Les coups de ton sort

(The blows of your fate/spell)

Résumé : Harry Potter a vaincu Voldemort, mais il a payé le prix fort. En mourant, il devient le Maître de la Mort, et se retrouve projeté dans le passé, le jour où tout a basculé. Le jour où Voldemort a tué sa propre famille à Little Hangleton ; Harry a-t-il le pouvoir de changer le cours du destin ? Peut-il sauver Tom Jedusor de lui-même ? Et surtout, le veut-il vraiment ?

Couple : Harry Potter / Tom Jedusor (Voldemort)

Classé : T ou M (je ne sais jamais où se situe la limite)

Blabla :

Belle journée blanche, froide et lumineuse à vous ! Comment allez-vous ? Petite fanfiction Time travel/Tomarry pour célébrer l'arrivée de la neige de mon côté du monde. Vous devriez aimer ; c'est un Harry courageux et malchanceux qui tombe entre les mains d'un Tom détraqué et possessif. Je vous préviens, il fait froid dehors, cela désaccorde mon violon et me rend grincheuse et par conséquent, je ne joue et n'écris plus rien qui soit rose et mignon. La fanfiction est classée en Angst, ce n'est pas pour faire joli. Vous avancez en terrain connu. Je pense que c'est lisible même si vous êtes sensible, mais je préfère prévenir au cas où. On ne sait jamais, vous avez peut-être cliqué par hasard ! Si c'est même la première fois que vous me lisez, n'hésitez pas à faire un petit tour parmi mes autres titres. Il y en a pour tous les goûts si vous aimez Harry et Tom comme personnages principaux.

Avertissement : Les pages qui suivent contiennent des scènes de violence plus ou moins explicites. L'histoire explore une relation toxique entre les deux protagonistes, dépeignant une réalité loin de la romance.

Don't worry, it's just your death

J'étais étendu dans les ténèbres, à la fois victorieux et défait. Les échos de ma confrontation avec Voldemort résonnaient à Poudlard. La Grande Salle, autrefois le théâtre de notre bataille, gisait maintenant en ruines, les vestiges d'une lutte que j'avais remportée, mais qui m'avait coûté la vie.

J'étais mort en ces lieux. Pourtant, je me trouvais loin de là, allongé sur un banc solitaire de la gare de King's Cross. La lumière baignait cet endroit d'une pureté immaculée, teintant ce Londres onirique d'une blancheur éthérée.

Ma bouche s'entrouvrit :

— Je suis mort, n'est-ce pas ?

Mes membres inertes refusaient de bouger, et seul le silence me répondit. Après un interminable moment d'angoisse, une voix surgit de l'obscurité, résonnant non pas dans l'air, mais dans les méandres de mon esprit.

— Non. Tu n'es pas mort, jeune maître, murmura la voix, déclenchant une migraine lancinante en moi.

Dans un état de semi-conscience, je tentai de m'enquérir de l'identité de cette présence.

— Si je ne suis pas mort, alors où suis-je et qui es-tu ? Comment parviens-tu à me parler ? Je ne te vois pas, et je n'arrive pas à bouger, bafouillai-je.

La voix résonna à nouveau, avec douceur :

— Il est normal que tu ne puisses pas me voir, jeune maître. Je n'ai pas d'existence. Je n'ai ni forme, ni corps. Bientôt, tu m'auras totalement intégré, et je ne pourrai même plus te parler. Tu ne dois pas t'agiter inutilement. Ce sera bientôt fini. Tu vas revenir à la vie. As-tu un souhait pour ton retour dans le monde des vivants ?

Perdu, je ne parvenais pas à saisir la signification de ces mots. La souffrance me submergeait, mon corps semblait être en proie aux flammes. Mes membres, inertes, me brûlaient et me plongeaient dans la panique. La voix persista, tentant d'apaiser mon tourment.

— Je suis désolé que cela soit si désagréable, jeune maître. Tu ne sembles pas en état de faire un choix pour ta résurrection. Dans ce cas, je vais conserver ton corps et tes souvenirs tels qu'ils sont. Toutefois, tu ne pourras réapparaître qu'à proximité d'une des Reliques avant que tu n'en devienne le maître. Je peux conserver ton âge actuel, cela te facilitera la tâche. Tu ne pourras certainement plus vieillir une fois de retour. Alors, je ne peux me permettre de te faire redevenir un enfant. As-tu un souvenir précis d'un endroit passé où l'une de mes Reliques était présente ?

Je luttai pour rassembler mes pensées. Je peinais à me concentrer. Les images de mon duel contre Voldemort et celles de ma mort, ne faisaient qu'aller et venir dans ma tête.

— Ne t'en fais pas. Je vais chercher pour toi. Dès que j'aurai trouvé un souvenir compatible, tu reviendras à la vie, et je disparaîtrai. Les Reliques aussi vont disparaître. Leurs pouvoirs sont à toi. Tu es le seul Maître de la Mort. Patiente encore un peu, je vais trouver.

Une présence intrusive fouilla ma mémoire, déchirant mon esprit comme une bête sauvage. Les souvenirs défilèrent en un tourbillon chaotique, mais soudain, une image se cristallisa et se précisa : Albus Dumbledore, conversant avec moi à Poudlard, quelques temps avant que le directeur ne précipite sa propre fin.

— Je n'ai pu recueillir que peu de souvenirs de Jedusor à Poudlard, me souffla Dumbledore en déposant sa main squelettique sur la Pensine.

— Parmi ceux qui l'ont connu, rares sont ceux prêts à évoquer son passé. La peur les retient. Ce que je sais, je l'ai appris après son départ de l'école. Ceux que j'ai réussi à convaincre de me révéler des informations m'ont confié que Jedusor était obsédé par ses origines. C'était compréhensible, il avait grandi seul, dans un orphelinat et souhaitait découvrir comment il était arrivé là. Il semble qu'il ait scruté les blasons de la salle des Trophées, parcouru les listes de préfets archivées, et même consulté les livres d'histoire de la sorcellerie à la recherche d'indices sur Tom Jedusor Senior. Finalement, il a dû admettre que son père n'avait jamais fréquenté Poudlard. C'est à ce moment-là qu'il a définitivement abandonné ce nom pour prendre celui de Lord Voldemort.

— Ensuite, il s'est tourné vers la famille de sa mère, qu'il avait méprisée jusqu'alors - la femme qu'il croyait incapable d'être une sorcière en raison de sa mort. Tout ce qu'il avait comme piste était le nom Elvis, le prénom du père de sa mère, que les gens de l'orphelinat lui avaient révélé. Après de longues recherches dans les vieux livres d'histoire des familles de sorciers, il a découvert la lignée des Gaunt, survivante de Serpentard. À l'été de sa seizième année, il a quitté l'orphelinat qu'il fréquentait pendant les vacances pour partir à la recherche des membres de la famille Gaunt. À présent, Harry, si tu veux bien te lever...

Dumbledore se leva de son fauteuil, tenant à nouveau un petit flacon de cristal rempli d'un souvenir nacré qui tournoyait à l'intérieur.

— J'ai eu beaucoup de chance de recueillir celui-ci, dit-il en versant la substance luisante dans la Pensine.

— Comme tu le comprendras lorsque nous l'aurons vu. On y va ?

Je m'avançai vers la bassine de pierre et baissai docilement la tête jusqu'à ce que mon visage entre en contact avec la surface mouvante du souvenir.

J'éprouvai la sensation familière de la chute dans le vide puis atterris sur un sol de pierre crasseux, dans une obscurité presque totale. Il me fallut les quelques instants que mit Dumbledore à me rejoindre pour reconnaître l'endroit.

La maison des Gaunt était à présent dans un état de saleté plus indescriptible que tout ce que j'avais jamais pu voir. Le plafond était masqué par d'épaisses toiles d'araignée, le sol tapissé d'immondices. Des aliments moisis pourrissaient sur la table au milieu d'un tas de casseroles recouvertes de croûtes.

La seule lumière provenait d'une chandelle vacillante, posée aux pieds d'un homme dont les cheveux et la barbe avaient tellement poussé que je ne parvenais à distinguer ni ses yeux ni sa bouche. Il était affalé dans un fauteuil, près de la cheminée, et je me demandai pendant un moment s'il n'était pas mort. Mais quelqu'un frappa alors de grands coups à la porte et l'homme se réveilla en sursaut, brandissant une baguette magique dans sa main droite, un couteau dans l'autre. La porte s'ouvrit dans un grincement.

Sur le seuil, une lampe ancienne à la main, se tenait un garçon que je reconnus aussitôt : grand, pâle, brun, avec un beau visage - Voldemort adolescent. Son regard parcourut lentement l'intérieur du taudis avant de se poser sur l'homme avachi dans le fauteuil. Ils s'observèrent pendant quelques secondes, puis l'homme se releva d'un pas titubant, les nombreuses bouteilles vides répandues à ses pieds tintant et s'entrechoquant sur le sol.

— TOI ! hurla-t-il. TOI !

Puis il se précipita sur Jedusor d'une démarche d'ivrogne, couteau et baguette levés.

§ Arrêtez. §

Jedusor avait parlé en fourchelang.

L'homme glissa sur le sol et heurta la table, précipitant à terre des casseroles couvertes de moisissures qui tombèrent dans un grand bruit. Il fixa Jedusor, et un long silence s'installa, pendant lequel ils restèrent tous deux face à face à se contempler.

L'homme fut le premier à le briser :

— Tu le parles ?

— Oui, je le parle, répondit Jedusor.

Il s'avança dans la pièce, et la porte se referma derrière lui. Je ne pus m'empêcher d'éprouver une certaine admiration mêlée d'animosité devant l'absence totale de peur dont Voldemort faisait preuve. Son visage exprimait un simple dégoût et, peut-être, de la déception.

— Où est Elvis ? demanda-t-il.

— Mort, répondit l'autre.

Jedusor fronça les sourcils.

— Qui êtes-vous, dans ce cas ?

— Je suis Morfin.

— Son fils ?

— Bien sûr, c'est moi…

Morfin écarta ses cheveux de son visage malpropre pour mieux voir Jedusor, et je m'aperçus qu'il portait à la main droite la bague de Gaunt, sertie de sa pierre noire. La Relique. Ma Relique.

— Je croyais que tu étais ce moldu, tu lui ressembles drôlement, murmura Morfin.

— Quel moldu ? Interrogea Jedusor d'un ton brusque.

— Ce moldu pour qui ma sœur avait le béguin, le moldu qui habite dans la grande maison, de l'autre côté de la route, répondit Morfin qui cracha soudain par terre, entre eux deux.

— Tu as la même tête que lui. Jedusor, il s'appelle. Mais il est plus vieux que ça, non ? Plus vieux que toi, maintenant que j'y pense…

Morfin parut légèrement étourdi et vacilla un peu sur ses jambes, se cramponnant au bord de la table pour se soutenir.

— Il est revenu, ajouta-t-il d'une voix stupide.

Voldemort observait Morfin comme s'il évaluait ses possibilités d'action. Il s'approcha alors un peu plus et dit :

— Jedusor est revenu ?

— Bah, il l'a laissée tomber, ça lui apprendra à avoir épousé cette saleté ! s'exclama Morfin en crachant à nouveau sur le sol.

— En plus, elle nous a volés avant de décamper ! Où est le médaillon, hein ?

Voldemort ne répondit pas. Morfin, enragé, brandit son couteau et hurla :

— Elle nous a déshonorés, la petite traînée ! Et toi, d'abord, qui tu es pour entrer ici et poser des questions sur tout ça ? C'est fini, pas vrai ? C'est fini…

L'obscurité se déploya à travers la pièce, engloutissant la lueur de la lampe de Voldemort et la flamme vacillante de la chandelle de Morfin, plongeant tout dans le néant…

Soudain, une voix puissante, semblant transpercer mon esprit, se fit entendre.

— J'ai trouvé une faille, jeune maître. C'est à l'instant où Tom Jedusor confronte Morfin Gaunt pour s'emparer de la bague. Je peux vous ramener à la vie à ce moment précis, en utilisant les pouvoirs renfermés dans la bague avant qu'elle ne disparaisse. Préparez-vous, car la renaissance sera une expérience douloureuse, mais une fois achevée, vous ne connaîtrez plus jamais la mort.

Mon corps semblait se déchirer en mille morceaux, m'évoquant la fragilité de la porcelaine, tandis que mes cris déchiraient l'air.

Les fragments se réassemblèrent avec une violence telle que hurlements et larmes étaient inévitables. Mes membres recouvraient peu à peu leur mobilité, et j'attendis désespérément que l'agonie cesse. À travers mes paupières lourdes, je contemplai le sol de pierre crasseux, semblable au souvenir de la Pensine, tangible sous mes doigts. La bague brisée de Morfin Gaunt reposait sur mes genoux. Mon corps tremblait, incontrôlable.

Par réflexe, je relevai la tête pour découvrir le visage de Tom Jedusor, l'adolescent qui deviendrait le Voldemort monstrueux de mes cauchemars. Il me dévisageait, son visage incrédule éclairé par la lampe à pétrole. Ma vision était trouble, les verres de mes lunettes étaient fissurés. Mes vêtements étaient ceux de la bataille de Poudlard, en piteux état. Ma baguette était absente, et j'étais bien trop faible pour affronter qui que ce soit.

Le simple fait de respirer me causait une douleur insupportable. Soudain, un rire dément retentit derrière moi. Morfin Gaunt était tout près, hurlant avant de se jeter sur moi, armé d'un couteau.

— TOI, sale chien ! Tu l'as prise !

Dans mon état, je ne pouvais que tenter péniblement d'esquiver. La lame s'enfonça dans ma cuisse, m'arrachant un grognement alors que je tentais de repousser mon assaillant. Morfin leva son couteau à nouveau, mais il fut brutalement interrompu par un coup de poing qui le projeta au sol, sa mâchoire se brisant dans un râle écœurant.

J'étais médusé en regardant Jedusor, qui n'avait pas eu recours à la magie, mais à ses poings pour me sauver. Il n'était qu'un adolescent de seize ans qui venait de terminer sa cinquième année à Poudlard, et l'utilisation de la magie sans autorisation aurait de graves conséquences sur son avenir à l'école de magie. Toutefois, je ne l'imaginais pas capable de se salir les mains d'une façon aussi... moldue.

Jedusor donna un ou deux coups de pied supplémentaires à Morfin, puis se tourna vers moi, m'interrogeant dans un fourchelang cinglant :

§ Qui es-tu ? §

Soudain, ma vue se troubla davantage, et je ne pus émettre qu'un sifflement dans un fourchelang similaire avant de perdre connaissance.

§ Je suis... §

Don't worry, it's just your life

Je rouvris les yeux brusquement, me redressant vivement alors que la sensation de coup de couteau dans la cuisse se répétait encore et encore. Pour cause, j'étais allongé dans un lit aux draps propres et blancs dans une chambre minuscule, et Jedusor me tenait fermement la cuisse, une aiguille dans l'autre main. Il était en train de recoudre ma blessure.

Il siffla, ses yeux oscillant entre le brun et le rouge, concentré sur sa tâche.

§ Ne bouge pas. §

Il était en train de me recoudre sans anesthésie et voulait que je reste immobile ? Je retint à grande peine un hurlement, me mordant la lèvre.

La douleur me rendait confus. Était-ce réel ? Oui, j'étais mort à la bataille de Poudlard, j'en étais sûr. Puis j'ai atterri dans les limbes et quelque chose m'a ramené à la vie, dans le passé, à l'époque où Tom Jedusor a tué les membres de sa famille et a découpé son âme pour en faire des Horcruxes.

Le même Tom Jedusor qui est en train de me recoudre après que son oncle fou ait essayé de me poignarder. La réalité de cette situation me paraissait encore plus dingue que l'idée d'être revenu dans le passé en échappant à la mort.

Jedusor tira sur le fil avec lequel il tentait de me recoudre, les mains couvertes de sang, fit un nœud, coupa le fil et reposa ma jambe sur les serviettes déjà rouge écarlate qu'il avait probablement mises sur le lit pour éviter de tâcher les draps.

Je serrais si fort les dents que ma mâchoire émit un craquement. Je contemplais la vingtaine de points de suture sur ma cuisse comme s'ils étaient responsables de toute cette situation.

Jedusor se redressa, essuya ses mains contre un morceau de tissu, puis ses yeux se rivèrent sur moi. Le lit était contre l'un des murs de la petite chambre mansardée, je m'en servis comme appui, me pliant en deux sous la douleur quand j'eus maladroitement le réflexe de m'appuyer sur ma jambe.

Jedusor me regarda sans un mot, puis il se rassit sur sa chaise et me siffla tout à coup :

§ Ton corps est couvert de cicatrices. Je ne pense pas que ce soit la première fois que tu te retrouves dans cette situation. §

Couvert de cicatrices ? J'imagine que ce n'était pas tout à fait faux, si la cicatrice sur mon front était la première, j'en avais obtenu beaucoup d'autres pendant ma scolarité à Poudlard et la guerre. Mais l'idée que Jedusor ait regardé aussi attentivement mon corps pendant que j'étais inconscient me fit frissonner d'effroi.

Jedusor considéra ce frisson d'un autre œil, sa main vola vers mon front, et je me reculais brusquement pour me cogner l'arrière du crâne contre le mur.

Voldemort plissa les yeux, semblant me traiter d'idiot. Il insista, et ne pouvant plus reculer, je le laissai poser sa main contre mon front. Il siffla.

§ Comme je le pensais, tu es brûlant. §

Ses yeux rencontrèrent les miens, les détails de son visage étaient flous pour moi, je n'avais pas mes lunettes, mais il était bien trop proche à mon goût. Je saisis son poignet pour retirer sa main, mais la mienne tremblait, je n'avais pas assez de force. Il me fixa sans bouger, et je me sentis obligé de siffler avec autant de véhémence que possible.

§ Éloigne-toi. §

Ses yeux bruns devinrent incandescents, et il me sourit en retirant sa main.

§ Tu parles le fourchelang. Nous sommes donc bien de la même famille. §

Était-ce pour cela qu'il tentait de me soigner au lieu de me tuer ? Non, Voldemort avait tué les membres de sa famille. Pourquoi ne pas me tuer aussi s'il pensait que j'étais un Gaunt ?

Ça n'avait pas de sens. Sauf si...

§ Tu l'as tué ? §

Jedusor retira lentement sa main de mon front, puis me répondit.

