Hannah finit de changer les draps dans la chambre d'amis, et alla jeter un œil dans le couloir. La porte de la salle de bain était toujours fermée, et elle entendait la voix de Hobi faire toute la conversation. Bavard comme il était, il pouvait monologuer pendant des heures, alors il devait être aux anges d'avoir un interlocuteur qui ne le coupait jamais. Regardant sa montre pour la énième fois, elle lâcha un soupir. Cela faisait plus d'une heure qu'ils étaient enfermés là-dedans. Son voisin avait officiellement passé plus de temps avec son hybride qu'elle.
Elle retourna dans la chambre d'amis en ronchonnant, sortant quelques cartons qu'elle avait stockés là pour les descendre dans le garage et libérer l'espace. Elle les posait à peine dans le couloir lorsque la porte du fond s'ouvrit, et que son voisin, un large sourire, lui fit signe de venir.
Ne se faisant pas prier, elle se précipita pour voir ce qui avait pris tant de temps. Assis sur un tabouret devant la baignoire, Namjoon portait le pantalon de jogging qu'elle lui avait acheté, sa queue sortant par l'ourlet prévu à cet effet et s'enroulant autour du pied en bois du tabouret. Il portait un tee-shirt blanc avec un motif coloré, et un sweat à capuche ouvert couleur gris anthracite.
Mais le plus surprenant, ce fut son visage. Débarrassé de sa barbe, on découvrait un menton taillé à la serpe, alors que ses cheveux avaient été tondus sur le côté de sa tête, et coupés un peu plus long sur le dessus. Coiffés avec une raie sur le côté, ils permettaient de voir ses jolies oreilles pointues plus facilement, ainsi que ses oreilles humaines, jusque là cachées dans sa chevelure. Hobi ne s'était pourtant pas arrêté là, et lui avait également coupé les ongles, et il caressait ses joues comme s'il les découvrait.
Restée bouche bée devant l'apparition dans sa salle de bain, elle fut sortie de sa torpeur par Hobi, qui lui faisait un large sourire fier.
- Il ne s'est pas encore vu, je voulais t'appeler pour que tu en sois témoin. C'est pas pour me jeter des fleurs, mais je pense que je m'en suis sorti comme un chef. Debout, loupiot.
Sans se faire prier, Namjoon se remit sur pied et se frotta les mains nerveusement. L'attrapant par les épaules, Hobi le fit tourner sur lui-même jusqu'à ce qu'il soit face au miroir, et il eut un mouvement de recul, comme si, l'espace d'une demi-seconde, il ne s'était pas reconnu. Arrêtant de triturer ses mains, il les porta à ses joues, s'approchant pour mieux se regarder.
- J'avoue que le modèle de base est plutôt bon, continua le voisin comme s'il ne s'était pas arrêté. Je me prononce pas sur son côté loup parce que j'y connais rien, mais côté humain, il a de bons gènes.
- T'as fait un boulot dingue, Hobi, le complimenta Hannah en regardant également le reflet dans le miroir, alors que l'hybride touchait ses cheveux et ses oreilles de loup, toujours perplexe. Et Namjoon, je sais pas ce que t'en penses, mais je pense que le style streetwear moderne te va super bien. En plus t'es beau comme un dieu.
Sentant quelque chose lui frotter les mollets, elle baissa les yeux pour voir la queue de l'hybride se balancer doucement. Croisant le regard de Hobi, il lui fit un sourire ravi tout en dressant ses deux pouces.
- Je me sens fier comme un papa de sa progéniture, lança-t-il en regardant à son tour le miroir, par-dessus l'épaule de l'homme-loup qui le dépassait en hauteur de quelques centimètres.
- Tu sais qu'il n'est plus jeune que toi que de genre sept mois ?
Haussant les sourcils vers son amie, il se tourna à nouveau vers le miroir.
- Je le croyais plus jeune. Ça grandit tellement vite !
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Hobi était finalement resté jusqu'à bien après dîner, lorsque Hannah l'avait mis à la porte. Le jour où elle avait emménagé dans sa maison, il était arrivé avec un pack de bières et s'était invité pour l'apéro. Depuis, il se passait difficilement un jour sans que l'un ou l'autre finisse dans la maison de son voisin. Cela faisait plusieurs années déjà qu'ils entretenaient cette relation fusionnelle, à tel point que le grand frère de Hannah était persuadé qu'ils sortaient ensemble en secret. Ce n'était pourtant pas le cas, même si la question s'était posée et que, par quelques soirées de grande solitude, ils avaient trouvé du réconfort dans les bras de l'autre.
