léger amusement. « Vous bougonnez mais ce n'est pas un véritable problème. Auriez-vous eu le problème inverse, là, je pourrais concevoir que cela vous contrarie… Mais vous n'êtes pas un Cracmol, mon garçon, vous allez simplement devoir exercer un peu plus de contrôle, ce pourquoi vous êtes expert. Je ne vous donne pas une semaine pour parvenir à maîtriser à nouveau votre magie. »

« En attendant, perdre mon calme est dangereux. » soupira-t-il. « Si ma magie est imprévisible lorsque je tente de la focaliser, imaginez ce qu'il adviendra si je laisse libre court à ma fureur. Et je suis furieux, ne vous méprenez pas. »

Son ton était devenu glacial.

Minerva, parce qu'elle le connaissait trop bien, ne prétendit pas qu'elle ne comprenait pas pourquoi.

« Personne ne m'a mise au courant au préalable. » se défendit-elle. « On m'a informée que Potter avait été renvoyé dans sa famille, après coup. J'ai protesté. Nous avons tous protesté. » Elle agita la main avec agacement. « Il y a des sujets sur lesquels Albus peut être extrêmement buté. »

L'explication ne le satisfaisait pas mais il supposait qu'il ne pouvait pas choisir de passer l'éponge pour Sirius et lui en tenir rancune à elle. « Soit. »

« Ne boudez pas, Severus. C'est déplacé chez un homme de votre âge. » commenta-t-elle. Une remarque qu'elle lui avait faite souvent au cours des dernières années, principalement lorsque Gryffondor l'emportait sur Serpentard.

Il lui jeta un regard noir où l'irritation se disputait à l'affection mais ramena la conversation sur un sujet plus sérieux. « Mes élèves ? »

Sirius avait été succinct sur le sujet et s'il avait bien saisi qu'il y avait eu des morts, il ignorait qui.

L'expression de la sous-directrice s'attrista. Elle décala la chaise de sorte qu'Harry soit tout à fait dans son dos et ne puisse pas apercevoir son visage.

« Les pertes sont très lourdes. » annonça-t-elle. « Trop lourdes. »

Elle égrena des noms d'enfants beaucoup trop jeunes pour s'être éteints dans les Maisons qui n'étaient pas la sienne.

« Et les miens ? » exigea-t-il de savoir. Il était possible qu'il n'y ait eu aucun mort chez Serpentard mais il en doutait.

« Les vôtres… » soupira Minerva, avec un regard d'excuse. « Beaucoup des vôtres avaient été prévenus en amont et se sont sauvés. »

« Statistiquement, j'ai plus d'enfants de Mangemorts. » remarqua-t-il. « Ce n'est pas bien étonnant. » Il la dévisagea pourtant. « Il n'y a donc aucune perte ? »

« Si. » répondit-elle tristement. « Blaise Zabini et Daphné Greengrass. »

Il y avait une poignée d'autres noms et chacun d'eux lui fit mal.

Il était leur Directeur de Maison, c'était son rôle de les protéger. C'était son rôle de…

Zabini, entre tous, était un coup au cœur. Rares étaient les élèves qu'il appréciait réellement mais Blaise avait été de ceux-là. Calme comme l'eau qui dort, raisonnable et pourtant extrêmement calculateur… Il avait nourri de grands espoirs pour ce garçon.

« Je vois. » lâcha-t-il.

« Draco Malfoy a été héroïque, ce jour là. » lui expliqua-t-elle. « Sans lui, les plus jeunes auraient sans doute été décimés. Lui et Miss Parkinson les ont mis en sécurité dans la salle commune de Serpentard. »

Parkinson était une surprise. Il l'avait nommée préfète comme une faveur pour son père mais son choix se serait naturellement porté sur Greengrass.

« C'est bien. » commenta-t-il, sans intonation particulière.

« Zabini est mort devant lui. » précisa-t-elle. « Il a du mal à s'en remettre et se pense responsable de la mort de ceux qu'il n'a pas pu sauver dans les cachots. Lorsque vous serez remis… Il vous a toujours respecté. »

« Plus tant que ça dernièrement. » corrigea-t-il. « Mais je lui parlerai. »

Il le devait à Lucius.

Il devait énormément à Lucius.

Ce qui signifiait qu'il avait désormais une dette envers Draco.

« Vous a-t-on dit pour Filius ? » s'enquit-t-elle, après un moment de silence.

Son chagrin était palpable et Severus le partageait, non seulement parce que leur collègue était un sorcier au talent inégalé mais également parce qu'après ce qu'il avait subi cette année… Cela paraissait injuste qu'il ait survécu à une dimension démoniaque uniquement pour mourir assassiné par l'un des leurs sous Imperium.

« Pomona ? » demanda-t-il, en se rendant soudain compte que personne ne l'avait évoquée.

« Elle va bien. » le rassura-t-elle. « Elle a tenu presque seule l'aile de l'infirmerie pour mettre en sécurité les enfants et les blessés. Par contre… Nous avons également perdu Charity et Septima. »

Nouveau coup au cœur.

Il appréciait Charity Burbage parce qu'elle était calme et ne se sentait jamais forcée d'entamer la conversation s'ils se retrouvaient seuls en salle des Professeurs. Quant à Septima Vector, elle était tellement rationnelle alors que leurs collègues avaient tendance au fantasque qu'ils avaient eu plus d'un débat scientifique amical au cours des années.

Il lui apparut soudain, avec un pincement au cœur, qu'il avait cru toutes ces années n'avoir comme véritables amis qu'Albus et Minerva mais que ses collègues, à son corps défendant, méritaient peut-être également ce titre. Il ne s'était simplement pas aperçu qu'il les appréciait autant.

« Qui d'autre ? » demanda-t-il. « Je sais que Horace, au moins, a survécu. »

« Sybille n'est pas sortie d'affaire. » lui apprit-t-elle, avec une moue contrariée. Sans doute parce qu'aucun d'eux deux ne la portait dans son cœur et s'en sentait un peu coupable. « Elle a été prise par la déflagration dans les cachots. Poppy n'a pas pu sauver sa jambe et ses autres blessures étaient importantes… Nous ne l'avons pas dit à Malfoy. Il se sentirait coupable et ce n'est certainement pas sa faute. »

Severus poussa un profond soupir puis attira à lui le bureau d'appoint qu'il s'était aménagé à l'aide d'une des tables à roulettes qui servaient d'ordinaire aux repas. Il souleva quelques parchemins, consulta les notes que la dictaplume avait prises…

« J'ai eu une conversation quelque peu mouvementée avec Albus, ce matin. » lâcha-t-il.

« Quelque peu mouvementée ? » railla-t-elle. « Je suppose que c'est positif, je pensais sincèrement que vous lui arracheriez la tête. »

« Aurais-je eu la pleine possession de mes moyens et ne m'aurait-il pas tendu une embuscade alors que j'étais entouré de ceux qui me sont chers, la conversation aurait sans doute été différente. » admit-il. « Toutefois, ce n'est pas le sujet. »

« Ce n'est peut-être pas le sujet mais… Severus, il vous aime comme un fils et il a, lui aussi, perdu des êtres chers dans la bataille. » remarqua-t-elle prudemment.

« Ne vous mettez pas au milieu, Minerva. » supplia-t-il presque. Ce n'était pas un schéma qu'il voulait revivre. « Et ne me demandez pas de lui pardonner d'avoir mis mon fils en danger. Voyez dans quel état il est… Et c'est en partie de sa faute pour ne pas dire que ça l'est totalement. »

Le tigre n'avait pas bougé une moustache depuis qu'il s'était rallongé. Il était prostré, abattu…

La sous-directrice soupira. « Soit. Que voulez-vous savoir, puisque vous n'êtes très visiblement pas en train de suivre les instructions de vos Médicomages et de prendre du repos ? »

« Je prendrais du repos lorsque nous aurons à nouveau un semblant de gouvernement. » marmonna-t-il.

« N'est-ce pas un travail pour Albus ? » rétorqua-t-elle.

Il leva les yeux au ciel. « Notre cher Ministre pense gouverner le pays comme il gouverne l'école, c'est-à-dire en se penchant sur ce qui l'intéresse et en ignorant le reste jusqu'à ce qu'un subalterne ne l'en décharge. Sauf qu'il n'y a plus de subalternes, de ce que l'on me dit. »

« Eh bien, bon courage à vous. » lui souhaita-t-elle. « Être sa sous-directrice est suffisamment pénible, je n'imagine pas devoir lui servir de sous-Ministre. »

Les lèvres de Severus s'étirèrent dans un rictus et sa voix se fit mielleuse. « Comme il est amusant que vous en fassiez mention… »

Les yeux de la vieille femme s'écarquillèrent sous le coup de la compréhension et elle croisa les bras, frappant du talon pour mieux souligner son propos, trahissant son mauvais caractère écossais.

« Ah non, Severus ! Hors de question ! »

°O°O°O°O°

La bulle de son chewing-gum éclata bruyamment dans la pièce vide et Nymphadora le mastiqua avec davantage de force, l'arôme chimique de fraise un maigre substitut à son désir de nicotine. Elle résistait pourtant à l'appel des cigarettes avec obstination et s'efforçait de se concentrer sur les rapports qu'avaient rédigés les Aurors en planque près d'Azkaban.

La porte était restée ouverte, les coups frappés au battant étaient une formalité. Elle releva la tête, anticipant une urgence, et se tendit lorsqu'elle aperçut Remus qui se tenait là, les mains dans les poches. Il n'avait pas l'air certain de s'il devait avoir l'air penaud ou agacé.

Mais cela résumait parfaitement Remus, ces derniers mois : deux natures opposées qui le tiraillaient dans des directions différentes or la fusion des deux n'avait pas été des plus heureuses.

« Je peux te parler ? » demanda-t-il, prudemment.

« Non. » cingla-t-elle, en reportant les yeux sur le rapport qu'elle était en train de lire.

Elle feignit de le parcourir, n'en retint pas une ligne.

Elle détestait qu'il la perturbe à ce point. Son cœur s'était emballé pour les mauvaises raisons, elle était extrêmement consciente de chaque point de fuite potentiel qu'offrait la pièce, ainsi que chaque élément qui pourrait, le cas échéant, être transformé en arme de défense si sa baguette n'y suffisait pas… Son corps avait catalogué le loup-garou comme une menace.

« Severus voulait que je te donne ça. » insista-t-il, en se rapprochant juste assez pour jeter un parchemin plié en quatre devant elle. Il avait été scellé à un moment donné, des bouts de cire y collaient encore. « Je l'ai déjà montré à Kingsley qui a approuvé. Je voulais que tu le saches aussi. »

Elle déplia le parchemin et déchiffra facilement l'écriture en pattes de mouche plus que tremblantes notées à la va-vite au stylo bic. Parce qu'il avait écrit lui-même au lieu d'utiliser une dictaplume, elle sut que c'était probablement à elle qu'il avait destiné le parchemin, en premier lieu. Cependant, elle n'était pas étonnée que Remus soit allé directement voir Kingsley.