§ Morfin ? Non. Il était encore en vie lorsque je t'ai sorti de là. Est-ce ton père ? Je suis le fils de Mérope Gaunt. Si tu es bien son fils, alors nous sommes cousins. §

Je ne répondis rien, bouche bée. Il n'avait pas tué Morfin et il ne l'avait certainement pas utilisé pour tuer Tom Jedusor Senior non plus. Au lieu de cela, il m'avait ramené ici, bien que je ne sache pas où nous étions, et tentait de me soigner. Cette situation n'avait aucun sens.

Jedusor continuait de me transpercer de ses yeux rougeoyants, me fixant sans ciller. Tout à coup, il désigna mon front, puis mon avant-bras où je portais la cicatrice faite par Peter Pettigrew lors du tournoi des Trois Sorciers.

— C'est ton père qui t'a fait ça ? Pourquoi as-tu surgi tout à coup pour détruire cette bague ? Est-ce qu'il l'utilisait pour te retenir contre ta volonté ?

Hébété par sa théorie, je ne répondis rien, ce qu'il prit apparemment comme une réponse positive. Il semblait convaincu que j'étais son cousin, et que son oncle était une sorte de parent abusif duquel il venait de me sauver.

Il s'éloigna pour revenir avec un verre d'eau, puis me demanda :

— Quel âge as-tu ? Pourquoi n'es-tu pas scolarisé à Poudlard ?

Ma tête me faisait mal, presque autant que ma cuisse, des points noirs dansaient devant mes yeux épuisés, et le comportement de Jedusor me paraissait incompréhensible.

Pour survivre, je pris la décision d'aller dans son sens. Il semblait penser que nous étions du même sang, et pour une raison que j'ignorais, il paraissait satisfait de cette idée. Je lui répondis prudemment :

— Je viens d'avoir dix-sept ans.

Il parut surpris de ma réponse.

— Tu as un an de plus que moi. J'étais persuadé que tu étais plus jeune, ne le prends pas mal, mais tu es plutôt petit.

Oh, génial. Le Seigneur des Ténèbres se moque de ma taille maintenant. La fièvre devait diminuer mes instincts de survie car je lui soufflai en retour, au bord de l'inconscience :

— Si on t'avait fait dormir dans un placard, en te privant de nourriture, toi aussi, tu serais petit.

Tout devint noir autour de moi, et je perdis connaissance pour la deuxième fois.

Lorsque je revins à moi, j'étais toujours dans ce lit minuscule, recouvert par les couvertures blanches. L'unique fenêtre de la chambre, un vasistas, était ouverte, et la lumière du soleil blessa mes yeux tant elle était forte et chaleureuse.

Il faisait chaud. Mon corps me paraissait moins douloureux, sauf ma jambe droite, celle que Morfin Gaunt avait poignardée et que Voldemort s'était appliqué à recoudre.

Le nom de Voldemort réussit à me réveiller complètement, et je me redressai dans le lit, faisant attention de ne pas m'appuyer sur ma jambe blessée. Pas de Seigneur des Ténèbres en vue. La chambre était vide, elle ne comportait qu'un lit en métal, une chaise en bois, et un petit bureau sur lequel une valise portant les initiales de T.J. était restée ouverte.

Prenant appui sur le cadre du lit, je parvins à me lever, la douleur dans ma jambe était terrible, et une fois debout, je regardais les points de suture avec hébétude. La blessure avait l'air horrible. Je ne connaissais aucun sortilège de médicomagie, alors je me contentais de grimacer, tout en étant content que ce ne soit pas pire.

Bien que très laide, elle ne ressemblait pas à une blessure mortelle. Pendant un instant, je cherchais du regard mes affaires avant de me rappeler dans quel état j'étais arrivé. Jedusor avait certainement jeté mes vêtements.

Peu sûr que ce soit une bonne idée, je décidais de tenter de faire quelques pas. Au deuxième, ma jambe m'a trahi, et j'ai terminé ma chute en provoquant un désordre monumental, le petit bureau s'est effondré sur moi alors que j'étais allongé au sol, gémissant de douleur. C'est alors que j'ai entendu la porte de la chambre s'ouvrir, et quelqu'un est venu à mon secours, me libérant du poids du meuble.

Rapidement, Jedusor m'a redressé en position assise, maugréant à mon sujet.

— Je m'éloigne quelques minutes de ton chevet, et c'est le moment que tu choisis pour te lever et marcher ?

Il portait une chemise trop courte pour lui et un pantalon rapiécé. Son visage était affreusement séduisant. Il a jeté un coup d'œil à ma jambe et a grimacé en vérifiant mon dos. Il était évident que des ecchymoses se formaient déjà à cause de la violence de ma chute.

Sa proximité me rendait nerveux, alors je me suis écarté en répétant ce que je lui avais déjà dit.

— Éloigne-toi.

Il m'a fixé un instant puis s'est finalement écarté à une distance plus raisonnable dans le chaos que ma chute avait créé dans la chambre. Il a soupiré, presque comme s'il confessait quelque chose.

— Moi non plus, je n'aime pas qu'on me touche.

J'ai acquiescé. Il a regardé autour de nous, puis m'a demandé :

— Comment te sens-tu ? Ta fièvre est-elle tombée ? J'étais parti pour essayer de trouver quelques potions ou, à défaut, des médicaments moldus, mais c'est difficile sans argent et sans pouvoir utiliser la magie.

Assis sur le parquet et incapable de me lever sans risquer de rouvrir ma blessure, je lui ai répondu.

— Ça va. Je me sens mieux.

Puis, avant même que je ne m'en rende compte, j'ai ajouté.

— Merci.

J'avais naturellement conservé ma politesse, même envers Voldemort. C'était ridicule.

À ce moment, Jedusor a fait quelque chose que je n'aurais jamais imaginé possible. Il m'a souri. Ce n'était pas un sourire éclatant, juste un léger étirement des lèvres, mais cela m'a donné l'impression qu'il était humain. Humain et content.

Ensuite, il s'est présenté :

— Je suis Tom Jedusor. Je n'ai pas pensé à te donner mon nom hier. Et toi ?

— Harry, lui ai-je répondu en faisant un effort.

Il a plissé les yeux.

— Harry Gaunt ? Ce n'est pas un prénom sorcier.

J'ai avalé difficilement ma salive, puis j'ai fini par dire.

— Ma mère était une sorcière née de moldus, c'est elle qui a choisi mon prénom.

Jedusor fut convaincu par cette explication, il a même ajouté.

— On a beaucoup de points communs.

Je ne lui ai pas répondu. Il s'est approché de moi à nouveau et a demandé :

— As-tu besoin d'aide pour remonter dans le lit ?

J'ai nié en secouant la tête négativement. J'ai essayé de me lever, failli retomber, puis dans un réflexe qui ressemblait à de la magie instinctive, j'ai réussi à me faire léviter jusqu'au matelas.

Quand j'ai relevé la tête pour le regarder, Jedusor me fixait comme si c'était Noël et que je venais de lui offrir le dernier Nimbus. Il s'est exclamé :

— Tu maîtrises la magie sans baguette !

J'ai immédiatement réfuté ses paroles.

— Non, pas du tout. C'est arrivé comme ça, je ne sais pas comment j'ai fait.

Jedusor n'a pas accordé d'attention à ma réponse, mais il m'a plutôt interrogé :

— Quel sort as-tu utilisé pour détruire la bague de Morfin ? C'était impressionnant, qui t'a appris à t'en servir ?

Je ne savais pas ce qu'il pensait avoir vu lors de mon apparition mais ce n'était pas moi qui était responsable de la destruction de la bague. C'était plutôt la bague qui m'avait… fait venir à elle avant d'exploser.

Avec lui, dire la vérité était impossible. Après tout, il était mon ennemi juré, et dans son futur, nous nous étions entre-tués avant que je ne sois mystérieusement ramené ici, sans savoir comment ni pourquoi.

Je n'avais que quelques souvenirs flou de mon passage dans les limbes. Quelque chose m'avait parlé avant de me traîner dans le passé mais je ne me souvenais pas de ce qu'elle m'avait dit. Cette chose et la bague des Gaunt devaient avoir un lien. Il fallait que je trouve lequel.

Il ne m'a pas fallu longtemps pour choisir ma nouvelle identité : Harry Gaunt, le fils de Morfin Gaunt. Un garçon négligé, éduqué par son père. Inoffensif pour Voldemort.

Si cela pouvait me permettre de survivre jusqu'à ce que je comprenne comment j'étais revenu à la vie et que je récupère assez de force pour me battre à armes égales contre le Seigneur des Ténèbres, je le ferais. Je deviendrais quelqu'un d'autre. C'était ma meilleure option pour survivre.

Le plus difficile serait d'empêcher Jedusor de découvrir que je le manipulais. Cela signifiait éviter qu'il ait recours à la Legilimancie sur moi ou qu'il nourrisse des doutes sur mon identité. En d'autres termes, lui mentir, utiliser l'Occlumancie pour faire passer mes mensonges comme la réalité, en espérant qu'il ne changerait pas brusquement d'avis à mon sujet.

C'est dans cette optique que j'ai répondu :

— Je ne sais pas vraiment comment utiliser la magie. Mon père ne voulait pas me l'apprendre, il ne me considérait pas comme un sorcier, à cause de mon sang-mêlé. Je l'utilise parfois... instinctivement, mais c'est tout.

J'ai baissé la tête, de peur que Jedusor ne voie mon mensonge se refléter dans mes yeux. Toutefois ce fut inutile. Il reprit la parole.

— Le fait que tu réussisses à l'utiliser sans enseignement prouve que tu es un excellent sorcier. Je suis aussi de sang-mêlé. Je peux t'apprendre. Je suis élève à Poudlard, la rentrée est dans quelques semaines…

Il s'est tu un instant, puis a ajouté alors que je lui lançais un coup d'œil.

— Je pense que si j'envoie une lettre à mon directeur de maison, il pourra faire en sorte que tu viennes étudier à Poudlard. Normalement, tu aurais déjà dû avoir terminé tes études là-bas, mais j'imagine que si le directeur Dippet apprend qu'un sorcier anglais n'a reçu aucun enseignement magique à cause des préjugés de la famille Gaunt, il t'inscrira parmi ses élèves. Je suppose que je pourrais lui demander de te placer dans la même année que moi, après tout, tu es de ma famille, il ne pourra pas me le refuser.

Pendant un instant, je me suis demandé pourquoi Voldemort voulait à ce point m'aider, quitte à faire une demande à Horace Slughorn... puis j'ai décidé que c'était pour le mieux. Aller à Poudlard était ma meilleure option. Là-bas, je serais probablement réparti à Gryffondor, j'aurais un environnement familier et une bibliothèque à disposition pour faire des recherches sur ce qui m'était arrivé exactement.

Cependant, j'ai modéré mon enthousiasme en lui faisant remarquer.

— Je ne pense pas que ce soit possible... je n'ai pas de baguette magique, ni d'argent.

Jedusor semblait déterminé. Il ajouta :

— Ne t'en fais pas pour ça. Puisque tu es majeur, tu peux utiliser ma baguette sans risque d'être repéré par le ministère, en attendant d'en avoir une à toi. Quant à l'argent, il y a une bourse pour les élèves qui n'ont pas les moyens d'aller à l'école. Tu recevras l'argent en même temps que ta liste de fournitures. Il ne reste que deux semaines avant le début des cours, j'ai assez d'économies pour que nous puissions rester dans cette chambre jusqu'à la rentrée. Je me débrouillerai pour la nourriture. De toute façon, il faut que tu te reposes pour que ta blessure puisse guérir.

Je ne pus m'empêcher de lui demander, avec suspicion.

— Pourquoi tu ferais tout ça pour moi ? On ne se connaît même pas.

C'était vrai. Il n'avait aucune raison de se montrer gentil avec moi et plus il l'était, plus je me méfiais de lui.

Ma question ne parut pas le déranger. Il prit néanmoins un moment avant de me répondre, puis il se lança. Il avait l'air tellement sincère que je me suis senti mal à l'aise.

— Je suis orphelin. Ou en tout cas, je pensais l'être. Je ne savais pas que mon père était toujours en vie. J'ai obtenu le nom du père de ma mère, Elvis Gaunt, à l'orphelinat où j'ai grandi. C'est comme ça que j'ai pu remonter jusqu'à Little Hangleton. J'ai pris l'argent que j'avais économisé depuis ma première année à Poudlard et je suis venu ici. J'ai loué cette chambre dans l'auberge du côté sorcier du village et… j'ai attendu. Je voulais savoir d'où je venais. J'ai vite entendu des rumeurs sur les Gaunt à l'auberge et ailleurs dans le village et plus j'attendais, plus je craignais que cette rencontre ne soit affreuse.

Il se stoppa un instant, grimaça au souvenir puis reprit.

— Une partie de moi était en colère de désirer si fort une famille. Je ne suis plus un enfant. Cela fait longtemps que je n'ai plus besoin de parents. Mais j'avais encore un espoir. J'ai attendu que la nuit tombe pour être sûr que la maison ne serait pas vide et j'y suis allé… Morfin était loin d'être ce que j'avais imaginé trouver. De plus, il m'a appris que mon père était en vie, qu'il avait quitté ma mère… et par conséquent qu'il ne s'était jamais soucié de moi. J'étais au-delà du désespoir. Puis tu es apparu.

Ses yeux se tintèrent d'un rouge incandescent et il se mit à me regarder avant de me dire.

— Lorsque je t'ai vu j'ai tout de suite su qu'on était pareil. Je sais que nous sommes des inconnus l'un pour l'autre et je vois bien que tu te méfies de moi mais… je suis content que tu existes.

Sa voix faiblit jusqu'à s'éteindre. Il répéta dans un murmure en fourchelang, ses yeux ne quittant pas les miens.

§ Je suis vraiment content que tu existes. §

Il était fou. Tom Jedusor était fou. Ce n'était pas nouveau. Fou mais sincère. Albus Dumbledore ne m'avait jamais parlé du désir maladif du Seigneur des Ténèbres d'avoir une famille. Il m'avait parlé de son obsession pour ses origines mais ce n'était pas tout à fait la même chose.

Je comprenais un peu mieux comment la haine et le rejet successif de Morfin Gaunt puis de Tom Jedusor Senior l'avaient conduit à la folie, et il semblait que ma simple existence - et le fait qu'il soit persuadé que je sois le fils du frère de sa mère - suffisait à l'apaiser.

Il n'était pas seul. Il avait au moins un membre de sa famille qui ne le haïssait pas. Je ne savais pas quoi répondre. C'est ce que je lui dis.

§ Je… je ne sais pas quoi te dire. §

Il ne parut pas gêné par le fait que je ne lui fasse pas de déclaration d'amitié familiale en retour de la sienne et se contenta de me dire.

— On peut commencer par apprendre à se connaître. Mais pour cela, il faut que ta santé s'améliore. Tu as perdu beaucoup de sang, et tu ne sembles pas avoir mangé à ta faim depuis longtemps. Il faut que tu te reposes. J'irai chercher de quoi manger pendant ce temps-là.

Méfiant, je lui ai demandé.

— Tu veux dire que tu vas voler de la nourriture pendant que je dors ?

Il me sourit, de ce sourire imperceptible, hocha de la tête et précisa.

— Je ne me ferai pas prendre, ne t'inquiète pas. Je suis plutôt doué pour ça.

Je grimaçais, ma conscience voulait le retenir, mais mon estomac se mit à gronder en signe de protestation. Jedusor sembla se retenir de rire, alors que, mortifié, je remontais la couverture jusqu'à mon front.

Je l'entendis siffler en refermant la porte.

§ N'essaie pas de te lever pendant mon absence. §

J'ai dû m'assoupir pendant un moment car à mon réveil, Jedusor était de retour, un sac en papier plein de provisions entre les mains. Il était en train de ranger sa malle pour Poudlard sous le lit au moment où j'ouvris les yeux. Il me vit me réveiller et m'adressa la parole, en sortant le contenu de son sac sur le petit bureau.

— Je t'ai réveillé. Comment tu te sens ? Je pense qu'il faut mettre du désinfectant sur ta blessure, alors j'ai pris de l'alcool aussi.

Il sortit du sac une bouteille de vodka, deux de lait et une d'eau. Puis du pain, du fromage et de la viande séchée, et enfin des bocaux avec des fruits à l'intérieur. J'ignorais comment il avait pu voler tout ça, ni à qui, mais mon estomac m'empêchait de lui en vouloir.

Il déboucha la bouteille de vodka en premier, attrapa un tissu, l'imbiba, et se tourna vers moi. J'ai eu envie de m'enfuir, au lieu de quoi, je grimacais et lui demandais.

— Je ne suis pas sûr que l'alcool désinfecte vraiment les blessures, j'ai déjà essayé et à part brûler, ça n'a pas eu l'air de m'aider.

Il haussa les épaules.

— Ce sera mieux que rien. On n'a que ça, si ça s'infecte, ça risque d'être dangereux. Quand on sera à Poudlard, on pourra te faire examiner par l'infirmière et je pourrai brasser des potions. Il doit y en avoir pour accélérer la cicatrisation et aussi pour diminuer les marques que les points de suture vont te laisser.

Je pris appui sur le mur pour me redresser, m'asseyant au bord du lit, demandant à Jedusor, alors qu'il approchait dangereusement de moi.

— Tu les trouves si moches que ça, mes cicatrices ?

Le fait qu'il fasse une fixette sur elles me gênait un peu. Je n'avais pas l'impression d'être aussi marqué que ses paroles ne le laissaient paraître. Oui, celle sur mon front était un peu voyante, et j'en avais quelques-unes sur les bras, dans le dos et sur le ventre, sans compter celle que je venais de gagner à la cuisse et celle de Dolorès Ombrage sur ma main, mais… la plupart d'entre elles n'étaient pas… trop moches ?

L'idée qu'elles puissent être visuellement repoussantes commençait à m'angoisser. Personne ne m'avait fait de remarque à ce sujet auparavant. Enfin, il faut dire que personne n'avait vu autant de… ma peau. Sauf les joueurs de Quidditch peut-être, mais ils n'étaient pas du genre à me fixer pendant que je me changeais.

Il ne répondit pas tout de suite, au lieu de ça, il se mit à nettoyer ma blessure consciencieusement. J'aurais voulu lui demander de me laisser me débrouiller, mais la douleur était telle que j'avais plutôt envie de le frapper. Je grinçais des dents en me retenant de lui hurler d'arrêter ça tout de suite s'il ne voulait pas avoir mon poing dans la figure, et lorsqu'il relâcha enfin ma cuisse, je poussai un soupir de soulagement.