Le fait est qu'ils étaient amis, aussi proches que deux personnes peuvent l'être en amitié, et qu'ils considéraient une journée sans voir l'autre comme une journée de perdue. Ils étaient accros, dans le bon sens du terme.
Certes, ils avaient tous les deux eu des relations, mais aucune n'avait duré. Ils vivaient plutôt bien leur célibat, cela dit, au grand désarroi de leurs parents qui les suppliaient de se marier et de leur faire des petits-enfants.
Mettant les dernières assiettes dans le lave-vaisselle, elle le mit à tourner, avant de se tourner vers Namjoon qui, dès qu'il sentait un regard sur lui, triturait ses mains. Le moment du repas avait choqué tout le monde. La table avait été mise pour trois, le plat servi et, lorsqu'elle avait invité l'hybride à manger, il avait pris son assiette et s'était assis contre un coin de la pièce, à même le sol, face au mur. Comme lorsqu'on nous force à faire quelque chose tellement de fois qu'elle devient naturelle.
Refusant de s'asseoir à table, sans doute par peur des représailles, ils avaient abandonné la partie et l'avaient laissé finir son repas par terre, avec les mains. Il avait déjà subi trop de changements dans la journée, le reste pouvait attendre le lendemain, s'était dit la jeune femme, le coeur meurtri rien qu'à le regarder.
- Namjoon, on va monter, comme ça je te montre la chambre, lança-t-elle en commençant à gravir l'escalier.
La suivant à quelques pas, il entra dans ce qu'était avant la chambre d'amis et se cala dans le coin, comme il le faisait toujours lorsqu'il entrait dans une pièce, à croire que c'était gravé dans son ADN. On y trouvait un lit deux places, une table de nuit, et un placard. Il n'y avait pas de décoration, en dehors d'un poster des Beatles couvrant un mur, et un petit meuble rempli de bandes dessinées faisait office de bibliothèque.
- C'est loin d'être du luxe, mais c'est le Ritz comparé à la fourrière où tu étais tout à l'heure. J'ai pas fini de vider le placard, il y a encore quelques trucs qu'il faut que j'enlève, mais tu pourras déjà y ranger les affaires que Hobi t'a prêtées et les vêtements qu'on ira acheter demain. T'as quelques livres, et tu peux te servir librement, pareil pour les bibliothèques du rez-de-chaussée. Bon… la journée a été chargée en émotions, et je crois qu'on a tous les deux besoin de dormir, alors je vais te laisser. Passe une bonne nuit, Namjoon, sourit-elle avant de quitter la pièce.
Elle avait à peine refermé la porte qu'elle se rouvrait, laissant l'hybride apparaître dans l'entrebâillement.
- Tu n'aimes pas les portes fermées hein, devina-t-elle. Tu préfères laisser ouvert ?
Hochant timidement la tête, il se balança d'un pied sur l'autre, appréhendant la réaction de la jeune femme.
- Va pour la porte ouverte, sourit-elle. Ma chambre est celle au bout, là-bas, montra-t-elle. Si t'as besoin de quelque chose, tu peux venir frapper. T'as une lampe de chevet à côté de ton lit, et tu peux laisser le couloir allumé. Je vais me coucher. Bonne nuit, mon grand.
Il la regarda tourner les talons et s'enfermer dans sa chambre. Et à ce moment-là seulement, il éteignit la lumière du couloir.
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Hannah regarda l'heure sur son réveil matin et soupira. Il était à peine huit heures trente, et on était samedi, mais elle était déjà réveillée et ne parvenait pas à se rendormir. La veille au soir, déjà, elle avait tourné dans son lit pendant un moment avant de trouver le sommeil. La présence d'un hybride dans la pièce voisine y était pour grand chose. Autant parce qu'il était un mâle adulte, capable d'autant de choses que n'importe quel homme, que parce qu'il lui brisait le cœur avec ses cicatrices, son mutisme et son regard fuyant.