Quant à pourquoi il avait décidé de le lui apporter en second, ce n'était pas dur à deviner.

C'était l'excuse rêvée pour la forcer à lui parler.

La proposition de Severus était sensée, libérerait la majorité de ses Aurors et, surtout, Kingsley l'avait déjà validée, à l'entendre. Elle écarta le parchemin et se reconcentra sur son rapport.

« Tu as tes ordres, on dirait. » lâcha-t-elle. « Au revoir, donc. »

Mais, bien sûr, il ne s'en alla pas.

Pourquoi respecter ses désirs, après tout ?

Pourquoi la respecter tout court ?

Il se racla la gorge. « Dora… »

« Je suis désolée, Dora. Ça ne se reproduira plus. » singea-t-elle, sans lever la tête. « Tu vois, je connais la chanson, inutile de me la chanter. Au revoir, Remus. »

« Je comprends que tu sois en colère. » insista-t-il. « J'ai très mal interprété… »

« Oui. » le coupa-t-elle, à nouveau. « Visiblement tu as du mal avec l'interprétation alors laisse-moi être aussi claire que possible : je ne veux plus te voir, je ne veux plus te parler et je ne veux plus travailler avec toi. Si tu dois voir quelque chose avec le Département des Aurors, passe par Kingsley ou Bertha, ils transmettront. Pour le reste, on n'a aucune raison de se parler. »

« C'est peut-être un peu exagéré, tu ne crois pas ? » grimaça-t-il. « Écoute, je sais que c'est ma faute… »

« Tu sais que c'est ta faute mais. » se moqua-t-elle. « Il y a toujours un mais avec toi et ça ne m'intéresse plus. On n'est plus ensemble, on ne se remettra jamais ensemble et si tu t'avises d'essayer de me toucher à nouveau comme tu l'as fait, ce ne sera pas un genou que tu prendras dans l'entrejambe mais un diffindo. C'est assez clair comme ça ? Rien que tu pourrais mal interpréter ? »

« Tu n'as pas besoin de me menacer… » se défendit-il.

« Oh, mais je ne te menace pas, Remus. » déclara-t-elle froidement. « Je t'informe. »

Elle fut soulagée de se voir interrompue par une des recrues. « Madame, une attaque dans le sud. Loups-garous confirmés, cette fois. »

« Oui, ils me poursuivent. » ironisa-t-elle, en enfermant à la va-vite le rapport dans un des tiroirs du bureau.

« Tu veux… » hésita-t-il.

« Je veux que tu me foutes la paix. » cracha-t-elle, consciente du regard gêné de l'aspirant Auror. « C'est tout ce que je veux de toi. »

Elle partit à grandes enjambées, ordonnant à la recrue de rassembler son équipe.

Mais elle ne partit pas assez vite pour ne pas entendre Remus lui demander de faire attention.

Les nerfs en pelote, elle plongea la main dans sa poche et la referma sur son paquet de cigarettes.

À cause de ce connard, elle allait céder et s'en griller une.

°O°O°O°O°

Severus aurait nié être fatigué mais il commençait à peiner. Les mots se mélangeaient sur la page de notes qu'il avait prises lors de ses entretiens avec Lupin et Minerva. Il y avait un millier de problèmes urgents à régler et qu'Albus puisse penser s'en sortir seul le sidérait.

Avec un soupir, il reposa le parchemin et s'autorisa à fermer les yeux quelques secondes.

Le grondement inquiet ne tarda pas et, lorsqu'il rouvrit les paupières, ce fut pour se retrouver avec une tête de tigre pratiquement collée à son visage. Il repoussa Harry, non sans réprimer un sourire.

« Je vais bien. » le rassura-t-il. « Ce n'est qu'une légère migraine. »

Le grondement se fit plus réprobateur.

« Oui, je sais bien que je suis censé me reposer mais je préférerais avoir la certitude que le pays ne s'écroule pas autour de nous pendant que je fais la sieste, d'abord. » ironisa-t-il.

Les coups à la porte étaient légers, presque hésitants. Il invita le visiteur à entrer, se renfrognant un peu lorsque la tête de Slughorn passa par l'entrebâillement pour jeter un coup d'œil à l'intérieur, avant que le reste de son ancien Directeur de Maison ne se décide à la suivre.

« Severus. » le salua l'autre Maître des Potions, avec un hochement de tête. Son regard s'égara vers le tigre et il leva les sourcils. « Mr Potter. Une magnifique forme Animagus, si je puis me permettre… L'animal favori de votre mère, si je ne me trompe ? »

Severus serra les dents à cette mention de Lily.

Penser à elle ne lui faisait plus aussi mal et ce n'était pas pour lui-même qu'il aurait préféré que le Professeur s'abstienne. Dans l'état dans lequel était Harry…

Après un moment d'hésitation, le fauve hocha lentement la tête puis s'éloigna pour reprendre sa place sur le lit d'appoint, leur laissant un semblant d'intimité. De toutes les visites qu'il avait eues ce jour-là, Lupin était le seul envers qui il avait été hostile, Severus l'avait bien noté.

« Asseyez-vous. » l'invita-t-il, avec une politesse qui lui demanda un effort certain.

Horace observa la chaise avec méfiance puis, d'un coup de baguette, la transforma en un fauteuil plus confortable dans lequel il s'installa, avant de consulter sa montre. « Une tasse de thé, peut-être ? »

Sans attendre de réponse, il appela un des elfes de Poudlard et, quelques minutes plus tard, ils avaient tous les deux entre les mains une tasse fumante préparée exactement comme ils le préféraient.

Severus se demanda si tout le monde dans le château utilisait les elfes de la sorte et si les réserves, pourtant confortables, d'Albus y résisteraient. Pour l'instant, ils avaient encore un accès facile à un ravitaillement potentiel et il restait toujours, dans tous les cas, l'option d'aller se fournir chez les Moldus. Néanmoins…

« Albus m'a dit que vous souhaitiez me parler. » déclara Horace, avec un soupçon d'incertitude. « S'il s'agit de la potion Révèle-Loup, j'avoue avoir mis les recherches entièrement de côté. Nous avons épuisé notre réserve de potions durant la bataille et il m'a fallu pallier au plus urgent. J'ai mis mes étudiants les plus doués à contribution mais je vous avoue que je commence à m'inquiéter du stock d'ingrédients… Mes fournisseurs habituels sont… »

« Je vous dois des remerciements. » le coupa-t-il, ignorant le regard curieux qu'Harry lui jeta.

L'ancien Directeur de Maison ne lui fit pas l'affront de prétendre ne pas comprendre.

« L'Auror Tonks. » lâcha Horace. « Elle avait fait le gros du travail par elle-même avant que je n'arrive, vous savez, juste assez pour que je parvienne à la stabiliser. Une brillante jeune femme que vous vous êtes trouvé là, Severus. »

Il ignora le compliment qu'il ne méritait pas.

Il ne l'avait pas trouvée, c'était elle qui était venue le chercher.

« Vous l'avez sauvée. » insista-t-il. « Elle serait morte sans vous. »

Et il ne se souvenait que trop bien de la douleur qu'il avait éprouvée à l'idée de l'avoir perdue. Que Slughorn…

« Je l'ai stabilisée. » nuança Horace. « Sans Remus pour la transporter à l'infirmerie et Andromeda pour terminer le travail, elle n'aurait probablement pas survécu. »

Envers Lupin, il ne ressentait aucune obligation. Le loup leur avait suffisamment pourri la vie comme ça. Si l'un d'eux devait quoi que ce soit aux autres…

Andromeda était sa mère et Médicomage de surcroit.

Non… À entendre Sirius et Minerva, c'était Horace qui avait risqué sa peau en montant tout en haut de la tour d'Astronomie pour aller la soigner.

« Il n'empêche. » contra-t-il. « J'ai une dette envers vous et… »

« Non. » l'interrompit fermement son ancien Directeur de Maison, en gardant les yeux rivés sur sa tasse de thé encore fumante. « Écoutez… Nos disputes me laissent un très mauvais arrière-goût en bouche. Considérons nos différents clos, pour de bon, et reprenons une véritable relation de travail d'égal à égal. »

Soupçonneux, Severus prit une gorgée de thé pour se donner contenance. « Cela ne vous ressemble pas de cracher sur une dette magique, surtout venant de quelqu'un en ma position. »

Horace sembla ruminer quelque chose quelques secondes puis soupira. « Techniquement parlant, si dette il devait y avoir, elle me lierait davantage à cette jeune femme qu'à vous. »

« Sa dette est mienne. » rétorqua-t-il, avec une note d'avertissement.

Il aurait dû le savoir.

Nymphadora avait un poste aussi élevé que le sien et si Slughorn désirait…

« Calmez-vous. Je vous l'ai dit, il n'y aura pas de dette. » répondit Horace. « Je n'en veux pas. Je suis un vieil homme, Severus, avec mes qualités et mes défauts. On ne change pas un sorcier de mon âge, toutefois… Je persiste à penser que ce n'était pas mon rôle d'intervenir dans ce que vous me reprochez… »

Il était resté vague parce qu'Harry était dans la pièce, songea Severus, mais même l'allusion voilée était suffisante pour le mettre en colère. Après ce que le Seigneur des Ténèbres lui avait fait subir… Il sentit sa magie bouillonner en lui, augmenta ses boucliers mentaux dans une tentative de se contrôler avant de provoquer une catastrophe…

« Cependant, peut-être aurais-je dû être plus à l'écoute. » termina son ancien Professeur, en l'observant par-dessus le bord de sa tasse de thé. « Vous êtes un Directeur de Maison très différent de moi. Peut-être que votre approche a du mérite. »

« Mon approche consiste à m'assurer que tous les élèves sous ma responsabilité soient en sécurité. » grinça-t-il. « Effectivement, j'estime qu'elle a du mérite. »

« N'est-ce pas ce que je viens de dire ? » contra poliment Horace.

Severus prit une profonde inspiration et la relâcha tout aussi lentement. « Parlons plutôt potions. »

C'était encore l'option la moins susceptible de déclencher une dispute.

Peu dupe du changement soudain de sujet, Slughorn afficha un air réjoui. « Mais, mon garçon, je n'attends que ça. »

°O°O°O°O°

« Tu as conscience que nous nous faisons exploiter. » soupira Draco, en rajoutant une pincée de poudre dans son chaudron.

Hermione leva brièvement les yeux de la potion qu'elle était patiemment en train de mettre en fioles.

« Nous contribuons à l'effort de guerre. » le corrigea-t-elle. « Nous faisons quelque chose d'utile. »

Et c'était toujours mieux que de rester enfermée dans la chambre qu'elle partageait avec Ginny à fixer le plafond du regard ou de passer des heures à échanger des coups d'œil désespérés avec Madame Pince parce que la bibliothèque était prise d'assaut par des gens trop bruyants.