C'est cet instant qu'il choisit pour répondre.

— Elles ne sont pas moches. Tu les portes bien. Elles m'énervent, c'est tout.

Sa réponse me distraya de ma douleur, et je lui demandai, avec confusion.

— Elles t'énervent ?

Il acquiesça en remplissant un verre de lait, me le confia, et ajouta.

— Je pense que c'est parce qu'elles me font penser que, finalement, l'orphelinat n'était pas le pire endroit au monde pour moi.

J'ai failli m'étouffer avec la gorgée que je venais de mettre dans ma bouche. Je toussais sans pouvoir m'arrêter. Jedusor me lança un regard équivoque sur ce qu'il pensait du fait que je n'arrivais même pas à boire sans risquer ma vie. Il asséna, très sérieusement.

— Ne bois pas et ne mange pas trop vite, tu vas te rendre malade.

Se prenait-il pour une sorte de grand frère à mon égard ? J'étais le plus âgé de nous deux. Même s'il était plus grand. De toute façon, Voldemort faisait bien un mètre quatre-vingt-dix, pas étonnant que sa version adolescente soit grande.

Jedusor était beau, grand, puissant, et c'était aussi le Seigneur des Ténèbres le plus meurtrier qu'ait connu le monde sorcier. Comme quoi, on ne pouvait pas tout avoir dans la vie.

Le Seigneur des Ténèbres en question mordit dans un morceau de pain, avant d'en faire de même avec un morceau de fromage. Il avait l'air autant, si ce n'est plus, affamé que moi.

Je me retenais de lui dire qu'il ferait bien de ne pas manger trop vite s'il ne voulait pas avoir mal au ventre. À la place, je finis par imiter son comportement lorsqu'il me tendit de la nourriture. C'était mon premier vrai repas depuis la bataille de Poudlard, et il fallait que ce soit en compagnie de Lord Voldemort. Parfois, la vie était d'une ironie cruelle.

Je passai le reste de la journée à me reposer, épuisé, pendant que Jedusor lisait un livre assis sur la chaise à côté. Lorsqu'il voyait que j'étais éveillé, il me demandait comment j'allais, si j'avais soif, et vérifiait fréquemment ma température qui jouait au yoyo. J'avais des épisodes de fièvre, et mon esprit flottait entre un état inconscient et semi-conscient.

J'avais envie de lui demander s'il comptait rendre visite à son père maintenant qu'il savait qu'il était en vie, mais je ne trouvai ni la force ni le bon moment pour le faire. Il me promit que, lorsque j'irai mieux, il m'apprendrait quelques sortilèges faciles. L'idée que le Seigneur des Ténèbres ait hâte de m'apprendre Lumos, Wingardium Leviosa ou Alohomora me rendait nerveux. Pourtant, j'étais sûr qu'il ferait un bon professeur.

Il avait l'air véritablement passionné par la magie. Je me répétais que c'était bête qu'il ait si mal tourné, parce qu'il aurait pu avoir une vie bien plus paisible s'il s'était rangé, avait oublié ses idées de conquête du monde sorcier et de pureté du sang, et était véritablement devenu professeur de Défense contre les Forces du Mal à Poudlard.

Mais la voix d'Albus Dumbledore revenait hanter mon esprit et ne cessait de me dire que, dès leur première rencontre, il avait su que Tom Jedusor allait mal tourner. Pour lui, c'était écrit. Et qui étais-je pour remettre en question la parole de Dumbledore ?

Je devais me faire une raison. Jedusor était une cause perdue, et je devais me concentrer sur ma propre guérison et mon avenir.

Difficile de tenir à cette résolution.

Il m'a fallu trois jours pour chasser la fièvre et récupérer des forces. Pendant ce temps, Tom Jedusor est resté à mon chevet, m'aidant à me lever et à me rendre jusqu'à la salle de bain de l'auberge, aux toilettes. Faute d'argent pour louer une autre chambre, le Seigneur des Ténèbres dormait par terre, à même le sol. Le lit était trop petit pour qu'un garçon aussi grand que lui puisse dormir avec quelqu'un de blessé comme moi, sans m'écraser pendant la nuit.

J'avais proposé d'échanger ou au moins d'alterner une nuit sur deux, mais il avait refusé, arguant que j'étais blessé et que j'avais davantage besoin du lit que lui. Finalement, il avait accepté que je lui donne oreiller et couverture pour qu'il puisse s'installer le plus confortablement possible sur le parquet, et nous avons continué ainsi.

Au bout de ces trois jours, j'allais mieux, et nous passions toutes nos journées ensemble.

Il faisait chaud, c'étaient les dernières semaines d'août, et j'avais fini par enfiler une des chemises de Jedusor. Je ne pouvais pas encore mettre de pantalon, ma blessure me faisait encore bien trop souffrir, mais avec l'aide de Voldemort, j'arrivais à me déplacer à peu près correctement. La douleur était supportable.

Il me parlait de Poudlard, de magie, de ses cours préférés, des professeurs qu'il appréciait et de ceux qu'il n'aimait pas. Il évoquait ses camarades de classe, avec lesquels il ne semblait pas bien s'entendre. Apparemment, il était admiré mais aussi craint, certains le jalousaient pour ses résultats exceptionnels et son apparence. Beaucoup s'approchaient par cupidité. Il semblait bien plus seul que je ne l'avais imaginé.

Je pensais que Voldemort avait recruté ses premiers partisans à Poudlard. Dumbledore m'avait laissé entendre qu'il dirigeait un groupe d'étudiants commettant des actes terribles avec discrétion. Rien dans les paroles de Jedusor ne laissait penser à de telles relations avec ses camarades. Ses paroles étaient hostiles quand il les mentionnait.

Il exprima rapidement son attrait pour la magie noire, révélant une obsession pour la pureté du sang, un complexe d'infériorité et une volonté de prouver qu'il était plus qu'un sang-mêlé. Il raconta être préfet de Serpentard, décrivit les maisons de Poudlard selon sa vision et exprima son désir d'être préfet-en-chef cette année. Il attendait avec impatience la lettre de Poudlard pour le savoir.

Il remarqua rapidement mes problèmes de vue, me rendit mes lunettes fissurées, et m'enseigna le premier sortilège pour les réparer. Comme je m'y attendais, il était un bon professeur.

Sa manière d'appréhender la magie et de l'utiliser différait grandement de la mienne. Il délaissait la formule et le mouvement de la baguette, préférant que j'imagine le résultat du sortilège, que je le désire ardemment pour que la magie obéisse. Les gestes et les formules étaient, selon lui, des aides dont tout sorcier pouvait se passer avec un peu de volonté.

Il ne semblait pas réaliser à quel point sa vision de la magie était singulière.

Il n'était pas quelqu'un de bien. Malgré mes efforts pour minimiser les descriptions de Dumbledore sur sa scolarité à Poudlard, je ne pouvais ignorer son mépris violent envers le reste de l'humanité et l'absence totale de culpabilité dans ses paroles et ses gestes.

Parfois, nous descendions dans la salle commune de l'auberge. Lui faisait ses devoirs pendant que je faisais semblant d'apprendre les bases de la magie.

En société, sa dualité était évidente. La première facette de sa personnalité lui demandait des efforts, il se montrait charmant pour manipuler les autres comme des pantins. Il avait toujours un coup d'avance, traitant les autres comme des marionnettes dans une pièce de théâtre. Cependant, cette façade pouvait s'effriter, révélant un être terrifiant, impatient, irritable, hostile. Dans ces moments-là, même les inconnus comprenaient qu'il fallait éviter de l'approcher.

Curieusement, je semblais échapper à ses sautes d'humeur. Il ne cherchait pas à me manipuler en étant charmant ou effrayant, ni à profiter de la vulnérabilité due à ma blessure. Il était étrangement amical, mais avec le temps, je réalisais que son amitié était excessive et malsaine.

Il s'était attaché à moi de manière alarmante, craignant que je ne change d'avis, que je veuille partir loin de lui, ne pas aller à Poudlard, le laisser seul à nouveau. La terreur de la solitude transparaissait, et il cherchait constamment à s'assurer que je n'avais aucune raison de le quitter.

L'idée lui était certainement venue en apprenant que Morfin Gaunt était sorti de chez lui, déambulant dans les rues comme un homme fou ; cherchant quelqu'un ou quelque chose. Je présumais qu'il avait tellement bu la soirée où nous étions là-bas qu'il ne se souvenait pas des événements et qu'il cherchait la bague de son père. Cependant, il ne restait que de la poussière et des éclats de métaux de celle-ci.

Tom, quant à lui, pensait que Morfin Gaunt était à ma recherche et voulait que je rentre à la maison. C'est pourquoi il me répétait fréquemment que j'étais mieux ici, avec lui, que chez mon père. Il n'avait pas compris que Gaunt voulait la bague. La Relique.

Mon retour à la vie avait un lien avec cette bague. J'en étais certain. Je savais qu'il s'agissait d'une des Reliques de la Mort et que son pouvoir était censé ramener les morts à la vie. J'allais orienter mes recherches sur elle dès que je le pourrais.

Conformément à sa promesse, Jedusor s'occupait de la nourriture, fouillant les garde-manger, les caves et les cuisines de Little Hangleton. Il volait fréquemment des bouteilles de lait au petit matin, apportant tout ce dont nous avions besoin pour mener une vie aussi confortable que possible. Lorsque la rumeur d'un voleur se répandit dans le village, il se rendit fréquemment à Great Hangleton, la ville d'à côté, évitant ainsi les soupçons.

Nous vivions aussi discrètement que possible en attendant la rentrée. Cela me rappelait les Dursley, que je voyais désormais en cauchemars. Depuis ma récente fièvre, mes nuits étaient hantées par de mauvais rêves. J'étais certainement perturbé par la situation. Il y avait de quoi.

Je rêvais de la guerre, de mon enfance, de mes amis, de la mort de Cédric et Sirius, ou de celle de Dumbledore et Rogue. Mes songes étaient une succession de cauchemars terribles qui me faisaient hurler au réveil.

Jedusor ne m'avait pas interrogé sur mes cauchemars, et je compris pourquoi lorsqu'une nuit, ce ne furent pas mes cris qui nous réveillèrent, mais les siens. Il expliqua avoir fait un cauchemar sur la Seconde Guerre mondiale sévissant actuellement sur Londres, évoquant bombardements, blitz, avions de guerre, famine et pauvreté comme raisons supplémentaires pour quitter son orphelinat.

Nos nuits étaient souvent blanches, et nos journées étaient consacrées aux manuels de sorcellerie et aux discussions sur le monde actuel. J'avais plus appris sur l'histoire de la magie en quelques jours que durant toute ma vie. Gellert Grindelwald et la guerre moldue étaient des sujets récurrents.

Jedusor ne semblait pas approuver son prédécesseur. Le Seigneur des Ténèbres considérait Gellert Grindelwald comme un perturbateur qui ne comprenait rien aux véritables problèmes du monde magique.

Souvent, je n'avais même pas besoin de le contredire pour qu'il comprenne si j'étais d'accord avec lui ou non. Je le laissais diriger les conversations et prendre les décisions, tant qu'il ne contredisait pas directement mes principes : je ne voyais pas l'intérêt de m'opposer à lui.

C'est pourquoi, lorsque Jedusor annonça qu'il irait voir son père le lendemain, car notre séjour à Little Hangleton touchait à sa fin, je voulus l'accompagner.

Dans l'histoire originale, Voldemort visite son père et ses grands-parents, les tue, manipule l'esprit de Morfin Gaunt pour le faire croire coupable de ces meurtres, récupère la bague, et, plus tard, en fait l'un de ses Horcruxes.

J'ignorais si Jedusor avait déjà créé un Horcruxe, bien qu'il ait découvert la Chambre des Secrets et que le Basilic ait tué Mimi Geignarde. Albus Dumbledore n'était pas certain de la date de création des Horcruxes, mais Jedusor semblait s'y intéresser lors de sa sixième année à Poudlard. Une sixième année qu'il n'avait pas encore vécu. Pas conséquent, il était possible qu'il n'ait pas encore créé de Horcruxes. Peut-être même attendait-il d'être diplômé pour commettre ses méfaits et enfermer des parties de son âme dans d'autres objets.

Comme le médaillon de Serpentard, dont il a récemment appris l'existence. La bague ne pourrait plus devenir son Horcruxe puisque je l'avais détruite.

Ça en faisait un de moins. Un de moins que j'aurais à détruire si jamais l'idée lui venait d'en créer malgré ma présence à cette époque.

Nous étions dans notre chambre, moi allongé sur le lit et lui sur le sol, lorsqu'il exposa la situation.

— Maintenant que Dippet a confirmé ton inscription à l'école, les bourses et les listes de fournitures ne devraient pas tarder. Je t'emmènerai bientôt au Chemin de Traverse. On pourra y acheter ce qu'il faut et attendre le premier septembre. Avant ça, je pense que je dois rencontrer mon père. Tu l'as certainement déjà croisé puisque tu as vécu ici toute ta vie… est-ce que tu penses qu'il y a une chance pour qu-

Je ne le laissai pas finir sa phrase. Je ne voulais pas être cruel avec lui, mais plus ses attentes seraient grandes, plus sa peine serait dévastatrice lorsqu'il serait confronté à la vérité.

— Non. Aucune chance. Tom Jedusor Senior, ton père… tu lui ressembles physiquement, mais même s'il te reconnaît et comprend que tu es son fils, je pense qu'il ne voudra pas te parler. Il déteste notre famille. Il détestait ta mère.

Je l'entendis plus que je ne le vis, se tendre. Après un moment de silence, il me souffla.

— Pourquoi ? Pourquoi la détestait-il ? Et pourquoi voulait-elle tellement être avec lui s'il ne l'aimait pas.

Sa détresse psychologique était palpable. J'avais l'impression d'avoir sa stabilité mentale entre les mains. La pression que cela me donnait me faisait trembler d'appréhension.

— Je ne sais pas. Jedusor Senior était noble et riche, notre famille est peut-être noble, mais elle est ruinée. Peut-être que c'est pour ça qu'il nous méprise ? Et pour Mérope, je ne l'ai pas connue… mais je sais qu'elle était amoureuse de ton père et qu'elle est partie avec lui un jour. Puis il est revenu tout seul en prétendant avoir été ensorcelé par elle. On a appris qu'elle était morte… je ne savais même pas qu'elle avait eu un fils.

Silence. Respiration rapide puis plus calme.

— Peut-être que mon père ne sait pas non plus. Que je suis né, que ma mère était enceinte. Peut-être qu'il l'a quittée parce qu'il était en colère à cause du philtre d'amour, mais qu'il ignorait qu'elle était enceinte. Il aurait pris ses responsabilités s'il l'avait su, il serait resté avec elle. Il m'aurait gardé.

Sa voix se faisait de plus en plus fragile. Je redoutais qu'il ne se mette à pleurer. Et je ne savais pas du tout comment réagir si Lord Voldemort fondait en larmes sous mes yeux. Devais-je le réconforter ? Si oui, comment ? Je ne pouvais pas lui mentir à propos de son père.

Demain, il irait le voir et Tom Jedusor Senior le rejetterait violemment. Ses grands-parents eux-mêmes le traiteraient d'enfant illégitime et le chasseraient. Ce qui pousserait Voldemort à les tuer dans un accès de folie.

Je réussis à me pencher pour le regarder. Il ne pleurait pas, mais son visage était défait et il semblait avoir rajeuni de plusieurs années. Ses yeux soudain assombris brillaient de larmes retenues. Mon cœur rata un battement. Je n'aurais plus le courage de le tuer s'il se mettait à pleurer ce soir. J'en étais certain.

Je savais qu'il s'appuyait sur moi comme sur une béquille psychologique. Que mon existence et ma présence actuelle à ses côtés l'empêchaient de sombrer complètement dans la folie et de devenir le monstre dénué d'émotions qu'il était en réalité.

Une partie de moi se sentait coupable. Je profitais de sa fragilité pour assurer ma propre survie. Mais je savais aussi qu'en ce moment, Tom Jedusor n'avait pas besoin de Harry Potter, son ennemi juré prêt à tout pour le contrer, mais de Harry Gaunt. Son cousin, qui avait eu une vie très similaire à la sienne, qui le comprenait, pouvait l'aider.

Peut-être que je ne jouais plus seulement un rôle pour survivre. Peut-être qu'une partie trop sentimentale de moi éprouvait de la pitié pour lui. De la compassion. Car, à bien des égards, ma vie n'avait pas été très différente de la vie fictive de Harry Gaunt. Sauf que j'avais été le héros d'une guerre dont le responsable se tenait, larmoyant, à mes côtés à présent.

— Laisse-moi y aller avec toi demain matin. On affrontera cette épreuve ensemble. Tu pourras lui dire tout ce que tu as sur le cœur… et si ça se passe mal… je serai là.

Ses yeux s'élargirent soudain, me transperçant de ce regard pénétrant. Lentement, l'obscurité dans ses yeux céda la place à une lueur pourpre familière. Après un moment de silence, il souffla en fourchelang.

§ C'est vrai. Même s'il ne m'accepte pas, je t'ai, toi. §

Un jour, il découvrira que je lui ai menti sur notre lien de parenté. Un jour, il saura qui je suis vraiment. Inévitablement, je devrai lui révéler la vérité : je ne suis pas son cousin, et il ne peut pas me considérer comme un frère. Ce jour-là, je devrai être prêt, car je suis convaincu qu'il me tuera en apprenant la vérité.

Cependant, la vérité pouvait attendre. Au moins ce soir. Jusqu'à ce que je supporte l'idée de le faire pleurer.

§ Repose-toi un peu. Demain matin, nous irons voir ton père. §

Le lendemain, je marchais péniblement dans les rues étroites et sinueuses de Little Hangleton, boitillant malgré moi. Tom Jedusor m'avait proposé de m'appuyer sur lui, mais n'avait pas insisté après mon refus. Il semblait penser que je détestais plus que tout être touché, et il respectait cela. Je ne détestais pas particulièrement les contacts humains, je ne voulais simplement pas dépendre de lui.