Se disant qu'elle n'allait jamais réussir à se rendormir, elle se leva, et fit un passage par la salle de bain avant de descendre et de mettre la cafetière en route et de sortir du frigo le bacon et les œufs. Elle ne savait pas ce que Namjoon mangeait habituellement, mais elle était douloureusement persuadée que ce qu'elle prenait en général au petit déjeuner serait pour lui un festin.
Remontant à l'étage, elle s'approcha de sa porte pour voir s'il dormait et, lorsqu'un rai de lumière éclaira le lit, elle écarquilla les yeux et ouvrit en grand. Les draps étaient impeccablement tirés, dans l'exacte position dans laquelle ils étaient la veille au soir, et elle se dit avec frayeur qu'il avait dû s'en aller dans la nuit. Après tout, il était à moitié loup, et elle ne le connaissait que depuis la veille. Elle n'avait aucune idée de ce dont il était capable.
Soudain, du mouvement attira son œil vers le fond de la pièce, et une silhouette bougea, laissant deviner ses oreilles dressées. La jeune femme alluma le plafonnier et le regarda se cacher les yeux un instant avant de se redresser. Il était assis à même le sol et avait pris le plaid qu'elle avait laissé au pied du lit pour se couvrir. Et dès qu'il fut un peu plus alerte, il se pressa de le replier pour le remettre à sa place.
- Namjoon, mon grand, lança-t-elle en s'avançant de quelques pas alors qu'il se remettait debout. Je voudrais que tu t'assoies sur le lit.
Obéissant, il s'assit sur le bord du lit, comme s'il essayait de ne pas froisser la couverture, et sa queue disparut sous sa jambe alors qu'il triturait ses doigts.
- Le matelas est confortable, pas vrai ? Les draps sentent bon, les oreillers sont moelleux.
Comprenant qu'on attendait de lui une réponse, il hocha la tête. Hannah s'accroupit devant lui pour se mettre à hauteur de son regard et attrapa les mains de l'homme-loup dans les siennes, l'obligeant à démêler ses doigts.
- Namjoon, c'est ton lit sur lequel tu es assis. C'est ta chambre dans laquelle tu te trouves. Personne ne va te dire quoi que ce soit si tu dors ici, ou si tu manges à table. Parce que c'est bien. C'est comme ça que c'est censé se passer. Je sais que… commença-t-elle en cherchant ses mots. Je sais que jusqu'ici, on t'a pas traité comme tu le mérites. Je l'ai bien vu hier. Mais je voudrais que tu te sentes à l'aise dans ta nouvelle maison. Je ne t'ai pas adopté pour que tu sois ma mascotte. Je sais que quand je suis allée à la fourrière hier, je cherchais un chien. Mais si je suis revenue avec toi, c'est pas pour que tu prennes la place de l'animal de compagnie. On est au même niveau, toi et moi, on a les mêmes droits dans cette maison.
Il ne la regardait toujours pas dans les yeux, mais ses oreilles étaient définitivement tournées vers elle, montrant qu'il ne perdait pas une miette de ses paroles.
- Tu peux nous voir… comme faisant partie de la même famille. Une famille qui partage ses moments de joie, ses tristesses, ainsi que ces petits bonheurs du quotidien que sont un apéro sur la terrasse ou une balade sur la plage. Je sais ce que c'est qu'être adopté, parce que c'est mon cas aussi. J'aurais pu tomber sur des personnes affreuses, comme toi jusque là, mais j'ai eu les parents les plus merveilleux du monde, qui m'ont fait oublier que ma vie avait tellement mal commencé. Et c'est ça que j'espère pour nous. Parce qu'à partir du moment où on s'est lancés là dedans, même si j'ai pris le choix pour nous deux, toi aussi tu peux décider de m'adopter.
Elle avait à peine fini sa phrase qu'il dégageait ses mains, les portant à son visage pour le cacher. Elle l'entendit renifler derrière ses doigts, avant de se laisser glisser du lit pour finir à genoux devant la jeune femme, qui s'était reculée pour lui laisser plus de place. Séchant ses yeux du dos de la main, l'hybride tendit une main pour prendre celle de la jeune femme et la poser sur sa tête, l'invitant à caresser ses oreilles.
C'était le premier geste qu'il faisait vers elle, un geste qui signifiait qu'il acceptait de lui faire confiance et de s'ouvrir à elle. Un premier geste qui ouvrait la porte à plein d'autres.