« Oui et, pendant ce temps, Slughorn prend le thé avec Snape. » rétorqua son petit-ami, en remuant sa potion dans le sens des aiguilles d'une montre. « Note comme les Maîtres des Potions ne font pas grand-chose dans ce château ? »

La salle de Potions était vide mis à part eux. Elle savait que Slughorn avait recruté d'autres élèves, principalement ceux de sa classe d'A.S.P.I.C.s, mais ces derniers avaient préféré utiliser le laboratoire que le Professeur prêtait parfois aux élèves pour leurs recherches plus poussées en septième année. C'était donc tranquille et la tranquillité, à Poudlard, en ce moment, était dure à trouver.

Les cachots n'avaient que peu de logements d'appoints et étaient plus difficiles d'accès parce que les Aurors y avaient enfermé les prisonniers et surveillaient les allées et venues. Rien que pour ça, Hermione était tentée d'y déménager.

Le calme lui manquait.

Et, paradoxalement, les appartements des Weasley étaient trop calmes pour des Weasley. Les jumeaux ne faisaient plus de plaisanteries, Bill avait visiblement trop de soucis en tête, Mrs Weasley faisait de son mieux mais ses périodes d'abattement étaient nombreuses, Ron semblait faire comme si de rien n'était et Ginny était renfermée. Hermione passait le plus clair de son temps dans sa chambre ou chez Sirius, avec l'impression qu'elle empiétait sur le deuil des autres en permanence. L'aurait-il permis et Harry aurait-il été en état, elle aurait sans doute campé chez Snape si les choses avaient été différentes. C'était le seul de ses meilleurs amis qui n'avait pas été touché directement par la mort de quelqu'un.

Enfin, il y avait bien son oncle… Mais si Ron avait manqué de tact en l'insultant, elle ne pouvait pas imaginer qu'il manquerait à Harry. Pas après les quelques histoires que le garçon avait raconté à son sujet.

« Slughorn a promis que cela compterait pour nos examens. » lui rappela-t-elle.

Draco émit un bruit moqueur. « Quels examens ? Ils sont partis en fumée, Granger. Et s'il y a deux personnes qui n'ont pas à se soucier d'avoir leur choix de classes d'A.S.P.I.C.s quoi qu'il en soit, c'est bien toi et moi. Blaise dit que… »

Il s'interrompit brusquement, la louche dans les airs, comme interpellé par ce qui venait de sortir de sa propre bouche.

Hermione cessa sa mise en fioles pour l'observer. « On peut parler de lui, tu sais. Si tu veux. »

Il refusa immédiatement d'une secousse de la tête.

Son père, il arrivait à l'évoquer à demi-mots mais Blaise et Daphné…

Et comme par association d'idées, il se racla la gorge. « Les Greengrass ont décidé de rester à Poudlard. »

Lentement, mesurant chaque geste, il reprit la préparation de sa potion.

« Je sais, Ginny me l'a dit. » répondit-elle. « Elle a passé beaucoup de temps avec Astoria, ces derniers jours. »

Elles avaient vécu la même chose et ça les rapprochait.

Depuis la Trêve, il n'était pas rare de trouver Ginny, Astoria et Luna ensemble mais ce qui s'était passé dernièrement semblait avoir soudé la Gryffondor et la Serpentard d'une manière indestructible.

« À propos de Ginny… » reprit Draco, d'un ton un peu trop enjoué pour être naturel.

Hermione souleva son chaudron désormais vide pour aller le mettre sur la pile des sales empilés dans un coin. « Quoi Ginny ? »

« Eh bien… Tu ne le tiens pas de moi, mais Potter… » murmura-t-il, de ce ton qu'il utilisait toujours pour répandre un commérage.

« Ah non, Draco ! » protesta-t-elle. « Je ne sais pas comment tu as appris ça mais tu ne peux pas le raconter à tout le monde. Ron n'est pas au courant et… Et je ne crois pas que ça va tenir bien longtemps, de toute manière. »

Ce qui l'attristait.

Ginny était amoureuse d'Harry depuis si longtemps… Et elle n'avait pas besoin de ça, surtout en ce moment.

Et Harry… Ça lui aurait donné un peu de la stabilité dont il manquait cruellement.

Il leva les yeux au ciel mais un sourire en coin étirait sa bouche. « Rabat-joie. »

Elle déposa un baiser sur sa joue, au passage, en retournant à sa station de travail, faisant léviter un chaudron vide sur la table, avant de tourner les pages du manuel pour vérifier la recette de la potion de reconstituant sanguin dont l'infirmerie manquait.

« Ça confirme ce que je dis depuis des années, tu sais. » remarqua Draco, quelques minutes plus tard. « Potter est un idiot. Ginny mérite beaucoup mieux. »

Elle leva un sourcil à cette affirmation si tranchée. « Je devrais être jalouse ? »

Le Serpentard lui jeta un regard taquin qui la fit sourire, même si elle n'avait jamais été véritablement inquiète. Draco était beaucoup de choses mais volage, certainement pas. Il était absolument sérieux lorsqu'il disait vouloir l'épouser – ce qui la terrifiait mais, d'une certaine manière, c'était aussi rassurant de savoir qu'il était aussi impliqué dans leur histoire.

« Si Ron l'apprend, ça ne va pas bien se passer. » la mit-il en garde.

Elle soupira. « Je sais. »

Et ce n'était pas tant question de si que de quand.

Elle doutait fort que ce secret puisse perdurer éternellement.

« Peut-être que ça va s'arranger… » espéra-t-elle.

« Je ne suis pas certain qu'on doive le souhaiter à Ginny. » remarqua-t-il, en posant la louche sur le plan de travail avant de se frotter les mains. Sa potion devait reposer pendant quatre heures, il entreprit donc de commencer à ranger les ingrédients qu'il avait utilisés. « Je sais que tu ne veux pas l'entendre mais Potter… Il y a des gens qui veulent survivre et d'autres qui survivent malgré eux et malgré tous leurs efforts pour s'assurer du contraire. Il n'est pas dans la bonne catégorie. »

« Raison de plus pour l'aider et l'entourer. » rétorqua-t-elle, sur la défensive.

Draco refusait délibérément de croiser son regard. « Je ne suis pas certain que ce soit suffisant. » Il garda le silence une seconde, le temps de renvoyer les bocaux dans la réserve d'un coup de baguette qui lui aurait valu des remontrances si Snape avait été dans la pièce. « J'ai trouvé quelques mentions des Tu-sais-quoi. C'était très voilé et je pense que, si tu veux véritablement enquêter, notre meilleure option est de trouver le livre qui explique comment les créer mais, Hermione… »

Il ne l'appelait Hermione que très rarement, lorsque la conversation était sérieuse, et elle se prépara à entendre quelque chose qui ne lui plairait pas.

Il se tourna vers elle lentement, presque à contrecœur, et croisa son regard. « Tout ce que j'ai lu jusqu'ici… »

Tout ce qu'il avait lu disait que créer un horcruxe humain était impossible et qu'il n'y avait aucune manière de détruire un horcruxe sans détruire son vaisseau. Hermione le savait parce que c'était tout ce qu'elle avait trouvé elle aussi.

« Je refuse d'abandonner. » l'avertit-elle.

Il leva les mains et les laissa retomber. « Je ne dis pas que nous devons abandonner, je dis que… Peut-être est-il cruel de lui donner de faux espoirs et de lui dire que nous allons trouver une solution. Chercher n'est pas la même chose que trouver. Surtout qu'il n'y croit pas. »

Elle secoua la tête. « Il n'a pas besoin d'entendre ce genre de choses, Draco. Il faut qu'il soit positif. Il est déjà tellement… »

Harry avait tendance à s'enfermer dans sa propre tête, à déprimer, et penser qu'il allait mourir ne l'aiderait pas à vouloir rester en vie.

« Mais il veut prendre ce foutu train ! » s'énerva son petit-ami, tout d'un coup. « Quel droit avons-nous de l'en empêcher compte-tenu des circonstances ? Je doute que ce qu'il a soit sans conséquences. Je doute qu'il ne le sente pas à chaque seconde. C'est un parasite, Hermione. Un parasite qui pourrait l'influencer, le transformer en un monstre ou que sais-je encore ? S'il préfère mourir plutôt que de devenir un danger pour… »

« Non. » refusa-t-elle, tout net, en le fusillant des yeux. « Non, tu m'entends ? On va trouver une solution parce que c'est ce qu'on fait toujours. On va le tirer de là parce qu'on le tire toujours des guêpiers dans lequel il va se fourrer. On va gagner cette guerre et on va tous survivre parce qu'il n'y a pas d'autre option. Compris ? »

Ils s'affrontèrent du regard un long moment.

Draco céda le premier mais il était évident qu'il n'en pensait pas moins. « Il y a une frontière fine entre l'espoir et le déni, mon cœur. » Sans lui laisser le temps de répondre à sa mise en garde ou de relever l'emploi de ce surnom qu'il n'utilisait que dans leurs moments les plus tendres, il consulta sa montre. « Le groupe de parole ne va pas tarder à commencer. »

« Tu veux y retourner ? » demanda-t-elle, un peu étonnée.

Il avait été laconique à ce sujet mais il n'avait pas vraiment argumenté lorsqu'elle avait déclaré qu'elle avait trouvé la chose inutile et ne souhaitait pas renouveler l'expérience. Ron non plus n'avait pas trouvé ça convainquant.

« Je pense, oui. » hésita-t-il.

« Alors tu devrais. » l'encouragea-t-elle. Si cela lui faisait du bien, qui était-elle pour juger? « Je vais rester ici et finir les potions. »

Il y avait une légère tension entre eux, comme toujours lorsqu'ils se disputaient ou n'étaient pas d'accord, mais lorsque Draco lui vola un baiser avant de quitter la pièce, elle y répondit sans réserve.

Elle ne voulait pas qu'il croit qu'elle était fâchée après lui, même si elle était contrariée, au fond.

Il était plus fragile qu'il ne le laissait paraître en ce moment.

Trop pour qu'elle ne prenne pas des pincettes.

°O°O°O°O°

La boule de papier volait dans tous les sens dans une trajectoire aléatoire malgré les efforts que faisait Severus pour la contrôler. C'était déjà un bon signe qu'il parvienne à la maintenir dans les airs mais éviter qu'elle n'aille percuter un mur, le plafond ou le sol lui demandait toute sa concentration et juguler l'afflux de magie dans ses veines était épuisant.

Il en venait presque à regretter la Marque.

Et il fulminait de ne jamais s'être aperçu de son effet sur sa magie.

Harry, pour sa part, semblait trouver son compte dans sa tentative de maîtriser sa magie. Les pupilles entièrement dilatées, il poursuivait la boule de papier tout autour de la pièce, parvenant à dévier sa course d'un coup de patte plus souvent qu'à son tour, avant que Severus n'ait pu la mettre hors de portée. Il courait, sautait, rebondissait sur les murs avec un abandon qui lui faisait craindre pour le mobilier…

Severus était curieux de ce qu'ils pourraient faire de cette forme Animagus en combat, si Harry acceptait toutefois de s'en servir ainsi – après MacNair, cela ne l'étonnerait pas qu'il refuse.