Il fallait que je puisse me débrouiller seul, et Jedusor avait bien d'autres préoccupations à cet instant. Plus on approchait du manoir, plus il me paraissait se refermer sur lui-même, sur la défensive. Le visage fermé, il marchait à une allure constante, les épaules et le corps raides, comme une statue de marbre ensorcelée avançant résolument vers une mort certaine.

Le manoir des Jedusor se dressait sur la colline dominant le village de Little Hangleton. C'était une grande demeure de pierre, entourée d'un parc verdoyant et d'une grille en fer forgé. Il appartenait à la famille Jedusor depuis des générations, témoignant de leur richesse et de leur prestige. C'était typiquement le genre de maison que je détestais. Trop grande, paraissant belle de l'extérieur mais vide de vie à l'intérieur. Pleines de pièces mortes où s'entasse la poussière. Seul le jardin me paraissait accueillant.

Je préférerais de loin la minuscule chambre de l'auberge dans laquelle nous avions séjourné jusqu'alors. Elle faisait peut-être moins de dix mètres carrés, mais elle me paraissait bien plus chaleureuse que n'importe quel manoir.

Une fois arrivés devant les grilles, Jedusor se figea net. Il resta immobile sans cligner des yeux, respirant à peine. Sa magie s'incarna autour de lui de façon quasi physique. À tel point que je me sentis obligé de lui proposer.

— Tu m'as appris un sort pour déverrouiller les portes. Tu veux que je l'utilise sur la grille ?

Il sembla se rappeler de mon existence et de ma présence. Perdant de son aura meurtrière, il acquiesça.

— S'il te plaît.

Valait mieux que ce soit moi qui ouvre les portes. Je me contentais de faire tomber le cadenas et de lui ouvrir la grille, il se glissa à l'intérieur en fixant la maison de ses ancêtres avec un regard vide. À un moment, il me murmura, dans un fourchelang manifeste.

§ Ils sont riches. Beaucoup plus que je ne le pensais. §

Je ne savais pas ce qu'il pensait de cela. Était-il en train de se dire qu'il avait vécu toute sa vie dans la pauvreté alors que son père vivait dans cette demeure gigantesque pendant tout ce temps ? Était-il en train de se remémorer ses vols de nourriture dans le village car il n'avait pas les moyens d'en acheter ?

Je ne sais pas si ça l'a aidé ou non, mais j'ai répliqué, sans réfléchir.

§ Je n'aime pas cette maison. Notre chambre à l'auberge est beaucoup plus chaleureuse. §

Il se retourna vers moi, me dévisagea puis son expression se détendit un peu. Son attitude s'apaisa très légèrement et nous traversâmes ensemble le jardin.

Avant d'arriver sous le porche, nous fûmes interrompus par un homme qui devait être le jardinier. Celui-ci accourut à notre rencontre et commença par dire :

— Je suis désolé messieurs, mais c'est une propriété privée et vous ne pouvez pas parler à la famille Jedusor sans invitation.

Ensuite, son regard se posa sur Tom. Son teint devint soudainement livide, la ressemblance devait être si frappante que cela en était troublant. Jedusor exploita cette vulnérabilité, affirmant avec l'autorité feinte mais très réaliste que je lui connaissais :

— Je viens voir mon père.

Le jardinier, déjà pâle, semblait prêt à s'évanouir à tout instant.

— Je vais vous conduire jusqu'à l'entrée et annoncer votre venue. Si vous voulez bien me suivre.

Derrière la porte principale du manoir, Tom scrutait chaque détail du hall d'entrée de manière obsessionnelle. Le jardinier parti. Notre attente prolongée le rendait de moins en moins stable. Il semblait crier intérieurement : "Pourquoi n'ai-je pas grandi ici avec ma mère ?"

Permettre à cette haine de s'installer aurait été une erreur. Ma main toucha brièvement son épaule, tandis que je lui demandais, réellement préoccupé :

— Est-ce que ça va ?

Sa surprise à ma présence se fit sentir une fois de plus.

— Harry ? Non. Je ne me sens pas très bien. Je suis content que tu sois là.

C'était la première fois qu'il prononçait mon prénom depuis qu'il le connaissait. Bien que nous soyons toujours ensemble, entendre mon prénom dans sa bouche eût un effet étrange sur moi.

J'aurais voulu lui offrir des paroles réconfortantes, n'importe lesquelles. Cependant, des éclats de voix retentirent bientôt, suivis de pas précipités. Tom Jedusor Senior ainsi que Thomas et Mary Jedusor, les grands-parents de Tom, apparurent. Leur fureur était évidente, en robes de chambre, leur petit-déjeuner interrompu. Quant à Tom Jedusor Senior...

Il réagit de la même manière que le jardinier, pâlissant drastiquement en apercevant Tom. Cet homme lui ressemblait furieusement, tel un Tom Jedusor d'une cinquantaine d'années, légèrement grisonnant et ridé. Aucun doute ne subsistait quant à leur lien filial : noms similaires, apparences similaires. La seule différence était que l'un était le sorcier le plus puissant de sa génération, et l'autre, un moldu étroit d'esprit, tombé sous le charme d'une sorcière prête à tout pour s'échapper de Little Hangleton.

La tragédie allait se répéter sous mes yeux sans que je puisse intervenir.

Une fois remis de sa surprise, Jedusor Senior descendit les escaliers d'un pas impérieux, se positionnant à quelques mètres de Tom et moi. Il pointa la porte derrière nous et ordonna d'un ton catégorique :

— Sors d'ici. Tu n'es pas le bienvenu sous mon toit.

Il était évident qu'il avait reconnu Tom. À l'instant où ses mots furent prononcés, Tom perdit tout espoir. Pourtant, il demeura immobile alors que ses grands-parents descendaient à leur tour, interrogeant leur fils.

— Qui sont ces jeunes mendiants, Tom ? Les connais-tu ?

Jedusor Senior répondit clairement, nous tournant le dos et faisant signe à ses parents d'en faire autant.

— C'est le fils de cette traînée monstrueuse qui m'a ensorcelé. Ne vous en préoccupez pas. Prenez votre petit-déjeuner. Je vais lui donner l'argent qu'il est certainement venu chercher et je vous rejoindrai.

La situation annonçait rien de bon. Tom bouillonnait de rage, son intention meurtrière transparaissait clairement. Bien que j'aie affronté une version plus âgée de lui, et désireuse de ma mort, il m'effraya.

Alors que les grands-parents murmurèrent probablement des insultes sur la mère de Tom et sur lui-même, son père s'approcha de nous avec un sourire cruel.

— J'imagine que quelques dizaines de milliers de livres seront suffisants pour que tu partes et que je n'entende plus parler de toi ?

Je sus que si je n'agissais pas IMMÉDIATEMENT, on allait au-devant d'un massacre. Je n'avais rien pu faire pour les empêcher de détruire les espoirs de ce garçon larmoyant qui s'était endormi au bord du désespoir hier soir. Je n'allais pas les laisser faire de lui le monstre que j'ai connu.

Alors que Tom brandissait sa baguette, le sort mortel au bord des lèvres, je le désarmai d'un Expelliarmus informulé et sans baguette, motivé par ma seule volonté. Sa baguette quitta sa main pour échouer dans la mienne, et sans formuler un sort ou une malédiction, je parvins à figer son père et ses grands-parents sur place. Avant même que Tom ne puisse comprendre ce qui se passait, je giflai son père.

— Ça, c'est pour avoir abandonné votre femme alors qu'elle était enceinte et sans argent.

Puis, je lui en donnai une autre, encore plus violente.

— Et ça, c'est pour avoir traité Tom comme vous l'avez fait.

Et pour avoir participé à créer un psychopathe contre lequel j'ai dû lutter toute ma vie.

Sans annuler la magie qui empêchait le père et les grands-parents de Tom de bouger, je me retournai vers lui. Son choc était clairement lisible sur son visage, semblant avoir effacé toute menace de sa présence.

— Nous n'avons pas besoin de votre argent.

Je fis quelques pas dans sa direction, lui demandant avec une légère incertitude :

— N'est-ce pas, Tom ?

Je n'étais pas sûr que ma petite démonstration suffirait à l'empêcher de tuer toutes les personnes présentes. C'était la première fois que je prononçais son prénom.

Pendant un instant, j'ai cru qu'il allait les tuer quand même, puis ses yeux sombres s'éclaircirent progressivement. Enfin, il acquiesça, se tourna vers la sortie et ordonna.

— Laisse-les prisonniers de ta magie jusqu'à ce qu'on quitte Little Hangleton. Ce sera leur punition pour la façon dont ils nous ont accueillis.

Immobilisés plusieurs jours sans pouvoir ni manger, ni dormir, ni même se soulager. C'était bien plus cruel que les deux gifles que j'avais assénées à Jedusor Senior. Mais j'imagine que c'était mieux que trois cadavres.

J'espérais simplement que le jardinier serait trop terrorisé pour prévenir la police et que personne ne rendrait visite aux Jedusor jusqu'à ce que nous quittions cet endroit.

J'emboîtai le pas au Seigneur des Ténèbres, et ensemble, nous traversâmes le jardin en sens inverse. Ce ne fut qu'une fois la grille refermée que ma blessure se rappela à moi. J'avais trop forcé sur ma jambe, et pas qu'un peu.

Alors que je jurais entre mes dents, tant la douleur était intense, Tom se plaça devant moi et déclara :

— Je vais te porter sur mon dos.

Devant mon absence de réaction, il se tourna dos à moi, plia ses immenses jambes pour s'accroupir et ajouta :

— Je sais que tu n'aimes pas ça. Je marcherai rapidement.

N'ayant de toute façon pas d'autre moyen que rentrer à pied, j'acceptai qu'il me porte sur son dos. Il me recommanda de faire attention à ma jambe, et je fus contraint de m'accrocher à ses épaules pour ne pas tomber.

Le ciel, qui était bleu et lumineux quand nous sommes partis ce matin, se chargea soudain de nuages, et la pluie se mit à tomber.

C'est sous des torrents de pluie orageuse, alors que je m'accrochais désespérément à lui pour ne pas tomber, que le Seigneur des Ténèbres me dit ces quelques mots :

§ Merci. Pour ce que tu as fait aujourd'hui. Je t'en suis reconnaissant. §

Don't worry, he's just your friend

Nos lettres pour Poudlard sont arrivées le lendemain soir, accompagnées de deux bourses remplies de gallions, et une excellente nouvelle pour Tom : il serait préfet-en-chef cette année.

Tenant la lettre de Poudlard, Tom la dévorait des yeux pour la deuxième fois avec une intensité indescriptible. Sa nomination en tant que préfet-en-chef avait éveillé en lui un mélange de fierté et de satisfaction.

Cette nouvelle a réussi là où j'avais échoué depuis notre visite chez les Jedusor : chasser ses idées noires et sa colère sous-jacente.

Je me remémorai la joie de Percy lorsqu'il était devenu préfet, ainsi que celle de Ron et Hermione. Leurs nominations avaient été célébrées au 12 Square Grimmaurd. J'étais déçu de ne pas avoir été choisi, car j'avais l'impression de donner tout pour Poudlard et la guerre.

Plus tard, j'avais appris que Dumbledore voulait alléger la pression sur mes épaules pour que je puisse profiter un peu de mes études. Ainsi, il avait confié le rôle de capitaine de l'équipe de Quidditch et de préfet à Ron, mon meilleur ami.

— On doit fêter ça !

Ses yeux se détournèrent de la lettre.

— Ton entrée à Poudlard et ma nomination comme préfet-en-chef ?

J'insistai.

— Oui, je suis persuadé que les autres préfets et les nouveaux élèves font la fête en ce moment même !

Une expression septique passa sur le visage de Jedusor, puis il se laissa convaincre, plus détendu qu'il ne l'avait jamais été en ma présence.

— As-tu une idée de comment on est censé célébrer cela ?

Après une brève réflexion, je pointai la bouteille de vodka.

— On pourrait boire un verre et… utiliser un peu d'argent pour demander un gâteau à l'aubergiste ? J'ai envie de quelque chose de sucré.

Jedusor acquiesça sérieusement, peut-être trop sérieusement, et je me demandais s'il n'avait jamais rien célébré de sa vie.

Quelques heures plus tard, je me retrouvai avec un Seigneur des Ténèbres dépourvu de toute tolérance à l'alcool, en train de vomir dans les toilettes tandis que je lui tapotais le dos, partagé entre l'inquiétude et l'hilarité.

— Heureusement que tu n'as pas trop abusé du gâteau.

Il me fusilla du regard en s'essuyant la bouche au-dessus de la cuvette. Sa voix était chevrotante.

— J'ai bu… moins que toi. Arrête de te moquer, Harry.

Je ne pus m'empêcher de rire.

— C'est ta première expérience avec de l'alcool ? Tu sais que la vodka que tu as ramenée était à plus de 60 ? Forcément, tu allais être malade en avalant ton verre comme si c'était de l'eau.

Le reste de la soirée fut ponctué de chamailleries enfantines. Un sentiment de joie, absent depuis si longtemps, m'envahissait et je ne pouvais même pas me rappeler la dernière fois que je l'avais ressenti.

Tom m'initia à des sortilèges inutiles qui faisaient apparaître des confettis et cotillons, de charmants petits sorts qui faillirent mettre le feu à notre chambre à deux reprises.

L'aubergiste n'émit aucune plainte ; il félicita Tom pour son titre de préfet-en-chef et nous offrit l'énorme gâteau au chocolat pour lequel on souhaitait payer.

Au milieu de la nuit, avec une bouteille de vodka vide et un gâteau entièrement mangé, assis côte à côte sur le lit, une pensée m'a traversé l'esprit. Une pensée que j'aurais préféré ne jamais avoir.

J'appréciais Tom Jedusor. J'aimais bien cette version trop jeune de Voldemort. À moitié innocente, à moitié coupable. Qui avait déjà trop vécu et pourtant pas assez.

Honnêtement, je n'avais pas du tout envie qu'il meure. Ou de me battre contre lui.

La tête dans les bras, c'est ce moment que choisit Tom pour me siffler, encore alcoolisé.

§ Tu es mon premier ami. Je me suis toujours demandé ce que ça faisait d'en avoir un. §

Jamais plus je ne pourrais le blesser volontairement...

Le lendemain matin, je tirais un Tom Jedusor grincheux des bras de Morphée. Observant son expression crispée à la lumière du jour, je lui ai demandé :

— As-tu mal à la tête ?

Il a retiré sa main de son visage, m'a fixé, puis a nié sans scrupule.

— Non.

Un sourire est apparu sur mon visage, sa mauvaise foi était évidente. Il arborait l'expression classique de quelqu'un en proie à sa première gueule de bois.

— Te souviens-tu d'hier soir ?

Il a plissé les yeux et, d'un ton presque menaçant, a sifflé.

§ Je m'en souviens. §

Mon sourire s'est accentué, je lui ai tendu la main.

§ Si monsieur le préfet-en-chef veut bien tenir sa promesse et m'emmener au Chemin de Traverse, je suis impatient. §

Ses yeux ont commencé à pétiller. Je pense qu'il était amusé. Posant sa main sur la mienne brièvement, il s'est redressé, se libérant des couvertures dans lesquelles il s'était empêtré, et a demandé :

— Pourquoi suis-je dans ton lit ?

— Parce que tu es trop lourd pour que je puisse te porter quand tu es saoul ?

Retour du regard menaçant, suivi d'un léger amusement, puis d'un mensonge.

— Je n'étais pas ivre.

Me retenant de rire, j'ai affirmé avec ironie.

— Bien sûr que non. Tu ne l'étais pas.

— Toi aussi, tu as bu. Tu n'as pas mal à la tête ?

— Je tiens bien l'alcool.

— Ta jambe ?

— Elle me fait encore mal, mais je pense pouvoir marcher.

Il a froncé les sourcils.

— Je préfère vérifier avant de partir.

Nous avons pris un petit-déjeuner, mangeant ce qu'il nous restait de provisions, puis Tom s'est préparé. Il a pris une douche et a enfilé directement son uniforme pour Poudlard. J'imagine qu'il craignait de croiser des camarades de classe et voulait être à son avantage.

Son uniforme était de seconde main, mais son élégance naturelle lui donnait une apparence noble, quoi qu'il puisse bien porter. Il a ramené ses cheveux courts et légèrement bouclés en arrière, a attrapé l'insigne de préfet-en-chef resté dans l'enveloppe hier soir, et l'a attaché à côté de l'écusson de Serpentard sur son uniforme. On aurait dit une décoration militaire, vu la façon solennelle qu'il avait de la porter.

J'essayais de chasser de ma tête l'idée qu'il l'avait obtenue parce que le directeur actuel de Poudlard, Dippet, pensait qu'il avait attrapé le monstre de la Chambre des Secrets l'année dernière. Ce qui était faux, puisqu'il s'était contenté d'accuser Hagrid à tort pour quelque chose dont il était lui-même responsable. Le seul point positif de cette histoire était qu'il avait dû fermer la Chambre, ce qui signifiait que je n'aurais pas de Basilic à combattre dans l'école cette année.

Bien qu'avant de quitter Poudlard, je comptais éliminer ce serpent géant, ne serait-ce que pour empêcher les événements de ma deuxième année de se reproduire.

Si ma présence à cette époque pouvait altérer le passé, je n'allais pas m'en priver. Tuer le Basilic n'était pas ma priorité ; je devais d'abord élucider le mystère de ma résurrection et de mon voyage dans le passé.

Je voulais comprendre ce qui m'était arrivé, même si une partie de moi se doutait que je ne pourrais pas retourner à mon époque. J'étais mort après avoir triomphé de Voldemort ; je ne devrais pas être en vie. Ma présence ici était une erreur, une seconde chance, une anomalie dont j'allais profiter.

Brusquement, je pris conscience de la cruauté de ma situation. J'étais en vie, mais je ne pourrais pas revoir mes amis. Ils n'étaient même pas encore nés. J'étais seul. J'étais en vie. J'avais triomphé de Voldemort, mais rien de tout cela ne s'était encore passé. Mon existence avait-elle un sens dans cette époque qui n'était pas la mienne ? Avais-je un rôle ?

Non, pas question. On m'avait attribué un rôle toute ma vie. J'avais obéi à une prophétie, à une destinée. J'étais libre maintenant. Hors de question de trouver un autre sens à mon existence. Je voulais vivre pour moi, ne serait-ce qu'un peu, de façon égoïste. Faire mes propres choix.

À la naissance, lorsqu'un enfant vient au monde, on n'attribue pas de sens à sa vie. Il vit, c'est tout. Il grandit. Il n'a pas de destinée particulière. Il ne doit pas arrêter une guerre, ramener la paix. Il n'est l'élu d'aucune prophétie. Il a une vie normale, des amis, de la famille. Peut-être même qu'il va tomber amoureux, avoir un enfant à son tour. Ou pas. Il fera ses propres choix.

C'est ce à quoi j'aspire maintenant. Faire mes propres choix. Ma vie n'a pas besoin d'avoir un sens. Ce sera à moi de lui en trouver un.

Lorsque ce fut à mon tour de me préparer, Jedusor insista pour vérifier ma blessure. Elle était toujours aussi moche à mes yeux mais paraissait tout de même en train de cicatriser. Tom semblait étonné que les points de suture aient tenu si longtemps sans lâcher alors que je forçais fréquemment dessus. La blessure n'était pas infectée et ne présentait pas de rougeur ni d'hématomes inquiétants. Le jeune Seigneur des Ténèbres en conclut que j'étais en capacité de marcher aujourd'hui, si je ne forçais pas trop.

À la fin de son examen, je lui dis :

— Tu ferais certainement un bon médicomage.

Cette réflexion sembla le surprendre, il répliqua :

— Je n'ai rien fait de spécial. C'est ton corps qui récupère vite. Il y a quinze jours, on voyait tes côtes même lorsque tu portais ma chemise. Maintenant, tu as l'air… bien.

Je ne savais pas comment prendre cette remarque. J'imagine que c'était un compliment. Avais-je vraiment l'air si mal en point ? C'est vrai que je n'avais pas mangé à ma faim durant ma cavale pour détruire les Horcruxes, ni même dormi correctement. Peut-être avais-je davantage maigri que je ne le pensais ? Je devrais faire un peu plus attention à ma santé.

Si j'en ai l'occasion, je demanderai à l'équipe de Quidditch de Gryffondor de cette époque de me prendre dans leur rang. Un peu de sport me ferait du bien. Et personne ne pourrait m'interdire de voler cette année. Même si j'allais devoir le faire sur les balais de l'école.

Jedusor me prêta son uniforme de rechange en attendant que j'aie le mien, précisa-t-il, et je me vis forcé de porter un costume trois pièces trop grand pour moi. Même ma robe de sorcier semblait avoir quinze centimètres de trop, sans compter l'écusson de Serpentard cousu au niveau du cœur et la cravate assortie. Je grimaçais en voyant le résultat.

Comment les mêmes vêtements pouvaient avoir un effet si différent ?

Jedusor avait l'air d'une gravure de mode, et moi, j'avais l'air... débraillé. Secouant la tête, je pris la décision de retirer la cravate et la veste, ne gardant que le petit veston et la chemise. Je coinçai la chemise dans mon pantalon, retroussant ses manches pour qu'elle n'ait pas l'air d'être deux tailles trop grandes. J'avais l'habitude avec les vêtements trop larges de Dudley.

Le gilet gris sans manches, ou pourpoint, semblait être à ma taille. Cela signifiait que Tom devait être trop à l'étroit dedans et avoir bien grandi depuis l'époque où il l'avait acheté. Je pliais puis coinçais le pantalon de la même manière dans mes bottes, qui dataient de la bataille de Poudlard. C'étaient les seules affaires que j'avais pu conserver avec mes lunettes.

Je renonçai à la robe de sorcier. Il faisait bien trop chaud pour en porter une, et je ne parvins pas à faire quoi que ce soit de correct avec mes cheveux courts et hirsutes. Au lieu de cela, je passai juste ma main dedans. C'était mieux. Je me sentais mieux.

Je sortis de la salle de bain, rapportant les vêtements en trop à Jedusor en arguant :

— Le reste était beaucoup trop grand.

Je n'avais pas remarqué qu'il me fixait depuis ma sortie de la salle de bain. Il dévisageait mon apparence, et ses yeux avaient viré au rouge écarlate.

Confus, je lui demandai :

— Quelque chose ne va pas avec ma tenue ?

Peut-être était-il scandalisé par le fait que je ne porte qu'une partie de l'uniforme ? J'avais remarqué une certaine maniaquerie de sa part. Pas étonnant qu'il ait toujours l'air parfait.

Il me regarda de haut en bas une fois de plus, se détourna brusquement et me siffla en bouclant sa valise.

§ Tu portes l'uniforme de Serpentard avec une nonchalance qui frôle le mépris. Sur quelqu'un d'autre, j'aurais trouvé ça insultant. Sur toi, ça donne l'impression qu'il ne peut être que porté comme ça. §

Je me mis à rire, comprenant brusquement le sens de sa phrase.

— Ça signifie que tu trouves que ça me va bien ?

Je pensais qu'il ne me répondrait pas, mais il me lança un coup d'œil et répondit bien trop franchement.

— Mes vêtements te vont très bien. Mais on va quand même t'en acheter à ta taille.

Sa franchise me troubla bien plus que je ne voulus bien me l'avouer, mais j'oubliai vite ma gêne lorsqu'il annonça notre départ. J'avais hâte d'être sur le Chemin de Traverse, hâte de revoir Poudlard. Hâte de vivre une autre année dans cette école. J'avais la sensation d'avoir obtenu une deuxième chance de terminer mes études sans que la guerre ne vienne les troubler, même si cela devait se faire en compagnie d'un jeune Voldemort.

Comme lors de ma première fois en compagnie de la famille Weasley, nous sommes partis en utilisant le réseau de cheminette, empruntant celui de l'auberge de Little Hangleton pour apparaître dans la cheminée du Chaudron Baveur. Bien vite, nous fûmes propulsés sur un Chemin de Traverse bondé, grouillant de vie la veille de la rentrée.

Des sorciers et sorcières de tous horizons se pressaient entre les boutiques aux enseignes chatoyantes. Les éclats de rires, les cris excités des enfants et le brouhaha constant des conversations créaient une cacophonie qui provoqua en moi une nostalgie que je ne pensais pas avoir.

Les devantures des magasins exhibaient leurs nouveautées. Les jeunes sorciers, accompagnés de leurs parents, se hâtaient d'acheter les fournitures nécessaires pour la nouvelle année à Poudlard. Les vitrines colorées dévoilaient des uniformes impeccables, des chaudrons en cuivre étincelants, des livres de sorts et de potions, et toute une gamme d'accessoires magiques.

Jamais on aurait pu imaginer que la guerre faisait rage dans le monde moldu et que Gellert Grindelwald menaçait l'Angleterre depuis un certain temps maintenant.

Je remarquai quelques différences entre mon époque et celle-ci. La mode ne devait pas tout à fait être la même, car les capes aux couleurs criardes et les chapeaux pointus étaient rares. Les sorciers portaient davantage de costumes qui me paraissaient moldus, et j'avais la drôle de sensation d'être plongé dans un film d'époque, ceux qui tournaient à l'intérieur de la télé carrée de Dudley.

Tom Jedusor m'avait laissé quelques instants pour m'habituer à cet endroit. Pour lui, c'était la première fois que je me rendais sur le Chemin de Traverse, et ce n'était pas tout à fait faux. En un sens, je n'avais jamais vu ce Chemin de Traverse. Il me guida à travers la foule, murmurant.

— Ne t'éloigne pas. Si tu vois quelque chose et que tu veux t'arrêter, préviens-moi. Et si malgré ça, tu arrives à te perdre, retourne au Chaudron Baveur et attends-moi.

Il me prenait pour un enfant, aucun doute là-dessus. Peut-être que je n'arrivais pas à cacher mon excitation et ma joie, et qu'il avait la sensation que j'allais faire comme ces petits garçons que nous avions croisés et qui avaient semé leurs parents pour courir vers le marchand de glaces.

Je n'allais pas le contredire car, alors nous passions devant la boutique de balais et d'accessoires pour le Quidditch, je ne pus m'empêcher de lui crier.

— Arrête-toi !

Ses grandes jambes s'immobilisèrent, il se retourna, regarda mon visage émerveillé, lança un coup d'œil méprisant à la devanture que je dévorais des yeux, prépara son argumentaire, certainement à base de "on va d'abord acheter ce dont on a besoin et ensuite tu pourras t'amuser."

Mais au moment où il ouvrit la bouche, je lui demandais déjà.

— On peut entrer pour regarder, s'il te plaît ?

Sa bouche se referma, il parut excédé un instant, puis il soupira, se dirigea vers la porte de la boutique et me souffla.

— D'accord, mais juste un instant.

Je bondis à sa suite dans la boutique, observant avec fascination les balais de cette époque. Bien qu'ils fussent probablement moins rapides et efficaces que ceux avec lesquels j'avais volé, ils suscitaient tout de même mon intérêt.

Quant à Jedusor, lorsque le vendeur, attiré par l'apparence et l'élégance de mon accompagnateur, lui demanda s'il était intéressé, il répondit qu'il ne pratiquait pas le Quidditch et n'était pas là pour acheter quoi que ce soit.

Après avoir parcouru la boutique, nous avons commencé à suivre la liste de fournitures de l'école, en visitant les différentes boutiques et, commençant par les vêtements. Mon nouvel uniforme n'avait pas les armoiries de Gryffondor sur lui et pour cause, j'allais devoir repasser sous le Choixpeau dès demain. J'avais bon espoir de pouvoir lui demander une place chez les rouge et or comme je l'avais fait la première fois.

Tom se comportait exactement comme je l'imaginais, attirant les foules tout en restant glacial. Cela lui permettait de rester seul, comme un observateur extérieur au monde. Il méprisait la plupart, voire la totalité, de ses interlocuteurs. Les vendeurs, antiquaires, libraires et autres venaient presque immédiatement vers lui sans qu'il ait à demander quoi que ce soit. Il commandait, payait et partait, sans paroles ni achats superflus.

À côté de lui, je passais inaperçu, ce qui était étrangement agréable. D'habitude, ma présence était toujours remarquée, que ce soit pour me serrer la main, voir ma cicatrice ou me fuir à cause d'articles calomnieux dans le journal. Je n'étais pas en paix.

Là, c'était complètement différent. Pendant que Tom commandait nos fournitures à la papeterie, j'ai pris la liberté de déambuler dans les rayons, serein à l'idée de mon anonymat.

Les yeux rivés sur les fournitures scolaires aux promesses toutes plus abracadabrantes les unes que les autres, je ne vis pas où j'allais et me cognai tout à coup violemment contre quelqu'un qui faisait de même.

Le choc nous fit tomber tous les deux, et ma blessure se rappela à moi alors que j'étais au sol, immobilisé par la douleur irradiant momentanément dans ma jambe.

La personne que j'avais bousculée, une jeune fille portant fièrement les couleurs de Gryffondor, sembla se relever tout de suite et s'exclama :

— Oh ! Merlin, je suis désolée ! Je t'ai fait mal ? Je ne regardais pas où j'allais ! Est-ce que tu vas bien ? Je vais chercher de l'aide !

Avant qu'elle ne s'en aille, je réussis à lui dire, tentant maladroitement de me relever.

— Non, c'est bon ça va aller, je vais bien.

Je réussis à me maintenir debout en m'appuyant sur les rayonnages. Elle me dévisagea et fronça les sourcils.

— Tu es sûr ? Tu ne t'es pas fait mal ? Tu es tout pâle.

Tout à coup, ce fut son visage à elle qui pâlit drastiquement alors que je sentis une présence familière dans mon dos. Jedusor était derrière moi. Il me stabilisa en entourant mes épaules d'un seul bras, puis il déclara d'une voix polaire.

— Que s'est-il passé ?

La jeune femme blonde, qui devait être à peu de chose près du même âge que lui, se mit à bégayer une suite de paroles que je ne compris pas. Puis elle rougit furieusement, alors que je tentais de me dégager de la prise de Tom.

— Je suis tombé. Je ne regardais pas où j'allais.

Semblant douter un instant de ma sincérité, il finit par me lâcher pour finalement me demander, ignorant superbement notre spectatrice.

— Comment va ta jambe ?

Je grimaçais.

— J'ai eu mal sur le coup, mais ça va mieux maintenant.

Il acquiesça, adressa un dernier regard d'avertissement à l'élève que j'avais bousculée, et me souffla :

— On va faire une pause. Puis on ira récupérer ta baguette.

C'est ce que nous avons fait. Nous avons partagé une bière au beurre, ma première depuis longtemps. Ensuite, j'ai retrouvé ma baguette. La mienne, la seule que j'aie jamais reconnue comme telle, liée à Tom, à Voldemort. Celle avec laquelle je ne pourrais jamais le tuer. Peu m'importait. Le désir de le faire avait disparu. Plus de batailles, plus de guerres. Je souhaitais être un inconnu sans histoire, un adolescent ordinaire.

Le jeune Ollivander de l'époque n'avait pas révélé que nos baguettes étaient jumelées, mais son regard énigmatique laissait entrevoir qu'il savait tout sur moi, sur cette baguette, sur mon destin…

Ce voyage apparemment anodin au Chemin de Traverse était le reflet des moments que nous allions partager par la suite.

Cela m'a fait réaliser mon amour pour la paix. Bien que le monde soit en guerre, ce n'était pas ma guerre. Gellert Grindelwald pouvait courir, je ne le suivrais pas. Albus Dumbledore était son héros. J'étais celui d'un autre Seigneur des Ténèbres.

Je commençais à croire en cette seconde chance… une seconde vie, en l'humanité de Tom Jedusor et en notre amitié improbable. J'étais comblé, mais cette vie basée sur un mensonge était condamnée à éclater. J'aurais dû m'en douter, comprendre qu'il n'y aurait pas de fin heureuse pour moi.

Né dans la guerre, je n'étais pas destiné à connaître la paix. Toutefois, je veux consigner ces rares moments de paix avant que tout ne bascule, car ils ont existé et jouent un rôle que je n'oublierai jamais.

Après notre escapade au Chemin de Traverse, la routine estudiantine de Poudlard nous a rattrapés, une routine que je n'avais jamais vraiment connue, car pour la première fois, je n'étais plus Harry Potter. Et cela faisait toute la différence. Harry Gaunt n'était pas tout à fait moi, peut-être est-ce pourquoi son existence fut si paisible, bien que courte.

Nous avons voyagé ensemble à bord du Poudlard Express. Tom m'a guidé à travers ses responsabilités, présenté aux autres préfets dont il était le leader cette année, accompli ses tâches. Ensuite, nous nous sommes retirés dans un compartiment vide, où j'ai écouté ses réflexions sur l'école.

Lorsque j'ai évoqué l'éventualité de ne pas être réparti dans la même maison que lui, il m'a assuré que je n'avais rien à craindre. En tant que Gaunt j'étais, pour lui, un héritier direct de la lignée de Serpentard.

Son assurance et son sourire m'ont dissuadé de persister. Gryffondor n'a pas été mentionné. Rien n'a été dit. Quelques heures plus tard, nous sommes arrivés à Poudlard.

Tom devait assumer son rôle de préfet en chef, et nous nous sommes séparés. J'ai suivi les premières années, traversant le lac noir sur une barque, comme un petit garçon aux yeux émerveillés fixant le château qui serait ma demeure pour les années à venir.

Retrouver Poudlard m'a rempli d'une certaine trépidation intérieure. Le hall, les couloirs, la grande salle... tout semblait un peu différent de mes souvenirs. Mais les variations étaient si subtiles que j'aurais pu atteindre la tour des Gryffondor les yeux bandés, même avec les escaliers capricieux.

Pourtant, Gryffondor n'était pas ma destination selon le Choixpeau. Vous l'aviez deviné, n'est-ce pas ? Pas moi. Jusqu'à la dernière seconde, j'ai essayé de le persuader. Il a prononcé ces mots avant de rendre son verdict.

"Harry Potter. Tu appartiens à un futur qui n'existe plus que dans ta tête. L'avenir est fait de choix, de tous ceux qui n'ont pas pu être faits au profit d'autres. Cette fois-ci, je te le refuse. Pas parce que tu manques de courage, mais pour voir advenir un futur dont j'ignore tout. Ta place aujourd'hui, elle est à... SERPENTARD !"

Tom s'était levé en premier pour applaudir, non de manière excessive comme certains, ni avec l'indifférence typique des Serpentard, mais avec une joie sincère et une satisfaction évidente. Cette joie, ce jour-là, a agi comme un baume. Oui, je n'allais pas là où j'aurais voulu, mais j'étais en compagnie d'un ami.

Tom Jedusor était mon point d'ancrage, une référence. Après le dîner où j'ai fait la connaissance de mes camarades de sixième année, nous avons découvert notre salle commune. Slughorn s'est présenté comme notre directeur de maison, louant Tom pour son rôle de préfet en chef.

Je me sentais à l'aise, plus que si j'avais été seul face au professeur Dumbledore parmi les Gryffondor. Après tout, en tant que Gaunt, ma présence parmi les lions aurait peut-être été mal vue par Albus Dumbledore.

Une fois libéré de ses responsabilités de préfet, Jedusor m'a saisi par le bras, m'arrachant d'un fauteuil en cuir où je somnolais déjà pour me parler dans un fourchelang évident.

§ Tu pourras dormir plus tard. Je t'emmène à l'infirmerie. On va soigner ta jambe. §

Tous nos camarades ont rapidement appris que j'étais un fourchelang.

L'infirmière, une jeune femme rousse et souriante, a été horrifiée en découvrant ma blessure. J'ai pensé à inventer un mensonge pour justifier sa présence, mais elle a vu mes autres cicatrices, et je pouvais lire dans son regard qu'elle ne me croirait pas, quoi que je dise.

Jedusor avait clairement saisi la situation bien avant moi, déclarant sobrement que c'était mon père qui m'avait infligé ces blessures, mais que, suite à la dernière, j'avais décidé de ne plus vivre avec lui. C'est cette décision qui m'avait conduit à m'inscrire à Poudlard.

J'étais officiellement catalogué comme un adolescent victime de maltraitance qui avait fui sa famille, cela renforça la détermination de l'infirmière à me venir en aide. Elle me soumit à tant de tests que je suis resté à l'infirmerie, en compagnie de Tom qui avait insisté pour subsister à mes côtés.

C'est là que nous avons passé notre première nuit à Poudlard, sans parler de nos enfances désastreuses. Nous aurions pu, mais nous sommes restés là, immobiles et silencieux. Tom s'est simplement contenté de mentionner qu'il avait lui aussi passé sa première nuit à Poudlard à l'infirmerie, et cela suffisait, c'était suffisant.