Finalement, Harry arracha la balle à son sort d'un coup de dents et il laissa retomber sa baguette sur le lit, relâchant les boucliers mentaux dont il s'était servi pour mieux contrôler sa magie. La méthode n'était pas parfaite et il ne parvenait toujours pas à maîtriser pleinement des sorts basiques mais il y avait un potentiel. Bien sûr, le plus simple aurait été de laisser faire le temps, comme le suggérait Minerva, mais le temps, il n'en avait pas.

Le tigre cracha la boule de papier et sauta sur le lit d'un bond souple pour venir se coller contre lui. Severus le caressa par réflexe, avant de pousser un profond soupir. « Tu n'es pas un chat. »

Mais le garçon devait s'ennuyer ferme, ce qui expliquait cette séance de jeu improvisée.

« Harry… »

Les coups à la porte le firent grogner d'irritation. Les visiteurs allaient et venaient bon train depuis ce matin-là et Severus commençait sincèrement à comprendre pourquoi Andromeda avait exigé qu'il n'en fasse pas trop d'un coup. Il lui fallait une pause avant que sa tête n'explose. Son entretien avec Slughorn, seul, avait sapé le reste de son énergie.

La porte s'ouvrit pourtant sans attendre, preuve que le visiteur était autorisé à entrer comme il le voulait Les personnes habilitées à le faire se comptaient pourtant sur les doigts d'une main, la pièce étant protégée contre les intrusions intempestives.

Il lui fallut quelques secondes pour reconnaître le sorcier.

Ses souvenirs de la bataille étaient un peu flous par moments. Trop d'adrénaline, d'épuisement et de chocs.

« Mr Tonks. » lâcha-t-il, surpris, en tentant de s'asseoir un peu plus correctement dans son lit. Il avait glissé depuis que Slughorn était parti et s'il ne se préoccupait pas d'avoir l'air avachi devant Harry, il détestait l'idée que quelqu'un d'autre le voit ainsi.

« Ted. » le corrigea le sorcier, avec un sourire amical bien qu'un peu hésitant. « Je suis heureux de vous voir remis, Severus. »

Remis, c'était le dire vite, mais il inclina la tête en guise de remerciement.

Il nota également qu'il n'avait jamais autorisé le Botaniste à utiliser son prénom mais, étant donné les circonstances, il ne commenta pas. Il peinait déjà à savoir comment se comporter avec Andromeda, alors avec le père de Nymphadora… La situation était inédite pour lui, pourtant il lui semblait logique d'être aussi aimable que possible. La dernière chose qu'il désirait était de mettre la jeune femme en porte-à-faux entre lui et ses parents.

« Que puis-je… » commença-t-il, mais Harry le prit de court.

Il sauta du lit et trotta jusqu'à l'homme pour cogner son crâne contre sa main, ce que Severus avait appris à reconnaître comme un salut amical. Le sourire de Ted Tonks se fit un peu plus franc et il tapota la tête du fauve avec une affection manifeste.

« C'est toi que je voulais voir. » déclara le sorcier. « Il y a le second groupe de parole, aujourd'hui. » Harry gronda et recula immédiatement mais, loin de se laisser impressionner, Ted s'accroupit et plaça une main de chaque côté de son cou. « Je sais, je sais… Tu ne veux pas parler, tu ne veux pas redevenir humain… Mais je pense que ça te ferait du bien de venir quand même. Tu peux juste écouter, tu sais. Et sans écraser ces pauvres figuiers d'Abyssinie. »

Harry gronda une nouvelle fois.

« S'il te plait, Harry. » insista Ted. « Tu te dégourdiras au moins les pattes et tu pourras partir si vraiment tu n'es pas à l'aise. » Le sorcier garda le silence un moment puis soupira. « Et une certaine personne ne sera pas là, si cela peut changer la donne. Elle a décidé d'aller dans un autre groupe. »

Le tigre se détendit très visiblement mais paraissait toujours hésiter. Après quelques secondes, il tourna la tête vers lui, comme pour quêter sa permission.

Severus leva un sourcil. « Je n'ai aucune idée de ce dont il est question. »

Ted, qui en avait profité pour se relever, enfonça les mains dans ses poches. « Narcissa et Molly ont mis des groupes de paroles en place. Pour que les enfants puissent discuter de ce qui leur est arrivé durant la bataille ou de ce qui les tracasse. »

« Narcissa et Molly ? » releva-t-il. De toutes les révélations de ce qu'il s'était passé durant son absence, c'était peut-être la plus fantasque.

« Je sais, la perspective est effrayante. » plaisanta Ted. « Mais c'était plutôt une bonne initiative. »

Severus n'aimait pas l'idée de perdre Harry de vue, surtout en sachant qu'il n'était pas en mesure de courir après lui s'il devait y avoir une catastrophe. Cependant, Sirius avait dit qu'il n'était jamais sans surveillance, que Kreattur veillait… Or, en ce qui le concernait, l'elfe avait fait ses preuves quant à la sécurité de son fils.

Et tout ce qui sortait Harry de cette pièce était bon à prendre.

Cela ne pouvait pas être bon pour lui de rester enfermé ici.

« Je pense que cela te ferait du bien de voir du monde. » offrit-il. Un tigre était donc physiquement capable de lever les yeux au ciel… Le Professeur lui jeta un regard un peu plus dur. « Un peu moins d'attitude, tu veux ? »

Contrit, le fauve baissa la tête mais, après un dernier regard, se rapprocha à nouveau de Ted qui lui sourit. Cessait-il jamais de sourire ? Était-ce une loi chez les Poufsouffles de…

Il écrasa dans l'œuf cette pensée peu charitable qui lui aurait sans doute valu une remarque cinglante de la part de sa propre Poufsouffle.

« Je prendrai soin de lui. » lui promit le sorcier, en encourageant le tigre à quitter la pièce. « Profitez-en donc pour vous reposer, Severus. Andy me dit que vous êtes un patient récalcitrant. »

La remarque était faite sur le ton de la plaisanterie mais ça n'empêcha pas l'ancien espion de détecter la note de sérieux dessous. Il accepta la remontrance d'un hochement de tête agacé mais fut incapable de ravaler sa réplique acerbe. « Peut-être l'un de vous deux devrait-il donner le même conseil à Nymphadora. »

Parce qu'il lui semblait évident que personne n'avait suffisamment insisté pour lui faire entendre raison.

L'Auror était épuisée et n'avait rien à faire sur le terrain dans cet état.

Ted ne cilla même pas. « Il me semble que c'est une responsabilité que vous partagez désormais. Bonne chance pour l'obliger à vous écouter. »

Le sorcier referma la porte avant qu'il ait pu trouver une répartie acceptable.

Ce n'était pas souvent qu'il se faisait moucher de la sorte.

Grommelant, il se rallongea un peu plus et ferma les yeux, déterminé à profiter de l'absence d'Harry pour faire une courte sieste. Juste assez pour se ressourcer. Ensuite, il terminerait de rédiger son rapport pour Albus et…

On toqua à la porte.

Il lâcha un juron mais invita tout de même la personne à entrer, pas tout à fait surpris de trouver Bill Weasley derrière le battant.

« Je vous dérange ? » hésita son ancien élève. « On m'a dit que vous étiez réveillé. Je voulais juste prendre des nouvelles. »

Mieux disposé à recevoir Bill qu'il ne l'avait été avec Lupin ou Slughorn, Severus lui fit signe d'approcher et, une fois que le jeune homme se fut assis, ils échangèrent les banalités d'usage agrémentées de condoléance de son côté et d'un soulagement sincère de le voir à peu près remis de celui du Briseur de Sorts.

Comme Sirius, comme Nymphadora, et, dans une certaine mesure, comme Minerva, Bill avait l'air complètement à bout. C'était tout à fait compréhensible, étant donné les circonstances mais le jeune homme était habituellement un tel roc qu'il lui déplaisait de le voir ainsi.

« Comment va votre frère ? » s'enquit-il, choisissant d'aller droit au but.

Visiblement, c'était exactement le sujet que Bill avait voulu aborder parce que ses épaules s'affaissèrent et il se passa une main sur le visage. « Un tout petit peu mieux mais c'est presque pire. Au moins, quand il était incohérent, je n'avais pas peur qu'il… Il s'en veut tellement. »

Il n'avait pas tous les détails, Sirius étant allé à l'essentiel, mais il pouvait facilement extrapoler le reste.

« L'Imperium est sans doute le pire des trois Impardonnables. » soupira-t-il. « On peut se fortifier contre la douleur et la mort… Voir son esprit manipulé, violé, c'est totalement autre chose. »

« Je ne sais plus quoi faire. » avoua Bill, sans lui cacher son accablement. « Et puis… Et puis, il y a Percy. La mort de Percy, je veux dire. J'ai peur que maman rechute. Elle en fait trop, comme pour compenser ce qui s'est passé après la mort de papa. Et les jumeaux ne font plus aucune farce. Ginny se replie dans son coin. Ron fait comme si tout était normal. Je ne sais plus comment les aider et… »

« Bill. » le coupa-t-il, un peu alarmé par cette avalanche de désespoir. « Vous n'êtes pas responsable de tout. »

L'aîné des Weasley le regarda, les yeux un peu trop brillants, l'air un peu trop découragé. « Je suis responsable de la famille. »

« Oui. » concéda-t-il. « Et il est de votre devoir d'être là pour vos frères et sœur ainsi que votre mère mais il y a des limites à ce que vous pouvez faire. Entourez Charlie, assurez-vous que vos frères et votre sœur sachent que vous êtes là pour eux s'ils souhaitent parler, épaulez votre mère… Mais ne vous perdez pas de vue non plus. S'occuper de leur chagrin n'effacera pas le vôtre. »

« Nous ne pouvons pas perdre Charlie. » insista le Briseur-de-Sorts. « D'ailleurs, j'espérais… Le sort qui le relie à Anthony… Je sais que vous êtes débordé et que ça ne va pas aller en s'améliorant et je sais que vous devez en vouloir à Charlie… »

« Je n'en veux pas à Charlie. » nia-t-il, avec un geste las. « Portez-moi vos recherches, je vous aiderai mais je ne peux pas vous promettre ma pleine attention ou même une solution immédiate. » Il hésita, grimaça. « J'ai conscience que cela peut vous sembler injuste, étant donné l'aide que vous m'apportez sur… vous-savez-quoi, mais… »

« C'est différent. » acquiesça Bill. « Et je suis toujours prêt à vous aider. J'aimerais juste votre avis. »

Son avis ne coûtait rien. « Expliquez-moi ce que vous savez pour l'instant, si vous voulez. »

Il dormirait plus tard.

N'était-ce pas l'histoire de sa vie ?

La conversation dura un moment et finit par dérailler sur Aidan Abbot, le seul Langue-de-Plomb à avoir rejoint Poudlard pour l'instant, ce qui semblait un peu trop gros. Il devait en parler à Albus. Il ne se souvenait que vaguement du garçon durant sa scolarité. Doué en Potions sans être un prodige, il avait passé ses A.S.P.I.C.s sans problème. Mis à part ça…

« Il a offert de me recruter. » conclut Bill, l'air un peu surpris.