Le lendemain, nous avons pu choisir nos cours, et Tom voulait toutes les options, même si cela n'était pas réalisable en raison des chevauchements. Quand il a remis sa fiche avec toutes les options cochées, Dippet l'a convoqué pour lui donner un retourneur de temps. Puis, Tom a eu une idée : demander à pouvoir l'utiliser conjointement pour que je puisse assister à tous les cours de mon choix et rattraper mon retard.

Bien que Dumbledore, en tant que directeur adjoint, ait émis des réserves sur l'idée de laisser deux adolescents de Serpentard utiliser librement un retourneur de temps (surtout après ce qui était arrivé l'année dernière avec la Chambre des Secrets), Dippet a trouvé l'idée brillante.

Il avait une confiance aveugle en Tom, le considérant comme le meilleur élève de l'école, ce qu'il était, et lui accordait tous les privilèges possibles, à l'image de la plupart des professeurs qui étaient sous l'influence du jeune Seigneur des Ténèbres.

Ainsi, chaque jour à Poudlard, nous vivions en triple, répétant le même jour trois fois, à courir, rire, étudier, seuls dans notre bulle.

Mon sourire était devenu constant, et Tom était devenu le meilleur ami que je n'avais jamais eu. Jamais je n'avais été aussi proche d'un autre être humain.

Pour vivre trois fois le même jour, nous devions éviter nos doubles, nous poussant à des actes aussi abracadabrants que de nous cacher dans les placards de l'école, derrière les tapisseries, et manger à des heures indues du jour et de la nuit.

Notre quotidien débordait de vie, de moments partagés. On se tenait la main bien trop souvent pour que ce soit innocent. Une nuit sur trois, nous dormions à deux dans la chambre de préfet de Tom. En toute innocence, mais tout de même dans le même lit. Parfois, nous dormions simplement à la belle étoile, et rarement, je dormais seul dans mon dortoir.

C'était toujours lui et moi, face à face. À se parler, à se fixer, à se sourire, à se toucher. Oubliant le reste du monde pour la présence de l'autre. Comme deux adolescents épris découvrant le sentiment de s'aimer.

Bientôt, notre relation parut ambiguë aux yeux de tous, et les rumeurs se succédèrent à notre sujet. Je n'y prêtais pas attention, n'ayant pas l'impression de faire quelque chose de mal.

Je ne pouvais pas définir notre relation. Nous n'étions plus tout à fait de simples amis, car une tension était apparue entre nous, nous poussant sans cesse à chercher le contact ou le regard de l'autre. Pourtant, nous n'étions pas un couple.

Tom Jedusor se considérait, à ses propres yeux, comme mon cousin et par conséquent un membre de ma famille. Peut-être était-ce cela qui l'avait retenu tout ce temps. Je l'ignorais.

Peut-être étions-nous incapables de faire la distinction entre amitié, amour fraternel et attirance physique, plongés dans une confusion indescriptible face à nos propres sentiments.

Mon apprentissage de la magie était intense, en quelques semaines seulement j'étais devenu un sorcier parfaitement accompli. À une vitesse remarquable, j'avais atteint le même niveau que Tom, et les professeurs avaient commencé à me traiter de la même manière qu'ils le faisaient déjà avec lui.

Notre excellence s'étendait à toutes les matières, la magie devenant aussi naturelle pour moi que le simple fait de respirer. J'avais même surpassé Tom dans l'utilisation de la magie sans baguette ni formule, agissant à l'instinct.

Cette progression fulgurante me paraissait naturelle car nous passions toutes nos journées à nous exercer. La magie était notre raison d'exister.

Tom, plus studieux et précis, contrastait avec ma nature instinctive et bordélique. Il pouvait lancer un Feudeymon et l'arrêter en une fraction de seconde, bien que cela ait nécessité quelques centaines d'essais, au cours desquels son uniforme avait gaiement pris feu, me forçant à l'aider à le raccommoder des dizaines et des dizaines de fois.

Horace Slughorn nous avait invités à ses soirées dans son club, et nous y participions de temps en temps.

C'était l'occasion de rester informés pour deux individus comme nous qui préféraient ne pas se mêler aux autres. Notre présence suscitait toujours des ragots invraisemblables le lendemain, et Jedusor en tirait une certaine satisfaction.

Nous n'étions que des adolescents, agissant en conséquence. Explorant la forêt interdite sans autre raison que le simple interdit, bravant le couvre-feu pour s'amuser à Pré-au-Lard la nuit, passant des après-midis entiers sur un devoir de rédaction en potions, paressant au lit les weekends.

Nous ressentions avec une intensité particulière les joies et les peines de la vie.

Nos camarades de Serpentard oscillaient entre hostilité jalouse et envie cupide. Je ne pouvais pas rejoindre l'équipe de Quidditch, mais j'avais l'autorisation de voler librement dans le parc, tandis que Tom lisait sous un arbre, amusé par mes pirouettes aériennes les après-midis ensoleillés. J'en étais arrivé à ne plus imaginer un instant sans sa présence.

Partout où j'allais, peu importe ce que je faisais, si je tournais la tête, si je tendais la main… il serait là, à saisir mes doigts, assoiffé du moindre contact. Lui qui n'aimait pas être touché était devenu avide du moindre effleurement de peau. Moi même, je n'étais plus gêné le moins du monde par son contact.

J'avais même oublié le mystère entourant ma résurrection, mon voyage dans le passé. Je savais que le retourneur de temps était incapable de me ramener d'où je venais, et... en vérité, je ne cherchais même pas à rentrer. J'étais bien ici, avec lui, régnant sur Poudlard.

Je n'avais pas fait de recherches sur la bague, sur les Reliques. Parfois j'y pensais. Souvent des morceaux de mon passé me revenaient en tête et je me sentais coupable. J'étais là à m'amuser avec le Seigneur des Ténèbres tout en sachant ce que cet homme allait devenir. Il allait tuer mes parents. Ma famille, mes amis.

Toutefois, je ne pouvais me résoudre à couper les ponts avec lui. Le temps passait et j'étais convaincu que ma présence à ses côtés suffirait à le maintenir sur le droit chemin. Je ne pouvais le changer. J'étais conscient du fait que quelque chose chez lui était cassé et que je ne pouvais pas recoller les morceaux. Mais je pensais être capable de stopper ses souffrances. De faire en sorte qu'il ne soit pas plus blessé qu'il ne l'était déjà. De l'empêcher de blesser les autres à son tour.

Tout a basculé un soir ordinaire.

Cela faisait deux mois que nous vivions chaque jour en triple. Nous avions donc déjà passé six mois l'un avec l'autre alors que Poudlard n'était qu'au premier jour de novembre. Nous venions de fêter Halloween trois fois de trois façons différentes. J'avais offert à Tom un simple masque de carnaval blanc en plâtre qui ne couvrait qu'une partie de son visage et le portait depuis lors et semblait chérir ce cadeau.

En marchant dans les couloirs, je le taquinais à ce sujet.

— Tu le portes depuis quatre jours. Tu sais que Halloween est terminé. Tu l'aimes tant que ça ce masque ? Tu comptes le garder jusqu'à ce qu'il se casse ?

Il porta l'une de ses longues mains à son visage, pressa le bout de ses doigts contre le plâtre trop fin et me sourit de cette façon propre à lui, que j'étais le seul à percevoir comme un sourire.

— Il ne se cassera pas. Je l'ai renforcé et oui, je l'aime beaucoup. C'est ton premier cadeau pour moi, je compte en profiter encore un peu.

Nos pas étaient légers et je souriais tellement que j'en avais mal aux joues.

— Si je comprends bien, je dois t'offrir quelque chose d'autre pour que tu cesses de te balader masqué et d'effrayer les premières années ?

— Je n'effraie personne.

— Alors pourquoi les Poufsouffles nous fuient dès que tu les approches ?

— Ce n'est pas moi qui intimide les Poufsouffles, c'est toi. C'est à cause de ce cours que nous avons eu avec eux et où tu as utilisé ce sort que tu as inventé… Sectumsempra ? Tu as découpé en morceaux les mannequins d'entraînement et des coupures continuaient d'apparaître sur les morceaux restants plusieurs heures après notre départ.

Je me suis mis à bouder.

— C'était un accident ! Le professeur voulait leur apprendre Diffindo et j'ai voulu leur montrer que les sortilèges peuvent avoir des variantes plus ou moins puissantes. Je ne voulais pas utiliser Sectumsempra, je me suis laissé emporter, c'est tout.

— Tu as la réputation de causer des incidents partout où on passe. À côté de toi, j'ai l'air parfaitement inoffensif.

Jedusor semblait amusé de cette situation où les rôles étaient inversés. Lui et moi savions pertinemment qui était le plus dangereux, et ce n'était pas moi. Je le réprimandai.

— Ça t'arrange. Ma maladresse ne fait que renforcer ton image d'élève parfait sous tout rapport. Alors qu'en réalité, tes principes moraux sont complètement détraqués.

Ma remarque ne le surprît pas. Il savait que j'étais conscient de la noirceur de son âme tout comme de ses fragilités. Il m'avait avoué à demi-mots être responsable des incidents de l'année dernière à Poudlard lorsque j'ai été mis au courant par des camarades. Il ne s'en cachait pas face à moi. Il ne jouait pas son rôle lorsque nous étions ensemble.

Je voyais avec discernement l'humain et le monstre en lui. Se débattant pour le contrôle de son esprit et de son corps sans cesse. J'étais sous son influence et il était sous la mienne. Je retirais même une certaine fierté à chaque fois qu'il se laissait aller à sa partie la plus humaine et émotive.

C'était une preuve de confiance de sa part. J'ignorais à quel moment cette confiance aveugle était née, mais Jedusor la portait à mon égard et rien n'aurait pu la détruire. Cela, je le compris bien plus tard.

J'ignorais à cet instant qu'il m'avait déjà pardonné mes mensonges. Qu'il me pardonnerait tout si cela signifiait continuer de m'avoir à ses côtés.

Je n'étais pas comme lui. Sur ce point son cœur était bien plus grand que le mien. Ma confiance oscillait et elle pouvait être brisée. Mon pardon n'était pas facile à obtenir et parfois impossible.

Tom Jedusor était, en un sens, bien plus pur dans ses émotions. Ne trahissant jamais son code de conduite. Il agissait sans nuances. Gardant un cap imaginaire qui correspondait profondément à ce qu'il était.

À cet adolescent qui perdait peu à peu les traits de l'enfance pour ceux d'un homme de plus en plus séduisant. À son charme froid, coupant, à ses réactions tantôt plates, tantôt bouillonnantes comme s'il ne savait pas qu'un entre-deux était possible. Incapables de voir autre chose en l'humanité qu'un théâtre dans lequel il jouait le premier rôle.

Intolérant à l'alcool et supportant difficilement plus d'un café par jour. Préférant le thé au lait et aimant par-dessus tout l'odeur du pain qui sort du four. Je connaissais de lui tout ce qu'il y avait à savoir.

C'est pourquoi j'aurais dû comprendre plus tôt que ce garçon, qui passait le plus clair de son temps à m'observer, avait développé une obsession pour moi. D'une certaine manière, j'étais également obsédé par lui, mais moi, je connaissais son passé, son présent et son futur. Je n'avais aucune raison de fouiller davantage. C'était différent pour lui. Je ne lui parlais pas beaucoup de moi, ce qui ne devait que le frustrer, et c'est ce qui nous a conduits à cette situation.

— Tu as raison. Tu es le plus gentil, et je déteste le reste de l'humanité et rêve de la voir brûler.

C'était un sarcasme, de l'humour noir que Tom appréciait, mais qui avait toujours un fond de vérité. Je me retournai et marchai à reculons pour avancer face à lui.

— Heureusement que je suis là, dans ce cas. Pour t'empêcher d'assouvir tes pulsions de destruction ?

Ses yeux devinrent écarlates. J'avais pris l'habitude de les voir changer de couleur, et je connaissais le sens de chacune d'entre elles. Écarlate signifiait... Il s'avança brusquement et attrapa ma taille, me collant à lui dans une étreinte qui fit s'envoler les battements de mon cœur. Le sien battait si fort que je pouvais l'entendre, le sentir, et le mien ne pouvait que s'aligner sur ses battements infernaux.

Il me chuchota à l'oreille, ses mains parcourant déjà mon dos.

§ J'ai bien peur que mes pulsions ne concernent pas la destruction de ce monde. §

Je ne savais pas quoi lui répondre, et mon visage me brûla affreusement. L'un de mes bras s'était déjà trahi en s'agrippant à lui.

Je n'ai pas eu besoin de le faire car, tout à coup, j'ai perçu la présence de quelqu'un d'autre, et j'entendis distinctement Horace Slughorn se racler la gorge.

Sans le voir, je savais que notre responsable de maison était à quelques mètres de nous et qu'il détournait certainement les yeux de cette étreinte qui, pour un œil extérieur, n'avait certainement rien d'amicale. Après la déclaration de Tom, moi-même, je doutais pouvoir la considérer comme telle.

Tom me relâcha, et pendant un court instant, j'ai cru qu'il allait ensorceler Slughorn pour qu'il fasse demi-tour et ne réapparaisse plus jamais sous ses yeux. Puis son masque, pas celui de plâtre mais celui d'élève parfait sous tous rapports, se replaça, et il s'éloigna de moi définitivement.

Il s'inclina d'une façon qui me parut menaçante, même à moi, et salua notre professeur dans un anglais qui sonnait un peu sifflant.

— Bonsoir, professeur Slughorn.

Horace Slughorn ne se démonta pas, en fait ; il avait l'air mal à l'aise, mais pas à cause de l'attitude de Tom… il me regardait, et je pouvais voir dans ses yeux une certaine forme de pitié qui me fit me sentir mal à mon tour.

— Bonsoir, Tom. Bonsoir, Harry.

Je le saluai à mon tour d'un simple signe de tête, la gorge inexplicablement nouée. Slughorn évitait mon regard. D'habitude, c'était un homme plutôt franc avec un sourire débonnaire et une attitude guillerette. Il n'était pas du genre à fuir mon regard, mais plutôt à le chercher.

— Harry, c'est toi que je suis venu voir en ma qualité de directeur de la maison Serpentard. Il faut que nous parlions tous les deux, mon garçon… cela concerne ton père.

Pendant un court instant, j'ai failli répliquer que mon père était mort il y a bien longtemps. Puis, moi aussi, je me suis souvenu de mon rôle. De mon identité en tant que Harry Gaunt et du père de ce garçon qui n'existe pas. Morfin Gaunt. Quelque chose était arrivé à Morfin Gaunt.

Je n'étais pas inquiet pour cet homme que je ne connaissais pas, mais pour une raison que j'ignorais, une angoisse profonde m'a serré la poitrine et a refusé de me lâcher.

Slughorn nous conduisit vers son bureau et n'a pas refusé lorsque Tom voulut nous accompagner. Au contraire, il parut soulagé de ne pas avoir à m'annoncer ce qu'il avait à me dire seul à seul.

Une fois installés dans les fauteuils de son bureau, Slughorn cessa de tourner autour du pot, s'assit en face de moi et prononça ces mots.

— Je suis désolé de devoir t'annoncer cela, Harry, mais je me dois de te présenter toutes mes condoléances. Ton père, Morfin Gaunt, est décédé hier soir.

Je ne réagis pas immédiatement. Apprendre cette nouvelle était choquant, bien que pas entièrement surprenant. Morfin Gaunt vivait comme un animal, plongé dans l'alcoolisme. Sa mort n'était peut-être pas aussi étonnante qu'elle aurait pu l'être...

Je présumais déjà que la cause de son décès devait être liée à un coma éthylique ou quelque chose du même genre lorsque Slughorn se racla la gorge pour ajouter ces quelques mots.

— C'est une tragédie ce qui s'est passé. Ton père a été assassiné... par un moldu. Je n'en sais pas plus car la police moldue a pris en charge l'affaire. Pour protéger le Statut du Secret, tu comprends bien que nous ne pouvons pas intervenir dans cette enquête. Tout ce que je sais, c'est que ce moldu semblait avoir perdu la raison et aurait assassiné ses propres parents avant de se déchaîner dans le village où réside ton père. Monsieur Gaunt est sorti de chez lui et cet homme lui a tiré dessus avec une carabine et... je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'en dire plus. Après ses actes abjects, cet homme s'est suicidé...

Slughorn s'excusait continuellement alors que je demeurais figé sur place, statufié.

— Je suis désolé, mon garçon. Je sais que tu n'as pas une bonne relation avec ton père, mais je suis conscient du choc que cette nouvelle doit te faire. Bien évidemment, tu es dispensé de cours pour la semaine à venir. J'en ai parlé avec le directeur, et tu pourras également t'absenter pour assister à l'enterrement si tu le souhaites. Toi aussi, Tom, je sais que le père de Harry était ton oncle... par conséquent, tu es tout comme lui dispensé et tu pourras l'accompagner.

Mon esprit resta vide et blanc pendant un moment. Tom me raccompagna jusque dans sa chambre. Quelque chose n'allait pas. Rien n'allait. Morfin Gaunt était mort assassiné ? Par un moldu ? Un moldu qui a tué le reste de sa famille avant de se suicider ? Quel moldu ? Était-ce réellement un accident ?

Quelque chose clochait. J'étais assis sur le lit de Tom, et je savais que j'aurais dû faire semblant d'être triste, au moins un peu, pour la mort de mon père. Mais Tom ne paraissait pas perturbé. Ni perturbé ni surpris. Il ne m'avait pas présenté ses condoléances. Depuis l'annonce de Slughorn, il était silencieux. Pendant un instant, j'ai pensé qu'il pouvait être affecté par la mort de son oncle et que ce silence était sa manière de gérer son choc. Puis j'ai réalisé que c'était impossible.

Tom aurait tué Morfin Gaunt si je n'avais pas été là ce jour-là, de ses propres mains. Mais pourquoi ne l'avait-il pas fait ? Parce que j'étais présent. Parce que j'étais blessé et qu'il voulait me porter secours. Tom était venu à mon aide, et c'est cela qui avait préservé Morfin Gaunt.

Mais qu'est-ce qui l'empêchait de le tuer après cela ? Tom ne voulait pas que je puisse retourner chez mon père. Jamais. Jedusor souhaitait en savoir plus sur moi, sur mon passé, et bien souvent, j'évitais ses questions.