« Et comptez-vous accepter ? » demanda-t-il.

« Je ne sais pas… » hésita le jeune homme. « J'aime mon métier et tant que j'étais à Gringott, je n'avais pas à me plaindre. Mais en travaillant à mon compte et avec le Terrier à charge, un revenu plus fixe serait plus confortable… »

« Sans compter Miss Delacour et les projets que vous pourriez faire. » renchérit-il.

L'aîné des Weasley soupira. « Encore faudrait-il que nous gagnions la guerre. »

« Certes. » admit-il. « D'ailleurs, puisque nous en sommes à échanger nos expertises… »

Il lui confia ses problèmes de maîtrise de sa magie. Il ne comptait pas en faire étalage sur la place publique mais faisait suffisamment confiance à ses proches pour garder le secret. Quant à Bill, il avait étudié sa Marque sous toutes les coutures durant les derniers mois.

Il exposa sa théorie selon laquelle le Seigneur des Ténèbres se servait de la Marque pour gonfler ses propres pouvoirs ou, tout du moins, brider légèrement ceux de ses serviteurs et regarda le Briseur-de-Sorts hocher pensivement la tête.

« Comme une toile d'araignée constituée de magie noire avec lui au centre… » murmura le jeune homme.

« Pensez-vous que nous pourrions exploiter cette connexion ? » s'enquit-il, curieusement. Nymphadora avait mentionné des prisonniers dont ils ne savaient que faire. Severus n'aurait pas eu beaucoup de scrupules à se servir d'eux pour expérimenter, le cas échéant.

« Non. » répondit Bill, après un moment de réflexion. « Du moins, je ne vois pas comment. La connexion est à sens unique, je suppose. Par contre… S'il utilise vraiment la Marque comme un moyen de consolider sa puissance magique… »

« Plus nous tuons de Mangemorts, plus nous l'affaiblissons. » termina-t-il, étant arrivé à cette conclusion presque immédiatement. « Il demeure qu'il est un sorcier redoutable, avec ou sans partisans. »

« C'est vrai. » admit le Briseur-de-Sorts. « Mais c'est bon à savoir. Et puis… »

« Si nous rendons l'information publique, il y a fort à parier que certains de ses partisans ne seraient pas ravis. » approuva-t-il, anticipant son raisonnement. « Avons-nous toujours une Gazette ? »

« La Gazette, non. » répondit Bill. « Mais nous avons la radio sorcière et le Chicaneur. »

Severus réfléchit à la chose quelques secondes puis eut un rictus. « Que pensez-vous de donner une petite interview ? »

L'aîné des Weasley haussa les épaules. « Si ça peut aider… Mais… Vous devriez le faire, vous. Vous êtes un héros, vous savez. »

Il grimaça.

Cependant, son ancien élève ne lui laissa pas le temps de protester.

« C'est vrai. » insista-t-il. « Et même si ça ne l'était pas… Scrimgeour a lancé la machine en vous donnant cet Ordre de Merlin. Vous avez échappé à Vous-Savez-Qui deux fois, après des années d'espionnage. Vous êtes à la tête de l'Ordre du Phoenix. Et vous et Tonks êtes un secret de polichinelle, à ce stade, et elle est très appréciée. Que vous le vouliez ou non… Si on parle politique… Il va peut-être falloir sortir de l'ombre. »

Les arguments étaient tous extrêmement logiques et recevables mais Severus abhorrait l'idée qu'il puisse avoir raison.

« J'en discuterai avec Albus. » grommela-t-il. Puis il soupira, étudiant le Briseur-de-Sorts. « Pour ce que cela vaut, je pense que vous feriez un excellent Langue-de-Plomb. »

C'était un compliment qu'il lui faisait mais c'était également un compliment que le sorcier méritait.

°O°O°O°O°

« Tu vas t'enfuir en courant, aujourd'hui, aussi ? » lança Draco au fauve qui les regardait, Ted et lui, ranger les sécateurs que le groupe avait utilisés pour tailler les buissons de prunes dirigeables.

Son oncle lui jeta un coup d'œil, observa Potter puis, lorsque le tigre ne sembla pas s'offenser, parut décider de les laisser tranquilles.

Le groupe de parole l'avait laissé un peu à vif, ce jour-là, sans qu'il ne sache trop pourquoi. Il n'avait pas beaucoup partagé. Le première année qu'il avait sauvé avait passé presque toute la séance à pleurer parce qu'il faisait des cauchemars toutes les nuits et qu'il était à bout de nerfs.

Draco aurait voulu lui dire qu'il n'avait pas l'apanage des cauchemars mais il n'était pas arrivé à ouvrir la bouche.

Hannah avait dit qu'elle se surprenait à continuer à vivre comme avant parce qu'elle n'avait pas le choix mais que lorsqu'elle se rendait compte de ce qu'elle faisait, elle se sentait coupable vis-à-vis de ses parents. Là encore, Draco s'était retrouvé dans cette description mais n'avait pas vraiment trouvé les mots pour contribuer à la discussion. Elle avait parlé de son cousin qui, visiblement, faisait ce qu'il pouvait pour l'entourer mais avait lui-même perdu ses parents…

Peut-être que c'était ça, au fond, dont il aurait eu besoin, lui. Entouré, il l'était, mais personne ne parlait des sujets qui fâchent.

Narcissa évitait toute mention de Lucius comme la peste.

Sirius ne voulait pas la contrarier et faisait de même.

Les conversations tournaient autour de la guerre ou du bébé à naître.

Il lui arrivait parfois de fantasmer qu'il renversait la table en plein repas et leur hurlait dessus d'arrêter de faire semblant.

Fort heureusement pour tout le monde, il avait une meilleure éducation que cela.

Lorsqu'il quitta la serre, après avoir salué son oncle, le tigre lui emboîta le pas. Ted ne tenta pas de retenir Potter et Draco, sans s'expliquer pourquoi, ne l'envoya pas paître même lorsqu'il le suivit jusqu'au bord du lac. Il se laissa tomber dans l'herbe, peu surpris lorsque le tigre l'imita.

« Tu as dit que si tu réchappais de ta dernière tentative de suicide, on devrait essayer d'être amis. » lâcha-t-il, d'un ton qui ne manquait pas de sarcasmes. « Bien sûr, c'était avant que mon père y laisse la vie… »

Le tigre émit un bruit qui tenait du gémissement et n'était probablement pas censé être produit par ce genre d'animaux.

« Je ne t'en veux pas. » décréta-t-il. « Ce n'était pas ta faute. C'était son choix. »

C'était très généreux de sa part d'être aussi indulgent parce qu'il aurait été très, très simple de blâmer Potter et il espérait que l'autre adolescent mesurait pleinement à quel point il était mature sur le sujet.

Il regarda autour d'eux sans voir qui que ce soit mais, par acquis de conscience, il jeta un sort qui leur permettrait une certaine intimité.

« La chose dont je ne suis pas au courant parce que je n'ai certainement pas épié ta conversation avec Sirius, le soir la bataille… » hésita-t-il. « J'aide Granger à faire des recherches. »

Potter posa sa tête sur ses pattes avant et poussa un lourd soupir, comme si la seule perspective d'en parler l'épuisait.

Draco comprenait pourquoi.

Il comprenait aussi pourquoi Granger s'acharnait et refusait d'accepter l'évidence mais… Il savait aussi qu'elle ne mesurait pas à quel point Potter envisageait la mort comme une libération plutôt que quelque chose à éviter à tout prix.

« Ça doit être exténuant de t'entendre promettre une solution encore et encore alors que les chances de t'en sortir sont infinitésimales… » déclara-t-il. « Ils ne se rendent pas compte de ce que ça te coûte de te demander d'être optimiste. Je me trompe ? »

L'énorme tête se tourna vers lui, les yeux verts emplis de surprise et, peut-être de soulagement.

« Et c'est sans même mentionner ce que cette chose te fait. » poursuivit-il. Il ne pouvait pas imaginer qu'avoir un bout d'âme d'un mage noir greffé à la sienne soit agréable ou anodin. La magie noire corrompait et il n'y avait rien de plus noir qu'un horcruxe. « Est-ce qu'il peut prendre possession de toi ? »

Le tigre sembla hésiter puis secoua la tête à la négative, avant de se raviser et de lever la patte. Il n'était pas entièrement certain de comment interpréter le geste malhabile que fit le fauve.

« Tu n'es pas certain ? » traduisit-il.

Il obtint un hochement de tête affirmatif.

« Tu peux le sentir ? » demanda-t-il.

Nouvel hochement de tête.

Draco reporta son attention sur la surface du lac qui s'étalait dans la distance, brillant par endroit sous le soleil.

Il ne parvenait pas à imager l'enfer que cela devait être.

« Je comprends pourquoi tu es si désespéré de monter dans un train, maintenant. » offrit-il. « De manière réaliste, tu n'as aucune chance de t'en sortir. L'Avada n'est pas la pire manière de partir mais, ça, je ne l'avais pas compris lorsque l'amulette des Peverell m'a sauvé. Je pensais que toutes les morts se valaient. J'avais tort. »

Il préférait cent fois un Avada à la manière dont Lucius s'était éteint.

Il préférait cent fois un Avada à ce qui était arrivé à Blaise.

« Je te connais assez pour savoir que tu préfèrerais mourir en étant encore toi-même plutôt que de laisser… la chose te changer ou te remplacer. » lâcha-t-il. « Et je les connais assez, tous, pour savoir qu'ils ne respecteront pas ça parce qu'ils t'aiment trop pour te laisser partir. »

La gorge serrée, il se concentra sur le lac, tentant de se souvenir des bases de l'Occlumencie et de calmer son esprit.

« Je ne suis pas en train de te dire que je vais t'aider à te tuer ou que je cautionne tes missions suicides. » continua-t-il. « Toutefois… Il y a une panoplie de poisons au Manoir. Certains sont rapides et indolores. Si, et seulement si, on en arrive à un point ou la chose menace de prendre le contrôle et que Snape et Granger ne parviennent pas à faire le choix humain… Je m'assurerais que tu aies accès à la gare. »

Il avait conscience de ce qu'il offrait.

Il avait conscience qu'il risquait de perdre Granger si jamais elle le découvrait.

Mais après tous ces morts…

Il était entièrement et sincèrement convaincu que Potter avait le droit de mourir dignement, en étant lui-même.

Il n'était pas prêt à se faire attaquer par un tigre.

Potter lui percuta l'épaule et, entraîné par le poids du fauve, il bascula en arrière, tentant de repousser l'animal qui paraissait déterminé à lui donner des coups de tête.

Il lui fallut plusieurs secondes pour comprendre que le Gryffondor n'était pas en train de l'attaquer, à proprement dit, mais qu'il s'agissait d'une démonstration inconvenante de gratitude.

« Potter ! » protesta-t-il, en tentant de se débarrasser de l'Animagus qui semblait prendre un malin plaisir à le plaquer au sol – et avec trop peu d'efforts pour son ego avec ça. « Pense aux rumeurs ! »

C'était ce que Blaise aurait dit.

Il se mit à rire.

Un rire creux, un peu triste, qui se brisait de temps en temps.

Potter cessa de tenter de le garder au sol et recula, sentant visiblement son changement d'humeur.

Draco ne pleurait pas.

Lord Malfoy ne pleurait pas.

Mais il regarda le ciel longtemps, fixant ce soleil qui l'aveuglait et le forçait à cligner des yeux.

« Blaise me manque. » avoua-t-il, simplement pour se l'entendre dire à voix haute.

C'était ce qu'il avait ravalé tout le temps du groupe de parole.

Le tigre poussa un soupir et se rallongea près de lui, sans plus bouger ou faire mine de partir.

Alors ils restèrent allongés là, à se tenir compagnie, deux âmes qui auraient dû avoir passé le Voile mais qui avaient échappé à la Mort et qui se demandaient s'ils n'avaient pas perdu un bout d'eux-mêmes dans les limbes.

°O°O°O°O°

Nymphadora commençait à détester l'aile de l'infirmerie.

À ce stade, elle la connaissait par cœur et elle faisait tellement partie des meubles que les soignants qui la croisaient la saluaient d'un geste de la tête sans même demander si elle avait besoin de quelque chose. Était-ce le sommet de la gloire d'être reconnue même sans les robes bleues qui l'identifiaient comme une Auror ?

Kreattur les lui avait pratiquement arrachées de sur le dos avant même qu'elle n'ait fait deux pas dans la salle de bain. Elle les lui avait abandonnées parce qu'elles étaient dans un état épouvantable et avaient bien besoin d'être lavées et réparées. Elle allait devoir en demander des neuves à Madame Guipure. Elle ne pouvait pas continuer à fonctionner sur un seul exemplaire. Elle avait voulu donner la priorité à ceux qui n'en avaient plus mais…

La douche lui avait fait du bien mais n'avait pas effacé l'amertume que lui avait laissé la défaite cuisante qu'ils venaient de subir. Elle avait un peu espéré que le jean, le tee-shirt court et l'épaisse veste trop grande à carreaux l'aideraient à se sentir davantage elle-même mais c'était peine perdue. Il n'était pas aussi facile de se débarrasser de son état d'esprit d'Auror que de ses sur-robes.

Elle s'arrêta devant la porte de l'annexe et frappa tout doucement pour ne pas déranger les gens à l'intérieur. Il ne fallut que quelques secondes avant que le battant ne s'ouvre sur l'un des jumeaux. Il se détendit en l'apercevant et s'effaça pour la laisser entrer.

« Comment va-t-il ? » demanda-t-elle immédiatement.

« Lucide. » lâcha-t-il. C'était un progrès mais, à son ton, elle devina que ce n'était pourtant pas forcément une bonne chose.

Le jeune homme – et elle était toujours choquée d'à quel point les jumeaux ressemblaient à des hommes dernièrement et plus aux ados qu'ils avaient encore été l'été précédent – avait l'air fatigué.

Charlie, aussi lucide qu'il soit, leur tournait le dos et ne faisait pas mine de leur parler.

« Tu es seul ? » s'enquit-elle curieusement. C'était rare de voir Fred sans George et inversement.

« Fred est allé aux cuisines chercher un truc à manger. » expliqua-t-il. « Il avait besoin d'une pause. »

Et il n'était pas le seul, décida-t-elle.

« Je peux rester un moment si tu veux aller le rejoindre. » offrit-elle.

Le soulagement passa sur son visage. « Tu es sûre ? Je ne dirais pas non à un petit quart d'heure… Je veux juste prendre un peu l'air… »

« Prends le temps qu'il te faut. » insista-t-elle, en posant une main sur son bras, avant d'aller s'installer sur la chaise qui traînait à côté du lit de Charlie. Elle la tourna et passa une jambe de chaque côté, se servant du dossier pour appuyer ses coudes. Son bras la dérangea immédiatement et elle ajusta sa position mais ne dit rien avant que George n'ait quitté la pièce. Alors seulement, elle murmura : « Hey, Charlie. »

Son meilleur ami était recroquevillé sur le côté, dos à elle. Au son de sa voix, tout son corps tressaillit.

« Tu ne veux pas me parler ? » s'enquit-elle, un peu prudemment.

Lentement, avec une lourdeur que n'expliquait pas son apparence trop frêle, Charlie se tourna pour lui faire face. Elle dut dresser à la hâte ses boucliers mentaux pour s'empêcher de réagir. Ses yeux bleus étaient éteints et sa lèvre inférieure arborait la marque indéniable de ses dents comme s'il l'avait mordue de façon répétée, ces derniers jours.

« Je t'ai tuée. » lâcha-t-il, ses yeux se remplissant de larmes.

« Non. » protesta-t-elle immédiatement, en attrapant sa main. Il essaya de se dégager mais elle s'y accrocha. « Non, tu ne m'as pas tuée. Tu m'as sauvée. » C'était une petite exagération mais ça en était une qu'il avait sans doute besoin d'entendre. « Hey, hey, regarde-moi. » Était-ce l'autorité nouvelle dans sa voix ou le fait que tout le monde marchait sur des œufs autour de lui ? Toujours est-il qu'il obéit. « Je suis là. Je vais bien. Et je n'irai nulle part. On ne va sûrement pas laisser ce connard gagner, tu m'entends ? »

Ça la tuait de le voir comme ça.

Le sanglot rauque le plia presque en deux.

Sans hésiter, elle se leva et grimpa dans le lit avec lui, refermant ses bras sur lui. « Je suis là. Je n'irai nulle part. Toi et moi, c'est pour la vie, Charlie. »

Leur amitié avait résisté à tout. Ses sentiments romantiques mal avisés dans leur jeunesse, la distance lorsqu'il était parti en Roumanie, leurs relations respectives…

Charlie était le meilleur ami qu'elle avait, le frère qu'elle n'avait jamais eu, et il faudrait beaucoup plus qu'Anthony pour briser ça. Elle refusait de le laisser faire.

L'espace d'un instant, elle crut qu'il allait la repousser mais, après quelques secondes de flottement, il l'étreignit avec force, enfouissant son visage dans son épaule.

« Il m'a fait faire des choses horribles… » sanglota-t-il. « Il… Je hurlais si fort mais personne ne m'entendait… »

« Je suis désolée. » murmura-t-elle, en lui passant la main dans les cheveux, sentant les larmes lui monter aux yeux. « J'aurais dû voir. J'aurais dû comprendre. »

Il avait essayé de le lui dire.

Et elle n'avait pas compris.

« Il est malade. » continua Charlie, entre deux sanglots. « Il… Il croit qu'on va… qu'on va rester ensemble… que… Il voulait que je te tue et… »

« Je sais. » le consola-t-elle, en le serrant plus fort. « Je lui ai parlé. Il est complètement cinglé. »

« Mais pas au début… Pas… Est-ce que j'étais aveugle ou… » Il secoua la tête. « Je voulais que Bill me tue… Je voulais que quelqu'un me tue… Je voulais l'emporter avec moi… Je… »

« Charlie. » le gronda-t-elle, un peu effrayée de la conviction dans sa voix. « Tu ne peux pas penser comme ça, d'accord ? Tu es en sécurité maintenant. On est tous en sécurité. »

Une sécurité relative qui dépendait du bon vouloir de Voldemort mais pour l'instant ils étaient en lieu sûr et c'était ce qui comptait.

« Va dire ça à Flitwick. » cracha-t-il. « Va dire ça aux gens que j'ai tué. »

Il refusa de lui adresser la parole, après ça. Elle eut beau cajoler, lui caresser les cheveux, lui promettre que rien n'avait jamais changé entre eux, c'était comme si quelque chose s'était éteint dans sa tête. Il avait les yeux ouverts, il était conscient, mais il était loin d'elle et refusait d'interagir.

Elle ressentait un tel sentiment d'impuissance qu'elle fut presque soulagée lorsque George revint pour la relayer. Elle traîna les pieds jusqu'à l'autre bout de l'infirmerie et poussa la porte de la chambre de Severus sans s'annoncer, ne se rendant compte qu'avec un temps de retard qu'à présent qu'il était réveillé il préférerait sans doute un minimum de politesse.

Le Maître des Potions ne s'en formalisa pas, cependant. Il était allongé et rouvrit des yeux ensommeillés à son entrée, ses lèvres s'étirant légèrement lorsqu'il l'aperçut. Il demeura détendu, paraissait heureux de la voir.

C'était bête mais cela suffit à lui faire monter à nouveau les larmes aux yeux.

Décidément, elle était beaucoup trop émotive, ce jour-là. Mais il fallait dire que depuis la veille… Le retrouver était… Elle avait toujours gardé espoir mais lorsque Kreattur était venu lui dire qu'il était finalement réveillé, évidemment pendant les quelques heures où elle avait été forcée de s'absenter… Lorsqu'elle l'avait vu conscient et cohérent

Elle n'avait jamais rien ressenti de tel. Un mélange de soulagement, de bonheur et de gratitude…

Toute la journée, elle avait dû se remémorer que c'était vrai, qu'il lui était enfin revenu.

« Nymphadora ? » appela-t-il, la voix un peu rauque de sommeil.

Il avait froncé les sourcils et il l'observait avec attention, ayant probablement détecté son émotion.

« Pas d'Harry ? » demanda-t-elle, parce qu'elle ne le voyait nulle part.

« Il est parti à un groupe de parole avec ton père. » expliqua-t-il.

Elle hocha la tête, soulagée qu'Harry ait décidé d'y retourner. Elle n'avait pas beaucoup apprécié que Sirius l'y force en premier lieu mais…

Pas d'Harry.

Elle n'hésita pas beaucoup avant de grimper sur le lit et de ramper jusqu'à pouvoir s'allonger sur lui. Il referma immédiatement les bras sur elle avec un bruit amusé.

« Cette chambre est un moulin à vent. » l'avertit-il.

À cet instant, elle s'en foutait un peu.

« Je t'écrase ? » demanda-t-elle, par acquis de conscience. Il était convalescent, après tout, et…

« Cela ne t'a jamais arrêtée auparavant. » remarqua-t-il, sur le ton léger de la plaisanterie.

Il ne s'était jamais plaint, non plus.

Décidant qu'il le lui dirait si elle se faisait vraiment trop lourde, elle pressa son front contre son cou et ferma les yeux, laissant son corps se détendre progressivement de toutes les tensions qu'avait entraînées sa journée.

Pendant longtemps, il ne dit rien, se contentant de lui caresser les cheveux. Elle savait, sans avoir besoin de voir, que le noir de jais qui était désormais sa couleur par défaut s'éclaircissait lentement vers le rose pâle.

Son autre main glissa légèrement le long de son bras et elle s'était tellement détendue qu'elle ne retint pas le sifflement de douleur à temps. Elle eut à peine le temps de ciller qu'il avait fait disparaître sa veste d'un geste de la main.

Pour quelqu'un qui ne maîtrisait pas sa magie…

« J'espère que tu ne l'as pas détruite parce que j'aime cette veste. » grommela-t-elle. Et il avait une fâcheuse tendance à détruire accidentellement ses vêtements quand il se laissait emporter.