Le Seigneur des Ténèbres possède un retourneur de temps et il désire en apprendre davantage sur moi. Il pense que Morfin Gaunt est mon père. Qu'est-ce qui l'empêche d'utiliser ce retourneur de temps pour se rendre à Little Hangleton sans que je le sache ? Il aurait pu utiliser l'une des cheminées de Pré-au-Lard. Son absence n'aurait duré que quelques heures. Un tour ou deux de retourneur de temps…

Depuis le premier Halloween, je le trouvais un peu étrange. Au début, il s'était montré assez distant avec moi, mais je me disais que l'ambiance festive ne lui plaisait pas. L'agitation ne lui avait jamais convenu. Puis, je lui ai offert ce masque et tout à coup... Son attitude est redevenue normale. Non, pas vraiment.

Il s'est montré soudainement plus... entreprenant ? Et avant l'arrivée de Slughorn, il m'a même clairement fait des avances. Avant, il se retenait. Il se retenait parce qu'il pensait que nous étions cousins, et bien que cela ne dérange pas les sorciers adeptes de consanguinité pour préserver leur sang pur, lui avait été élevé comme un moldu et un moldu n'a pas le droit d'avoir une relation... avec son cousin.

Tom Jedusor ne me considère plus comme son cousin. Et ce depuis la fête d'Halloween. Pour nous, c'était il y a trois jours, pour le reste du monde, c'était hier soir. Tom a utilisé son retourneur de temps pour voir Morfin Gaunt et l'interroger à mon sujet... Morfin lui a dit qu'il n'avait pas de fils. Qu'il ne connaissait aucun Harry Gaunt.

Puisque Harry Gaunt n'existe pas.

Jedusor s'est énervé. Il s'est senti trahi, haïssant déjà Morfin Gaunt. Il a voulu le tuer, se venger sur quelqu'un puisqu'il ne pouvait le faire sur moi. Il a mis en place un stratagème pour se débarrasser de Morfin. Le tuer. Il s'est servi d'un moldu. Quel moldu ? C'est évident. La seule autre personne que Tom voulait voir mourir plus que mon pseudo-père, c'était le sien.

Il a utilisé Tom Jedusor Senior pour tuer Morfin Gaunt et a profité de l'occasion pour contraindre celui-ci à éliminer tous les membres encore vivants de sa famille avant de se suicider. Le jeune Seigneur des Ténèbres était parfaitement capable d'ensorceler l'esprit de quelqu'un rien qu'en lui parlant. S'il était maître de lui-même et de ses capacités, rien ne pouvait l'arrêter lorsqu'il avait pris une décision.

Mais si c'était vrai, si ma théorie était fondée... alors pourquoi étais-je encore en vie ? Ce soir d'Halloween... Tom aurait dû rentrer à Poudlard et trouver un moyen de me tuer, de se venger. Il savait. Il savait que je ne faisais pas partie de sa famille, que nous n'avions aucun lien de sang. Que je lui avais menti. Pourquoi ne pas m'abattre ? Sa rage devait être insurmontable.

Que s'était-il passé ce soir-là ? Notre premier Halloween… Je lui ai offert le masque. Je m'en souviens très nettement. La soirée venait à peine de débuter, et j'avais remarqué une certaine froideur de sa part. Je comptais attendre encore un peu pour lui offrir, mais j'ai décidé que c'était le bon moment pour lui remonter le moral et lui ai fait mon cadeau. Il a paru surpris, honnêtement surpris. Puis satisfait. Heureux même. Trop heureux. Comme soulagé. Il ne l'a plus quitté depuis.

Pour une raison qui m'échappe, ce masque l'a convaincu de me laisser la vie sauve. Mais pourquoi ? Il ne sait rien de moi, et il doit bien avoir compris que je lui cache des choses. Il doit s'être demandé qui j'étais en réalité, ce que je faisais à Little Hangleton ce soir-là, pourquoi j'avais détruit la bague. Comment puis-je être fourchelang si je ne suis même pas un membre de sa famille ?

Il ne m'a pas tué, ni même confronté.

C'est peut-être pour cela que je ne crus pas tout de suite en cette théorie. Une partie de moi ne voulait pas admettre que Tom venait de commettre des actes équivalents à ceux de Voldemort de sang-froid. Ce qui était bien pire en un sens.

Je ne voulais pas refaire de lui mon ennemi. Je ne voulais pas m'opposer à lui. Je... Je n'avais aucune envie de briser ce que j'avais construit avec lui. Je ne savais pas si ce sentiment était de l'amour au sens habituel, mais je l'aimais. Je l'aimais et je haïssais l'idée de ce qu'il pouvait être, de ce qu'il était, de ce qu'il avait peut-être fait.

C'est pour en avoir le cœur net que j'ai relevé la tête. J'étais assis sur le bord de son lit. Sa chambre se trouvait en dessous des dortoirs habituels, et ici, l'eau du lac, visible à travers les fenêtres, était si sombre qu'elle ne paraissait qu'être une masse uniforme bouchant la vue. J'avais inexplicablement froid. La porte était fermée, et il n'y avait que lui et moi.

D'une voix tendue, je lui ai demandé :

— C'est toi. C'est toi qui a fait ça ?

Ses yeux hagards ont tout de suite croisé les miens avec une intensité renouvelée. Il parut hébété un instant, puis un sourire grimaçant traversa son visage, et il me siffla dans cette langue que nous étions désormais les seuls à parler.

Je compris tout de suite que l'humain n'était plus aux commandes. J'avais affaire à Tom le monstre. Lord Voldemort.

§ Tu es intelligent. Personne ne pouvait faire le lien entre la mort de Morfin et moi, sauf toi, n'est-ce pas ? §

Mon sang se glaça dans mes veines, et je ne pus rien faire d'autre que le regarder pendant un moment. Il me dévisagea encore un instant, puis haussa les épaules. Il se mit à marcher dans la pièce, un signe inhabituel d'agitation pour lui. Il siffla.

§ Ils méritaient de mourir. Tous. Je ne méritais pas une famille aussi... décevante. Je pensais que tu en faisais partie. J'étais heureux à l'idée d'être lié à quelqu'un qui en vaille la peine. Mais ce n'est pas le cas, n'est-ce pas ? Tu n'es pas mon cousin. Ni même un membre de ma famille. Je l'ai vu dans la tête de cet homme... il n'y a pas d'autres Gaunt. Ce soir-là, tu étais là pour détruire cette bague... puis tu as été blessé et tu as joué la comédie. As-tu eu pitié de moi ? §

Ses yeux ne quittaient pas les miens tandis qu'il faisait les cent pas devant moi.

§ Peu importe. Peu importe si c'est la pitié ou la faiblesse liée à ta blessure qui t'a donné envie de rester avec moi. Tu sais quoi ? Je me fiche de ton identité. Je me fiche même de ton passé. C'est pourtant pour lui que je suis allé rendre visite à Morfin… Désormais n'y a plus qu'une seule chose qui me dérange... toi et moi n'avons aucun lien. Rien ne t'empêche de me quitter. De partir. Tu es resté plus tôt, peut-être car tu étais blessé. Peut-être car tu n'avais nulle part où aller. Mais maintenant ? Tu pourrais partir. Après tout, je pensais être ton ami, mais si c'était le cas... tu m'aurais avoué la vérité à un moment ou à un autre. Mais tu ne l'as pas fait. Pourtant, tu m'as offert ce cadeau. §

Il s'arrêta de marcher net et retira avec une grande délicatesse le masque de son visage pour le contempler. Un sourire se dessina sur son visage, une expression qui me donna envie de fuir, mais j'étais paralysé par la peur et le choc. Je ne pouvais ni bouger ni parler. Sa magie m'enveloppait d'une présence asphyxiante, puissante, même plus intense que celle de l'homme que j'avais affronté à mon époque. Plus prégnante. Plus forte.

§ C'est le premier qu'on m'offre. Mon premier cadeau. Le seul de toute ma vie. Cela doit bien signifier quelque chose. Tu m'apprécies. Au moins un peu. J'aurais préféré que tu ne comprennes pas pour Morfin et les Jedusor... j'avais prévu de faire comme si de rien n'était. Tu ne voulais pas que je les tue. J'aurais fait semblant. Jusqu'à ce que tu veuilles bien te lier à moi. Puis je t'aurais tout expliqué et peut-être que tu aurais été un peu en colère, mais ça n'aurait pas duré pour toujours. Il existe des liens magiques, tu sais ? Ils sont même plus forts et indélébiles que les liens du sang. Tu n'aurais pas pu partir et avec le temps tu m'aurais pardonné. Après tout, ce n'est même pas ton vrai père. §

Il fit un pas vers moi, le masque entre les mains. Mon corps refusa de bouger, et je ne pus que le regarder s'agenouiller devant moi. C'est un genou à terre qu'il me dit.

§ Je t'aime, Harry. Reste avec moi. Je prendrai soin de toi. Tu ne manqueras de rien. Je sais que tu n'aimes pas la violence gratuite. Je ne tuerai pas d'autres personnes, si tu n'en as pas envie. Tu n'as aucune raison de t'en aller ; tu t'amuses bien ici avec moi. Personne ne saura que j'ai éliminé les Jedusor et Morfin Gaunt. Cela ne te causera pas de problème. Et comme Morfin est mort... tu peux continuer à faire semblant d'être son fils. Il ne pourra plus jamais démentir comme il l'a fait devant moi. Ton secret est en sécurité. Je te protégerai. §

Tom Jedusor avait perdu la raison. Non, il était fou dès le début. Je le savais. C'était simplement une autre crise de sa part. Apprendre que je n'étais pas son cousin l'avait fait sombrer.

L'horreur de la situation, les paroles qu'il avait prononcées, tout cela me saisit à la gorge.

J'ai besoin de savoir.

Qu'auriez-vous fait à ma place ? Si votre meilleur ami était Tom, si vous vous étiez trouvé dans cette chambre avec lui… qu'auriez-vous fait ? Est-ce que, tout comme moi, pendant un instant honteux, vous auriez songé à le laisser s'en tirer ainsi ?

Il était mon ami, peut-être même un peu plus que ça. Mon cœur se déchirait de rage et de peine à l'idée de lever la main sur lui. Alors, oui, pendant un instant très court, moins d'une seconde, une partie de moi a presque voulu lui dire oui. Accepter cette folie, sa folie, ce meurtrier. L'aimer sans me sentir honteux et monstrueux de porter en moi ses sentiments.

Cette partie faible est la même qui pensait pouvoir le changer, l'aider, profiter de cette seconde vie sous l'identité de Harry Gaunt. Mais ce soir-là, Harry Gaunt est mort, et avec lui, j'ai étouffé cette partie de mon âme, de mon cœur. Plus de faiblesse, plus jamais, pas pour souffrir autant après.

J'étais un héros malgré moi. Courageux malgré moi. J'ai fait ce que je devais faire. Je n'ai pas prononcé un mot. Je n'en ai pas eu besoin. Je me suis relevé et je l'ai attaqué. En pleurant, car je ne pouvais contrôler à la fois mon corps et mon cœur, mais je me suis battu.

Tout était de ma faute.

Tom l'humain et Tom le monstre n'étaient pas différents, il n'y avait qu'une seule personne. Complexe et torturée, tombée amoureuse de moi, à cause de moi. J'avais cru en une possible rédemption, pour lui, pour moi. Je ne voulais pas tuer Voldemort une fois de plus. J'étais égoïste. Trois moldus innocents et un sorcier étaient morts hier, par ma faute.

J'avais été naïf. J'avais été idiot. On n'échappe pas à son destin. On ne change pas le cours du temps. Recommencer sa vie c'est juste la faire encore. Rien ne peut changer.

Lui et moi sommes qui nous sommes, quoi qu'il advienne. Ce combat était couru d'avance et… j'étais si malheureux à cette idée. Si brisé.

C'était ma faute, car je savais que chaque jour passé avec lui le rapprochait du précipice. C'est son affection pour moi qui le ferait devenir Voldemort, cette fois-ci. À quelle point ma vie était un désastre pour que les choses se passent ainsi ?

N'avais-je pas le droit à la paix ? À la sécurité ? Au sentiment d'être aimé sans que tout ne finisse d'une façon aussi cruelle ?

Notre duel fut d'une violence inouïe. Tom n'accepta pas mon refus, se battant de toutes ses forces sans utiliser les sortilèges les plus mortels. Il ne voulait pas me tuer, seulement m'arrêter.

Alors que la chambre était en ruines, et que des élèves prévenaient le professeur Slughorn, nous continuions de nous battre. Nos baguettes étaient récalcitrantes. Elles étaient jumelles et ne voulaient pas s'affronter.

Dans un éclat de lumière aveuglante, nos baguettes se sont séparées une énième fois. Tom Jedusor, essoufflé et visiblement blessé, fixait le sol avec intensité. Ses yeux reflétaient une combinaison de frustration et de détermination. Je vis la dualité de l'homme qui se tenait devant moi ; le génie torturé et le monstre avide de pouvoir. Le garçon qui m'aimait et celui qui venait de causer la disparition de toute sa famille.

Il murmura d'une voix altérée, cherchant mon regard.

§ Harry. Pourquoi ? Je ne veux pas te blesser… Je ne veux pas te perdre… ne me force pas à te faire du mal. S'il te plaît ? Je t'en prie... Pourquoi tu me fais du mal ? Je t'aime. §

Les mots de Tom résonnaient dans la pièce dévastée. J'avais l'impression qu'il enfonçait dans mon cœur une lame chauffée à blanc à chaque parole. Pourtant, au fond de moi, une résolution s'était installée. Je ne pouvais pas céder. Je devais l'arrêter.

Ma voix était tremblante de l'effort du combat et de l'émotion.

§ Tom, c'est fini. On ne peut plus continuer comme ça. C'est fini. §

Il éclata de rire en pleurant, une sonorité mêlée de folie et de désespoir.

§ Fini, Harry ? Non. Tu n'as pas le droit. Tu n'as pas le droit de venir dans ma vie et de me faire ressentir ça… pour décider ensuite que c'est fini. Tu n'en as pas le droit ! §

Sans un mot de plus, Tom leva sa baguette, prêt à relancer l'assaut. Ma baguette s'éleva instinctivement pour former un bouclier protecteur. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai voulu tout à coup briser une fois pour toutes notre lien. Celui que Tom prétendait que nous n'avions pas encore. Je lui ai avoué la vérité, toute la vérité.

§ Tu te trompes sur mon compte. Je ne suis pas ton ami. Je ne l'ai jamais été. Je viens d'un futur où tu es devenu un monstre. Un futur où tu as tué mes parents ! Nous ne sommes pas amis, Tom ! Nous ne pouvons pas l'être. Ce n'est pas possible. §

Il ne voulut pas accepter cette réalité.

§ Tu mens ! §

Je n'avais plus que cette possibilité.

§ Je mens ? Dans ce cas… Comment tu expliques les souvenirs présents dans ma tête ? Tu es Legilimens, non ? Vas-y et regarde. Regarde ma vie et tu comprendras que c'est impossible. Je ne t'aime pas, Tom. Tu es le monstre qui a gâché ma vie. §

Il obéit instantanément et déchira mon esprit pour y retirer tous les souvenirs qu'il pouvait. Il fouilla partout. Regarda tout ce qu'il pouvait regarder. Ma vie dans son intégralité. Je l'entendis hurler de rage et de peine à l'intérieur de ma propre tête. Ma cicatrice se rouvrit et se mit à saigner abondamment. Lorsqu'il sortit de là, j'étais si mal en point qu'il aurait pu facilement m'abattre.

Il n'en fit rien. Un silence s'étendit le temps qu'il digère ce qu'il venait de voir, et moi… la douleur qu'il m'avait causée en pénétrant ainsi mon intimité.

Le duel reprit. Mes sorts venaient par automatisme. J'avais déjà combattu contre Voldemort, je pouvais le vaincre à nouveau. Tom ripostait avec une intensité croissante, son visage marqué par une détermination sinistre.

Il n'utilisait pas la magie noire, et je savais pertinemment que tant qu'il se refusait à l'utiliser sur moi, j'avais une chance de le battre.

Les éclairs de magie illuminaient la chambre tandis que nous continuions notre duel acharné. Les débris autour de nous témoignaient de la puissance déchaînée. La tension atteignit son paroxysme, et je vis Tom se résigner à commencer à utiliser la forme de magie la plus destructive qu'il connaissait.

J'étais blessé. Aveuglé. Désespéré.

Le Priori Incantatem s'est manifesté, révélant les images tourmentées des sorts lancés précédemment. Les visages déformés et les moments de notre affrontement défilaient comme des ombres fugaces. Des morceaux de notre vie commune à Poudlard, ceux de ma vie précédente, de la sienne. Des personnes décédées pour moi et de celles qu'il avait tuées dans ce temps-là ou dans celui dont je me souvenais.

Puis, dans un silence presque irréel, les baguettes se sont éloignées l'une de l'autre. Tom Jedusor, épuisé, chancela, et je vis quelque chose dans son regard. Une révélation. Une prise de décision.

Et tout à coup, il prononça :

§ Avada Kedavra. §

Me prenant par surprise : le sort me percuta de plein fouet à la poitrine, déchirant mes vêtements et transperçant ma peau. C'était fini. J'allais mourir. Encore une fois.

Je ne suis pas mort. La douleur m'a fait hurler, et j'ai convulsé sur le sol, dans une mare de sang jusqu'à ce que Tom me lance un sortilège d'inconscience.

Je ne pus résister… et ce fut le trou noir.

Don't worry, he's just your thief... of death

Mon réveil fut pénible. Mon corps était lourd et anesthésié. Lorsque j'ai réalisé que je ne pouvais pas le bouger du tout, sauf la tête, la panique m'a envahi. Rapidement, une main s'est posée sur mon front bandé, et je me suis tourné dans la direction de cette personne.

Tom Jedusor se tenait à mes côtés. L'infirmerie, à en juger par le décor, était l'endroit où nous étions. Jedusor semblait avoir été soigné, libre de ses mouvements contrairement à moi.

La nuit enveloppait l'infirmerie dans l'obscurité. Ignorant combien de temps s'était écoulé depuis que j'avais perdu connaissance, je savais que c'était Tom qui avait décidé de lever le sort me maintenant inconscient.

Je parvins à articuler difficilement.

— Qu'est-ce… que tu... m'as fait ?