Mais il ne l'écoutait pas.

Il avait attrapé son bras avec douceur et le tournait avec prudence de-ci de-là pour mieux examiner les larges traces de griffures qu'une patte de loup avait laissées dans sa chair. Il l'aurait volontiers repoussée pour mieux l'étudier mais elle se fit plus lourde, refusant de se laisser déloger.

« Tu n'as pas vu de Médicomage. » la gronda-t-il. Par réflexe, il tendit la main vers la petite table à côté du lit où reposait sa baguette puis sembla se souvenir que ce n'était pas une bonne idée. Frustré, il soupira. « Ce n'est pas sérieux, Nymphadora. »

« J'ai mis de l'essence de dictame dessus. » se défendit-elle. « C'était ta dernière fiole, d'ailleurs. Et puisque j'en suis à avouer le vol dans ta réserve personnelle, il n'y a plus de potions calmantes et de philtres de force non plus. »

Il écarta cette information d'un geste tremblant. « L'essence de dictame ne vaut pas un sort pour des plaies aussi profondes. Tu aurais au moins pu mettre un bandage. »

« Elles ne saignaient plus. » grommela-t-elle. « Et j'ai jeté un sort, avant. Je ne suis pas complètement inapte. »

« Y en a-t-il ailleurs ? » insista-t-il.

Sa main se posa sur la mince bande de peau à nue entre son jean et le bas de son tee-shirt et se promena, moins une caresse qu'une tentative de trouver d'autres blessures potentielles.

« Juste une égratignure sur ma cuisse. » admit-elle. « Mais ce n'est rien de grave. »

« Si ce n'est rien de grave, tu ne m'en voudras pas de te dénoncer à ta mère. » rétorqua-t-il, pince-sans-rire, en reportant son attention sur son bras. Il dut finalement décider que la blessure n'était pas si terrible parce qu'il soupira. « Que s'est-il passé ? »

La question était à double niveau.

Il s'inquiétait sans doute pour elle mais il lui fallait aussi savoir parce qu'il était désormais à la tête de l'Ordre. Elle se demanda vaguement, pendant quelques secondes, comment ils allaient arriver à jongler entre les deux, s'ils parviendraient à trouver un équilibre ou si tout allait s'écrouler comme un château de cartes. C'était sensiblement ce qu'il s'était passé avec Remus.

Mais Severus était tout le contraire de Remus, se reprit-elle fermement, il le lui avait prouvé encore et encore. Et, de toute manière, ce qu'elle avait partagé avec Remus était un feu de paille à côté de son histoire avec Severus.

Elle lui résuma donc l'échauffourée comme elle l'avait fait pour Kingsley, sans laisser sa voix trembler lorsqu'elle lui expliqua pourquoi elle avait choisi de battre en retraite. Et d'abandonner des victimes derrière.

Les loups-garous avaient mis les Moldus en charpie avant même qu'ils arrivent, de toute manière.

Les rares survivants…

Bon nombre avaient été mordus et kidnappés.

« Je ne vois pas ce que tu aurais pu faire autrement. » déclara-t-il fermement, lorsqu'elle eut terminé.

Kingsley avait dit la même chose mais l'entendre de sa bouche…

Elle ferma les yeux et avala péniblement la boule logée dans sa gorge. « Serre-moi fort, un petit moment. »

Il s'exécuta sans discuter, l'étreignant avec juste assez de force pour qu'elle se sente un petit peu mieux.

Elle mesurait sa chance.

Dans un monde qui s'écroulait chaque jour un peu plus, elle était chanceuse de l'avoir récupéré, de l'avoir tout court.

« Savons-nous où est la meute ? » s'enquit-il, au bout de quelques minutes. « Je doute qu'elle soit à Azkaban. Si elle est toujours dans la lande… Peut-être serait-il bon que tu envoies Lupin en reconnaissance. » Elle se tendit à nouveau, ce qu'il ne rata pas. « Nymphadora ? »

Elle ne savait pas comment répondre à cette question. « Remus appartient à l'Ordre, il est sous ton commandement. Tu n'as qu'à le lui ordonner, toi. »

Son ton se fit un peu plus doucereux, un petit peu plus soupçonneux. « Nymphadora. »

« Et ne me l'envoie plus. » enchaîna-t-elle. « Si tu as un message pour moi… Tu n'as qu'à m'expliquer comment tu as enchanté les carnets, je nous en trouverai deux nouveaux. »

« Je ne t'ai pas envoyé Lupin. » contra-t-il. « Je l'ai envoyé au poste des Aurors. Certes, j'escomptais que tu sois celle à avoir mon message mais… »

« Je ne peux plus travailler avec lui. » le coupa-t-elle. « J'ai essayé, ça ne fonctionne pas. Je ne veux plus avoir de contacts avec lui, dans la mesure du possible. »

L'air semblait soudain manquer dans la pièce, il grésillait de magie brute.

L'étreinte de Severus ne se durcit pas, sa voix ne se fit pas plus accusatrice, mais elle sentait la fureur qui émanait de lui en vagues et elle l'aurait sentie même s'il n'avait pas perdu le contrôle de sa magie. L'ancien Mangemort avait la véritable colère glaciale.

« Qu'a-t-il fait ? » exigea-t-il de savoir.

Elle hésita.

Mais même y repenser…

« Je ne veux pas te mentir. » marmonna-t-elle, en pressant davantage son visage contre son cou. « Mais je n'ai pas envie d'en parler. »

Le corps, sous elle, se tendit à un tel point que ça devait être douloureux. Et pourtant, les doigts qui se remirent à jouer avec ses cheveux étaient tendres.

La magie dans la pièce, en revanche, augmenta d'un cran.

Elle entendit le craquement suspicieux du verre et devina que la vitre de la fenêtre venait de se fendre.

« Severus. » le rabroua-t-elle légèrement.

Il prit plusieurs profondes inspirations et sembla reprendre le contrôle mais son corps ne se détendit pas.

« Tu me le dirais s'il t'avait fait du mal, n'est-ce pas ? » demanda-t-il, trop sérieusement, sa voix un peu plus mécanique. Il occludait, devina-t-elle. « Parce que ce n'est pas à toi que j'en voudrais, mon amour. Bien évidemment que ce n'est pas à toi que j'en voudrais. »

Elle releva la tête et posa une main sur sa joue, un peu alarmée par la froideur dans sa voix. Pas pour elle, comprit-elle immédiatement, non… Mais parce qu'il était déjà en train de planifier le meurtre de Remus.

Et la douleur dans ses yeux noirs.

« Arrête d'imaginer des horreurs. » ordonna-t-elle, en pressant un baiser léger sur ses lèvres.

« Tu l'obsèdes. » rétorqua-t-il. « Ce n'est pas tant mon imagination que mon instinct. »

Elle l'embrassa encore, un peu plus fermement.

Il mit un instant avant d'y répondre, la laissant approfondir le baiser… Mais il n'était pas si facilement distrait.

« Promets-moi qu'il ne t'a pas fait de mal. » insista-t-il.

Elle ne se laissa pas hésiter. « Je te le promets. »

C'était la vérité, après tout.

Et elle était capable de se défendre, dans tous les cas.

Severus fouilla son regard longtemps mais ne tenta pas de passer au-delà de ses boucliers. Finalement, il soupira. « Je vais te couvrir de bijoux en argent pur, cela devrait le faire réfléchir à deux fois avant de t'approcher. Et j'ai une collection de dagues en argent quelque part… »

« Je croyais qu'on était tombés d'accord pour dire que ce n'était pas ton style de m'offrir des bijoux ? » souffla-t-elle contre ses lèvres, en souriant.

« Nous avons également établi que quelques attentions romantiques te feraient plaisir. » rétorqua-t-il, en cherchant sa bouche.

Et parlant de plaisir…

Le baiser s'enflamma légèrement et, sans même le vouloir, elle écarta un peu les jambes, passant une cuisse de chaque côté de ses hanches. Elle emprisonna sa lèvre inférieure entre ses dents et tira légèrement, lui arrachant un bruit rauque. Elle sentit sa main sur le creux de ses reins qui la pressait vers le bas…

Onduler les hanches n'était pas une décision consciente, pas plus que de se perdre dans les baisers qui gagnaient en intensité. Ils s'embrassaient comme s'ils craignaient de mourir s'ils s'arrêtaient. Ils n'avaient plus aucun contrôle sur ce qui se passait ou, du moins, elle n'en avait plus. Elle était perdue dans une brume de désir ou tout ce qui comptait était de le sentir contre elle…

Elle ne retint pas un gémissement lorsque sa main glissa sous son tee-shirt, lorsque sa paume courut le long de sa colonne, glissa sur son flanc, monta plus haut jusqu'à trouver…

« Nymphadora… » murmura-t-il avec adoration, transformant le baiser brûlant en une myriade de petits baisers plus légers.

Une torture.

Une torture dont elle ne se lasserait jamais.

Elle se redressa et aurait probablement ôté son tee-shirt, perdant tout sens commun, si la porte ne s'était pas ouverte à la volée sur un Sirius plus que joyeux.

Elle se retourna par réflexe, baguette à la main avant même d'avoir compris ce qui se passait, et put donc voir la bonne humeur céder lentement la place à une horreur brute dans les yeux de son cousin.

Il se passa plusieurs choses dans la même seconde.

Nymphadora sauta du lit, le visage cramoisi, avec l'impression d'avoir été prise la main dans le sac et, dans la précipitation, manqua s'étaler par terre.

Sirius, lui, se cacha le visage avec une théâtralité assumée et poussa un gémissement de détresse.

Severus, pour sa part, se redressa et remonta vivement le drap sur lui, tout aussi rouge qu'elle.

« Tu ne peux pas frapper ?! » s'exclama-t-il, avec mauvaise foi.

C'était leur faute, songea Nymphadora, en promenant le regard partout plutôt que sur son cousin. La porte n'était pas verrouillée. Ça aurait pu être Harry. Ils étaient complètement idiots. Ils s'étaient laissés emportés et…

Complètement idiots.

Quel âge avaient-ils pour être incapable de se contrôler de la sorte ?

« Mes yeux… » gémit Sirius.

« Je peux te les arracher si cela te soulage ! » s'énerva Severus, une veine battant à son front.

« Vous ne pouvez pas faire ça dans les toilettes, comme tout le monde ? » rétorqua l'ancien fugitif. « Imagine si ça avait été mon filleul. Imagine si ça avait ta mère. »

Ce fut au tour de Nymphadora de laisser tomber son visage entre ses mains.

« Black… » gronda l'ancien Mangemort, sa voix enflant d'indignation – probablement parce qu'il savait que Sirius avait raison.

« Et puis, franchement, Tonks, il sort à peine du coma ! » enchaina-t-il. « Tu veux vraiment… »

« Mais mêles-toi de tes affaires ! » l'interrompit sèchement Severus, les joues toujours rouges d'embarras. « Est-ce que je te fais remarquer qu'une morsure malheureuse et ta vampire pourrait te transformer en calice ? »

Sirius leva les yeux au ciel. « Régulièrement. »

« Eh bien, c'est parce que j'ai raison. » riposta le Maître des Potions, toujours avec cette mauvaise foi assumée.

« On peut parler d'autre chose ? » intervint Tonks, en laissant finalement tomber ses mains pour affronter la situation. « Disons que tu n'as rien vu. Il ne s'est rien passé. »

« Je n'ai rien vu, il ne s'est rien passé… » bougonna Sirius, en allant s'asseoir sur la chaise près du lit. « Tu en as de bonnes, toi. C'est une chose de m'être habitué à l'idée, une autre de voir des choses. »

Severus leva les yeux au ciel. « Cesse cette comédie. Tu n'as rien vu. »

« Mais j'aurais pu ! » s'agaça-t-il. « Ose me dire qu'à quelques secondes près, je n'aurais pas vu des horreurs. »

« Je t'assure qu'il n'y a rien d'horrible dans cette vue là. » rétorqua l'ancien espion.

Il fallut plusieurs secondes à Tonks pour comprendre ce qu'il sous-entendait et, à nouveau cramoisie, elle arracha l'oreiller à moitié délogé par leur perte de raison et l'en frappa sans ménagement. Mains tremblantes ou non, il parvint à le bloquer avant que le coussin ne le touche et la dévisagea, les yeux légèrement brillants d'humour et un demi-sourire amusé aux lèvres auquel elle se sentit répondre malgré elle par un des siens. Si elle se perdit momentanément dans son regard…

Sirius poussa un grognement dramatique. « Harry avait raison, je suis aveugle ou idiot. Et, vous, vous êtes le genre de couple qui met tout le monde mal à l'aise en permanence. »

« Pas du tout. » protesta Tonks, en se laissant aller sur le bord du matelas. La main de Severus était dans son dos, hors de vue de son cousin, et il la glissa presque immédiatement sous son tee-shirt pour caresser sa peau. La caresse était tout à fait innocente. Ou se voulait innocente. « On est très réservé. »

« C'est ça, oui. » se moqua l'Animagus, avec un soupir. « Bon j'ai raté quoi, aujourd'hui ? Le château tient toujours, c'est impressionnant. Je n'étais pas sûr de le retrouver en rentrant, je m'attendais presque à ce que Dumbledore et Severus en viennent aux mains et rasent tout sur leur passage. »

Refusant de rentrer dans son jeu – et sans trahir le fait qu'il était toujours en train de dessiner ce qu'elle pensait être des runes sur ses reins – le Maître des Potions fronça les sourcils. « Tu étais parti ? »

Sirius le dévisagea longtemps avec incrédulité. « Tu plaisantes ? Je t'ai dit ce matin que j'allais chercher Buck. »

« Buck ? » releva-t-il.

« Son hippogriffe. » expliqua-t-elle. « Mais pourquoi… »

« Parce qu'il n'y a plus de Ministère. » lâcha l'Animagus. « Et plus de MacNair, non plus. Donc il n'est plus en danger de se faire couper la tête. »

Severus émit un bruit pas tout à fait amusé. « Mieux vaut le garder hors de vue de Mr Malfoy. »

« Lord Malfoy… » se moqua le sorcier. « …n'oserait jamais exiger la mort de cette pauvre bête parce que la future Lady Malfoy lui ferait la peau d'abord. Tout est bien qui finit bien. »

« L'actuelle Lady Malfoy n'aura peut-être pas la même opinion. » remarqua-t-elle. « Tante Cissy m'a l'air rancunière. »

« Tante Cissy ? » releva Severus, un brin railleur.

« C'est comme ça qu'elle veut que je l'appelle. » déclara-t-elle, en levant les yeux au ciel. « J'ai d'autres noms pour elle mais elle n'apprécie pas la vulgarité. »

« On a dit qu'on laissait ça de côté et qu'on avançait. » lui rappela Sirius, un peu trop fermement. « Et, de toute manière, Narcissa se coupera un pied avant d'aller chez Hagrid donc le problème est réglé. Elle n'a aucune raison de croiser la route de ce pauvre Buck. »

« Si tu le dis. » soupira-t-elle.

« Parlant d'animaux sauvages… » intervint Severus, en cessant finalement ses caresses, son ton redevenant tout à fait sérieux. « L'un de vous sait-il ce qu'il s'est passé entre Harry et Lupin ? Harry était extrêmement hostile envers lui et, bien entendu, n'a pas pu m'expliquer ce dont il retournait. Lupin, quant à lui, a placé ça sous le signe de ces malentendus dont il a le secret. »

Beaucoup moins amusé, d'un coup, Sirius fronça les sourcils. « Je ne sais pas. »

C'était elle que le Maître des Potions regardait de manière appuyée.

Ne jamais faire l'erreur de penser qu'un Serpentard allait lâcher l'affaire sans tenter de passer par un chemin détourné.

Mais Nymphadora secoua la tête parce qu'elle ne savait pas non plus. Un instant, elle se demanda si Harry avait pu surprendre sa dispute avec Remus mais rejeta l'hypothèse. Elle n'aurait tout de même pas manqué un tigre en balade, si ?

« Je ne savais même pas qu'ils s'étaient vus… » remarqua-t-elle. « Harry n'est pas beaucoup sorti d'ici depuis qu'il est sous sa forme Animagus et avant ça… Mis à part tes appartements et l'infirmerie, il n'est allé nulle part et rarement sans moi… »

« C'est peut-être toujours la dispute de la dernière fois ? » suggéra Sirius. « Ils avaient l'air en paix durant la bataille mais c'était dans le feu de l'action… Peut-être qu'Harry lui en veut toujours et qu'avec tous ces bouleversements… »

« Peut-être. » admit Severus, sans paraître tout à fait convaincu.

« Tu n'as pas réussi à le convaincre de redevenir humain ? » hésita-t-elle. « Je pensais qu'avec toi… »

Le Maître des Potions soupira, tout humour bel et bien dissipé. « Il refuse de m'entendre, pour l'instant. »

Mais il n'allait pas abandonner, il allait simplement revoir son approche, comprit-elle.

Elle plaignait presque Harry parce que, au jeu de patience, Severus gagnerait sans surprise.

°O°O°O°O°

Approchant davantage le parchemin de la flamme de la bougie pour le déchiffrer plus facilement, Albus ne put retenir un bruit amusé.

« J'espère que vous ne vous moquez pas de ma mauvaise posture. » commenta Minerva, avant d'ordonner à sa tour de se déplacer.

Le Directeur jeta un vague coup d'œil au plateau d'échecs posé entre eux, songea que la stratégie de la sous-directrice consistait à lui faire croire qu'il gagnait pour mieux le prendre par surprise, et déclina de tomber dans son piège en déplaçant un pion.

« Severus n'a pas chômé aujourd'hui. » déclara-t-il, en agitant légèrement le parchemin que l'elfe des Black venait de lui faire parvenir – ou, plus précisément, venait de jeter sur son bureau avec un regard noir et un « De la part de Monsieur Severus » extrêmement sec.

Kreattur rêvait de le dépecer, un simple effleurement de Legilimencie le lui avait révélé.

« Vous lui en demandez trop. » rétorqua immédiatement Minerva, en cessant d'étudier le plateau pour le fusiller du regard.

Il leva les deux mains avec innocence. « En l'occurrence, je ne lui ai rien demandé. Il a décrété que j'étais incapable de gérer un pays et a décidé de monter un gouvernement par lui-même. » Il attrapa la théière et remplit à nouveau leurs tasses vides. « Cela me peine de l'admettre mais il avait raison, bien évidemment. »

Parce que, en une journée, Severus avait monté un semblant de structure gouvernementale. Rien à voir avec le Ministère, rien d'aussi compliqué ou même d'équilibré, mais il avait décidé de postes clefs qu'il avait remplis par des gens qui n'étaient peut-être pas les plus qualifiés, au vu des quelques rescapés du Ministère, mais à qui ils faisaient tous les deux confiance.

« Vous devez le savoir, Minerva, puisque vous êtes vous-même sur cette liste. » plaisanta-t-il.

Son amie émit un bruit un peu mécontent. « Il m'a promis que je pouvais m'adjoindre autant d'assistants que nécessaire. »

C'était effectivement ce qu'expliquait Severus dans un addendum à la liste, que chaque Chef de Département, s'il fallait toujours les appeler ainsi, serait libre de se constituer une équipe.

Ainsi, Minerva se retrouvait en charge de la gestion de Poudlard et de Pré-au-Lard spécifiquement. Il avait assigné Aurora aux finances, ce qui n'était pas le choix le plus logique vu qu'ils comptaient quelques comptables chez les réfugiés, mais Severus avait donné priorité à leur cercle. Sinistra n'était pas le seul Professeur ou membre de l'Ordre mis à contribution. Slughorn était en charge de tout ce qui touchait aux Potions. Poppy était nommée Chef de la santé.

Il parcourut la liste sans rien y trouver à redire. Le seul poste que son ancien espion et nouveau bras droit avait échoué à pourvoir était celui de la diplomatie avec les Moldus. Plusieurs noms avaient été griffonnés puis raturés. Celui de Nymphadora en tête.

La jeune femme aurait été la personne idéale puisqu'elle connaissait le Ministre Moldu. Elle avait été décisive lors de leur entretien, la veille. Elle était parvenue à apaiser la situation pourtant tendue, en promettant des réponses pour bientôt. C'était des mensonges destinés à gagner du temps et empêcher les Moldus de s'en mêler et cela ne durerait pas éternellement mais, c'était toujours ça de pris.

Au final, Severus avait laissé un point d'interrogation.

Mentalement, il fit le tour des membres du Conseil de l'Ordre puis fit la moue. « N'avons-nous aucun Né-Moldu ou Sang-Mêlé qui saurait gérer des situations diplomatiques difficiles sans rien céder ? »

Minerva y réfléchit puis claqua la langue. « Je vous avoue que le seul nom qui me vient est celui de Granger. » Un éclat s'alluma dans les yeux bleus du vieux sorcier qu'elle étouffa dans l'œuf. « Non. Elle est beaucoup trop jeune et porte déjà beaucoup trop sur ses épaules. Par ailleurs, les Moldus ne la prendraient jamais au sérieux. Vous tendez à l'oublier mais elle, Potter et leurs amis n'ont que seize ans. »

« Regrettable. » soupira-t-il. « Renseignez-vous, voulez-vous ? »

En attendant, Nymphadora devrait conjuguer les rôles.

Le premier choix de Severus était également le sien.

Il parcourut à nouveau la liste, satisfait.

Cela allait lui laisser davantage de temps libre. Il n'aurait plus qu'à fausser compagnie à ses Aurors et…

Il attendrait quelques jours que Severus soit sur pieds, décida-t-il, et qu'il ait un meilleur contrôle de sa magie… Une fois que le jeune homme serait en état de le remplacer si nécessaire…

Albus comptait bien faire un petit tour sur la côte pour explorer une caverne en particulier…