Il me fixa silencieusement alors que j'essayais de lever le sortilège m'immobilisant. Puis, sa main caressant mes cheveux, il parla. Je n'eus pas la force de lui hurler dessus pour qu'il cesse.

— C'est juste un sortilège pour que tu ne t'agites pas trop. Tu as été gravement blessé. J'ai eu très peur. Je n'étais pas sûr de moi lorsque j'ai utilisé… ce sort. Heureusement, j'étais parvenu à la bonne conclusion. Et tu n'es pas mort.

Ma tête me faisait mal, trop pour comprendre un seul mot de ce que disait Voldemort. Rassemblant mes forces, je lui lançai avec toute la hargne qui me restait.

— Éloigne-toi.

Sa main se stoppa dans mes cheveux. Il me jeta un coup d'œil inquisiteur, puis il soupira. Un sourire apparut sur ses lèvres alors qu'il se reculait. Il répliqua

— Tes désirs sont des ordres.

Ma mâchoire craqua tant je serrais les dents. Il me contempla en silence. J'essayais désespérément de casser le sortilège qui me retenait, mais la douleur dans ma poitrine et ma tête me contraignit à abandonner. Lorsqu'il me jugea plus calme, il déclara.

— J'ai expliqué au directeur que tu avais perdu le contrôle de ta magie soudainement après l'annonce de la mort de ton père. Et que j'avais été forcé de la combattre le temps de pouvoir t'aider. C'est la version officielle de notre duel. Dippet semblait assez bouleversé par la tragédie de ta situation. Il m'a autorisé à rester auprès de toi jusqu'à ce que tu ailles mieux. Un homme très gentil.

Il pencha la tête en me regardant. Les traits parfaits de son visage m'irritaient, et je me mordis la lèvre en détournant les yeux. Je n'allais pas rentrer dans son jeu. Il voulait qu'on parle. Je n'avais aucune envie de lui parler. Il est Voldemort, et je suis Harry Potter. Nous sommes ennemis, et dès que je pourrais bouger à nouveau, je le tuerais.

Mes pensées devaient être assez explicites dans mon langage corporel car il se sentit obligé de préciser avec douceur. Il paraissait avoir complètement repris le contrôle sur lui-même. Sa crise était passée.

— Harry James Potter. Regarde-moi s'il te plaît.

Mon nom complet me fit hoqueter de stupeur, et je tournai de nouveau la tête vers lui, effaré.

Il me sourit et passa ses doigts sur ses lèvres inconsciemment.

— C'est un très joli nom. J'ai eu envie de le prononcer dès que je l'ai su. Potter. Harry Potter. Ça te va beaucoup mieux que Gaunt. Ça correspond bien mieux à ta personnalité.

— Ne joue pas à ça avec moi.

— Jouer à quoi ?

— À l'innocent. Au premier de la classe. Je déteste quand tu fais ça.

Ses yeux brillèrent furieusement, et sa posture changea subtilement. C'était léger, mais je parvenais à le sentir. Sa voix était bien plus émotive lorsqu'il me souffla.

— Je ne sais pas comment agir avec toi. Je viens d'apprendre que le garçon dont je suis amoureux est un voyageur temporel qui vient d'un futur où je suis devenu un Seigneur des Ténèbres. Comprends-moi, je suis troublé.

Je grinçais des dents.

— Tu n'es pas amoureux de moi. Nous sommes ennemis. Dès que je sors de ce lit, je te lance un Avada.

Jedusor se tut un moment, ne cessant jamais de me fixer, puis me dit, de façon tout à coup menaçante.

— Tu ne peux pas décider à ma place si je t'aime ou non. Tu n'avais qu'à y réfléchir à deux fois avant de t'impliquer dans ma vie. Tu savais qui j'étais. Tu aurais pu t'enfuir. Tu aurais pu m'ignorer. Tu aurais pu m'empoisonner. M'abattre dans mon sommeil. Tu pouvais te débarrasser de moi, mais tu ne l'as pas fait. Pourquoi ? Parce que tu es tout le contraire de moi. Tu es bon. Tu es un héros. Celui qui sauve le monde. Et le héros ne tue pas le méchant s'il pense pouvoir le sauver, n'est-ce pas ? Je suis le méchant de ton histoire, et tu es mon héros, Harry Potter. Alors fais ce que tu dois faire et sauve-moi.

Il avait déclaré ces derniers mots avec force. Je le regardais, et soudain, je remarquai qu'il tremblait, semblant affecté, perdu, émotif, dépassé par les événements. Il ne savait pas quoi faire, mais c'était trop tard, trop tard pour lui, trop tard pour moi. J'en avais assez, profondément blessé, mon cœur saignait, et je ne voulais plus voir ses espoirs. Les miens étaient partis.

Tom Jedusor est Voldemort. Il l'était dès la naissance, tout comme je suis Harry Potter.

C'est le plafond que je fixais en lui adressant la parole.

— Non, tu te trompes. Je suis peut-être un héros, mais certainement pas le tien. J'ai essayé de te sauver, et regarde où ça m'a mené. Quoi que je fasse, ça finira mal. Tu vas suivre le même chemin que Voldemort, que je sois là ou pas. Je n'ai pas envie de voir ça. Si je n'arrive pas à te tuer comme tu dis, si je suis trop gentil pour pouvoir t'arrêter, alors je n'ai aucune raison de rester avec toi. J'ai déjà vécu une guerre. Je suis fatigué.

Je me tournais à nouveau vers lui, les yeux dans les yeux.

— Dégages, Tom. Va-t'en. Fais ta vie. Prends le contrôle de l'Angleterre, tue toutes les personnes qui te déplaisent. Fragmente ton âme en Horcruxes jusqu'à en perdre l'esprit. Je m'en fiche. Fais ce que tu veux. Je vais juste m'assurer d'être très loin d'ici au moment où tu le feras. Je ne sais pas comment je suis arrivé ici, à cette époque, ni pourquoi je survis à la mort à chaque fois, mais je vais trouver un moyen d'inverser les effets de ce truc. Je vais rentrer chez moi. Et si ce n'est pas possible, je trouverai un moyen de mettre fin à tout ça. Je me fiche de mourir. Ce sera toujours mieux que de me battre contre toi.

La moitié de ce que je lui avais dit… je ne le pensais pas. C'était faux. J'étais arraché en mille morceaux, et je voulais le faire souffrir. Je voulais qu'il paie, qu'il disparaisse. Je voulais ne jamais l'avoir connu, ne pas pouvoir me souvenir de l'avoir tenu dans mes bras la nuit parce qu'il faisait un énième cauchemar.

Il réagit exactement comme prévu, incapable de maîtriser ses émotions devant moi. M'agrippant par le col, il immobilisa mon corps contre le sien, son visage trop proche du mien lorsqu'il déclara :

— Je te l'interdis !

Je plissai les yeux en signe de défiance.

— Oh, je vois. Et comment comptes-tu m'empêcher de me tuer ? Ta spécialité, c'est plutôt le contraire.

Il resserra ses mains autour de ma gorge, m'étranglant.

— Tu ne peux pas mourir. Tu es le Maître de la Mort. C'est pourquoi le sort mortel ne te tue pas. C'est pourquoi tu récupères si vite même après un coup de couteau. Tu es immortel, Potter. Et c'est cette immortalité qui t'a fait voyager dans le temps. Il te fallait une Relique pour réapparaître après la bataille de Poudlard, et c'est la bague des Gaunt qui t'a servi de pont. Tu ne t'en souviens pas, mais je l'ai vu dans ta tête… tu as absorbé la mort. Le processus est terminé, et même si je te prive d'oxygène, tu ne meurs pas. Tu en es incapable.

Jedusor me relâcha, le sortilège d'immobilité se brisa, et je me pliai en deux, les mains sur ma gorge où des bleus commençaient déjà à apparaître, mes poumons me brûlant atrocement. Les révélations de Voldemort me laissèrent abasourdi. Avant même que je m'en rende compte, je pleurais à grosses larmes, hoquetant et haletant comme un enfant.

Jedusor ne devait pas s'attendre à cette réaction, car il fut plus paniqué que moi. Se levant précipitamment, il chercha dans les affaires de l'infirmerie des potions et pommades, revenant vers moi avec cet air de culpabilité ridicule.

S'excusant encore et encore, comme s'il y avait quelque chose à pardonner. Je l'avais provoqué, il avait réagi. C'est tout. Ma réponse le mettrait hors de lui, je le savais pertinemment.

Cependant, je ne m'attendais pas à ses paroles et à ma réaction. Refusant son aide en me levant péniblement, j'écoutais sa troisième tentative d'excuse.

— Pardonne-moi. Je ne voulais pas te faire pleurer.

Il voulait vraiment m'étrangler et prouver que je ne pouvais pas mourir. Mais jamais dans son esprit malade, il ne s'était dit que ça pourrait me faire pleurer ? Quel détraqué.

Assis sur un lit un peu plus loin, je vis sur mon t-shirt blanc, des marques rouges, des tâches qui n'auguraient rien de bon concernant ma blessure à la poitrine.

Plié en deux par la douleur, je toisais Jedusor du regard, qui, visiblement, ne savait pas s'il pouvait s'approcher sans déclencher la Troisième guerre mondiale. Ce qui aurait été difficile puisque la Seconde n'était même pas terminée.

Je réussis à lui souffler entre mes dents.

— Ne m'approche pas.

Il resta à sa place, debout et immobile comme une statue.

Lorsqu'il m'adressa la parole, c'est pour me dire :

— Ton t-shirt est couvert de sang. Ta blessure a dû se rouvrir.

— À qui la faute ?

— Je ne voulais pas… j'ai perdu le contrôle de moi-même. Tu m'as provoqué exprès. Tu voulais que je relâche ma vigilance sur le sortilège d'immobilité pour pouvoir t'enfuir.

Bien sûr, c'est ce que je désirais, mais je n'anticipais pas qu'il irait jusqu'à m'étrangler. J'espérais plutôt un coup de poing, une gifle, voire qu'il lance Endoloris, mais pas qu'il tente de m'étouffer pour prouver mon immortalité.

Immortel. C'était une plaisanterie, n'est-ce pas ? Ce n'était pas réellement mon statut de Maître de la Mort qui m'avait fait voyager dans le temps après la bataille de Poudlard, n'est-ce pas ? Je me souvenais vaguement d'avoir été dans les limbes et d'avoir entendu quelque chose me parler. Est-ce que cette chose était la mort en personne ? Comment cela se fait-il que je l'aie absorbée ?

La mort n'est pas vraiment une entité physique, c'est simplement un conte pour enfants sorciers que Grindelwald a pris trop au sérieux. Ce n'était pas possible…

Bien sûr que si, c'était possible. Nous sommes dans un monde de magie. Tout est envisageable, du pire au meilleur. C'est ce qui me donne habituellement de l'espoir.

— Si la magie a pu me rendre immortel, alors le processus doit pouvoir être inversé. Le titre de Maître de la Mort, je n'en veux pas. Je vais le lui rendre.

Voldemort tonna de là où il était.

— Tu souhaites mourir à ce point ?

— Je ne suis pas toi. L'idée de vivre éternellement me répugne. Je… je…

Les larmes revinrent, traîtresses, dans mes yeux. Jedusor me dévisagea. Ses tremblements le reprirent, et ses yeux aussi me parurent étrangement humides.

— Moi, je veux que tu vives. C'est peut-être un enfer pour toi, mais cet enfer m'a sorti du mien.

— La mort est importante. Elle fait partie de la vie. En perdre la capacité n'est pas une bénédiction. Regarde ce que tu deviendras dans le futur à cause des Horcruxes. C'est ce que tu veux ? Je ne souhaite pas mourir tout de suite, mais je veux en être capable. Comme n'importe quel être humain.

— Tu as dit que tu mettrais fin à tes jours dès que tu trouverais comment.

— Tu l'as dit toi-même, je cherchais à te provoquer pour que tu perdes tes moyens et relâche ton sortilège.

— Tu étais plutôt convaincant.

— J'imagine que je l'étais. À quoi bon te surveiller ? Je l'ai fait pendant plus de six mois et malgré mes efforts, rien n'a changé. Je n'ai pas envie de te courir après toute ma vie pour finalement qu'on s'entretue dans un Poudlard dévasté. J'étais honnête là-dessus. Tu devrais faire ta vie de ton côté et moi la mienne. Dumbledore et Grindelwald le font bien, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas. Je te laisse l'Angleterre et même toute l'Europe si tu veux… et je pars en Amérique. Là-bas, je trouverai peut-être le moyen de vivre une vie ordinaire.

Jedusor éclata d'un rire cynique, sans âme, avant de m'assurer.

— Albus Dumbledore est un lâche. Pas toi. Il me suffira de tuer trois ou quatre moldus pour te voir débarquer. Tu ne pourrais pas t'en empêcher. Jamais tu ne me laisseras devenir Voldemort à nouveau.

Il avait raison, et cela m'énervait. Oui, je partirai certainement, oui j'essaierai, mais si j'apprenais par le journal qu'un nouveau Seigneur des Ténèbres était apparu ? Si je voyais le nom de Voldemort à la Une ? Je rappliquerai aussitôt.

Je suis un idiot. Je ne pourrais pas le laisser tuer sans me sentir coupable pour ses meurtres. Sans vouloir me faire justice moi-même. Sans souhaiter pouvoir l'arrêter. Et paradoxalement, je ne voulais pas le tuer…

Comment pourrais-je le tuer sans perdre ce qui me restait de moi-même dans le processus ?

Jedusor répéta, comme si la première fois qu'il l'avait dit n'avait pas suffi.

— Tu es un héros. Le mien en l'occurrence. Alors sauves-moi.

Je m'énervais.

— Et comment suis-je censé faire ça ? Tu ne vas pas m'écouter. Tes principes sont immoraux. Même si tu y mettais du tien, je ne suis pas sûr de pouvoir t'empêcher de faire n'importe quoi. Dis-moi pourquoi tu as tué les membres de ta famille ?

Tom resta silencieux. Pas coupable ni repentant. Il paraissait juste être en train de réfléchir. Sa réaction me prouvait que j'avais raison. Après un moment, il me souffla.

— Je te l'ai déjà dit. Ils m'ont mis en colère. J'étais déçu. Je voulais qu'ils… soient autrement.

Il ne voyait même pas le problème. Il fallait que je tente une autre approche.

— Et moi ? Je ne suis pas celui que tu pensais. Je t'ai mis en colère, je t'ai déçu. Est-ce que tu as envie de me tuer ? Tu devrais, selon ton raisonnement. Tu veux que je sois autrement alors pourquoi tu voudrais que je reste en vie ?

Il releva la tête vers moi et parut sincèrement choqué par mes paroles.

— Ce n'est pas pareil. Je ne vais pas te tuer à cause de ça. Je t'aime. Je ne suis plus en colère et je n'ai jamais été déçu par toi. Tu es loin d'être décevant. Je ne voudrais pas que tu sois différent de qui tu es.

Échec. Total. Je grimaçais.

— Normalement, tu devrais penser ça de toute l'humanité. Pas seulement de moi. On ne tue pas les gens parce qu'ils ne correspondent pas à ce qu'on veut. Tu ne devrais même pas avoir d'attentes les concernant !

Tom fronça les sourcils, puis finit par me dire :

— C'est impossible. Si je veux progresser dans la société, je suis obligé d'avoir des attentes, et les autres en ont également me concernant…

— Qu'entends-tu par "progresser dans la société" ?

— Échapper à mon statut de sang-mêlé, obtenir le respect, ne plus être pauvre. Je ne veux plus jamais être forcé à vivre dans un endroit comme l'orphelinat.

— Tu n'es pas obligé de tuer des gens pour ça. Ou de renverser le pays. Ou d'être immortel. Si j'en crois tes paroles, alors Voldemort a raté sa vie. Il n'a jamais obtenu le respect, juste la peur. Il n'a jamais été riche et il vivait plutôt comme un paria sur les richesses des autres qui le soutenaient. Il n'a jamais échappé à son statut de sang-mêlé même s'il avait décrété la suprématie des sang-pur. Ça ne changeait rien à son sang. On ne change pas sa naissance en changeant de nom. Et il a été forcé de vivre dans des endroits aussi terribles que l'orphelinat pendant sa cavale entre les deux guerres. Il a même été réduit à boire du sang de licornes et à partager le corps d'un autre. Rien de ce que tu prévois de faire ne va te donner ce que tu veux.

Tom Jedusor cessa de me dévisager un court instant et mes paroles parurent le décevoir de lui-même, enfin il finit par déclarer.

— Ces choses-là ne m'intéressent plus de toute façon. M'élever dans la société est un objectif secondaire pour moi maintenant.

C'était à mon tour de plisser les yeux et de froncer les sourcils.

— Tu as changé d'avis ?

Il nia en secouant la tête.

— On ne peut pas dire ça. Disons seulement que quelque chose d'autre m'intéresse davantage maintenant et que si je l'obtiens, j'imagine que si je n'ai pas le reste ce n'est pas si grave.

J'étais plus que surpris et un peu inquiet à l'idée que ce qu'il voulait ne le conduise sur un chemin pire que celui de son futur lui.

— Il y a quelque chose que tu veux plus que le pouvoir et la vie éternelle ? Quelque chose pour lequel tu laisserais tomber ces deux objectifs ?

Il acquiesça, et je ne sais pas si c'était ma faiblesse générale ou la perte de sang, mais je me sentit étourdi tout à coup. Je voulus lui demander ce qu'était cette chose qu'il désirait plus que la conquête du monde ou la vie éternelle, mais des points noirs se mirent à danser au bord de ma vision, et une seconde avant de perdre connaissance (par moi-même cette fois-ci), il se rapprocha, et je vis la lueur qui brillait dans ses yeux.

Elle était possessive, d'un rouge incroyablement clair et vif.

C'était moi. La chose que voulait Tom plus que l'incapacité de mourir et le pouvoir. C'était moi.

Don't worry, this is just your end.

Si vous êtes arrivé jusqu'ici, c'est probablement parce que vous avez lu l'intégralité de cette histoire. Félicitations pour avoir parcouru ces 25 000 mots ! Oui, c'est un one-shot et il est désormais terminé. Je l'ai rédigé au cours de quelques nuits d'insomnie en novembre, faisant ainsi ma propre version du NaNoWriMo ! J'attends avec impatience de lire vos impressions dans une longue review.

Bisous de décembre, Alle.